La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet (n° 1841).
Cet après-midi, l'Assemblée a poursuivi l'examen des articles, s'arrêtant à l'amendement n° 1841/720-">720 à l'article 3.
Nous sommes un certain nombre ici à avoir suivi depuis le début le débat « hadopien », avec deux lectures pour bien nous imprégner de ses tenants et de ses aboutissants. Je rappelle qu'au terme de longues discussions, le projet de loi qui avait été voté prévoyait, pour la mise en oeuvre de la suspension de la connexion à internet par les fournisseurs d'accès, un délai allant de quarante-cinq jours au moins à soixante jours au plus. Pour que le Parlement soit cohérent dans ses choix et dans ses votes, cet amendement propose logiquement de revenir au délai de deux mois prévu dans HADOPI 1. En effet, à notre plus grande surprise, nous avons découvert, dans le projet de loi HADOPI 2, qu'à l'article 3 le délai avait été réduit de manière drastique à quinze jours ! Nous n'en avons pas l'explication. Ce changement nous paraît d'autant plus surprenant que nous connaissons les extraordinaires difficultés techniques, les obstacles qui existent aujourd'hui et qui ne sont en rien résolus, auxquels sera confrontée l'application d'une telle mesure de suspension. Cela nous amène, une fois de plus, à considérer que ce projet de loi sera difficilement applicable.
Monsieur le ministre de la culture et de la communication, la grandeur de l'opposition, c'est de tenter de limiter…
…les dégâts collatéraux d'une loi dont nous déplorons fondamentalement la philosophie. Aussi, l'amendement vise à rendre un peu plus crédibles les conditions de la suspension que vous tentez de faire voter par le Parlement.
À ce stade du débat, nous en sommes à une dizaine d'heures de discussion en séance, mais nous n'avons toujours pas compris précisément comment vous entendez faire appliquer cette mesure de suspension de la connexion par les fournisseurs d'accès. Selon vous, comment vont-ils procéder ? Quels sont les moyens qu'il faudra mobiliser pour permettre de réaliser des dizaines de milliers de coupures de l'accès à internet ? Est-ce que votre étude d'impact chiffre, d'une manière claire et crédible, le coût de ces interventions pour les fournisseurs d'accès : combien de dizaine de millions d'euros ? On a évoqué, cet après-midi, le coût d'un récent concert donné, aux frais de la République, à Paris ; mais c'est une goutte d'eau, monsieur le ministre, par rapport au coût de l'opération HADOPI. En effet, un tel dispositif aura, en plus, un coût pour l'État puisque vous allez créer des centaines d'emplois pour pouvoir mettre en oeuvre cette loi – des emplois de magistrats, de greffiers, de fonctionnaires de police judiciaire, ainsi que des postes dans l'HADOPI et dans les sociétés de droits. À un moment où le Gouvernement procède à des purges massives dans les services publics, c'est pour le moins paradoxal. Certes, c'est votre choix et votre responsabilité, mais ma question est précise : comment les fournisseurs d'accès vont-ils procéder dans des délais aussi courts, et avec quels moyens humains et financiers ?
Depuis le début de l'examen de ce projet de loi, nous affirmons que la sanction de suspension de l'accès à internet sera difficile à mettre en oeuvre, pour des raisons techniques, et qu'elle aura un coût important, estimé entre 70 millions et 80 millions d'euros. Une telle mesure sera donc compliquée à concrétiser pour les fournisseurs d'accès à internet. C'est pourquoi nous demandons que le délai de mise en oeuvre soit prolongé. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Un petit coup, c'est agréable, n'est-ce pas ? (Sourires.)
La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour défendre l'amendement n° 120
Nous avons entendu ce que vient de dire le ministre, mais nous ne nous en formalisons pas.
L'amendement propose, à l'alinéa 6, de substituer aux mots : « quinze jours », les mots : « deux mois ». Mes collègues ont déjà souligné les problèmes techniques que posera la coupure de la connexion internet, à laquelle devront pourtant procéder les fournisseurs d'accès dés lors que l'HADOPI leur aura notifié la décision de suspension. Il faut aussi se mettre à la place de l'internaute : le délai de quinze jours est court, il peut fort bien s'être absenté durant ces quelques jours – congés, hospitalisation, déplacements professionnels. (Approbations sur les bancs du groupe SRC.) Toute la procédure va lui échapper,…
…tout va se décider sans lui. Un délai de deux mois permettrait que la décision de suspension soit à la fois en phase avec les problèmes techniques qu'elle suscite et avec la vie de nos concitoyens.
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour soutenir l'amendement n° 121 .
La suspension de l'accès à internet par les FAI posera beaucoup de problèmes techniques,…
À vous aussi ! Mme Aurélie Filippetti. …notamment lorsqu'il leur faudra suspendre cet accès pour les abonnés à une offre « triple play » sans couper celui au téléphone ou à la télévision. De telles difficultés techniques ne sauraient être résolues en quinze jours. C'est pourquoi nous proposons de revenir au délai prévu dans HADOPI 1 : entre quarante-cinq jours et soixante jours. C'est évidemment un amendement de repli, mais les fournisseurs d'accès à internet auraient ainsi le temps de mettre en place et d'organiser la suspension dans des conditions correctes pour les internautes.
La parole est à M. Michel Vergnier, pour soutenir l'amendement n° 122 .
Je remercie M. le ministre qui, en nous offrant le pot de l'amitié, a apporté la bonne humeur qui règne ce soir.
Cela étant, monsieur le ministre, à travers cet amendement, je tiens à souligner tous les efforts qui ont été accomplis, notamment dans les territoires ruraux et les régions. Ils ont fait leur, il y a quelques années, le slogan : « internet à haut débit pour tous ». Nous ne voulions pas ajouter la fracture numérique à la fracture territoriale. Tout le monde a donc accompli un effort considérable : les régions, les départements, mais aussi l'État et l'Europe. À force de volonté, nous avons réussi à installer un accès à internet pour plus de 99,5 % de la population, et avec le développement des technologies par satellite, nous n'allons pas être loin de 100 %. Dans le même temps, nous avons demandé aux opérateurs de faire un effort supplémentaire pour que cet accès dans les territoires ruraux soit, bien entendu, au même prix que dans les zones urbaines. Sinon, la notion de disparition de la fracture numérique n'aurait pas de sens.
Et voilà que, d'un seul coup, il y a des coupures, des suspensions, mais rien pour les opérateurs ! Pour ma part, ce que je connais actuellement, ce sont les difficultés d'installation d'internet, des abonnés qui ne trouvent personne pour intervenir en cas de panne. Ces gens-là veulent avoir accès à la culture, quels que soient les territoires.
Monsieur le ministre, cela ne fonctionnera pas. (« Le temps est écoulé ! » sur les bancs du groupe UMP.) Non, il fallait regarder la pendule au moment où j'ai commencé. Nous ne sommes pas dans un jeu de rôles.
Vous n'y parviendrez pas, en quinze jours beaucoup moins qu'en deux mois, et en deux mois beaucoup moins qu'en quatre mois. Je prends le pari que vous ne résoudrez pas ce problème, malgré la recherche que vous allez entreprendre. Par conséquent, je crains que cela ne soit beaucoup de bruit pour rien. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Franck Riester, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation.
Avis défavorable à cette série d'amendements identiques. Pendant HADOPI 1, après nombre de discussions fructueuses en séance, nous avions imaginé ce délai de soixante jours se découpant de la manière suivante : l'abonné suspendu avait trente jours pour former un recours,…
…puis le juge avait quinze jours – le délai initial – pour se prononcer sur le caractère suspensif ou non de ce recours, et enfin les FAI disposaient de quinze jours pour mettre en oeuvre la suspension. Au total, le délai était donc de soixante jours.
Dans le cadre d'une procédure pénale, l'ordonnance est exécutoire après le délai de quarante-cinq jours donné à l'abonné incriminé pour faire opposition. Dans le cadre d'une procédure classique, la personne a dix jours pour interjeter appel, après le prononcé du jugement. Si les dix jours sont écoulés, la décision devient exécutoire, et les FAI ont alors quinze jours pour appliquer la sanction.
Quand les personnes sont condamnées, les délais nécessaires pour former un recours ou interjeter appel sont respectés, et les FAI ont quinze jours pour mettre en oeuvre la décision. Tout a été calculé pour laisser aux internautes le temps de former leur recours.
Au pénal, la sanction étant automatiquement suspensive, le délai de quinze jours supplémentaires, qui avait été laissé au juge pour se prononcer sur le caractère suspensif ou non de la sanction, n'est pas nécessaire, monsieur Paul.
La parole est à M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.
Avis défavorable également. La peine de suspension ne sera pédagogique que si elle est mise en oeuvre rapidement, surtout si elle est de courte durée.
Je n'aurais pas repris la parole après les explications très cohérentes de M. le rapporteur. Il a retracé l'histoire mouvante de cette durée qui avait été fixée dans HADOPI 1, grâce aux amendements que nous avions déposés et au fait que nous étions montés au créneau. Le délai avait été porté entre quarante-cinq et soixante jours, alors qu'il était initialement beaucoup plus court.
Les explications de M. le rapporteur sont très cohérentes – ce qui ne nous amène pas pour autant à retirer nos amendements –, mais l'intervention de M. le ministre jette un trouble sur les vraies intentions du Gouvernement dans cette affaire. Répéter qu'on se situe dans une démarche de pédagogie c'est nier l'évidence, puisqu'il s'agit d'un projet de loi de pénalisation.
Mme la garde des sceaux assume : elle nous a rappelé que la vie en société est régie par des règles, et que des sanctions s'appliquent en cas de non-respect de ces règles. On se situe donc bien dans une logique de répression. Alors, ne parlons pas d'HADOPI 2 comme d'un projet de loi pédagogique.
Ensuite, monsieur le ministre, vous expliquez qu'il faut un délai de quinze jours parce que la suspension sera très courte. Je vous rappelle que nous sommes à l'article 3 : le délit de contrefaçon peut entraîner une suspension d'un an. N'entretenons pas l'illusion, auprès des internautes, que ce sera une petite suspension de rien du tout. Nous retrouvons un peu la justification précédente : ce n'est pas grave que l'internaute continue à payer son abonnement durant la suspension parce qu'il ne lui en coûte que sept euros par mois.
Monsieur le ministre, assumez un projet de loi répressif prévoyant des peines de suspension qui, de notre point de vue, sont totalement disproportionnées par rapport à l'infraction commise.
(Les amendements identiques nos 115 à 123 ne sont pas adoptés.)
Cet amendement se rapporte à une situation qui mérite qu'on s'y arrête quelques instants. Si cette loi n'est pas à nouveau censurée, si elle est promulguée, on ne sait pas dans quelles conditions vont s'appliquer les mesures, en particulier celles qui concernent les conditions matérielles, physiques, de la suspension de l'accès à internet. Nous ne le savons pas, sinon de manière empirique ou en construisant des hypothèses très aléatoires.
L'ARCEP – pas les groupes socialiste ou GDR de l'Assemblée nationale – nous a expliqué que, dans les zones non dégroupées, soit trois millions de foyers, il sera impossible de suspendre la connexion à internet sans affecter d'autres services, à savoir la téléphonie et la télévision. Les opérateurs de communications en sont incapables.
Or il faut avoir à l'esprit qu'ils s'exposent à des sanctions s'ils n'assurent pas le maintien de l'accès à des numéros d'urgence. Alors que s'annonce une pandémie – la grippe H1N1 –, nous avons estimé qu'il fallait à tout prix éviter les risques d'interruption de ces services indispensables… Excusez-moi, je suis perturbé par la toux de M. Mallot.
Si M. Mallot tousse trop, on va se retrouver en quarantaine dans cet hémicycle.
Dans le contexte actuel, nous pensons raisonnable d'autoriser l'allongement du délai de quinze jours prévu à cet alinéa, afin de permettre aux opérateurs de communications électroniques de mettre en oeuvre la suspension de l'accès à internet sans couper l'usage du téléphone. C'est tout simplement plus que quinze jours, si le délai de quinze jours était trop court, et si cela amenait à couper le téléphone.
Madame la présidente, j'espère qu'on pourra choisir ses compagnons de quarantaine si vous devez lever la séance pour des raisons sanitaires.
Pour prolonger la remarque de Patrick Bloche, je dirai que tous les territoires ne seront pas égaux devant les sanctions de l'HADOPI. Sur ce sujet, je voudrais interpeller personnellement nos trois ministres. M. de Raincourt va me comprendre très vite.
Il est des territoires où le dégroupage n'existe pas, où il sera extrêmement difficile d'être sélectif dans la sanction. Dans les Pyrénées Atlantiques, un très gros effort a été consenti en faveur du développement du haut débit, à l'initiative notamment d'André Labarrère qui a été pionnier dans ce domaine,…
C'est Biarritz qui a été la première ville !
…et sans doute que cette question ne vous interpelle pas, madame Alliot-Marie. Quant à vous, monsieur Mitterrand, vous êtes à Paris. Mais M. de Raincourt, lui, va très bien comprendre ce dont je parle : il vient des départements ruraux, et je pense tout particulièrement à l'Yonne, qui a pris un peu de retard dans ce domaine-là.
Non, nous ne sommes pas en retard !
Avec le conseil régional de Bourgogne, nous essayerons de rattraper ce retard.
En tout cas, si l'HADOPI est mise en place dès maintenant, des territoires ruraux risquent de se trouver vraiment en difficulté, car on ne pourra pas être sélectif dans l'application de la sanction.
Monsieur de Raincourt, si les motifs de politique culturelle que nous avons évoqués ne parviennent pas à vous atteindre, j'espère au moins que les motifs territoriaux que je vous donne réussiront à vous attendrir.
Cela va faire mal !
La parole est à Mme Catherine Génisson, pour défendre l'amendement n° 276 .
Comme vient de l'indiquer mon collègue Christian Paul, nous abordons un débat où les arguments culturels laissent la place à des considérations sur la vie quotidienne de nos concitoyens.
Mes collègues l'ont déjà très brillamment expliqué : il sera très difficile d'arrêter spécifiquement l'abonnement à internet sans occulter des services aussi fondamentaux pour nos concitoyens que le téléphone. Sans donner dans le catastrophisme et en me gardant de créer un climat d'inquiétude, voire de panique – même si j'entends certains collègues tousser de façon inhabituelle –, je considère qu'il est tout à fait fondamental de préserver l'usage du téléphone, quel que soit cet usage, mais particulièrement en cas d'urgence.
Cet amendement devrait donc vraiment faire l'unanimité parmi nos collègues.
La parole est à Mme Corinne Erhel, pour présenter l'amendement n° 277 .
Pour défendre cet amendement, je vais m'appuyer sur l'avis rendu par l'ARCEP qui indique : « Le fournisseur d'accès à internet est tenu notamment d'assurer de manière permanente et continue l'exploitation des services de communications électroniques et de garantir un accès ininterrompu aux services d'urgence. À défaut, celui-ci s'exposerait à des sanctions administratives et pénales. Dans ces conditions, il paraît souhaitable que le projet de loi prenne en compte les contraintes techniques susceptibles de s'imposer aux opérateurs, afin de ne pas les contraindre à priver les abonnés de leur droit à un accès ininterrompu aux services d'urgence. »
C'est pourquoi cet amendement prévoit un délai supplémentaire, afin d'appliquer éventuellement cette sanction de suspension de l'accès.
La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour défendre l'amendement n° 278 .
Nous pouvons revenir encore sur ce délai de quinze jours qui peut paraître amplement suffisant pour la mise en quarantaine d'un porteur de la grippe H1N1, mais qui paraît déraisonnable quand il s'agit de couper l'accès à internet.
Rappelons que le dégroupage se décline de deux façons. Le dégroupage total – ou accès totalement dégroupé à la boucle locale – consiste en la mise à disposition de l'intégralité des bandes de fréquences de la paire de cuivre. L'utilisateur final n'est alors plus relié au réseau de France Télécom, mais à celui de l'opérateur nouvel entrant. Le dégroupage partiel – ou accès partiellement dégroupé à la boucle locale – consiste à la mise à disposition de l'opérateur tiers de la bande de fréquence haute de la paire de cuivre, sur laquelle il peut alors construire un service ADSL, par exemple. La bande de fréquence basse, celle utilisée traditionnellement pour le téléphone, reste gérée par France Télécom qui continue de fournir le service téléphonique à son abonné, sans aucun changement induit par le dégroupage sur ce service. J'espère que tout le monde aura compris. (« Bien sûr ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Avec ces deux conditions, la suspension du service peut se faire sans interférence sur le téléphone.
Mais, mes chers collègues, au 31 décembre 2008, les lignes de quelque 10 640 000 clients n'étaient pas encore dégroupées, sur un total de 21 549 000 lignes fixes ou vertes.
Il sera impossible de suspendre la connexion à internet de tous ces utilisateurs sans suspendre aussi leur ligne téléphonique. Aussi cet amendement, qui apporterait un peu de raison dans le texte, propose-t-il d'insérer, à l'alinéa 6, après le mot : « notification », les mots : « sauf circonstance particulière justifiant un allongement de ce délai ».
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour défendre l'amendement n° 279 .
Un exemple illustre actuellement une circonstance particulière qui justifie un allongement du délai. J'ai interrogé ce matin Mme la garde des sceaux, ancienne ministre de l'intérieur, sur la note du secrétariat à la défense nationale relative à l'épidémie H5N1. Dans ses préconisations, le Gouvernement demande à nos concitoyens d'effectuer certaines opérations et de recueillir des informations via les communications électroniques. Comment faire, pour ceux donc la connexion à internet aura été coupée ? J'ai cité ce matin le chiffre de trois cents personnes qui se verraient ainsi privées de certaines informations ou, le cas échéant, ne pourraient plus assurer la continuité de leur activité économique.
Ces enjeux de santé publique s'ajoutent à la difficulté technique qu'il y a, pour les fournisseurs d'accès, à interrompre la connexion sans couper le téléphone et la télévision dans les zones non dégroupées – c'est-à-dire pour 10 millions de nos concitoyens. Nous estimons donc pertinent d'accorder aux FAI, dans certaines circonstances particulières, un délai supplémentaire.
Nous sommes au coeur de cette usine à gaz que, non contents d'avoir construite, vous voulez empêchez de fonctionner. La maladie du légionnaire, dit-on, résulte d'une accumulation dans de petites usines à gaz réfrigérantes ; votre usine à gaz à vous, bien plus grande, pourrait produire bien des effets indésirables. Au reste, pour rendre votre dispositif encore moins applicable, vous pourriez directement écrire : « sans délai » !
Nous proposons, nous, que le délai de quinze jours s'applique « sauf circonstance particulière justifiant un allongement de ce délai ». L'exemple de la grippe A me semble éclairant. Hier matin, Mme Bachelot a été auditionnée par la commission des affaires sociales. L'article 41 n'ayant pas été respecté, je n'ai pu assister à cette audition ; j'en ai donc lu le compte rendu. S'agissant de la grippe A, Mme Bachelot a conseillé à ceux qui l'interrogeaient de se connecter sur le site du ministère. Mais comment faire si la connexion est coupée ? En refusant d'allonger le délai entre la notification et la coupure, vous pourriez instaurer à votre corps défendant, après les six ou sept peines prévues pour un pseudo-délit de contrefaçon, non pas une peine de mort, mais une peine de maladie ! C'est hors de question.
La parole est à Mme Martine Billard, pour défendre l'amendement n° 722 .
Je veux évoquer un cas dont on n'a pas encore parlé. L'obligation imposée aux FAI entre en résonance avec certaines dispositions de l'article 3 bis, lequel prévoit une suspension d'un mois pour toute « négligence caractérisée » – selon la jolie formule du texte – quant à la sécurisation de l'accès à internet. Les fournisseurs d'accès devront donc s'organiser pour suspendre de nombreuses connexions dans ce cadre ; or, aucune durée minimale n'étant prévue, on peut imaginer des suspensions brèves, par exemple d'une semaine. Combien de temps les FAI auront-ils pour procéder à cette coupure ? L'article 3 leur donne quinze jours. Croyez-vous qu'il sera simple, pour eux, d'appliquer ces mesures ? Certains s'interrogent d'ailleurs sur leur coût, dont la prise en charge, selon le Conseil constitutionnel, incombe à l'État – après les 2 millions du concert de Johnny Hallyday, voici d'autres millions à débourser. L'État entend-il assurer cette compensation ?
Nous n'avons jamais eu de réponse sur ce point ! M. Riester est resté muet !
Bref, dans certaines circonstances, les délais doivent être allongés ;…
…faute de quoi je crains que les fournisseurs d'accès ne puissent procéder à la coupure. Si celle-ci s'en trouvait annulée, je serais d'accord, mais elle ne sera que reportée : le caractère pédagogique de la mesure, cher à M. le ministre de la culture, risque alors de disparaître.
Vous voulez une peine minimale, si j'ai bien compris !
Je n'ai pas dit cela ! Je ne souhaite rien d'autre qu'une loi cohérente.
Pourrait-on couper la ligne du rapporteur ? Il répond toujours la même chose !
Puisqu'ils viennent de vos bancs, les chiffres évoqués sont forcément indubitables.
Les miens, en revanche, sont immédiatement apparus suspects.
L'usage du téléphone n'est en aucun cas remis en cause.
Par ailleurs, le juge pourra apprécier les éventuelles circonstances atténuantes. En tout état de cause, l'exécution d'une décision de justice ne peut être subordonnée à des circonstances particulières sans créer une rupture d'égalité entre les citoyens.
C'est un autre problème, monsieur Mallot.
S'agissant enfin de vos quintes de toux et de la maladie du légionnaire… cela commence à faire beaucoup ! (Sourires.)
Je saisis le prétexte de l'article 58-1 de notre règlement pour proposer à nos collègues, chez qui le virus se propage visiblement à la vitesse grand V, d'aller leur chercher quelques masques : nous sommes à votre entière disposition ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Associez-nous à votre pari sur le nombre de toussotements ! En tout cas, nous compatissons.
La parole est à M. Patrick Bloche, pour répondre à la commission et au Gouvernement sur les amendements en discussion.
Il est clair que, si la suspension de l'accès à internet entraîne la coupure de la télévision et du téléphone, elle n'interviendra pas : chacun, je pense, en est d'accord. Mais c'est justement à ce niveau, monsieur le ministre de la culture, que se situe la rupture d'égalité. Allons au bout de ce nouveau paradoxe absurde du projet de loi : conseillons à tous le internautes qui souhaitent télécharger illégalement de le faire dans des zones non dégroupées ! Comme le précise le texte, pour toute offre triple play dans une zone non dégroupée, on ne peut couper l'accès à internet sans couper le téléphone et la télévision.
Nul besoin, donc, pour contourner la loi, d'avoir deux abonnements, à l'instar de M. le ministre de la culture, ou de se rendre chez le voisin ou un proche, comme le suggérait il y a quelques mois Mme Albanel. Notre souci est que la loi puisse être appliquée intelligemment. Or, en l'état actuel de la technique, la suspension de l'accès à internet aura, dans certains cas, des conséquences sur le téléphone.
Des internautes ne pourront donc utiliser certains numéros d'urgence. Nos amendements remédieraient intelligemment à ce problème.
Cet amendement de repli poursuit les mêmes objectifs que les précédents. D'autres collègues le défendront sans doute mieux que moi.
Le plan « France numérique 2012 », lancé par M. Besson, n'est toujours pas financé,…
…de sorte que les inégalités territoriales pour l'accès à internet demeurent. Nul ne peut contester cette réalité, que Michel Vergnier évoquait à l'instant. Élu dans une circonscription parisienne, je sais que les grands centres urbains sont privilégiés à cet égard. Au nom du principe constitutionnel d'égalité devant la loi, nous voulons éviter que, dans les zones où l'accès à internet est plus difficile, certains de nos concitoyens soient handicapés dans leur vie quotidienne par les suspensions prévues aux articles 3 et 3 bis, et n'aient plus la possibilité d'appeler les numéros d'urgence.
Je me réjouis que la vision de Patrick Bloche, député de la nation tout entière, s'étende au-delà du périphérique. Je puis, pour ma part, témoigner que les inégalités territoriales quant à l'accès à internet à haut débit, loin de se résorber, se creusent : le haut débit ressemble à une cible mouvante que nous poursuivons sans jamais l'atteindre.
Au fond, l'attitude du Gouvernement à l'égard de nos amendements montre qu'il a un problème avec internet.
Ceux de nos collègues de la majorité qui sont élus de territoires ruraux savent bien que le Gouvernement ne consacre plus un euro au déploiement des réseaux numériques d'initiative publique. Ce sont les collectivités qui les financent, les conseils généraux, les régions…
…notamment la région Limousin de notre collègue Michel Vergnier, qui fut précurseur dans ce domaine, comme, il y a quelques années, le district de Pau, madame la garde des sceaux, et bien d'autres régions…
…dont l'Auvergne, la Bourgogne ou Rhône-Alpes.
Le Gouvernement a un problème avec l'internet. Au lieu de poursuivre cette croisade moyenâgeuse qui porte le nom d'HADOPI, monsieur le ministre de la culture, il serait vraiment bien inspiré de se mettre en règle avec le monde d'aujourd'hui, qu'il ignore.
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour soutenir l'amendement n° 285 .
Nous l'avons dit, cette loi est antiéconomique, et il est curieux que vous ne soyez pas sensible à un tel argument. Les questions d'inégalité territoriale sont flagrantes. Sans les financements des collectivités territoriales, on n'aurait pas commencé à rétablir l'égalité entre les citoyens. Malgré ces efforts, tous les territoires de France ne sont pas encore couverts par le haut débit. On constate pourtant une fuite en avant technologique : les zones très urbaines sont maintenant couvertes par le très haut débit, qui permet d'avoir accès à d'autres services. Malheureusement, certains risquent d'attendre longtemps, puisque l'État s'est complètement désengagé.
La question du triple play a longtemps été niée sur les bancs de droite.
Il a fallu deux examens de la loi HADOPI 1 pour que, enfin, vous reconnaissiez qu'il y avait là un problème technique majeur.
La ministre de la culture de l'époque niait complètement que des internautes risquaient d'être également privés du téléphone et de la télévision. À ses yeux, le problème était anecdotique. Il suffit, pour s'en assurer, de relire les comptes rendus de nos débats.
Beaucoup de familles n'ont d'autre accès au téléphone que par internet, pour d'évidentes raisons économiques : par ce biais, les communications téléphoniques sont en effet quasi gratuites. Tout ce qui pourrait altérer cet accès au téléphone serait donc plus que fâcheux et même franchement inadmissible.
Depuis le début de nos débats, que ce soit sur HADOPI 1 ou sur HADOPI 2, vous mettez un point d'honneur à faire une application de votre mesure phare : la suspension de l'accès à internet. Vous faites preuve d'une réelle obstination, quels que soient les obstacles juridiques, quelles que soient les difficultés techniques, quelles que soient les autorités qui vous les signalent. Ainsi, l'ARCEP, qui est l'autorité de régulation et qui connaît bien ces dossiers, et l'INRIA, institut de recherche qui travaille sur ces questions, vous disent que ce sera techniquement difficile à réaliser. Les opérateurs eux-mêmes, les FAI, vous mettent en garde. Vous prétendez, monsieur le rapporteur, qu'ils vous disent tous qu'il n'y a aucun problème et que ce sera facile.
Quand je les vois, ils m'expliquent au contraire que ce sera compliqué, que ce ne sera pas toujours possible.
Du coup, vous mettez en oeuvre une sanction qui a l'avantage, du point de vue de la communication, d'être facile à comprendre pour le grand public.
Je vous écoute depuis trois jours, monsieur le rapporteur, mais vous ne m'avez toujours pas convaincue.
Tout le problème est là. Je le répète depuis le début de l'examen de la loi HADOPI 1 : la suspension de l'accès à internet est une mauvaise idée, qui ne va pas avec son temps. Elle sera extrêmement difficile, voire impossible à mettre en oeuvre, et c'est alors toute votre construction, tout votre argumentaire qui s'effondrera.
La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour soutenir l'amendement n° 287 .
Mes collègues ont parlé des inégalités territoriales. Moi aussi, je suis une élue de la nation, mais je viens d'une grande ville, Toulouse, où nous ne rencontrons pas ces problèmes. J'ai cette communauté d'intérêts avec M. Bloche, si je puis dire. Toutefois, je n'oublie pas mes collègues qui représentent des territoires beaucoup moins bien desservis et je vais prendre un exemple concret. La pandémie H1N1 arrive. Certains médecins vivent dans des territoires où il est très difficile d'exercer la médecine ambulatoire, et je crois que notre collègue Christian Paul en est le premier témoin dans la Nièvre. Beaucoup de médecins ont un abonnement couplé au téléphone et à internet.
Le médecin peut fort bien respecter la loi, mais avoir des enfants, des adolescents. Je suis sûre qu'il y a des enfants de parlementaires UMP qui téléchargent illégalement de temps en temps. Personne n'est parfait !
Et la grand-mère du médecin, en effet, celle qui arrose les coquelicots de son petit-fils ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Si vous ne garantissez pas que la coupure de l'accès à internet n'entraînera pas la coupure du téléphone, vous placerez le cabinet médical dans une situation très délicate. Mme Bachelot a pris la sage décision d'associer les médecins libéraux à la lutte contre la pandémie H1N1 : on verra bien comment le dispositif se déploiera, mais toujours est-il qu'elle l'a fait. Si les médecins ne peuvent pas être joints par leurs patients, ne serait-ce que pendant douze heures, je vous laisse imaginer les conséquences. À ces cas concrets, vous n'avez aucun argument à opposer, monsieur le rapporteur. Je vous demande donc d'adopter cet amendement de raison…
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour soutenir l'amendement n° 288 .
Je voudrais, pour ma part, prendre l'exemple de mon département, la Moselle. Certaines petites communes n'y sont pas dégroupées et il est certain que la suspension de l'accès à internet risquerait de priver les abonnés des services de téléphonie.
C'est d'autant plus grave que ces communes sont souvent situées dans des zones blanches non couvertes par les réseaux de téléphonie mobile. Si l'accès à internet est suspendu, que cela entraîne la coupure de l'accès à la téléphonie fixe…
…et que vous n'avez pas de téléphone mobile, vous ne pourrez plus communiquer avec vos relations, vous ne pourrez plus appeler les numéros d'urgence.
Cela risque d'être très dur, aussi, pour les jeunes qui vivent dans ces zones rurales, éloignées des centres urbains où l'on peut acheter de la musique.
Le téléchargement, c'est l'accès le plus simple à la musique et à la culture. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Le téléchargement n'est pas forcément illégal !
Il est donc important qu'ils aient accès à internet, pour leur sociabilisation, pour leur épanouissement personnel. C'est également important pour leurs parents et leurs grands-parents, qui ont besoin d'avoir accès au téléphone. Il nous semblerait donc extrêmement périlleux de ne pas voter cet amendement qui propose de compléter l'alinéa 6 par les mots : « , si la mise en oeuvre est possible par des moyens raisonnablement appropriés sans porter atteinte au service téléphonique ».
La parole est à M. Michel Vergnier, pour soutenir l'amendement n° 289 .
Monsieur le rapporteur, je vous ai avoué, tout à l'heure, que je trouvais vos explications embrouillées. Pardonnez ma franchise, mais le rôle d'un député est aussi de dire calmement, sans agressivité – comme je le fais – qu'il trouve les explications d'un rapporteur peu convaincantes et embrouillées.
Monsieur le ministre, vous avez dit : égalité des citoyens quel que soit le territoire. Chiche ! C'est un combat que je mène depuis longtemps. Menons-le ensemble. Il n'est pas facile. Nous ne sommes pas d'accord avec votre texte, tout le monde l'a compris, nous essayons d'en limiter certains aspects qui nous semblent ou contraignants, ou néfastes. Je prétends que, dans les zones dégroupées, il y aura un problème avec le téléphone fixe. Vous dites qu'il n'y en aura pas. Vous ne pouvez pas affirmer cela. Je peux vous garantir au contraire que, dans certains territoires, quand le téléphone est coupé dans un foyer, l'ambiance tourne vite à l'angoisse, à la catastrophe. Il ne faut pas mésestimer cette réalité. On fait volontiers du catastrophisme : on a l'impression que tout va mal dans les territoires ruraux. Tout ne va pas aussi mal qu'on le dit. Mais nous voulons l'égalité des citoyens sur les territoires, quels qu'ils soient. Je réclame donc un droit opposable au téléphone fixe en cas de coupure.
La parole est à Mme Martine Billard, pour soutenir l'amendement n° 721 .
Nous avons déjà eu ce débat en commission, monsieur le rapporteur. Nous avions obtenu, lors du débat sur la loi HADOPI 1, que la coupure de la connexion ne concerne ni le téléphone ni la télévision. Mais je vous ai expliqué depuis, après en avoir discuté avec des fournisseurs d'accès à internet, que certains d'entre eux ont une architecture réseau qui, tout en proposant une offre triple play dégroupée, utilise le canal internet pour transporter des informations concernant le téléphone et la télévision. Dès lors que l'on coupe le canal internet, on dégrade le canal téléphone et le canal télévision. On peut considérer que, pour la télévision, ce n'est pas si grave : à vrai dire, cela dépend des chaînes, certaines sont passionnantes, notamment celles qui permettent de visionner des documentaires. Mais, pour ce qui est du téléphone, vous aviez reconnu, en commission, qu'il fallait prendre en compte le fait que, à l'heure actuelle, en raison de l'architecture de certains réseaux, la coupure du canal internet pouvait entraîner l'altération de la ligne téléphonique, et qu'il fallait donc améliorer la rédaction de manière à prendre en compte ce risque et à éviter les coupures le cas échéant.
J'espérais donc que vous feriez un geste, monsieur le rapporteur, pour améliorer la rédaction en ce sens. Ce problème n'est pas anodin, il concerne, par exemple, le premier fournisseur d'accès à internet en France.
Monsieur Vergnier, le sujet dont nous parlions tout à l'heure est certes complexe, et il a fait l'objet d'un grand nombre de discussions au moment de l'examen de la loi HADOPI 1, à propos du délai de mise en oeuvre de la suspension : des questions de recours se posaient, il fallait déterminer si le recours était ou non suspensif. M. Bloche, qui a suivi cette discussion, a d'ailleurs reconnu que ma réponse lui avait donné entière satisfaction.
On a cité l'exemple d'un médecin, dont le fils…
, rapporteur. …ou la fille téléchargeait illégalement. À partir du moment où ce n'est pas lui qui télécharge, il ne risque pas de voir son accès à internet suspendu pour délit de contrefaçon, car il faut que ce soit la même personne qui télécharge et qui soit titulaire de l'accès à internet.
C'est le juge qui le prouvera.
En revanche, il peut voir son accès suspendu alors qu'il ne télécharge pas lui-même s'il n'a pas mis tout en oeuvre pour empêcher le téléchargement illégal : cela s'appelle en effet de la « négligence caractérisée ».
Vous voyez donc bien que notre médecin, s'il est de bonne foi et s'il met tout en oeuvre pour lutter contre le téléchargement illégal, ne risque pas de voir son abonnement suspendu.
Enfin, la loi est très claire. Voici l'alinéa 3 de l'article 3 : « Lorsque ce service » – c'est-à-dire l'abonnement à internet – « est acheté selon des offres commerciales composites incluant d'autres types de services, tels que services de téléphonie ou de télévision, les décisions de suspension ne s'appliquent pas à ces services ». Voilà ce que prévoit la loi ! M. Bloche l'a d'ailleurs lui-même rappelé tout à l'heure.
Concrètement, cela signifie que si l'HADOPI transmet l'information de la sanction au fournisseur d'accès à internet afin qu'il l'applique, celui-ci aura en retour tout loisir d'informer l'HADOPI, en se justifiant avec précision, qu'il ne peut pas mettre en oeuvre cette suspension, à moins de dégrader le service de téléphonie ou de télévision, madame Billard.
Il est bien difficile d'ajouter d'autres arguments à ceux que M. le rapporteur vient d'exposer si brillamment. Je ne reviendrai que sur quelques points. Tout d'abord, monsieur Gagnaire, vous répétez sans cesse qu'en matière d'action culturelle l'État a disparu et que les collectivités le remplacent.
Sans doute, mais c'est tout de même une assertion qu'il convient de mesurer. Je vous rappelle d'autre part le bienfait que fut la décentralisation pour notre pays. Ceci explique donc cela. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Je constate qu'une certaine fatigue nous gagne.
Ainsi, M. Paul évoque des combats moyenâgeux : HADOPI serait à la fois le frère du hennin et du caparaçon. Je constate aussi que l'on nous présente une jeunesse épuisée, avec pour seule solution le téléchargement illégal. Je sais bien que la vie n'est pas facile à Blies-Ébersing, à Bliesbruck, à Sarreguemines ou à Neufgrange. Cela étant, le téléchargement ne doit pas forcément être illégal. C'est pourquoi l'avis du Gouvernement sur ces amendements est défavorable.
Je ferai deux remarques, monsieur le rapporteur. Tout d'abord, l'alinéa 3 de l'article 3 précise que « lorsque ce service est acheté selon des offres commerciales composites incluant d'autres types de services, tels que services de téléphonie ou de télévision, les décisions de suspension ne s'appliquent pas à ces services ». Néanmoins, une dégradation ne peut s'assimiler à une suspension ! Quoi qu'il en soit, le compte rendu de la séance fera foi de vos propos, et je vous remercie d'avoir apporté cette précision car, en cas de problème, les personnes concernées pourront arguer que M. le rapporteur a dit qu'il ne devrait pas y avoir de suspension dans une telle situation. Hélas, cela n'est pas écrit dans le texte, mais l'éclairage du rapporteur pourra être utile.
J'en viens à l'exemple qu'a donné M. le rapporteur – qui, comme tout le monde, semble fatiguer. Admettons donc un téléchargement illégal sur l'ordinateur d'un foyer : soit l'enfant est mineur, et les parents sont responsables ; soit il est majeur, et vous n'aurez aucun moyen de prouver si c'est le père médecin ou son enfant qui a téléchargé – à moins que le père ne dénonce ses enfants, mais il faudrait alors que l'ambiance familiale soit vraiment désastreuse…
Je ne crois pas que c'est ce à quoi vous faisiez référence. Cela dit, vous n'aurez aucun moyen de prouver quoi que ce soit, sauf par l'aveu – que vous avez envisagé dans votre rapport – et qui supposerait que les enfants reconnaissent leur méfait et innocentent leurs parents.
Nous écoutions le rapporteur avec attention, et relançons la discussion après ses interventions, car cela permet d'interpréter la loi et, surtout, de comprendre comment elle s'appliquera si, par malheur, HADOPI 2 est votée et n'est pas censurée par le Conseil constitutionnel.
Le problème qui justifie notre amendement est celui-ci : si le fournisseur d'accès à internet ne suspend pas l'accès de l'abonné, il peut alors se voir infliger une amende de 5 000 euros. C'est ce que les jeunes appellent « le double effet kiss cool ».
Le fournisseur d'accès doit couper l'accès à internet sauf si cela implique de couper aussi l'accès au téléphone et à la télévision, mais, s'il fait preuve de mauvaise volonté, il écope d'une amende de 5 000 euros.
À cet égard, je me suis interrogé sur le fait que je juge se trouve encadré en amont et en aval par l'HADOPI – et c'est là un élément du non-respect du principe de séparation des pouvoirs – puisque c'est elle qui doit notifier au fournisseur d'accès la sanction de suspension décidée par le juge ; nous avons cru comprendre de votre interprétation de la loi et des préconisations que vous faites quant à son application que l'HADOPI pourrait, in fine, disposer du pouvoir exorbitant de décider si oui ou non elle met en oeuvre la décision de justice.
Quoique la question ait été posée depuis plusieurs heures, nous n'avons toujours pas eu, madame, messieurs les ministres, d'informations sur les conditions des lesquelles les fournisseurs d'accès vont effectuer la suspension de l'accès à internet. L'article 7 prévoit qu'une amende de 5 000 euros pourra leur être infligée, de sorte qu'une sanction s'applique pour le non-respect de la loi HADOPI.
Combien tout cela coûtera-t-il au fournisseur d'accès – question sur laquelle le rapporteur n'a donné aucun élément sérieux – et qui prendra ce dispositif en charge ? S'agira-t-il des fournisseurs d'accès eux-mêmes, ou de l'État ? La jurisprudence du Conseil constitutionnel, certes ancienne, pourrait tout à fait s'appliquer en l'occurrence.
De l'amendement n° 292 , monsieur le rapporteur. Posez-moi la question directement, et je vous répondrai !
Vous ne m'interrompez pas. Je pensais simplement que vous suiviez nos débats avec assez d'attention pour pouvoir répondre à la question que nous vous posons avec insistance.
Formulons cette question simplement : combien de dizaines de millions d'euros cela coûtera-t-il au fournisseur d'accès ?
70 millions, nous annonce M. Bloche ; nous direz-vous plus ou moins ? Je n'en sais rien, puisque vous êtes muet. Je peux d'ailleurs comprendre que le rapporteur l'ignore : au fond, les moyens d'investigation de l'Assemblée ne permettent sans doute pas d'être aussi précis. En revanche, j'espère bien que le Gouvernement le sait, car c'est vers lui que, tôt ou tard, les fournisseurs d'accès se retourneront à juste titre.
La parole est à Mme Catherine Génisson, pour défendre l'amendement n° 294 .
M. Paul vient de soulever un problème important : quel est le coût de cette mesure, qui paiera et comment cette mesure sera-t-elle appliquée ? Ces questions sont essentielles.
Elles motivent notre opposition au dispositif tel qu'il est présenté. Au-delà du fait que nous le jugeons disproportionné et inique eu égard au sujet que nous traitons, nous en dénonçons aussi les conditions techniques d'application.
Comme nous l'avons dit lors de la défense d'amendements précédents, nous considérons qu'au-delà de l'amende qui pourrait être infligée au fournisseur, celui-ci ne pourra pas dissocier la suspension de l'abonnement à internet des autres services qu'il fournit. Nous l'avons largement démontré, en particulier pour ce qui concerne le téléphone.
Je poserai deux questions sur l'alinéa 7. Tout d'abord, qui vérifiera que l'accès à internet a bel et bien été coupé ? D'autre part, quels seront les motifs recevables que les fournisseurs d'accès pourront produire pour expliquer qu'ils n'ont pas pu procéder à la suspension de l'accès à internet ? Y en aura-t-il seulement ? Des motifs d'ordre technique seront-ils acceptés, et si oui, lesquels ? J'aimerais avoir des réponses à ces questions précises. Nous préférons supprimer cet alinéa qui, n'étant pas assez précis, est source de contentieux – notamment sur les raisons techniques qui entraînent l'impossibilité de la suspension de l'accès.
La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour défendre l'amendement n° 296 .
À ne parler que d'un seul cas, nous en arrivons à penser qu'il sera simple de suivre la personne soupçonnée ; non ! Ce sont des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes qui seront concernées chaque année !
Oui : c'est certain. Cela vous fait peut-être rire, madame la garde des sceaux, mais vous rirez moins dans un an, à l'heure du bilan ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Pourquoi cette amende de 5 000 euros ? Est-ce une manière pour vous de récupérer une partie de l'enrichissement des fournisseurs d'accès à internet ?
Préfèreriez-vous leur appauvrissement ?
Nous l'avons dénoncé car les internautes dont la ligne a été coupée seront tout de même contraints d'honorer leur abonnement. C'est une manière de vous dédouaner des erreurs de ce texte !
Quoi qu'il en soit, rien de tout cela ne tient la route. J'en reviens aux pièces du puzzle qu'est HADOPI 2. Sans ranimer la polémique relative à la non-qualification des agents de plein droit chargés de cette constatation, la preuve ne peut pas décemment être faite que le propriétaire de l'adresse IP est bien l'auteur des faits. En effet, vous déroulez un scénario dans lequel tout est calqué sur le texte de loi. Pourtant, le médecin dont nous parlions, qui habite par exemple la Nièvre, n'aura peut-être pas, au bout d'un an, réussi à prouver que ce n'est pas lui qui téléchargeait illégalement. Vous êtes donc bien en train de construire une usine à gaz !
Vous donnez l'impression que l'on vous agace, monsieur le rapporteur… Vous venez de l'avouer, et je le comprends : vous n'entendez pas ce que l'on vous dit, et vous fermez la porte aux problèmes qui ne manqueront pas de se présenter dans les mois et les années à venir – car les choses dureront si vous ne revenez pas sur vos erreurs. Vivement 2012, j'espère ! Quoi qu'il en soit, je vous demande d'accepter l'amendement n° 296 , qui supprime l'alinéa 7.
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour soutenir l'amendement n° 297 .
Non, seulement sur ceux des fraudeurs !
Après avoir fait cadeau aux fournisseurs d'accès à internet du maintien du paiement de l'abonnement par les internautes dont la ligne a été suspendue, on les soumet ici à une amende de 5 000 euros s'ils n'appliquent pas la suspension. Ainsi, on les sanctionne parce qu'ils n'ont pas la capacité technique de porter atteinte à la liberté de communication et d'expression telle qu'elle a été reconnue par le Conseil constitutionnel le 10 juin dernier.
Pourquoi a-t-on donc d'une main accordé aux fournisseurs d'accès à internet le maintien du paiement de l'abonnement quand, de l'autre, on les soumet à une amende de 5 000 euros assortie d'une obligation non pas de moyens, mais de résultat ! Ainsi, nonobstant les difficultés techniques, ils seront contraints d'appliquer la suspension de l'abonnement à internet – avec les problèmes que cela pose dans les zones non dégroupées.
J'ai une autre question, car il y a deux poids, deux mesures : on va punir les fournisseurs d'accès qui ne mettraient pas en oeuvre la suspension. Mais, au moment du rétablissement de l'accès à internet, à quelle peine seront-ils soumis et quel délai leur accordera-t-on pour rétablir l'accès à internet des internautes qui auront été précédemment sanctionnés ?
En écoutant les réponses ou les absences de réponse du rapporteur, je pensais que si Patrick Roy était présent, il dirait : « Tout ça, c'est des carabistouilles ! » Carabistouilles, qu'il ne faut pas confondre avec calembredaines !
Notre amendement n° 298 vise à supprimer l'alinéa 7, qui propose de punir le fournisseur d'accès à internet d'une amende de 5 000 euros s'il ne met pas en oeuvre la peine de suspension. Mes collègues ont expliqué tout le mal qu'il fallait penser de cette mesure, mais je me suis posé une autre question. Si le fournisseur d'accès à internet, au lieu d'entrer dans le piège que vous lui tendez, suspendait effectivement l'accès incriminé et, dans le même temps, fournissait un deuxième accès ? Après tout, c'est une relation contractuelle assez classique : il pourrait remplir l'obligation de suspension qui lui est notifiée par l'HADOPI à la suite de la décision du juge et, sans en informer la terre entière, fournir un nouvel accès à l'internaute, de sorte que celui-ci pourrait ne pas être coupé du monde pendant le temps de la suspension de la ligne officiellement suspendue. Je me demande s'il n'y a pas une faille dans votre raisonnement…
Défavorable.
Je comprends que vous défendiez les fournisseurs d'accès à internet…
…alors que vous disiez tout à l'heure qu'ils allaient bénéficier d'enrichissement sans cause. Nous vous avons expliqué qu'il n'en était rien.
Je vous rappelle que cette partie du dispositif a été demandée par les fournisseurs d'accès à internet pour éviter la concurrence déloyale : certains fournisseurs d'accès pourraient jouer sur la non-application de la suspension pour des raisons techniques afin de pouvoir faire de la concurrence déloyale.
Nous défendons, nous aussi, les fournisseurs d'accès à internet. C'est pour cette raison que cette disposition est prévue. Si, pour des raisons valables, ils ne peuvent pas appliquer la peine de suspension, parce que, par exemple, elle remettrait en cause le service de téléphonie et de télévision, il leur faudra informer l'HADOPI qui prendra, avec le juge, les décisions qui s'imposent.
Défavorable.
Je n'ai rien à ajouter aux propos du rapporteur, mais je voudrais revenir à un problème sémantique : nous nous attaquons aux fraudeurs, pas aux internautes.
Est-il bien nécessaire, monsieur le ministre, de vous lever de votre siège pour dire au micro que vous vous attaquez aux fraudeurs, pas aux internautes ?
Vous êtes en train de construire une usine à gaz qui va mettre nos concitoyens internautes dans une situation telle qu'ils seront tous considérés comme des suspects en puissance.
C'est la vision que vous avez de notre société et d'internet. Pour vous, internet est un espace de non-droit, ce qui est faux, le droit commun s'appliquant la plupart du temps à internet sans que nous ayons besoin de légiférer. Mais c'est pour vous le repaire du mal absolu !
Nous avons pris nos responsabilités en d'autres temps et vous nous avez toujours trouvés à vos côtés lorsqu'il a fallu lutter contre la cybercriminalité ou la pédopornographie. Mais, en l'occurrence, la situation est différente et l'article 3 bis, avec la négligence caractérisée, vous conduira, hélas, à devoir retirer vos propos selon lesquels vous vous attaquez aux fraudeurs, pas aux internautes, car c'est bien aux internautes que vous vous attaquez !
Je me tourne maintenant vers le rapporteur, car je suis intrigué par sa réponse. Décision de justice et suspension de la connexion internet jusqu'à un an. L'HADOPI est alors chargée de faire exécuter la suspension technique par le fournisseur d'accès à internet. Mais le FAI déclare qu'il est impossible de couper l'accès à internet sans couper le téléphone et la télévision. Vous dites que, dans ce cas, le FAI doit prévenir l'HADOPI, laquelle – et là, vos propos ne sont pas clairs – doit voir avec le juge. Vous devez être plus précis, car ce point est un peu vaseux, comme l'est HADOPI en bien des endroits ! Il est frappant de se dire que c'est un organisme privé – même s'il s'agit d'une Haute autorité – qui va être amené à appliquer les peines décidées par le juge. J'aimerais que vous soyez plus clair et c'est pour cette raison que je vous ai interpellé tout à l'heure. Je n'imagine pas l'HADOPI revenir vers le juge et je crains qu'elle ne soit amenée, de manière aléatoire, en fonction de l'interpellation du FAI, à décider de mettre ou non en oeuvre la décision de justice. Nous nous interrogeons sur la séparation des pouvoirs…
(Les amendements identiques nos 291 à 299 ne sont pas adoptés.)
À l'article 3, les fournisseurs d'accès à internet ont une obligation de résultat en matière de suspension de l'accès à internet. La justice ordonne et ils doivent s'exécuter sous peine d'amende. Mais, dans certains cas, notamment pour les offres triple play, ce n'est pas toujours facile, voire quasiment impossible. Demander aux FAI de couper un accès internet sans toucher à la télévision ou au téléphone en zone non dégroupée est impossible en l'état actuel de la technologie…
…et cela demandera beaucoup de temps et d'argent pour que ce soit possible.
C'est pourquoi je propose de remplacer l'obligation de résultat imposée aux FAI par une obligation de moyens.
Défavorable, pour les mêmes raisons que celles précédemment explicitées.
Défavorable, pour les mêmes raisons que celles précédemment explicitées.
Le ministre de la culture semble découvrir qu'il y a, au sein de l'UMP, sur les bancs mêmes de la majorité, des esprits libres qui ne se sont pas laissé impressionner par les certitudes paresseuses du rapporteur, mais qui se sont livrés à une investigation technologique précise et qui arrivent aux mêmes conclusions que nous.
Heureusement, M. Lang n'a pas la même opinion !
À ma connaissance, il n'a pas participé à nos débats. M. Tardy, lui, a été très présent et j'estime qu'il s'est livré à un travail parlementaire sérieux. Certains d'entre nous se sont investis dans ce dossier et j'attache un prix particulier à leur point de vue, quel qu'il soit, mais en l'occurrence, celui de M. Tardy nous intéresse.
Le ministre de la culture nous a dit il y a quelques jours que nous nous opposions à cette loi parce qu'elle venait de l'UMP. Absolument pas ! Nous sommes opposés à cette loi parce qu'elle nous paraît infondée dans l'état actuel de la société et technologiquement indéfendable, notamment sur le point que nous examinons en ce moment. Corinne Erhel parlait tout à l'heure de l'INRIA, mais les avis viennent de toutes parts. Tous les économistes et tous les informaticiens sérieux sont d'accord sur ce point, mais vous ne les entendez pas. Tous les gouvernements, à un moment ou à un autre, finissent par s'enfermer dans une bulle. Ce gouvernement est dans une bulle, et il n'entend ni les économistes, ni les scientifiques, ni une partie des artistes qui ont compris ce qui se passait. Ressaisissez-vous !
(L'amendement n° 12 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 723 .
La parole est à Mme Martine Billard.
Cet amendement demande qu'un rapport soit rendu en ce qui concerne la compensation financière des surcoûts résultant des obligations mises à la charge des opérateurs.
Depuis HADOPI 1, nous essayons vainement de savoir quel sera le surcoût : il a été estimé à 70 millions, bien que ce chiffre n'ait jamais été officiellement confirmé. Avec HADOPI 2, il y a une coupure supplémentaire créée par l'article L. 335-7-1, puisque, dorénavant, il peut y avoir suspension de l'abonnement pour négligence caractérisée, c'est-à-dire non-sécurisation de la ligne telle que la conçoit le Gouvernement. Il y a donc un coût supplémentaire par rapport au coût estimé. Nous espérons, avec cet amendement, avoir une idée de ces dépenses qui, selon la décision du Conseil constitutionnel, devront être compensées par l'État.
Nous imaginons qu'elles seront compensées par le budget du ministère de la culture. M. le ministre dit que son budget n'a pas baissé, alors que nous soutenons le contraire. Il a reconnu qu'en tout cas il n'avait pas augmenté. Quoi qu'il en soit, il a virtuellement baissé puisque vous serez obligé, monsieur le ministre, de décompter de votre budget, que vous pensez stagnant, les dépenses pour compenser les coupures d'internet. Vous avez déjà perdu plus de 70 millions pour l'année prochaine !
Compte tenu des nombreuses réductions de subventions pour la création culturelle dans l'ensemble de notre pays – je pense notamment aux troupes de théâtre et de danse mises en difficulté du fait de suppressions brutales de subventions –, vous comprendrez pourquoi nous estimons nécessaire d'avoir cette indication financière que nous n'avons pas encore réussi à obtenir.
Madame Billard, je comprends votre préoccupation. Sachez toutefois que la commission doit, six mois après la promulgation de la loi, établir un rapport pour la mise en application de la loi. Dans le nouveau règlement, il y a, de droit, le rapporteur et un député de l'opposition. Ce point particulier de la mise en oeuvre technique par les FAI du dispositif de suspension sera examiné tout particulièrement. Il n'est donc pas nécessaire de rendre un rapport spécifique sur cette question.
Avant d'intervenir sur l'article, permettez-moi de revenir sur le débat précédent.
On oppose assez facilement campagne et monde urbain. Il est parfois difficile, en milieu rural, d'accéder à internet de façon performante, mais il ne faut pas non plus tomber dans le misérabilisme. Les propos de Mme Filippetti m'ont un peu surpris, concernant un jeune désoeuvré qui, ne sachant quoi faire, pouvait, selon elle, se permettre de télécharger illégalement. Voilà une explication très complaisante ! C'est avec de tels propos que l'on justifie l'indéfendable, et je tenais à le rappeler une fois de plus.
Notre propos n'est pas de sanctionner à tout prix, de construire une usine à gaz, de faire de l'abattage comme vous le répétez constamment, mais au contraire de faire de la pédagogie pour éviter que les téléchargements illégaux ne se répètent. C'est bien l'objet de cet article 3 bis qui prévoit une contravention, et non un délit, de négligence caractérisée : un téléchargement ne suffit pas, il faut qu'il y ait répétition, avec information de l'HADOPI lorsque cette négligence est caractérisée ou pour la caractériser. C'est donc bis, ter, quater repetita, et on est loin de la sanction aveugle.
Monsieur Gosselin, cela valait la peine de vous écouter ! Avec cet article, on touche à ce qu'il y a de plus absurde dans cette loi, et sans doute de plus scandaleux. Assimiler le téléchargement illégal à de la contrefaçon, sans faire de différence entre le simple partage et l'action à but lucratif l'était déjà. Mais pour aller récupérer la notion juridique de négligence caractérisée, créée dans une loi votée en 2000 à propos d'un problème alors d'actualité, celui de la responsabilité pénale des élus, et qui d'ailleurs était un délit, contrairement à ce que vous avez dit, monsieur Gosselin, afin de l'utiliser dans cette loi HADOPI 2, pour sanctionner un abonné qui n'aurait pas sécurisé sa ligne – on retrouve là l'obligation de surveiller sa connexion qui figurait dans le projet HADOPI 1 – il faut être tordu ! Ceux qui ont eu cette idée sont tordus. Je reviendrai sur l'article 1er de la loi du 29 juin 2000 à propos de notre amendement de suppression. Vous verrez ce qu'il vise vraiment, vous ferez le rapport avec ce qui nous est proposé et je suis sûr, monsieur Gosselin, parce que vous êtes un honnête homme, que vous en serez horrifié et que vous voterez l'amendement de suppression que nous proposons, ainsi que le groupe GDR et onze députés de la majorité.
Cet article concentre les principales critiques que l'on peut adresser à la loi HADOPI 2. Il instaure une insécurité juridique fondamentale, qui nourrira en grande partie notre démonstration devant le Conseil constitutionnel avec cette notion de négligence caractérisée qui, dans un domaine aussi difficile à apprécier que celui des systèmes d'information, apparaît non comme une avancée mais comme une zone de non-droit. En fait, cette loi n'est pas une loi de régulation, mais de dérégulation. Elle crée de l'insécurité juridique, elle n'institue pas de règles claires dans les rapports entre les auteurs, les artistes, le public, les producteurs, les éditeurs. Contrairement à l'habillage habile qu'on en a fait, c'est vraiment une loi de dérégulation.
C'est par ailleurs une loi profondément inquiétante, par la mise en place de la surveillance généralisée, sélective et automatisée chère à Franck Riester, mais aussi en raison des derniers mots de l'alinéa 2 de l'article 3 bis, qui évoquent la mise en oeuvre par chacun d'un moyen de sécurisation de son accès à internet. C'est prendre à rebours dix ans de progrès de la civilisation numérique. Comment voulez-vous sécuriser les réseaux wifi alors qu'on veut les développer partout, dans les universités, les ministères, peut-être un jour à l'Assemblée nationale ? Et plus encore, le logiciel libre s'oppose nettement à la mise en place des systèmes de capture d'information comme ceux que vous souhaitez installer sur les ordinateurs pour remplir les obligations prévues à l'article 3 bis. Cet article, c'est l'abomination de la désolation.
Sincèrement, avec cet article nous atteignons un summum. Et il est très surprenant. Sécuriser son accès internet est difficile techniquement et aisément contournable. En l'exigeant, vous allez inciter les internautes à acquérir des systèmes de sécurisation qu'ils vont devoir payer. Trouvez-vous normal que ce soit aux internautes qui ne téléchargent pas d'y être obligés ? De plus, il faudra renouveler périodiquement ces systèmes de sécurisation et donc s'abonner : le coût sera récurrent.
Ensuite, j'ai posé une question qui reste toujours sans réponse. Ce texte touche à la culture, par la protection des droits d'auteurs ; il touche à la justice avec la procédure pénale. Mais il concerne aussi le numérique dans son ensemble. Dès lors, comment se fait-il que sur ces aspects techniques, à aucun moment, ni sur le projet HADOPI 1 ni sur le projet HADOPI 2, la secrétaire d'État à l'économie numérique ne se soit exprimée en commission ou en séance publique ? Vous nous répondez toujours, monsieur le ministre, de ne pas nous inquiéter, qu'on répondra aux questions techniques plus tard. Mais je m'aperçois bien que ni vous-même ni la garde des sceaux ni le rapporteur n'êtes capables de nous apporter des réponses techniques. Or cet article montre bien qu'on est dans le domaine du numérique, sur lequel il faut des réponses précises.
Cet article 3 bis est, si j'ai bien compris, « l'article grand-mère » introduit par le Sénat, qui nous amène à nous pencher sur cette notion intrigante de négligence caractérisée. L'internaute sera sanctionné pour avoir laissé commettre par une autre personne des téléchargements illégaux par le biais de son accès à internet. Pour éviter cela, on l'oblige à utiliser un moyen de sécurisation. Christian Paul a dit tout ce qu'il fallait dire à ce sujet, je n'y insiste pas.
En commission des affaires culturelles, les ministres concernés nous ont donné une illustration de ce qui se passerait. Mme la ministre d'État a dit que, ainsi, le ministre de la culture se verra couper l'abonnement à internet pendant un mois parc que son fils aura téléchargé illégalement. M. le ministre de la culture et de la communication a alors glissé qu'il avait deux abonnements. Il a déjà trouvé l'échappatoire pour contourner la loi qu'il est en train de défendre devant nous. Il va devoir donner quelques explications à ce sujet, à moins que le compte rendu de la commission ne soit pas tout à fait complet – mais c'est une autre histoire.
Sur l'article 3 bis, nous défendrons un amendement de suppression et, au cas où il ne serait pas adopté, des amendements de repli.
On s'enfonce de plus en plus dans la confusion. Vous avez « tordu » le code de procédure pénale, le code de la consommation, et maintenant vous voulez utiliser le délit de négligence caractérisée à l'encontre des internautes qui n'auraient pas été suffisamment prudents. Je crois que vous ne mesurez pas bien ce que vous faites. Vous confectionnez une sorte de patchwork dans lequel chacun a apporté sa pièce, sans avoir bien en vue l'objectif à atteindre. Au point où nous en sommes, savez-vous encore ce que vous voulez faire ? Au départ il s'agissait de limiter le téléchargement illégal qui portait préjudice aux artistes. Il est clair que ce n'est plus l'objectif depuis trois jours. Il y a une forme de fuite en avant dans le tout répressif.
Permettez-moi pour conclure de vous lire un court extrait des recommandations concernant l'usage du réseau internet sans fil mis à disposition par l'Assemblée nationale. Il y est dit, au deuxième paragraphe : « En effet, de par sa nature, le trafic d'un réseau sans fil peut être intercepté par n'importe quel utilisateur qui se trouve dans la zone de couverture. De plus, contrairement à un accès domestique, la nature publique des accès hot spot ne permet pas de chiffrer le trafic radio ». Dans ces conditions, je souhaite que le Bureau de l'Assemblée nationale ou les questeurs s'interrogent sérieusement sur la protection du réseau de l'Assemblée car je sens que nous risquons d'être mis en cause si des petits malins s'installaient sur le trottoir voisin pour télécharger et réussissaient à craquer un certain nombre de protections du réseau de l'Assemblée. En effet, ce genre de recommandations ne suffisent pas, si l'on s'en tient au texte de loi.
La négligence caractérisée est un concept juridique nouveau en matière de protection des droits d'auteur, ce qui pose un certain nombre de problèmes, et d'abord des problèmes techniques. Sera convaincu de négligence caractérisée celui qui ne pourra pas prouver qu'il a sécurisé sa ligne après qu'il aura reçu un avertissement de l'HADOPI lui recommandant un certain nombre de solutions techniques pour le faire. Mais que seront ces moyens ? Des logiciels commerciaux dont on va donc encourager le développement. Ce sera cher pour les abonnés et inefficace, puisque aujourd'hui virus et, antivirus sont engagés dans une course permanente et en l'état actuel de la technologie, il est très facile d'usurper une adresse IP. Cela me fait un peu penser au bug de l'an 2000 : on a fait dépenser des millions aux particuliers et aux entreprises, pour rien.
Par ailleurs, l'articulation entre la négligence caractérisée et le délit de contrefaçon ne me semble pas très claire. Pour constituer ce délit, il faut des preuves, soit que l'internaute ait avoué, soit que l'on ait trouvé des fichiers téléchargés chez lui. Si le responsable c'est le fils majeur, dénoncé par ses parents comme l'évoquait Mme Billard, il est coupable de contrefaçon et le père ou la mère le sont de négligence caractérisée.
On finit donc par construire une société où tout le monde sera coupable de tout et de n'importe quoi : les abonnés, ceux qui utilisent l'abonnement de leurs parents, les fournisseurs d'accès… (« Trois minutes ! Trois minutes ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Mon intervention sera brève ; cela permettra de faire la moyenne avec celle de ma collègue et amie Aurélie Filippetti.
L'article 3 bis se trouve en quelque sorte en résonance avec une mesure votée voilà bientôt deux ans : la rétention de sûreté – même si je vous accorde qu'il s'agit d'une disposition différente. Il s'agit en effet de maintenir enfermés des détenus ayant purgé leur peine, sous prétexte qu'ils pourraient éventuellement commettre des délits ou des crimes, une fois sortis. On enferme donc des individus pour des faits qu'ils n'ont pas encore commis. Il me semble que l'article 3 bis relève un peu du même esprit.
En effet, comment condamner un individu pour « négligence caractérisée », c'est-à-dire pour non-surveillance de sa ligne – autrement dit, non-installation de moyens de sécurisation – ayant entraîné une violation du droit d'auteur, si cette violation n'est pas au préalable établie ? Il faut évidemment que la condamnation pour contrefaçon soit préalable à la condamnation pour défaut de sécurisation ayant entraîné une contrefaçon. Mais si tel est bien le cas, nous sommes vraiment devant une usine à gaz !
Depuis HADOPI 1, je m'interroge sur la volonté du Gouvernement d'introduire une obligation de sécurisation des connexions.
En fait, votre motivation est simple : dans le monde de l'informatique, il y a beaucoup de petits génies, et la loi de répression des téléchargements abusifs risquait d'être l'objet de contournements. On peut comprendre votre démarche, mais pourquoi accuser les personnes qui n'ont pas les capacités techniques de surveiller leur ligne, et ne pas plutôt poursuivre ceux qui utilisent des connexions qui ne sont pas les leurs pour procéder à des actes illégaux ?
La loi Godfrain du 5 janvier 1988 avait introduit dans le code pénal l'article 462-2 ainsi rédigé : « Quiconque, frauduleusement, aura accédé ou se sera maintenu dans tout ou partie d'un système de traitement automatisé de données sera puni d'un emprisonnement de deux mois à un an et d'une amende de 2 000 francs à 50 000 francs ou de l'une de ces deux peines seulement. » Cette disposition a été reprise dans la loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004, pour devenir l'actuel article 323-1 du code pénal, et l'amende prévue est désormais de 30 000 euros. Il aurait donc été possible, en modifiant légèrement cette disposition – ce qui aurait pu se faire sans problème –, de sanctionner toute personne qui utilise une connexion qui n'est pas la sienne pour commettre un délit.
Un tel choix aurait été compréhensible, mais vous ne l'avez pas fait, et plutôt que d'utiliser cet article du code pénal, vous inventez l'obligation de sécuriser sa ligne pour le commun des mortels qui est, en fait, dans l'incapacité technique de le faire. Pourquoi n'avoir pas, tout simplement, fait le choix de la répression à l'égard de l'auteur de l'intrusion ?
L'article 3 bis instaure la notion de négligence caractérisée qui est, pour le moins, juridiquement discutable.
Y a-t-il négligence caractérisée quand le moyen de sécurisation acheté par l'utilisateur ne fonctionne plus un an après son installation ? La question n'est pas idiote.
Qui prévient l'abonné quand ce moyen est devenu obsolète ? Les associations de consommateurs ont déjà démontré que certains moyens de sécurisation très coûteux n'avaient pas d'effet.
Par ailleurs, la question de la distinction entre le titulaire de l'abonnement et l'auteur de l'infraction n'a toujours pas trouvé de réponse.
En outre, il faut signaler que l'abonné ne peut contrôler l'ensemble des utilisateurs de sa connexion. On a souvent parlé de l'enfant mineur, mais d'autres adultes peuvent vivre dans le foyer et, en droit, l'abonné n'a pas les moyens d'exercer de contrôle sur ces derniers. A fortiori, aucune surveillance n'est possible lorsque, par exemple, des contrats de location prévoient l'accès à une connexion commune.
Au-delà des questions juridiques et théoriques que pose la notion de négligence caractérisée, une longue série de problèmes techniques montre bien que l'article 3 bis sera très difficile à appliquer et que, en fait, il sera quasiment impossible de le mettre techniquement en oeuvre.
Article 3 bis
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures vingt, est reprise à vingt-trois heures trente-cinq.)
Dites-nous comment s'est passée cette étape du Tour de France ? (Sourires.)
Je suis heureux d'être à nouveau parmi vous, après deux jours d'absence,…
…surtout au moment où nous abordons l'article 3 bis, car, avec cette disposition, « on entre dans le dur ». (Sourires.)
Certes, je ne partage pas l'avis de Philippe Gosselin, mon collègue de l'UMP. Mais il est important que chacun puisse s'exprimer et, à ce propos, je veux rappeler une fois de plus qu'au cours de ce débat, j'ai pu m'exprimer chaque fois que je l'ai souhaité, ce dont je remercie la majorité.
L'article 3 bis est sans doute, selon moi, le plus aberrant du projet de loi puisqu'il prévoit notamment que le juge pourra prononcer, en cas de négligence caractérisée, la peine complémentaire de suspension de l'accès à internet pour toutes les infractions sanctionnées par une contravention de cinquième classe prévue par le code de la propriété intellectuelle.
Une telle disposition est à l'évidence inconstitutionnelle. En effet, non seulement on prévoit l'application d'une peine complémentaire sans dresser une liste claire et exhaustive des infractions concernées, mais on laisse la porte ouverte au pouvoir réglementaire, qui pourra créer de nouvelles contraventions de cinquième classe sans que le législateur se prononce ni même qu'il en soit informé.
On méconnaît ainsi le champ de compétence de ce dernier, te qu'il est défini à l'article 34 de la Constitution, et notamment le principe de légalité des délits et des peines, ainsi que le principe de proportionnalité, puisque cette peine qui porte atteinte à une liberté fondamentale, la liberté d'expression, sera prononcée pour sanctionner une infraction relevant de la simple contravention.
Mais ce n'est pas tout. En plus d'être inconstitutionnel, cet article sera totalement inefficace. Il prévoit en effet que l'abonné peut être condamné pour négligence caractérisée dans la sécurisation de son accès à internet. Or, comme le Conseil constitutionnel a clairement indiqué qu'il ne saurait y avoir de présomption de culpabilité dans ce domaine, l'HADOPI devra prouver cette négligence caractérisée.
Le simple fait que des téléchargements illégaux aient été réalisés à partir d'un accès à internet après avertissement par l'HADOPI n'étant en rien une preuve – nous en avons déjà largement débattu –, il faudra prouver que l'abonné n'a rien fait pour sécuriser sa ligne. Mais comment l'HADOPI pourra-t-elle réunir ce type de preuves ? L'internaute peut très bien, par exemple, avoir tenté de télécharger sans y être parvenu.
J'ajoute que la sécurisation d'une ligne internet n'est pas une chose simple – on l'a répété maintes fois au cours de ces débats. Au reste, dans l'appel d'offres que le ministère de la culture a récemment lancé pour son site internet, le cahier des charges concernant la sécurisation est très détaillé et impose au prestataire des conditions très lourdes en termes de responsabilité.
C'est bien la preuve que, rue de Valois, certains ont conscience de la difficulté de l'exercice.
Mes chers collègues, nous sommes ici face à un monstre juridique, qui n'échappera pas à la censure du Conseil constitutionnel. Ne laissons pas celui-ci faire le travail à notre place. Il est de notre devoir de faire nous-mêmes le ménage dans ce texte, sinon à quoi servons-nous ? C'est pourquoi je demande la suppression de l'article 3 bis. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, je poursuis ma présentation de ce nouveau coup tordu, après l'ordonnance pénale, qu'est l'invocation de la « négligence caractérisée ». La loi du 10 juillet 2000, qui vise à préciser la définition des délits non intentionnels, fait explicitement référence à la faute de négligence, constitutive d'un délit. Rappelons que cette loi avait pour objet de préciser la responsabilité pénale des élus. Elle est, du reste, d'autant plus remarquable que son décret d'application a été cosigné par notre collègue Christian Paul.
Quoi qu'il en soit, le deuxième alinéa de l'article 1er de cette loi dispose : « Dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement de dommages, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter sont responsables pénalement s'il est établi » – et je vous demande d'être attentif à cette précision – « qu'elles ont soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit » – et j'insiste davantage encore sur ce point – « commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elle ne pouvait ignorer. » Telle est la définition de la négligence caractérisée que donne la loi du 10 juillet 2000.
Force est de constater qu'avec HADOPI 2,…
Madame la présidente, je souhaiterais terminer ma démonstration.
Avec HADOPI 2, disais-je, non seulement on a recours à l'ordonnance pénale, mais on est allé chercher – et j'ignore dans quel esprit pervers a germé cette idée – la négligence caractérisée pour sanctionner, non pas l'auteur d'un téléchargement illégal, mais l'abonné qui n'aurait pas suffisamment sécurisé ou surveillé sa ligne.
J'ajoute, pour conclure, que je je souscris aux excellents arguments développés par Lionel Tardy : cette disposition est évidemment totalement inconstitutionnelle. En tout cas, la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin 2009 n'est pas seulement contournée, elle est directement remise en cause par l'article 3 bis.
Je n'abuserai pas de mon temps de parole, car Patrick Bloche a détaillé de façon particulièrement précise les raisons qui nous conduisent à proposer la suppression de l'article 3 bis.
Les ministres ici présents, qui n'étaient pas en charge de ce dossier lors de l'examen du projet de loi HADOPI 1, doivent essayer de faire mieux que leurs prédécesseurs – peut-être est-ce d'ailleurs une garantie pour durer, s'agissant d'un sujet aussi difficile. C'est pourquoi je souhaite attirer leur attention sur le fait que ce qui est contesté de toutes parts, avec des arguments très sérieux, par tous ceux qui connaissent un peu les technologies de l'information, y compris au sein de l'UMP – et M. Tardy n'est pas le seul dans ce cas –, c'est la question de la sécurisation de l'accès à internet.
Encore une fois, vous mettez en place des digues de sable qui ne tiendront pas. C'est à vous qu'il appartient de démontrer le contraire, c'est-à-dire que les mécanismes proposés sont vraiment efficaces sur le plan technologique. Je pense surtout aux réseaux wifi, omniprésents dans nos villes, que ce soit dans les parcs et jardins de Paris, les universités, les cafés ou les fast-foods. Vous devez nous expliquer comment il sera possible de sécuriser l'accès à l'internet dans les lieux publics. Si ce n'est pas possible, il est clair que votre loi s'effondre comme un château de cartes.
Mme Albanel a tenté, en commission, de nous convaincre qu'une liste noire des sites interdits serait établie. Cette entreprise étant bien évidemment impossible sur le plan matériel, je suppose que vous avez dû réfléchir à d'autres façons de procéder, qu'il vous appartient maintenant de nous exposer. La représentation nationale ne peut pas avancer dans l'examen de l'article 3 bis sans que lui soient fournies des explications précises sur les moyens à mettre en oeuvre pour que les particuliers, mais aussi les organismes publics et les entreprises ayant mis en place des réseaux de type wifi, sécurisent leur accès. En l'absence de réponse satisfaisante de votre part sur ce point, c'est une brèche béante qui s'ouvre dans votre loi.
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour soutenir l'amendement n° 303 .
Si nous étions cyniques, nous ne prendrions même pas part à la discussion de cet article, qui a toutes les chances d'être censuré par le Conseil constitutionnel.
Mais comme vous avez pu le constater, nous ne voulons pas nous contenter d'une attitude politicienne sur ce dossier et essayons d'être constructifs en vous alertant sur ce qui semble largement dépasser les membres de l'UMP, à quelques exceptions près.
La notion de délit non intentionnel soulève des problèmes de droit, évoqués par Patrick Bloche, ainsi que des problèmes matériels. Aucun système de sécurisation n'étant fiable à 100 %, qui peut avoir l'assurance de ne pas être, un jour, victime de personnes indélicates qui viendront se servir de son accès à internet ? Si la loi est votée et que, par extraordinaire, le Conseil constitutionnel ne censure pas cet article, ce sera la fin des accès publics à internet. En effet, aucune collectivité publique, aucun fournisseur d'accès ne prendra le risque de se voir condamner, sachant qu'aucun moyen technique, matériel ou logiciel, ne peut garantir la sécurisation totale d'un réseau.
Il y a là quelque chose de stupéfiant : les ajouts successifs – exclusivement répressifs – qui ont été pratiqués rendent cette loi incompréhensible.
Je pense, chers collègues de la majorité, que le bon sens devrait vous amener à supprimer l'article 3 bis. Sans doute bon nombre d'entre vous sont-ils intimement convaincus du caractère anormal de cet article. En effet, n'importe qui est potentiellement concerné par une utilisation frauduleuse de sa connexion. Il suffit de chercher un peu sur internet, ou simplement de lire la presse, pour se voir expliquer comment pirater une connexion. Ainsi, un article paru dans Le Monde indiquait-il, il y a peu de temps, de quelle manière procéder : il suffit de repérer les réseaux wifi du voisinage et de craquer les mots de passe ; dès lors que vous disposez des clés, vous créez un point d'accès virtuel vous permettant d'utiliser la connexion internet d'un voisin à son insu ; pour éviter d'être repéré, vous mettez en place un routeur diffusant de façon aléatoire des adresses-machine fictives. Si un routeur « conquis » change de mot de passe, le système bascule automatiquement sur un autre signal wifi du voisinage et commence aussitôt à attaquer le nouveau mot de passe.
Il me semble que vous auriez tout intérêt à comprendre cela avant le vote définitif de la loi car, à défaut, vous risquez la censure du Conseil constitutionnel – et si le texte n'était pas censuré, vous iriez au-devant d'un grand nombre de contentieux. Encore une fois, j'en appelle à votre bon sens : vous et les membres de vos familles êtes tous potentiellement concernés par cet article, et vous n'apprécieriez sans doute pas d'être engagés dans de telles procédures à votre insu.
La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour soutenir l'amendement n° 305 .
Le fossé technologique et économique est particulièrement visible entre le monde politique que vous représentez et le monde numérique. L'article 3 bis en est un bel exemple. La négligence caractérisée est l'acte consistant, pour un abonné, à laisser commettre des téléchargements illégaux sur sa ligne après avertissement de l'HADOPI. Or je rappelle que le piratage va toujours plus vite que les moyens de filtrage, et qu'il sera donc toujours possible, pour certains, de prendre le contrôle d'une ligne ou d'un ordinateur.
Deuxième erreur : les coûts de filtrage sont particulièrement élevés. Si un tel filtrage devait exister, il appartiendrait à l'HADOPI de fournir les programmes destinés à l'assurer, afin que les surcoûts imposés par la loi ne pénalisent pas les ménages les plus modestes.
Enfin, internet reste l'un des rares lieux où l'on éprouve encore un sentiment de liberté dans la société que vous nous construisez. Il est impossible à un internaute, en particulier de la tranche d'âge de 15 à 35 ans, de s'adapter à une manière de concevoir l'ordre de cette manière. Vous devriez savoir, monsieur le rapporteur, que les temps, les moeurs et les habitudes changent.
Votre façon d'envisager les problèmes, elle, ne change pas : la jeune génération ressentira forcément le filtrage comme un flicage, et c'est là votre troisième erreur.
Enfin, je rappelle que l'identification d'une adresse IP ayant servi à télécharger des fichiers illégalement n'équivaut pas à l'identification de l'auteur de ces téléchargements.
Tels sont les quelques exemples, parmi d'autres, que je voulais invoquer à l'appui de notre demande de suppression de l'article 3 bis.
Le Gouvernement va toujours plus fort, toujours plus loin dans sa démarche répressive.
Non, malheureusement, tout cela ne vole pas bien haut.
À la peine d'amende, à la prison, à la suspension de l'accès internet avec obligation de continuer à payer l'abonnement, au paiement des frais de résiliation, à la sanction pesant sur les fournisseurs d'accès s'ils ne répercutent pas les injonctions, viennent désormais s'ajouter l'infraction de négligence caractérisée et son corollaire, la présomption de culpabilité. À quel endroit de votre texte vous demandez-vous s'il y a eu intention de la part du titulaire de l'accès à un service de communication en ligne ? Cette préoccupation n'apparaît nulle part ! On assiste à un étrange glissement juridique : de la passivité à la complicité, puis à la présomption de culpabilité, jusqu'à la culpabilité pure et simple.
Ce qui manque également à cet article – introduit, il est vrai, par le Sénat – est l'évaluation de ses conséquences, que seules des études d'impact, auxquelles il n'a pas été procédé, permettraient de mener à bien. Combien de personnes vont être concernées, directement ou en tant que parents ? La discussion des premiers articles de ce projet de loi a donné quelques indications sur le nombre de notifications que la commission de protection des droits enverrait, sur le nombre approximatif de contentieux qui vont venir encombrer les tribunaux – ou le juge unique en cas de procédure simplifiée. Mais pour ce qui est de la négligence caractérisée, nous ne disposons d'aucune estimation.
Pour toutes ces raisons, et pour toutes celles évoquées par les orateurs qui m'ont précédé, je demande la suppression de l'article 3 bis.
La parole est à M. Marcel Rogemont, pour soutenir l'amendement n° 308 .
J'espère qu'à force de nous entendre présenter nos amendements de manière un peu répétitive, vous n'en viendrez pas à penser que nous sommes atteints de psittacisme !
…sur la difficulté devant laquelle vous vous trouvez. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Vous avez en effet choisi de nous entraîner sur un chemin cahoteux, pour ne pas dire chaotique, en entérinant l'article 3 bis.
Avec cet article, vous choisissez délibérément de provoquer des difficultés judiciaires en encombrant les tribunaux. À cet égard, j'attends que Mme la ministre nous indique combien de juges elle a l'intention de recruter.
Sur le plan technique, une vraie question se pose également. Une analyse réalisée par des spécialistes de l'informatique montre à quel point il sera difficile, pour une personne victime des agissements d'individus indélicats ayant piraté sa connexion par des moyens techniques relativement faciles – pratiquement à ma portée, c'est dire ! (Sourires) – d'établir qu'elle ne s'est pas rendue coupable de négligence caractérisée. Il est toujours possible que des téléchargements illégaux se fassent à l'insu d'un utilisateur, même quand celui-ci a pris les précautions requises par l'HADOPI.
La parole est à Mme Martine Billard, pour soutenir l'amendement n° 759 .
Plusieurs points de l'article 3 bis posent problème.
Le premier est le détournement juridique de la négligence caractérisée, qu'a démontré notre collègue Patrick Bloche.
Par ailleurs, il est choquant que l'on puisse incriminer des abonnés innocents, au lieu de poursuivre les personnes qui piratent les connexions internet pour télécharger abusivement – alors qu'un article du code pénal permet en principe de le faire.
Vous avez refusé lors des débats sur la loi HADOPI 1, de même qu'en commission, de garantir l'interopérabilité des logiciels de sécurisation qui devront être mis en oeuvre si nous ne parvenons pas à obtenir la suppression de l'article 3 bis. Ce refus se fait au détriment des logiciels libres. Une centaine d'entreprises travaillant dans le secteur du logiciel libre avaient adressé un courrier à votre prédécesseur, monsieur le ministre, afin de l'alerter sur les conséquences qu'aurait pour elles cet article. La France est particulièrement en pointe pour le développement de ces logiciels libres, qui sont de plus en plus utilisés par les administrations depuis la loi DADVSI de 2006 – y compris par l'Assemblée nationale depuis 2007.
Il est également permis de se demander si la sécurisation de la connexion imposée par l'article 3 bis ne serait pas plutôt un contrôle d'usage. Si l'on se réfère à la loi DADVSI, en particulier à une disposition censurée par le Conseil constitutionnel, il semble que vous fassiez une fixation sur le peer-to-peer : vous voudriez imposer un contrôle d'usage sur le port correspondant au peer-to-peer. Mais c'est oublier qu'il s'agit là d'une technique légale et majoritairement utilisée comme telle, ce qui a justifié la censure du Conseil constitutionnel à l'époque.
Franchement, monsieur le ministre, madame la ministre, vous feriez mieux de retirer cet article. Le maintenir va résolument à l'encontre des objectifs que vous poursuivez. Nous sommes en désaccord sur ce que vous voulez faire mais, sur ce point particulier, je me vois obligée de vous dire que vous allez vous ridiculiser.
Avis défavorable.
Monsieur Bloche, la négligence caractérisée se réfère effectivement à l'article 121-3 du code pénal, qui n'est absolument pas détourné.
L'article 3 bis, à l'issue des travaux du Sénat et de l'Assemblée, est très précis et explique bien le dispositif.
J'en rappelle les termes : «… lorsque le règlement le prévoit, la peine complémentaire définie à l'article L.335-7 peut être prononcée selon les mêmes modalités, en cas de négligence caractérisée, à l'encontre du titulaire de l'accès à un service de communication au public en ligne auquel la commission de protection des droits, en application de l'article L.331-25, a préalablement adressé, par voie d'une lettre remise contre signature ou de tout autre moyen propre à établir la preuve de la date d'envoi, une recommandation l'invitant à mettre en oeuvre un moyen de sécurisation de son accès à internet. »
Un titulaire de l'accès à internet qui n'aurait pas suivi les préconisations de la recommandation, en se référant d'ailleurs à la labellisation des spécifications prévues dans HADOPI pour sécuriser son accès à internet,…
… pourrait se voir sanctionner pour une contravention de négligence si des téléchargements illégaux continuaient à se produire depuis son accès internet.
Madame Billard, si ces téléchargements illégaux ont toujours lieu alors que tous les moyens ont été mis en oeuvre pour sécuriser son accès à internet, le titulaire de cet accès ne sera pas sanctionné.
J'ai entendu un certain nombre d'approximations, voire d'erreurs. Vous me permettez donc de rappeler, un peu longuement peut-être mais de manière très précise, différentes notions de droit.
Nous avons en effet le devoir de dire très clairement les choses.
S'agissant du problème de la constitutionnalité de la mesure, soulevé à la fois par M. Tardy, M. Bloche, M. Gagnaire et quelques autres, je veux d'abord préciser que, conformément à l'article 34 de la Constitution, la détermination des contraventions, à la différence de la détermination des crimes ou des délits, relève du pouvoir réglementaire, et non de la loi. Il est donc normal que l'article 3 bis, qui prévoit la possibilité de sanctionner par une peine de suspension de l'accès à internet une contravention de négligence caractérisée, renvoie à un décret en Conseil d'État. Le principe de la peine de suspension d'un mois pour les contraventions de la cinquième classe doit être posé par la loi tandis que la définition de la contravention punie de cette peine doit être prévue, elle, par décret en Conseil d'État.
Cela étant, le renvoi au décret opéré par l'article 3 bis est très précisément encadré par le législateur puisqu'il exige que cette contravention soit constituée par une négligence caractérisée intervenant après que l'abonné aura fait l'objet de la part de l'HADOPI, moins d'un an auparavant, d'une recommandation l'invitant à sécuriser sa connexion.
Il n'y a donc, sur le plan juridique, aucune incompétence négative dans cette disposition, qui n'est aucunement évasive. Elle indique au contraire très clairement ce que devra être cette contravention. À la lecture de l'article, il apparaît bien que cette contravention ne saurait instituer une présomption de culpabilité, ce qui aurait été contraire aux règles constitutionnelles.
Voilà pour l'aspect constitutionnel des choses.
Venons-en maintenant à la notion de négligence caractérisée qui vous pose un certain nombre de problèmes.
La contravention sanctionnera donc une négligence caractérisée. C'est une négligence précisément définie et encadrée : ce n'est pas n'importe quelle négligence. C'est une situation intermédiaire entre, d'une part, l'aspect purement matériel de la contravention, qui n'a pas besoin d'une intention – c'est un de nos grands principes juridiques – et, d'autre part, l'intention nécessaire au délit. Celui-ci ne saurait être, en effet, qu'intentionnel.
Nous n'avons pas inventé cette notion.
En effet, monsieur Bloche. Cette notion n'est pas juridiquement nouvelle puisqu'elle figure à l'article 121-3 du code pénal depuis la loi du 10 juillet 2000. Ce n'est donc pas notre majorité qui l'a inventée.
Le Gouvernement ne prétend nullement que ces dispositions s'appliquent à la nouvelle contravention : il observe simplement que la notion utilisée n'est pas nouvelle et qu'elle a été créée par une loi que vous avez élaborée.
Il appartiendra donc au juge d'apprécier l'existence de la négligence caractérisée, qui devra d'ailleurs être démontrée par l'accusation. C'est la raison pour laquelle je n'ai cessé de répéter qu'il n'y a pas de présomption de faute : c'est l'accusation qui doit faire la démonstration. Cela signifie que la négligence pourra être principalement caractérisée, pour le titulaire d'un abonnement à internet qui aura été préalablement averti à deux reprises, par le fait de ne pas avoir mis en place un dispositif de sécurisation alors que la recommandation précise lui en aura été faite par l'HADOPI.
En tout état de cause, la contravention de négligence caractérisée ne pourra réprimer que des manquements précis de l'abonné à son obligation de surveillance de son accès à internet.
Alors, comment sécuriser ? C'est très clair : la loi n'impose aucun type de sécurisation en particulier.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Cela vaut mieux !
Il appartient à l'abonné d'utiliser les solutions informatiques qui seront proposées, soit à titre gratuit, soit à titre payant. Ce n'est pas la défaillance de la technologie qui sera sanctionnée par la contravention : ce sera l'absence de réaction de l'abonné après les recommandations.
La contravention de négligence caractérisée crée donc pour l'abonné une obligation, non pas de résultat, mais de moyens. Il y a là de quoi rassurer ceux qui, de bonne foi, pouvaient craindre la suspicion voire l'impossibilité de garantie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
On va avoir du boulot sur cet article ! Après les explications de Mme la garde des sceaux, on a en effet le sentiment qu'il est encore plus tordu qu'on ne le pensait.
C'est vous qui avez l'esprit tordu ! (Sourires.)
Mais non, madame la ministre ! Si on se connaissait mieux, vous sauriez que je suis un esprit très simple.
Je laisse de côté la distinction entre la loi et le règlement, le principe de la peine dans la loi. Ce sera l'objet des amendements suivants. Pour le reste, nous n'avançons pas. Vous nous dites que l'abonné aura reçu un mail d'avertissement puis une recommandation, qu'il aura donc été informé à deux reprises qu'on télécharge illégalement depuis sa connexion et que, dès lors, il doit avoir été amené à réagir. Mais vous partez d'une hypothèse faussée s'agissant de la réception du mail d'avertissement et de la recommandation. Nous vous avions demandé que cette dernière fasse foi. Certes, vous avez fait un geste en parlant de présentation. Mais rien n'indique que l'abonné aura reçu le mail d'avertissement et la recommandation.
Vous dites ensuite qu'il y aura obligation de moyens et non de résultat. Mais vous vous donnez la facilité de n'apporter aucun élément d'information sur les moyens de sécurisation que l'abonné sera obligé d'installer s'il veut s'en sortir. Nous ignorons tout de ces moyens, si ce n'est qu'ils risquent d'être très coûteux pour l'internaute. Dans quelle mesure seront-ils interopérables et adaptés à toutes les configurations informatiques ? Nous pensons tout particulièrement aux logiciels libres.
S'agissant de l'inconstitutionnalité, nous considérons plus que jamais que les articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui ont valeur constitutionnelle, sont violés par cet article 3 bis. Je rappelle le principe qu'ils posent : nul n'est punissable que de son propre fait. En l'occurrence, l'abonné sera punissable pour le fait d'un autre.
Certes. Mais il faut surtout penser à ceux qui seront concernés par cette négligence caractérisée. Il y aura des spécialistes du piratage, qui, eux, sauront contrer ces dispositions. Et il y aura surtout la fameuse ménagère de moins de cinquante ans ou de soixante ans…
Il y en a aussi dans cet hémicycle, des ménagères de cinquante ans. Un peu de respect pour vos collègues, monsieur Tardy ! (Sourires.)
Regardez seulement sur vos installations informatiques privées comment sont mis à jour vos anti-virus. La plupart du temps, ils ne le sont pas alors que le système semble simple : on prend un abonnement, on le met à jour régulièrement et tout devrait bien se passer. Sauf que le dispositif peut être désactivé parce qu'on a eu besoin de charger autre chose et qu'on a oublié de le réactiver.
Le même problème se posera si l'on commence à mettre en place des logiciels de sécurisation. Qui s'occupera du paramétrage, par exemple ? Chaque citoyen ne pourra pas se payer un informaticien.
C'est pour cela qu'il s'agit d'une obligation de moyens !
Tous ces abonnés auront essayé, en toute bonne foi, de se protéger mais ils se feront tout de même piéger parce qu'ils auront mal paramétré leur système. Vous dites, madame la garde des sceaux, qu'il suffit d'avoir prouvé qu'on a fait la démarche. Mais ce n'est pas carré. Il ne suffira pas d'avoir acheté le logiciel pour ne pas être condamné. Le problème est plus complexe, et certains cas seront très difficiles à apprécier.
(Les amendements identiques nos 14 , 20 , 25 , 300 à 308 et 759 ne sont pas adoptés.)
L'article 3 bis parle de « négligence caractérisée », et vous avez rappelé, madame la ministre, que l'on était dans le cadre de délits non intentionnels. Je vous renvoie néanmoins à l'article 121-3 du code pénal, qui parle, d'une part, d'une obligation « violée de façon manifestement délibérée » – ce qui, dans notre cas, implique que l'absence de sécurisation de la ligne ait été délibérée –, et, d'autre part, d'une « faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles [les personnes physiques] ne pouvaient ignorer. »
Prises après le drame de Furiani, ces dispositions visaient – M. Christian Paul qui a signé le décret d'application peut en témoigner – à préciser la responsabilité des maires dans les cas, par exemple, de chute d'un panier de basket ou d'accidents d'infrastructures dans les stations de ski. C'est pour cela qu'il est fait explicitement référence à des fautes d'une particulière gravité exposant la vie d'autrui. Avouez que le rapport est plus que lointain avec le fait de ne pas avoir suffisamment sécurisé sa ligne internet ! Le rattachement à la négligence caractérisée me semble tiré par les cheveux !
La loi citée par Mme la garde des sceaux me paraît tout aussi éloignée que le code de la route et les chauffards évoqués par le ministre de la culture de l'infraction qui nous occupe et où la vie d'autrui n'est pas mise en cause. C'est de la diabolisation, de la disproportion, et donc de la démesure.
Je voudrais revenir à l'étonnante démonstration que nous a proposée la garde des sceaux. Il est difficile en effet, après l'avoir écoutée, de comprendre ce qui va se passer après le vote de la loi. On a l'impression que le Gouvernement, effrayé par les conséquences de ce texte, hésite entre un dispositif réellement efficace – au risque de l'arbitraire – et un dispositif troué comme un gruyère, ainsi qu'en témoigne la référence à une simple obligation de moyens, qui lui ôte toute efficacité.
C'est pour cela que nous nous opposons à cette loi sur deux fronts ; d'une part, à cause de son caractère arbitraire, qui est un danger pour les libertés ; d'autre part, à cause de son inefficacité, puisque cette loi, dangereuse dans son principe peut se révéler totalement inapplicable.
J'ajoute qu'on ne nous a toujours pas répondu sur le wifi. Et Mme Alliot-Marie aura sans doute beaucoup de difficulté à nous répondre pour la simple raison qu'elle était il y a peu encore à la tête du ministère de l'intérieur, lequel n'a jamais voulu mettre en place de systèmes wifi, sachant parfaitement qu'ils ne pouvaient être sécurisés. J'aimerais donc que ce qui était vrai il y a quelques jours pour le ministère de l'intérieur le soit encore aujourd'hui pour le ministère de la justice et que vous arriviez, madame la garde des sceaux, à comprendre ce que sont les technologies de l'information.
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour défendre l'amendement n° 312 .
La première recommandation faite aux sociétés qui souhaitent se préserver de l'espionnage industriel, c'est de couper les liaisons wifi, qui peuvent être piratées par n'importe quel petit malin installé au portail de l'entreprise, y compris lorsqu'elles sont équipées de systèmes de protection perfectionnés.
Par ailleurs, vous mesurez mal la réalité technologique des foyers français. À la différence des entreprises, dotées de serveurs sécurisés par lesquels transitent les flux entrants et sortants, les foyers sont au mieux équipés de petits routeurs, les boîtiers ADSL fournis par les opérateurs et sur lesquels on peut brancher plusieurs ordinateurs reliés à la même adresse IP. Et il est fort possible, lorsque l'on s'abonne, de sécuriser l'ordinateur à partir duquel on installe sa connexion, sans pour autant penser à sécuriser les autres ordinateurs, ceux-ci pouvant fort bien avoir été installés à une date postérieure à celle de l'abonnement.
L'assise matérielle et technique des dispositions juridiques que vous vous apprêtez à mettre en oeuvre est donc plus qu'incertaine. C'est une abomination contre laquelle le Conseil constitutionnel sera amené à prononcer la censure !
L'internaute, si j'ai bien compris, va être soumis à une obligation de moyens pour sécuriser sa connexion à internet. J'aurai donc quelques questions concrètes à vous soumettre, madame la garde des sceaux. Allez-vous imposer un niveau minimal de protection ?
Comment allez-vous vérifier par la suite que cette obligation de moyens aura été remplie ? Suffira-t-il d'avoir acheté le logiciel ? Faudra-t-il prouver qu'on l'a installé ? Dans le cas de mises à jour, faudra-t-il prouver qu'elles ont été effectuées ? Bref, comment comptez-vous vérifier l'ensemble de ces points ?
La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour défendre l'amendement n° 314 .
Cet article inique pose également le problème des très petites entreprises, de moins de dix salariés.
Les pharmacies, en effet, sont obligées de travailler sur internet pour les télétransmissions de dossiers et les demandes de remboursement – carte Vitale oblige. Vous avez beau sécuriser votre connexion, vous n'êtes pas à l'abri, avec cinq, six ou sept salariés, d'un téléchargement illégal de temps à autre, par exemple lors des gardes de nuit.
Comment appliquer la loi dans ces entreprises ? Allez vous les mettre en danger de trésorerie en leur coupant internet ? Vous secouez la tête, monsieur le rapporteur, mais il s'agit d'une question concrète. Vous avez concocté cette loi pour quelques personnes sur commande de l'exécutif, mais vous oubliez la réalité économique de notre pays et le maillage de très petites entreprises qui doivent survivre ! J'ignore combien il y a de concessionnaires de voitures en France, monsieur Riester, mais il y a vingt-trois mille pharmacies.
Nous demandons donc la suppression, à l'alinéa 2, des mots : « lorsque le règlement le prévoit », afin de protéger ces petites entreprises : seul le législateur doit être compétent.
Puisqu'il est question d'un règlement à l'alinéa 2, nous aimerions avoir plus de précisions sur ce règlement et savoir s'il existe déjà. Nous considérons en tout cas que c'est à la loi de fixer les conditions d'application de cet article.
Un point dans votre exposé m'a beaucoup intrigué, madame la garde des sceaux. Il s'agit de la contradiction constante qui existe entre votre volonté méticuleuse de traquer les fraudeurs et votre crainte du Conseil constitutionnel – qui vous a déjà attrapé une fois –, laquelle vous pousse à vous contenter de sabres de bois en imaginant des échappatoires. Il est par exemple écrit que la personne suspectée de négligence caractérisée devra avoir reçu une recommandation l'invitant à mettre en oeuvre un moyen de sécurisation. Or tous les moyens de sécurisation, y compris ceux dont on sait qu'ils sont inefficaces, seront considérés comme remplissant l'obligation de moyens.
La parole est à M. Marcel Rogemont, pour défendre l'amendement n° 317 .
Votre discours était intéressant, madame la ministre, notamment sur les aspects techniques. Vous parlez d'une obligation de moyens et non de résultat. Le juge appréciera si elle a été remplie.
Quant à l'HADOPI, elle saura évaluer les dispositifs, distinguer parmi eux ceux qui sont efficaces. Il faudra donc absolument qu'elle en informe les internautes, car il ne faut pas croire que tous les citoyens possèdent le même degré d'information que les membres de la Haute autorité ou connaissent un informaticien ou un passionné qui pourrait les aider : Pierre, Paul ou Jacques.
Pas moi, en tout cas !
La question d'une labellisation des systèmes par l'HADOPI se pose donc.
Imaginons d'autre part un restaurateur dont l'établissement est équipé du wifi.
Il est impossible que ce restaurateur surveille tous ses clients, sauf à installer des dispositifs très pointus. J'aimerais vous entendre sur tous ces aspects techniques.
Faites-vous élire à la présidence de l'Assemblée nationale, monsieur Jacob !
Dès lors que des moyens auront été mis en oeuvre pour sécuriser l'accès à internet après l'envoi de recommandations, il n'y aura guère de problèmes, y compris pour les pharmacies. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Laissez-moi répondre ! Je n'ai que deux minutes, vous en avez vingt à chaque fois ! Vous pourrez ensuite répondre à ma réponse.
Dès lors que la pharmacie aura sécurisé son accès à internet après les avertissements successifs, si le téléchargement illégal continue, l'obligation de moyens ayant été satisfaite, il n'y aura pas de risques que cette pharmacie soit condamnée, et donc que sa connexion soit suspendue.
Quant aux bonnes spécifications de sécurisation, il suffira de se renseigner auprès de l'HADOPI, monsieur Rogemont : la loi HADOPI 1 prévoit parmi ses missions la labellisation des spécifications en matière de sécurisation.
Plus largement, un vrai sujet de travail pour nous, et pour tous ceux et celles qui s'intéressent à la question informatique, va émerger dans les années qui viennent : c'est précisément la sécurisation des accès à internet. Je suis convaincu que, grâce à cette loi et grâce à l'HADOPI, un grand nombre d'entreprises, menacées par l'espionnage industriel, et un grand nombre d'individus, menacés dans leurs libertés et dans leur vie privée, vont s'apercevoir que leur accès à internet est piraté, et donc le sécuriser. Il y a là, devant nous, un vaste chantier. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Je vais essayer de répondre le plus concrètement possible.
Monsieur Bloche, vous avez retracé l'origine de la notion de négligence caractérisée. Je veux simplement vous rappeler que quand on crée par la loi une notion ou un principe juridique, on ne le fait pas pour un cas particulier. C'est toute la différence entre le droit dit « romain », qui s'applique en France et qui est la base de nos codes, et le droit anglo-saxon, dans lequel on légifère effectivement pour des cas d'espèce. En droit romain, les notions nouvelles ont vocation à vivre et à s'étendre à tous les cas auxquels la définition générale qui en est donnée est susceptible de s'appliquer.
Monsieur Paul, le projet de loi prévoit effectivement que le juge appréciera les efforts de sécurisation in concreto. Cela veut dire qu'il appartiendra aux abonnés – pour que le juge estime qu'ils ont fait preuve du sérieux et de la surveillance que l'on attend d'eux – d'installer les clés de sécurisation qui leur seront proposées par les fournisseurs d'accès.
La loi ne demande pas aux abonnés d'installer un système infaillible : à l'évidence, l'abonné ne sera pas responsable de pirates qui détourneraient les moyens de sécurisation.
Cela veut dire que le juge raisonnera en usant d'un concept que vous connaissez bien, et qui s'applique dans notre droit à de nombreuses situations : le principe du bon père de famille. Nous n'allons pas demander à l'abonné d'être un expert capable de s'opposer à tout pirate, mais simplement d'avoir fait, selon la formule consacrée, les « diligences nécessaires » pour montrer qu'il a pris l'avertissement au sérieux.
Madame la ministre d'État, il serait bon de sortir de cette discussion sur l'article 121-3 du code pénal pour aller vers l'essentiel. Toutefois, je persiste et je signe : si j'ai rappelé le contexte historique dans lequel, il y a neuf ans, cette loi avait été votée, c'est pour montrer qu'elle visait un objectif foncièrement différent de celui qui nous occupe aujourd'hui. Mais la règle est établie bien sûr pour tous les cas.
Je me permets seulement de vous relire l'avant-dernier alinéa de l'article 121-3 :
« Dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage » – nous y sommes – « mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter » – ici, le fait de ne pas avoir mis en place des moyens de sécurisation –, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer. »
Ainsi, la négligence caractérisée est établie soit lorsqu'il y a eu viol manifestement délibéré d'une obligation particulière, soit lorsqu'a été commise une faute grave exposant la vie d'autrui.
Je veux bien qu'on oublie le contexte dans lequel la loi a été votée il y a neuf ans, mais je répète qu'aller chercher la négligence caractérisée pour sanctionner un abonné n'ayant pas respecté l'obligation de moyens concernant la sécurisation de sa ligne, je trouve que c'est au mieux tordu, et plus probablement, de la part de ceux qui ont écrit ce projet de loi, particulièrement pervers.
(Les amendements identiques nos 309 à 317 ne sont pas adoptés.)
Je suis saisie d'un amendement n° 729 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Monsieur le ministre, en vous regardant tout à l'heure, je m'imaginais combien vous deviez regretter la villa Médicis.
Mais non !
Tout à fait. Je suis ravi d'être ici et d'avoir fait votre connaissance. (Sourires.)
Ce n'est pas le moins important, je suis d'accord avec vous. (Rires.)
Ce texte, évidemment inapplicable, résulte d'une posture idéologique. Madame la ministre d'État, vous nous disiez tout à l'heure qu'en cas de problème, il suffirait de se renseigner auprès de l'HADOPI. Mais revenons à des choses simples et laissons le droit romain où il est : j'imagine mal que vous alliez expliquer le droit romain à Mme Michu, qui a quatre-vingt-quatre ans…
M. Michu aussi, d'accord. Pour lui également, vous voyez bien que cela ne tient pas la route.
Laissez-moi donc m'expliquer, monsieur Gosselin.
Autres exemples : vous accueillez chez vous des amis étrangers et vous leur prêtez votre maison ou votre appartement ; ou bien les petits-enfants s'installent à l'ordinateur pendant que leurs grands-parents dorment. Vous savez bien que vous mettez la personne qui a contracté l'abonnement dans une situation complètement impossible ! Va-t-on obliger les grands-parents à dénoncer leurs petits-enfants ?
Monsieur Riester, vous soufflez. Mais il fallait souffler avant ! Il fallait souffler sur votre projet. S'il n'était pas arrivé jusqu'ici, nous aurions évité ce débat irréel.
Le recours à la notion de négligence caractérisée est révélateur des conditions d'amateurisme dans lesquelles cette loi a été rédigée.
Ils ne peuvent même pas s'expliquer clairement, madame la présidente. On nage en plein délire.
Je suis sûr, monsieur le ministre, que vous pouvez faire appel à votre Marx préféré – Groucho – pour faire une lecture intelligente de votre projet de loi. (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Que vois-je ? Les conseillers des ministres n'ont pas à faire de signes à la présidence, enfin !
Un peu de silence, s'il vous plaît.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement de M. Brard ?
Fondé sur l'article 58, alinéa 1.
Madame la présidente, pourriez-vous rappeler que dans cet hémicycle, seuls les parlementaires et les ministres peuvent s'adresser à vous ? Les conseillers des ministres n'ont pas à faire de remarques à la présidence sur le temps de parole.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Nous avons très bien vu !
Évidemment, quand on n'a pas d'arguments, on évite la confrontation. Et quand le rapporteur ou Mme la ministre d'État se contentent de dire « avis défavorable », cela démontre bien leur impuissance à justifier la légitimité de ce qui nous est proposé.
En réalité, la négligence sera uniquement constatée à partir des mêmes relevés d'adresses IP que ceux des présomptions de contrefaçon, fournis par les polices privées de l'industrie du divertissement. Ce seront les mêmes preuves sans valeur, mais irréfragables, auxquelles il est impossible de s'opposer.
Le juge n'aura aucun moyen d'apprécier la réalité de cette négligence à partir des dossiers si mal ficelés de l'HADOPI. C'est la porte ouverte aux accusations les plus infondées contre des personnes de bonne foi, mais qui n'auront pas eu les moyens matériels de contrôler ceux qui auront véritablement téléchargé. Vous instaurez une possibilité de répression aveugle. S'en remettre au juge sans lui donner des conditions claires d'appréciation, c'est ouvrir, vous le savez bien, la voie à l'arbitraire.
Nous sommes subjugués par votre acharnement, par votre entêtement, par votre aveuglement. Vous ne voulez pas céder, vous ne voulez pas nous entendre – et pourquoi ? Parce qu'il l'a dit : « J'irai jusqu'au bout. » Mais ce qu'il ne vous a pas dit, c'est au bout de quoi il vous emmènerait !
Je suis saisie d'un amendement n° 727 .
La parole est à Mme Martine Billard.
Madame la ministre d'État, je voudrais d'abord revenir sur l'obligation de moyens.
Les logiciels dont il est question figurent-ils sur une liste établie par l'HADOPI ? Je note que cette liste doit être transmise en même temps que l'observation – si les personnes devaient aller voir sur le site de l'HADOPI ou je ne sais où, cela n'aurait aucun sens. Ou bien, puis-je – pour remplir cette obligation de moyens – me référer aux travaux parlementaires sur la loi HADOPI 1, notamment aux propos de Mme Christine Albanel, et utiliser le pare-feu d'Open Office ? C'est une simple question. (Sourires.)
D'autre part, comment pourra-t-on faire la démonstration que l'on a acheté le pare-feu d'Open Office, ou un logiciel de sécurisation figurant sur une liste établie par l'HADOPI ? On peut, à la limite, donner son ticket de caisse. Mais ensuite, comment prouver que le logiciel est installé, comment prouver qu'il est activé ?
On en revient à ce qui a été dit au moment de la loi HADOPI 1 : la Haute autorité sera connectée aux ordinateurs des abonnés concernés pour vérifier que ces logiciels sont installés. Cela pose, de surcroît, le problème des box : c'est un grand mystère – mais sans entrer dans ces détails, cela veut dire, madame la ministre d'État, qu'on en revient au mouchard permanent.
Ah, non, vous ne pouvez pas vous en sortir comme ça ! Ce n'est pas parce que Mme Billard vous a coincés…
Mais non ! Mme Billard continue notre démonstration et pose des questions techniques très précises. Je vais d'ailleurs en ajouter d'autres. Nous avons en effet une mission essentielle : nous faisons la loi – et la loi s'appliquera à des dizaines de millions de nos concitoyens.
Première question : y aura-t-il en permanence des mouchards installés sur les ordinateurs de nos concitoyens ?
Deuxième question : l'installation et l'activation, ce n'est pas la même chose. Le rapporteur a dit qu'il fallait mettre en oeuvre une sécurisation. Cela signifie-t-il qu'il faut acheter un moyen de sécurisation, montrer le ticket de caisse et simplement installer ce moyen de sécurisation ou faut-il également l'activer ? Il faut que vous précisiez ce que veut dire « mise en oeuvre ».
Troisième question, en quoi consistent ces clefs de sécurisation que vous évoquez régulièrement ?
Enfin, je note avec satisfaction que Mme la garde des sceaux n'a pas parlé d'obligation de résultat. Mais comment prouver qu'on a satisfait à l'obligation de moyens ? Si nous sommes non dans la culture de l'aveu mais dans la culture de la preuve, comme Nicolas Sarkozy le souhaitait, le 7 janvier dernier, en présentant ses voeux aux magistrats, se pose, comme pour le délit de contrefaçon, le problème de la charge de la preuve. Cette charge pèse sur l'internaute, nous l'avons compris. Vous ne pouvez nous empêcher de considérer que tout votre dispositif place l'internaute dans une présomption de culpabilité permanente.
En tout cas, nous aimerons avoir des réponses à ces questions précises.
J'ai déjà répondu, j'ai la note sous les yeux !
Je vais répondre aux questions précises de M. Bloche.
Il n'y a pas d'inversion de la charge de la preuve, c'est au parquet de justifier qu'il y a bien eu négligence, ce n'est pas à l'abonné de justifier en permanence qu'il a bien sécurisé son accès internet.
Si le téléchargement illégal se poursuit après deux recommandations, l'HADOPI transmettra le dossier au parquet ; le parquet constituera un dossier qu'il transmettra ensuite au juge. Si celui-ci a suffisamment de preuves pour justifier une négligence caractérisée, alors et alors seulement, le titulaire de l'accès internet devra répondre et se défendre de l'incrimination.
Prouver qu'il a installé des clefs.
Il devra se défendre quand il y aura incrimination. Mais il ne devra pas justifier en permanence…
Maintenant, c'est tout l'inverse, madame Billard. HADOPI 1 parlait de défaut de surveillance, HADOPI 2 parle de négligence caractérisée. Ce sera bien au parquet et ensuite au juge de qualifier la négligence caractérisée.
C'est vrai, il faut y retourner !
(L'amendement n° 727 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 725 .
La parole est à Mme Martine Billard.
Dans HADOPI 2, il n'y aura donc plus, monsieur le rapporteur, de mouchard permanent sous contrôle de l'HADOPI. Mais quand le parquet lui demandera de se justifier, l'internaute devra se défendre et prouver qu'il a bien protégé sa connexion. Or vous savez très bien que la preuve est difficile à apporter. Le ticket de caisse ne prouve rien si ce n'est que l'internaute a acheté le logiciel. Soit le parquet demande une perquisition pour vérifier que le logiciel de sécurisation est bien installé et activé sur l'ordinateur ou sur la box, soit cette disposition n'est que de la poudre aux yeux parce qu'il n'existe aucun moyen de prouver ce que vous demandez.
Je prends acte du recul sur le mouchard espion permanent. J'espère que ce recul sera réel.
J'ai un doute parce que je sais qu'une personne y était très attachée, mais je veux bien vous croire, monsieur le rapporteur. J'espère que M. le ministre de la culture ou Mme la garde des sceaux confirmera ce choix.
Dans ce cas, il est clair que cet article ne sert plus à rien ; vous le gardez simplement parce que vous ne voulez pas assumer sa suppression.
Après ce qu'elle vient de dire, je m'étonne que Mme Billard ne retire pas son amendement puisque, visiblement, elle est satisfaite par un certain nombre d'éléments qui ont été fournis par le rapporteur et par nous-mêmes.
En tout cas, si elle maintenait son amendement, l'avis du Gouvernement serait défavorable.
Je pensais, madame la garde des sceaux, que l'amendement que vous nous aviez demandé de rectifier serait distribué en séance.
Oui, mais c'est l'amendement n° 726 rectifié .
Merci.
(L'amendement n° 725 est retiré.)
Je suis saisie d'un amendement n° 724 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Si vous le voulez bien, madame la présidente, j'évoquerai également l'amendement n° 726 rectifié , cela nous fera gagner du temps.
Auparavant, je voudrais donner une information qui ne manque pas de sel.
La Chine a pensé récemment imposer un logiciel de contrôle parental qui aurait dû être installé sur tous les ordinateurs mais y a finalement renoncé. En effet, ce logiciel n'était pas exempt de failles de sécurité, et des particuliers avertis auraient pu exploiter ces failles, faisant ainsi courir un risque majeur en termes de sécurité informatique.
Afin de se prémunir contre toute sanction, les internautes français seront poussés, à cause de l'article 3 bis, à installer systématiquement des logiciels de sécurisation, et les réseaux français courront le même risque. On peut se demander si vous n'êtes pas en train de conduire la France sur une voie dans laquelle même la Chine a renoncé à s'engager.
C'est dire à quel point votre texte est liberticide, si l'exemple chinois est meilleur que le vôtre.
L'amendement n° 726 rectifié est de coordination avec notre amendement n° 852 adopté hier soir à l'unanimité. Il s'agit de tenir compte de la date de réception par l'abonné de la recommandation envoyée par la commission de protection des droits avant le prononcé de la peine définie à l'article L.335-7 plutôt que la date d'envoi de cette recommandation.
Notre précédent amendement ayant reçu un avis favorable du Gouvernement et de la commission, nous devrions bénéficier, par cohérence, de la même approbation.
En présentant son amendement n° 724 , M. Brard a également engagé le débat sur l'amendement n° 726 rectifié .
Monsieur le rapporteur, quel est l'avis de la commission sur ces deux amendements ?
Avis défavorable sur l'amendement n° 724 et avis favorable sur l'amendement n° 726 rectifié , puisqu'il s'agit en effet d'un amendement de coordination.
Je ne comprends pas que M. Brard garde l'amendement n° 724 . À mon avis, il devrait le retirer.
Quant à l'amendement n° 726 rectifié , il recueille notre approbation et, je pense, celle de toute l'Assemblée.
J'adhère à votre proposition, madame la garde des sceaux, mais j'espère que vous avez bien entendu ce que j'ai dit sur la Chine.
Je pense en effet que Nicolas Sarkozy, qui est toujours influencé, fasciné par les puissants…
Si, si, madame Alliot-Marie, il faut le dire. Je pense que M. Sarkozy veut surpasser M. Jintao. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
(L'amendement n° 724 est retiré.)
L'amendement n° 726 rectifié est en discussion commune avec les amendements identiques nos 318 à 326 .
La parole est à M. Patrick Bloche.
Madame la présidente, à cette heure très tardive, pour montrer notre bonne volonté et compte tenu du vote prévisible de l'amendement n° 726 rectifié de Martine Billard et Jean-Pierre Brard, je retire, avec l'accord des signataires présents, les amendements nos 318 à 326 .
Prochaine séance, ce matin, vendredi 24 juillet 2009, à neuf heures trente :
Suite du projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet.
La séance est levée.
(La séance est levée, le vendredi 24 juillet 2009, à zéro heure cinquante-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma