La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à la garde à vue (nos 2855, 3040).
Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de quatre heures et cinquante-sept minutes pour le groupe UMP, dont quarante-quatre amendements restent en discussion ; six heures et quarante-huit minutes pour le groupe SRC, dont vingt-quatre amendements restent en discussion ; trois heures et deux minutes pour le groupe GDR, dont vingt-trois amendements restent en discussion ; trois heures et treize minutes pour le groupe Nouveau Centre, dont trois amendements restent en discussion, et trente-quatre minutes pour les députés non-inscrits.
Ce matin, l'Assemblée a poursuivi l'examen des articles, s'arrêtant à l'amendement n° 34 à l'article 7.
La parole est à M. Dominique Raimbourg, pour défendre l'amendement n° 34 .
Cet amendement vise à mieux encadrer le rôle de l'avocat lors de l'audition en calquant la procédure de retranscription des questions posées sur le modèle de l'instruction. Cela ne veut pas dire que nous considérons que cette phase de la garde à vue se situe dans la même temporalité que celle de l'instruction, mais il s'agit de reprendre un modèle qui fonctionne. Pour que la procédure ait un sens, il faut que l'avocat pose des questions, et que celles-ci soient retranscrites par l'officier de police dans le procès-verbal, comme le juge d'instruction le fait à l'instruction. Il n'est pas possible que l'officier de police se contente de noter que des questions ont été posées : il faut noter les questions et les réponses.
La parole est à M. Philippe Gosselin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
La retranscription par l'officier de police judiciaire des questions posées par l'avocat et des réponses qui lui sont faites fera bien évidemment partie des éléments qui figureront au procès-verbal d'audition. Si on précisait expressément que les questions de l'avocat doivent figurer au PV, il faudrait parallèlement préciser que l'OPJ doit retranscrire ses propres questions et les réponses qui y sont apportées, ce qui n'aurait pas de sens puisque c'est le principe même de tout PV. Cet amendement propose un ajout qui n'apporterait rien et qui, de plus, risquerait de déséquilibrer la procédure. Toutes les questions et les réponses doivent être retranscrites. Je sais que parfois le silence peut être ambigu, mais ce n'est pas le cas dans cet alinéa.
L'avis de la commission est donc défavorable.
La parole est à M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Même avis.
J'ai compris l'intention de l'alinéa 9 . Cependant, les auditions des syndicats de police et des syndicats d'avocats m'ont permis de noter que, sauf erreur de ma part – je parle sous le contrôle de plus grands juristes que moi –, depuis quelques années, obligation est faite à l'officier de police de noter ses questions, que cette obligation figure expressément dans le code de procédure pénale et que le parallélisme des formes justifierait que les questions de l'avocat soient elles aussi notées dans le procès-verbal. C'est une précision indispensable en raison de l'obligation qui pèse textuellement sur l'OPJ.
Je ne prétends pas, monsieur Raimbourg, être le grand juriste qui va vous répondre, mais je sais que l'obligation de retranscrire les questions n'est pas mentionnée dans le code. Cela étant, même si je comprends que vous croyiez que c'est inscrit dans la loi, j'estime que c'est par erreur que vous le pensez.
C'est un raisonnement quelque peu alambiqué, j'en conviens. Hier, un collègue de l'opposition nous a dit qu'il allait essayer, avec des mots simples, d'exprimer la complexité de sa pensée : nous sommes à nouveau dans une telle situation. (Sourires.)
Monsieur le rapporteur, nous avons la chance de ne pas débattre en fin de séance de nuit, je pense donc que, malgré tout, tout le monde aura compris ce que vous voulez dire. (Sourires.)
(L'amendement n° 34 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 183 .
La parole est à M. Roland Muzeau.
Cet amendement a deux objets.
D'une part, il propose de supprimer les deux dernières phrases de l'alinéa 9, qui autorisent les policiers à censurer des questions posées par l'avocat de la personne mise en cause, car cette possibilité de censure n'est pas accompagnée de garde-fou puisque toute question qui serait « de nature à nuire au bon déroulement de l'enquête » pourra être écartée. Les policiers pourraient donc parfaitement empêcher systématiquement les avocats de poser des questions. Quant à la deuxième justification de cette censure, il s'agit d'une véritable provocation : en effet, les policiers sont autorisés à censurer une question si elle nuit « à la dignité de la personne ». Comme si une question d'un avocat de la défense, chargé de défendre son client, allait porter atteinte à la dignité de la personne ! Faut-il rappeler que, dans le dispositif de la garde à vue, les abus en termes de dignité de la personne constatés ces dernières années n'avaient pas pour auteurs des avocats mais bien, malheureusement, quelques policiers ? Pouvez-vous, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, nous donner un exemple concret d'une question d'avocat qui serait susceptible de nuire à la dignité de la personne et qui justifierait par conséquent sa censure par les policiers ? Pensez-vous réellement que l'objectif des avocats, qui portent la robe après avoir prêté serment, soit de porter atteinte à la dignité de la personne ? Le sens de leur engagement n'est-il pas plutôt de protéger, partout où c'est nécessaire, cette dignité, tant de fois mise en cause par les conditions déplorables de la garde à vue ?
D'autre part, notre amendement propose d'ajouter que l'avocat peut « formuler des observations orales ». Il s'agit de mettre en conformité le présent projet de loi avec les arrêts rendus le 19 octobre 2010 par la chambre criminelle de la Cour de cassation, dont il résulte que l'avocat doit pouvoir participer aux auditions. Ainsi, à l'issue de celles-ci, l'avocat doit pouvoir formuler des observations orales. Il n'est pas pensable de le cantonner à un rôle de simple témoin ou de contrôleur de la légalité de la procédure. Or, en l'état actuel du texte, le défenseur de la partie poursuivie ne peut intervenir que sous la forme interrogative !
Le texte de la commission, contrairement à l'amendement, apporte une précision qui s'inspire de la procédure de l'instruction où il est bien précisé que le juge « peut s'opposer aux questions de nature à nuire au bon déroulement de l'information ou à la dignité de la personne » – c'est l'article 120 du code de procédure pénale. Certains bancs jugeront très bonne cette disposition puisqu'elle découle d'une loi du 15 juin 2000. Vous voyez, monsieur Muzeau, dans quel état d'esprit nous sommes. Mais votre amendement est en contradiction avec cette disposition. Avis défavorable.
Vous n'avez pas répondu à ma question ! Avez-vous des exemples de questions d'avocats qui seraient contraires à la dignité de la personne mise en cause ?
Même avis.
Je vous remercie pour cette longue explication, monsieur le garde des sceaux !
Nous avons eu l'occasion d'évoquer ce matin la participation de l'avocat à la défense de son client dans cette période de la garde à vue, mais il est heureux que notre collègue revienne sur cette question car cet amendement vise à donner un sens très précis au mot : « participation ». Il ne s'agit pas pour l'avocat d'être un spectateur impuissant, le témoin d'actes auxquels il ne peut pas participer. Contrairement à ce que certains de nos collègues, sur les bancs de droite, ont affirmé, il ne s'agit pas pour l'avocat d'assister au débat, mais d'assister son client. Ce n'est pas exactement la même chose. L'amendement donne un contenu plus précis à la notion de participation telle qu'elle est définie par la Cour européenne des droits de l'homme, en particulier dans son arrêt Danayan, et par l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation d'octobre 2010. Nous revenons donc à la charge pour que l'avocat trouve toute sa place dans la défense de son client au moment où celui-ci est contraint à la garde à vue.
Monsieur le garde des sceaux, si la parole est d'argent mais le silence d'or, vous avez de bonnes chances de finir votre vie riche, parce que vous avez la parole économe,…
Ça dépend des moments !
…même si elle n'est pas très convaincante.
Quant au rapporteur, je pensais en l'écoutant à l'ancien président de la Réserve fédérale américaine qui, quand un interlocuteur lui disait : « Si j'ai bien compris ce que vous avez dit », rétorquait : « Si vous avez compris ce que j'ai dit, c'est que je me suis mal exprimé ». Mais vous, monsieur le rapporteur, après vous avoir entendu, on est sûr de n'avoir rien compris du tout !
Notre charmante collègue peut-elle alors traduire ce que le rapporteur a dit ? Cela montrerait qu'elle a l'intelligence plus aiguisée que nous, ce qui, venant des rangs de l'UMP, serait tout de même étonnant.
Monsieur Brard, seul le président de séance donne la parole. Il n'y a pas d'interpellation entre députés.
Monsieur le président, ce n'est pas une interpellation, seulement l'écho de ce que disait Mme de La Raudière.
Que demandeRoland Muzeau ? Si le rapporteur et le ministre sont de bonne foi, il sera aisé de lui donner satisfaction : il suffit de donner un exemple. Or ils n'en ont point à nous fournir. Dans cet amendement, nous proposons simplement que l'avocat puisse formuler des observations orales car le priver de ce droit, c'est le priver des premiers outils qui lui permettent d'exercer sa responsabilité à l'égard de la personne dont la défense lui a été confiée.
Monsieur le garde des sceaux, je sais qu'il y a des moments où vous êtes plus disert. Pourriez-vous nous faire bénéficier de vos lumières pour que notre intelligence soit revigorée par la clarté de votre propos ?
Je suis pour le rejet de cet amendement, en raison de l'une de vos interventions de ce matin, monsieur le ministre, durant laquelle, à l'appui de l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, vous avez explicité le rôle de l'avocat.
Jusqu'à présent, nous étions dans une situation dénoncée par le Conseil constitutionnel, la Cour européenne des droits de l'homme et la Cour de cassation.
Ce projet de loi vise un équilibre et la présence d'un l'avocat qui ait un rôle. Contrairement à vous, monsieur Brard, je pense que le rapporteur a très bien répondu en citant l'alinéa 9 où il est précisé : « l'avocat peut poser des questions ».
Le rôle de l'avocat est reconnu par la loi. Nous n'avons aucun intérêt à aller plus loin. D'ailleurs, nous avons déjà eu ce débat, et une partie de l'opposition s'est abstenue sur vos amendements ce matin sur le thème : l'avocat assiste une personne privée de liberté, mais c'est un auxiliaire de justice. Nous n'en sommes pas au stade de la confrontation mais à celui de l'enquête, de la recherche de la vérité.
Avec la majorité, monsieur le ministre, vous devez être vigilant et veiller à cet équilibre. Quel est le rôle de l'officier de police judiciaire qui va diriger la garde à vue ? Il doit trouver la cause de crimes ou de délits graves. L'avocat joue un rôle d'auxiliaire et il doit garantir le respect de la présomption d'innocence durant ces heures essentielles de garde à vue où des charges pourront être retenues et resteront contre la personne mise en examen.
Monsieur Brard, je comprends la signification de votre amendement, mais il ne va pas dans le sens que vous souhaitez vis-à-vis de la personne privée de liberté. Le texte est équilibré ; nous y avons veillé au cours de cette discussion parlementaire. Tout en étant aussi attaché que vous à ce rôle actif de l'avocat, je suis contre la rédaction de votre amendement.
L'amendement de M. Muzeau consiste à donner à l'avocat la possibilité de formuler des observations orales. Or, conformément aux dispositions que nous avons adoptées et qui étaient prévues dans le texte initial, l'avocat peut déjà poser des questions orales en fin d'audition, en fin de confrontation et au stade de l'enquête.
Répétons-le : nous sommes au stade de l'enquête. L'avocat peut déjà poser des questions orales en fin d'audition et il peut également formuler des observations écrites. Dans ces conditions, monsieur Muzeau, votre amendement est parfaitement superflu.
Il l'est d'autant plus que nous sommes au niveau de l'enquête. Encore une fois, cette phase n'est pas celle du procès. Les avocats n'auront pas du tout un rôle passif et nous pouvons d'ailleurs compter sur eux pour se manifester.
L'avocat se manifestera, mais selon des règles qui ne doivent pas réduire à néant ou affaiblir l'enquête policière, dont le but est d'aboutir à la manifestation de la vérité. Par définition, le dossier n'est pas encore constitué, mais il est en cours de constitution, ce n'est pas celui qui sera débattu contradictoirement au moment du procès.
Avec ces observations écrites et ces questions orales, nous avons fait le tour du problème au niveau de l'enquête.
Si je comprends le but de cet amendement, je crois que son application aboutirait à l'inverse de ce que vous souhaitez. Je comprends l'éclaircissement voulu, mais pensez-vous qu'on puisse faire taire un avocat en garde à vue pour des observations orales ? Les avocats de cette assemblée vous semblent-ils muets ou peu représentatifs de la profession ?
Vous ne pourrez pas faire taire un avocat facilement, même en garde à vue, je vous le dis !
Comme nous allons probablement repousser cet amendement, vous allez aboutir à un contre-effet. En repoussant cet amendement, Dieu sait si nous allons exciper des arguments les plus contradictoires. Les moindres petites ficelles vont être utilisées dans une procédure qui dérange. On opposera qu'effectivement nous avons refusé formellement que l'avocat fasse des observations orales. C'est pour cela que, personnellement, je préférerais que vous retiriez l'amendement.
Dans ce domaine, le silence est d'or, et il permettra à l'avocat de parler, si je puis me permettre ce paradoxe ! (Rires sur les bancs du groupe UMP.)
Pour ma part, cela ne me dérange pas que l'on me reproche de ne pas être avocat. Je ne le suis pas,…
Et je n'ai pas demandé à l'être.
La question que je pose me semblait simple, mais elle a l'air d'être plus compliquée que je ne l'imaginais. Ce texte autorise un policier à censurer une question d'un avocat qui nuirait à la dignité de la personne. C'est de là que je pars, d'une lecture du texte et pas d'une interprétation personnelle.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, avez-vous un exemple réel – nous ne sommes pas là pour raconter des histoires et inventer – de question d'avocat qui nuise à la dignité de la personne ?
S'il y en a, je suis capable d'entendre. Cela étant, reconnaissez que notre intention n'est pas d'aboutir au résultat que vous craignez.
J'hésitais à vous donner un exemple pour ne pas vous donner l'impression que je cherche à faire pleurer, mais il s'agit d'un cas bien réel…
Vous en avez une boîte complète depuis les élections à la mairie de Montreuil, sans doute, mais gardez-en pour la suite !
Cet exemple sérieux ne prête pas à sourire. Dans une affaire de viol, de violences sexuelles, l'avocat pose la question suivante : « N'est-ce pas Mme qui, par la jupe qu'elle portait, par son attitude, qui a provoqué la réaction de mon client ? » Voyez, ce genre de question.
Honnêtement, c'est douteux, et c'est une forme d'atteinte à la dignité de la personne. Sans chercher à être outrancier, voilà un type d'exemple.
Un avocat qui pose ce genre de question, le client doit en changer tout de suite !
L'ensemble de ces questions me suggère une série de remarques.
D'abord, il est important que la question refusée figure au procès-verbal. Autrement, d'après les auditions des syndicats d'avocats, un défenseur avisé dira : ma question ne figure pas ; or elle était absolument capitale. On ne saura jamais quelle était cette question mais l'avocat peut en faire un argument de plaidoirie. Il faut absolument clarifier ce point.
C'est l'esprit de l'article 120 du code de procédure pénale, que j'ai relu. Cet article traite de l'ordre dans lequel interviennent les différentes parties. En conséquence, c'est forcément après que la question a été posée qu'elle est refusée. Mais l'idée est d'inscrire la question posée, même si ce n'est pas toujours aussi rapide dans la pratique, compte tenu du temps de la dactylographie. Il faut que les choses soient claires : la question doit être notée.
Ma deuxième remarque porte sur les observations orales. Techniquement, toujours d'après les auditions, ces observations ne sont pas très utiles parce qu'elles sont orales et qu'il n'en reste pas de trace. L'avis de l'officier de police judiciaire enquêteur sur ce qui se passe n'a que peu d'effet, comme l'avis du magistrat instructeur sur la personnalité du client, sauf s'il s'agit d'une discussion sur un point de détail. Il n'est pas interdit à l'avocat de s'adresser à l'officier de police judiciaire, mais les observations orales ne sont pas extrêmement importantes.
Quant aux questions refusées, elles sont extrêmement rares. Toujours lors de ces auditions, j'ai cru comprendre que les avocats ne posent des questions que lorsqu'ils connaissent la réponse…
…parce que, forcément, ils veulent que ce soit inscrit au procès-verbal.
En outre, les questions qui posent véritablement problème ne sont pas celles qui portent sur des faits – l'officier de police judiciaire n'a pas intérêt à refuser de telles questions – mais celles qui sont posées sur un mode interro-négatif, celles qui contiennent la réponse, du genre : « N'est-ce pas lorsque vous vous êtes rendu compte qu'en étranglant la victime avec vos mains vous risquiez de lui faire du mal que vous avez cessé de l'étrangler ? » L'interrogé normalement constitué répond alors : « Si, précisément, parce que je ne voulais pas lui faire du mal. »
Voilà le type de questions refusées, celles qui contiennent la réponse et visent à arranger fortement les intérêts de celui qui est interrogé. Dans la pratique, cela se fait finalement assez peu, compte tenu du danger que l'intéressé ne voie pas la réponse contenue dans la question, d'après ce que j'ai compris.
Si ce type de contentieux est assez faible, il est néanmoins important de le régler. Il est réglé de cette façon à l'instruction, et c'est une culture centenaire pour les barreaux. Je comprends bien que cela inquiète les officiers de police judiciaire, à qui l'on demande un formidable effort pour modifier leur façon de travailler. Cependant, je crois que ces textes présentent peu de difficultés.
(L'amendement n° 183 n'est pas adopté.)
Cet amendement de précision vise à aligner la formule utilisée en cas de refus d'une question par un OPJ dans le cadre d'une garde à vue sur celle de l'article 120 du code de procédure pénale – édicté par la loi du 15 juin 2000 – en cas de refus d'une question par un juge d'instruction.
En effet, l'on ne saurait demander à l'officier de police judiciaire qu'il enregistre l'intégralité des questions posées par l'avocat, alors que cette exigence n'existe même pas pour le greffier du juge d'instruction, à ce stade de l'enquête.
Cette nouvelle formulation ne préjudicie nullement aux droits de la personne gardée à vue, puisque l'avocat pourra toujours joindre le texte des questions refusées à ses observations écrites s'il l'estime nécessaire.
Il s'agit de permettre à l'officier de police judiciaire de travailler sans trop compliquer sa tâche, de ne pas le rendre greffier de l'avocat, sachant que l'avocat pourra toujours joindre le texte intégral de ses questions dans ses observations écrites.
C'est un moyen pratique de résoudre la question.
Avis favorable.
Le rapporteur, que j'écoute avec attention, dit qu'en cas de refus d'une question, il n'est pas nécessaire d'enregistrer l'intégralité des questions posées.
Si cet amendement est adopté, quelles questions seront notées et quelles sont celles qui ne le seront pas ? Le rapporteur indique que l'avocat pourra annexer les questions refusées.
Cette précision, si elle était votée, poserait des questions très pratiques. L'avocat dira à l'officier de police judiciaire : « Vous refusez de noter que certaines questions que j'ai posées n'ont pas été examinées et vous allez en noter d'autres. » J'avoue que, sur le plan pratique, je ne sais pas comment nous allons faire.
Le mieux étant l'ennemi du bien, je me serais contenté de ce qui était prévu. Monsieur le rapporteur, l'avis que vous venez d'exprimer est-il le vôtre en tant que rédacteur de l'amendement ou celui de la commission ?
L'alinéa 9 me paraissait suffisant : « L'officier ou l'agent de police judiciaire peut s'opposer aux questions de nature à nuire au bon déroulement de l'enquête ou à la dignité de la personne. Mention de la question refusée est portée au procès-verbal. » À mon avis, votre amendement n'apporte rien de plus que ce texte de compromis élaboré en commission.
Cela se passe déjà comme ça chez le juge d'instruction et cela ne pose pas de problème. Nous nous sommes aussi inspirés de ce qui fonctionne, en essayant de ne pas trop alourdir la procédure.
J'ai bien conscience que ce n'est pas tout à fait la même chose, mais c'est le même esprit, en tout cas. De plus, ce n'est pas une toquade du rapporteur : l'amendement a été accepté par la commission.
Je reprends les mêmes arguments.
À la suite des auditions des syndicats d'avocats, il me semble que jamais un juge d'instruction ne prend le risque de ne pas noter la question refusée. S'il ne la notait pas, il ouvrirait à la défense une porte dans laquelle, même si ce n'est pas de bonne foi, elle pourrait s'engouffrer, en affirmant à quel point sa question était formidable et aurait permis, si elle avait été posée, la manifestation de la vérité. Si le président n'est pas suffisamment avisé pour lui demander quel était exactement cette merveilleuse question, le stratagème risque de fonctionner.
Il faut donc faire en sorte que l'enquête soit plus solide. Si une question pose une difficulté, il faut la noter. À défaut, l'enquête s'en trouve affaiblie. Ce ne sont pas du tout les droits de la défense qui, en l'occurrence, sont en jeu, c'est l'enquête, car c'est elle qui risque d'être contestée.
Quant à l'idée que la question refusée peut faire l'objet d'une observation écrite, c'est ici encore ouvrir la possibilité d'un contentieux. Dans ce type de procédure, il ne faut évidemment faire confiance à personne, tout doit être solide. Qu'est-ce que cela signifie ? Tout doit être encadré : l'activité de l'OPJ et l'activité de l'avocat. Qu'est-ce qui garantit que la question qui va être reprise par écrit est exactement celle qui avait été posée ? Rien du tout, sinon la déontologie de l'avocat, mais la question reprise par écrit ne sera peut-être pas identique au mot près à la question posée. Il est donc prudent de faire noter la question par l'OPJ. Il ne s'agit pas là des droits de la défense, mais de la capacité de l'enquête à faire éclater la vérité.
Cela va surtout complexifier le procès-verbal d'audition et alourdir une nouvelle fois le formalisme général de la procédure. Il faut mentionner le refus au procès-verbal, et l'avocat aura tout loisir d'indiquer dans ses observations écrites quelle était la question refusée. Faisons confiance aux avocats pour noter ce qu'il faut dans leurs observations !
Il ne faut pas alourdir à nouveau le procès-verbal d'audition. Chaque fois qu'on le fait, chaque fois qu'on le complexifie, on perd du temps. Or, dans l'enquête, le temps est un paramètre essentiel pour la manifestation de la vérité.
(L'amendement n° 96 est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 35 .
La parole est à M. Dominique Raimbourg.
Il s'agit là encore d'un amendement visant à consolider l'enquête. Si des questions ont été posées par l'avocat, il doit émarger le procès-verbal. Ce détail peut avoir son importance.
Je ne serai pas long car nous poursuivons dans la même veine. Je comprends bien l'idée mais l'amendement introduirait un formalisme excessif.
J'émets donc un avis défavorable.
Même avis.
Je suis saisi d'un amendement n° 13 rectifié .
La parole est à M. Dominique Raimbourg.
Il s'agit d'un amendement de précision.
Le texte de l'article 7 dispose que l'avocat peut faire des observations par écrit à l'issue des auditions ; l'amendement a simplement pour objet d'ajouter les mots : « ou des confrontations ».
La présentation de M. Raimbourg n'est pas tout à fait fidèle. L'amendement a pour objet de permettre des observations après les auditions ou les confrontations. Ce n'est pas tout à fait ce que vous avez dit, monsieur Raimbourg.
Si l'avocat peut faire des observation à l'issue des auditions ou des confrontations, il peut aussi en faire à tout moment de la procédure.
Il me semble que l'adoption de l'amendement alourdirait la procédure dans une phase policière de recueil des preuves. Dès lors, j'émets un avis défavorable.
Je comprends tout à fait l'intention qui anime M. Raimbourg. Cependant, la précision que tend à introduire son amendement ne me paraît pas nécessaire. L'avocat peut évidemment déposer ses observations à tout moment : la loi n'exige pas qu'elles soient déposées uniquement immédiatement après un entretien ou une audition. Du reste, la loi dispose, depuis 1993, que les observations sont déposées à l'issue de l'entretien, mais cela n'a jamais empêché l'avocat de déposer des observations à tout moment.
Il s'agit donc d'un amendement d'appel auquel nous avons déjà largement répondu, et M. Raimbourg pourrait le retirer.
Compte tenu de ces précisions, retirez-vous votre amendement, monsieur Raimbourg ?
Nous nous trouvons toujours dans la droite ligne des mêmes considérations. Si l'OPJ refuse une question, il lui appartient – c'est normal – de mentionner ce refus dans le procès-verbal, comme cela ressortait de nos échanges de tout à l'heure ; il ne lui appartient cependant pas d'enregistrer le texte de la question : il n'est pas greffier et ne doit pas perdre de temps dans cette phase d'enquête au cours de laquelle il a tant à faire. C'est à l'avocat, s'il l'estime nécessaire, de consigner dans les observations écrites le texte de la question refusée ; nous lui faisons confiance pour cela.
(L'amendement n° 97 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 88 deuxième rectification, 222, 221, 191, 73, 98 et 58, pouvant être soumis à une discussion commune.
L'amendement n° 221 fait l'objet de deux sous-amendements, nos 238 et 239 .
La parole est à M. Georges Mothron, pour soutenir l'amendement n° 88 , deuxième rectification.
La parole est à M. Jean-Paul Garraud, pour soutenir l'amendement n° 222 .
Ces amendements traitent de ce que nous pourrions appeler la police de l'audition, plus particulièrement du cas où l'avocat pourrait perturber le bon déroulement d'une audition ou d'une confrontation.
Au cours de l'enquête – j'y insiste : nous sommes au cours d'une enquête –, les enjeux sont considérables, ils touchent à la manifestation de la vérité, et de multiples investigations sont en cours. Cette période essentielle va déterminer la suite de l'affaire et l'éventuelle identification des auteurs ou complices d'infractions particulièrement graves.
Il peut arriver, malgré les règles déontologiques, qu'un avocat perturbe le déroulement de l'audition. Par exemple, au lieu de poser les questions en fin d'audition comme cela est prévu par la loi, il veut intervenir en cours d'audition et interrompt l'officier de police judiciaire, perturbant de ce fait le déroulement de l'audition.
Plusieurs cas de figure se présentent alors, c'est pourquoi j'ai déposé plusieurs amendements.
L'amendement n° 222 a pour objet d'insérer l'alinéa suivant : « Si l'officier de police judiciaire estime que l'avocat perturbe le bon déroulement d'une audition ou d'une confrontation, il en informe le procureur de la République qui peut par décision écrite et motivée autoriser l'officier de police judiciaire à poursuivre l'audition hors la présence de l'avocat. Le procureur de la République informe le bâtonnier de cet incident, sans délai. »
Sans qu'il s'agisse d'un amendement de repli, le texte de l'amendement n° 221 est légèrement différent. Il dispose : « Si l'officier de police judiciaire estime que l'avocat perturbe le bon déroulement d'une audition ou d'une confrontation, il en informe le procureur de la République », car c'est bien ce dernier qui est le directeur d'enquête, hors le cas où un juge d'instruction est saisi. Le procureur « peut aviser le bâtonnier aux fins de désignation d'un nouvel avocat ». Il appartient ensuite au bâtonnier de prendre la décision qu'il jugera nécessaire. Il n'en faut pas moins trouver une solution, car le problème envisagé n'est pas une hypothèse d'école.
Non, nous le savons. Il y a des moments d'intense tension devant les juges d'instruction ou même lors des audiences. Il faut donc préserver le bon déroulement de l'enquête. Tel est le sens de ces deux amendements.
Toujours dans le cadre de cette discussion commune, je vous invite, monsieur Garraud, à présenter l'amendement n° 191 .
Tout à fait, puisqu'il prévoit de « demander au bâtonnier de désigner un avocat commis d'office aux fins d'assister la personne gardée à vue » si un incident survient. C'est le bâtonnier qui prendra la décision.
La parole est à Mme Laure de La Raudière, pour soutenir l'amendement n° 73 .
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l'amendement n° 98 .
J'ai également déposé deux sous-amendements à l'amendement n° 221 de M. Garraud.
Nous parlons d'une question très importante, qui touche à l'équilibre de la garde à vue. L'avocat est impliqué dans la garde à vue, plein de bonne volonté. Il ne peut être taisant, il peut faire des observations, il a le droit de s'exprimer à la fin de l'audition, un délai de carence dont le point de départ me paraît raisonnable est prévu pour lui permettre d'arriver, on lui permet d'accéder au procès-verbal de notification, au certificat médical, etc.
Il me semble aussi important de rassurer l'enquêteur, qui doit demeurer maître de la police de l'audition. Je ne fais aucun procès d'intention et je sais bien que les cas problématiques seront exceptionnels ; je fais confiance à la profession des avocats, ce sont des auxiliaires de justice. Aussi exceptionnels que puissent être – j'en ai bien conscience – les problèmes, il est bon de disposer de solutions efficaces et pragmatiques. D'ailleurs, si des amendements ont été déposés par des députés siégeant sur les différents bancs de cette assemblée, c'est bien que la difficulté est identifiée.
L'amendement n° 221 de notre collègue Garraud est intéressant. Comme, pour des raisons tenant au règlement, il n'a pas pu le sous-amender lui-même, je me propose de le faire comme il l'aurait souhaité, et d'ajouter après le mot « perturbe », dont le sens me paraît un peu trop large, l'adverbe « gravement ». Dans la formule « perturbe gravement », on saisit bien une nuance qui permet de viser une situation exceptionnelle. Il n'est nullement question de brider ou de brimer l'avocat, il s'agit simplement de remédier à des situations exceptionnelles caractérisées par une grave perturbation.
Ensuite, le sous-amendement n° 239 , en ajoutant les mots « choisi ou commis d'office », permet de réaffirmer un principe auquel la profession est attachée, celui de la liberté de choix, et lorsque cette liberté n'a pu s'exprimer, le bâtonnier peut commettre d'office.
Donc, l'avocat est bien présent, le mis en cause n'est pas privé de ses droits. Compte tenu du retrait de mon amendement n° 98 , il me semble que nous arrivons, avec ces deux sous-amendements, à un ensemble équilibré. Et c'est bien cet équilibre que nous avons en tête : l'avocat est le bienvenu et il a la possibilité d'intervenir. En contrepartie, l'enquêteur doit pouvoir mener son enquête dans la sérénité. Cela me semble tout aussi important.
Je vais présenter l'amendement n° 58 tout en formulant quelques observations sur les amendements précédents.
Notre amendement vise à régler les éventuels incidents opposant l'avocat et l'officier de police judicaire lors d'une garde à vue. Si l'avocat a à se plaindre du comportement de l'officier de police, celui-ci est rattaché à un corps hiérarchique, qu'il s'agisse du commissaire de police ou du colonel de gendarmerie. Si l'officier de police a à se plaindre de l'avocat, ce dernier est, lui, rattaché à un ordre et il faut saisir le bâtonnier de l'ordre.
L'amendement n° 58 propose que le conflit soit arbitré par le juge des libertés et de la détention. Compte tenu des positions que vous avez adoptées tout à l'heure, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, j'ai compris, comme l'expliquait mon collègue Noël Mamère, que cette partie de notre amendement était vouée à un sort funeste ! Par conséquent, je me rallie à l'idée que le bâtonnier soit saisi par le procureur et qu'il n'y ait pas d'arbitre. Dans ce cas, il appartiendra au procureur et au bâtonnier de régler l'incident.
Toutefois, je préfère la rédaction de l'amendement n° 98 du rapporteur à celle de l'amendement n° 221 , même sous-amendé, parce que cet amendement n°98 consent une marge de manoeuvre au bâtonnier. Il propose que la personne placée en garde à vue désigne un autre avocat « si » le bâtonnier l'estime nécessaire, alors que, dans l'amendement n° 221 , le bâtonnier n'a que le choix de désigner un autre avocat. La fonction d'arbitrage du bâtonnier semble disparaître dans l'amendement n° 221 . Il ne s'agit peut-être que d'une impression à la lecture, mais je préfère la rédaction de l'amendement n° 98 , car elle est moins abrupte que celle de l'amendement n°221 . Plutôt que de mentionner le fait que l'avocat peut perturber le déroulement de l'audition, je préférerais que soit mentionnée simplement l'existence d'un incident entre l'OPJ et l'avocat. C'est sans doute une rédaction plus neutre, mais elle aboutirait au même dispositif, sans risquer de froisser l'une ou l'autre partie.
Je ne vais pas reprendre les amendements un par un. En quelques mots, nous sommes parvenus à un équilibre entre les parties. S'agissant de la formulation, et l'amendement n° 98 étant retiré, je ne vais pas sous-amender maintenant en quatrième vitesse : ce ne serait pas sérieux !
Quoi qu'il en soit, ce point est acquis : nous savons qu'il y a une vraie question. Le texte demande sans doute à être amélioré, je n'en disconviens pas, mais c'est aussi le rôle de la navette parlementaire. En tout cas, je constate qu'il y a sinon un consensus, du moins un accord assez large pour permettre de régler ces cas exceptionnels par des solutions efficaces et pragmatiques et de renvoyer vers la profession, puisque le bâtonnier – nous le reverrons à l'occasion d'autres amendements – est là. C'est l'ordre qui s'organise et cela me semble bien ainsi.
Tous ces amendements traitent d'une question importante, celle de la police de l'audition et de la conduite à tenir dans des cas par nature exceptionnels, mais que nous ne pouvons écarter : je veux parler de ceux où l'avocat perturbe le déroulement de l'audition.
Les auteurs des amendements ont bien envisagé cette hypothèse. Toutefois, il n'est pas facile de répondre à cette question, car nous sommes en présence de deux exigences qui ont toutes deux valeur de principe. Il s'agit de deux impératifs : l'assistance effective d'un avocat librement choisi par la personne en garde à vue et le bon déroulement de l'enquête.
Certains amendements proposent que le procureur autorise la poursuite de l'audition sans avocat, d'autres prévoient que le procureur informe le bâtonnier de la difficulté et que ce dernier désigne un avocat.
Le rapporteur et les auteurs de certains amendements sont parvenus à un compromis débouchant sur la présentation de deux sous-amendements. L'un d'entre eux vise à circonscrire l'idée de perturbation en y intégrant une notion de gravité. Il est, bien sûr, tout à fait normal qu'un avocat parle et l'on ne peut pas considérer qu'il perturbe le déroulement de l'audition en parlant. Il faut qu'il la perturbe gravement pour qu'il s'agisse véritablement d'une perturbation au sens où nous l'entendons. Le second élément contenu dans le sous-amendement est qu'il appartient au bâtonnier de l'ordre d'assurer la discipline ordinale. C'est à lui de prendre les décisions finales.
En l'état, sans considérer que la question pourra être réglée aujourd'hui dans cet hémicycle, j'estime que le compromis élaboré cet après-midi au fil de la discussion autour de l'amendement n° 221 , dont la rédaction est améliorée par les deux sous-amendements du rapporteur, est de nature à susciter une navette intéressante qui devrait conduire à une rédaction définitive.
J'émets un avis favorable à la proposition du rapporteur et défavorable à l'ensemble des autres amendements.
Intervenir devient de plus en plus compliqué car, au fur et à mesure que la discussion avance, le contenu des amendements évolue. En réalité, ce qui est proposé par notre collègue Garraud, n'est pas acceptable. Il fait d'ailleurs preuve d'une très grande obstination…
…en revenant régulièrement à la charge pour essayer de liquider le malheureux avocat qui fait figure d'épouvantail dans ses interventions…
…et en donnant toute autorité à l'officier de police judiciaire pour décider si l'avocat doit ou non rester.
On nous propose de faire appel à un arbitre qui ne peut être que le bâtonnier. Toutefois, la proposition de notre rapporteur me semble un peu brutale et doit à mon sens être encore aménagée. Quoi qu'il en soit, il est évident que ce n'est pas à l'officier de police judicaire de décider si l'avocat doit ou non rester en cas de conflit. Nous le défendons depuis longtemps, cette décision doit relever de la compétence du juge des libertés et de la détention. En tout cas, l'arbitrage ne peut se faire que par l'intermédiaire du bâtonnier, qui est l'instance hiérarchique et ordinale permettant l'arbitrage. C'est à lui de choisir, non à l'officier de police judiciaire.
Monsieur le garde des sceaux, avec les précisions que vous avez apportées, vous avez montré que la question n'était pas facile à trancher. Cet amendement ne doit pas apparaître comme un recul s'agissant de la présence et du rôle de l'avocat.
Que recouvre la notion de « perturbation » ? M. Garraud a sur ce point une idée très précise, fidèle en cela à une certaine conception de la garde à vue. Le rapporteur souhaite ajouter le mot « gravement ». Car que signifie « perturber » ? Poser certaines questions ? Nous n'en savons rien.
Cet amendement ne doit pas apparaître comme revenant sur l'esprit et la philosophie de ce texte de progrès. Qu'il y ait des difficultés, c'est une hypothèse que nous devons envisager. Mais, jusqu'à présent, chers collègues, comment cela se passe-t-il ? S'il y a des difficultés, le bâtonnier est saisi, et il y a des PV après le passage de l'avocat.
Pour ma part, je ne suis favorable à aucun de ces amendements et sous-amendements. Je comprends et je salue la volonté du rapporteur d'avoir déposé des sous-amendements de repli. En tout état de cause, je ne voterai pas l'amendement de M. Garraud. Je l'ai dit ce matin, j'estime que ce n'est pas un bon signal de donner l'impression, amendement après amendement, de vouloir revenir sur ce qui constitue une avancée considérable.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez dit hier, à l'occasion de votre réponse aux orateurs, que la présence de l'avocat était protectrice non seulement de la personne gardée à vue, mais aussi de l'officier de police judiciaire. Vous avez eu raison de le dire, car l'avocat est un auxiliaire de justice, ce n'est pas l'ennemi de la procédure ou de la recherche de la vérité. C'est pourquoi, lorsque nous parlons d'un avocat qui perturberait une audition, la précision du rapporteur - le mot « gravement » - est nécessaire. Cela étant, j'aurais tendance à dire : laissons la réforme se mettre en oeuvre, donnons au bâtonnier la possibilité d'agir, mais ne restreignons en rien ce qui apparaît comme une avancée.
Voilà dix amendements étonnants ; il y a de quoi faire un sketch à la télévision ! Ces dix amendements relèvent de la pure imagination.
Je mets au défi M. Garraud de me dire à quel moment il a eu connaissance, dans le système actuel, d'un incident provoqué par un avocat lors d'une garde à vue.
M. Garraud devrait savoir qu'il y a, en revanche, beaucoup d'incidents qui viennent de l'OPJ. Car si vous parlez d'équilibre, mes chers collègues, il faut assurément un équilibre entre les deux parties. Jusqu'à présent, tous les contentieux qui apparaissent lors d'une garde à vue ne sont pas dus à des excès commis par l'avocat, puisque celui-ci ne peut pas parler. Ils sont plutôt à rechercher du côté de l'OPJ qui, lui, pour des raisons x ou y, commet à l'égard de l'avocat des actes qui ne sont pas déontologiques. Et c'est vous qui avez parlé d'équilibre !
Vous considérez la garde à vue comme un futur match de catch ! C'est une plaisanterie, pour les OPJ comme pour les avocats. Je lis l'amendement n° 110 qui est étonnant :…
Vous anticipez ! Cet amendement n'est pas encore en discussion !
« Dans tous les cas, l'officier de police judiciaire devra s'abstenir de tout excès physique… ». De tout excès physique ! Vous vous rendez compte ? À quoi en sommes-nous réduits ? Vous êtes tellement persuadés que l'arrivée de l'avocat à la première heure va être à l'origine d'un match de catch que vous demandez à l'OPJ de ne pas taper sur la figure du prévenu, ni éventuellement sur celle de l'avocat ! Quelle vision avez-vous donc de la procédure ?
Je parle de l'amendement n° 110 , que j'ai sous les yeux ! Dans tous les cas, l'officier de police…
Monsieur Goasguen, je vous rappelle que vous devez vous adresser à la présidence, ce qui permettra à nos débats de se poursuivre avec la même sérénité que celle que vous souhaitez voir observer dans un commissariat !
Quand M. Garraud sera avocat, ce qui ne manquera pas de se produire dans les mois qui viennent, alors, j'en fais la déclaration, nous l'écouterons avec plaisir. Pour le moment, M. Garraud n'a jamais vécu une garde à vue. Jamais ! Il n'a jamais foutu les pieds dans un commissariat pour une garde à vue. Il a été juge et juge d'instruction mais il n'a jamais assisté à une garde à vue !
En tout cas, j'en ai vu plus que vous dans les commissariats du 16e arrondissement !
Jusqu'à présent, les seuls abus lors des gardes à vue ne sont pas imputables aux avocats. Ils sont, dans les cas extrêmes, imputables aux officiers de police judiciaire. Et l'on vient nous dire aujourd'hui, parce que l'avocat arriverait à la première heure, que cela donnerait lieu à un match de catch !
C'est absolument insensé de considérer que nous faisons une loi où nous acceptons que l'avocat arrive à la première heure pour, ensuite, mettre en miettes petit à petit le progrès qu'elle représente !
Si vous ne voulez pas que l'avocat soit présent dès la première heure, dites-le franchement. Mais c'est un atout considérable. Si des problèmes se posent, nous sommes là pour les régler. Alors, arrêtez ces histoires ! Dire : « L'officier de police devra s'abstenir de tout excès physique », suffira à décourager n'importe qui ! Enfin !
Vous considérez désormais la garde à vue comme un match de catch potentiel ! C'est insultant pour les avocats ! Jamais, que je sache, un avocat n'a contraint un officier de police judiciaire ! C'est invraisemblable ! Si vous ne voulez pas de cette loi, alors, votez contre et qu'on n'en parle plus !
Je ne suis si avocat ni magistrat. J'ai eu, en revanche, affaire à des avocats, par ailleurs très chers ! (Rires.) J'ai écouté les uns et les autres, j'ai entendu le garde des sceaux, le rapporteur et mon excellent collègue Goasguen, avec son fort accent !
Voilà une nouvelle adresse pour des procès que je pourrais avoir à l'avenir ! (Sourires.)
Pour la dignité de notre assemblée, alors même que différentes professions, notamment judiciaires, sont présentes dans les tribunes, je ne pense pas que l'on doive s'envoyer les professions des uns et des autres à la figure, et encore moins faire la promotion de telle ou telle profession libérale !
Je vous prie de poursuivre et de revenir à l'objet des amendements, ce qui me paraît beaucoup plus sain pour tout le monde !
Voilà qui simplifie la discussion, je vous en remercie.
La parole est à M. Jean-Paul Garraud.
Nous venons d'avoir l'exemple d'un incident, que je relativise bien sûr, qui peut survenir au cours d'une audition par la police. Un excellent avocat, un ténor du barreau vient de s'exprimer. Lorsque l'on voit ce qui se passe à l'Assemblée nationale, on peut s'interroger sur ce que cela va donner dans une brigade de gendarmerie ou dans un commissariat de police !
Nous venons d'en avoir un excellent exemple ! J'ai été personnellement pris à partie. Je peux donc vous répondre, mon cher ami et collègue Goasguen, que j'ai connu des gardes à vue, et certainement beaucoup plus que vous dans le XVIe arrondissement de Paris !
Ainsi, en tant que juge d'instruction, j'ai été, pendant sept ans, directeur d'enquête de police judiciaire, je me suis déplacé sur le terrain et j'ai dirigé un certain nombre de gardes à vue, je peux vous l'assurer !
Donc rassurez-vous, je sais effectivement de quoi je parle. J'aimerais que nous puissions retrouver quelque sérénité parce que, jusqu'à votre arrivée, cet après-midi, monsieur Goasguen, les débats étaient relativement calmes, même si nous n'étions pas forcément d'accord. Je voudrais, monsieur le président, que l'on cesse d'interpeller personnellement les députés, qui ont la liberté de parole !
Je suis heureux de constater que, parmi tous les amendements portant sur la police de l'audition de la personne gardée à vue, presque tout le monde se rejoint sur la version proposée par l'amendement n° 221 , sous-amendé par le rapporteur, où est précisée la nature de la perturbation, qui sera ultérieurement soumise, éventuellement à un contrôle juridictionnel. Je tiens à rassurer Michel Hunault sur ce point : si un problème se pose par la suite, s'agissant de la perturbation grave, la juridiction statuera. Quoi de plus naturel que d'aviser le bâtonnier de l'incident ? Il n'est pas question, par cet amendement, de dire que le procureur de la République décide de la déontologie de l'avocat. Le procureur de la République – ou le juge d'instruction quand il est saisi – est le directeur d'enquête, car il faut un responsable d'enquête.
Nous discutons ici des premières heures d'une enquête qui peut être déterminante. Je connais les réalités de terrain. Je pourrais citer un certain nombre d'affaires qui vous feraient dresser les cheveux sur la tête (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR) mais je ne le ferai pas. Je vous certifie que, dans les premiers temps d'une garde à vue, des éléments essentiels peuvent être découverts. J'ai résolu, voici quelques années, une affaire de double assassinat particulièrement horrible, monsieur Goasguen. Au début de l'enquête, un excellent officier de police judiciaire a saisi un ticket de bus, ce qui a permis de remonter jusqu'aux suspects, placés par la suite en garde à vue. Nous avons ainsi pu résoudre ce double assassinat particulièrement horrible, je le répète. Je pourrais vous en parler en détail.
Cet amendement, tel qu'il sera sous-amendé, et qui se réfère à la déontologie de l'avocat et au bâtonnier, patron de l'ordre des avocats, doit être voté.
Mes chers collègues, un certain nombre d'orateurs m'ont demandé la parole. Il ne me semble toutefois pas que la plus parfaite sérénité règne ici. Je suspends en conséquence la séance pendant quelques minutes, afin de vous permettre de mieux appréhender les enjeux de cette discussion commune.
Article 7
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze.)
La séance est reprise.
Souhaitons que la déesse de la sagesse, sous les auspices de laquelle se déroulent normalement nos travaux, ait eu de l'influence sur tout le monde.
La parole est à M. le garde des sceaux.
Je reconnais que c'est un sujet éminemment névralgique pour l'enquête elle-même, et nous devons nous en tenir aux intentions clairement affichées par tous les auteurs d'amendement, sans porter de jugement sur telle ou telle profession.
La volonté du Gouvernement est véritablement de faire en sorte que l'avocat soit présent dès le début de la garde à vue et joue pleinement son rôle, il ne doit y avoir aucun doute sur ce point.
Tout au long des débats, qui se sont bien déroulés jusqu'à présent, chacun a pu apporter sa pierre à l'édifice que nous construisons ensemble. Le Gouvernement a essayé d'écouter l'ensemble des parlementaires, ceux de la majorité bien entendu, mais également ceux de l'opposition, que je remercie pour la façon dont ils participent à ce débat,…
…et nous sommes en train d'élaborer un bon texte.
Lorsque vous connaissez quelques noms qui peuvent vous servir de repère, monsieur Muzeau, cela montre que vous n'êtes pas totalement perdu, et je suis sûr que M. Brard vous aidera, mais revenons à notre sujet, qui est essentiel.
Tout le monde a convenu que, dans 99,99 % des cas, les choses se passeraient bien pour la police de l'audition. Il peut y avoir exceptionnellement un cas où cela ne se passe pas bien, et il est du devoir du législateur de le prévoir. Nous sommes arrivés à un compromis et je salue à nouveau le travail réalisé par le rapporteur de la commission des lois, M. Gosselin. Il a retenu l'amendement de M. Garraud et l'a amélioré en essayant de préciser le caractère de la perturbation. Entre une perturbation normale et une perturbation grave, il est assez facile maintenant de voir la différence, et le seul qui puisse prendre une décision, et c'est essentiel, c'est le bâtonnier. Au vu de ces principes, je pense que l'Assemblée nationale pourrait accepter la proposition du rapporteur.
Je rappelle aussi que le Gouvernement n'a pas voulu imposer une procédure accélérée parce que, pour élaborer un tel texte, il faut parfois prendre un peu de temps. Nous pourrons donc y réfléchir au Sénat et tout au long de la navette afin d'améliorer cette proposition mais, si vous étiez d'accord, elle pourrait servir de base, et éventuellement être affinée ensuite.
J'entends bien les propositions qui sont présentées par le garde des sceaux et par le rapporteur mais je ne comprends pas pourquoi nous n'en sommes pas restés à l'amendement n° 58 qu'a défendu M. Raimbourg. Il me paraissait tomber sous le sens et ne nécessitait pas de tels arrangements et sous-amendements.
Il est simplement dans une logique qui répond à l'esprit prétendu de la loi, qui donne toute sa place au bâtonnier, au juge des libertés et de la détention et au procureur, qui est le poursuivant. Nous avons tous les éléments nécessaires pour voter, sans avoir besoin d'aménagements, un amendement qui va tout à fait dans le sens de la police de l'audition, en assurant la protection de la personne mise en examen et en respectant le rôle que doit jouer l'avocat avec son ordre, le bâtonnier intervenant en dernier recours.
Pourquoi nous proposer des aménagements ? Pour faire plaisir à une partie de votre majorité qui n'aime pas les avocats ? On ne peut pas, je le répète, faire de ce texte une variable d'ajustement des soucis qui sont les vôtres, et nous avons vu à quel paroxysme cela pouvait mener tout à l'heure. Nous n'avons pas à faire dépendre ce texte des aléas de votre majorité.
Je pense que ce n'est pas une affaire corporatiste. Il ne s'agit pas d'aimer ou de ne pas aimer les avocats, d'aimer ou de ne pas aimer les magistrats, il y a quelque chose de beaucoup plus important : nous devons aimer nos libertés et les défendre et, de ce point de vue, vous voyez bien qu'il y a un clivage. Dans notre hémicycle, vous le savez, il faut expliquer pour ceux qui nous regardent. De la pédagogie, toujours !
Dans notre groupe, la densité d'avocats et de magistrats est plus faible qu'ailleurs mais, comme le soulignait M. Garraud, nous connaissons tous la réalité du terrain. Lui, il la connaît plus sur un plan professionnel, comme les avocats. Dans un pays où il y a plus de 900 000 gardes à vue par an, nous connaissons, nous, un grand nombre de leurs victimes.
Je ne ferai pas de commentaire parce que je risque de rejoindre pour une fois les propos de M. Goasguen.
Je n'en rajoute pas, mais laissez-moi ma liberté de parole. Si vous voulez vous aussi nous empêcher de parler, je pense que cela va tourner au vinaigre.
Quand il y a de grands débats de société, et celui sur la garde à vue en est un, les clivages dans notre pays ne sont pas nécessairement les clivages habituels. Nous avons connu cela dans les grandes périodes de notre histoire du XXe siècle.
Tout à l'heure, il était question de rendre raison, si j'ai bien compris. Rappelez-vous les débats entre Jaurès et Barrès. Je serais à votre place, monsieur Garraud, je mesurerais la portée de mes propos vis-à-vis de Claude Goasguen. Quand il s'agit de défendre nos libertés fondamentales, les lignes peuvent bouger. Si nous avons une telle discussion, c'est parce que le Conseil constitutionnel a mis le Gouvernement en demeure, mais pas seulement lui. Nous, la terre des droits de l'homme, nous faisons épingler régulièrement par les instances internationales et en particulier européennes parce que nous ne respectons pas ces droits comme il le faudrait.
Vous expliquiez tout à l'heure, monsieur le ministre, que l'on avait besoin de points de repère alors que, très amicalement, presque affectueusement, Roland Muzeau faisait référence à ce saint homme qu'est Mgr Barbarin. C'est vrai qu'il faut avoir des repères et mieux vaut Mgr Barbarin que Mgr Lefebvre, Jaurès que Barrès, il n'y a pas de doute, cela aide à construire sa route et sa vie. Nous ne sommes ni avocats ni magistrats. Moi, je suis un pauvre instituteur, qui doit enseigner les valeurs fondamentales aux enfants, n'est-ce pas, monsieur l'ancien recteur, monsieur Goasguen ?
Un tel débat est utile. Il y a des extrémistes qui ont la main sur le frein, parce qu'ils n'admettent pas que la France doive rentrer dans le droit commun. C'est ça le fond de l'affaire, et, même si nous ne sommes pas souvent d'accord dans cet hémicycle, je comprends la fougue dont a fait preuve tout à l'heure Claude Goasguen. Il n'en pouvait plus des assauts de M. Garraud, qui veut en fin de compte dispenser le progrès de façon avaricieuse. Or nous devons briller pour l'Europe entière et, d'une certaine manière, laver l'outrage dont vous êtes responsables. Le Conseil constitutionnel a dû intervenir pour que la France retrouve les voies honorables de la défense de la liberté, des libertés fondamentales pour nos concitoyens, et il y a beaucoup à faire.
Il n'y a qu'un point sur lequel j'étais d'accord avec M. Garraud, c'est quand il déplorait qu'il y ait peut-être moins de gardes à vue dans le 16e qu'ailleurs, et je suis sûr que Claude Goasguen sera d'accord avec moi. Là-bas, on a plus de moyens qu'ailleurs, et certaines formes de délinquance sont insuffisamment poursuivies, vous le savez bien, par exemple ce que l'on appelle la délinquance en col blanc. Certes, dans le 16e, il y a moins de jeunes qui tiennent les murs que dans ma bonne ville de Montreuil mais, quand il y en a, les délits sont souvent beaucoup plus consistants. Je n'utiliserai pas comme M. Garraud la formule de double assassinat particulièrement horrible parce que je ne connais que des assassinats horribles dans la mesure où, chaque fois, le résultat est le même : quelqu'un a perdu la vie.
Notre objectif à tous doit donc être de protéger les libertés, de protéger notre assemblée contre les extrémistes qui veulent empêcher le texte d'atteindre les objectifs qui lui ont été fixés.
Monsieur Brard, vous êtes un militant de l'amitié entre les peuples, mais nous avons remarqué que vous cherchiez également l'amitié entre les députés ici présents.
La parole est à M. Sébastien Huyghe.
Personne dans cet hémicycle ne voudrait clouer au pilori une profession par rapport aux autres. Même si c'est de manière très adroite, M. Brard l'a fait. Il a voulu cliver et donc faire renaître la polémique là où nous n'en avons pas besoin.
La profession d'avocat est une noble profession, qui, dans le cadre de ce texte, montre toute son utilité pour assister les personnes mises en cause.
Dans leur esprit, les auteurs des amendements siégeant sur différents bancs de cet hémicycle veulent juste faire en sorte que la période de garde à vue et d'audition se passe dans les meilleures conditions possibles. Pour qu'il en soit ainsi, il faut prévoir l'exceptionnel, le dérapage. Parfois, nous venons de le voir, les mots peuvent dépasser la pensée et l'on peut arriver sur des chemins qui n'étaient pas prévus au départ. Il est donc nécessaire de prévoir ces cas exceptionnels et la façon de trancher un litige éventuel ; et quoi de plus logique que de prévoir qu'il sera tranché par le bâtonnier, qui, finalement, est le représentant de l'ensemble de la profession d'avocat ?
Toutes les positions sont respectables, et il ne faut pas dénaturer la volonté des uns et des autres. La solution que nous propose le rapporteur est une voie de compromis qui peut recueillir l'assentiment sur l'ensemble des bancs de cet hémicycle dans un souci d'apaisement et dans le respect de l'ensemble de nos collègues, qui sont avant tout des députés de la République, et de ceux qui auront à appliquer le texte, l'ensemble des professions et des intervenants dans le cadre de la garde à vue. C'est la raison pour laquelle le groupe UMP votera l'amendement n° 221 tel qu'il a été sous-amendé par le rapporteur.
Je remercie le garde des sceaux, qui a appelé à la sérénité, et je veux rappeler la solennité du projet de loi que nous discutons. C'est un texte de liberté. Nous pouvons toujours dire qu'il y a une part de contrainte de la part de l'Europe et du Conseil constitutionnel, mais cela aura eu au moins le mérite de faire progresser l'équilibre entre la recherche de la vérité et la nécessaire protection des libertés.
Comme vous l'avez rappelé, monsieur le garde des sceaux, nous discutons d'une hypothèse très rare, le cas où il y aurait des perturbations. Quand j'ai demandé tout à l'heure ce qu'était une perturbation, je ne savais pas que nous allions assister à un tel incident, mais, qu'on le veuille ou pas, et nous le voyons bien depuis quarante-huit heures, il y a tout de même une constante. Je le dis avec amitié à M. Garraud, il y a une partie du groupe majoritaire qui, amendement après amendement, essaie de remettre en cause ce qui nous est en fait imposé,…
…c'est-à-dire la présence de l'avocat.
Nous définissons une nouvelle organisation de la procédure pénale. Faisons confiance à l'esprit de responsabilité des avocats, qui ne sont pas l'ennemi de la procédure ; vous l'avez souligné avant moi, monsieur le garde des sceaux : ce sont des auxiliaires de justice. Chacun prend ses responsabilités. Comme Philippe Houillon l'a fort bien rappelé ce matin, cette profession s'est dotée d'un code de déontologie et, lorsqu'un avocat y manque, des sanctions sont prévues. Je crois qu'il convient de retrouver une certaine sérénité, eu égard à la dimension de ce texte.
J'ai indiqué que j'aurais préféré une rédaction beaucoup plus neutre. Après avoir entendu les observations de M. le garde des sceaux, qui souhaite que les éventuels conflits soient arbitrés par le bâtonnier, et comme nous partageons cet esprit, nous nous abstiendrons, dans l'attente d'un nouveau texte, plus apaisé et de nature à ne froisser personne. Il est nécessaire que toutes ces professions travaillent en commun, la logique de l'affrontement ne doit pas prévaloir.
Nous avons tous conscience que le texte devra être retravaillé, car nos échanges ont au moins eu le mérite d'identifier une indéniable difficulté.
Nous identifions aussi clairement un point auquel je tiens vraiment, à savoir que c'est le bâtonnier, donc la profession qui est à même de répondre à ces risques éventuels. Il n'y a là aucun procès d'intention. La formule me semble assez équilibrée, si la rédaction peut encore évoluer. Ce sera le rôle de la navette parlementaire. Ce qui est important, ce que nous pourrons retenir en guise de conclusion provisoire, c'est que la question est identifiée et que nous avons un début de réponse encore à parfaire.
Par cet amendement, nous tendons de nouveau à l'équilibre. Nous avons donné un certain nombre de pouvoirs à l'avocat, ce qui paraît logique : il ne peut y avoir de garde à vue nouvelle sans ces prérogatives. En contrepartie, il me semble important que les avocats exercent leurs fonctions avec un sens accru des responsabilités, car de nouveaux droits impliquent de nouveaux devoirs.
Il m'apparaît nécessaire, dans ce cadre, de mieux prévenir le risque de violation du secret de l'enquête que peut engendrer la présence possible de l'avocat tout au long de la garde à vue et le risque de perturbation des auditions. Je ne reviens pas sur ces éléments qui sont, nous l'avons dit, exceptionnels. Je ne cherche pas non plus à rouvrir le débat ; nous visons, encore une fois, l'équilibre et nous souhaitons envoyer un signal.
C'est la raison pour laquelle le présent amendement prévoit que le procureur général près la cour d'appel devra être informé, d'une part, de toute violation par un avocat de l'interdiction qui lui est faite de dévoiler des éléments dont il a eu connaissance au cours de la garde à vue, sous réserve évidemment de l'exercice des droits de la défense, et, d'autre part, de tout comportement gravement perturbateur de l'avocat pendant une audition.
Le procureur général, systématiquement informé, pourra ainsi exercer pleinement ses prérogatives de poursuite disciplinaire, ainsi que, lorsque les faits le justifieront, donner instruction au procureur de la République compétent d'engager des poursuites pénales pour violation du secret professionnel ou divulgation volontaire d'informations à des complices.
Si les faits de divulgation d'informations couvertes par le secret de l'enquête donnent lieu à condamnation pénale, que ce soit sur le fondement de l'article 223-15 ou de l'article 434-7-2 du code pénal, il importera que les ordres complètent cette condamnation, comme ils le font d'ailleurs déjà parfois aujourd'hui – il s'agit ainsi d'élever l'existant au niveau législatif – par une sanction disciplinaire adaptée aux faits commis, qui pourra aller, comme cela se pratique déjà de façon ordinale, par les barreaux, jusqu'à l'interdiction temporaire, voire la radiation si la gravité des faits le justifie.
En résumé, il ne s'agit pas d'agiter un quelconque chiffon rouge mais d'écrire dans la loi ce que le code de déontologie prévoit déjà, pour éviter toute ambiguïté et donner le signal concret de l'équilibre. Ce n'est en aucune manière une volonté de renier quoi que ce soit. Nous suivons la même volonté d'équilibre par laquelle nous tentons de nous guider depuis le début de nos échanges.
Je comprends parfaitement l'intention du rapporteur, qui est de prendre du recul. Quand l'officier de police considère qu'il y a un problème avec l'avocat, il en informe le procureur, qui en informe à son tour le procureur général. S'il s'agit de rester dans la simple information, pourquoi pas ?
Toutefois, je souhaite rappeler une chose fondamentale. Le procureur de la République mène l'action publique, et il a toute liberté pour ce faire. Quant au procureur général, qui n'exerce pas l'action publique, il est chargé, par voie de circulaire, de veiller à ce que l'application de la politique pénale soit la même sur l'ensemble du territoire. Il reçoit ses directives du ministre de la justice. C'est ainsi qu'est organisé le parquet.
Ce système ne peut être considéré comme une simple hiérarchie entre le procureur, le procureur général et le garde des sceaux. Son fondement est la liberté du procureur de la République de mener l'action publique, dans le cadre déterminé par les circulaires émanant du ministère de la justice. Il ne faut pas le comprendre comme une limitation de l'autonomie du procureur lorsque celui-ci décide de mener l'action publique. C'est ce qui ressort de l'ensemble des dispositions.
Il conviendrait, monsieur le rapporteur, que vous alliez dans ce sens, car je ne peux accepter que soit remise en cause l'autonomie du procureur. Il ne pourrait donc s'agir tout au plus que d'information.
Je veux bien m'en remettre à la sagesse de l'Assemblée. Il nous reste un peu de temps, nous ne sommes pas obligés de tout résoudre à cet instant. Encore une fois, je comprends l'intention, qui vise à dépassionner le débat et à prendre du recul, et j'adhère à cette philosophie, mais il faut trouver un bon équilibre rédactionnel. Que les choses soient claires : je ne laisserai pas l'amendement tel quel, car je ne peux accepter une remise en cause de l'organisation du parquet, et nous chercherons une autre rédaction dans les semaines à venir.
Monsieur le garde des sceaux, vos propos me conviennent parfaitement. Il n'y a aucune volonté de ma part de limiter l'autonomie du procureur de la République, qui doit rester maître de ses compétences et de ses pouvoirs tels que définis jusqu'à présent. Simplement, en élevant la procédure au niveau du procureur général, il s'agit de prendre un peu de hauteur, pour éviter d'envenimer les conflits. J'apprécie la volonté d'ouverture dont vous témoignez en acceptant d'adopter l'amendement en l'état pour le modifier par la suite.
Je suis en désaccord à la fois avec l'amendement et avec les explications de M. le garde des sceaux. Si j'ai bien compris, il s'agit d'émettre un signal pour montrer que des garanties s'exercent au profit de l'enquête et que l'avocat peut faire l'objet d'une procédure disciplinaire. Or c'est déjà le cas.
Si le procureur général est mentionné, c'est que les procédures disciplinaires à l'encontre des avocats sont désormais régionalisées et diligentées au siège de la cour d'appel. Cela ne contredit pas la faculté du procureur de la République de mener la politique pénale.
Ensuite, nous comprenons, à la lecture de l'exposé des motifs, que la violation du secret sur le dossier dont l'avocat a eu connaissance pendant une garde à vue est sanctionnée pénalement. Tant qu'à pratiquer l'affichage – et je comprends que cela puisse s'avérer nécessaire –, mieux vaut rappeler que toute violation de cette interdiction fait l'objet d'une sanction pénale et peut faire l'objet d'une sanction disciplinaire. C'est strictement le droit existant, mais il peut être utile de le rappeler et d'émettre un signal en direction des officiers de police, pour les rassurer.
En l'état, je trouve cet amendement superflu : c'est l'existant en droit disciplinaire comme en droit pénal. Le texte n'est pas abouti.
Je serai court car M. Raimbourg a couvert l'essentiel de mon propos. Cet amendement est-il utile ? Est-il nécessaire ? En l'état, non, car les procédures existent déjà. Vous avez bien fait, monsieur le garde des sceaux, de rappeler que la garde à vue était sous la responsabilité du procureur de la République, et de réaffirmer les principes régissant le parquet. Nous savons que, dès que nous touchons, par voie d'amendement, à cet équilibre, c'est toute notre procédure pénale qui donne lieu à interrogation.
Nous avons eu dans la discussion générale des débats sur les rapports entre magistrats du parquet et du siège. Le texte est, je crois, équilibré : cet amendement n'apporte donc rien. Le rapporteur a compris que le garde des sceaux ne s'opposait pas à l'adoption de son amendement ; pour ma part, je pense que, puisque l'amendement ne paraît pas nécessaire, nous pouvons laisser au Sénat le soin d'évoquer cette question de la violation par un avocat de ses obligations lors de la garde à vue.
Nous ferions donc mieux, je crois, de ne pas l'adopter.
Non seulement cet amendement est étrange, mais j'ai le sentiment que tout le monde, dans l'hémicycle, n'en fait pas la même lecture.
Le texte de l'amendement ne dit en effet pas exactement la même chose que l'exposé des motifs – ce qui est déjà gênant en soi. Tout en s'en remettant à la sagesse de l'Assemblée, M. le ministre nous indique que, même si cet amendement était adopté, il ne demeurerait pas dans la loi, et que d'ailleurs il remet en cause le fonctionnement normal de la justice – c'est un peu étonnant aussi.
L'amendement est inutilement suspicieux, et donc tout à fait vexatoire, à l'égard des avocats ; il est superflu, puisque des sanctions pénales comme des poursuites disciplinaires existent déjà – Dominique Raimbourg l'a rappelé à l'instant ; il est enfin déséquilibré : monsieur le rapporteur, les éventuelles violations du secret de l'enquête ne viennent pas des seuls avocats ! Dans toute enquête, et dès la garde à vue, certaines sources autorisées, voire des sources policières, parlent beaucoup à la presse.
Pour toutes ces raisons, nous suggérons au rapporteur, dans sa grande sagesse, d'entendre celle de M. le garde des sceaux et donc de retirer son amendement.
Je me sens un peu confus d'intervenir quand tout a été dit. (Sourires.)
Monsieur le garde des sceaux, je ne crois pas que cet amendement apporte grand-chose : le procureur doit de toute façon parler constamment à son procureur général.
Vous avez à juste titre souligné la nécessité de préserver l'autonomie du procureur dans son action publique ; il va de soi que, en cas d'incidents répétés, celui-ci en informera le procureur général. Le code de procédure pénale doit-il descendre à ce niveau de précision ? Je me le demande. Cela me paraît relever simplement de la bonne administration de la justice.
C'est en effet un amendement bien singulier, comme d'ailleurs la lecture qu'en a faite M. le garde des sceaux.
En effet, pour la partie qui est compréhensible, c'est une tautologie. (Sourires.) Or les tautologies ne sont jamais très bonnes en matière juridique. Cela a déjà été dit : l'amendement n'ajoute rien au droit positif, il se contente de rappeler des obligations et des procédures qui existent déjà.
Lorsqu'on est amené à réécrire dans la loi des choses que la loi prévoit déjà, c'est qu'on est sorti du droit pour faire de la politique : c'est, chacun l'a compris, le seul objectif de cet amendement.
De plus, monsieur le garde des sceaux, cet amendement pose quand même un problème de cohérence. Vous avez été ministre de l'aménagement du territoire, et je veux bien croire que, en ce domaine, il puisse y avoir des accommodements temporaires avec la loi, car on peut mener des négociations. Mais, en matière de droit pénal, la négociation est dangereuse !
Vous venez de dire gentiment à votre rapporteur que ce texte était incohérent – il accorde au procureur général des pouvoirs qu'il n'a pas ; et vous invitez M. le rapporteur à réfléchir d'ici à la seconde lecture. Du point de vue du droit et des exigences qui pèsent sur notre assemblée, ce n'est pas acceptable.
Personne ici ne peut, je pense, se résoudre à voter un amendement dont le ministre nous dit qu'il accorde au procureur général des pouvoirs qu'il n'a pas.
Il vaudrait donc mieux, puisque cette partie du texte est incohérente et que l'autre est tautologique, retirer l'amendement purement et simplement, et mettre à profit le délai offert par la navette pour réfléchir.
En attendant, il serait préférable que l'Assemblée nationale ne s'engage pas dans ce vote assez singulier.
Je comprends le sens de cet amendement : le procureur général exerce une compétence en matière disciplinaire pour les auxiliaires de justice, pour les officiers publics et ministériels. L'appréciation d'éventuelles poursuites relève donc de sa compétence, et ce d'autant plus qu'il s'agit là d'une procédure nouvelle, puisque ce texte définit de façon tout à fait neuve les pouvoirs de l'avocat.
Je crois également me souvenir que, en appel des décisions du Conseil de l'ordre, statuant en matière disciplinaire, le procureur général et le premier président de la cour d'appel jouent un rôle.
Il n'est donc pas illogique de rappeler des procédures qui, sans doute, existent, mais qui s'appliqueraient ici – c'est la nouveauté – à des incidents en cours de procédure d'enquête, et non pas lors d'un procès ou devant un juge d'instruction.
C'est, très certainement, le sens de cet amendement.
Je suis un peu surpris par cet amendement. Le secret de l'enquête, nous le savons, est impératif ; mais le secret de l'instruction n'existant plus ou, en tout cas, n'étant plus respecté, nous avons quelques raisons de nous inquiéter pour l'évolution du secret de l'enquête. C'est, me semble-t-il, la vraie question.
Dès lors, s'il est nécessaire de rappeler le caractère impératif du secret de l'enquête, pourquoi mentionner uniquement la profession d'avocat ? Le secret doit s'appliquer à tous ceux qui interviennent dans l'enquête.
Le texte serait plus fort si, tout en soulignant comme cela a été fait plusieurs fois dans nos débats la spécificité de l'enquête, il rappelait que l'impératif du secret et les sanctions qui en découlent, pénales et éventuellement professionnelles, s'appliquent à tous les agents qui mènent l'enquête à un titre ou à un autre.
J'ai l'impression que nous discutons un peu dans le vide. M. Vidalies a raison : il faut que cet amendement soit retiré. Comme l'a judicieusement précisé Dominique Raimbourg, des sanctions sont déjà prévues : pourquoi ajouter cette disposition ?
Quant au secret de l'instruction, il est vrai que c'est aujourd'hui une passoire. Mais cela n'a pas empêché certains – et pas seulement des avocats – de se servir d'une certaine capillarité pour livrer en pâture au public quelques présumés innocents, prématurément considérés comme coupables ! Mais c'est un autre problème : nous débattons ici de la garde à vue. L'avocat doit-il, encore une fois, servir de cible ? Ce texte n'a pas pour but de protéger les avocats ; il est là pour réduire le nombre des gardes à vue, et pour qu'elles cessent d'être une sorte de critère de référence de la productivité policière ; il est là pour protéger la personne contrainte, placée en garde à vue, et pour lui donner plus de droits. Parmi les droits et garanties dont elle doit pouvoir bénéficier, il y a la défense, assurée par son avocat, qui ne se contente pas d'assister au débat mais qui y participe : il peut intervenir, ce qui n'était pas le cas jusqu'à maintenant.
Cet amendement est donc politicien. J'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises : du côté de la gauche, les débats sont sereins ; mais il faut reconnaître qu'à certains moments, monsieur le ministre, vos amendements ne semblent servir qu'à calmer une partie de votre majorité, qui freine des quatre fers.
Monsieur le rapporteur, depuis 2007, votre majorité nous rejoue régulièrement ce gimmick en assurant qu'elle présente des textes « équilibrés ». Quand il s'agit de donner des gages à une partie de la majorité, vous nous parlez d'équilibre : on a vu ce que ce terme voulait dire pour un certain nombre de vos collègues – M. Ciotti, par exemple.
On pourra d'ailleurs admirer la conception de l'équilibre de M. Estrosi lorsqu'il nous présentera la proposition de loi dont il assure la communication en ce moment, sur le passage de la majorité pénale de dix-huit à seize ans !
On verra ce que c'est que des députés dits républicains qui braconnent sur les terres de l'extrême droite.
Si, c'est aussi le sujet : à force de donner des gages aux plus conservateurs de votre majorité, à ceux qui ne veulent pas que les libertés et les garanties progressent, vous ne faites qu'offrir un peu plus de terrain à ceux qui combattent les libertés.
Mes chers collègues, dans la mesure où la conférence des présidents doit se réunir à dix-sept heures, ce qui m'amènera à suspendre bientôt la séance, peut-être pourrions-nous tâcher d'achever rapidement l'examen de cet amendement.
La parole est à M. Claude Goasguen.
Au fond, cet amendement existe déjà : nous connaissons les règles disciplinaires qui incombent aux avocats lorsqu'ils commettent une faute.
Dans cette affaire, je le rappelle, il faut respecter un équilibre ; le Sénat pourra peut-être y pourvoir. En effet, monsieur le garde des sceaux, cet amendement est muet sur les fautes éventuelles d'un officier de police judiciaire. Si nous inscrivons dans la loi un rappel pour organiser la procédure, il faudrait aussi rappeler, par parallélisme des formes, les mesures disciplinaires en cas de manquement de l'OPJ. L'équilibre, je le dis très sereinement, est indispensable.
Je voudrais aussi dire à mon collègue Garraud que, si j'ai pu le blesser, je le prie de m'en excuser. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Mais je veux lui dire aussi que je suis ici un élu de la nation, et qu'il n'y a pas d'élus d'une circonscription. Et je veux lui dire enfin que j'appartiens au barreau de Paris, et que, avec la postulation, le barreau de Paris peut plaider où il veut. (Sourires.)
Cela n'enlève rien à l'estime que je lui porte et je le prie donc encore une fois de bien vouloir m'excuser.
J'ajoute que l'amendement n° 112 me paraît tout à fait intéressant : pour le coup, il est général et concerne les deux parties.
Comme mon collègue Mamère, je veux contribuer à la pacification du débat.
Pourquoi employer le terme de « pacification » ? Nous ne sommes pas dans les événements d'Algérie !
Je veux contribuer au caractère pacifique du débat. (Sourires.) Mais le ton mesuré que j'adopte ne doit pas faire oublier non plus les responsabilités politiques qui nous ont amenés à la situation dans laquelle nous sommes.
J'ai été sensible à l'intervention d'Émile Blessig. En effet, il ne faut pas tout confondre : il y a, d'un côté, le secret de l'enquête et, de l'autre, ce secret très particulier qui s'impose à l'avocat au moment de la garde à vue. Le droit existant veut que l'avocat n'ait pas le droit de révéler qu'il a assisté quelqu'un placé en garde à vue, pas même à la famille de la personne en question. L'avocat d'office de permanence ne peut pas téléphoner à la famille, il ne peut téléphoner à personne. Pour protéger l'enquête, aucun contact ne doit être établi entre la personne gardée à vue et l'extérieur, en dehors du coup de téléphone que l'OPJ passe à une personne de l'entourage.
Il faut articuler ce double secret et le rattacher aux procédures pénales et disciplinaires existantes. En ce sens, je pense que l'amendement du rapporteur n'est pas correctement rédigé. Si le secret de l'enquête est malmené, il ne faudrait pas que le secret particulier de la garde à vue le soit également : cela compromettrait les investigations réalisées pendant la garde à vue.
M. le garde des sceaux parlait de sagesse. Je vais faire preuve, moi aussi, de sagesse après vous avoir entendu.
J'ai bien noté que le ministre s'engageait à proposer un dispositif qui pourrait être équilibré différemment et s'inspirer de nos échanges. Je ne regrette pas d'avoir défendu cet amendement, qui a permis de progresser sur le sujet, mais je le retire au profit d'une proposition qui sera faite ultérieurement.
Pour terminer, je tiens à rappeler à Mme Mazetier que les institutions françaises fonctionnent selon un système bicaméral : il y a deux chambres. Ce que nous votons aujourd'hui en première lecture, par définition, n'est pas la loi, même si c'est un pan important. Le Sénat a aussi son rôle à jouer. Je tiens aux navettes, elles sont importantes.
(L'amendement n° 99 est retiré.)
Article 7
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures quinze.)
Puisque l'occasion m'en est donnée avec la présentation de cet amendement, je tiens à dire à mon ami Claude Goasguen toute l'estime que je lui porte. Il arrive que nos débats soient un peu vifs dans l'hémicycle, car lui et moi sommes des gens passionnés qui croient en ce qu'ils font. Bien sûr, j'ai accepté ses excuses et je lui présente également les miennes, en le remerciant de les accepter.
L'amendement n° 194 est très clair, puisqu'il vise à compléter l'article 7 par la phrase suivante : « L'avocat ne peut en aucun cas participer aux autres actes de l'enquête. »
Je voudrais dire en préliminaire que, contrairement à ce qu'a prétendu M. Mamère, je ne suis bien entendu pas l'ennemi des avocats. Les rôles sont complémentaires, mais différents au niveau de l'enquête. La place éminente de l'avocat n'est en aucune façon contestable. La défense des intérêts des personnes mises en cause, mises en examen, déférées devant les juridictions, est en effet essentielle et il n'est pas question pour moi de le contester.
En revanche, je souhaite que les rôles soient bien définis en application de la loi. Le texte qui nous est proposé, dont nous avons déjà beaucoup discuté, concerne la place de l'avocat et son rôle au niveau de l'enquête. L'objectif de cet amendement est de clarifier les choses pour éviter toute difficulté par la suite. En effet, l'avocat participera aux auditions et aux confrontations au cours desquelles son client sera entendu, mais pas aux nombreuses investigations qui interviennent en cours de garde à vue – perquisitions, transports sur les lieux et autres.
Cet amendement paraît inutile. En effet, vous connaissez la rigueur du droit pénal : l'avocat ne peut assister qu'aux actes pour lesquels la loi prévoit sa participation. Avis défavorable.
Défavorable.
Je souhaitais que les choses soient précisées. Puisque tel est le cas, je retire cet amendement.
(L'amendement n° 194 est retiré.)
(L'article 7, amendé, est adopté.)
Mes chers collègues, à cet instant de notre discussion, il nous reste une quinzaine d'articles et environ quatre-vingts amendements à examiner. Pour le bon ordonnancement de nos travaux, je voudrais simplement vous préciser deux choses : la séance sera levée à dix-neuf heures quarante-cinq et, suite à la conférence des présidents, nous avons l'obligation de terminer l'examen de ce texte lors de la séance de cette nuit. Je tenais à ce que chacun en soit informé, sachant que, si les groupes utilisent tout le temps programmé à leur disposition, nous dépasserons très largement l'horaire habituellement prévu pour la fin de nos travaux. Je souhaite que chacun en ait conscience et je vous remercie d'en tenir compte.
Je suis saisi d'un amendement n° 197 rectifié .
La parole est à M. Jean-Paul Garraud.
Cet amendement vise à permettre à la victime d'être, elle aussi, assistée par un avocat si la personne gardée à vue est assistée d'un avocat lors de la confrontation. Je sais que le texte a évolué sur ce point, mais je souhaitais que cela soit précisé.
La commission a procédé à une réécriture du dispositif le 15 décembre dernier et le résultat me paraît équilibré. Il est vrai que la victime n'avait pas été prise en compte et j'ai souhaité que l'équilibre soit rétabli. Lorsque le gardé à vue sera assisté d'un avocat, il me paraît important que la victime puisse aussi avoir cette possibilité. Du reste, le Gouvernement avait accepté de sous-amender mon amendement pour permettre la prise en compte de l'aide juridictionnelle, ce que l'article 40 de la Constitution m'interdisait de faire. Le texte est maintenant parvenu à un équilibre général. Je propose donc à M. Garraud de retirer son amendement, faute de quoi j'émettrai un avis défavorable.
La rédaction résultant des travaux de la commission va dans le sens souhaité par M. Garraud, qui peut donc retirer son amendement.
Cet amendement va dans le même sens que le précédent, puisqu'il s'agit de donner la possibilité à la victime, surtout si elle est mineure, de choisir ou de faire désigner par le bâtonnier un avocat qui participe à la confrontation.
La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir le sous-amendement n° 240 .
Ce sous-amendement vise à clarifier l'article 7 bis en inscrivant très clairement dans le texte que la victime pourra demander au bâtonnier de « désigner d'office un avocat ». Le caractère vague du mot « désigné » figurant dans la rédaction actuelle du texte suscite en effet des inquiétudes.
Défavorable à l'amendement n° 171 pour des raisons de sémantique que j'ai déjà exposées tout à l'heure et sur lesquelles je ne reviendrai pas.
Quant au sous-amendement n° 240 , il n'apporterait rien de plus. À titre personnel, puisqu'il n'a pas été examiné par la commission, j'y suis donc défavorable.
Même position que la commission.
Pour apaiser les inquiétudes qui se sont exprimées, il faudrait que le rapporteur ou le ministre nous dise que la simple désignation ne serait pas moins protectrice que la désignation d'office. Si l'on nous assure qu'il n'y a pas d'ambiguïté, nous nous remettrons de l'avis défavorable de la commission et du Gouvernement.
Je ne vois pas d'ambiguïté, je le dis en toute bonne foi. Quant à la clarification à laquelle vous souhaitez procéder, madame Mazetier, elle ne me paraît pas très claire.
Je confirme ce que vient de dire M. le rapporteur.
Je dois vous donner une précision qui m'a été soufflée par Dominique Raimbourg. Nous parlons là de la victime. Or la commission d'office concerne les auteurs d'infractions, de crimes ou de délits, alors que l'aide juridictionnelle est pour la victime. Le sous-amendement devrait donc s'intéresser à l'aide juridictionnelle plutôt qu'à la commission d'office.
Se pose en outre le problème, que nous allons sans doute évoquer dans la suite des débats, des moyens donnés pour assurer la réforme de la garde à vue dans de bonnes conditions. Nous connaissons en effet l'insuffisance de moyens accordés à l'aide juridictionnelle. Je le dis à l'adresse de ceux qui ne cessent, avec le Président de la République, de défendre les intérêts des victimes. Personne ne remet en cause cet objectif, mais il doit y avoir un équilibre entre la défense des victimes et celle des auteurs d'infractions.
(Le sous-amendement n° 240 n'est pas adopté.)
(L'amendement n° 171 n'est pas adopté.)
Toujours dans le même souci, il s'agit de prévoir que la victime se voit notifier son droit à bénéficier de l'assistance d'un avocat lors du dépôt de la plainte. Cela peut paraître parfois exagéré, mais certains de nos compatriotes se plaignent de ne pas toujours pouvoir déposer plainte et ce serait un élément supplémentaire pour que la victime soit entendue. Qu'elle ait un avocat, dans le parallélisme des formes, ne me paraît pas vraiment superflu.
Une telle disposition alourdirait le texte qui est très clair : la victime doit être informée de son droit à une assistance en cas de confrontation.
Monsieur Myard, ce cas est également prévu par l'article 53-1 du code de procédure pénale, qui découle de la loi du 9 septembre 2002 : « Les officiers et les agents de police judiciaire informent par tout moyen les victimes de leur droit. » L'article 53-1 procède ensuite à une énumération sur laquelle je ne reviendrai pas.
Même avis que la commission. Je souhaite le retrait de cet amendement.
Pour une fois, je vais me retirer. C'est rare !
(L'amendement n° 91 est retiré.)
(L'article 7 bis est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 64 .
La parole est à M. Dominique Raimbourg.
Pour protéger la personne gardée à vue, il s'agit de mentionner, dans la loi, le droit au repos, le droit de boire, de s'alimenter de façon régulière et de satisfaire ses besoins naturels.
On me reprochait tout à l'heure de vouloir entrer dans les détails, le diable se nichant parfois dans les détails. Mais il me semble que la loi a vocation à garder une portée générale et à fixer de grands principes. Les droits mentionnés par l'amendement sont déjà consignés dans le procès-verbal ; ils sont prévus aussi bien par le droit actuel que par la nouvelle rédaction de l'article 64 du code de procédure pénale, figurant à l'article 10 du projet de loi. La commission est donc défavorable à cet amendement superflu et redondant.
Même avis.
Je voudrais évoquer les conditions de la garde à vue. Notre rapporteur vient d'expliquer que certains textes doivent être respectés. Or, avec le recul – avec un peu plus de 800 000 gardes à vue par an, nous n'en manquons pas –, et d'après les analyses de la CNDS, il apparaît que ces textes ne sont pas toujours respectés et que la personne gardée à vue peut être humiliée de bien des manières, par exemple par la pratique des fouilles à corps. Les témoignages sont nombreux, de personnes qui ont subi une garde à vue et à qui l'on n'a permis ni de boire ni d'aller aux toilettes, malgré les textes qui obligeaient l'officier de police judiciaire à faire droit à ces demandes. Et ce n'est là qu'un début : il y a aussi les fouilles à corps, les déshabillages.
L'objectif de ce texte est de mettre un terme à ce que le Comité européen pour la prévention de la torture a désigné comme des « conditions dégradantes ». Il s'agit de faire cesser l'usage de méthodes qui poussent à l'aveu et fragilisent les gens en les plaçant dans une position de sujétion pour les faire craquer. On n'a pas le droit d'interdire aux gens d'aller aux toilettes ou de s'alimenter, et il est a fortiori interdit de leur infliger une fouille à corps ou de les dévêtir. C'est la raison pour laquelle l'amendement défendu par Dominique Raimbourg n'est pas superflu, même s'il existe des textes, puisque ces textes ne sont pas respectés.
Certes, le diable se niche dans les détails, mais, en l'occurrence, il ne s'agit pas d'un détail : c'est plutôt devenu une règle dans le déroulement de la garde à vue. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
En refusant ce genre d'amendement, vous n'en prenez pas vraiment le chemin ! Car, même si un texte de loi est un cadre qui n'a pas vocation à fixer des points de détail, je répète qu'il ne s'agit pas là de détails, mais de moyens employés par certains officiers de police judiciaire pour faire craquer les gens en les rendant vulnérables.
Cet amendement et ceux qui vont suivre défendent la dignité de la personne en garde à vue. Trop souvent, les conditions dans lesquelles elle se déroule sont une atteinte à la dignité. La garde à vue ne doit pas être une humiliation. J'ai aperçu hier le bâtonnier Le Borgne qui suivait nos débats. Je cite de mémoire une tribune dans laquelle il parlait, à propos de la garde à vue dont il réclamait la réforme, d'un « résidu de barbarie ». Ce sont ces détails-là qui constituent la barbarie !
Cet amendement est important, monsieur le garde des sceaux, car il pose la question des moyens. Noël Mamère parle de moyens de pression ; je n'aurai pas la même approche que lui. Cependant, il faut admettre que les officiers de police judiciaire font avec les moyens à leur disposition. Dominique Raimbourg évoquait hier le nouvel hôtel de police de Nantes où la garde à vue peut se dérouler dans des conditions conformes aux critères européens, mais ce n'était pas le cas il y a encore six mois.
Je ne voterai pas cet amendement, mais il a le mérite de soulever la question des moyens. Comme Noël Mamère, les députés du Nouveau Centre sont attachés à préserver la dignité des personnes en garde à vue, ce qui est l'objet de la série d'amendements que nous allons examiner. Nous nous sommes battus dans la loi pénitentiaire pour que même les condamnés gardent leur dignité ; cela doit s'appliquer à plus forte raison dès la garde à vue.
Monsieur le garde des sceaux, nous pourrions nous accorder sur les critères européens, qu'il s'agisse des préconisations du comité de prévention de la torture ou de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Nous n'en sommes qu'à la première lecture du texte et nous aurons l'occasion, avant la fin de l'année, d'évoquer la question des moyens – tant du point de vue des magistrats et des avocats que celui des lieux de garde à vue.
Nous abordons une série d'amendements qui posent des questions légitimes sur les conditions de la garde à vue. Tous les témoignages justifient qu'ils aient été déposés.
(L'amendement n° 64 n'est pas adopté.)
(L'article 8 est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 184 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Cet amendement tend à préciser que les mesures de sécurité ayant pour objet de s'assurer que la personne gardée à vue ne détient aucun objet dangereux pour elle-même ou pour autrui ne peuvent consister en des investigations corporelles internes. Le projet de loi interdit déjà que ces mesures puissent consister en une fouille intégrale. Il faut donc, à plus forte raison, interdire les investigations corporelles internes.
Nous avons beaucoup parlé tout à l'heure de l'amendement n° 110 , cosigné par un certain nombre de nos collègues de l'UMP et qui pourrait étonner un observateur extérieur. Mais il reflète le réel, et nous devrions parvenir à un consensus pour faire en sorte que, grâce à la loi, ces abus disparaissent et que l'on ne tolère plus les atteintes à la dignité.
Je partage la préoccupation de notre collègue, dont l'amendement vise à interdire les investigations corporelles internes comme mesures de sécurité. Rien n'est plus légitime, mais, en pratique, lorsqu'il est procédé à de tels actes, ce n'est jamais par mesure de sécurité, c'est uniquement pour les nécessités de l'enquête.
En inscrivant dans la loi que cet acte est proscrit comme mesure de sécurité, nous enverrions un message assez négatif, suggérant que les forces de police et de gendarmerie agissent de la sorte en dehors de toute légalité.
J'entends bien ce que vous dites, mais vous comprendrez que j'émette un avis défavorable sur cet amendement, repoussé par la commission.
Je répondrai plus longuement, si M. Brard le veut bien.
L'article 9 touche aux changements que nous souhaitons tous introduire dans le déroulement de la garde à vue.
Il faut distinguer, dans cette garde à vue, les mesures qui tiennent à l'enquête proprement dite et celles qui relèvent de la sécurité, les individus placés en garde à vue n'étant généralement pas des saints.
Le texte précise, à l'alinéa 2, que « les mesures de sécurité ayant pour objet de s'assurer que la personne gardée à vue ne détient aucun objet dangereux pour elle-même ou pour autrui sont définies par arrêté de l'autorité ministérielle compétente. Elles ne peuvent consister en une fouille intégrale. » Cela constitue une nouveauté.
Vous souhaitez y ajouter les investigations corporelles internes. Mais elles sont déjà abordées dans le cinquième alinéa de l'article, qui prévoit expressément que ces investigations corporelles internes ne peuvent être pratiquées que lorsqu'elles sont indispensables aux nécessités de l'enquête. Dans ce cas, « elles ne peuvent être réalisées que par un médecin requis à cet effet ». Il s'agit là encore de garanties nouvelles, par rapport à l'état actuel du droit, garanties qui constituent un progrès dans le respect de l'intégrité de la personne.
Cela étant, on ne peut empêcher les enquêteurs de requérir un médecin qui, dans des cas bien précis, pourra pratiquer des investigations corporelles internes, à condition qu'il ne s'agisse pas de simples mesures de sécurité. Elles sont donc très strictement encadrées, et il me semble que le texte répond au souci, louable, que vous avez exprimé. Je vous suggère donc de retirer votre amendement.
Cet amendement soulève un débat de fond sur le rôle de la garde à vue et sa dénaturation. À l'origine, la garde à vue figurait dans le code de procédure pénale comme une mesure de protection, qui conférait des droits aux personnes en cause. Mesurons le chemin parcouru pour aboutir à un dispositif, sinon liberticide, du moins représentant une menace pour les libertés publiques ! Ce n'est pas nouveau puisque, en 2007 déjà, le Comité pour la prévention de la torture évoquait des actes de barbarie.
Certains arguent que ceux qui encourent la garde à vue sont des délinquants notoires. Rassurez-vous : ceux-là sont habitués à la garde à vue et, vous aurez beau imaginer tous les textes que vous voudrez, cela ne changera rien à leur situation. Le problème, ce sont les gens ordinaires qui ont subi l'une des 800 000 gardes à vue à la suite de circonstances banales – on a entendu parler, il y a quelques semaines, du dépassement d'un véhicule de gendarmerie. Il s'agit souvent de gens fragilisés parce qu'ils n'ont pas de statut dans la société, et les rapports de la Commission nationale de déontologie sont assez édifiants sur ce point : souvent, ce sont des étrangers en situation irrégulière ou des personnes poursuivies pour aide au séjour irrégulier qui ont subi ces mesures de sécurité ?
Ainsi, dans une affaire qui avait défrayé la chronique, Mlle V, interpellée à son domicile, avait été, après une palpation de sécurité négative, fouillée à nu au commissariat alors qu'elle était en garde à vue pour aide à l'entrée et au séjour irrégulier. Il y avait quand même là une incroyable dérive !
S'agit-il d'un problème de société que l'on découvre ? Non. Dans un film célèbre sur cette question, on montrait que la garde à vue est une méthode policière.
Il faut donc dire clairement que cette réforme ne renforce pas seulement les droits des gens car la France y est obligée. Elle concerne aussi, et c'est tout le problème de l'équilibre qu'elle doit assurer, les méthodes policières et l'objectif de la garde à vue et, de ce point de vue, devrait s'accompagner de la formation des policiers à une autre méthode. Ils ne peuvent se contenter d'humilier les gens, qui finissent alors par dire n'importe quoi. On le voit dans le film que je mentionnais, comme dans un roman récent sur les conditions de la garde à vue. On ne peut pas rester dans la demi-mesure, et en même temps il faut expliquer les changements que cela implique aux policiers et aux personnes qui seront concernées.
Monsieur le ministre, j'ai écouté votre propos avec intérêt. Vous avez cité l'article 9 pour affirmer que ces pratiques ne seront plus possibles puisqu'il faudra recourir à un médecin. Mais le fait que nous prenions le temps d'en débattre montre bien que, comme vient de le dire Alain Vidalies, la situation s'était horriblement détériorée.
Mieux vaut, à mes yeux, pécher par excès, non seulement pour protéger nos concitoyens, mais aussi pour envoyer des signaux clairs à ceux qui représentent l'État : chargés d'appliquer la loi, ils doivent contribuer, même dans leur tâche répressive, à la protection des droits fondamentaux.
Il est un sujet que nous n'avons pas évoqué, car il n'entre pas dans le cadre de ce texte. C'est le tutoiement insupportable, qui n'est presque jamais pratiqué par les fonctionnaires de la gendarmerie nationale, mais qui l'est par trop de fonctionnaires de police – ce qui ne veut pas dire par tous. C'est une première agression. Quel que soit le délit qu'il est supposé avoir commis, chacun doit bénéficier de la présomption d'innocence. Pratiquer le tutoiement, c'est déjà violer les règles.
N'étant pas ministre, j'ai plus de liberté que vous pour envoyer des signaux clairs à ceux qui, portant l'uniforme, ont un devoir plus grand que quiconque de respecter la loi et de montrer explicitement qu'ils la respectent. Lorsque ce jour arrivera, la masse de nos concitoyens respecteront autant la police nationale qu'ils respectent par exemple les sapeurs-pompiers de Paris ou les gendarmes.
Nous faisons ici oeuvre de salubrité et de morale. Monsieur le garde des sceaux, même si j'ai bien compris quel est votre sentiment ainsi que les quelques arguments que vous avancez, je maintiens l'amendement, pour le principe.
(L'amendement n° 184 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 14 .
La parole est à M. Dominique Raimbourg.
Cet amendement peut paraître un peu curieux, mais la rédaction du deuxième alinéa de l'article 9 m'inquiète. En effet, il renvoie, en ce qui concerne les fouilles, à un arrêté ministériel.
Permettez-moi de vous faire le récit d'une expérience que j'ai faite avec mon collègue Blisko en 2008. Nous sommes allés, en tant que parlementaires, visiter le dépôt du tribunal de grande instance de Paris. En ce lieu prestigieux, on discute au premier étage entre gens de bonne compagnie de liberté, de loyauté des débats. Dans l'ensemble, les professionnels qui y officient sont contents d'y être et souhaitent y rester – les justiciables peut-être moins, mais c'est une autre affaire.
Au rez-de-chaussée, l'ambiance est bien différente. Là se trouve le dépôt du tribunal de grande instance de Paris, à l'ombre de la Sainte chapelle.
Vous verrez ensuite, monsieur Brard, que cette ombre peut être protectrice.
Ce dépôt accueille les personnes qui, ayant déjà subi vingt-quatre ou quarante-huit heures de garde à vue, vont comparaître devant le tribunal, ainsi que les personnes gardées à vue du « 36 quai des Orfèvres », la prestigieuse direction de la police judiciaire. Toutes ces personnes sont donc dans une salle d'attente. Nous y avons été parfaitement reçus par un commandant de police et des policiers qui cherchent à faire leur travail le mieux possible. Dans cette salle d'une cinquantaine de places, où, à l'époque de notre visite, l'on faisait des travaux, attendent donc ces gens qui ne sont pas encore passés à la fouille. Ils disposent d'un seul W.-C. à la turque, visible de tous. Une fois passés à la fouille, ils attendent dans des cellules propres et bien aménagées.
Là, un gendarme vient les chercher pour les emmener au tribunal. N'ayant rien à voir avec la police, il fait mettre l'intéressé à nu dans un petit carré protégé par un muret, afin que la gendarmerie puisse vérifier ce que la police avait déjà vérifié auparavant. L'intéressé, mis à nu, est exposé, par l'un des côtés du carré, à la vue de ceux qui reviennent du tribunal.
Serge Blisko et moi-même avons écrit au préfet de police pour lui dire que cela nous paraissait quand même beaucoup. Il nous a répondu que, en effet, c'était beaucoup et que la fouille par la gendarmerie n'aurait plus lieu. Nous étions en 2007, et cette situation perdurait, semble-t-il, depuis très longtemps.
Si je raconte tout cela, c'est pour expliquer mon inquiétude en constatant que la question des mesures de sécurité n'est pas réglée dans la loi. On en renvoie la définition à un arrêté de l'autorité ministérielle compétente. Mais que contiendra-t-il ?
Pour ma part, je ne crois pas qu'on puisse totalement se dispenser de fouilles dans lesquelles l'intéressé est mis à nu. Dans les hôpitaux psychiatriques, quand un patient semble dangereux, on le met en pyjama. Je crains que, dans les geôles, ce genre de fouilles ne soit parfois nécessaire. Je propose donc un système dans lequel on envisage cette possibilité, mais dans des conditions propres à protéger la dignité de la personne gardée à vue et également à protéger le geôlier. En effet, le deuxième alinéa de l'article dispose que ces fouilles « ne peuvent consister en une fouille intégrale ». Mais, si l'arrêté laisse une petite possibilité que ce soit le cas, le geôlier se sentira obligé de le faire. On sait bien comment fonctionne la hiérarchie. S'il se produit le moindre incident, toutes les belles âmes du premier étage diront que c'est la faute du geôlier. Peu importe qu'il soit moins bien payé et ne bénéficie pas forcément de l'estime générale, car on n'accorde pas à son travail le respect qu'il mérite autant que les autres maillons de la chaîne pénale.
Pour me résumer, je propose qu'on admette qu'il y a parfois besoin de recourir à des mesures de sécurité, mais que ce soit un juge des libertés et de la détention qui les ordonne. On garantira ainsi mieux la dignité des gens gardés à vue, coupables ou innocents car il n'y a pas à les distinguer de ce point de vue, pas plus qu'il n'y a à tenir compte du degré de culpabilité ou du crime commis. Nous sommes tous d'accord pour que les innocents soient bien traités, mais on mesure le degré de civilisation d'une société à la façon dont elle traite ses coupables.
Je sais que vous êtes opposé à ma proposition. Je suggère au moins que, au cours de la discussion parlementaire, on précise le détail de ce que l'autorité ministérielle chargée de la sécurité pourra autoriser.
Le sujet est extrêmement sensible, car ces fouilles sont perçues comme l'un des éléments les plus traumatisants de la garde à vue. Si l'on veut changer la pratique qui consiste parfois, pour certains officiers de police judiciaire, à pratiquer ces fouilles de façon systématique pour ne pas prendre de risque en cas d'agression ou de suicide, il faut décider de leur interdiction pure et simple sans marge d'appréciation.
Dans ces conditions, si je vous suis assez facilement dans votre démarche, je m'interroge sur le système que vous proposez. Il paraît assez séduisant ; les fouilles intégrales seraient interdites par principe, avec possibilité de dérogation. Mais on peut craindre que cette possibilité d'exception ait un effet pervers et ne permette pas d'aboutir à l'objectif, qui est de faire disparaître ces fouilles. Certes, l'officier de police judiciaire ne prendrait plus la décision mais serait contraint de formuler une demande à l'autorité judiciaire. C'est en quelque sorte rendre une marge d'appréciation à l'officier de police judiciaire, non sur l'opportunité de pratiquer la fouille, mais sur celle d'en demander l'autorisation. Dans le doute, il la demandera systématiquement pour éviter qu'on ne lui reproche, si un incident survenait, d'avoir mal évalué la situation. De même, au vu des informations données en toute bonne foi – je ne le conteste pas – par l'officier de police judiciaire, le juge des libertés et de la détention peut être tenté à son tour d'accorder systématiquement l'autorisation de procéder à la fouille pour éviter, toujours en cas d'incident, qu'on lui reproche de ne pas l'avoir fait.
Croyez bien que je suis sincèrement sensible à votre préoccupation. Nul, ici, ne veut exposer les personnes en garde à vue à des mesures infâmantes. Nu, on se sent démuni – je peux le dire pour m'être retrouvé à l'hôpital, après un accident de voiture, nu sur une chaise pot, la porte ouverte alors que je ne pouvais pas bouger. On se sent alors complètement misérable.
Pour autant, je crains que le dispositif que vous proposez, monsieur Raimbourg, ne soit pas adapté. L'amendement a été repoussé par la commission et c'est pour des raisons pratiques, vous le comprenez bien, que je maintiens un avis défavorable.
D'abord, je salue l'esprit de responsabilité dont M. Raimbourg fait preuve en présentant cet amendement. Je conçois qu'il n'est pas si facile pour lui d'aller dans ce sens.
Notre but est vraiment de supprimer les fouilles intégrales. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC.)
Interdire coûte moins cher que de construire, monsieur Brard.
Nous nous en donnons les moyens avec ce texte clair. Le deuxième alinéa de l'article instaure des mesures de sécurité, qui peuvent en effet être des fouilles partielles. Nous laissons l'autorité ministérielle compétente fixer la liste de ces mesures de sécurité. Mais nous affirmons aussi – et c'est là l'essentiel – que ces mesures ne peuvent consister en une fouille intégrale.
Or votre amendement prévoit la possibilité, dans certains cas très précis, d'effectuer une fouille intégrale en guise de mesure de sécurité. Je salue à nouveau votre courage mais, très honnêtement, je pense que, si l'on veut vraiment exclure les fouilles intégrales, il faut les interdire dans tous les cas. Je suis donc sensible au souci qui est le vôtre – car il peut arriver que se présentent des cas très difficiles –, mais je suis plutôt défavorable à votre proposition.
Nous sommes tous d'accord pour opérer une rupture avec le passé : nous voulons créer une garde à vue nouvelle.
Monsieur Raimbourg, d'ici à la prochaine lecture par l'Assemblée, je travaillerai à établir une liste indicative des mesures de sécurité qui pourraient être prises pour répondre à votre légitime préoccupation, mais, à ce stade, je vous suggère de retirer votre amendement.
Monsieur le garde des sceaux, je comprendrais l'argument que vous venez de développer si l'article 9 ne comportait que ses trois premiers alinéas.
Si l'article 9 rédige d'abord un article 63-6 du code de procédure pénal qui dispose que les mesures de sécurité « ne peuvent consister en une fouille intégrale », son quatrième alinéa prévoit ensuite d'insérer dans le code un article 63-7 selon lequel, « lorsqu'il est indispensable, pour les nécessités de l'enquête, de procéder à une fouille intégrale d'une personne gardée à vue, celle-ci doit être décidée par un officier de police judiciaire et réalisée dans un espace fermé par une personne de même sexe que la personne faisant l'objet de la fouille ». Nous sommes donc loin de la mesure d'interdiction générale que vous venez de défendre.
Pas du tout !
Le texte que je viens de lire est pourtant clair : l'officier de police judiciaire pourra procéder à une fouille pour les nécessités de l'enquête. Et vous savez très bien qu'il aura toujours la possibilité d'invoquer ces « nécessités de l'enquête », qui ne pourront faire l'objet d'un contrôle que a posteriori. Or toutes les dérives auxquelles nous avons assisté jusqu'à présent sont précisément dues au fait que les dispositions prévues étaient trop peu précises. Finalement, même si l'on ne peut rien reprocher à votre rédaction, elle ne résout pas le problème.
Au contraire, l'amendement soutenu par Dominique Raimbourg, au nom de notre groupe, reconnaît que la fouille intégrale peut être nécessaire dans certaines situations, mais il confie la décision à un magistrat, le juge de la détention et des libertés.
En définitive, vous interdisez, mais, pour les « nécessités de l'enquête », vous prévoyez des dérogations non seulement pour la fouille intégrale mais aussi, dans l'alinéa qui suit immédiatement, pour les investigations corporelles internes. Pourtant, tout le problème est bien là : si ces dérogations n'ont pas lieu sous le contrôle du juge, si elles sont de la seule initiative de l'officier de police judiciaire, ce qui devait être l'exception deviendra la règle.
Monsieur le garde des sceaux, votre bonne volonté n'est pas en cause, mais, en matière de fouille intégrale et d'investigations corporelles internes, il nous semble qu'il faut l'intervention d'un tiers qui soit, en l'espèce, un défenseur des libertés, c'est-à-dire un magistrat.
Je n'ai pas l'intention de participer au concours du meilleur défenseur des libertés.
Nous avons essayé de distinguer deux cas. Il y a, d'une part, des mesures de sécurité générale. Elles sont nécessaires, car les personnes gardées à vue peuvent être dangereuses, mais nous prévoyons qu'il ne peut y avoir ni fouille intégrale ni investigations corporelles internes.
En revanche, il y a, d'autre part, les nécessités de l'enquête, pour lesquelles il peut être nécessaire de procéder à une fouille intégrale ou à des investigations corporelles. Évidemment, comme le reste, ces mesures sont soumises à un contrôle juridictionnel exercé par le juge compétent…
C'est un contrôle a posteriori, bien entendu. La plupart des contrôles interviennent a posteriori : s'il n'y a rien à contrôler, par définition, on ne contrôle pas.
Pas de très loin !
Monsieur Raimbourg, vous parliez de la nécessité de donner des signaux. Avec ce projet de loi, nous donnons un signal ; doit-on en atténuer la portée en adoptant votre amendement ? Il faut choisir.
Pour ma part, je propose que nous travaillions sur la liste des mesures de sécurité, mais, de grâce, n'atténuons pas le signal que nous voulons tous donner ! La commission est parvenue à rédiger un texte que, en reprenant le mot de M. Mamère, je qualifie d'« équilibré ». Essayons de ne pas détruire cet équilibre ; il a été bâti avec difficulté, mais il a le mérite d'exister.
À nouveau, je vous demande, quelque imparfaite que soit la rédaction du projet de loi, de bien vouloir retirer votre amendement, en m'engageant à poursuivre avec vous le dialogue sur le sujet. Si vous ne le faites pas, votre amendement sera mis aux voix et, s'il est voté, les fouilles intégrales compteront parmi les mesures de sécurité ; chacun aura choisi son camp.
Dans les faits, les fouilles de sécurité ne sont ni contrôlées par le juge des libertés et de la détention ni toujours ordonnées par un officier de police judiciaire. Ce constat est surtout vrai dans le cadre de l'organisation policière. Cette situation dépend en effet d'une question d'organisation, et pas du tout des qualités des professionnels concernés. Les personnels affectés aux cellules sont ainsi totalement indépendants de l'enquête. Les fouilles effectuées ne sont donc pas ordonnées par l'officier de police chargé de l'enquête.
Ensuite, monsieur le ministre, vous disiez, il y a un instant, que l'interdiction des fouilles ne coûtait rien ; ce n'est pas tout à fait exact. Les policiers du dépôt de Paris, qui voient passer de très nombreuses personnes interpellées, nous ont indiqué, à Serge Blisko et à moi-même, que la question des fouilles serait totalement réglée s'ils disposaient d'un scanner – ceux, précisément, dont l'usage dans les aéroports crée une polémique, puisqu'ils permettent de voir, en quelque sorte, sous les vêtements.
Enfin, je partage votre analyse concernant les signaux que nous devons émettre. Mais le signal sera donné par la loi dans sa version définitive ; dans l'intervalle, afin d'aiguillonner notre réflexion, je maintiens mon amendement afin que nous puissions voter. Le signal final en sera d'autant plus fort. (Sourires.)
(L'amendement n° 14 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 185 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Monsieur le ministre, on entend beaucoup de compassion, et même de commisération dans vos propos, mais, à l'arrivé, il n'y a pas beaucoup de partage de nos propositions. C'est dommage, car le ton y est. Mais vous êtes centriste : le passage à l'acte vous pose toujours problème. (Rires.) Pour la mélodie, ça va ; pour les paroles, c'est plus difficile.
L'article 9 vise à encadrer les mesures de sécurité pouvant être imposées aux personnes gardées à vue.
L'article 63-6 du code de procédure pénal relatif aux mesures de sécurité a été complété après une discussion en commission des lois. Un nouvel alinéa a été introduit, prévoyant la possibilité pour la personne gardée à vue de demander à conserver « certains objets intimes », assortie, en contrepartie, de la signature d'une « décharge exonérant l'officier ou l'agent de police judiciaire de toute responsabilité pénale, civile ou administrative, au cas ou elle utiliserait ces objets pour attenter à sa vie ou à son intégrité physique ».
Cette disposition visait, selon le rapport de M. Gosselin, à « apporter une réponse à la difficulté soulevée par la pratique, relevée et critiquée notamment par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté » – cela dit, ce dernier ne vous posera plus de problèmes puisque vous l'avez supprimé –, « consistant dans certains endroits à retirer systématiquement lunettes et soutien-gorge aux personnes gardées à vue, afin de prévenir tout risque d'agression ou de suicide, alors même que ce risque est en réalité infime ».
En effet, il est urgent d'empêcher les excès qui sont régulièrement relatés lors du placement en garde à vue, ainsi que les gestes humiliants, tels que le retrait des lunettes ou des appareils auditifs. Mes chers collègues, je vous renvoie à vos expériences personnelles : si vous oubliez vos lunettes, le matin, vous êtes, en quelque sorte, infirmes. La personne gardée à vue est dans la même situation, et les choses sont encore pires en cas de confiscation des appareils auditifs. Je décris des situations concrètes. Des personnes présumées innocentes sont ainsi placées en état d'infériorité et, dans certains cas, humiliées.
Toutes ces mesures sont inutiles. Il est nécessaire de mettre fin à ces pratiques sécuritaires en rétablissant une proportionnalité entre les méthodes employées et la situation à traiter. Or la terminologie adoptée pour ce faire à l'alinéa 3 de l'article 9 ne nous semble pas appropriée.
La référence au risque d'« attenter à sa vie ou à son intégrité physique » nous semble, pour le moins, décalée. Comme le souligne M. Roger Beauvois, président de la Commission nationale de déontologie de la sécurité : « Personne n'a jamais donné le chiffre des pendaisons par soutien-gorge. » Les arguments avancés nous semblent fallacieux, et il convient désormais d'être clair sur ces sujets.
Ainsi, la rédaction actuelle de l'alinéa 3 prévoit-t-elle que « la personne gardée à vue peut demander à conserver […] certains objets intimes ». Cette disposition a donc clairement un caractère facultatif. En fait, son application va dépendre de celui qui détient l'autorité ; il nous semble que, sur ce point aussi, il convient d'être beaucoup plus précis.
Comme le disait Dominique Raimbourg en parlant de la mise en oeuvre des fouilles, ce ne sont pas les fonctionnaires qui sont coupables ni les instructions données, mais l'organisation et le manque d'organisation et de consignes claires.
Monsieur le ministre, je me permets de raisonner par analogie. Dans ma ville de Montreuil, en un an, on a compté deux blessés par Flash-Ball. Tout récemment, il s'agissait un jeune de quinze ans qui, pour son malheur, déplaçait une poubelle. Comme dans la précédente affaire qui remontait à juillet 2009, le rapport montre que le Flash-Ball a été utilisé en violation des règles. Manifestement, les fonctionnaires qui ont fait usage de cette arme ne les connaissaient pas. Pourtant, ils disposaient d'un Flash-Ball et ils l'ont utilisé sur un gamin de quinze ans. Pour ce dernier, les séquelles sont irrémédiables et, alors qu'il étudiait avec ardeur, il ne peut désormais consacrer plus de trois heures par jour au travail tellement il se fatigue. On n'est même pas sûr que les multiples opérations qu'il devra subir lui permettront à terme de récupérer toutes ses facultés.
Cette fois encore, et comme le soulignait notre collègue, la règle elle-même n'est pas en cause : c'est sa méconnaissance par certains qui pose problème. La hiérarchie connaît la règle, mais la chaîne de commandement dysfonctionne sans que personne n'ait à rendre de comptes par la suite – ce qu'il faut déplorer.
Défavorable.
Le Gouvernement ne peut pas s'en sortir ainsi. Compassion, commisération : ce sont de bonnes paroles. Tout à l'heure, on a cité une éminente personnalité dont le métier est de prodiguer de bonnes paroles ; le vôtre, monsieur le ministre, c'est de protéger les citoyens et, en fin de compte, d'aider les fonctionnaires à accomplir leur devoir en évitant que des zones d'incertitude subsistent ou que des marges soient laissées à des initiatives individuelles contestables. Il n'est point besoin d'être de gauche ou de droite pour avoir une position sur ce sujet : cela relève d'une vision de nos institutions républicaines. Permettez-moi de vous dire, monsieur le ministre, que vous ne vous en sortirez pas avec deux Ave et trois Pater : il vous faut être clair.
(L'amendement n° 185 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 46 rectifié .
La parole est à M. Michel Hunault.
Je propose qu'il soit indiqué clairement dans la loi que, lors de son audition, la personne gardée à vue peut demander à conserver « les objets dont le port ou la détention sont nécessaires au respect de sa dignité. » Si nous avons dénoncé, sur tous les bancs de cette assemblée, un certain nombre d'atteintes à la dignité de la personne, il ne faut pas accabler les fonctionnaires de police, qui ne font que leur travail dans le cadre fixé par la loi. Si des abus ont été possibles, c'est parce que celle-ci n'était pas assez précise. C'est pourquoi cet amendement, qui ne provoquera pas de bouleversement, vise à mieux encadrer la garde à vue.
Favorable, même si certains éléments pourraient être retravaillés.
(L'amendement n° 46 rectifié , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
La question de la dignité est importante. À ce sujet, dès lors que l'on mentionne des objets intimes, il importe que l'autorité ministérielle puisse en dresser une liste, afin d'éviter toute divergence d'interprétation et de permettre une pleine application du nouveau droit.
(L'amendement n° 55 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 47 .
La parole est à M. Michel Hunault.
Monsieur le garde des sceaux, je suis particulièrement sensible à ce que vous avez dit à propos des fouilles intégrales. Il faut être très ferme, avez-vous indiqué : celles-ci doivent être interdites. Je vous prends donc au mot, et je suis certain que vous serez favorable à ma proposition d'étendre l'interdiction des fouilles intégrales, afin de mettre fin aux abus et de contribuer au respect de la dignité et des personnes gardées à vue et des personnels de police qui étaient chargés de réaliser ces fouilles.
(L'amendement n° 47 , accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)
Le nouvel article 63-7 du code de procédure pénale définit notamment les conditions dans lesquelles il peut être procédé à une fouille intégrale, c'est-à-dire une fouille à nu. Ainsi, cette fouille doit être décidée par un officier de police judiciaire.
Je rappelle, comme l'a fait la Commission nationale de déontologie de la sécurité dans son rapport de 2009, que la fouille à nu est une pratique attentatoire à la dignité, qui devrait être proportionnée au but à atteindre. Elle est en effet extrêmement traumatisante pour ceux qui la subissent. Pourtant, elle est utilisée de manière ordinaire, alors que, dans un grand nombre de cas, elle est parfaitement inutile. Je pense notamment à ces affaires concernant, pour la première, un membre d'une association de défense des étrangers et, pour la seconde, une personne arrêtée pour défaut de permis de conduire.
Sur cette dernière affaire, je souhaiterais apporter quelques détails qui figurent dans le rapport de la CNDS et qui me paraissent très éclairants, car ils montrent que l'on ne peut pas s'en sortir avec des paroles de compassion. Je ne suis pas certain d'avoir la force pédagogique nécessaire pour vous convaincre, monsieur le ministre, mais je m'adresse également aux personnes qui suivent nos débats et qui pourront, si vous ne me suivez pas, trancher en faveur de l'un ou de l'autre.
J'en viens à mon exemple. Un homme de soixante-trois ans se rendait à la pharmacie au guidon de son scooter, qu'il conduisait sans permis. L'homme, horreur ! emprunte un sens interdit. Arrêté par des agents de police, il subit une première palpation de sécurité. Il est ensuite conduit au commissariat du 4e arrondissement de Paris : première fouille à nu. Déféré à la demande du parquet, le sexagénaire est ensuite emmené au dépôt du palais de justice de la capitale. Il est fouillé à nu une deuxième fois, à son arrivée, puis une troisième fois avant d'être présenté au magistrat du parquet. Cet exemple n'est pas isolé. Il illustre, hélas, une pratique trop habituelle.
Il convient donc d'encadrer strictement la fouille à nu. Nous considérons en effet que cette pratique est suffisamment attentatoire à la dignité de la personne pour justifier une autorisation préalable du juge des libertés et de la détention. Tel est l'objet de notre amendement.
La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, pour soutenir l'amendement n° 37 .
Nous suggérons de préciser que la personne qui procède à la fouille doit avoir au moins la qualité d'agent de police judiciaire telle qu'elle est définie à l'article 20 du code de procédure pénale. En effet, nous savons que, lorsque les personnes gardées à vue sont des femmes, la fouille ne peut être effectuée que par une policière ou une gendarme. Or les petites unités ne comptent pas toujours de personnel féminin et il est arrivé que cette fouille soit faite par des agents administratifs qui n'ont aucune compétence et dont la responsabilité peut être engagée à cette occasion.
L'amendement n° 186 me paraît inutile sur le plan juridique. En tant qu'agents assermentés, les OPJ sont à même de réaliser des fouilles. Sur le plan pratique, il me paraît difficile de prévoir un tel dispositif dans le cadre d'une enquête de flagrance, lorsqu'il est nécessaire de réaliser des fouilles sans délai. Donc, avis défavorable.
S'agissant de l'amendement n° 37 , je suis sensible à la préoccupation de ses auteurs, car je vois bien la manière dont les choses peuvent se passer dans nos gendarmeries : une femme gendarme n'est pas toujours présente. Mais il existe des cas où il n'y a pas de médecin homme.
C'est un problème, je le reconnais. Toutefois, si le système actuel n'est pas totalement satisfaisant, celui qui est proposé dans l'amendement l'est à mon sens encore moins, car il serait trop rigide. Avis défavorable.
Même avis que la commission.
Je ne suis pas totalement satisfait de la réponse du rapporteur. Celui-ci reconnaît que la situation dans laquelle un agent administratif qui n'a pas les compétences requises peut procéder à une fouille n'est pas normale. Au reste, il est exposé au plan juridique, car la personne gardée à vue pourrait se retourner contre lui, au motif, précisément, qu'il n'est pas compétent. Nous proposons donc de résoudre ce problème et il nous répond que nous rigidifions le dispositif. Or, tel n'est pas le cas : nous tentons simplement de combler une lacune afin de protéger les personnels de la police et de la gendarmerie.
(Les amendements nos 186 et 37 , successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
Cet amendement vise à aligner le régime applicable aux fouilles intégrales lors d'une garde à vue sur celui qui est applicable dans les établissements pénitentiaires. Dominique Raimbourg a demandé que le ministère de la justice se dote des outils nécessaires, notamment de portiques électroniques, pour éviter les fouilles à corps. Nous en revenons donc à la question de fond, monsieur le ministre, celle des moyens que vous entendez donner à votre administration. Or la situation est un peu complexe. À ce propos, je veux rappeler une anecdote que j'ai contée hier, très brièvement, et qui a été rapportée dans le cadre d'une enquête menée par l'Union syndicale des magistrats : un juge d'instruction a attendu qu'on lui affecte une greffière pendant plus de six mois. Cela en dit long sur la pauvreté de la justice.
Dès lors, les justiciables risquent de se retrouver dans des situations cataclysmiques. C'est pourquoi il convient de se doter des moyens nécessaires pour éviter ces fouilles, qui sont une humiliation et un outil d'intimidation.
Je suis favorable au développement de l'électronique, mais l'utilisation de cet outil me paraît ici quelque peu perverse. En effet, la proposition de notre collègue subordonne la réalisation d'une fouille intégrale nécessaire à l'enquête à un critère d'insuffisance de la fouille par palpation ou des moyens de détection électronique. Cela ne me paraît pas réaliste : il faut permettre aux policiers et aux gendarmes de travailler. Avis défavorable.
(L'amendement n° 172 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Nous souhaitons apporter une garantie aux justiciables, en précisant que les fouilles à corps et les palpations, qui sont des atteintes à la vie privée, doivent être autorisées par l'autorité judiciaire. Il s'agit donc ici de réintroduire l'autorité judiciaire dans la procédure de garde à vue, afin de protéger la dignité des personnes placées sous contrainte.
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l'amendement n° 187 .
Le projet de loi propose d'insérer dans le code de procédure pénale un article 63-7 dont le second alinéa précise que les investigations corporelles internes sont soumises aux mêmes conditions que la fouille intégrale. D'une part, ces investigations ne pourront être réalisées que si les nécessités de l'enquête l'exigent. D'autre part, du fait de leur caractère intrusif, elles ne pourront être effectuées que par un médecin requis à cet effet.
En ce qui concerne le médecin, je recommande de veiller à ne pas ouvrir la boîte de Pandore. Nous avons eu une alerte il y a quelque temps quand, dans les maternités, certains futurs pères ont prétendu choisir le médecin obstétricien en fonction de son sexe. Or un médecin n'a pas de sexe, si j'ose dire, c'est avant tout un spécialiste, qui doit être considéré comme tel – y compris dans le cadre de la garde à vue.
Pour en revenir à l'amendement, si les investigations corporelles internes sont réalisées par un médecin, ce qui est la moindre des choses, il n'en demeure pas moins qu'elles sont, en l'état actuel du texte, décidées par un officier de police judiciaire seul. Nous considérons que les investigations corporelles internes sont suffisamment attentatoires à la dignité de la personne pour justifier une autorisation expresse du juge des libertés et de la détention.
Sur le plan juridique, les officiers de police judiciaire amenés à intervenir étant assermentés, je maintiens qu'ils me paraissent tout à fait habilités à prendre la décision de faire réaliser des investigations corporelles internes.
Par ailleurs, sur le plan pratique, imposer une autorisation préalable du juge des libertés et de la détention – ou du procureur – me paraît particulièrement lourd, notamment dans les cas de flagrance, où il est nécessaire d'agir vite.
Je suis donc défavorable à ces deux amendements.
Même avis.
Dès lors qu'il s'agit de protéger les libertés, l'aspect pratique des choses doit être relégué au second rang.
L'aspect pratique faisait bel et bien partie de votre argumentation. Et je pourrais vous en donner des exemples, où il apparaîtrait impossible de faire telle ou telle chose pour une raison pratique ! En raisonnant de la sorte, vous allez mettre en place un système à côté duquel le régime de Ben Ali ressemblera à un paradis !
N'est-ce pas légèrement excessif ?
Dans le sens habituel !
Je suis saisi d'un amendement n° 188 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
C'est désespérant, monsieur le président ! Il faut vraiment avoir de la constance !
Certes non, mais j'ai parfois l'impression que le sermon sur la montagne avait plus de chance d'être entendu que nos plaidoyers en faveur d'une bonne loi !
Comme nous l'avons déjà dit, les personnes gardées à vue sont exposées à des actes dégradants ou attentatoires à leur intégrité physique et psychique. La Commission nationale de déontologie de la sécurité indique dans ses rapports successifs que des fouilles à nu sont effectuées sans discernement, de manière quasi systématique. Le rapporteur ne manquera pas de nous dire que ces fouilles ont été décidées et effectuées par des fonctionnaires assermentés, mais la CNDS n'en souligne pas moins que les décisions sont prises « sans discernement ». La commission a posé un certain nombre de critères pour encadrer le déclenchement de telles fouilles. Pourtant, dans les faits, les recours abusifs à ces pratiques persistent.
Je rappelle également que, dans ses conclusions du 14 mai 2010, le Comité contre la torture des Nations unies « s'inquiète de certaines orientations de la politique pénale française » et consacre un passage à la fouille, faisant savoir qu'il demeure préoccupé par la nature intrusive et humiliante des fouilles corporelles, a fortiori internes. Le Comité contre la torture recommande à la France de veiller « à ce que seules les méthodes les moins intrusives et les plus respectueuses de l'intégrité physique des personnes soient appliquées ». Il préconise ainsi la généralisation des mesures de détection par équipement automatique, de façon à supprimer totalement la pratique des fouilles corporelles.
Nous considérons également que les fouilles intégrales et les investigations corporelles internes pourraient être interdites si des moyens de détection électroniques étaient mis à disposition. Pour cela, il faut une réelle volonté politique mais, en fin de compte, vous avez raison, monsieur le rapporteur : c'est une question pratique, pour ne pas dire sordide, qui empêche de le faire : les quelques euros que cela coûterait !
C'est faire un bien mauvais procès au rapporteur et à la majorité que d'insinuer que nous nous réjouissons de ne pas avoir les moyens nécessaires au développement du recours au matériel électronique. J'ai déjà eu l'occasion de dire à plusieurs reprises que je considérais nécessaire de recourir davantage à l'électronique. En attendant de disposer des moyens qui nous font défaut pour le moment, et qui doivent être développés, nous n'avons pas d'autre solution que d'utiliser les méthodes prévues par le texte – des méthodes dont, je le répète, l'emploi est parfaitement justifié sur le plan juridique.
Même avis.
(L'amendement n° 188 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement rédactionnel, n° 100, de M. Gosselin.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Je suis saisi d'un amendement n° 190 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Ce qu'il y a de formidable avec vous, monsieur le ministre, c'est qu'il n'y a jamais de confrontation brutale ! Sur le fond, cela ne change rien : c'est toujours niet, niet, niet !
Plusieurs députés du groupe UMP. Cela doit vous rappeler quelque chose ! »
Entre le latin et le russe, il va falloir choisir, monsieur Brard ! (Sourires.)
Abondance de biens ne saurait nuire, monsieur le ministre ! Le russe contient d'ailleurs nombre de racines latines : vous pouvez demander à M. Perben !
Afin de compléter votre culture générale, monsieur le ministre, je vous propose d'organiser, en marge de ce projet de loi, un séminaire sur les racines latines de la langue russe. (Sourires.)
Pour en revenir au sujet qui nous occupe, nous estimons que les fouilles intégrales et les investigations corporelles internes doivent être expressément motivées et sanctionnés en cas de mise en oeuvre abusive. Tel est l'objet de notre amendement n° 190 .
Même avis.
(L'amendement n° 190 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement no 38 .
La parole est à Mme Sandrine Mazetier.
Avec votre accord, monsieur le président, je défendrai conjointement les amendements nos 38 et 39 – et ce faisant, je dirai également un mot de l'amendement n° 70 de Mme Batho, qui n'a pu être défendu. Cet amendement visait à instaurer un procès-verbal unique sur le déroulement de la garde à vue. En commission, monsieur le ministre, vous aviez répondu à Mme Batho que cela existait déjà pour la gendarmerie – c'est effectivement le cas, ce qui montre bien que c'est possible, et que cela pourrait être étendu à la police.
Les amendements nos 38 et 39 visent tous deux à alléger les contraintes de formalisme, afin de faire gagner du temps à tout le monde. Il s'agit également d'apporter de la cohérence à un article qui prévoit, d'une part, le maintien des émargements manuscrits des procès-verbaux et, d'autre part, la dématérialisation des procédures.
J'en partage l'esprit, mais j'attire l'attention de notre assemblée sur un problème d'ordre juridique relatif au contrôle que peut exercer le procureur. Comme je l'ai dit à plusieurs reprises, je suis très favorable à la dématérialisation, notamment des registres – il faut vivre avec les moyens de son temps, et j'espère que nous finirons par y arriver. Cela étant, le procureur doit conserver la faculté d'exercer son contrôle sur les registres lorsqu'il se rend dans les locaux de garde à vue, ce que la suppression des émargements rendrait impossible tant qu'une technique appropriée n'aura pas été mise au point. En l'état actuel des choses, je suis donc défavorable à ces amendements.
La Conférence des présidents, qui s'est réunie tout à l'heure, propose de modifier comme suit l'ordre du jour de la semaine prochaine :
Les mardi 25, mercredi 26 et jeudi 27 janvier, l'Assemblée examinera successivement la proposition sur les moyens de contrôle et d'évaluation du Parlement ; la proposition sur les enchères publiques ; la proposition sur le contrôle des armes à feu ; la proposition sur les gens du voyage ; la proposition sur l'habitat indigne outre-mer ; la proposition sur les oeuvres culturelles et la lutte contre le tabagisme.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
J'informe par ailleurs l'Assemblée que le vote solennel sur le projet relatif à la garde à vue aura lieu mardi prochain, 25 janvier, après les questions au Gouvernement.
Nous reprenons la discussion des articles du projet de loi relatif à la garde à vue.
À l'article 11 A, je suis saisi d'un amendement n° 23 .
La parole est à M. le garde des sceaux.
Cet amendement est relatif aux compétences des officiers de police judiciaire et à leur contrôle par le parquet.
C'est sur la base d'un amendement de la commission que l'article 11 A a été adopté. L'attribution de la compétence nationale aux officiers de police judiciaire est réclamée par les syndicats de police, qui y voient un allégement de la procédure. Il ne s'agit pas d'affaiblir le contrôle du procureur de la République ni de désorganiser les enquêtes. En effet, les officiers de police, lorsqu'ils se déplacent en dehors de leur circonscription de rattachement, ont l'obligation de prévenir à la fois leur supérieur hiérarchique et le procureur de la République du département où s'effectue ledit déplacement. Il nous semble qu'il s'agirait là d'une simplification importante.
J'ajoute que cette compétence nationale est d'ores et déjà exercée par certains officiers de police. C'est le cas des officiers de police des offices centraux, tels l'office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants, l'office central de lutte contre le trafic des biens culturels, ou encore l'office central pour la répression de la traite des êtres humains. C'est également le cas des services régionaux de police judiciaires, installés au siège des cours d'appel et exerçant leurs compétences dans le ressort de ces cours d'appel. Sauf erreur de ma part – je ne l'affirme pas avec certitude –, c'est encore le cas des sections de recherche de la gendarmerie. Bref, l'innovation ne serait pas très importante.
Leur attribuer la compétence nationale permettrait de simplifier grandement le travail des officiers de police, et par là même d'améliorer leur efficacité.
On a intérêt à maintenir la compétence territoriale des officiers de police judiciaire, par cohérence avec la compétence territoriale des magistrats qui dirigent leurs enquêtes.
J'avais souhaité, en retravaillant cette disposition, que l'on puisse de surcroît leur donner, sinon la compétence nationale, du moins un droit de suite, ce qui me paraît intéressant dans la logique même du texte. Ce droit de suite figure bien dans l'amendement du Gouvernement. Il y a donc vraiment une cohérence.
Je suis saisi d'un amendement n° 40 , portant article additionnel après l'article 11 A.
La parole est à M. Dominique Raimbourg.
Cet amendement n'a plus de sens dès lors que l'article 18 du code de procédure pénale n'a pas été modifié pour donner la compétence nationale aux OPJ. Je crois donc qu'il tombe.
Mon cher collègue, un amendement portant article additionnel ne peut pas tomber. En revanche, son auteur peut le retirer.
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l'amendement n° 202 .
Le dernier alinéa de l'article 62 du code de procédure pénale traite de la possibilité de retenir pour son audition un témoin, c'est-à-dire une personne à l'encontre de laquelle il n'existe aucune raison plausible de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction.
Comme le rappelle le rapport, l'audition des témoins répond à un régime distinct de celui de la garde à vue : la loi a en effet d'abord restreint, par la loi du 4 janvier 1993, puis interdit, par celle du 15 juin 2000, le placement en garde à vue des simples témoins.
Le dernier alinéa de l'article 62 dispose que les témoins ne peuvent être retenus « que le temps strictement nécessaire à leur audition ».
La commission des lois a modifié ce dernier alinéa en inscrivant une durée de quatre heures pour l'audition hors garde à vue, mais uniquement pour les « personnes à l'encontre desquelles il n'existe aucune raison plausible de soupçonner qu'elles ont commis ou tenté de commettre une infraction ».
Or, dans ce cas, à quel titre les retenir, ne serait-ce que quatre heures ? La durée maximale de quatre heures uniquement applicable aux témoins constitue donc un recul par rapport à l'avant-projet de réforme de procédure pénale qui limitait le régime de l'audition hors garde à vue, dans son ensemble, à cette durée maximale.
Ainsi, en cas de convocation, de nouvelle convocation après appréhension ou de présentation spontanée d'une personne « à l'encontre de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction », l'audition hors garde à vue doit être la règle et sa durée doit être également limitée à quatre heures.
À défaut, le risque est réel de voir des auditions se prolonger dans le temps, devenant ainsi des mini-gardes à vue sans avocat et sans les droits afférents à ce régime.
Je suis un peu amusé, puisque notre projet vise déjà les témoins, qui ne peuvent être auditionnés que quatre heures. Comme il ne s'agit pas des témoins dans l'amendement de M. Brard, c'est donc qu'il recrée un régime particulier, celui de l'audition libre. Je trouve que cela ne manque pas de sel, étant donné que nous avons unanimement trouvé nécessaire de supprimer l'audition libre ! L'avis est donc défavorable.
Même avis.
La boîte à sel, monsieur le rapporteur, c'est vous qui l'avez, puisque j'ai cité le texte de la commission, qui s'applique aussi aux témoins, c'est-à-dire à des personnes sur lesquelles ne pèse aucun soupçon ! Et on les garde quand même quatre heures !
Quelqu'un passe devant le commissariat ; on lui dit : « Vous avez sûrement quelque chose à voir avec telle affaire. On n'a aucune donnée permettant de le confirmer, mais venez quand même pendant quatre heures, c'est chauffé ! »
On ne peut pas accepter cela ! C'est donc bien vous qui avez le sel. Et même le sel et le poivre !
Prenez garde que la moutarde ne nous monte au nez ! (Sourires.)
(L'amendement n° 202 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 56 .
La parole est à Mme Annick Girardin.
Il s'agit de réduire de quatre à deux heures la durée maximale durant laquelle une personne peut être entendue lorsqu'il n'existe aucune raison plausible de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction.
Deux heures, c'est une durée largement suffisante pour cette procédure de questionnement, qui ne doit pas se transformer en procédure de garde à vue sans les droits y afférents.
Surtout, l'alinéa 6 de l'article 11 rappelle qu'en cas de soupçons sur la personne, la procédure de garde à vue doit s'appliquer. Dès lors, quatre heures, cela paraît beaucoup !
L'article 11 limite la durée de la rétention possible d'un témoin en vue de son audition à quatre heures. Il y a là une cohérence avec d'autres procédures. Ainsi, l'article 78-3 du code de procédure pénale prévoit, en matière de vérification d'identité, un délai de quatre heures. Je suis donc défavorable à l'amendement.
(L'amendement n° 56 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 15 rectifié .
La parole est à M. Dominique Raimbourg.
Il s'agit d'encadrer l'audition des témoins en reprenant ce qui se passe traditionnellement en matière de procédure pénale : dès l'instant où pèsent sur la personne entendue comme témoin des soupçons, dès qu'il existe des éléments laissant penser qu'il ne s'agit pas d'un simple témoin et que l'on envisage de mettre en cause cette personne dans une procédure, il est obligatoire de lui notifier ses droits et de la mettre en situation de garde à vue, de façon à ce qu'elle bénéficie des protections attachées à ce régime.
Défavorable car la formulation semble rendre automatique le placement en garde à vue d'un témoin qui, au cours de son audition, deviendrait suspect. Je trouve cela délicat.
(L'amendement n° 15 rectifié , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)
(L'article 11 est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 143 , portant article additionnel après l'article 11.
La parole est à M. le garde des sceaux.
Cet amendement a un seul et unique objet : consacrer la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le placement en garde à vue ne doit pas intervenir en l'absence de contrainte.
Il s'agit donc de préciser que la garde à vue en l'absence de rétention sous la contrainte n'est pas obligatoire à la suite d'une interpellation au cours d'une enquête de flagrance, à l'occasion d'une mesure de dégrisement ou à la suite des épreuves de dépistage lors des contrôles d'alcoolémie ou d'usage de stupéfiants. Il est en effet indispensable qu'une personne contrôlée pour excès de vitesse ou pour conduite sous l'empire de l'alcool ne soit pas, comme c'est trop souvent le cas actuellement, placée en garde à vue de façon systématique.
Le Gouvernement considère que la clarification apportée par ces précisions est indispensable pour diminuer le nombre des gardes à vue et sécuriser les procédures en permettant aux enquêteurs de mener à bien leurs investigations.
Ces précisions me paraissent importantes. Il s'agit d'indiquer expressément qu'un placement en garde à vue n'est pas obligatoire. Cela me paraît de bon sens et important dans un certain nombre de cas : dans le cadre d'une enquête de flagrance, après un placement en cellule de dégrisement, après un contrôle d'alcoolémie ou un dépistage de stupéfiants au volant.
Ce n'est que lorsque la personne mise en cause doit demeurer sous la contrainte – il se trouve évidemment des cas où c'est nécessaire – à la disposition des enquêteurs que la garde à vue pourra être décidée, si les critères posés par l'article 62-3 – tels que nous les avons votés précédemment – sont réunis.
Cet amendement permet d'envoyer un message, et c'est cela qui, au-delà de son texte, est important : le législateur encourage ainsi les forces de l'ordre à éviter les placements en garde à vue quand ils ne sont pas nécessaires. Considéré sous cet angle, et en plus de ce qui s'y trouve précisé en matière de gardes à vue pour les infractions routières, il me semble que cet amendement ne peut que recueillir un avis favorable, et même très favorable.
Autant je peux comprendre qu'il est souhaitable de ne pas placer forcément en garde à vue à la sortie de la chambre de sûreté si le dossier ne le nécessite pas, ou après un dépistage d'alcoolémie – là encore, si le dossier le permet –, autant le premier alinéa de l'amendement me semble poser problème.
Pourquoi ? Parce que l'article 73 du code de procédure pénale permet à tout citoyen de procéder à l'interpellation de l'auteur d'une infraction dès l'instant où il est témoin d'un crime ou délit flagrant. On est alors dans la situation où l'officier de police judiciaire, dans son commissariat ou sa gendarmerie, voit un bon citoyen, qui n'est ni policier, ni gendarme, et qui ne dispose d'aucune prérogative de puissance publique, lui amener par la force quelqu'un qui a commis un délit.
Qu'il n'y ait pas d'obligation pour l'OPJ de placer ce délinquant en garde à vue, soit ! Mais il ne faut pas que l'on puisse en tirer la conclusion que cet homme a été amené sans contrainte au commissariat au motif que la contrainte a été exercée par une personne qui n'avait pas de prérogative de puissance publique.
Cela me paraît d'autant plus délicat que se multiplient les agences de sécurité privée avec leurs vigiles. On risque de voir des délinquants amenés au commissariat par des vigiles ou par des physionomistes de boîtes de nuit, que l'on appelle aussi des videurs, parce qu'ils ont constaté des infractions, par exemple une bagarre à la sortie de l'établissement qu'ils surveillent.
Je voudrais être parfaitement rassuré sur ce point et vérifier que l'on ne considère pas qu'il y aurait absence de contrainte au motif que ce sont non pas des policiers ou des gendarmes qui ont procédé à l'interpellation, mais des citoyens ordinaires et courageux.
Les arguments de Dominique Raimbourg sont-ils si pertinents que le rapporteur et le ministre restent silencieux ?
Ce n'est pas là une petite affaire : quand arrive un amendement du Gouvernement de cette nature à ce stade du débat, il n'est pas interdit de s'interroger sur son objectif réel.
Or que vient faire le premier alinéa de cet amendement à la suite des dispositions de l'article 73 du code de procédure pénale ? Dominique Raimbourg vient de rappeler qu'il s'agit d'un texte particulier, qui dispose : « Dans les cas de crime flagrant ou de délit flagrant puni d'une peine d'emprisonnement, toute personne a qualité pour en appréhender l'auteur et le conduire devant l'officier de police judiciaire le plus proche. »
Il s'agit donc de circonstances tout à fait particulières auxquelles, monsieur le rapporteur, vos explications ne peuvent pas s'appliquer.
On a le sentiment, avec ces dispositions – celles que vous placez à la suite de l'article 73 du code de procédure pénale, mais aussi celles se rapportant à l'article 3341-2 du code de la santé publique et celles modifiant le code de la route –, que vous cherchez à prendre des précautions, probablement par rapport à un problème de constitutionnalité de l'ensemble du dispositif. Au fond, c'est comme si vous vouliez dire qu'on ne sera pas forcément obligé de placer les gens en garde à vue.
Exactement !
Vraiment, on ne voit pas très bien ce que cela apporte au code de procédure pénale ! C'est donc qu'en réalité, vous pensez qu'avec la rédaction actuelle vous aurez des problèmes, soit de constitutionnalité – à travers une question prioritaire éventuelle – soit de contrôle de conventionalité.
Quoi qu'il en soit, monsieur le garde des sceaux, je ne retire ni de vos explications ni de celles du rapporteur l'éclairage nécessaire pour envisager de voter un tel amendement.
L'objet de cet amendement est simple. Au passage, je remercie M. Raimbourg d'avoir approuvé ses dispositions concernant les délits routiers et l'alcoolémie. Dans le cadre de l'article 73 du code de procédure pénale, il vise des cas qui existent et qui ont donné lieu à des arrêts de la Cour de cassation précisant que quand il n'y a pas de contrainte, il n'y a pas obligatoirement de placement en garde à vue. Il s'agit de lutter contre l'automaticité de la garde à vue. Pas plus, pas moins. Lorsque la personne concernée, même emmenée au commissariat par de bons citoyens ou par des gardiens de magasins ou autres, y reste volontairement, l'OPJ peut l'interroger, mais s'il y a la moindre mesure de contrainte, elle doit être placée en garde à vue. Il s'agit de répondre à plusieurs cas qui ont été relevés par la jurisprudence, et de sécuriser ainsi les procédures.
Par cet amendement, le Gouvernement semble réintroduire sans le dire la procédure de l'audition libre.
Sans problème !
Depuis le temps que vous dites que c'est sans problème, par exemple à propos des fouilles à nu, la France a encore été condamnée : une dépêche Reuters, transmise aujourd'hui à quatorze heures trente-sept, nous apprend que la France vient d'être condamnée de nouveau pour traitements inhumains et dégradants devant la Cour européenne des droits de l'homme pour les fouilles à nu.
C'est bien pour éviter cela qu'il faut changer la loi !
Vos propos étaient clairs en effet, monsieur le rapporteur, et c'est pourquoi vous avez rejeté nos amendements. Alors qu'ils auraient dû être votés pour l'image de notre pays à l'étranger, pour que la France retrouve son rayonnement, celui qui jaillit de la France éternelle depuis 1789. Certes, il a connu des ombres, en particulier à partir de 2002, avec Nicolas Sarkozy au ministère de l'intérieur et à quelques autres fonctions depuis lors.
J'en viens à l'amendement. Il précise que, lorsque les conditions de la garde à vue sont réunies, l'officier de police judiciaire peut très bien ne pas prononcer cette mesure qui ouvrirait le droit, pour la personne mise en cause, d'avertir son employeur ou un proche, et de bénéficier de l'assistance d'un avocat et d'un examen médical. Les policiers pourront donc entendre la personne suspectée sans que celle-ci ait le moindre droit – si je me trompe dans l'interprétation de votre amendement, monsieur le garde des sceaux, démontrez-le-moi. Il est vrai que sa déposition ne pourra pas être le seul fondement de sa future condamnation. Mais cette prévention tombe d'elle-même puisque les conditions de la garde à vue étant supposées réunies, il existe déjà plusieurs raisons plausibles de suspecter la personne.
La procédure introduite par le présent amendement est particulièrement dangereuse parce qu'elle n'ouvre aucun droit et n'est pas limitée dans le temps. Le fait que la personne ainsi entendue soit libre de quitter les locaux de la police ne lui est même pas mentionné, ce qui laisse augurer des pressions, des intimidations éventuelles ou des techniques dilatoires diverses de la part des enquêteurs pour la retenir et lui soutirer un maximum d'informations. Les personnes qui ne connaissent pas les procédures et l'état du droit seront lésées. Rien n'est fait pour leur garantir un droit effectif de quitter les locaux.
De plus, l'absence d'un avocat fait perdre aux personnes entendues tous les bénéfices en termes de conditions des auditions. Est-ce qu'elles seront réalisées dans le respect de la dignité de l'accusé ? Qui pourra garantir que celui-ci n'a pas subi de pressions ? De même, si les auditions effectuées sous ce régime sont longues, cela ne permet à la personne mise en cause ni de bénéficier d'un examen médical, ni de prévenir son employeur et un de ses proches, ni d'être assistée par un avocat, ni même de s'entretenir avec lui avant les interrogatoires ou d'avoir accès au dossier.
L'argument selon lequel des procédures d'audition sans garde à vue existent déjà n'est pas pertinent, car il entre en contradiction avec l'injonction de la CEDH selon laquelle nul ne doit pouvoir s'incriminer lui-même sans l'assistance d'un avocat. C'est d'ailleurs explicitement ce qu'admet le rapport : l'audition libre « n'est pas compatible avec les exigences conventionnelles dans la mesure où elle ne prévoit pas de notification des droits de la personne ni son assistance par un avocat ». Autant d'exigences qui ne sont pas respectées par le présent amendement.
J'ajoute que son adoption fragiliserait considérablement le projet de loi au regard de la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l'homme.
Nous préconisons donc le rejet de l'amendement du Gouvernement.
Monsieur Brard, il ne s'agit pas du tout de rétablir l'audition libre. Que cela soit clair et définitif. On ne veut pas jouer à ce petit jeu qui consiste à rattraper par un bout ce que l'on a abandonné de l'autre. Je l'ai dit et je le redis. Je vois bien que je ne parviendrai pas à vous convaincre…
Certes. J'ai bien compris que la répétition, c'est ce qui marchait le mieux avec vous. (Sourires)
Comme je sais que vous n'allez pas me croire, je vais invoquer la position de Mme Guigou. Ses propos figurent à la page 29 du compte rendu de la quatre-vingt-dix-neuvième séance de l'Assemblée nationale : « Enfin, l'audition libre, objet juridique non identifié, a fort heureusement été supprimée. […] Soit il y a contrainte et la personne [est] placée en garde à vue […] ; soit la personne vient volontairement au commissariat et peut repartir quand elle veut. »
Le Gouvernement veut clairement prévoir dans l'article 73 du code de procédure pénale cette seconde situation, qui existe aussi. C'est ce qu'a dit Mme Guigou, sous les applaudissements unanimes de vos bancs.
Je fais miens ses propos que je trouve excellents parce que, avec cet amendement, nous n'allons rien faire d'autre que ce qu'elle a dit.
Mme Lebranchu a applaudi aussi !
Sans vouloir vous faire de procès d'intention, monsieur le garde des sceaux, votre amendement ne me paraît pas correspondre à ce que disait Mme Guigou parce que, dans l'hypothèse visée au premier alinéa, la personne a été amenée au commissariat sous la contrainte.
Non !
Je veux bien admettre que vous ne cherchez pas à rétablir l'audition libre, mais elle est rétablie de fait puisqu'il y a l'exercice d'une contrainte quand bien même celle-ci n'est pas le fait des services de police.
Non !
On peut laisser le temps à la navette parlementaire de régler cette question, mais il y a dans votre dispositif une difficulté logique qui me paraît insurmontable.
Monsieur Brard, vous souhaitez défendre les suspects, les mis en cause, etc., mais si nous ne votons pas cet amendement, il y aura une augmentation considérable du nombre de gardes à vue,…
Exactement !
…notamment dans les affaires de faible gravité, telles que les infractions à la circulation routière – je pense aux automobilistes qui, au lieu d'être simplement placés en chambre de dégrisement, sont actuellement mis en garde à vue. Ne faisons pas la confusion entre audition libre et audition consentie. Mme Guigou a effectivement été très claire à ce sujet.
Je suis saisi d'un amendement n° 203 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Monsieur le garde des sceaux, vous disiez que, désespérant de me convaincre de vous croire, vous alliez passer à l'invocation… Mais avec moi, ni la croyance ni l'invocation ne comptent – même si vous vous mettiez à genoux, cela ne marcherait pas ! J'ai besoin de comprendre pour être convaincu, et d'entendre des arguments rationnels, qui forment un corpus cohérent, favorable à la protection des libertés du citoyen.
Nous avons déposé l'amendement n° 203 parce que nous considérons que les régimes dérogatoires de garde à vue, à l'exception de celui concernant les mineurs, devraient être alignés sur le régime de droit commun. Les arrêts de la Cour de cassation en date du 19 octobre 2010 ont rendu nécessaire une réforme des régimes dérogatoires. Ceux-ci ont en effet été jugés non conformes à la Convention européenne au motif que « la restriction au droit, pour une personne gardée à vue, d'être assistée dès le début de la mesure par un avocat, en application de l'article 706-88 du code de procédure pénale instituant un régime spécial à certaines infractions, doit répondre à l'exigence d'une raison impérieuse, laquelle ne peut découler de la seule nature de l'infraction ». Le projet de loi, en maintenant les dérogations générales actuelles, est donc contraire à l'article 6 de la Convention européenne tel qu'interprété par la Cour de cassation, qui en a fait une application directe, écartant ainsi l'article 706-88 du code de procédure pénale, qu'elle a jugé non conforme.
Comme on dit dans la langue gouvernementale, c'est un amendement de cohérence.
Mais pas de cohésion !
Cet amendement ouvre un débat de fond très intéressant sur les régimes dérogatoires, question vraiment essentielle. Dans une démocratie, il n'y a pas de liberté sans sécurité. Une démocratie a le devoir de se protéger. Il ne faut pas tomber dans l'angélisme. Nous avons aujourd'hui un système de lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée ou de trafic de stupéfiants qui fonctionne bien. En matière de terrorisme, beaucoup de pays nous envient ce régime. Nous avons intérêt à nous protéger car, je le dis avec solennité, c'est la démocratie et la liberté que nous défendons.
Je n'ai pas trouvé dans les arrêts de la CEDH, et pas plus dans ceux de la Cour de cassation ou dans les décisions du Conseil constitutionnel, d'éléments qui nous empêcheraient d'établir des régimes dérogatoires. Mais la Convention et la Cour européenne des droits de l'homme fixent une condition : il faut qu'ils puissent être appréciés in concreto. C'est ce que prévoit le projet de loi.
Il est dès lors impensable que toutes les gardes à vue soient soumises à un régime de droit commun, sans aucune faculté de dérogation qui serait justifiée par la gravité des faits en cause, appréciée in concreto. L'adoption de cet amendement est évidemment inenvisageable.
(L'amendement n° 203 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 16 .
La parole est à M. Dominique Raimbourg.
Nous ne contestons pas la nécessité des régimes dérogatoires, qui existent d'ores et déjà, avec des durées de garde à vue différentes. Cependant, nous proposons de réserver la possibilité de différer l'intervention de l'avocat aux seuls cas de terrorisme, pour deux raisons.
En matière de criminalité organisée, les infractions et donc les faits reprochés aux intéressés sont graves. Il est nécessaire que ceux-ci puissent bénéficier d'un conseil et d'une assistance lors des garde à vue.
C'est encore plus vrai dans les affaires de drogue, compte tenu de l'étendue de la définition du trafic de stupéfiants, qui commence à la simple détention de quelques grammes de haschisch.
Qu'une société se défende contre le terrorisme, c'est-à-dire la volonté de détruire l'État démocratique par des moyens criminels, c'est tout à fait juste. Nous ne pouvons qu'être d'accord. En revanche, dans les affaires de trafic de stupéfiants ou de criminalité organisée, instaurer des restrictions à la défense, en plus des régimes dérogatoires pour la durée de garde à vue, c'est aller un peu trop loin, me semble-t-il. Nous pourrions accorder à ceux qui sont poursuivis la possibilité de bénéficier d'un avocat dans les conditions ordinaires, ce qui leur permettrait d'assurer leur défense.
Je reprendrai les arguments déjà évoqués. Une gradation ne me paraît pas acceptable sous cette forme. Cet amendement a été repoussé par la commission et son rapporteur.
Avis très défavorable.
Soyons attentifs aux arguments développés par M. Raimbourg. Cette affaire présente un risque d'insécurité juridique, nous le savons. Vous avez beau affirmer que la lecture des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme ne vous inspire aucune inquiétude, ce n'est quand même pas l'opinion dominante des spécialistes de la doctrine. Ceux-ci écrivent plutôt que la Cour ne semble pas vouloir reconnaître de système dérogatoire, et qu'il existe donc un vrai risque. Plus nous limiterons le champ des dérogations, plus nous aurons de chances de voir reconnaître le bien-fondé de notre démarche.
Est-ce que la gradation est interdite, monsieur le rapporteur ? Certainement pas. Entre le trafic de stupéfiants et le terrorisme, il y a quand même une certaine différence. Si nous voulions montrer une volonté commune, nous limiterions aux seuls dossiers de terrorisme la possibilité de différer l'intervention de l'avocat, comme le propose notre amendement.
Vous indiquez que les dérogations s'appliquent aux autres infractions parce que ce sont les plus graves. Mais la définition même de ces infractions correspond à des choix qui mériteraient aussi débat. Jamais on ne cite la grande délinquance financière parmi les infractions les plus graves pour notre société. Pourtant, son coût collectif est aussi considérable que celui des autres trafics.
Vous devriez réfléchir avant d'écarter cet amendement. D'abord, il y aurait un consensus démontrant le désir, la volonté commune de toute la représentation nationale de se battre avec détermination contre le terrorisme, ce qui justifierait cette exception. Ensuite, nous ne mélangerions pas le terrorisme avec la grande délinquance et les trafics de stupéfiants, comme vous le faites dans votre texte.
Ce débat mérite de rester ouvert.
(L'amendement n° 16 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 17 rectifié .
La parole est à M. Dominique Raimbourg.
C'était un amendement de cohérence avec le précédent. Il est donc retiré.
(L'amendement n° 17 rectifié est retiré.)
Je suis saisi d'un amendement n° 101 .
La parole est à M. le rapporteur.
Pour tenir compte du fait que les gardes à vue en matière terroriste peuvent se dérouler en tout point du territoire national, il est nécessaire de permettre que puissent figurer, sur la liste d'avocats habilités, des avocats inscrits à tout barreau français.
Le système d'élection par le conseil de l'ordre du barreau de Paris, retenu à l'article 12 dans le texte adopté par la commission, pourrait avoir l'inconvénient de conduire à ce que la liste ne comprenne que des avocats inscrits au barreau de Paris. C'est évidemment peu satisfaisant.
C'est la raison pour laquelle le présent amendement prévoit que les avocats inscrits sur la liste seront élus par le Conseil national des barreaux. Il précise également qu'un décret devra définir le nombre d'avocats inscrits sur la liste, la durée de validité de la liste et les modalités de radiation.
Cette mesure de bon sens vise à assurer une égalité territoriale.
(L'amendement n° 101 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
(L'article 12, amendé, est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 204 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Le régime de garde à vue de droit commun autorise l'avocat à s'entretenir avec son client pendant trente minutes lors du placement du prévenu en garde à vue.
Toutefois, l'avocat n'a pas accès au dossier de la procédure. Les informations auxquelles il a accès sont très limitées, à savoir la date des faits et la nature de l'infraction retenue, ce qui ne permet pas d'assurer les droits de la défense.
Notre droit est en contradiction avec les dispositions de l'article 6, paragraphe 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, qui dispose que la présence de l'avocat pendant la garde à vue est indispensable, mais que l'accès effectif au dossier l'est également.
L'article 13 du projet de loi apporte deux modifications aux dispositions de l'article 803-3.
D'une part, il instaure un droit de la personne gardée à vue à l'assistance d'un avocat, droit qui est bien en deçà de ce qu'il devrait être pour garantir véritablement le droit à une assistance effective lui permettant d'organiser sa défense comme le préconisent à la fois le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation.
D'autre part, le 2° de l'article complète le deuxième alinéa de l'article 803-3 par une phrase disposant que « l'avocat peut demander à consulter le dossier de la procédure ». Ce n'est pas une garantie suffisante. Notre amendement vise à permettre à l'avocat d'avoir accès de plein droit au dossier au fur et à mesure de sa constitution, afin qu'il puisse exercer pleinement sa mission d'assistance du gardé à vue.
Cet amendement me paraît sans objet. L'article 13 ne concerne pas la garde à vue mais le placement au dépôt du tribunal, où la personne est retenue dans l'attente de sa présentation devant le procureur de la République. La disposition proposée ne me semble donc pas rattachée au bon article.
En outre, à ce moment de la procédure pénale, le dossier d'enquête n'est plus en cours de constitution. Il est clos pour les enquêteurs et il a déjà été transmis au parquet pour qu'une décision soit prise quant à la suite à donner à l'affaire.
Il est donc inutile de préciser que l'avocat peut accéder au dossier de la procédure à tout moment puisque ce sera en pratique le cas, sous réserve naturellement que ce dossier ne soit pas entre les mains du procureur au moment où l'avocat formule sa demande.
Avis défavorable.
(L'amendement n° 204 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement rédactionnel, n° 102, présenté par M. Gosselin.
(L'amendement n° 102 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
(L'article 13, amendé, est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 42 .
La parole est à M. Dominique Raimbourg.
Notre amendement a pour objet de faciliter la dématérialisation du registre des gardes à vue, et vise donc à supprimer l'obligation d'émargement compte tenu du caractère dématérialisé dudit registre.
(L'amendement n° 42 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement de cohérence, n° 224, présenté par M. Gosselin.
(L'amendement n° 224 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 205 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Comme celui de la garde à vue, nous considérons que le contrôle de la retenue douanière doit être confié au juge des libertés et de la détention, c'est-à-dire à un magistrat du siège. Cela semble plus sain dans la mesure où ce juge du siège bénéficie d'une indépendance à l'égard des parties, puisqu'il n'intervient pas par la suite dans le procès. En outre, cette indépendance à l'égard des parties se double d'une liberté totale vis-à-vis de l'exécutif, ce dont ne bénéficie pas le procureur.
Rappelons que la Cour de Strasbourg a estimé dans l'arrêt Moulin du 23 novembre 2010 : « La jurisprudence de la Cour établit qu'il faut protéger par un contrôle juridictionnel la personne arrêtée ou détenue parce que soupçonnée d'avoir commis une infraction. »
Elle précise que ce contrôle juridictionnel doit répondre à plusieurs exigences : la promptitude – la Cour a jugé que le délai de quatre jours et six heures était trop long –, le caractère automatique du contrôle et la nécessité que le magistrat qui contrôle ne puisse pas poursuivre ensuite la personne concernée.
Or la Cour a considéré que le parquet français ne remplissait pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif. Le magistrat du parquet est en effet soumis hiérarchiquement au ministre de la justice et il n'apporte pas les garanties d'impartialité nécessaires à une administration sereine de la justice. C'est la raison pour laquelle nous considérons que la retenue douanière ne devrait pas s'exécuter sous le contrôle du procureur mais sous celui d'un juge du siège.
Je ne reprendrai pas tous les arguments qui ont été développés sur la garde à vue et son contrôle. Évidemment, par souci de cohérence des mesures appliquées à la garde à vue et la retenue douanière, je vous propose la même chose : un avis défavorable.
(L'amendement n° 205 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement de précision, n° 228, présenté par M. Gosselin.
(L'amendement n° 228 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 206 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Défendu !
(L'amendement n° 206 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement de coordination, n° 229, présenté par M. Gosselin.
(L'amendement n° 229 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
(L'article 14 bis, amendé, est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement de coordination, n° 104, présenté par M. Gosselin.
(L'amendement n° 104 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 207 .
Considérez-vous qu'il est défendu, Monsieur Brard ?
Raison de plus ! Il faut valoriser ce travail de forçat que nous accompagnons, ou plutôt que nous accomplissons !
Pas le rapporteur, qui manie le fouet vis-à-vis de nous, comme à Cayenne autrefois ! C'est nous qui cassons les cailloux !
Monsieur le ministre, comme nous l'avons dit au cours de la discussion générale, votre projet n'offre pas de véritables avancées pour les mineurs, ce que nous regrettons vivement. Nous avons déjà évoqué ce sujet hier. Pour notre part, nous considérons que les mineurs devraient bénéficier d'une protection renforcée.
Notre amendement a pour objet de prévoir que, lorsqu'un mineur est placé en garde à vue, l'officier de police judiciaire doit informer immédiatement de cette mesure les parents, le tuteur, la personne ou le service auquel est confié le mineur.
Nous prenons ainsi en considération les observations de la CNDS, qui a été saisie de plusieurs cas dans lesquels la famille d'un mineur interpellé n'avait été prévenue que plusieurs heures après son arrivée au commissariat.
Dans l'intérêt de l'enfant, il est indispensable d'aviser immédiatement du placement en garde à vue. Le mineur doit faire l'objet d'un examen médical si son état de santé l'exige et si le jeune gardé à vue le demande.
Excellent amendement auquel la commission est favorable.
(L'amendement n° 207 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
C'est formidable, monsieur Brard ! Et qu'en sera-t-il de votre amendement n° 208 ?
Mais elles volent en groupe !
L'amendement n° 208 vise à rendre obligatoire pour tous les mineurs retenus, quel que soit leur âge, l'examen médical que j'évoquais en présentant l'amendement n° 207 .
Il convient de rappeler que l'examen médical constitue une obligation légale lorsque le mineur en cause est âgé de moins de seize ans. Pourtant, des cas de non-respect des dispositions légales du droit des mineurs sont régulièrement à déplorer. Par exemple, la CNDS, à la suite de la saisine 2006-3, a jugé inadmissible, dans son rapport de 2007, que l'on retienne en garde à vue pendant plus de sept heures deux mineurs de quinze ans sans les soumettre à un examen médical. Les raisons invoquées – un problème d'organisation des services du commissariat et les urgences médico-judiciaires – ne sauraient en aucun cas justifier une violation de la loi.
Je peux même donner d'autres exemples, monsieur le ministre, dans lesquels sont invoquées des impossibilités techniques. Ainsi, en vertu des pouvoirs qui sont ceux des parlementaires, je me suis rendu dans les cellules de garde à vue de ma bonne ville. C'était il y a un an, il faisait froid, et j'ai demandé, puisque les gardés à vue n'en disposaient pas, où étaient les couvertures. Au terme d'efforts tout à fait louables des fonctionnaires de police, une couverture, enfin, apparut, mais l'on aurait pu en dire ce que Dickens disait du Gange et des microbes : « Tout microbe qui se respecte refuse absolument d'entrer dans le Gange. » En l'espèce, je vous assure que toute personne qui se respecte aurait préféré – et préférait – avoir froid plutôt que de dormir sous cette couverture. Comme vous l'imaginez, j'ai demandé, même après ma visite, des explications. On m'a répondu qu'il n'y avait pas de crédits pour nettoyer la couverture, au singulier, alors même qu'il en aurait fallu plusieurs.
Pourquoi raconté-je tout cela ? Parce que c'est dans le détail que se cache la réalité des politiques. Pour être, depuis longtemps, un homme de terrain de la région lyonnaise, vous le savez bien. Les prétextes doivent donc être balayés. Il n'est pas de prétexte ou d'impossibilité technique qui tienne lorsqu'il s'agit de droit.
Ainsi en va-t-il pour ces examens médicaux.
Mes chers collègues, il ne nous reste plus à examiner que vingt et un amendements, mais je devrai , je le rappelle, lever la séance à dix-neuf heures quarante-cinq. Vous voilà prévenus…
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 208 ?
Défavorable.
(L'amendement n° 208 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 209 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Monsieur le président, j'ai bien entendu votre appel.
Cet amendement prend en considération les observations de la CNDS, qui a recommandé, à la suite de plusieurs affaires concernant des mineurs qui n'avaient pas reçu la visite d'un médecin malgré leur demande ou dont l'examen médical n'avait eu lieu que très tardivement, que la famille du mineur de plus de seize ans soit systématiquement informée du droit dont elle dispose de faire demander pour lui un examen médical.
Favorable. Cette précision est bienvenue, il est bon d'informer les parents de ce droit.
Favorable.
(L'amendement n° 209 est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 210 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Le taux d'aboutissement de mes amendements est de 50 % sur cet article. Je vous encourage à continuer de la sorte.
Toujours à la suite des nombreuses affaires dont la CNDS a été saisie et qui concernaient des mineurs n'ayant pas reçu la visite d'un médecin ou dont la visite médicale n'avait eu lieu que très tardivement, l'amendement n° 210 vise à garantir le respect des dispositions légales du droit des mineurs. Il faut garantir la visite d'un médecin en établissant un délai médical au-delà duquel le défaut de visite entraîne la fin de la garde à vue.
(L'amendement n° 210 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 211 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Le sujet est bien connu : il s'agit de l'enregistrement audiovisuel des interrogatoires des mineurs placés en garde à vue.
Dans son arrêt du 3 avril 2007, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait en effet précisé que le défaut d'enregistrement audiovisuel des interrogatoires d'un mineur placé en garde à vue, non justifié par un obstacle insurmontable, porte nécessairement atteinte aux droits du mineur. Le 26 mars 2008, elle a cassé un arrêt qui avait rejeté une exception de nullité fondée sur l'absence d'enregistrement.
Vous voyez bien le sens de cet amendement. Comment le Gouvernement pourrait-il ne pas tenir compte de toute cette jurisprudence et ne pas introduire une telle obligation dans la loi ?
C'est incompatible avec d'autres dispositions. J'émets donc un avis défavorable.
Défavorable.
(L'amendement n° 211 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 212 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Il est défendu.
(L'amendement n° 212 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
C'est un amendement de coordination.
(L'amendement n° 109 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
(L'article 15, amendé, est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 19 .
La parole est à M. Dominique Raimbourg.
Il s'agit de remplacer, s'agissant des mineurs, le juge des libertés par le juge des enfants.
L'article 15 bis n'est pas relatif aux mineurs. Je demande donc à M. Raimbourg de le retirer, à défaut de quoi j'émettrais un avis défavorable.
Même avis.
(L'amendement n° 19 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement de coordination, n° 231, présenté par M. Gosselin.
Je suis saisi d'un amendement n° 59 rectifié , qui fait l'objet d'un sous-amendement n° 235 de la commission.
La parole est à M. Dominique Raimbourg, pour soutenir l'amendement.
La commission est favorable à l'amendement, sous réserve de l'adoption du sous-amendement.
Même avis.
(Le sous-amendement n° 235 est adopté.)
(L'amendement n° 59 rectifié , sous-amendé, est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 60 , qui fait l'objet de trois sous-amendements.
La parole est à M. Dominique Raimbourg.
Ils sont défendus.
C'est un amendement de coordination relatif à la retenue douanière.
(L'amendement n° 24 , accepté par la commission, est adopté.)
(L'article 16, amendé, est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 201 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Je me demandais, monsieur le président, en vous écoutant mener ce rythme d'enfer, si vous aviez des liens familiaux avec Stakhanov, qui est d'ailleurs bien connu à Drancy. (Sourires.)
Monsieur le garde des sceaux, on a beaucoup fait référence à la CNDS, et je comprends – évidemment sans être d'accord – que vous l'ayez crucifiée : c'était une sorte de miroir que l'on vous tendait pour que vous y regardiez les turpitudes auxquelles donnent lieu les pratiques qui ont cours dans notre pays. Au lieu de corriger les pratiques, vous cassez le thermomètre ! Vous avez d'ailleurs fait la même chose en matière de droits des prisonniers, en infligeant le même sort à M. Delarue.
Comme le note la CNDS dans son avis du 6 janvier 2011, le projet de loi marque un recul, s'agissant de l'enregistrement des auditions, par rapport à l'avant-projet de réforme du code de procédure pénale. Alors que celui-ci rendait possible, certes sous conditions restrictives, l'enregistrement des auditions en matière délictuelle et non plus uniquement en matière criminelle, le texte dont nous débattons ne comporte aucune avancée en la matière. En l'état actuel du droit, depuis la loi du 5 mars 2007, l'enregistrement audiovisuel des interrogatoires conduits par l'autorité policière et judiciaire est obligatoire, à l'exception des poursuites pour délit mineur. Cette disposition ne s'applique cependant pas aux personnes accusées de terrorisme ou de crime organisé, sauf autorisation du procureur de la République ou du juge d'instruction.
Par ailleurs, la loi ne prévoit pas l'installation de caméras de vidéosurveillance dans l'ensemble du commissariat de police ou de la brigade de gendarmerie où les gardés à vue sont susceptibles de se trouver. Ainsi ne prévoit-elle pas, par exemple, l'installation de caméras dans les couloirs.
Constatant cette défaillance, le Comité contre la torture des Nations unies, dans ses observations finales sur la France, recommande « de généraliser l'enregistrement audiovisuel des auditions à l'ensemble des personnes interrogées, ainsi que de déployer l'installation physique des caméras de surveillance dans l'ensemble des locaux de police et de gendarmerie, de façon à élargir et renforcer le spectre de protection des personnes gardées à vue et détenues ». Vous le constatez, le comité manie, sans le faire exprès, le double sens : je ne suis pas certain que le mot « spectre » ait le même sens pour le Gouvernement que pour les Nations unies.
La Commission nationale consultative des droits de l'homme a également recommandé, dans son avis du 10 juin 2010 sur la réforme de la procédure pénale, de généraliser l'obligation d'enregistrement des auditions à l'ensemble des personnes interrogées, y compris lorsque l'avocat est présent.
Nous espérons, monsieur le garde des sceaux, que notre discussion se terminera par un geste positif de votre part.
Les évolutions introduites par le projet de loi vont entraîner des progrès considérables en termes de respect des droits de la défense et forment un ensemble qui me paraît vraiment équilibré. Cela sera sensible aux enquêteurs, avec des éléments qui pourront, dans un premier temps, leur paraître, un peu plus contraignants ; tout le monde sait bien qu'il y aura une phase d'adaptation.
Pour l'heure, il me semble préférable de laisser le nouveau droit de la garde à vue se mettre en place, être assimilé par toutes les parties, par tous les acteurs. Il sera temps, lorsque l'on aura un peu plus de recul sur le fonctionnement de cette nouvelle garde à vue, de s'interroger sur l'opportunité de la généralisation de l'enregistrement audiovisuel. J'y suis, vous le savez, plutôt favorable par principe : il faut savoir vivre avec son temps, avec les moyens modernes du XXIe siècle. Il ne faut cependant pas sous-estimer certaines lourdeurs. Donnons donc un peu de temps au temps, cela me paraît préférable.
J'émets donc un avis défavorable.
Je ne dirai qu'un mot au moment où notre débat touche à sa fin. M. Brard ne peut pas réduire notre projet au seul fait de remettre un rapport. Je pense qu'il va donc retirer son amendement, et je le remercie de sa participation active et réactive aux discussions qui nous ont réunis ces jours-ci.
Comme je n'aurai plus l'occasion de m'exprimer à ce sujet dans cet hémicycle, je remercie l'ensemble des députés qui ont participé au débat.
Je peux cependant déjà toutes et tous vous remercier pour cette première étape : les élus de l'opposition, dont l'attitude – je le salue – fut constructive, comme ceux de la majorité, qui ont su dépasser ce qui était une culture partagée pour aller vers un nouveau système, plus protecteur des droits de la personne mais qui, à terme, j'en suis sûr, rendra plus efficaces nos forces de police et de gendarmerie, ce qui est aussi le but visé.
Je vous remercie tous, y compris le rapporteur, le président de la commission des lois et les présidents de séance.
Le temps, c'est de l'argent : je serai bref !
Monsieur le garde des sceaux, je vous remercie de vos remerciements, mérités pour ce qui me concerne ainsi que pour mes collègues de l'opposition ! (Sourires.)
N'est-ce pas formidable ? M. Gosselin dit qu'il est d'accord avec nous. Puis, il déclare qu'il y a des lourdeurs. Mais que nous propose-t-il ? Au lieu de briser résolument ces lourdeurs comme, en cette saison, un brise-glace traverserait la banquise, il nous dit : « On ne fait rien. »
Qu'est-ce qu'un rapport ? Cela permet de regarder l'existant…
Personne ne les lit !
Comment cela ? Vous avez entendu tous les rapports que j'ai cités ? Si, si, dès lors qu'ils mettent en cause le Gouvernement, nous les lisons et nous les citons !
J'en termine, monsieur le président.
Un rapport permet de présenter la photo d'un moment précis et nous donne les moyens de faire notre travail de parlementaires. Ce n'est pas méchant, un rapport, c'est un facteur de transparence. Et le mot glasnost, monsieur le ministre, ce n'est pas du latin ! Je note que vous utilisiez ce mot avant la chute de l'Union soviétique, mais que, hélas, vous vous limitez à une considération esthétique de la notion sans la mettre en oeuvre !
La grande différence entre M. Brard et moi-même, c'est qu'il est pour la révolution et moi pour l'évolution !
La parole est à M. Sébastien Huyghe, pour une intervention très brève. L'heure approche…
Je veux simplement dire à M. Brard que nous sommes en train de redonner ses pouvoirs au Parlement. Il n'est donc nul besoin d'un rapport. Grâce à son pouvoir de contrôle, le Parlement pourra vérifier que la nouvelle procédure de garde à vue est correctement appliquée.
(L'amendement n° 201 n'est pas adopté.)
Nous avons achevé l'examen des articles du projet de loi.
Je n'ai été saisi d'aucune explication de vote personnelle.
Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que les explications de vote des groupes et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi auraient lieu le mardi 25 janvier, après les questions au Gouvernement.
Prochaine séance, mardi 25 janvier, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Explications de vote des groupes et vote, par scrutin public, sur le projet de loi relatif à la garde à vue ;
Les six propositions de loi dont j'ai donné lecture.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma