La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
Sur quel article fondez-vous votre rappel au règlement, monsieur Brard ?
Comme d'habitude, madame la présidente, sur l'alinéa 1er de l'article 58. Nous sommes en fait à la limite du fait personnel. Cette nuit, à une heure fort avancée, M. le ministre Mitterrand a dit que j'étais le dernier marxiste de la tendance Groucho. Monsieur le ministre, vous, vous êtes mitterrandiste, à double titre. À titre privé, c'est votre affaire, et à titre public, vous l'êtes de fait : vous êtes mitterrandiste de la tendance « Sarko ». Et je vous le dis, monsieur le ministre : il vaut mieux marcher seul que mal accompagné. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Mon rappel au règlement se fonde sur l'article 58, alinéa premier, pour faire référence aux articles 57, alinéa 3, et 56. Au troisième jour de la discussion de ce projet de loi, nous nous apercevons un peu plus à chaque séance qu'il est totalement différent du projet voté en mai par le Parlement et censuré un mois plus tard par le Conseil constitutionnel.
C'est normal d'ailleurs. Le Conseil constitutionnel ayant décidé que seul le juge peut suspendre l'accès à internet, ce nouveau projet est de nature pénale, et Mme la garde des sceaux est au banc du Gouvernement.
Si je rappelle ces faits à nos collègues du groupe UMP, c'est pour souligner également que nos amendements ne sont pas une répétition de ceux qui nous avons présentés sur le projet HADOPI, puisque c'est la première fois que nous évoquons une controverse juridique, ce qui nous a conduits à rédiger des amendements totalement nouveaux.
C'est pourquoi, ayant à l'esprit l'article 57, alinéa 3, je pense qu'il est préférable que la discussion puisse se poursuivre sur chaque article. Je rappelle aussi l'existence de l'article 56 car nous posons nombre de questions que, sans trop de prétention, je dirai pertinentes, et nous attendons beaucoup des réponses du Gouvernement. Après tout, en soulevant ces problèmes juridiques, et en particulier les problèmes d'inconstitutionnalité, nous avons le sentiment de vous rendre service. Si nous le faisons, c'est que seul l'intérêt général nous motive.
J'entends bien que vous vous adressez essentiellement au groupe UMP. Le règlement prévoit que lorsque la clôture de la discussion est demandée, je dois mettre aux voix cette demande. Comme vous pouvez le penser, je respecterai le règlement à la lettre.
Hier soir, l'Assemblée a poursuivi l'examen des articles, s'arrêtant à l'amendement n° 830 portant article additionnel après l'article 2.
Que l'on s'adresse au groupe UMP est beaucoup dire, car ses rangs sont bien clairsemés. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Cet amendement vise à traiter la reproduction d'une oeuvre à des fins personnelles différemment des délits de contrefaçon mentionnés à l'article L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle. Lors de l'examen de la loi DADVSI en 2006, l'Assemblée avait voté une telle disposition. Pour ce qui peut s'assimiler à de la copie privée et à une reproduction à des fins personnelles, l'article L. 122-5 du code prévoit une exception à la contrefaçon proprement dite, dont les fins sont commerciales. Il est en effet impensable de sanctionner de la même manière deux pratiques qui ne relèvent pas de la même logique. Il ne viendrait à l'idée de personne de sanctionner un mélomane, comme vous, monsieur le ministre, pour avoir réalisé un enregistrement à partir d'une cassette audio qu'on lui aurait prêtée ou qu'il aurait lui-même téléchargée, comme vous l'avez fait pour la Callas, et qu'il prêterait à un ami qui pourrait en faire de même. C'est ainsi que depuis toujours se diffuse la culture, non au mépris des droits des auteurs, mais dans un esprit de révérence à leur égard. Je suis sûr que nos collègues partageront cette position de bon sens.
La commission a émis un avis défavorable. D'abord, monsieur Brard, si vous copiez à des fins personnelles un CD que vous avez acheté, vous agissez dans le cadre de l'exception pour copie privée. Le problème se pose différemment lorsque l'oeuvre n'est pas acquise à l'origine de façon payante et donc légale. Il y a des actes de piratage dépourvus de visée commerciale qui font des dégâts considérables. Ainsi le téléchargement des films qui sortent en salle représente des manques à gagner considérables pour les ayants droit du cinéma.
Cet amendement est en contradiction avec la logique même du projet de loi. Il y aura bien entendu des traitements différents selon les circonstances dans lesquelles le délit sera commis, mais ce sera au juge d'en décider.
Il est courant que des personnes copient une oeuvre qui est enregistrée sur un support physique et la fassent circuler parmi leurs proches. C'est interdit par la loi, ce que beaucoup de personnes ignorent, y compris bien des parlementaires. Cette pratique a une visée culturelle et non lucrative. Il faut appliquer la même tolérance aujourd'hui en ce qui concerne les supports dématérialisés. Un comportement du même ordre doit, au pire, faire l'objet d'une contravention, mais certainement pas tomber sous le coup de la loi sur la contrefaçon car on risquerait d'aboutir à des absurdités. En outre, on allégerait ainsi un peu le travail de la HADOPI.
J'indique tout de suite que l'amendement n° 831 est retiré.
(L'amendement n° 831 est retiré.)
(L'amendement n° 830 n'est pas adopté.)
Plusieurs orateurs sont inscrits sur l'article 3. La parole est à M. Philippe Gosselin.
D'abord, pour ceux qui ont suivi les débats de cette nuit, nous sommes bien au XXIe siècle. Non, chers collègues, la propriété ce n'est pas le vol. Certains propos m'étonnent. Je comprends que votre formatage ne soit pas le nôtre, mais changez de disque dur.
Cette nuit également, M. Mathus nous a dit que reproduire, avec le numérique, cela ne coûtait rien. Cela reste à prouver, et surtout, c'est oublier qu'il a d'abord fallu produire. Or produire a un coût. Si vous niez la propriété intellectuelle ou artistique car elle est immatérielle, je m'inquiète pour la suite : que se passera-t-il pour les brevets, qui, bien souvent, sont de l'immatériel ? Certes, il y a quelque chose d'immatériel qu'on ne risque pas de voler, ce sont les idées du PS !
Cet article 3 prévoit une peine complémentaire d'un an au maximum. Élargir l'éventail des peines facilitera l'application de la loi, même si, une fois encore, nous préférons la pédagogie.
L'article 3 est tout aussi important que le précédent, car il illustre tout à fait combien ce projet HADOPI 2 est une usine à gaz, un monstre juridique, créé par empilement de dispositions depuis la loi DADVSI de 2006. Celle-ci instituait pour délit de contrefaçon une sanction de 300 000 euros et trois ans de prison que vous jugiez tellement excessif qu'il a fallu mettre en place une « riposte graduée ». Celle-ci ayant été sanctionnée par le Conseil constitutionnel, la loi n'a jamais été appliquée. Néanmoins, et à tort selon nous, vous n'avez pas voulu que cette loi soit abrogée. Puis vint la loi HADOPI 1, prétendument pédagogique et dissuasive, qui chargeait une haute autorité administrative de suspendre l'accès à internet. Le juge constitutionnel, comme nous vous en avions bien prévenus, vous a donné tort : seul le juge peut suspendre l'accès à internet. Mais vous vous entêtez dans votre obsession avec HADOPI 2 : dans une logique de pénalisation, il vous faut à tout prix faire suspendre l'accès à internet de nos concitoyens. Vous instituez donc cette peine complémentaire pour le délit de contrefaçon – et Martine Billard a eu raison de rappeler qu'il état abusif d'assimiler le téléchargement illégal à but non lucratif à de la contrefaçon – mais également pour une contravention. Bref, vous voulez le beurre et l'argent du beurre.
L'heure est grave. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.) En quatre mois, la grippe porcine a fait 700 morts dans le monde, dont la moitié dans les trois dernières semaines – signe que la pandémie s'accélère.
Le Secrétariat de la défense nationale a établi et actualisé un plan national de lutte contre la pandémie, que chacun peut consulter sur internet. Ce plan est accompagné de fiches techniques.
Les fiches techniques G intitulées « organisation de la vie collective » évoquent la possibilité pour les entreprises de faire travailler leurs salariés à domicile via internet pour ne pas mettre en danger leur activité.
La fiche technique H 1, intitulée Stratégie d'information, de formation et de communication, met en évidence le rôle du site internet grippe-aviaire.gouv.fr. Elle précise, par ailleurs, que le Gouvernement entend maîtriser l'information et la communication au moment du pic de la pandémie, afin d'éviter toute désinformation et toute rumeur.
La HADOPI va envoyer 10 000 avertissements par jour ; on peut penser qu'un avertissement sur mille donnera lieu à une suspension de l'abonnement à internet. Chaque mois, trois cents Français verront donc leur connexion internet suspendue, pour une durée pouvant aller jusqu'à un an. Ces pirates, ou ces «négligents caractérisés», n'auront pas accès à l'information donnée via internet par le Gouvernement, et ils ne pourront plus travailler pour leur entreprise.
Ainsi, dans les mois qui viennent, la mise en place de la HADOPI peut entraîner des comportements extrêmement préjudiciables pour la santé publique. Elle fait courir des risques aux emplois des centaines de Français qui seront sanctionnés, et elle mettra éventuellement en danger la survie de certaines entreprises.
Madame la ministre, le Gouvernement va-t-il repousser l'application du texte dont nous débattons aujourd'hui à l'après-grippe porcine, afin de protéger la santé de nos compatriotes et de notre économie ?
Vous entretenez la peur ; voilà qui est très responsable ! Hélas, au PS, tous sont touchés, mais tous ne meurent pas !
L'article 3 est bien dans le prolongement de l'article 2. Alors que ce dernier produira une accumulation de contentieux et de procédures, l'article 3 entraînera l'accumulation des peines.
Avant que nous ne traitions de la question des peines en discutant des amendements, je veux revenir sur l'accumulation des procédures et des contentieux.
Madame la ministre d'État, monsieur le ministre, chers collègues de la majorité, vous avez réussi un tour de force : avec l'ordonnance pénale, dite simplifiée, les contentieux vont s'accumuler. Par analogie avec le code de la route, vous avez voulu simplifier le dispositif, mais, en fait, vous l'avez rendu plus complexe. En effet, un dossier qui relève du code de la route contient, dès l'origine, les éléments qui permettent d'opter pour la procédure pénale ou la procédure simplifiée. Ce dossier n'est donc traité qu'une seule fois. En revanche, lorsque la commission de protection des droits aura établi un dossier, et qu'elle l'aura transmis au juge unique, ce dernier pourra soit prononcer une peine d'amende soit constater qu'il faut recourir à la procédure normale, dans le cas où il pourrait être amené à prononcer une peine d'emprisonnement. Dans cette dernière éventualité, le dossier sera donc traité une seconde fois. Hier, nous avons cité des statistiques démontrant que l'accumulation des contentieux sera considérable ; vous les multipliez par deux et vous provoquez un engorgement de l'institution judiciaire.
Avec l'article 3, se cumuleront la peine complémentaire de suspension, l'interdiction de souscrire un nouvel abonnement, la prolongation du versement de l'abonnement en cours, et l'obligation de verser les frais de résiliation qui resteront à la charge de l'abonné…
Monsieur Mallot, votre temps de parole est écoulé.
La parole est à Mme Corinne Erhel.
L'article 3 crée une sanction à triple détente, assimilable à une suspension de l'accès à internet. En effet, à la suspension d'accès, s'ajoutent l'interdiction de souscrire un abonnement pour la durée de celle-ci et l'obligation de poursuivre les paiements liés au contrat suspendu.
La suspension de l'accès à internet est une mauvaise sanction. C'est le très mauvais symbole d'une politique qui vise pourtant à faire de la France un pays d'excellence numérique. Vous clamez que le numérique est au coeur de vos préoccupations ; le Président de la République affirme qu'il permettra de développer un modèle de développement ; cependant, vous imposez une sanction à la fois simpliste…
…et difficilement applicable.
M. le rapporteur me répondra qu'il a eu des assurances sur ce dernier point. Nous n'interrogeons sans doute pas les mêmes personnes ; ou alors elles ne nous font pas les mêmes réponses. Dans ma circonscription, il y a aussi des centres de recherche : je peux vous assurer que les opérateurs affirment très clairement que la suspension de l'accès à internet sera techniquement compliquée dans certaines zones, particulièrement pour les offres composites.
Avec cette sanction, vous risquez de créer une inégalité territoriale et une inégalité entre les citoyens, puisque la suspension sera possible dans certains secteurs, et pas dans d'autres.
Décidément, il s'agit là d'un bien mauvais symbole.
Madame la présidente, je vous remercie de me donner la parole au moment où Richard Mallié nous quitte. Il vient sans doute de se rendre compte que nous ne sommes pas dimanche, et qu'il est autorisé à ne pas travailler ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Mais il s'agit bien de cela, madame la présidente : internet permet aussi de faire des achats le dimanche, sans supprimer ce jour de congé pour les travailleuses.
Madame la ministre, monsieur le ministre, vous me faites penser à votre collègue chargé de l'immigration, qui nie en permanence la réalité du délit de solidarité, alors que, chaque mois, les faits parlent d'eux-mêmes.
Une sorte de dissonance cognitive vous fait ainsi répéter sans cesse que la suspension de l'accès à internet constitue la meilleure solution. Pourtant, si vous aviez choisi d'écarter cette disposition, et d'appliquer un autre dispositif, il est probable que votre texte aurait pu faire l'objet d'un accord. Seulement, vous vous entêtez ! Probablement, parce que vous avez un chef…
Vous vous attaquez à la liberté d'expression et de communication en supprimant l'abonnement internet, alors qu'il était possible de trouver d'autres solutions pour les éventuelles sanctions que vous souhaitiez instaurer. Il est dommage que vous n'ayez pas emprunté d'autres voies que celle-là, car elle est liberticide.
Vous êtes partis de l'idée selon laquelle, en guise de sanction, il fallait mettre fin à la possibilité de télécharger, et vous avez inventé la suspension de l'abonnement à internet. Cependant, au fil de l'évolution des textes, sur le plan de la cohérence technique, cette solution tient de moins en moins la route.
Selon votre présupposé, les personnes téléchargent depuis leur domicile, grâce à une connexion physique : cela explique que vous demandiez une suspension de l'accès à internet. Mais, entre 2005, à l'époque de la DADVSI, et aujourd'hui, les technologies ont beaucoup évolué, et le téléchargement ne passe plus nécessairement par la connexion à domicile. Il s'agit là d'une première contradiction de votre texte.
HADOPI 1 était au moins cohérent en supprimant tant l'accès à internet que l'accès à la messagerie. Au passage, je note que se posait déjà un petit problème, puisque ceux dont la messagerie n'était pas gérée par leur fournisseur d'accès y avaient toujours accès ; autrement dit, il y avait inégalité devant la loi. Toutefois, vous avez reculé, et, désormais, il n'est plus prévu de supprimer l'accès à la messagerie. Évidemment, nous considérons que cela est positif, mais votre texte est alors devenu bancal !
En effet, si vous ne supprimez plus l'accès à la messagerie, le fait de supprimer la connexion physique à internet n'a plus de sens : la seule contrainte dans cette sanction sera que l'accès ne sera plus possible de chez soi. Sauf, comme le disait M. le ministre, si l'on a plusieurs abonnements…
Votre dispositif ne tient plus. Soit vous suspendez l'abonnement, et dans ce cas il n'est plus possible du tout de se connecter à sa messagerie, soit…
Madame la présidente, pour faire de la pédagogie, il faut du temps, surtout quand on s'adresse à des têtes revêches !
Même les meilleurs auraient des difficultés avec un tel public !
L'article 3 le montre : comme les émigrés – pas les immigrés, les émigrés, ceux que vous chérissez – de retour d'exil en 1815, les coblensards, vous n'avez rien oublié et vous n'avez rien appris.
Vous nous resservez le contenu d'HADOPI 1, à la virgule près, comme s'il n'y avait eu aucune décision du Conseil constitutionnel.
Cet article est le coeur de ce texte. Il rétablit la suspension de l'accès à internet, envers laquelle vous éprouvez un attachement que l'on pourrait qualifier de fétichiste. Je ne le comprends d'ailleurs pas, mais il est vrai que n'étant pas UMP, je ne suis pas formaté comme vous l'êtes.
En plus de maintenir la suspension de l'accès à internet, la double peine s'applique toujours, puisque l'on continue à payer un service dont on ne bénéficie pas. On peut même parler de triple peine, puisque les frais de résiliation éventuels sont supportés par l'abonné. Ce n'est pas faute de vous avoir prévenu de tous les problèmes que cela posait ; mais il est vrai qu'il n'y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
Vous faites l'aumône de la non-inscription au casier judiciaire. Cela me rappelle nos rois, qui montraient leur grandeur en lançant des pièces au peuple assemblé pour les acclamer. Mais je ne vous apprends rien, monsieur le ministre de la culture et de la communication, vous qui êtes un spécialiste en têtes couronnées. Nos souverains lançaient au peuple de la petite monnaie, pas des pièces d'or. Aujourd'hui, c'est pareil ! Et, en plus, il faudrait dire merci !
Cet article crée une peine complémentaire de suspension de l'accès à internet quand la contrefaçon a eu lieu par le biais d'internet. On punit donc le contrevenant par là où il a péché. Il ne reste plus qu'à créer une peine complémentaire d'interdiction de porter des vêtements, pour ceux qui achètent des faux Lacoste ; interdisons aussi l'usage de l'argent pour les personnes condamnées pour des délits financiers ! Mais cette dernière mesure n'a aucune chance de passer : elle toucherait vos amis !
Je vais pouvoir finir de défendre l'argumentation que je présentais il y a un instant.
Madame la ministre, monsieur le ministre, votre texte n'a plus de cohérence. Vous avez décidé de ne plus couper la messagerie, parce que cela a fait beaucoup de bruit. Évidemment, de notre point de vue, cela est bien normal, mais le résultat est que la suspension de la connexion n'a plus de sens ! En effet, la sanction consiste seulement à obliger l'internaute à se connecter à internet hors de son domicile. Franchement, fallait-il faire tant d'histoires pour en arriver là ?
Ce n'est pas une peine complémentaire, et surtout cela posera un problème dans les territoires ruraux. En effet, dans les agglomérations, il n'est pas difficile de trouver un lieu où se connecter quand celle de son domicile est suspendue ; cela est moins vrai pour les territoires ruraux.
Au final, vous allez donc augmenter les inégalités territoriales alors qu'elles sont déjà importantes dans notre pays.
Abandonnez dès aujourd'hui votre volonté de suspendre internet ! Votre dispositif tient de moins en moins la route, surtout depuis vos derniers choix. Vous avez supprimé une première absurdité, et cela vous fait tomber dans une seconde absurdité : inutile de poursuivre dans cette voie ! Revenez sur la suspension de l'accès à internet : vous retomberez sur vos pieds ! Vous pourrez alors prévoir des peines d'amendes, par exemple, ce qui serait plus cohérent.
Mon intervention s'inscrit dans le prolongement de celle de Mme Billard. L'incohérence du dispositif est, en effet, totale.
De façon très sage, au cours de la discussion de l'article 1er, notre assemblée a estimé, en accord avec le Gouvernement, qu'il ne fallait pas couper l'accès à la messagerie électronique. Or de nombreux internautes ne peuvent accéder à leur messagerie qu'en utilisant un navigateur web : c'est ce que l'on appelle le Webmail. Il est donc désormais impossible de couper l'accès à internet si l'on doit autoriser l'accès à la messagerie de ces citoyens, comme me l'a fait remarquer, il y a deux jours, par e-mail, une personne dont je ne dévoilerai pas l'identité puisqu'il s'agit d'une correspondance privée.
Par ailleurs, monsieur le rapporteur, au cours du débat sur le projet de loi « HADOPI 1 », vous aviez répondu à certains députés de la majorité, Nouveau Centre et UMP, que la suspension de l'accès à internet était une sanction dissuasive et pédagogique qui permettait d'éviter de recourir à des sanctions pénales, telles que les 300 000 euros d'amende et les trois ans d'emprisonnement punissant le délit de contrefaçon – peines qui ne sont, de toute façon, jamais prononcées par les juges.
Or, aujourd'hui, vous prévoyez un cumul de sanctions qui révèle l'absurdité de la logique dans laquelle vous vous inscrivez. En effet, non seulement vous revenez à un système contraventionnel très classique – même si, fort heureusement, il n'est pas appliqué depuis quelques années –, mais vous maintenez également cette suspension obsessionnelle de l'accès à internet, tout en préservant l'accès à la messagerie électronique.
Ces dispositions créent une rupture de l'égalité des citoyens devant la loi et une rupture de l'égalité territoriale, que nous avons tenu à souligner car elles constituent des motifs supplémentaires d'inconstitutionnalité.
S'agissant de la suspension de l'accès à internet, je souhaiterais que le rapporteur et le Gouvernement répondent enfin sur un plan technique aux arguments que je vais exposer.
Dans les conclusions de sa note sur le projet de loi « HADOPI 2 », l'Institut national de recherche en informatique et automatique, l'INRIA – qui fait autorité en France, en Europe et dans le monde entier –…
…« émet de sérieuses réserves sur la faisabilité scientifique et technologique de doter la HADOPI des pouvoirs de suspension d'accès à internet prévus par le projet de loi. Outre l'impossibilité technique de restreindre l'accès à internet dans un seul pays et les multiples voies de contournement des interdictions d'entrée sur le réseau, les évolutions de l'internet du futur » – c'est-à-dire l'internet des objets – « devraient rendre caduque l'identification électronique. Le dispositif envisagé par le législateur apparaît donc comme inapplicable au regard des propriétés intrinsèques de l'internet. » Vous ne pouvez pas ne pas tenir compte d'un tel élément : la suspension de l'accès à internet sera techniquement impossible à mettre en oeuvre.
Par ailleurs, si vous persistez dans cette voie, vous devrez obliger les opérateurs à réaliser des ajustements techniques sur les réseaux, sans être certains que la sanction sera applicable. Or le coût de tels ajustements est estimé, au bas mot, entre 70 et 80 millions d'euros. Qui va payer ? Si ce sont les opérateurs, il est évident qu'ils répercuteront cette charge supplémentaire sur le prix des abonnements. Comment allez-vous financer ces ajustements techniques, dont le coût s'ajoutera aux 6 à 7 millions d'euros par an que représentera le fonctionnement de la HADOPI ?
Je souhaiterais obtenir des réponses précises à ces questions.
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour soutenir l'amendement n° 695 .
La suspension de l'accès à internet soulève de graves problèmes.
Tout d'abord, cette peine sera individualisée. En effet, elle s'appliquera uniquement si la personne condamnée pour contrefaçon est titulaire de l'abonnement. Cette disposition crée donc une rupture de l'égalité devant la loi, puisque les personnes qui auront téléchargé sans être titulaires de l'abonnement – un enfant, par exemple – ne seront pas passibles de cette sanction et pourront continuer après avoir été condamnées pour contrefaçon.
Ensuite, vous avez maintenu la durée d'un an pour la suspension de l'accès à internet, alors que celle-ci est manifestement tout à fait excessive au regard du respect du principe de la liberté d'expression et de communication, dont le Conseil constitutionnel a rappelé que l'accès à internet était un des supports dans le monde moderne.
Par ailleurs, vous ne dites rien de l'enrichissement sans cause qui pourra être reproché aux FAI, dès lors que ceux-ci continueront à percevoir le prix de l'abonnement pendant la période de suspension. Pourquoi ferait-on ainsi des cadeaux aux fournisseurs d'accès à internet, tout en criminalisant les internautes ? Vous ne dites rien non plus de ce qui se passera si l'internaute en cause a souscrit une offre globale – dont je rappelle qu'elle comprend l'accès à internet, à la télévision et au téléphone –, qui est actuellement l'offre la plus répandue. En suspendant l'accès à internet de ces abonnés, vous les priverez également d'accès au téléphone et à la télévision. Cette mesure enfreint donc, là encore, le principe de la liberté d'expression et de communication.
Enfin, nous souhaiterions que vous nous apportiez des précisions sur l'amende de 5 000 euros dont seront passibles les fournisseurs d'accès à internet…
Je vais en effet défendre l'amendement n° 696 , qui, bien que similaire aux précédents, s'en distingue quelque peu. (Sourires.)
En déposant ces amendements de suppression de l'article 3, nous avons voulu vous rendre service, chers collègues de la majorité, en vous permettant d'éviter l'engorgement de votre usine à gaz. J'ai souligné, tout à l'heure, l'accumulation des peines prévues dans votre dispositif : prison, amende, suspension de l'abonnement et maintien de son paiement, interdiction de souscrire un nouvel abonnement et frais de résiliation. Six peines différentes ! À quand le bracelet électronique et les travaux d'intérêt général ?
C'est vous qui le dites, monsieur Gosselin. Vous défendrez sans doute un amendement en ce sens. La fête est complète ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Comme vous le savez, l'étude d'impact prévoit qu'environ 50 000 cas par an devraient faire l'objet de suites judiciaires, ce qui devrait aboutir à 50 000 condamnations, puisque nous avons toutes les raisons de penser que ces dossiers seront solides. Votre usine à gaz va rapidement exploser !
Par ailleurs, j'attends de vous, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, que vous nous apportiez des éléments complémentaires sur la mise en oeuvre de « l'interdiction de souscrire un autre contrat portant sur un service de même nature auprès de tout opérateur », prévue à l'article 3. Quel dispositif annexe allez-vous greffer sur cette usine à gaz pour vous assurer que les abonnés sanctionnés ne souscriront pas, d'une façon ou d'une autre, sous un nom ou sous un autre, auprès d'un opérateur quel qu'il soit, un nouvel abonnement ? Allez-vous créer un fichier ad hoc ?
Pour ces différentes raisons, nous vous rendons service en vous permettant de supprimer l'article 3.
La parole est à M. Marcel Rogemont, pour soutenir l'amendement n° 697 .
Le Gouvernement maintient la coupure de l'accès à internet, alors même que le Conseil constitutionnel a jugé qu'elle était juridiquement délicate au regard du respect des libertés individuelles. Outre cette difficulté juridique, l'INRIA, qui est un organisme sérieux, relève les trois difficultés techniques suivantes.
Tout d'abord, il est techniquement possible pour un utilisateur de préalablement contourner cette sanction, par exemple en dissimulant son activité par l'encryptage de ses données et contenus. Ensuite, l'exclusion individuelle efficace d'internet impliquerait de mettre en place des dispositifs d'identification numérique personnelle impossibles à réaliser sans compromettre gravement et durablement les droits individuels de tous. Enfin, l'absence de régulation internationale d'internet compromet l'effet d'une mesure restreinte à un seul pays.
Sur ces trois points, Corinne Erhel et moi-même attendons que l'on nous apporte des réponses. Ainsi que l'INRIA le précise dans la conclusion de la note qu'il nous a adressée, ces difficultés sont quasiment impossibles à surmonter, notamment la restriction de l'accès à internet dans un seul pays. Vous êtes donc dans une impasse, non seulement au plan juridique, mais également au plan technique. Aussi je vous demande de revenir sur ce dispositif : vous avez d'autres moyens de régler la question des sanctions applicables aux personnes coupables de télécharger frauduleusement.
Quel est l'avis de la commission sur cette série d'amendements identiques ?
C'est tout de même comique. Lors du débat sur HADOPI 1, Mme Billard – mais aussi M. Bloche et M. Paul – n'a pas cessé de crier au loup, en dénonçant un projet liberticide qui remettrait en cause le droit fondamental qu'est l'accès à internet. (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Vous avez en effet saisi le Conseil constitutionnel, mais celui-ci n'a pas jugé que l'accès à internet était un droit fondamental. En tout cas, s'agissant de la correspondance privée, nous avons partagé vos vues…
S'agissant de la correspondance privée, disais-je, nous sommes tombés d'accord avec vous pour l'exclure de la surveillance de la HADOPI. Et maintenant, Mme Billard nous dit que la suspension est une toute petite peine inutile et elle en fait tout un plat. C'est tout de même incroyable ! Nous avons prévu une réponse, l'amende, dans le cas où le juge estimerait que la suspension de l'accès à internet ne serait pas une peine suffisante au regard de l'infraction.
Madame Filippetti, le juge aura à sa disposition tous les éléments pour juger, en fonction des circonstances de l'espèce, si la suspension de l'accès à internet doit ou non être prononcée. Il prendra notamment en compte l'environnement social et professionnel de l'abonné. Ainsi, il est évident que, si celui-ci travaille à domicile et a besoin d'accéder à internet, il ne prononcera pas la suspension.
Madame Erhel, le Gouvernement et la majorité sont totalement mobilisés pour développer l'accès à internet sur l'ensemble du territoire, mais aussi l'accès au haut débit et à l'internet mobile, ainsi qu'en témoigne le plan numérique 2012.
J'ai la chance d'être le maire de la ville de Coulommiers, qui fut la première commune de France à passer à la télévision « tout numérique ». Concernant…
Quel est l'avis du Gouvernement sur cette série d'amendements identiques ?
Nous aurons l'occasion d'y revenir, monsieur Rogemont.
Dans le cadre de la session de pédagogie répétitive à laquelle nous nous livrons tous, je rappelle, après le rapporteur, que c'est le juge qui décidera, avec une grande latitude, de la durée de l'éventuelle suspension de l'accès à internet.
Je ne sais pas si c'est grâce à vous. En tout cas, il disposera, pour cela, de tous les éléments d'appréciation nécessaires.
Par ailleurs, je sais que cela vous agace qu'on vous le rappelle, mais tout de même ! On supprime bien les chéquiers des personnes qui signent des chèques en bois (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR) – j'avais bien dit que cela vous agacerait ! On supprime bien le droit de posséder des chiens dangereux. On ôte bien leur permis de conduire aux chauffards.
On supprime bien le permis de chasse à ceux qui chassent en dehors des périodes où cette activité est autorisée par la réglementation ! (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR) Je suis désolé, mais c'est la même chose !
Je vous rappelle par ailleurs que la Corée du Sud et Taïwan, qui ne sont pas des dictatures…
…ont instauré la suspension, alors que l'accès à internet est beaucoup plus important dans ces pays qu'en France. Enfin, je vous rappelle que la Nouvelle-Zélande, l'Irlande et le Japon s'y préparent d'une manière extrêmement nette.
Je veux souligner, que même si vous veniez à être suspendu, votre correspondance privée serait maintenue, et j'aurais donc toujours le plaisir de communiquer avec vous, monsieur Brard. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est défavorable à ces amendements.
En écoutant M. le ministre de la culture et de la communication, on en viendrait presque à regretter qu'il ne soit pas prévu de suspension de portefeuille ministériel pour hors sujet… (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Cela ne vous regarde pas, c'est le Président de la République qui décide de cela !
Je ne vois pas en quoi ce que je dis serait irrespectueux à l'égard de M. le ministre de la culture et de la communication.
Il est dommage, disais-je, qu'il ne soit pas prévu de suspension pour hors sujet et surtout pour refus de réponse aux questions techniques précises que nous posons. Vous dites, monsieur le ministre, que, pour la technique, nous verrons plus tard. Mais c'est maintenant qu'il faut en parler, puisque nous débattons d'un amendement de suppression de l'article 3. Il ne faudrait pas que nos collègues de la loi HADOPI 1 aient la mémoire trop courte : si, aujourd'hui, c'est effectivement le juge qui décide de couper l'accès à internet – à condition que la loi HADOPI 2 soit votée –, c'est grâce à notre recours devant le Conseil constitutionnel. Vous prenez la décision du Conseil constitutionnel, consacrant le droit pour chaque citoyen de faire usage de sa liberté d'expression et de communication via internet comme une évidence. Mais c'est oublier que vous l'avez niée durant tout le débat sur la loi HADOPI 1…
…en nous expliquant qu'une haute autorité administrative pouvait suspendre l'accès à internet.
Permettez-nous donc, non pas de nous glorifier, mais de souligner que nous avons eu le réflexe républicain de rappeler quelques principes fondamentaux qui sont à la base de la démocratie dans notre pays, à savoir la séparation des pouvoirs, la liberté d'expression et de communication et la présomption d'innocence – que vous continuez à malmener avec HADOPI 2.
Je sais que vous êtes honnête, monsieur le rapporteur : reconnaissez donc que vous vous êtes trompé sur HADOPI 1 et que nous avons réussi, par notre action, à faire revenir la discussion sur les rails constitutionnels. Écoutez-nous un peu plus et vous y gagnerez, à mon avis, en constitutionnalité.
Vous avez raison de rappeler les fondamentaux, monsieur Bloche, car c'est, à n'en pas douter, ce qui réunit tous les démocrates que nous sommes, nous, les élus de la nation.
Les nombreux élus du milieu rural, dont je fais moi-même partie, sont très sensibles à l'aménagement numérique du territoire. Comme l'a dit M. le rapporteur, nous avons un plan de développement du numérique sur le territoire…
…qui permettra de combler les lacunes – certains départements ruraux ont d'ailleurs déjà une bonne avance dans ce domaine.
Le rural dont le permis de conduire a été suspendu, et qui ne peut compter que sur son propre véhicule, les transports en commun étant inexistants là où il vit, se trouve lui aussi pénalisé. Or, on ne parle jamais de double peine lorsqu'on évoque ce problème. Ne vous en déplaise, la loi de la République s'applique à tous sur l'ensemble du territoire. Or, le piratage est bien, quoi que vous en disiez, une forme de vol.
J'insiste sur le fait que la suspension de l'accès à internet n'est qu'une faculté offerte au juge de prononcer une peine complémentaire. Celle-ci sera donc évidemment appliquée avec discernement. Il n'est pas question d'en faire usage au premier téléchargeur venu, qui aurait maladroitement cliqué là où il ne fallait pas. Bref, cette peine complémentaire sera appliquée là où elle doit l'être, et je ne vois pas en quoi le fait de pousser des cris d'orfraie peut améliorer les choses.
Monsieur le ministre, vous nous dites que le juge décide. Certes, mais il décide sur la base des textes que nous votons, et il se trouve que vous voulez justement nous faire voter un texte liberticide. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Ce n'est pas le juge qu'il faut incriminer, mais le Gouvernement, qui soumet un texte à sa majorité automatique – cette majorité sur laquelle il suffit de cliquer pour obtenir un vote conforme à ce qu'on attend d'elle.
Vous évoquez la Corée du Sud et Taïwan, et vous auriez pu ajouter Fidji et l'île Moustique – souvent évoquée, en son temps, par le député Georges Tranchant – ou encore les îles Vanuatu. Quand vous parlez de la suppression du chéquier, je pense que cela ne vous est jamais arrivé, monsieur Mitterrand…
Mais si ! Et croyez-moi, cela a été très efficace !
Cela doit remonter à un certain temps, car la gauche a permis de faire en sorte que la loi encadre la procédure de suspension de chéquier et qu'il n'y ait pas d'interdit bancaire total. Nous avons tous deux de nombreuses heures de vol, monsieur le ministre ; c'est pourquoi je peux comprendre que vos informations sur le sujet ne soient pas tout à fait à jour. (Sourires.)
Pour ce qui est de M. le rapporteur, qui se vante d'être à la tête d'une ville numérique, rappelez-vous ce qu'il a déclaré lors de la discussion précédente : selon lui, la suspension de l'accès à internet pour un particulier ne serait pas grave, dans la mesure où celui-ci aurait toujours la possibilité de venir se connecter librement à la mairie de Coulommiers. Il faut s'imaginer toutes les personnes privées d'internet qui, en pleine nuit, vont errer à travers les plaines de la Brie, une lampe-tempête à la main, pour tenter d'accéder à la mairie où, si tout va bien, ils finiront par se retrouver. C'est, au demeurant, une proposition habile sur le plan électoral, car je ne doute pas que M. Riester en profitera pour offrir le café à ses administrés. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Sur le vote des amendements identiques nos 523 , 689 , 693 , 695 , 696 et 697 , je suis saisie par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Je vous fais remarquer, mes chers collègues, que j'ai donné la parole, à titre exceptionnel, à un grand nombre d'orateurs, ce qui ne se reproduira pas sur l'ensemble des amendements.
La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.
Madame la présidente, je vous félicite de votre comportement – dont le caractère royal est d'autant plus remarquable dans l'enceinte de notre assemblée.
Je veux attirer l'attention de M. le ministre sur le fait qu'il ne peut comparer l'accès à internet avec l'accès à la conduite des véhicules, à la chasse ou à la pêche, toutes activités qui sont régies par des autorisations administratives, qui en conditionnent les modalités d'exercice. Il en est autrement, comme le Conseil constitutionnel l'a rappelé, de l'accès à internet. Aux termes de l'article XI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme ». Pour le Conseil constitutionnel, cela implique la liberté d'accéder aux services de communication, notamment internet, et c'est ce qui a motivé sa décision de censurer. Il s'agit d'un droit fondamental, et non d'une autorisation administrative ! Ce n'est donc pas une autorité administrative qui peut prendre une décision en ce domaine, mais seulement une juridiction de l'ordre judiciaire.
Le Conseil constitutionnel a ensuite confirmé que « les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi ». Je le répète, le Conseil constitutionnel considère l'accès à internet comme un droit fondamental, lié à la liberté de communiquer consacrée par l'article XI de la Déclaration des droits de l'homme. La suspension de ce droit fondamental ne saurait donc s'effectuer dans n'importe quelles conditions, comme l'article 3 du projet de loi le propose.
Cet amendement très important fait écho à une conversation que nous avons déjà eue hier. Nous ne voulons pas d'immixtion dans le secret des correspondances et refusons qu'il soit porté atteinte à la vie privée de nos concitoyens.
Monsieur le ministre, nous continuons de recevoir des mails, en si grande quantité que je ne peux les porter tous à la connaissance de nos collègues. Puisque vous avez parlé de Taïwan et de la Corée du Sud, je voudrais, plus prosaïquement, évoquer la Belgique. L'un de nos correspondants nous a adressé le message suivant : « En tant que voisin frontalier – je vis en Belgique –, je suis avec attention vos débats et tiens à vous féliciter et vous encourager » – ce message s'adresse à l'ensemble des députés de gauche – « pour votre combat contre les pions du copain à Poutine » – je ne vois pas de qui il veut parler – « car internet ne vit qu'à travers sa dimension mondiale, et non grâce aux industries de contenus. Vouloir le freiner avec une loi nationale témoigne d'ignorance, d'incompétence et d'intolérance. Ici, en Belgique, le dernier gouvernement à s'être assis sur la séparation des pouvoirs est tombé l'année dernière ». Certainement faisait-il référence à un Président de la République qui viole la Constitution et son article 5 tous les jours et qui, dans son discours au Parlement à Versailles, a dit sur cette affaire : « J'irai jusqu'au bout », alors que ce n'est pas de sa compétence, mais de celle du Gouvernement. Notre correspondant belge a tout à fait raison, ce qui montre bien que la vérité peut venir d'au-delà de la Sambre et de la Meuse !
Après discussion avec nombre de nos collègues, je donne, à titre personnel, un avis favorable à la suppression du terme « communications électroniques » en ce qui concerne les conditions de la suspension. Il ne sera donc sans doute pas nécessaire de présenter tous les amendements identiques.
Voilà une bonne nouvelle, madame la présidente. Je remercie tous les internautes qui nous ont soutenus et qui viennent d'être entendus par la commission – j'espère qu'il en sera de même pour le Gouvernement.
En intervenant tout de suite, on crée un rapport de force avec le Gouvernement, madame la ministre, pour vous inciter à suivre le Parlement, même si je sais que, parfois, vous n'êtes pas trop flexible.
Monsieur Brard, ici, il n'y a pas de rapport de force avec le Gouvernement : nous travaillons pour faire ensemble la loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Avis favorable selon les conclusions apportées par M. le rapporteur.
Permettez au groupe SRC de s'exprimer, madame la présidente. Nous n'avons pas retiré nos amendements, que je sache !
Reprenons les choses calmement. Nous avons une série d'amendements identiques. La commission et le Gouvernement ont émis un avis favorable sur le premier amendement de cette série.
Les amendements vont être mis aux voix globalement, monsieur Bloche. Il apparaîtra ainsi que le groupe socialiste, par les amendements qu'il avait déposés, a participé à ce progrès. Je pense que c'est ce que vous souhaitez entendre.
Madame la présidente, quel est donc l'article du règlement dans lequel il est dit que la présidente de séance indique aux groupes ce qu'ils doivent faire de leurs amendements ?
Je n'ai pas lu cet article, qui figure sans doute dans le nouveau règlement. Peut-être M. Copé pourra-t-il nous éclairer en sa qualité d'expert, surtout d'alinéas qui n'existent pas…
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. M. Copé n'est jamais là !
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Oui !
Notre président est avec nous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Vous n'avez pas la même chance, monsieur Gosselin !
Je vous rassure, le premier vice-président du groupe UMP est présent.
Poursuivez, monsieur Bloche.
En déposant nos amendements identiques à celui de M. Brard, nous avons voulu aller au bout d'une logique qui avait tout son sens. Je le rappelle, dans HADOPI 1, il n'était pas fait référence aux communications électroniques, c'est-à-dire aux mails, à la correspondance privée. Certes, M. le rapporteur avait été tenté de le faire. Mais il s'était fait taper sur les doigts par le président Warsmann en commission des lois.
Du coup, M. Riester avait fait un pas en arrière, ô combien raisonnable.
Aujourd'hui, c'est halte au feu : il s'est hâté de prendre la parole pour donner son accord sur nos amendements et éviter ainsi leur présentation. Soit. Mais je tenais à refaire l'historique. Nos concitoyens doivent savoir que c'est grâce à notre vigilance qu'on ne regardera pas leurs mails. Cela restera de la correspondance privée. Grâce à notre opiniâtreté, nos concitoyens pourront toujours avoir accès à leur boîte mails dans le cas d'une suspension de leur connexion à internet.
(Les dix amendements identiques nos 524 et 698 à 706 sont adoptés.)
Je suis saisie de douze amendements, nos 525 , 707 , 708 , 710 , 711 , 712 , 713 , 714 , 715 , 528 , 527 et 526 , pouvant être soumis à une discussion commune.
Les neuf amendements nos 525 , 707 , 708 , 710 , 711 , 712 , 713 , 714 et 715 sont identiques.
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l'amendement n° 525 .
Il a beaucoup été question de pédagogie. Mais celle de l'UMP date du XVIe siècle, quand Montaigne écrivait des textes sur le sujet.
Monsieur Leonetti, il y avait à cette époque déjà des gens plus ouverts que les membres de l'UMP. Vous qui n'êtes pas UMP, n'hypothéquez pas votre avenir en joignant votre sort à celui de nos collègues de l'UMP car l'histoire sera sévère avec eux.
Nous, nous ne croyons pas à la trique : nous croyons à l'intelligence, à la conviction. Je ne reviendrai pas sur toutes les propositions qui ont été faites et qui visent à prévoir un paiement mensuel modeste, pour inciter au cofinancement de la création en respectant de nouvelles règles. Du fait des mutations technologiques, ce n'est pas en mettant des interdits partout que nous parviendrons à la solution.
Par notre amendement, nous proposons de ramener la suspension d'un an à un mois. Ce sera moins liberticide.
Monsieur le rapporteur, nous retirerons nos amendements si vous émettez un avis favorable sur celui de M. Brard.
Il s'agit pour nous de dire, une fois encore, combien cette suspension d'accès à internet n'est pas en adéquation avec le monde dans lequel nous vivons. C'est déjà le problème avec DADVSI, avec HADOPI 1. Vous courrez après les évolutions technologiques. Vous nous faites voter des lois alors qu'on ne sait pas si l'on pourra, ne serait-ce que techniquement, les appliquer. Le Conseil constitutionnel a considéré que la Haute Autorité ne pouvait suspendre l'accès à internet. Puisque vous dites vous inscrire dans une démarche pédagogique et dissuasive, vous auriez pu, à la suite de cette décision, choisir d'abandonner cette suspension, qui relève, au vu de la société actuelle, soit de l'aveuglement soit du combat d'arrière-garde, de la ligne Maginot. Au-delà de la liberté d'expression et de communication, couper l'accès à internet est une aberration au regard de l'usage qu'en font 30 millions de nos concitoyens.
Pour tenter de réduire les effets de cette mauvaise loi, nous proposons donc d'atténuer la peine complémentaire et de ramener la suspension pour délit de contrefaçon à un mois.
Patrick Bloche a fort justement rappelé que nous nous opposerons sans relâche à l'ambiance de répression que vous souhaitez créer.
Je veux m'adresser une nouvelle fois – peut-être en vain – au ministre de la culture. Monsieur le ministre, cette loi crée une nouvelle crispation hexagonale. C'est d'ailleurs une méthode de Gouvernement : diviser pour régner. En l'occurrence, il s'agit d'une division entre une partie des artistes et l'immense majorité des internautes et, donc, le public.
Je vous suggère la lecture, dans un journal du matin, d'un excellent article d'un observateur, Nidam Abdi, qui résume en une phrase ce que vous nous disons depuis des jours et des nuits.
HADOPI n'offre aucune réflexion intelligente sur l'avenir des relations entre les artistes et le public.
Monsieur le ministre, en politique, les héritages sont importants, et les inventaires de l'histoire également. Dans l'article auquel je fais allusion, vous trouverez la trace de l'oeuvre de l'un de vos prédécesseurs, Jean Zay, ministre des beaux-arts du Front populaire. Il avait une approche visionnaire sur le statut de l'artiste dans une société en mouvement. À l'époque, il s'agissait, non pas d'internet, mais du cinéma parlant, de la radio. Il y avait eu alors un grand débat sur le futur de la création et l'avenir de l'artiste dans une société en pleine transformation. Mais ce débat-là, vous ne l'aurez pas après HADOPI, qui ouvre la voie d'une société de répression là où nous souhaitons une société de liberté pour les artistes et le public.
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour soutenir l'amendement n° 710 .
Lorsque nous nous sommes séparés cette nuit, nous avons tous entendu Mme la ministre de la justice dire que la finalité d'HADOPI 2 n'était pas de rémunérer les artistes puisqu'il faudrait attendre la discussion de l'automne pour commencer à chercher des solutions sur la rémunération des artistes. HADOPI 2, c'est donc du tout répressif.
Permettez-moi de reprendre l'analogie avec le permis de conduire même si nous ne l'approuvons pas. On ne perd jamais son permis de conduire d'un seul coup, sauf dans des cas très particuliers. C'est un système de retrait de points progressif. Et il est toujours possible de récupérer des points grâce à des stages qui montrent qu'on fait preuve de bonne volonté et amende honorable. HADOPI est, en revanche, un système binaire : un internaute peut se voir privé de son accès à internet pour une durée d'un an.
Certes, il y a eu quelques progrès dans la pensée gouvernementale puisque l'utilité à internet n'est plus niée. Votre prédécesseur, monsieur le ministre de la culture, ne voyait pas la gravité du problème. Rappelons-le, internet permet de se former, d'avoir accès aux services bancaires, et à bon nombre d'autres services. Vous incitez d'ailleurs les contribuables à faire leur déclaration de revenus par téléchargement. Au-delà de la liberté d'expression et de communication, le droit d'accès à internet est réellement utile. La suspension prévue sera anti-économique. Vous risquez de reléguer la France très loin derrière les autres nations.
Monsieur le ministre de la culture, faites attention aux comparaisons que vous utilisez. Après les délits routiers, les hooligans,…
…vous comparez maintenant l'accès à internet et la détention d'un chien dangereux. Or cette comparaison est très mauvaise. Mme la garde des sceaux le sait bien puisque c'est elle qui a défendu le texte sur les chiens dangereux. Voilà une comparaison que vous devriez éviter.
Par ailleurs, vous n'avez toujours pas répondu aux questions techniques que nous vous avons posées. Pourquoi ? C'était déjà le cas dans le cadre de HADOPI 1. Que répondez-vous aux interpellations de l'INRIA et de l'ARCEP sur la prise en charge du coût des ajustements techniques ? Vous ne pouvez pas vous borner à répéter que vous reportez ces réponses à plus tard. La faisabilité technique de la suspension de l'accès à internet est une question centrale. Vous devez certainement disposer d'éléments de réponse.
Puisque vous avez décidé de maintenir la suspension de l'accès à internet, réduisez au moins sa durée et ramenez-la à un mois : c'est le sens de notre amendement. Dans les documents sur l'économie numérique que vous publiez, vous insistez précisément sur le fait que l'accès à internet est une liberté fondamentale et une commodité essentielle. Soyez donc cohérent et répondez-nous sur le plan technique.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Eh oui !
La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour défendre l'amendement n° 712 .
« La liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés ; […] les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi » dit le Conseil constitutionnel dans sa décision. Or il me semble que couper l'accès à internet pendant un an est une atteinte disproportionnée.
En misant comme vous le faites sur le « tout-sécuritaire » et le « tout-répressif », vous semblez stigmatiser notre jeunesse, alors qu'il serait préférable d'adopter des mesures pour trouver du travail aux 25 % de jeunes au chômage, ce qui leur éviterait de passer leurs journées devant leurs écrans d'ordinateur.
Puisque vous pensez que l'on peut se priver d'internet pendant un an, j'aimerais revenir sur les auditions, hier, en commission des affaires sociales, de Mme Bachelot et Mme Morano, entendues pour l'assurance maladie et pour la politique de la famille sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Comme nous leur demandions des précisions sur la pandémie de grippe H1N1, elles nous ont renvoyés aux sites institutionnels des ministères, sur lesquels figurent les mesures mises en place.
Si l'on songe de surcroît à notre collègue qui souhaitait défendre le télétravail, on voit bien que vos mesures ne vont pas dans le sens de l'histoire !
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour défendre l'amendement n° 713 .
Je ne reviendrai pas sur l'atteinte aux libertés fondamentales telles qu'elles sont définies par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, mais j'insisterai sur l'impact économique qu'aurait la suspension de l'abonnement à internet d'un certain nombre de nos concitoyens.
En effet, notre société est aujourd'hui une société de réseau, fondée sur une économie du même type. Comme l'a montré l'économiste américain Jeremy Rifkin, nous entrons dans un âge où notre statut social dépendra non plus de la propriété mais de l'accès aux réseaux. Priver certains citoyens de l'accès à l'information et à la communication, ainsi qu'au formidable réseau social que constitue internet, c'est donc les exclure du corps social et les pénaliser économiquement, tout en pénalisant l'ensemble de l'économie, car, dans une économie en réseau, c'est l'ensemble de la collectivité qui est perdante si l'on supprime l'un des points du réseau.
Suspendre l'accès à internet de certains de nos concitoyens est donc non seulement contraire au respect des libertés fondamentales, mais c'est pénalisant pour l'ensemble de la société, qui ne tirera pas le meilleur parti, des potentialités de l'économie numérique.
La parole est à M. Michel Françaix, pour défendre l'amendement n° 714 .
Je voudrais les rassurer : Internet n'est pas une espace de non-droit peuplé de voyous. Mme la ministre d'État a d'ailleurs eu l'occasion de rappeler que de nombreuses lois s'y appliquent, contre le racisme ou les calomnies par exemple, ou encore pour le respect du droit à l'image et celui de la vie privée. Ces lois, les socialistes les ont toujours soutenues.
Mais les partisans de la loi HADOPI s'accrochent à des schémas de pensée rétrogrades, et les analogies qu'ils font démontrent qu'ils n'ont rien compris à la nature profonde d'internet. Oui, internet bouscule nos schémas de pensées. C'est un formidable vecteur de diffusion de la connaissance et de la culture, qui permet à chacun d'être actif, contrairement à d'autres médias, qui nous contraignent à avaler passivement pléthore d'informations lénifiantes, manipulatrices, voire mensongères. Et j'aimerais que, tous ici, nous préférions internet à la collusion entre les instituts de sondages et l'Élysée ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Voilà pourquoi nous présentons cet amendement. Selon nous, le plus court délai sera le mieux, même si c'est déjà trop long. J'espère que vous comprendrez que les socialistes n'ont pas toujours tort. Si nous avons avec nous la Cour des comptes, le Conseil constitutionnel et le CSA s'agissant du problème des trois tiers, c'est bien que nous ne sommes pas des députés hors du temps.
Des gens très raisonnables pensent comme nous, et il est grand temps que vous les rejoigniez.
La parole est à Mme Monique Boulestin, pour défendre l'amendement n° 715 .
Cet amendement vise à renforcer la mise en cohérence de l'ensemble de nos propositions, afin de ne pas pénaliser trop lourdement des internautes souvent en difficulté sociale ou économique.
Par ailleurs, nous savons tous qu'il existe aujourd'hui dans le monde des sites de contournement de la loi HADOPI, et que ce sont les plus malins ou les plus nantis qui échapperont aux sanctions et aux poursuites. C'est pourquoi nous demandons à ce que la suspension soit limitée à un mois.
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour défendre l'amendement n° 528 .
Il s'agit d'un amendement de repli, chacun l'aura compris, puisque vous refusez de nous entendre et d'accepter que la pédagogie l'emporte sur le knout.
Dans le souci de ne pas encombrer les débats, nous n'avons pas décliné mois par mois nos amendements de repli. Pensant que vous n'accepterez pas de réduire le délai de suspension à un mois, nous proposons donc trois mois.
Le rapporteur, qui sait évaluer le rapport de forces, a eu tout à l'heure un bon geste. Il sait qu'il a politiquement perdu la bataille et que nos arguments ont porté dans le pays. Il sait que nous sommes soutenus par les internautes et par tous ceux qui sont attachés à nos libertés, les Français de 1789 plutôt que les Coblençards de 1815 !
Cela étant, madame la présidente, vous êtes suffisamment éclairée pour vous priver de mes conseils mais, sachant que si notre amendement est adopté, il fait tomber tous les autres, je pense qu'il aurait été plus pertinent de le voter avant.
Monsieur Brard, ces amendements sont en discussion commune, et je respecte scrupuleusement la procédure.
Je pense, par ailleurs, que nous pouvons considérer que vous avez défendu vos trois amendements de repli…
Pas tout à fait, madame la présidente, car, si le premier amendement n'est pas adopté, j'espère que nous ferons céder nos collègues de l'UMP sur les suivants.
Vous disposez donc de deux minutes pour présenter l'amendement n° 527 .
Il a été dit tout à l'heure que nous n'entendions pas beaucoup nos collègues de la majorité. Ce n'est pas qu'on ne les entend pas beaucoup : on ne les entend pas du tout ! Et pourquoi donc ? Parce qu'eux-mêmes ne sont pas convaincus ! Parce que dans leurs circonscriptions, les électeurs leur piquent les fesses avec leurs futurs bulletins de vote ! Ils savent fort bien que les propos tenus dans cet hémicycle pour défendre un projet de loi liberticide pourront être retenus contre eux en 2012 et qu'ils n'oseront pas alors avouer qu'ils ont été les disciples d'un mauvais apôtre du nom de Nicolas Sarkozy, défendant des positions jusqu'au-boutistes !
L'entêtement n'est jamais une ligne fiable en politique – n'est-ce pas, madame Tabarot ? Vous-même restez coite pour ne pas vous exposer à l'ire justifiée de vos électeurs.
Madame la présidente, mes collègues insistent pour que je développe d'autres arguments, et l'on pourrait en effet en développer à l'infini…
Les mutations technologiques sont fantastiques. Il y avait au XIXe siècle des gens qui s'opposaient à la vapeur ; internet est aujourd'hui beaucoup moins polluant, mais vous vous y opposez quand même.
Vous voulez réduire les emplois dans la fonction publique, mais vous en créez d'inutiles avec cette loi puisque, aussi compétents soient-ils, les personnels mis en place seront impuissants face à la vague irrépressible de la modernité, qui vous balaiera, parce que vous êtes les derniers remparts du passé et de la nostalgie en pensant que l'on peut tout réglementer !
Monsieur Brard, vous allez nous faire éclater de rire !
Madame Alliot-Marie, avec tout le respect que j'ai pour vous, vous êtes parmi les tenants de la lampe à huile, parmi ceux qui pensent encore, comme Guizot, qu'il faut s'enrichir. Et l'on sait ce que cela donne avec les banquiers que vous protégez.
Quant à vous, monsieur Mitterrand, vous ne m'avez toujours pas répondu sur les centres de rétention destinés aux internautes, puisque vous avez prévu, par le contrat que vous signez avec une filiale de la poste, d'envoyer un millier de mails d'avertissements par jour, alors que vous évaluez à dix mille le nombre d'infractions. Vous ne nous avez toujours pas dit qui seront les neuf mille internautes qui bénéficieront du privilège de ne pas être poursuivis.
Quel est l'avis de la commission sur la série d'amendements identiques et les amendements de repli ?
M. Brard vient de nous faire son show du matin. Je suis d'accord avec lui sur un seul point, lorsqu'il dit que la présidente est éclairée !
Concernant les amendements, je vous rappelle que c'est le juge qui prononcera la sanction, en fonction des circonstances de l'espèce et en tenant compte du principe de proportionnalité. Une suspension d'un an est la peine encourue, mais le juge pourra, s'il le souhaite, prononcer des peines inférieures. Avis défavorable, donc.
Je voudrais d'abord répondre à M. Françaix. Internet n'est bien évidemment pas un espace de non-droit. C'est bien sûr une richesse extraordinaire et un formidable instrument de liberté, mais cela ne doit pas être gâché par des comportements répréhensibles.
On ne cesse de nous dire que les créateurs sont passés de l'autre côté, mais ils sont une minorité ! J'écoutais encore ce matin à la radio les commentaires de certains syndicats…
France Musique, la radio que j'écoute le matin.
Tous étaient vent debout, du côté de ce qui veulent de la régulation pour résoudre les problèmes.
Mais non. J'écoute, je lis.
J'ai lu les articles auxquels vous faites allusion, monsieur Paul – les deux articles : celui-là, et celui qui était au-dessus. Ils sont très intéressants ; ils portent sur le souvenir de l'homme absolument admirable qu'était Jean Zay. Mais nous étions en 1936 !
Puisqu'on parle du passé, évoquons encore une comparaison – que vous détestez, mais qui me revient sans cesse à l'esprit : le code de la route. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Instauré en 1922, il a suscité une levée de boucliers générale.
Tout le monde a dit qu'il était une atteinte à la liberté, car un certain nombre de gens – en général favorisés, d'ailleurs – circulaient depuis une vingtaine d'années sans régulation.
Je vais d'ailleurs continuer cette comparaison, à laquelle je tiens, avec le permis de conduire : demandez aux gens qui sont sur l'autoroute et partent pour des vacances bien méritées s'ils ne considèrent pas cela comme un droit fondamental.
Je trouve que vous vous méfiez tous énormément de notre justice. Comme M. le rapporteur l'a précisé, c'est le juge… (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Ce n'est pas vous, c'est le Conseil constitutionnel ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
C'est nous qui avons fait appel au Conseil constitutionnel ! Vous pourriez au moins reconnaître cela !
Monsieur Bloche, à force d'être éclairé, vous allez bientôt passer pour un illuminé. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Au fond, le principe de la suspension a été accepté et contresigné par tous les fournisseurs d'accès – tous – lors des accords de l'Élysée en 2007.
Pour toutes ces raisons, avis défavorable.
…la culture, ce n'est pas simplement la lampe à huile !
C'est aussi la culture scientifique et technique – dont je trouve qu'elle n'est pas suffisamment développée dans notre pays, et particulièrement dans votre ministère : nous avons posé à plusieurs reprises des questions très claires, concernant l'internet, sur le plan technique, par exemple l'impossibilité technique de restreindre l'accès à un seul pays.
Vous dites avoir réglé le problème juridique en confiant la sanction au juge. Mais grâce à qui ? grâce aux socialistes…
Pas seulement, c'est vrai : grâce aussi à Jean-Pierre Brard – qui est apparenté comme moi, mais pas au même groupe. (Rires.)
C'est donc grâce aux apparentés que le Conseil constitutionnel a été saisi. Et vous avez été pris la main dans le sac ! Vous avez donc été obligés de laisser le juge prendre les décisions.
De plus, vous savez pertinemment qu'au-delà de cet aspect technique, il y a un aspect juridique qui n'est pas traité non plus : madame la garde des sceaux, combien de postes de juges allez-vous créer pour la HADOPI puisse fonctionner, pour régler les 50 000 situations qui seront transmises aux juges ?
Je vous ai déjà répondu.
Si vous aviez pris un autre chemin que celui de la suspension des connexions internet, vous seriez aujourd'hui dans une tout autre situation…
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est fini !
Votre temps de parole est épuisé, monsieur Rogemont.
La parole est à M. Jean Gaubert, pour répondre à M. le ministre.
Certes, monsieur le ministre, France Musique est une excellente radio. Mais, si vous vous contentez d'écouter France Musique, il se pourrait que vous passiez à côté de certains éléments de la pensée de nos concitoyens.
Nous, sans écouter France Musique tous les matins puisque nous écoutons parfois autre chose…
… nous regardons régulièrement nos mails, et nous avons un autre son de cloche.
Je suis parlementaire depuis douze ans, et c'est la première fois que je reçois autant de messages.
Il faut dire que nous en recevions moins naguère, puisque nous étions moins équipés. Mais c'est comparable aux lettres et pétitions que certains d'entre nous ont reçues au moment du PACS.
Nos concitoyens se considèrent comme très informés sur ce sujet.
Quant à l'interrogation sur un an ou un mois, je voudrais souligner un point : j'habite dans une zone très rurale, et il m'arrive qu'internet soit coupé – non pas du fait de la HADOPI, mais simplement parce que je suis mal desservi. Je ne pourrais pas télécharger, d'ailleurs, et je ne rencontrerai donc pas les problèmes que nous évoquons aujourd'hui.
Eh bien, je peux vous dire qu'une coupure d'internet pendant un mois est insupportable pour les gens qui en ont besoin. Cette sanction-là est déjà disproportionnée par rapport à la peine !
C'est une incitation !
Enfin, vous avez évoqué tout à l'heure le code de la route. Mme Alliot-Marie, qui a une longue expérience ministérielle et qui vient du ministère de l'intérieur, sait bien comment cela se passe avec les contraventions pour excès de vitesse.
Certes, on envoie l'amende au propriétaire du véhicule, mais on ne lui retire les points que s'il était le conducteur.
Voilà l'effet double peine que vous proposez. Cela ne fonctionne pas comme cela en matière de code de la route ; votre argumentation n'est donc pas valide.
Mon rappel au règlement se fonde sur l'article 58, alinéa 1, concernant le déroulement de nos travaux.
À cinq reprises, depuis ce matin, nous avons posé des questions techniques. À aucun moment, vous ne nous avez répondu, monsieur le ministre de la culture et de la communication.
Je réitère donc ma question. L'INRIA, qui fait autorité en la matière sur le plan scientifique et technologique, estime qu'au regard de l'internet dans le monde, la restriction de l'accès à internet telle que l'envisage le législateur est impossible à réaliser dans les faits.
L'ARCEP, Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, souligne que l'application de cette disposition – la suspension – est limitée en pratique, dans la mesure où elle est en contradiction avec d'autres dispositions du code des postes et des communications électroniques.
Madame Erhel, permettez-moi de vous interrompre. Le rappel au règlement porte sur l'organisation de la séance, et vous vous exprimez ici sur le fond. Je ne peux pas vous laisser continuer. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Mon rappel au règlement concerne, à l'évidence, le déroulement de notre séance.
M. Frédéric Mitterrand est un nouveau ministre, il ne connaît pas encore tous les usages, et parfois les roueries, qu'utilisent certains ministres.
Mais j'avoue que vous apprenez vite : de temps en temps, vous envoyez une torpille en espérant que nous n'allons pas vous répondre.
Hier soir, vous opposez Groucho et Karl, comme si le rire devait l'emporter sur la dialectique, alors que l'un se marie très bien avec l'autre ; tout à l'heure, vous excipiez du code de la route.
Mais comparaison n'est pas raison, et le mimétisme ne fait jamais une politique.
Monsieur le ministre, vous qui êtes un homme lettré, prenez de vraies références : revenez-en à Gutenberg et aux moines copistes !
Gutenberg a failli connaître le sort qui était à l'époque réservé aux innovateurs, c'est-à-dire le bûcher – à cause des moines copistes qui voulaient endiguer la modernité ! C'est ce que vous faites aujourd'hui.
Je n'ai pas fait de rappel au règlement pour fait personnel : le ministre a considéré que j'étais un illuminé ; mais je préfère encore être illuminé qu'allumé. (Rires.) C'est plus agréable.
En tout cas, si je suis illuminé, c'est par la nécessité de rappeler certaines choses. Je trouve, d'abord, un peu fort de café que le ministre de la culture et le rapporteur nous disent comme une évidence aujourd'hui que c'est le juge qui suspend l'accès à internet.
Vous nous dites que c'est ce qu'a dit le Conseil constitutionnel – oui, bien sûr ! Mais si nous n'avions pas saisi le Conseil constitutionnel, nous ne serions pas aujourd'hui en train de discuter de la loi HADOPI 2, et la Haute Autorité aurait compétence pour suspendre l'accès à internet.
De la même façon, cette référence au code de la route, je le répète, n'a absolument aucun sens. C'est – comment dire ? – débile. J'ose ce terme : c'est débile. Quand on est flashé sur une autoroute pour excès de vitesse, il y a des preuves matérielles que le véhicule qui vous appartient roulait trop vite. Ensuite, vous pouvez facilement prouver que vous ne conduisiez pas, parce qu'on vous l'avait volé ou parce que vous l'aviez prêté. Pour internet, il n'en va pas ainsi.
Nous aurons l'occasion de reparler de la négligence caractérisée. S'agissant de la contrefaçon, les faits sont difficilement prouvables – alors que dans le cas du code de la route, les faits sont difficilement contestables.
La référence au code de la route n'a donc absolument aucun sens. C'est aussi la raison pour laquelle nous souhaitons, avec cet amendement, supprimer ce qui est un durcissement d'HADOPI 2 par rapport à HADOPI 1… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
…c'est-à-dire le fait de ne pouvoir souscrire un nouvel abonnement pendant la durée de suspension.
Je voudrais, une nouvelle fois, suggérer au ministre de la culture la lecture complète de la presse de ce matin. Il l'a sans doute lu de façon un peu superficielle, et il a donc raté l'admirable leçon de droit administrée ce matin au Gouvernement par le professeur Dominique Rousseau, de l'université Montpellier-I.
Monsieur le ministre, vous auriez dû, en prenant vos fonctions, saluer d'une façon peut-être plus marquée la décision du Conseil constitutionnel. Cette décision sera encore commentée dans cinquante ans dans les facultés de droit : c'est la première fois que la Déclaration des droits de l'homme de 1789, et plus précisément son article XI, est invoqué pour fonder l'une des grandes libertés de la modernité, qui est la liberté d'accès à internet – condition d'exercice de quelques-unes de nos libertés principales.
Le professeur Rousseau – dans la conclusion de cet article, à laquelle vous n'êtes peut-être pas encore parvenu – écrit : « Sanctionner une négligence, même caractérisée, par une atteinte à une liberté jugée fondamentale “pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions” est, de jurisprudence constante, l'exemple type de l'erreur manifeste. »
Nous le disons ce matin, nous l'avons dit et nous le redirons : nous serons conduits à saisir le Conseil constitutionnel, car vous persévérez dans la mise en place d'une sanction totalement disproportionnée – et par ailleurs fondée sur une philosophie de la société numérique qui est une philosophie, je suis au regret de vous le dire, profondément réactionnaire.
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour soutenir l'amendement n° 790 .
…jusqu'à ce que vous commenciez à comprendre.
Peut-être vous en étiez-vous aperçus mais, comme beaucoup d'entre vous n'étaient pas là lors du débat sur HADOPI 1, ce qui vous a valu quelques mésaventures, je crois qu'il vaut la peine d'insister et d'insister encore…
…jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel soit amené à se prononcer une deuxième fois. En effet, si nous sommes là aujourd'hui, c'est bien grâce au recours que l'opposition a déposé auprès du Conseil constitutionnel et parce que tout ce que le ministre de l'époque et le rapporteur avaient pu nous dire était totalement erroné. Vous devriez donc faire preuve de prudence et nous écouter davantage.
La coupure d'internet n'est pas une sanction anodine parce que, comme nous l'avons déjà dit, l'accès à internet est un droit « imprescriptible ». Cette sanction est disproportionnée, d'autant qu'elle sera longue – elle pourra aller jusqu'à un an – et qu'elle sera assortie de l'interdiction de souscrire un nouvel abonnement.
Ne vous leurrez pas, les petits malins qui recevront un premier mail pourront très bien souscrire immédiatement un nouvel abonnement. Il n'est pas dit qu'on fermera tous les accès internet. Seul le compte sur lequel le téléchargement aura été opéré sera affecté, on ne touchera pas aux autres.
Les plus fortunés pourront avoir plusieurs fournisseurs d'accès en parallèle : un fournisseur d'accès pour le compte professionnel, un deuxième fournisseur pour les parents, un troisième pour les enfants, etc. Comme d'habitude, ce seront les plus modestes qui paieront de multiples fois – au moins cinq fois avec la loi HADOPI 2.
Bien sûr, monsieur le ministre, c'est le juge qui prendra la décision de suspendre l'accès à internet. Encore faut-il que cette sanction soit applicable et nous aimerions vous entendre sur cette question.
S'agissant de l'interdiction de reprendre un abonnement, comment allez-vous contrôler le respect de cette disposition ? Il n'existe pas de répertoire que les FAI pourraient consulter et, par conséquent, l'abonné pourra très bien souscrire un autre abonnement sous le nom par exemple de son épouse.
J'aimerais bien, monsieur le ministre, que vous nous répondiez enfin sur ces points techniques. Nous sommes là pour rédiger des lois, des lois qui soient applicables, non pour faire des lois bavardes, inefficaces. J'espère que, au moins par courtoisie, vous allez répondre à cette question que je vous pose pour la sixième ou septième fois mais à laquelle vous n'avez toujours pas répondu – parce que vous ne le souhaitez pas ou que vous ne le pouvez pas, je ne sais.
Madame, monsieur les ministres, vous le savez, la République ne saurait fonctionner sur une idée de vengeance, elle doit être juste. Or nous avons le sentiment que cet article 3 est inspiré par un esprit de vengeance, comme si, après la décision du Conseil constitutionnel, vous vous étiez dit : « Puisque nous n'avons pas obtenu la sanction que nous voulions, nous allons les avoir et aggraver encore la punition. » Ce n'est pas ainsi que cela devrait fonctionner. Ce que vous faites est indigne de la République et, de plus, c'est inefficace. Corinne Erhel notamment vient de le dire : si la sanction est efficace pour certains, sans doute les moins débrouillards, les moins informés, elle ne le sera pas pour les autres et pour reprendre votre exemple d'hier ou d'avant-hier, monsieur le ministre, la grand-mère du Gers – ou le grand-père, mais, en général, la grand-mère vit plus longtemps que le grand-père – pourra servir de couverture à ceux qui voudront contourner la loi. Ils pourront se réabonner sans difficulté.
Vous croyez élever une digue mais la base de la digue est déjà en train de rompre.
Je voudrais faire une première observation, avant de défendre l'amendement.
On nous a plusieurs fois opposé, par une sorte de glissement, une analogie avec le traitement judiciaire des suspensions de permis de conduire. Je rappellerai simplement que le permis de conduire est une autorisation administrative alors que l'accès à internet, et c'est bien en ce sens que le Conseil constitutionnel s'est prononcé, correspond à un droit fondamental. Tout découle de cela.
L'amendement n° 794 vise à supprimer la fin de l'alinéa 2, lequel prévoit une peine complémentaire consistant en l'interdiction de souscrire, pendant un an, un autre contrat portant sur un service de même nature auprès de tout opérateur.
Le fait de prévoir des peines complémentaires suppose que les premières peines encourues, les peines principales, c'est-à-dire la prison et l'amende, ne sont pas dissuasives. Après lui avoir fait supporter potentiellement une peine de prison et réellement une amende, est-il vraiment besoin d'aller traquer l'internaute dans ses derniers retranchements en lui supprimant, par cette peine complémentaire, les accès ?
Surtout, ce dispositif est inapplicable. Cette espèce de ligne Maginot virtuelle que vous voulez édifier sera évidemment contournée. Pour vérifier que la personne en question n'a pas souscrit un nouveau contrat avec un opérateur pour un autre accès internet, il faudra disposer d'un fichier nominatif. Qui le tiendra ? Qui le mettra à jour ? Comment vérifiera-t-on qu'il n'en est pas fait des usages peu recommandables ? Comment gérer le dispositif pendant un an, condition pour que votre sanction complémentaire soit applicable ?
La parole est à Mme Monique Boulestin, pour soutenir l'amendement n° 795 .
Puisque nous n'avons pu réussi à réduire la durée de suspension de l'abonnement, nous insistons à nouveau sur la nécessité d'atténuer le caractère par trop répressif de ce texte. Certes, nous devons respecter l'État de droit mais les mesures prises aujourd'hui ne doivent pas être un handicap supplémentaire pour celles et ceux qui sont besoin au quotidien d'utiliser l'outil internet et qui risquent de perdre leur emploi ou de ne pas en trouver. Il ne s'agit pas bien sûr de cautionner une fuite en avant, mais de garder raison, pour reprendre une formule célèbre, en supprimant la fin de l'alinéa 2.
D'abord, je voudrais répondre à Mme Erhel parce que je n'ai pas eu le temps de le faire tout à l'heure.
Tous les fournisseurs d'accès internet que la commission a reçus lors des auditions sur HAPODI 1 et 2 nous ont dit qu'il était tout à fait faisable, techniquement, de suspendre l'accès internet à un internaute. Certes, l'opération est plus compliquée dans certaines zones, notamment celles dites non dégroupées, mais elle est possible et le Gouvernement est en discussion avec les fournisseurs d'accès pour trouver le financement des installations techniques permettant la suspension de l'accès internet.
Concernant les offres composites dites triple play, auxquelles faisait référence tout à l'heure Mme Filippetti, la loi prévoit que les services de téléphonie et de télévision devront être maintenus s'il y a suspension de l'accès internet. En effet, l'alinéa 3 de l'article 3 dit précisément : « Lorsque ce service est acheté selon des offres commerciales composites incluant d'autres types de services, tels que les services de téléphonie ou de télévision, les décisions de suspension ne s'appliquent pas à ces services. »
Monsieur Mallot, les peines complémentaires auxquelles vous faisiez allusion peuvent se substituer aux peines principales.
Vous avez dit qu'elles viendraient en plus d'une amende. Ce ne sera pas forcément le cas, la sanction pourra être simplement une suspension de l'accès internet.
Enfin, concernant les amendements précisément, l'obligation faite dans HADOPI 1 aux fournisseurs d'accès internet de consulter un fichier avant tout nouvel abonnement tombe, et c'est le principe de la non-atteinte à l'autorité de la chose jugée qui prévaudra. Si un internaute se réabonne alors qu'il est sous le coup d'une peine de suspension de l'accès internet, il s'exposera ainsi à une amende de 3 500 euros.
Je voudrais d'abord répondre à Mme Boulestin. Ce que vous dites, madame, est parfaitement juste : c'est une pénalité, qui sanctionne des comportements que la loi juge répréhensibles. Les pénalités, ce n'est jamais agréable, je suis bien d'accord, mais si je reprends la comparaison de tout à l'heure, je trouve que l'interdiction de chéquier ou de carte bleue est une pénalité beaucoup plus dure et bien souvent injuste pour des gens qui sont dans des situations de précarité sociale graves.
Les personnes surendettées se retrouvent coincées. Je puis vous assurer – vous me croirez ou non – que toute ma solidarité leur est acquise, je sais que c'est beaucoup plus grave.
La personne qui contreviendrait à la loi que nous voudrions faire voter sur HADOPI sera quand même bien informée des dangers et des risques de sanction auxquels elle se trouve exposée puisqu'elle aura eu des avertissements, une intervention du juge… Ce n'est pas la même chose, le terrain est beaucoup plus balisé, et quoi qu'en dise, malgré le spectre de la grippe aviaire et toutes ces choses-là, les conséquences sociales ne sont pas aussi graves, madame Boulestin.
Madame Erhel, je vous rappelle les accords de l'Élysée, qui ont été signés par tous les acteurs culturels concernés et par les fournisseurs d'accès. Je vous rappelle également que 40 % de la bande passante sont « envenimés » par le trafic.
Vous ne pouvez pas dire le contraire, c'est la vérité.
Dès lors que nous sanctionnerons le trafic, nous récupérerons une marge.
D'autre part, nous espérons bien – ce sera mon travail, je vous en ai parlé, c'est un engagement – parvenir à développer l'offre légale lorsque la loi aura été votée.
En ce qui concerne les allusions à tel ou tel article de presse, j'ai lu avec attention et intérêt l'article de M. Dominique Rousseau auquel M. Paul faisait allusion. Il s'agit d'un article qui s'inscrit dans le cadre d'un débat, il figure d'ailleurs dans la chronique « Rebonds » du journal considéré. On peut à la fois lire l'article, y prendre de l'intérêt et ne pas souscrire à ses conclusions – bien au contraire.
Sur les amendements, l'avis du Gouvernement est défavorable.
La parole est à M. Patrick Bloche, pour répondre à la commission et au Gouvernement.
M. le ministre de la culture a répondu en égrenant les généralités et, comme on dit communément, en enfilant les perles. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Ce que nous vous demandons, monsieur le ministre – et pour cela, vous pouvez mobiliser les collaborateurs qui sont derrière vous –, ce sont des réponses techniques et juridiques à des questions techniques et juridiques. Cela ne va pas au-delà.
Vos considérations sur le monde, la vie, la société n'ont rien à faire dans cet hémicycle. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Que vous soyez solidaire et que vous ayez de la compassion pour les personnes qui sont privées de chéquier après avoir été amenées à faire des chèques sans provision, c'est très bien, cela montre que vous avez du coeur – nous aussi, nous avons ce même type de compassion.
Mais cela n'a strictement rien à voir avec le débat qui nous occupe aujourd'hui. Nous voulons des réponses techniques et juridiques à des questions techniques et juridiques. Nous n'en demandons pas plus.
M. le rapporteur fait l'effort de nous répondre – et nous saluons cette attitude, ainsi que sa connaissance du dossier. Cependant, en vous écoutant, monsieur le rapporteur, je me suis posé une question – simple, mais la réponse l'est peut-être moins car la situation est toujours délicate quand le Conseil constitutionnel censure partiellement certains articles et d'autres plus complètement. Entre la loi HADOPI 1 et HADOPI 2, vous avez durci votre position en prévoyant de sanctionner par une amende spécifique les internautes qui se réabonnent. Mais, si un internaute se réabonne, comment le saura-t-on ?
(Les amendements identiques nos 787 , 788 , 790 , 791 , 792 , 794 et 795 ne sont pas adoptés.)
L'amendement n° 530 propose que la peine complémentaire que constitue la suspension d'un an au plus ne puisse pas être prononcée s'il n'existe aucune offre légale de l'oeuvre ou des oeuvres concernées, protégées par un droit d'auteur ou un droit voisin.
Monsieur le ministre, vous venez de parler de l'extension de l'offre légale. On juge un homme politique – ce que vous êtes en train de devenir – non à ce qu'il dit, mais à ce qu'il fait. Vous avez annoncé vos intentions ; nous vous donnons l'occasion de les mettre aussitôt en pratique.
Notez que la rédaction très générale de l'amendement englobe l'offre tant physique que dématérialisée, ce qui peut vous satisfaire. Bien que cet amendement de bon sens ait été rejeté par le rapporteur, qui n'a pas votre ouverture d'esprit, et par Mme Albanel, votre prédécesseur, qui n'avait pas votre connaissance du dossier, nous espérons que vous émettrez un avis favorable. À défaut, vous contribueriez, et l'État à travers vous, à restreindre le champ de la culture et à assécher les ressources culturelles déjà rares.
Quand certaines espèces sont menacées de disparition, on tente de faciliter leur reproduction pour éviter qu'elles ne disparaissent. La logique voudrait qu'on en use de même avec les oeuvres culturelles qui ne bénéficient d'aucune offre légale. Comment nier que nombre d'entre elles, qui n'ont pas trouvé preneur, sont de grande qualité ? Vous-même, n'avez-vous pas eu du mal à publier votre premier ouvrage ?
Il s'agit d'un amendement de cohérence. Permettez en effet que l'internaute, désormais placé sous la menace d'une quintuple peine – amende pouvant aller jusqu'à 300 000 euros, peine de prison pouvant aller jusqu'à trois ans, suspension de l'abonnement pouvant durer jusqu'à un an, obligation d'en acquitter néanmoins le montant, versement de dommages et intérêts aux ayants droit –, ne puisse pas être condamné, à tout le moins, pour le téléchargement d'une oeuvre à laquelle il ne peut avoir accès légalement. À nos yeux, la sanction ne peut s'appliquer que si l'oeuvre protégée par un droit d'auteur ou un droit voisin est disponible.
Nous souhaitons tous développer l'oeuvre légale, ce qui n'est pas aisé. Vous le savez d'ailleurs, monsieur le ministre, puisque l'Assemblée nationale a voté à l'unanimité une réduction de la chronologie des médias visant à ramener de six à quatre mois le délai d'accessibilité des oeuvres sur certains supports. Vous vous êtes d'ailleurs déclaré satisfait de cet accord. Mais faut-il vous rappeler que la SACD ne l'a pas signé ? Son directeur, M. Rogard, a expliqué ses raisons par écrit. Autant dire que le développement de l'offre légale est un chemin de croix.
L'insuffisance de l'offre légale sur la toile est un vrai problème. C'est pourquoi nous nous réjouissons que le Gouvernement affirme qu'il faut la développer. Mais comment considérer qu'on n'a pas le droit de télécharger une oeuvre que l'artiste pourrait en quelque sorte garder pour lui ? Vous êtes sans doute très attaché à la diffusion des oeuvres, monsieur le ministre. Par ailleurs, nul ne remet en cause le principe d'une rémunération équitable des auteurs – encore faut-il qu'elle soit possible. Mais la question est : comment considérer que le téléchargement est illégal en l'absence de toute possibilité d'effectuer un téléchargement légal ?
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour soutenir l'amendement n° 808 .
Monsieur le ministre, cette série d'amendements vous offre l'occasion de prouver votre bonne foi. Nous sommes tous favorables à une augmentation de l'offre légale, qui demeure très insuffisante, comme vous l'avez vous-même indiqué lors de la réunion de la commission.
L'offre légale, qui n'est souvent que la duplication de certaines oeuvres emblématiques, est loin de recouvrir l'ensemble de la création, certaines productions ne trouvant pas d'éditeur. Dans ce cas, la diffusion sur internet reste le seul moyen d'échapper à l'oubli. Tout artiste souhaite que ses oeuvres soient diffusées. Quand il n'est plus là pour en assurer la promotion, internet peut y pourvoir.
Dès lors, comment poursuivre un internaute qui aurait eu la curiosité d'aller chercher ce qu'il n'a pu trouver sur un support physique ni télécharger légalement ? Si vous êtes attaché à la diffusion de la culture, ne vous privez pas de ces amendements. Il y va de votre crédibilité, d'autant que ce débat ne s'inscrit pas dans une bataille politicienne. Suspendre l'accès à internet de quelqu'un qui cherche à tout prix l'interprétation d'une sonate ou d'une symphonie qui n'est plus accessible sur un support légal reviendrait à nier la possibilité pour tous d'accéder à la culture.
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour soutenir l'amendement n° 811 .
Comment condamner pour téléchargement illégal quelqu'un qui voudrait accéder à une oeuvre, par exemple une reprise ou un enregistrement ancien, qui ne figure pas dans l'offre légale ? Le texte met en place une politique répressive qui freinera l'accès à la culture dans toute sa diversité. En matière musicale, les sites internet d'échange et de partage des fichiers permettent d'accéder à des reprises extraordinaires, véritables recréations à partir d'oeuvres originales, que l'on ne trouve pas dans l'offre légale.
Permettez-moi de citer une réflexion de M. le ministre, lorsque nous examinions le projet de loi en commission : « Concernant les oeuvres disparues, il est vrai que l'on est parfois bien content de pouvoir compter sur des enregistrements pirates de l'époque, ceux de la Callas, par exemple… Moi-même, je n'ai pu me procurer une interview de l'écrivaine danoise Karen Blixen – dont le roman autobiographique a été adapté au cinéma sous le titre Out of Africa – qu'en la recopiant… » Monsieur le ministre, puisque vous êtes amateur de ces oeuvres qui ne bénéficient pas d'une offre légale,…
…comment accepteriez-vous que l'on condamne ceux qui voudront, comme vous, y accéder ?
Nous souhaitons tant éviter M. Lefebvre que nous n'oublierons jamais cette double compétence ! (Sourires.)
Plus nous avançons dans notre débat, plus je pense à la formule de Bismarck : « Nous avons le choix entre une fin désastreuse et un désastre sans fin. » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
J'ai noté votre prudence, quand nous vous avons expliqué qu'une conception étatisée de la culture est à contre-courant de l'évolution du monde, qu'il ne faut pas créer de police des internautes, que le web est un espace sans frontières et qu'étouffer la culture est un combat d'arrière-garde. Mais cette fois, c'est le baiser qui tue ! Si une oeuvre n'est pas disponible légalement, on ne peut sanctionner son téléchargement. Nous ne vous suivrons pas sur ce terrain.
Tout à l'heure, vous nous avez jugés « un peu illuminés ». Nous préférerions, pour citer Apollinaire, que vous rallumiez les étoiles et que vous alliez dans le bon sens.
La parole est à Mme Monique Boulestin pour soutenir l'amendement n° 813 .
Nous avons tous des enfants, que la curiosité pousse à télécharger certaines oeuvres. C'est pourquoi, comme mes collègues, je propose de compléter l'article 3 en ajoutant, après l'alinéa 2, que la peine complémentaire prévue au premier alinéa ne peut être prononcée en l'absence d'une offre légale de l'oeuvre concernée, protégée par un droit d'auteur ou un droit voisin.
Il faut en effet faire évoluer notre réflexion. L'amendement devrait être retenu si l'objectif des pouvoirs publics est réellement d'encourager l'offre légale.
L'adoption de ces amendements remettrait en cause le principe même du droit d'auteur, du droit patrimonial des auteurs et surtout de leur droit moral : si un artiste, auteur, compositeur ou interprète, ne souhaite pas que ses oeuvres soient mises à la disposition du public, il en a tout à fait le droit.
Ensuite, il faut considérer la manière dont le système fonctionnera concrètement. Contrairement à ce que vous prétendez, il n'y aura pas de surveillance généralisée de toute la toile.
Seules certaines oeuvres marquées seront surveillées : celles dont les auteurs ou les ayants droit entendent que leurs droits soient défendus.
On défendra la soupe des majors, c'est-à-dire de Johnny Halliday et de Mireille Mathieu, qui fait un retour tous les cinq ans le soir de l'élection présidentielle !
Les oeuvres qui ne sont pas accessibles de manière légale sur internet ne seront pas marquées, donc ne seront pas identifiées comme ayant été téléchargées illégalement. C'est très clair. À défaut – nous l'avons dit et répété –, le juge se prononcera en fonction des circonstances de l'espèce, dont l'accessibilité ou non de l'oeuvre sur internet fait manifestement partie.
M. Bloche va encore taxer mes propos de « généralités », s'il ne les trouve pas utopiques,…
…alors que j'ai plutôt le sentiment de vous parler de situations concrètes dont j'ai pu faire l'expérience.
Je suis membre de la SACD, qui n'est pas la seule société des auteurs puisque la SACEM et la SCAM défendent peu ou prou les créateurs de la même manière. Le refus de la SACD de signer la chronologie des médias est encore négociable. Voilà pour le premier point.
Je voudrais par ailleurs m'adresser plus particulièrement à M. Gagnaire en faisant état de mon exemple personnel.
J'ai dû réaliser environ deux cents films à caractère historique pour la télévision, films qui furent ou non appréciés, là n'est pas la question.
Souvent, des gens me disent qu'ils aimeraient les revoir.
Or, c'est impossible pour la simple raison que ces films ont été conçus à partir d'archives dont on achète les droits pour un an, deux ans, cinq ans, pour le territoire français ou le territoire international. Si vous achetez des droits pour cinq ans sur le territoire international, cela coûte atrocement cher, surtout pour un service public qui a été pendant fort longtemps très impécunieux.
Le résultat est que les films passent une ou deux fois à la télévision, puis disparaissent.
Je suis un auteur qui n'a même pas accès au travail qu'il a réalisé pendant vingt ans et qui l'a mobilisé des nuits entières.
Sans porter de jugement sur la qualité de mon travail, le créateur, ou l'artiste, que je suis pourrait se désoler que ses oeuvres ne soient pas disponibles. Et c'est le cas d'ailleurs.
La situation est plus simple pour le cinéma puisque, face à un ou deux producteurs, les droits sont négociables. Les films correspondent à l'offre légale. On peut les acheter, les faire circuler.
Tout cela pour vous dire…
Oui, monsieur Bloche, j'en arrive à la chute.
J'essaie de vous raconter la vie de la culture, monsieur Bloche. Il me semble que vous vous y intéressez, non ? Je ne cherche pas à attirer l'attention sur moi, mais simplement vous présenter un cas d'école car je ne suis pas le seul dans cette situation que j'ai acceptée alors que j'aurais tout aussi bien pu me révolter.
Si, un peu tout de même.
J'en arrive au deuxième stade. Lorsque la loi aura été votée, je ferai en sorte que l'offre légale soit élargie afin que cette situation, qui a concerné de très nombreux auteurs et créateurs, change.
Avez-vous l'autorisation de Nicolas Sarkozy ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Plusieurs députés UMP. C'est petit !
Ne rabaissez pas le débat !
L'exemple que je viens de vous donner illustre la nécessité de développer l'offre légale, une fois la loi votée et les mesures de protection prises. Avis défavorable.
Monsieur le ministre, en nous parlant de vous, vous n'êtes cette fois pas tombé dans les généralités. Vous avez soulevé un vrai problème, celui de la circulation des oeuvres. Je le souligne d'autant plus qu'ont été rejetés tous les amendements que nous avons déposés lors de l'examen d'HADOPI 1 pour faciliter la circulation des oeuvres, en particulier celles qui sont bloquées par les chaînes de télévision – je n'en citerai aucune mais c'est une situation dont vous-même avez été victime.
Cela fait donc longtemps que nous nous sommes penchés sur cette question. Je suis, comme vous, membre de la SACD et je pense que Pascal Rogard sera heureux de savoir que, tôt ou tard, il signera. Le connaissant, je suis certain que le fait de voir décider à sa place va le réjouir.
Je n'ai rien décidé à sa place.
Vous avez dit : « Il signera tôt ou tard ». On lui transmettra le message, il en sera heureux.
Pour ce qui est de développer l'offre légale, vous auriez déjà pu rendre un avis favorable à l'amendement. Vous ne l'avez pas fait, mais puisque vous prétendez vivre dans la réalité, sachez que le TGI de Créteil vient de suspendre le plan social – 168 suppressions d'emplois à la clé – mis en place par la Fnac Bastille, seul grand disquaire généraliste de l'Est parisien. J'avais déjà saisi à deux reprises de cette question Mme Albanel, qui m'a répondu par un communiqué insultant via l'AFP. Je n'y reviendrai pas. Je vous ai réécrit le 8 juillet…
Prenez connaissance de mon courrier. Vous avez la solution entre vos mains puisqu'il vous suffirait de demander à la direction de l'opéra Bastille de mettre des locaux à la disposition de la Fnac Bastille pour qu'elle puisse s'agrandir.
(Les amendements identiques nos 530 , 805 , 806 , 808 , 811 , 812 et 813 ne sont pas adoptés.)
J'aimerais rebondir sur votre précédente intervention, monsieur le rapporteur. Vous nous dites que le téléchargement d'une oeuvre qui n'est pas marquée ni surveillée ne saurait être sanctionné. Vous nous expliquez ensuite qu'une oeuvre qui ne serait pas légalement disponible sur internet ne pourrait être marquée. Vous en déduisez logiquement, puisque vous êtes un esprit cartésien, que son téléchargement ne serait pas davantage illégal.
Or, le gouvernement a l'intention de ne surveiller que mille films et dix mille titres musicaux, ce qui est très peu. Il va créer, de ce fait, une discrimination inacceptable entre les artistes. Comment allez-vous sélectionner les quelques privilégiés dont les oeuvres seront protégées ?
Je ne vois qu'une solution : le gouvernement doit s'engager, si la loi HADOPI 2 est un jour votée et promulguée, à rendre publique la liste des films et des titres musicaux qui seront surveillés par les représentants des ayants droit et les agents assermentés de l'HADOPI.
Les internautes doivent disposer de cette information essentielle pour savoir s'ils téléchargent légalement ou illégalement.
La charge de la preuve technologique est à présent du côté du gouvernement. Si vous maintenez ce type de sanction, il est essentiel que les services qui ne relèvent pas du téléchargement, comme la télévision ou la téléphonie, ne soient pas, eux aussi, suspendus, ne serait-ce que pour permettre d'accéder aux services d'urgence.
Nous vous mettons en demeure, avec courtoisie mais fermeté, de nous démontrer que l'on peut techniquement séparer les différentes composantes de l'abonnement dans le cas d'offres composites. Nous attendons une réponse précise, d'autant que les opérateurs de télécommunications contestent la possibilité d'opérer une telle distinction. Peut-être défendent-ils des intérêts particuliers. Il vous revient de nous prouver le contraire.
Je voudrais par ailleurs faire écho à la question de M. Bloche au rapporteur. Si vous ne surveillez qu'un certain nombre de morceaux de musique ou de films, qu'allez-vous dire à tous les producteurs indépendants qui soutiennent des artistes peu connus, dont l'impact économique est très limité ? Cela voudrait dire que la ligne Maginot ne les concerne même pas ! Monsieur le rapporteur, en quoi votre dispositif peut-il aider ceux que vous prétendez soutenir ?
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour soutenir l'amendement n° 799 .
Les débats ont permis de légèrement progresser sur la question du triple play puisque, lors de l'examen d'HADOPI 1, Mme Albanel niait la réalité en prétendant qu'il n'y avait pas de difficulté à couper l'accès à internet sans couper en même temps l'accès au téléphone et à la télévision. Vous distinguez aujourd'hui entre les zones dégroupées et les zones non dégroupées, où la coupure ne serait pas possible, créant du même coup une inégalité qui s'ajoute à celle que vous avez fait naître entre les artistes dont les oeuvres seraient surveillées – on peut imaginer lesquels – et les autres.
Non, c'est vous qui nous avez précisé que 10 000 titres musicaux et 1 000 films seulement seraient surveillés. On ne sait pas lesquels, mais il est évident pour tout le monde qu'il s'agirait des artistes proches de l'Élysée.
J'en reviens au triple play. Il n'est pas question de couper l'accès au téléphone car c'est un moyen de communication indispensable, d'autant plus qu'il est quasiment gratuit lorsque l'on utilise l'e-téléphone et que l'on n'a plus que la facture internet à acquitter, ce qui est très appréciable en cette période où le pouvoir d'achat des ménages est particulièrement malmené. Nous aimerions avoir quelques précisions sur ce sujet, en particulier sur le coût à acquitter pour pouvoir intervenir dans les zones non dégroupées. Votre obstination risque de coûter très cher au contribuable.
La parole est à Mme Aurélie Filippetti pour soutenir l'amendement n° 802 .
La question du triple play pose le problème de l'égalité des citoyens devant la loi, selon qu'ils habitent en zone dégroupée ou non. À cela s'ajoute la discrimination que vous créez entre les artistes dont les oeuvres seront surveillées et les autres, alors même que vous prétendez favoriser l'émergence des jeunes artistes.
L'impossibilité technique de suspendre l'accès à internet sans fermer du même coup l'accès au téléphone et à la télévision pose un vrai problème – et je ne parle pas de celui que soulève la perte de l'accès aux messageries électroniques.
Techniquement, je le répète, vous vous heurtez là à une impossibilité. Vous portez dès lors une grave atteinte à une liberté fondamentale, rappelée à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme : la liberté d'expression et de communication des opinions.
Or le jeu n'en vaut pas la chandelle car vous ne résoudrez en rien la question du financement de la création.
En revanche, vous risquez de porter un coup très dur à la liberté d'expression et de communication de nos concitoyens.
La parole est à M. Michel Françaix, pour défendre l'amendement n° 803 .
Je ne sais plus aborder ce genre d'amendement autrement qu'en demandant au ministre de résister à l'entêtement. Vous voyez bien que le dispositif, à un moment donné, dépasse le raisonnable.
L'évolution technologique, chacun le sait, ne nous permettra pas de garder le contrôle de la situation – c'est ce que j'appelle l'ébriété technologique. De plus, il y aura les « amis de la famille » et les autres. Certains seront protégés. Quant aux autres, on leur répondra que c'est impossible, que c'est tant pis pour eux et que, du reste, le présent texte ne les concerne pas : le ministre de la culture pensera à eux dans HADOPI 3 – on ignore évidemment quand. Ils seront, une fois de plus, laissés pour compte.
En outre, comme Mme Filippetti l'a remarqué, le texte instaurera une inégalité entre les citoyens, selon qu'ils habitent ou non en zone dégroupée.
De fait, le projet est de plus en plus rafistolé au fur et à mesure qu'il avance, les artistes sont de plus en plus oubliés et les internautes de plus en plus pénalisés.
Monsieur le ministre, résistez à l'entêtement ! Mettez votre vigueur au service des artistes. Ne vous obstinez pas à faire adopter un projet qui n'a aucun sens.
La parole est à Mme Monique Boulestin, pour défendre l'amendement n° 804 .
Je tiens à revenir sur le coût économique de cette mesure.
Il semblerait que les FAI aient à investir quelque 70 millions d'euros afin d'adapter leurs infrastructures,…
…puisque – cela a déjà été dit – il leur faudra isoler le flux internet afin de ne pas suspendre les autres services en cas de sanction prononcée, notamment la téléphonie et, avec elle, les services d'urgence, ainsi que la télévision. Chacun imagine aisément la complexité d'une telle opération, notamment pour la téléphonie dans les zones non dégroupées.
Par ailleurs, monsieur le rapporteur, dois-je vous rappeler que vous nous avez maintes fois répété que les FAI avaient d'ores et déjà donné leur accord de principe en soulignant la faisabilité de l'opération ? Or la Fédération française des télécoms se montre beaucoup plus réticente puisqu'elle évoque désormais la menace qui plane « sur le modèle de développement de l'internet en France ».
Défavorable.
Patrick Bloche a d'abord avancé une affirmation fausse avant d'arriver ensuite à la vérité. Il a déclaré que c'est le Gouvernement qui choisirait les artistes qui seront surveillés ou protégés avant de se rattraper en reconnaissant que ce seront les ayants droit eux-mêmes qui décideront s'ils souhaitent être, ou non, identifiés et suivis par les sociétés qui, travaillant pour eux, transmettront les résultats de leurs investigations aux agents de l'HADOPI. Ce n'est donc absolument pas le Gouvernement qui choisira tel ou tel ami du pouvoir, comme vous le prétendez, monsieur Gagnaire.
Soyez rassuré : ce seront les ayants droit eux-mêmes, à savoir les artistes de ce pays, qui décideront s'ils veulent être, ou non, protégés.
Quant aux petits artistes indépendants qui n'auraient pas les moyens de se protéger, il est précisément de leur intérêt que ne soit pas rendue publique la liste des oeuvres qui seront marquées. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mesdames et messieurs les députés socialistes, ce projet de loi a une visée pédagogique, puisqu'il a pour objet d'envoyer un signal fort aux Français :…
… les dissuader de continuer à télécharger illégalement et les convaincre de le faire légalement, ce qui permettra, madame Fillipetti, de financer la création dans notre pays. Il dispose, de plus, que si, après avertissement, ils continuent de télécharger illégalement, ils encourront des sanctions – suspension de l'accès à internet ou amende prévue par le code pénal.
Voilà tout l'objet du texte : je ne vois pas où est le mal !
Le côté aléatoire de l'application de cette loi me chagrine quelque peu !
Je souscris totalement aux propos du rapporteur, auxquels je n'ai rien à rajouter.
En conséquence, avis défavorable.
Cet échange, au cours duquel M. le rapporteur a rappelé mes déclarations sur le Gouvernement, est très intéressant.
C'est, en effet, lorsque le Gouvernement a fait ses observations sur notre recours devant le Conseil constitutionnel, que nous avons pu, enfin, avoir connaissance du mode d'emploi de ce qui n'était pas encore HADOPI 1, mode d'emploi dont nous avions vainement demandé communication durant la première et la deuxième lectures du texte : Mme Albanel ne nous avait alors apporté aucune réponse sur le fonctionnement d'HADOPI. C'est donc parce que nous avons déposé un recours devant le Conseil constitutionnel que nous avons appris comment HADOPI fonctionnerait !
Or, c'est à ce moment que nous avons découvert que seuls 1 000 films et 10 000 titres musicaux seraient protégés !
Certes, ce ne sera pas le Gouvernement qui les choisira, ce seront les sociétés de perception et de répartition des droits d'auteur – SPRD.
Mais lorsque vous nous annoncez, monsieur le rapporteur, que la liste ne sera pas publiée mais qu'elle sera cachée, nous comprenons que votre démarche vise à piéger à tout prix les 30 millions d'internautes que vous considérez potentiellement comme des contrefacteurs.
L'honnêteté voudrait que cette liste des 1 000 films et 10 000 titres musicaux soit rendue publique. J'espère en effet que de nombreux artistes voudront savoir s'ils figurent ou non dans cette liste,...
…c'est-à-dire si leur oeuvre sera surveillée ou non et si, en cas de téléchargement illégal, les agents assermentés de l'HADOPI constitueront un dossier qu'ils transmettront au Parquet. Le texte instaure une rupture d'égalité, c'est-à-dire une discrimination entre les artistes protégés, auxquels s'intéressera l'HADOPI, et les autres, ce qui n'est pas acceptable. Nous, nous aimons tous les artistes !
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l'amendement n° 529 .
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, le débat qui vient d'avoir lieu est très intéressant, puisqu'il révèle, à la fois, votre refus de la transparence et l'obsession sécuritaire et répressive qui vous habite.
De plus, monsieur le ministre, vous n'avez pas répondu à deux questions. La première porte sur les centres de rétention pour internautes : votre absence de réponse ne laisse pas de nous interroger, à moins qu'il ne s'agisse d'un aveu.
La seconde concerne les marges dont vous disposez pour aller plus loin dans votre travail, chacun connaissant l'autoritarisme non éclairé du Président de la République.
L'amendement n° 529 vise à insérer, après l'alinéa 3, une disposition permettant aux fournisseurs d'accès de s'exonérer de leur obligation de suspension de la connexion à internet et donc de ne pas être exposés à la sanction pécuniaire découlant de la non-application de la mesure prononcée par l'autorité judiciaire, lorsque cette suspension aurait pour conséquence d'altérer l'accès de nos concitoyens aux services d'urgence, via la ligne téléphonique.
Dans la mesure où près des quatre cinquièmes du territoire sont constitués de zones non dégroupées, le risque que nous évoquons est grand, tout comme est grande la crainte des opérateurs qui nous ont alertés sur ce point précis.
Le rejet de cet amendement constituerait un risque pour les FAI, qui encourent des sanctions administratives, voire pénales, en cas de coupure de l'accès à ces services d'urgence.
Monsieur le ministre, vous avez des marges, puisque vous êtes la seule personne d'intérêt qui ait été remontée de la mer dans les filets du Président de la République. Cela vous donne du pouvoir, du moins si vous avez de la volonté politique.
Défavorable.
Le texte précise déjà que, dans le cadre des offres composites, les services de téléphonie et de télévision devront perdurer en cas de suspension de l'accès à internet. Cela signifie, a contrario, qu'on ne pourra pas suspendre l'accès à internet si le maintien du téléphone ou de la télévision se révèle impossible.
Si c'est aussi évident que vous le dites, qu'est-ce qui s'oppose à l'adoption de l'amendement n° 529 ? Si vous vous y opposez, c'est que vous avez une idée perverse derrière la tête !
Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas vous en sortir en vous contentant de dire : « Défavorable ». Ou bien vous avez des arguments, ou bien vous n'en avez pas. Si vous en avez, développez-les ; si vous n'en avez pas, c'est un aveu. Vous avez de l'autorité grâce à votre passé : vous pouvez donc avoir du pouvoir.
Mon allégorie ne vous a pas convenu. J'aurais pu dire que vous avez été remonté dans la nasse, même si vous avez un peu batifolé autour de l'appât – cet appât était-il Nicolas Sarkozy lui-même ? Je l'ignore. Quoi qu'il en soit, vous devez répondre, monsieur le ministre, à la question sur les centres de rétention pour les internautes, à celle qui porte sur les marges dont vous disposez, ainsi qu'à notre amendement.
Si les intentions du Gouvernement sont si positives que vous semblez le dire, alors il n'y a aucun problème et vous devez accepter notre amendement. Ce faisant, vous rétablirez le climat de confiance vis-à-vis des internautes et des fournisseurs d'accès. Actuellement, ce climat n'existe pas et si vous n'acceptez pas cet amendement, vous sortirez de ce débat complètement éclopé : ce n'est pas ce que nous vous souhaitons, alors même que vous venez d'arriver à ce poste.
Il n'est pas acceptable qu'un abonné dont la connexion a été suspendue continue de payer son abonnement. Rien ne justifie que le code de la consommation ne s'applique pas dans ce cas et il est injuste qu'un fournisseur d'accès s'enrichisse sur le dos de l'internaute, sans proposer en échange un service.
De plus, la sanction devient disproportionnée par rapport au délit. En effet, alors que l'abonné aura dû payer une amende et qu'il aura été sanctionné par la peine complémentaire de suspension, il devra payer une amende bis en continuant de payer un abonnement inutile. Ce sera en somme une troisième peine, voire une quatrième, puisqu'il devra également supporter les frais de résiliation.
Cette loi, contrairement à ce que vous affirmez, ne sera pas pédagogique. Elle sera aveuglément répressive. Tout cela est exagéré quand on songe sérieusement au délit commis – le partage de la culture – d'autant que l'appauvrissement actuel de nos concitoyens est effrayant. Continuer de payer son abonnement, ce n'est pas du tout la même chose, en proportion, pour un électeur des circonscriptions de Mme Aurillac ou de M. Goasguen, et pour un électeur de Montreuil. C'est comme pour la TVA : Mme Bettencourt achetant une tranche de foie gras et un Montreuillois une tranche de pâté de foie paient, l'une comme l'autre, 5,5 % de TVA.
Un député du groupe SRC. Le foie gras n'est pas un produit de première nécessité.
Nous sommes désolés de devoir nous montrer répétitifs. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Cependant, le dispositif dont il est ici question est tellement scandaleux que nous y sommes contraints.
Vous auriez tout de même pu faire un effort et abandonner cette disposition vraiment insensée en passant de la loi HADOPI 1 au projet HADOPI 2.
On va suspendre un abonnement pour une durée allant jusqu'à un an. Or l'alinéa 4 de l'article dispose que « la suspension de l'accès n'affecte pas, par elle-même, le versement du prix de l'abonnement au fournisseur du service ».
« Très bien » ? Mais c'est scandaleux ! Vous justifiez l'enrichissement sans cause des fournisseurs d'accès à internet !
On va couper l'abonnement pendant un an et, alors que la prestation correspondant à cet abonnement ne sera évidemment pas fournie, l'internaute devra continuer à payer !
Mais dans quel monde vivons-nous ? Au cours de l'examen du projet HADOPI 1, nous trouvions déjà cette disposition si contestable que nous nourrissions l'illusion que vous vous ressaisiriez et que vous abandonneriez ce que nous appelions alors une double peine, et que le présent texte a même transformée en quintuple peine.
Et même, tenez-vous bien, l'alinéa 4 dispose que « l'article L. 121-84 du code de la consommation n'est pas applicable au cours de la période de suspension », afin d'éviter un conflit entre deux lois. Vous marchez sur la tête des consommateurs, vous foulez aux pieds le fondement même du droit de la consommation !
Certains ont assimilé la suspension de la connexion à internet aux coupures d'eau et d'électricité, or tout le monde sait fort bien que l'on ne paie plus l'eau ni l'électricité quand elles ont été coupées.
La parole est àM. Jean-Louis Gagnaire, pour soutenir l'amendement n° 817 .
J'entends au préalable défendre l'amendement n° 815 , madame la présidente, comme il est prévu.
La présidence doit en effet faire preuve d'une grande attention car ces débats sont très complexes. Mais il est vrai que, si nous obtenons très rarement satisfaction de la part du Gouvernement, c'est plus souvent le cas, en revanche, de la part de la présidence...
…qui s'efforce de faire en sorte que le travail parlementaire avance à bon rythme.
L'enrichissement sans cause dénoncé par l'amendement n° 815 est absolument indéfendable.
Cette disposition vous vaudra une réprobation unanime du pays quand nous la lui aurons expliquée. Vous verrez en effet arriver dans vos permanences des concitoyens internautes qui vous demanderont pourquoi ils devront continuer pendant des mois à s'acquitter d'un abonnement que vous avez contribué à suspendre.
Les fournisseurs d'accès sont d'ordinaire très prompts à protester quand ils font l'objet d'une taxation – vous les avez ainsi taxés pour financer la nouvelle ORTF, il y a quelques mois – ; ils sont prompts à protester quand ils sont assujettis à de nouvelles obligations ; or, curieusement, dans cette affaire, on ne les entend pas.
Comme s'ils avaient conclu une sorte de « deal » caché avec le Gouvernement.
Aussi souhaitons-nous savoir, monsieur le ministre, quelles sont les contreparties cachées à votre volonté de maintenir le paiement d'un abonnement qui a été suspendu.
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour soutenir l'amendement n° 817 .
Je vais me risquer à une explication : cette disposition apparaît comme la contrepartie de l'adhésion des fournisseurs d'accès à internet aux accords de l'Élysée.
Il s'agit là d'un enrichissement sans cause prohibé par le droit, tout de même !
Vous auriez pu, à la limite, convertir le montant de l'abonnement en une amende qui aurait abondé un fonds pour la promotion de la culture, pour le soutien aux artistes. Vous auriez pu demander aux FAI de reverser l'équivalent des abonnements suspendus à un tel fonds. Seulement, vous n'en êtes pas là et, vous nous l'avez montré à plusieurs reprises, votre préoccupation première n'est pas la juste rémunération des artistes, mais la satisfaction à tout prix d'une obsession présidentielle. Parlerons-nous un jour, monsieur le ministre, de la véritable question qui est celle, j'insiste, de la rémunération des artistes ?
Cette disposition est donc proprement scandaleuse et n'existe nulle part ailleurs. On n'a jamais vu, en France, qu'on devait payer pour des services non rendus. Il va bien falloir éliminer cette incohérence, monsieur le rapporteur ; mais, comme vous ne nous avez jamais convaincus, je compte sur Mme la garde des sceaux et sur M. le ministre de la culture pour revenir sur ce dispositif scandaleux et qui commet, j'insiste, une entorse au droit – l'enrichissement sans cause serait sévèrement sanctionné dans d'autres domaines.
La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour soutenir l'amendement n° 819 .
La sanction dont nous parlons est vraiment disproportionnée puisqu'elle est assortie du maintien pour l'abonné de l'obligation de verser le montant correspondant à l'intégralité de son abonnement. Autrement dit, la suspension est assortie d'une sanction financière, non au bénéfice de la collectivité ou des auteurs que la loi est censée protéger, mais au bénéfice exclusif de l'intérêt particulier des fournisseurs d'accès à internet.
Le maintien de cette obligation de payer viole le principe de la légalité des peines, qui s'impose aussi bien aux autorités juridictionnelles qu'aux autorités administratives indépendantes. La disposition contestée revient ainsi à instaurer une sanction financière dont elle ne détermine pas le montant et qui variera, non pas en fonction de la gravité du manquement reproché, mais selon les dispositions contractuelles en vigueur entre l'abonné et son fournisseur d'accès, la privant ainsi de bases légales.
Si nous raisonnons plus avant, nous voyons bien que de nombreux internautes seront doublement pénalisés – ceux en particulier qui s'abonnent via l'internet à des quotidiens, comme certains d'entre nous sur ces bancs sans doute. Non seulement ils continueront à payer leur abonnement internet, mais, n'ayant plus accès aux quotidiens en ligne auxquels ils se sont abonnés, ils devront les acheter en kiosque.
Jusqu'où êtes-vous prêts à aller pour installer les gens dans la précarité ? (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)
Je rappelle de surcroît que les fournisseurs d'accès à internet réalisent des bénéfices importants. Ainsi, Illiad, maison mère de Free et Alice, a réalisé en 2008 un bénéfice de 100,4 millions d'euros pour un chiffre d'affaires de 1 565 milliard d'euros. Ces gens ne vont pas me faire pleurer, de même que les artistes que vous nommez régulièrement et qui veulent avoir leurs droits d'auteur. Je leur rappelle, puisque vous les incitez à regarder nos débats, qu'ils ne toucheront pas un euro de plus.
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour soutenir l'amendement n° 820 .
Le dispositif dont nous parlons pose un problème à la fois juridique et social.
Un problème social car on sait très bien que la part des communications – internet, téléphonie… – explose dans le budget des ménages et pèse bien sûr plus durement sur les plus modestes de nos concitoyens. Or une sanction qui contraint des gens à continuer de payer un abonnement à internet alors que leur connexion aura été suspendue, va frapper les mêmes, de façon discriminatoire.
Du point de vue juridique, la disposition que nous contestons est absurde puisqu'elle ne bénéficiera qu'aux fournisseurs d'accès à internet. Elle a bien sûr pour conséquence un enrichissement sans cause puisque les FAI ne fourniront plus le service pour lequel ils continueront d'être rémunérés. Au nom de quoi ?
En outre, l'article L. 121-84 du code de la consommation ne s'appliquera pas et, en ce sens, l'alinéa 4 de l'article du présent texte constitue une disposition exorbitante du droit commun. Les FAI n'auront pas l'obligation de prévenir les internautes que leur ligne sera suspendue et qu'ils devront malgré tout continuer de payer.
Cette disposition porte également atteinte au principe d'égalité entre les citoyens puisque la sanction financière ne sera pas égale pour tous : elle dépendra du contrat conclu entre l'internaute et son fournisseur d'accès à internet. Selon le contrat que vous aurez signé, la sanction financière sera différente. Ainsi est violée l'économie générale des contrats, atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaît manifestement la liberté qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Cet amendement vise à supprimer les alinéas 4 et 5 de l'article 3. Je ne reviendrai pas sur l'accumulation des six peines qui tomberont sur la tête du contrevenant. La disproportion entre l'infraction et la peine est aussi évidente que l'acharnement des pouvoirs publics : on va traquer l'internaute jusqu'à le condamner à payer un abonnement dont il n'aura plus le bénéfice.
Mme Lemorton évoquait à l'instant la presse dématérialisée. Il existe aussi des journaux en ligne qui n'ont pas de version papier. Dès lors, non seulement l'internaute verra sa connexion suspendue et devra continuer à payer son abonnement, mais il devra aussi continuer de payer l'abonnement au journal en ligne, dont il ne pourra ainsi pas avoir connaissance du tout, faute, je le répète, de version papier. On pourrait dès lors parler d'une septuple peine…
La question se pose également du cumul d'une sanction administrative pécuniaire avec une sanction pénale, sujet sur lequel, je pense, le Conseil constitutionnel aura à se prononcer.
En ce qui concerne l'enrichissement sans cause des fournisseurs d'accès à internet, je m'interroge. En effet, les dirigeants de ces entreprises vont jouir d'un avantage évident. Je me demande si vous allez les faire bénéficier du même envoi que les restaurateurs qui ont reçu, une fois que vous avez tenu votre engagement de baisser la TVA à 5,5 %, un tract dont le verso comportait un bulletin d'adhésion à l'UMP (Murmures sur les bancs du groupe UMP),…
…pour la modique somme de 35 euros pour la cotisation simple et de 45 euros pour la cotisation en couple. Je m'attends que vous envoyiez également aux dirigeants des FAI une semblable carte.
La parole est à Mme Monique Boulestin, pour soutenir l'amendement n° 822 .
Pour les mêmes raisons que celles invoquées par mes collègues, je demande la suppression des alinéas 4 et 5 de l'article. Ces dispositions contraignent l'internaute dont la connexion internet est suspendue à continuer de payer son abonnement ou de payer des frais de résiliation et, de ce fait, elles font peser une obligation pécuniaire injustifiée sur des personnes déjà lourdement sanctionnées.
Je remarque qu'à aucun moment, dans ce débat, on n'a indiqué que les sommes retenues seraient reversées aux artistes.
Or c'est la question qui est censée nous occuper depuis plusieurs jours…
Quel est l'avis de la commission sur cette série d'amendements identiques ?
Laissez-moi insister sur le fait que nul n'est obligé de ne pas respecter la loi. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Bien sûr que si ! La menace d'une sanction est censée dissuader tout le monde !
Celles et ceux qui verront leur abonnement suspendu auront été condamnés par un juge pour délit de contrefaçon ou pour négligence caractérisée.
Ce ne sont pas des victimes ; les victimes, ce sont les artistes pillés par ceux qui téléchargent illégalement tous les jours. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Vous parlez d'enrichissement sans cause.
Le contrat ne tombe pas avec la suspension de l'accès à internet, monsieur Mallot. Le contrat de droit civil entre l'abonné et le FAI n'est pas affecté par la suspension de l'accès à internet.
Le paiement de l'abonnement a donc une cause : c'est le contrat. Pourquoi le FAI supporterait-il, pour le coup, un appauvrissement sans cause ? Ce serait le pénaliser pour le fait d'autrui, ce qui constituerait même un risque d'inconstitutionnalité.
Je ne vais pas reprendre les arguments que M. le rapporteur a exposés, qui sont absolument justes.
Non. Et parler des restaurateurs, ce n'est pas une diversion, pendant qu'on parle de l'audiovisuel ? Franchement, les diversions, il y en a tout le temps. Nous, nous parlons concret.
Vous aussi, mais vous faites des diversions. Ne nous reprochez pas d'en faire.
Monsieur Bloche, s'il vous plaît, permettez que le ministre puisse s'exprimer sans être interrompu.
Il convient d'abord de circonscrire l'enjeu de cet amendement. Le montant moyen d'un abonnement haut débit, en triple play, est de moins de trente euros par mois : 29,95 euros. Si l'on admet que l'internet représente un tiers ou un quart de cette somme, le montant en jeu est de sept à dix euros par mois pour l'internaute.
Arrêtez de me parler tout le temps de Mme Albanel. C'est une femme de grand mérite, que vous avez traitée avec beaucoup de brutalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Et vous essayez sans cesse de l'instrumentaliser pour affaiblir, non pas le ministre de la culture, mais l'idée du ministère de la culture. Mme Albanel a travaillé d'une manière remarquable pendant deux mois. Et vous ne m'opposerez jamais au souvenir de quelqu'un que j'estime et que je respecte. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
Après cette diversion nouvelle que vous nous avez imposée, revenons à l'essentiel. Supposons que quelqu'un soit frappé par une suspension, après être passé par toutes les autres étapes de la procédure – il faut vraiment le chercher –, le montant considéré n'est quand même pas immense. Et pourtant, je retiens tout à fait ce que dit Mme Filippetti : compte tenu de l'explosion des frais que chaque foyer engage pour sa communication, je conçois que ce soit très dommageable. Très dommageable, oui, mais je rappelle ce que disait le rapporteur : nul n'est obligé d'enfreindre la loi.
D'autre part, si la suspension est de longue durée, il est possible à la personne concernée de résilier son abonnement. Je sais aussi que nous sommes bombardés de paperasse par les fournisseurs d'accès. Je sais qu'ils se garantissent avec des délais de résiliation. J'en ai fait moi-même l'expérience. C'est un sujet que je connais donc, et j'espère bien que, lors des conversations que j'aurai après l'adoption de la loi, nous pourrons aussi le mettre sur la table.
Quant au préjudice qui serait porté au fournisseur d'accès, le rapporteur a fort bien rappelé les composantes du problème.
Avis défavorable.
Monsieur le ministre, nous avons toujours été très respectueux de la parole de Mme Albanel durant les dizaines d'heures que nous avons passées ensemble.
Vous faites référence à la part que représente internet dans les vingt-neuf euros. J'avais parlé de compte d'apothicaire.
Je n'ai jamais employé cette expression.
En somme, qu'est-ce que c'est que sept euros par mois ? C'est rien, messieurs, dames !
D'un côté, vous avez de la compassion pour les gens à qui l'on retire leur chéquier parce qu'ils ont fait des chèques sans provision et qu'ils sont socialement en difficulté. Et d'un autre côté, vous nous dites que sept euros par mois pour une prestation qui n'est pas fournie, on ne va quand même pas en faire tout un plat.
Sachez en tout cas, monsieur le ministre, qu'en ce qui concerne Mme Albanel, nous avons eu le plus grand respect pour sa personne et sa fonction. À chaque fois que nous étions en désaccord, et quand elle pouvait être amenée à nous provoquer, nous répondions. C'était de bonne guerre. Permettez-nous de considérer que la plus grande incorrection que l'on ait pu commettre à son encontre, c'est sans doute vous qui l'avez commise quand elle était encore ministre. Mais ne revenons pas sur cet épisode.
Monsieur le rapporteur, vous avez fait une diversion habile – car vous êtes habile –, mais cela dit, pour dire les choses le plus simplement possible à cette heure tardive, avant le déjeuner, il reste que les internautes déjà sanctionnés, pénalement, par une suspension de leur abonnement internet vont se retrouver dans cette situation incroyable d'avoir à continuer de payer un abonnement sans qu'il y ait de prestation correspondante. Quand on vous coupe l'eau ou l'électricité, puisque ce sont des exemples que vous aimez, vous n'avez plus d'eau ou plus d'électricité, et vous ne la payez plus !
Il y a là une aberration. Comme l'a très bien dit Jean-Louis Gagnaire, ainsi que d'autres intervenants du groupe socialiste, c'est le deal des accords de l'Élysée : aux FAI, on impose un certain nombre de choses, et en contrepartie, on participe à leur enrichissement sans cause. C'est inacceptable.
(Les amendements identiques nos 716 , 814 , 815 , 817 , 819 , 820 , 821 et 822 ne sont pas adoptés.)
Nous voudrions que cet amendement fasse l'objet d'un intérêt particulier, parce que nous ne comprenons pas pourquoi une disposition qui a été adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture dans le texte HADOPI 1 ne se retrouve pas dans la loi HADOPI 2.
Cet amendement vise explicitement les offres composites, celles dont nous parlions à l'instant. Nous souhaiterions que ces contrats mentionnent les parts respectives des différents services dans le prix de l'abonnement. Ainsi, sur les fameux vingt-neuf euros et quelques centimes, on saura précisément quelles sont les parts respectives de la télévision, de la téléphonie et de l'internet. Je pense que c'est essentiel, ne serait-ce qu'au regard du droit de la consommation.
Nous proposons, d'autre part, que la suspension de l'accès à internet suspende le versement de la part du prix y afférent pendant la durée de la sanction.
Nous avons bien compris dans quelle logique vous êtes. Le ministre justifiait son avis défavorable à l'amendement précédent en disant en substance : qu'est-ce que c'est que sept euros, sur vingt-neuf euros ? Nous voulons, quant à nous, que l'internaute ne continue de payer que les prestations qui n'auront pas été suspendues.
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour soutenir l'amendement n° 46 .
Permettez-moi de me livrer à des comptes d'apothicaire. D'abord, monsieur le ministre, 29,90 euros, c'est un minimum, puisqu'il peut y avoir des offres beaucoup plus chères, notamment dans le cadre d'abonnements professionnels, qui permettent de sécuriser davantage les accès ou d'avoir des capacités de mémoire beaucoup plus importantes pour les e-mails.
J'aimerais savoir quelle est la part qui revient réellement à internet. Si l'on prend l'exemple d'un abonnement à 29,90 euros, il y a des coûts fixes qui ne peuvent être réduits. Et si l'on doit se livrer à un décompte de ce que coûte internet, il faut analyser les flux. Le téléphone mobilise en permanence beaucoup de temps sur les réseaux, d'autant qu'en l'occurrence, il est le plus souvent gratuit. Et s'agissant de la télévision, les flux sont beaucoup plus importants que ceux d'internet, notamment quand celui-ci ne sert qu'à des échanges d'e-mails et même s'il y a des fichiers associés.
J'aimerais bien savoir comment vous comptez réellement faire payer aux internautes des charges indues, qui ne correspondent pas à une prestation qui leur serait fournie. Encore une fois, l'analogie avec l'électricité et l'eau est très bonne : on ne continue pas à payer son abonnement dès lors qu'il y a eu fermeture de compteur.
La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour soutenir l'amendement n° 48 .
Il est bien entendu scandaleux de maintenir la contribution de la personne sanctionnée à une prestation qui ne lui est plus fournie. Tout le monde le comprend, c'est un anachronisme. D'ailleurs, je ne sais pas pourquoi ce dispositif est dans la loi. Pourquoi a-t-on maintenu cette obligation, en préservant le contrat, ce qui n'existe dans aucun autre cas de figure quand la suspension d'un droit est prononcée ?
Cette disposition est exorbitante de la relation contractuelle. Par la loi pénale, on est en train d'ajouter une obligation qui consiste à assurer un paiement malgré l'absence de prestation de service. Autrefois, en droit civil, on appelait cela les clauses pénales. Elles portaient bien leur nom. C'étaient des clauses qui, dans un contrat civil, faisaient peser sur celui qui n'exécute pas son obligation un certain nombre de sanctions lourdes, très lourdes, qu'il s'interdisait même de pouvoir quereller. Il a fallu que l'article 1182 du code civil donne la possibilité aux tribunaux de contester, si ce n'est le principe de la clause pénale, au moins le quantum qui faisait supporter un maintien de contractualisation.
Nous, nous défendons l'idée que, s'il y a suspension, quelle que soit sa durée, et notamment celle que vous avez rendue possible dans la décision du tribunal, elle ne peut pas donner lieu au paiement par la personne concernée d'une prestation qui ne lui est plus assurée.
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour soutenir l'amendement n° 49 .
Il faudrait au moins que l'on puisse dissocier, dans ce que paie l'internaute, ce qui relève de l'abonnement à internet. Vous l'évaluez à une somme comprise entre sept et dix euros par mois, monsieur le ministre. Ce n'est quand même pas rien, surtout dans une période de crise du pouvoir d'achat pour l'ensemble de nos concitoyens.
Cela dit, replaçons les choses dans leur contexte. Est-ce que l'urgence, aujourd'hui, c'est bien de continuer à faire payer des gens qui sont souvent dans le besoin, qui sont écrasés par tous leurs frais fixes, notamment les frais de communication ? Pourquoi continuer à leur faire payer des frais, enrichir indûment, et sans cause, les fournisseurs d'accès à internet ? Et l'on peut effectivement se demander, avec Jean-Yves Le Bouillonnec, pourquoi cette disposition est dans le projet de loi, si ce n'est pour donner aux fournisseurs d'accès les trente deniers de Judas pour prix de leur soutien à ce texte.
Mais surtout, l'urgence ne serait-elle pas plutôt d'améliorer la protection des consommateurs, des internautes, des clients des fournisseurs d'accès et des opérateurs de téléphonie mobile face à la prolifération des contrats léonins, des clauses abusives dont sont victimes un grand nombre de nos concitoyens ? Vous en avez vous-même parlé, monsieur le ministre. Nous sommes tous confrontés à des situations parfois kafkaïennes quand nous voulons résilier un contrat ou obtenir plus de transparence. C'est bien là qu'est l'urgence. Elle est d'améliorer les droits des consommateurs, et sûrement pas de renforcer les menottes qui les lient aux fournisseurs d'accès ou aux opérateurs de téléphonie mobile. Il faut aider à une émancipation, à une plus grande transparence, à de moindres coûts de sortie, et certainement pas les enfermer encore un peu plus dans des contrats qui sont souvent à la limite du léonin.
Le projet de loi, nous l'avons démontré abondamment depuis le début de la discussion, tend à implanter des dispositifs répressifs largement inapplicables et juridiquement douteux. Le Conseil constitutionnel y mettra sans doute bon ordre.
Mais au milieu de cet ensemble inapplicable et juridiquement douteux, dans cette usine à gaz complexe, de grande taille et à gros volume, nous trouvons quelques dispositions ponctuelles que je qualifierai d'étranges : l'internaute serait privé de l'accès à internet et continuerait de payer son abonnement. Le projet de loi aurait pu être silencieux sur ce point-là. Mais vous allez chercher dans les coins, comme prétendait le faire Poutine à propos des Tchétchènes. C'est du vice ! On coupe la connexion à un internaute, mais il paiera quand même et, de plus, on fera figurer cette mention dans la loi. C'est de l'acharnement !
J'ajoute, même si de nombreux collègues l'ont dit avant moi, que le poids financier sera supporté par nos concitoyens, dont les conditions de vie et les conditions sociales ne sont pas des plus florissantes. Ils se verront infliger une quintuple peine, voire plus, au bénéfice des fournisseurs d'accès à internet.
Vous faites à l'alinéa 3 un « zoom » sur les offres commerciales composites : internet, plus téléphonie, plus télévision. Partant de là, nous voulons substituer aux alinéas 4 et 5 l'alinéa suivant : « Les contrats portant sur des offres composites mentionnent les parts respectives des différents services dans le prix de l'abonnement. La suspension de l'accès à un service de communication au public en ligne en tant que peine complémentaire suspend le versement de la part du prix y afférent pendant la durée de la sanction. »
La parole est à Mme Monique Boulestin, pour défendre l'amendement n° 50 .
Nous sommes toujours dans la suite logique de ce que nous proposons depuis le début de la matinée.
L'amendement vise à substituer aux alinéas 4 et 5 l'alinéa suivant : « Les contrats portant sur des offres composites mentionnent les parts respectives des différents services dans le prix de l'abonnement. La suspension de l'accès à un service de communication au public en ligne en tant que peine complémentaire suspend le versement de la part du prix y afférent pendant la durée de la sanction. »
Nous souhaitons rétablir le texte HADOPI 1 adopté par l'Assemblée nationale en première lecture. Il vise à supprimer la peine pécuniaire, dont nous ne cessons de rappeler l'aspect inégalitaire.
Quel est l'avis de la commission sur la série d'amendements identiques ?
Avis défavorable pour les mêmes raisons que tout à l'heure.
Je voudrais préciser une ou deux choses. Monsieur Gagnaire, je n'ai jamais évoqué l'eau et l'électricité…
Peut-être, mais moi je n'ai jamais fait cela !
C'est possible encore que je n'en sois pas sûr. Mais moi je n'ai pas fait cela.
Il ne sert à rien d'asséner des contrevérités, elles ne deviennent pas vérités.
Il ne sert à rien de dire toujours des choses fausses, en espérant que cela devienne des vérités.
Cela ne devient pas la vérité.
Nous sommes maintenant à la sextuple peine. Bientôt, ce sera Guantanamo. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Tout cela est totalement excessif.
Sur le fond, il faudrait savoir raison garder. Il s'agit d'une suspension d'un mois, venant après un certain nombre de coups de semonce adressés aux contrevenants, et dont nous avons vu que les implications financières, même si elles sont très dommageables, ne sont pas très importantes.
Ceux qui se livrent à des contrefaçons et qui violent de manière évidente la loi sont de deux sortes.
Il y a premièrement les contrefacteurs obstinés qui veulent absolument développer un certain langage « culturel » gratuitement. Ils prennent leurs risques.
Il y a deuxièmement les contrefacteurs qui font cela pour gagner de l'argent. Ils sont aussi très nombreux et il est normal qu'ils soient sanctionnés.
Monsieur le ministre, vous pouvez certes dire que des contrevérités ne deviennent pas des vérités à force d'être répétées. Soit, mais votre réponse apporte un élément de confusion supplémentaire. Vous évoquez la suspension d'un mois pour négligence caractérisée. Cela nous occupera un peu plus tard dans le débat. Mais, pour l'instant, nous examinons la suspension d'un an.
Les internautes n'ont pas le droit de télécharger illégalement. À partir du moment où c'est illégal, cela doit être sanctionné. C'est ainsi que fonctionne la société. Personne ne le contestera. Nous passons notre temps à établir des règles, dont la violation fait l'objet de sanctions.
Il reste que nous avons un problème, car, dans la précipitation et sans aucun recul, vous avez ajouté, comme des couches sédimentaires : DADVSI, HADOPI 1 première lecture, HADOPI 1 seconde lecture et HADOPI 2 aujourd'hui. C'est pour cela que je me suis permis de dire, avant-hier, que nous étions dans la saison 4. À force d'empiler ainsi, vous arrivez à une usine à gaz, à un monstre juridique. Mais il y a plus : vous avez été amenés dans HADOPI 2 à faire le contraire de ce que vous aviez fait dans HADOPI 1, en assimilant tous les internautes qui téléchargent illégalement à des contrefacteurs et en ne faisant aucune différence entre ceux qui téléchargent par imprudence, par ignorance, par accident et ceux qui téléchargent de façon industrielle, parce qu'ils en tirent des revenus – qui le font donc dans un but lucratif.
C'est le rôle du juge !
Un texte qui ne fait pas la distinction entre des téléchargeurs illégaux sans but lucratif et des téléchargeurs illégaux avec but lucratif – ce que l'on appelle communément la contrefaçon –, un tel texte n'est pas un bon texte.
(Les amendements identiques nos 43 , 46 , 48 , 49 , 50 et 51 ne sont pas adoptés.)
Prochaine séance, cet après-midi à quinze heures :
Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi de programmation relatif à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement. (n° 1864)
Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi relatif à la gendarmerie nationale. (n° 1827)
Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique. (n° 1830)
Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi organique relatif à l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et de Mayotte. (n° 1866)
Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi relatif à l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et portant ratification d'ordonnances. (n° 1867)
Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet (n° 1831).
La séance est levée.
(La séance est levée à douze heures cinquante-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma