La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
Cet après midi, l'Assemblée a poursuivi l'examen des articles, s'arrêtant à l'article 1er quater.
Plusieurs orateurs sont inscrits sur l'article 1er quater.
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour deux minutes.
Monsieur le président, madame la ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, monsieur le ministre de la culture et de la communication, mes chers collègues, loin des clichés que l'on cherche à nous coller à la peau – projet de loi liberticide, acharnement anti-internautes ou anti-jeunes… J'ai même entendu cet après-midi parler de terreur ! –, l'article 1er quater vise tout au contraire à garantir les droits des citoyens et des internautes. Il y a beaucoup de pédagogie dans la loi du 12 juin dernier comme dans le texte que nous discutons et amendons actuellement. Du reste, chacun pourra noter l'effort louable que nous avons réalisé en acceptant de bon coeur plusieurs des amendements présentés par l'opposition. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Reconnaissez toutefois que bon nombre d'entre eux pourraient être discutés autrement, ce qui nous ferait gagner du temps et de la sérénité : nous allons aborder la vingt-cinquième salve de neuf amendements…
Il y a ceux qui se réveillent à la vingt-cinquième heure, mais ce n'est pas votre cas !
L'article 1er quater, disais-je, apporte des garanties supplémentaires, puisqu'il prévoit que la HADOPI ne conservera que durant le temps nécessaire à la procédure les données à caractère personnel de l'internaute sanctionné d'une mesure de suspension.
Cet article va donc dans le sens de la pédagogie que nous souhaitions mettre en avant : la sanction, répétons-le, ne doit être que l'ultime étape, faute de mieux. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Je ne voudrais pas que l'on dévalorise notre débat, ne serait-ce que par respect pour celles et ceux qui y participent. Qui plus est, le fait qu'un nombre, certes trop restreint, d'amendements ait été adopté en commission ou dans l'hémicycle, est la preuve que nous contribuons, en dépit de nos différences, de nos divergences, voire de nos oppositions,…
…à améliorer le texte, même si nous ne pouvons cacher un désaccord de fond sur les objectifs poursuivis.
M. Gosselin a parlé de garanties ; le traitement des données personnelles est en l'occurrence un domaine sensible, qui a fait, nous a-t-on dit, débat au sein même du Conseil constitutionnel lorsqu'il a examiné la loi HADOPI 1 avant sa censure historique du 10 juin 2009.
L'article 1er quater prescrit que les fournisseurs d'accès informent la commission de protection des droits de la date à laquelle débute la suspension de l'accès à internet de leur abonné. De ce fait, la commission devra effacer les données personnelles de cet abonné à l'issue de la période de suspension – c'est ce que M. Gosselin, sans doute, appelle des garanties : nous aurions quant à nous plutôt tendance à penser que c'est le moins qu'on puisse faire…
Rappelons également que cet article complète un article partiellement censuré par le Conseil constitutionnel, mais avec un renversement de logique qui appelle notre attention : le texte censuré prévoyait que les FAI devaient prévenir la commission à l'issue de la période de suspension et non pas au début, afin que celle-ci procède à l'effacement des données stockées. Quoi qu'il en soit, il s'agit dans cette affaire de à respecter les préconisations de la loi historique dite Informatique et libertés de 1978, réformée depuis, sur le traitement des données personnelles.
Nous souhaitons une protection maximale des données à caractère personnel. C'est la raison pour laquelle il nous paraît très important que ces informations soient effacées dès la fin de la période de suspension. Nous y reviendrons lorsque nous vous présenterons nos amendements qui visent à préciser la rédaction de cet article.
Notre collègue Patrick Bloche a raison : il convient de partir, pour examiner cet article, des considérants de la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin dernier.
C'est ainsi que dans son considérant 28, le Conseil constitutionnel déclare « qu'à la suite de la censure résultant des considérants 19 et 20, la commission de protection des droits ne peut prononcer les sanctions prévues par la loi déférée ; que seul un rôle préalable à une procédure judiciaire lui est confié ; […] qu'il en résulte que les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre par les sociétés et organismes précités ainsi que la transmission de ces données à la commission de protection des droits pour l'exercice de ses missions s'inscrivent dans un processus de saisine des juridictions compétentes ». Le Conseil constitutionnel ajoute dans son considérant 29 « que ces traitements seront soumis aux exigences prévues par la loi du 6 janvier 1978 […] ; que les données ne pourront être transmises qu'à cette autorité administrative ou aux autorités judiciaires ; qu'il appartiendra à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, saisie pour autoriser de tels traitements, de s'assurer que les modalités de leur mise en oeuvre, notamment les conditions de conservation des données, seront strictement proportionnées à cette finalité ». Ce qui sous-entend que les dispositions de cet article devront, me semble-t-il, être examinées par la CNIL.
Toutefois, ce sont les conditions même du processus prévu à l'article 1er quater qui appellent notre attention. Le fait que la commission de protection des droits procède à l'effacement des données à caractère personnel relatives à l'abonné à l'issue de la période de suspension est en contradiction avec le dispositif que le Conseil constitutionnel avait, nous semble-t-il suggéré – je ne parle pas à la place du Conseil constitutionnel, mais notre interprétation de sa décision est différente de celle qui a inspiré la rédaction de cet article. Nous y reviendrons lors de l'examen de nos amendements.
Je tiens tout d'abord à remercier M. Gosselin d'avoir explicitement reconnu l'intérêt des travaux parlementaires que nous conduisons depuis deux jours.
Quand ces travaux sont conduits en bonne intelligence, je reconnais toujours leur intérêt.
Ce débat met en évidence les points difficiles du texte, et c'est parce que nous le jugeons mauvais et mal écrit que nous tentons de faire comprendre au Gouvernement et à sa majorité les difficultés qui les attendent. Nous avons fourni tous les efforts nécessaires pour présenter des amendements visant à améliorer la rédaction initiale du texte, ou tout au moins limiter les dégâts. Reste que nous avons bien conscience – et nous savons qu'il en est de même au sein de l'UMP depuis quelques jours – que ce texte est inapplicable, ce que révélera dans quelques mois sa confrontation avec la réalité.
L'article 1er quater, ajouté lors de l'examen au Sénat – argument supplémentaire démontrant la valeur des débats parlementaires –, vise à faire droit à une observation du Conseil constitutionnel. En effet, le précédent texte prévoyait que la conservation des données techniques était autorisée au plus tard jusqu'au moment où la suspension de l'accès prévue par les dispositions était entièrement exécutée. Désormais, la HADOPI sera informée par le fournisseur d'accès de la date du début de la période de suspension de l'accès Internet et pourra, à l'expiration du délai, procéder à la régularisation de la situation de l'abonné.
Nous sommes confrontés dans ce texte à un problème récurrent des autorités administratives indépendantes : leur rôle en matière de conservation des données et les garanties à prévoir pour empêcher tout abus, fût-il involontaire.
À travers HADOPI, le vrai débat que nous devrions avoir est celui de la place de la culture dans nos sociétés contemporaines. Certes, l'arrivée d'internet et des technologies qui l'accompagnent ont favorisé des modes de création et de diffusion différents. Toutefois, le fond du problème est ancien. De quels moyens disposent les artistes pour se protéger des contrefaçons ? Telle est la question récurrente.
Au XIXe siècle, à l'époque des premiers romans de masse, la contrefaçon existait déjà, notamment en Belgique où les oeuvres sortaient en « pré-façon » avant même que les auteurs n'aient signé leur contrat : ce fut le cas, entre autres exemples, pour Victor Hugo et Eugène Sue. Ces pratiques n'ont jamais nui ni à la qualité des oeuvres produites ni à la paternité de leurs auteurs.
Aujourd'hui l'arrivée des technologies de l'information et de la communication, avec la gratuité de certaines oeuvres culturelles, a permis de rendre la culture, donc le savoir, accessible au plus grand nombre, ce dont on ne saurait se plaindre. En effet, ces nouveaux modes de diffusion de la pensée participent à un plus grand partage et à une plus grande circulation des oeuvres, donc à une meilleure connaissance, voire à une meilleure reconnaissance des artistes.
Dans un discours connu de tous, notamment grâce à internet, un ministre de la culture affirmait : « Jamais le monde n'a connu des usines de rêve comme les nôtres, jamais le monde n'a connu une pareille puissance d'imaginaire, jamais le monde n'a vu ce déluge d'imbécillité, d'une part et, d'autre part, ces choses parfois très hautes qui ont créé cette unité mystérieuse dans laquelle une actrice suédoise jouait Anna Karénine, l'oeuvre d'un génie russe, conduite par un metteur en scène américain, pour faire pleurer des enfants aux Indes et en Chine.»
C'était il y a cinquante ans. Depuis lors, jamais le monde n'a autant favorisé, au-delà des frontières, le partage et l'échange de valeurs universelles, défendues notamment par une jeunesse soucieuse de son devenir.
Nous aurions pu proposer un amendement de suppression de l'article : une conception stricte de la séparation des pouvoirs amène, connaissant le souci qui vous anime de contourner à tout prix la décision du Conseil constitutionnel, à dégager le juge de l'étreinte de la HADOPI avant, puisque c'est qui constitue le dossier, et après, puisque c'est elle qui demande au fournisseur d'accès à internet d'interrompre la connexion.
Nous avons toutefois préféré proposer une clarification de la rédaction de l'alinéa 2, par trop imprécise. Celle-ci prévoit qu'il est procédé à l'effacement des données à caractère personnel relatives à l'abonné « à l'issue » de la période de suspension. Or nous souhaitons donner un caractère automatique et rapide à la suppression des données personnelles, et ce dès la fin de la période de suspension, afin de rendre plus opérationnelles les garanties dues au titre du respect des droits et devoirs découlant de la détention de ces données personnelles. Eu égard au caractère éminemment sensible de la question, il nous apparaît essentiel d'employer des termes précis. Voilà pourquoi l'amendement n° 862 propose de remplacer les mots : « à l'issue », par les mots : « dès le terme ».
La parole est à Mme Catherine Quéré, pour soutenir l'amendement n° 866 .
Comme notre camarade Bloche, je pense que nous aurions très bien pu présenter un amendement de suppression de l'article puisqu'il contredit la décision du Conseil constitutionnel. En vertu du principe de séparation des pouvoirs, c'est au juge de veiller à l'application des peines qu'il prononce et non à une autorité administrative. Il revient donc au juge et à l'administration judiciaire de prévenir le fournisseur d'accès à internet d'une suspension et non à la HADOPI.
L'amendement n° 866 est rédactionnel, dans la mesure où il vise à remplacer une formulation imprécise par une expression bien plus claire qui impose une suppression rapide des données à caractère personnel dès la fin de la période de suspension, rendant plus opérationnelles les garanties de respect des droits et des devoirs découlant de la détention de ces données personnelles.
La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour soutenir l'amendement n° 867 .
J'ai déjà dit m'interroger sur la rédaction de cet article. Je reconnais toutefois que la solution que vous préconisez peut être déduite des considérants de la décision du Conseil. La question du rôle de la CNIL était posée. On pouvait aussi se demander s'il était légitime, puisqu'il s'agit désormais d'une décision judiciaire, qu'une entité extérieure à l'autorité judiciaire vérifie l'exécution de la décision de justice. C'est là, incontestablement, un problème de fond ; or l'imprécision demeure. Vous avez décidé d'en rester au système initialement prévu : c'est la HADOPI qui demande au serveur de suspendre la connexion, puis de justifier la suspension, alors qu'on pouvait, après tout, laisser la justice procéder dans le cadre de ses capacités d'exécution.
Selon les sénateurs, c'était aussi une manière de s'assurer de la bonne exécution de la décision. Le rapport de la commission de l'Assemblée va dans le même sens. Or je ne suis pas du tout d'accord avec cette conception : pour le coup, nos collègues de la majorité avaient raison de soutenir qu'il n'appartient qu'à l'autorité de justice de s'assurer de l'exécution des décisions qu'elle prend…
Je concède qu'il est difficile de reproduire un dispositif similaire au dispositif prévu par la loi HADOPI 1 après la décision du Conseil constitutionnel. Reste, pour en revenir à l'amendement n° 867 , que le mot « terme » est préférable à celui d' « issue ».
Nous aurions aimé que nos collègues Tardy, Bur et autres défendent l'amendement n° 6 .
Il eût été intéressant d'entendre leur argumentation puisqu'il s'agissait d'un amendement de suppression,…
…considérant, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel, qu'il appartient au juge de veiller à l'application des peines qu'il prononce et non à une autorité administrative, en l'occurrence la HADOPI.
Nous avons pour notre part hésité : devions-nous, nous aussi, présenter un amendement de suppression ou bien défendre un amendement de précision ? Nous avons choisi cette dernière solution puisque nous entendons apporter de la clarté au dispositif : le fournisseur d'accès à internet a l'obligation d'informer la HADOPI de la date à laquelle a débuté la suspension, de façon que la Haute autorité procède à l'effacement des données à caractère personnel concernant l'abonné « dès le terme » de la suspension. La rédaction que nous proposons permet de clarifier le dispositif en évitant des difficultés d'interprétation voire des contentieux. Le Gouvernement n'a donc aucune raison de ne pas s'y montrer favorable.
La parole est à M. Marcel Rogemont, qui vient d'arriver, pour soutenir l'amendement n° 870 .
Je viens d'arriver mais j'ai eu à affronter la pluie, monsieur le président !
En bon Breton, ce n'est pas une petite pluie qui va vous arrêter ! La pluie du matin n'arrête pas le pèlerin – non plus que celle du soir, du reste !
Cela va faire repousser vos cheveux !
Sachez que je suis élu de Bretagne, et en Bretagne il ne pleut pas. Je suis donc surpris de voir la pluie ici même. (Rires.) Vous riez, chers collègues, mais c'est parce que vous n'allez jamais en Bretagne ! (« Si, si ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Mais il me faut revenir aux choses sérieuses car mon temps de parole s'écoule.
Mais, monsieur le président, un collègue est en train de me titiller sur le homard !
Bien sûr que si, il y a des homards en Bretagne ! Et j'en mange ! J'ai même eu récemment l'occasion de dire à l'une d'entre vous…
Si vous continuez ainsi, vous allez perdre encore du temps, mon cher collègue…
Je vous prie de considérer que je n'ai pas entamé mon temps de parole car j'ai été perturbé, monsieur le président. (Rires.)
Mon amendement de précision n° 870 répond encore et toujours au même souci : la protection de la personne qui doit pouvoir faire valoir ses droits a priori ainsi qu'au terme de la suspension prononcée par le juge, la suppression des données personnelles détenues par la HADOPI devant avoir lieu le plus rapidement possible. Aussi proposons-nous de substituer aux mots : « à l'issue », les mots : « dès le terme », beaucoup plus précis.
Voyez, monsieur le président, comme fait sommaire…
Nous vous en félicitons, monsieur Rogemont, et vous invitons à poursuivre dans cette voie.
La parole est à M. Frank Riester, rapporteur, pour donner l'avis de la commission des affaires culturelles et de l'éducation sur ces amendements.
Avis défavorable. L'article 1er quater garantit que la HADOPI ne conservera pas des données à caractère personnel plus longtemps que la durée de la sanction. Le texte est très clair et, franchement, j'ai beau le relire, je ne vois pas la nuance entre les mots : « à l'issue » et les mots : « dès le terme » ; juridiquement, cela veut dire la même chose.
La parole est à M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, pour donner l'avis du Gouvernement.
Le mariage inespéré du homard à l'Armoricaine présenté par M. Rogemont et de Greta Garbo évoquée par Mme Boulestin dans Anna Karénine, incite évidemment à l'irénisme et à la sympathie. (Sourires.) Aussi le Gouvernement se ralliera-t-il au principe de la sagesse, laissant ainsi à chacun le soin de décider.
Vous apprenez vite, monsieur le ministre !
(Les amendements identiques nos 862 à 870 sont adoptés.)
Vous avez droit à notre reconnaissance ; pas encore à notre reconnaissance éternelle, mais tout de même !
(L'article 1er quater, amendé, est adopté.)
La parole est à M. Philippe Gosselin, premier orateur inscrit sur l'article 1er quinquies.
Mme Boulestin a tenu de très jolis propos, très lyriques. Certes, la culture n'est pas un produit comme un autre mais une forme d'unité mystérieuse – comment ne pas y souscrire ? Reste qu'à vous entendre, finalement, plus on est pillé, plus on est heureux !
Pour un auteur, pour un compositeur, le bonheur ne se limite pas à un pillage… Et si l'appropriation collective de l'oeuvre est évidemment heureuse, le but du jeu en la circonstance est tout de même d'assurer aux ayants droit une juste rémunération et de faire comprendre que si, à l'ère de l'économie numérique, il existe sans doute des modalités différentes à trouver, des modèles à adapter, il n'en reste pas moins que sans l'économie, il n'y a pas de numérique du tout. On peut goûter le lyrisme des propos de Mme Boulestin mais la réalité est malheureusement tout autre.
L'article 1er quinquies complète les finalités du traitement automatisé mis en oeuvre par la Haute autorité sur deux points : il s'agit d'abord de permettre à la HADOPI d'informer rapidement les représentants des ayants droit des transmissions de PV qu'elle effectuera vers l'autorité judiciaire ; il s'agit ensuite de lui permettre d'effectuer des notifications des ordonnances pénales qui lui seront transmises par les juridictions au fournisseur d'accès à internet. C'est donc un élément important et nécessaire du dispositif.
Voilà un article a priori très innocent sur la finalité du traitement des données à caractère personnel. À quoi est destiné le traitement des données personnelles ? À tous les actes de procédure afférents – personne ne le contestera puisque c'est la logique même du projet.
Mais on a ajouté une disposition qui nous a interpellés et dont nous reparlerons à l'article 2. Je veux appeler votre attention, madame la garde des sceaux : nous entrons là dans un domaine ô combien mouvant dans la mesure où, à partir de l'article 1er quinquies, on introduit, au nom du droit d'auteur, une exception dans un régime qui, lui aussi, est d'une certaine manière un régime d'exception, à savoir celui de l'ordonnance pénale.
Que s'est-il passé ? Au départ, on a voulu donner satisfaction aux ayants droit par une procédure rapide, celle de l'ordonnance pénale, afin qu'ils ne subissent pas ce que l'on appelle habituellement les lenteurs de la justice. Mais le problème, et vous le savez, madame la garde des sceaux, c'est que l'ordonnance pénale, non seulement interdit d'incriminer un mineur, mais a en outre pour effet que l'on ne peut pas demander des dommages et intérêts, c'est-à-dire réparation.
Du coup, au Sénat, le problème s'est posé : certes, on donne aux ayants droit l'avantage d'une procédure rapide mais, d'une certaine façon, on perd l'essentiel, c'est-à-dire leurs droits, et notamment leur droit à réparation. C'est ainsi que le Sénat a été amené à introduire, à travers la finalité des traitements des données à caractère personnel, une disposition selon laquelle les ayants droit sont prévenus des infractions commises pour pouvoir demander réparation et se constituer partie civile.
Mais il y a une vraie difficulté, compte tenu de ce qu'est l'ordonnance pénale et de ce qu'elle exclut, c'est-à-dire la demande de dommages intérêts.
C'est tout ce terrain que prépare l'article 1er quinquies. Je vous alerte sur ce point, madame la garde des sceaux, parce que nous y reviendrons plus tard, quand nous examinerons la solution – à nos yeux mauvaise parce qu'elle crée un régime d'exception supplémentaire au nom du droit d'auteur – qu'a fait voter en commission notre rapporteur. Je prépare donc le terrain…
Il faut effectivement se rappeler que les dispositions de l'article L. 331-37 sont modifiées par l'effet obligé de la censure constitutionnelle. Notamment, comme l'indique d'ailleurs le rapport, le traitement automatisé, qui servait de base au répertoire national, est bien entendu dans la tourmente de la censure.
Votre rapport, cher collègue Riester, confirme l'analyse de Patrick Bloche : la modification introduite par le Sénat a bien pour objectif l'information rapide des ayants droit, leur permettant, notamment grâce à la transmission des PV, d'agir dans le cadre d'une procédure. Vous-même précisez que, dans le cas d'une procédure d'ordonnance pénale, ils ne pourront pas se constituer partie civile et devront agir par le biais de la citation correctionnelle.
Se pose également la question, on l'a rappelé tout à l'heure, la notification des ordonnances pénales. Cette stratégie comporte effectivement une contradiction : si elle a pour effet de mettre en oeuvre des procédures d'action en indemnisation des ayants droit, ces procédures vont du même coup altérer la rapidité que vous avez voulue. En choisissant le juge unique, ou l'ordonnance pénale, ou la contravention, vous souhaitiez ne pas envahir les juridictions de l'ordre judiciaire de ces dossiers : il y a là une contradiction. Nous reviendrons tout à l'heure sur l'article 495 du code de procédure pénale, mais c'est une vraie difficulté.
L'article 1er quinquies pourrait, en théorie, aboutir à ce que l'internaute cumule cinq sanctions : il pourrait être frappé par une peine d'amende ; il pourrait encourir une peine de prison ; il pourrait voir suspendu son accès à internet ; il devrait également continuer à payer son abonnement internet pendant la durée de la suspension ; il pourrait au surplus faire l'objet d'une demande en dommages et intérêts de la part des ayants droit. Cela nous paraît un peu démesuré…
Se pose également la question de la durée de conservation des données à caractère personnel. Vous l'avez fixée à trois ans, ce qui est énorme.
Nous avons rédigé un certain nombre d'amendements visant à éviter ce que l'on pourrait appeler la quintuple peine et à préciser plus nettement la durée de conservation des données à caractère personnel. Il faut en effet faire très attention sur ce point, notamment du point de vue des libertés individuelles et de la protection de la vie privée.
Monsieur le président, je demande la clôture de la discussion sur l'article, en application de l'article 57, alinéa 3, de notre règlement. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR). Il ne s'agit pas de brimer nos collègues de l'opposition, mais les trois premières interventions, que j'ai écoutées très attentivement, font apparaître des éléments qu'ils ne manqueront pas de reprendre largement dans la défense de leurs amendements, ce qui est tout à fait légitime.
Nous avons largement pris notre temps. Il ne s'agit ni de bâcler ni de brimer, mais d'accélérer un peu nos débats. Aussi, pour vous permettre de mieux vous concentrer sur les amendements, je vous propose de clore la discussion sur l'article. Nous pourrons ainsi aller directement à l'essentiel.
Peut-être allons-nous nous priver de l'intervention lyrique de Mme Boulestin… Quoi qu'il en soit, la clôture de la discussion proposée par notre collègue Gosselin est conforme à l'article 57 du règlement, puisque je constate qu'au moins deux orateurs d'avis contraire sont déjà intervenus.
Je vais donc mettre aux voix, conformément à l'article 57, alinéa 3, la clôture de la discussion sur l'article.
(La clôture est prononcée.)
Mon rappel au règlement se fonde sur l'article 58, alinéa 1, qui a trait au déroulement de nos travaux.
Monsieur Gosselin, il ne faut jamais prendre à contretemps des initiatives liées au règlement. Six orateurs étaient inscrits sur cet article, et ce alors que les membres de l'opposition présents dans l'hémicycle sont beaucoup plus nombreux. Quatre orateurs avaient déjà parlé, il en restait deux. Je me dis que vous êtes en train d'empêcher notre expression, pourtant très limitée – nous n'intervenons pas toutes et tous sur l'article – et très raisonnable.
À partir de là, je suis conduit à faire moi aussi appel au règlement, et j'en suis sincèrement désolé, car nous allons perdre probablement plus de temps que les quatre minutes durant lesquelles les deux derniers inscrits sur l'article auraient pu s'exprimer.
Compte tenu du fait que la clôture de la discussion sur l'article change totalement l'organisation du débat pour le groupe que je représente, avec la délégation du président Ayrault, je suis obligé de le réunir pour examiner les conséquences du vote qui vient d'avoir lieu en application de l'article 57, alinéa 3. Je vous demande donc, monsieur le président, une suspension de séance d'un quart d'heure, pour que nous puissions nous recaler.
Je pense que vous allez réfléchir très rapidement et je vais suspendre la séance pour cinq minutes.
Rappel au règlement
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-deux heures dix, est reprise à vingt-deux heures quinze.)
Rappel au règlement
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Sur quel article se fonde votre rappel au règlement, mon cher collègue ?
Comme d'habitude, monsieur le président : c'est un grand classique. Depuis le temps que vous présidez cette assemblée, vous connaissez cela par coeur. Je ne voudrais pas vous outrager en testant vos connaissances !
Je voulais voir si vous n'alliez pas vous tromper d'alinéa. (Sourires.) Poursuivez.
Monsieur le président, ce rappel au règlement, pour le coup, ne concerne pas les membres du Gouvernement, mais les membres de notre assemblée, et donc le déroulement du débat. Nous venons de voir frapper le centralisme démocratique, version UMP. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Mais ces gens-là n'ont pas la pratique ancienne qu'avaient certains des nôtres : ils sont un peu bruts de décoffrage…
Ils n'avaient donc pas vu que nous étions quasiment arrivés au terme des interventions sur l'article. Aveuglés par leur intégrisme et leur volonté de normaliser, comme on disait à Prague après 68, la démocratie parlementaire (Exclamations sur les bancs du groupe UMP),…
…ils sont intervenus pour interrompre la discussion. C'est tout à fait insupportable, monsieur Gosselin. Non seulement vous ne vous grandissez pas – après tout, cela peut être un choix personnel –, mais vous nuisez collectivement à votre groupe. Or nous, à gauche, nous avons intérêt à ce que les groupes de la majorité occupent dignement leur place dans le débat démocratique.
Avec vos comportements, vous altérez la libre confrontation. Vous créez de la tension et vous mettez en cause le bon déroulement du débat. Nous vous revaudrons cela, monsieur Gosselin : aucune mauvaise action en politique ne doit rester impunie. (Rires.)
Monsieur Gosselin, je vais vous donner la parole, parce que je pense que vous souhaitez apporter quelques précisions après l'intervention de M. Brard.
… mais je crois aussi avoir lu dans les vôtres : contrairement à ce que prétend M. Brard, il restait un peu plus que deux inscrits – raison pour laquelle je souhaitais que nous nous concentrions davantage sur les amendements. Pourriez-vous nous indiquer, monsieur le président, combien il restait d'inscrits ?
Un peu de rétropédalage permettra d'éclairer les débats et d'éviter peut-être d'envenimer stérilement des propos qui n'ont pas leur raison d'être. Soyons pragmatiques !
Dans un premier temps, dans une première mouture, si j'ose dire, j'avais six intervenants sur l'article 1er quinquies. Quatre s'étaient exprimés, il n'en restait plus que deux.
Effectivement, trois de nos collègues se sont inscrits. De ce fait, nous retrouvions à ce moment-là cinq intervenants.
Mais vous aussi devez lire dans le marc de café, monsieur Gosslin. Comment pouviez-vous savoir que trois intervenants s'étaient inscrits en plus ?
Dans ce cas, très bien. Balle au centre, ne perdons pas plus de temps !
Nous touchons à un point extrêmement important de nos débats et je voudrais aider nos collègues à y voir plus clair.
J'observe que M. Gosselin a pris la précaution de s'inscrire en première position sur tous les articles. (Rires.) Ce qui ne relève évidemment d'aucune tactique. (Sourires.) Je ne fais aucun commentaire. C'est de bonne guerre !
Nous connaissons les uns et les autres le règlement. C'est de bonne guerre, nous nous sommes compris
Je voudrais fonder mon rappel au règlement, non sur l'article 58, alinéa Copé – alinéa 7 –, mais sur la décision du 25 juin 2009 du Conseil constitutionnel relative à la révision de notre règlement, qui est riche d'enseignements pour l'interprétation que nous devons en faire.
L'article 38 de la résolution, que nous avons voté – ou plutôt que vous nous avez imposé – instaure une procédure de clôture automatique. Lorsque quatre orateurs sont intervenus dans la discussion d'un article, dont deux au moins appartiennent à des groupes d'opposition ou minoritaire, la clôture est prononcée par le président – disposition au demeurant quelque peu contradictoire avec les dispositions l'article 57, alinéa 3 : il y a là une incohérence que le Conseil constitutionnel a aussitôt détectée.
Le considérant n° 29 est très intéressant : « Considérant que la mesure de clôture automatique prévue par le dernier alinéa de l'article 38 – de la résolution, nous sommes bien sur l'article 57 du règlement – pourrait avoir pour effet d'interdire aux membres d'un groupe d'opposition d'intervenir dans la discussion d'un article ; que cette disposition méconnaît, par suite, les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire – notion extrêmement importante, monsieur le président, à laquelle nous sommes attachés ; que, dès lors, elle doit être déclarée contraire à la Constitution ; considérant que le surplus de l'article 38, sous la réserve énoncée au considérant 20, n'est pas contraire à la Constitution » ; donc déclare l'article 38 contraire dans cette partie à la Constitution. »
Nous sommes là sur un point extrêmement important. La clarté et la sincérité du débat parlementaire exigent que tous les groupes politiques de cette assemblée puissent s'exprimer de façon suffisamment abondante dans la discussion générale.
Je vous remercie de toutes ces précisions, monsieur Mallot.
Je tiens à faire remarquer, tant aux députés de l'opposition qu'à ceux de la majorité, que je me suis contenté d'appliquer à la lettre l'article du règlement. C'est la mission dont je suis investi quand je préside cette assemblée.
Nous passons à l'examen des amendements à l'article 1er quinquies
Je suis saisi d'un amendement n° 854 .
La parole est à Mme Martine Billard.
Monsieur Gosselin, je voudrais vous faire remarquer que, par votre fait, un groupe n'a pas pu s'exprimer.
Vous avez deux amendements à l'article 1er quinquies et vous êtes deux !
Monsieur Gosselin, je vous demanderai de bien vouloir nous aider à respecter le temps de parole des uns et des autres.
Madame Billard, vous aurez vingt secondes de plus.
Je vous remercie, monsieur le président.
L'amendement n° 854 tend à supprimer l'article 1er quinquies, conséquence d'une décision du Conseil constitutionnel censurant le fameux fichier national qui devait être tenu par les fournisseurs d'accès internet des abonnés ayant fait l'objet d'une suspension de leur connexion.
Mais, sous prétexte de modifier l'article à la suite de la censure du Conseil constitutionnel, il introduit une nouveauté qui, par rebond, si j'ose dire, permet aux parties civiles, dans le cadre des ordonnances pénales, de réclamer des dommages et intérêts. C'est là une grande nouveauté : jusqu'ici le ministère public introduisait l'accusation contre les internautes ayant téléchargé ; les parties civiles devaient aller devant le tribunal correctionnel– cela figure dans le rapport de M. Riester. Ce qui n'empêchait pas les personnes lésées d'introduire une action devant le tribunal correctionnel pour demander des dommages et intérêts.
Mais entre-temps, les ayants droit ont visiblement trouvé la procédure était un peu trop lourde. Ils voulaient en même temps : une procédure rapide et des dommages et intérêts. C'est la une nouveauté… La question, madame la garde des sceaux, est de savoir si celle-ci a vocation à être étendue dans les mois, les années qui viennent à d'autres modes d'utilisation des ordonnances pénales ; auquel cas les parties s'estimant lésées pourraient, sans être obligées d'aller devant le tribunal correctionnel, obtenir des dommages et intérêts dans le cadre de cette procédure accélérée, sans en supporter les délais ni surtout le coût, supporté finalement par l'ensemble des contribuables
Pour nous, cette situation est inadmissible. Aussi demandons-nous suppression de l'article 1er quinquies et des articles suivants qui font référence à cette même procédure.
Avis défavorable.
Madame Billard, de façon générale, cette solution était préconisée par le rapport Guinchard sur la répartition des contentieux, parallèlement à l'extension de l'ordonnance pénale à l'ensemble des délits.
Rappelons que le fait de passer en procédure pénale n'éteint pas la procédure civile. Rien n'empêche, à l'issue de la procédure de l'ordonnance pénale, les victimes de l'internaute sanctionné dans le cadre de l'ordonnance pénale de se porter parties civiles. Le dispositif proposé permet d'être plus efficace, d'éviter de passer devant le tribunal correctionnel et de permettre aux ayants droit de demander directement des réparations au moment de l'ordonnance pénale.
Avis également défavorable. Le cumul des dommages et intérêts et de la sanction pénale est bien entendu conforme à tous les principes généraux de procédure.
Lorsque l'on écoute le ministre de la culture, on a envie de répondre…
Le problème n'est pas celui du cumul de la sanction pénale et des dommages et intérêts, mais celui du cumul, dans le même temps de l'ordonnance pénale, qui n'est pas d'une sanction, mais une procédure, et des dommages et intérêts, c'est-à-dire une réparation.
Comme l'a dit très justement le rapporteur et nous sommes d'accord sur ce point : la procédure pénale n'éteint pas la procédure civile. Ce n'est pas parce qu'il y a une sanction, suite à une ordonnance pénale que la victime, et notamment les représentants des ayants droit, ne peuvent pas engager une procédure civile.
L'article 1er quinquies prépare le terrain de l'article 2. Grâce à lui, on peut obtenir satisfaction en même temps au pénal et au civil. Cette coïncidence dans le temps nous choque : jusqu'à présent, les ordonnances pénales ne permettaient pas de demander des dommages et intérêts au moment où l'on est engagé dans une procédure pénale. Nous y reviendrons lors de l'examen de l'article 2. Mais le fait d'ajouter cette exception, que je viens de décrire, à un régime d'exception, l'ordonnance pénale, nous pose problème.
Vous auriez pu, monsieur le rapporteur, acquiescer à la demande de suppression de l'article 1er quinquies. En effet, compte tenu de la façon dont l'article 2 est rédigé et s'il est voté en l'état, votre article 1er quinquies ne servira pas à grand-chose. Il est inutile pour les ayants droit de saisir le juge en lui demandant de ne pas faire d'ordonnance pénale pour obtenir des dommages et intérêts s'ils peuvent dans le même temps avoir le beurre et l'argent du beurre… J'en viens à me demander si vous êtes réellement assuré de l'amendement que vous avez fait adopter en commission, ce qui expliquerait que vous laissiez subsister cet article 1er quinquies, qui crée une étape supplémentaire à gérer.
Monsieur Bloche, je voudrais vous rappeler une chose que j'ai mise en facteur commun au moment de ma présentation générale du texte : à tout moment, n'importe qui peut faire opposition à la procédure de l'ordonnance pénale.
S'il y a dans l'ordonnance pénale en même temps le règlement des dommages et intérêts, c'est que tout le monde est d'accord pour utiliser cette procédure simplifiée – je dis bien toutes les parties, puisque n'importe laquelle peut, à tout moment, la rejeter. C'est une faculté de rapidité et de simplicité donnée à tout le monde : aux parties civiles certes, mais également à l'intéressé, …
puisque celui qui serait visé par l'ordonnance pénale peut lui-même la récuser.
Actuellement, mais il y a l'amendement Riester !
(L'amendement n° 854 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 516 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Vous venez de dire, madame la ministre d'État, que n'importe qui pouvait rejeter la procédure simplifiée.
Le problème, c'est qu'un certain nombre de personnes concernées ne s'interrogeront pas pour savoir s'il y a procédure simplifiée ou non. Elles ne comprendront tout simplement pas votre procédure. Il n'y a pas que la grand-mère de la vallée de l'Ariège ou le grand-père des vallées des Vosges – ou l'inverse –, qui sont concernés : En fait de satisfaction intellectuelle, c'est le rouleau compresseur que vous actionnez !
Notre amendement n° 516 vise à supprimer les mots : « et des modalités de l'information des organismes de défense professionnelle des sociétés de perception et de répartition des droits des éventuelles saisines de l'autorité judiciaires » – dispositif inédit, dérogatoire du régime de l'ordonnance pénale. Pareille disposition d'exception – je sais que la formule ne vous plaît pas – revient à mettre les moyens publics de la justice au service d'acteurs économiques privés, en permettant au juge de statuer tant sur l'ordonnance pénale que sur la constitution de partie civile et donc de se prononcer sur l'action en réparation, relevant normalement de l'action civile.
L'avantage pour les « victimes » – entendez les organismes de défense professionnelle et les sociétés de perception et de répartition des droits – est double : elles économisent le temps de la procédure civile et les frais afférents à celle-ci, tandis que le prévenu est perdant sur toute la ligne… Drôle de conception de l'équilibre des droits et de la proportionnalité de la peine ! Vous êtes carrément du côté du pot de fer. Nous, nous sommes plutôt avec le pot de terre.
Monsieur Mitterrand, jusqu'à présent, vous rouliez pour la culture : le fait est connu, et tout à votre honneur. Maintenant, à votre corps défendant, vous nourrissez les dividendes des actionnaires des majors.
Nous sommes à peu près dans la même situation que lors de l'amendement précédent : avis défavorable.
La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour répondre à la commission et au Gouvernement.
L'intervention de Mme la garde des sceaux préfigure le débat que nous aurons à l'article 2. Il y a, madame la garde des sceaux, une confusion totale sur la définition de l'ordonnance pénale, qui est une procédure écrite et non contradictoire, à la seule initiative du procureur et ne prévoyant l'intervention que du procureur et du juge. Écrite, non contradictoire, à l'initiative du procureur : je vous renvoie a l'article 495, alinéa 1, alinéa 2, alinéa 3, alinéa 4, alinéa 5… L'alinéa 6, c'est votre article 2, qui bouleverse ce dispositif, fait débarquer une partie civile et du coup tomber tous les alinéas précédents en supprimant le caractère non contradictoire, le caractère non écrit et l'initiative du procureur de la République.
J'appelle votre attention, madame la garde des sceaux, sur ce problème de fond que j'ai évoqué dès hier. Si la procédure de comparution immédiate par reconnaissance de culpabilité a été élaborée, c'est parce qu'il fallait aller vite tout en ayant la possibilité de faire valoir des droits de dommages et intérêts, ce que l'ordonnance pénale ne prévoyait pas.
L'amendement de nos collègues est donc tout à fait pertinent.
(L'amendement n° 516 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 7 .
La parole est à M. Yves Bur, pour le soutenir.
En tant que co-auteur de cet amendement, au même titre que M. Tardy, M. Lezeau, M. Vanneste et d'autres, vous avez la parole monsieur Bur.
L'amendement est défendu. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
L'avis du Gouvernement est également défavorable.
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Contre l'amendement, je suppose ?
Absolument, monsieur le président. Nous sommes en pleine caricature… C'est tout de même un comble que nous soyons obligés de défendre le pluralisme au sein de l'UMP ! (Rires.)
Eh oui ! On retrouve ce vieil axe qui s'est formé pendant la Résistance, et qui est très honorable, vous ne devriez pas l'oublier.
Effectivement, et vous non plus, cher collègue ! Mais moi, j'y suis fidèle tandis que vous, vous le trahissez. Nous ne nous inscrivons pas dans le même schéma. Mais tout de même ! Que je sache, M. Tardy est un homme de conviction qui ne doit son élection qu'à lui-même, je le dis en passant : en commission, vous l'avez menacé de ne pas lui renouveler une investiture que, de toute façon, vous ne lui aviez pas donnée la dernière fois ! (Sourires .) Il ne doit sa présence ici qu'à ses électeurs !
Pas aux apparatchiks de l'UMP !
Monsieur Gosselin, qui vous mettez dans la peau de Jean-François Copé – vous êtes plutôt un « mix » de Jean-François Copé et de Frédéric Lefebvre (Rires) –, vous empêchez M. Tardy qui, lui, sait de quoi il parle et qui a depuis le début défendu la liberté des internautes, fasse entendre sa sensibilité personnelle. Vous l'émasculez et, hop ! à la trappe. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) C'est inacceptable !
Ce qui me surprend le plus, c'est l'attitude de notre collègue Bur. Nos collègues alsaciens sont, on le sait, des gens de rigueur et de rectitude.
Or M. Bur avait envie d'intervenir et vous ne lui avez pas laissé le temps de dire ouf ! Ce n'est pas convenable, monsieur Gosselin, vous altérez la liberté du débat démocratique : il fallait que cela fût dit.
M. Bur est assez grand pour savoir s'il doit intervenir dans le débat !
Je demande la parole pour un rappel au règlement. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Mon rappel au règlement se fonde sur l'article 58, alinéa 1 sur le déroulement de nos débats.
Nous venons de vivre un épisode assez intéressant. Nos collègues viennent de voter contre un amendement émanant de leurs propres rangs, qui n'a été présenté par personne. Ils ne savaient même pas de quoi nous parlions.
Pour la clarté de nos débats, il serait séant de présenter et de défendre les amendements. Nos débats en seraient plus clairs, plus constructifs et plus utiles.
Je remercie Mme la garde des sceaux d'avoir répondu à une partie de nos interrogations sur l'article 1er quinquies. Nous n'avons pas de désaccord sur ce que vous avez dit : le prévenu a effectivement toujours la possibilité de s'opposer à l'ordonnance pénale, ce qui a pour effet de renvoyer l'affaire à l'audience correctionnelle selon la procédure de jugement classique.
Ce qui nous pose problème c'est que l'on ne peut s'y opposer qu'une fois l'ordonnance rendue. Or, avec la procédure actuelle, la collégialité n'existe pas, puisqu'il y a un juge unique. La procédure doit en outre être rapide. Nous le redirons à l'article 2 : le respect du code de la route ne peut être assimilé à la lutte contre le téléchargement illégal. S'agissant du non-respect du code de la route, il s'agit de faits difficilement contestables ; concernant l'internet, c'est presque le contraire.
Nous avons été interpellés par les travaux au Sénat, puis à l'Assemblée nationale sur l'article 2 qui ont abouti à ce que, par la même ordonnance, il y ait à la fois sanction pénale et dommages et intérêts pour les parties civiles qui s'estiment lésées. Cette concomitance modifie profondément le régime de l'ordonnance pénale, ajoutant, sous couvert de protéger le droit d'auteur, une exception à ce qui, pour nous, reste un régime d'exception. Trop, c'est trop.
L'amendement n° 587 vise à éclaircir les deux aspects dérogatoires de cet article : premièrement, la dérivation de l'information vers les ayants droit, dérogatoire au droit commun ; deuxièmement, la conservation des données personnelles pendant une durée de trois ans, ce qui paraît excessif par rapport aux prescriptions de la CNIL.
C'est sur le premier point que nous avons le plus d'interrogations et vos propos, madame la garde des sceaux, ne nous ont pas forcément rassurés. On peut s'interroger, en effet, sur la puissance de ce lobby qui parvient à obtenir des dérogations au droit commun pour être assuré de la rapidité – avec l'ordonnance pénale – et la possibilité d'obtenir réparation – avec les dommages et intérêts – en dehors de toute procédure ordinaire. Comme le disait tout à l'heure, mon collègue Patrick Bloche, c'est le beurre et l'argent du beurre… et même le sourire de la crémière !
C'est fromage et dessert, Lagarde et Michard, la cerise et le gâteau, etc.
Cette façon pour le moins singulière de procéder laisse penser qu'il y a une sorte de régime de faveur dans la réflexion autour de HADOPI, une sorte de prescription automatique de bienveillance, de défendre au mieux les intérêts d'un lobby particulier, composé pour l'essentiel de représentants du show-business et des majors, des multinationales du loisir, de façon totalement incompréhensible et totalement dérogatoire au droit commun. Tout cela est extrêmement choquant.
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour présenter l'amendement n° 588 .
L'article 1er quinquies touche à l'équilibre de traitement entre les ayants droit et les simples usagers d'internet qui pourraient être surpris en train de télécharger. Nous avons longuement débattu sur les avertissements aux internautes qui auraient quelque peu dérapé…
…ou qui auraient été victimes de téléchargements à leur insu. Vous avez systématiquement refusé toute idée de contradictoire ; là encore, après le compromis trouvé au Sénat, vous n'hésitez pas à faire en sorte que les ayants droit soient informés en amont afin qu'ils puissent se soustraire au régime de l'ordonnance pénale et bénéficier d'un régime dérogatoire. Il s'agit là d'une véritable rupture d'égalité.
Comme vient de le dire mon collègue Didier Mathus, vous avez définitivement choisi votre camp. Vous travaillez pour quelques happy few et quelques artistes proches du pouvoir.
On voit bien de quel côté vous penchez : sûrement pas du côté des artistes en général… Vous travaillez pour quelques-uns et quelques majors.
Notre amendement instaure une sorte de droit à l'oubli, en demandant, à l'issue de la procédure liant l'abonné et la Haute autorité, l'effacement total des données à caractère personnel. Nous nous devons de garantir les protections individuelles et éviter que les personnes qui ont fait l'objet de procédures devant la HADOPI soient poursuivies en quelque sorte tout au long de leur vie.
Le délai de trois ans proposé par le rapporteur pour la durée de conservation de ces données nous paraît excessif. C'est pourquoi nous demandons que les données à caractère soient automatiquement effacées à l'issue de la procédure.
La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour soutenir l'amendement n° 590 .
Le dispositif prévu à l'article 1er quinquies a été instauré dans le seul but de transmettre systématiquement les informations aux organismes de service, en totale contradiction avec l'objectif initial.
En recourant à l'article 398 relatif au juge unique et à l'article 495 relatif à l'ordonnance pénale, le Gouvernement pensait pouvoir accélérer la procédure et compenser le fait qu'il faille passer par le juge. Mais si vous prévoyez d'informer les ayants droit des transmissions de procès-verbaux à l'autorité judiciaire, vous allez immédiatement provoquer des demandes de dommages et intérêts, ce qui va aboutir à un blocage total des procédures.
La procédure de l'ordonnance pénale ne peut être modifiée dans les termes que vous proposez, nous y reviendrons tout à l'heure. Quant au dispositif de la saisine du juge unique, il ne fera que ralentir les choses – et je ne parle pas de la constitution de partie civile pendant l'instruction et du dépôt des conclusions d'indemnisation pendant l'audience.
Vous avez délibérément choisi de lutter contre l'infraction tout en servant des intérêts privés, ruinant vos objectifs premiers. Je déplore que l'amendement de suppression de l'article n'ait pas été voté. À travers nos amendements, nous espérons au moins pouvoir atténuer les effets pervers de ce dispositif.
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour soutenir l'amendement n° 591 .
Nous touchons au sujet sensible de la conservation des données personnelles des internautes au cours des procédures engagées par la HADOPI. Il est important de rappeler les prescriptions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, selon laquelle les données doivent être « conservées sous une forme qui permette l'identification des personnes concernées pendant une durée qui n'excède pas la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées ».
Fixer cette durée à trois ans nous paraît excessif. Nous souhaitons donc préciser dans la loi que ces données devront être systématiquement effacées à la fin de la procédure engagée par la haute autorité, toujours dans un souci de protéger les libertés individuelles, en l'occurrence celles des internautes.
Merci, monsieur le président : je tenais à vérifier que l'amendement que je dois défendre est bien le n° 592. Je ne voudrais le confondre ni avec le précédent ni avec le suivant…
Si la loi HADOPI 1 a été censurée par le Conseil constitutionnel, c'est essentiellement parce qu'elle a été reconnue comme étant attentatoire aux libertés à bien des égards – ce que nous avions d'ailleurs souligné – et l'objet principal du présent projet de loi est de corriger ses errements.
Vous avez dû prévoir un système capable de traiter un contentieux de masse : 3,65 millions de messages d'avertissement émanant de la haute autorité, plusieurs dizaines voire centaines de procédures judiciaires chaque année ! Pour cela, vous avez mis en place une usine à gaz complexe et performante qui comporte des tuyaux de très gros calibres pour traiter des contentieux en très nombre, mais aussi des tuyaux de plus petit diamètre, des réservoirs, des bonbonnes et autres endoits pour stocker momentanément produits et sous-produits.
Avec l'article 1er quinquies, vous abordez la manière de gérer le fonctionnement de cette usine à gaz. Sans accélérateur, elle risque l'engorgement ; d'où le recours à l'ordonnance pénale. Néanmoins, dans certains de ses réservoirs resteront stockés des fichiers contenant des données à caractère personnel. Aussi proposons-nous une méthode pour les vidanger régulièrement : il s'agirait de supprimer ces données dès la fin de la procédure de façon que le système reste fluide, efficace et rapide.
La parole est à Mme Monique Boulestin, pour soutenir l'amendement n° 593 .
Nous souhaitons compléter l'article 1er quinquies par un alinéa prévoyant que les données enregistrées soient automatiquement effacées à la fin de la procédure liant l'abonné et la haute autorité. En effet, la durée de conservation des données personnelles ne peut excéder la période pendant laquelle l'abonné fait l'objet d'une mesure de la part de la HADOPI. Laisser à un décret en Conseil d'État le soin de fixer le délai de conservation n'est pas satisfaisant, d'autant que le délai de trois ans suggéré par le rapporteur est inapproprié, voire excessif.
Enfin, il est nécessaire de rappeler les prescriptions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés qui soumettent la mise en oeuvre des traitements de données à caractère personnel au respect des conditions suivantes : premièrement, qu'elles soient exactes, complètes et, si nécessaire, mises à jour, et que les mesures appropriées soient prises pour que les données inexactes ou incomplètes au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées ou traitées soient effacées ou rectifiées ; d'autre part, qu'elles soient conservées sous une forme permettant l'identification des personnes concernées pendant une durée qui n'excède pas la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées.
De façon générale, une telle solution est préconisée par le rapport Guinchard sur la répartition des contentieux, parallèlement à l'extension de l'ordonnance pénale à de nombreux délits.
Par ailleurs, ce type de solution a été adopté à l'Assemblée nationale lors de l'examen en première lecture de la proposition de loi de simplification du droit présenté par M. Warsmann.
J'ajoute que la demande formulée dans vos amendements est partiellement satisfaite par l'article 1er quater du présent projet de loi qui précise que la commission procède à l'effacement des données au terme – et non plus à l'issue – de la période de suspension.
S'agissant des autres cas, je reste persuadé, comme je l'étais lors de l'examen du précédent projet de loi, que le projet de décret, qui devra, je le rappelle, être soumis à la CNIL, apportera toutes les garanties nécessaires.
Avis défavorable.
Défavorable également.
(Les amendements identiques nos 585 à 593 ne sont pas adoptés.)
(L'article 1er quinquies est adopté.)
Sur l'article 2, plusieurs orateurs sont inscrits.
La parole est à M. Philippe Gosselin.
Puisque la pédagogie est l'art de la répétition – M. Brard nous le dit assez souvent –, …
…je voudrais rappeler que ce texte a pour but de bien faire comprendre que c'est le téléchargement illégal qui doit être réprimé, et non gratuité en elle-même, qui ne nous gêne pas à partir du moment où les ayants droit ont donné leur accord.
Cela posé, il faut bien un système avec des sanctions. Il n'y a pas de responsabilité sans sanction et il n'y a pas de liberté sans responsabilité. C'est ce principe qui nous guide dans ce projet de loi. Il ne s'agit pas de nous laisser enfermer dans le jeu de nos adversaires qui veulent à tout prix démonter ce qui n'est pas démontable.
En réalité, tout est fait pour recourir le moins possible à la sanction et le plus possible à la pédagogie. Aussi l'article 2 a-t-il prévu une procédure rapide, simple et respectueuse des droits de l'individu et de la défense, mais également efficace : il faut le préciser à ceux qui voudraient nous opposer le risque d'engorgement des tribunaux. D'où le dispositif alliant juge unique et ordonnances pénales.
Cet article, fondamental, relatif aux délits de contrefaçon a deux objets distincts : donner compétence à un juge unique, en lieu et place de la formation collégiale composée d'un président et deux juges, et permettre le recours aux ordonnances pénales.
L'objectif est simple : il s'agit de permettre des jugements rapides avec un minimum de moyens à travers une procédure écrite et non contradictoire, il faut le rappeler. Elle est incontestablement adaptée aux infractions au code de la route puisqu'il s'agit de juger dans des délais express des faits difficilement contestables.
Toutefois l'extension du champ des ordonnances pénales au domaine du téléchargement illégal pose problème, d'autant que celui-ci est abusivement assimilé à la contrefaçon, sans distinction établie entre les objectifs des contrefacteurs selon qu'ils sont lucratifs ou non lucratifs.
Je voudrais que M. le rapporteur cesse de répéter à l'envi que tout le monde est favorable à l'extension du champ des ordonnances pénales. Le rapport du sénateur Bernard Saugey dit exactement le contraire, indiquant que la commission à la quelle il appartient « est particulièrement réservée face à cette extension du champ des ordonnances pénales ». D'autant qu'il est prévu des exceptions au champ couvert par les ordonnances pénales, pour ce qui touche notamment aux délits de presse. Or qui dit délit de presse dit libertés d'expression et de communication, ce qui nous renvoie aux problématiques de l'internet. Vous avancez donc à nouveau en terrain mouvant sur ce sujet.
J'aimerais qu'on en revienne au poids de mots. Qu'est-ce que le délit de contrefaçon ? La question mérite d'être posée.
Le téléchargement est-il de la contrefaçon ? La contrefaçon est l'imitation d'un produit à travers une reproduction, toujours imparfaite. La « contrefaçon numérique » n'existe pas : ce que permet la technique numérique, c'est la duplication à l'infini, sans coût de production. Autrement dit, nous sommes dans un registre totalement différent et bon nombre de vos comparaison sont totalement absurdes.
Le téléchargement ne s'apparente pas non plus à du vol, monsieur le ministre. Je reprendrai un exemple mille fois cité : lorsqu'une personne vole une tablette de chocolat dans les rayons d'une épicerie, il n'y a plus de tablette alors que, dans le domaine numérique, l'objet du délit ne disparaît pas, il est au contraire présent à l'infini. C'est une révolution dont vous n'avez pas pris la mesure. Vouloir aborder cette question à travers le concept de la contrefaçon est une absurdité totale.
Vous ne pouvez aborder l'ère numérique avec les outils du XIXe siècle, monsieur Gosselin.
Il faut vous résigner à être dans ce monde et en prendre acte.
Il est vrai que nous sommes à une heure avancée de la soirée, après dix-neuf heures de débat et qu'on commence à voir des grands-mères de l'Ariège fumer des coquelicots avec les adolescents de Montceau-les-Mines ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Mais réfléchissez au sens des mots ! La duplication numérique n'est pas de la contrefaçon !
Nous avons un problème de géographie, monsieur le président, entre l'Ariège, la grand-mère, les Vosges et la crémière… (Sourires.)
S'agissant de l'article 2, je reprendrai la métaphore de tout à l'heure, que je trouve performante : le Gouvernement et sa majorité sont effectivement en train de construire une usine à gaz dont ils sont, me semble-t-il, en train de perdre le contrôle.
C'est extrêmement dangereux parce que cela peut exploser. Nous sommes, avec cet article 2, au coeur de l'usine à gaz, avec le recours à l'ordonnance pénale, destiné à accélérer la circulation des matières au sein du dispositif.
Comme le Gouvernement avait besoin de références pour construire cet accélérateur, il s'est inspiré de ce qui se faisait pour les délits prévus par le code de la route, les délits de port ou transport d'arme de sixième catégorie – on voit tout de suite le rapport ! – et les délits prévus par le code de l'environnement en matière de chasse, de pêche ou de protection de la faune et de la flore… C'est ce qu'il appelle l'ordonnance pénale, procédure simplifiée avec un seul juge. Bref, tout va bien. À ceci près, nous l'avons vu tout à l'heure, que les choses ne sont pas aussi simples, puisqu'il faut prévoir des dispositifs permettant aux personnes concernées de faire valoir leurs droits en matière civile. Qui plus est, l'accélérateur a des faiblesses : toute personne concernée, considérant que cela ne lui convient pas, peut demander à bénéficier de la procédure normale. Auquel cas on est reparti pour un tour…
De surcroît, pour traiter les masses de contentieux, le dispositif doit être performant ; or je ne crois pas qu'il en existe un. En effet, si les 3,650 millions d'opérations par an ne se traduisent évidemment pas toutes par une ordonnance pénale, plusieurs centaines de milliers devront être traitées et cette usine à gaz n'y parviendra pas.
Je terminerai en posant une question à Mme la garde des sceaux. Dans l'exposé des motifs, il est fait allusion…
Vous avez dépassé votre temps de parole, monsieur Mallot.
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire.
Cette dernière mouture de la loi montre la prise de conscience de l'ampleur des problèmes et de la masse d'informations qu'il conviendra de gérer, d'où l'idée, permettez-moi l'expression un peu triviale, de mettre en place un système de justice « low cost » pour traiter le téléchargement.
Le téléchargement n'est pas de la contrefaçon, c'est du clonage à l'infini d'oeuvres existantes. Vous confondez absolument tout. Ce qui pose problème, c'est la rémunération des artistes et non qu'une oeuvre puisse être dupliquée à l'infini sans être altérée, puisque le numérique permet cette duplication sans altération.
…où l'intention originelle de celui qui a conçu l'oeuvre ou l'objet est totalement trahie par la duplication de mauvaise facture. Tel n'est pas le cas avec le téléchargement.
Il y a donc une utilisation abusive de la contrefaçon et la mise en place d'une justice au rabais, ou low cost, avec la procédure simplifiée de l'ordonnance pénale, autrement dit du juge unique.
M. Gosselin répète à l'envi que la pédagogie est l'art de la répétition. Ancien pédagogue, j'ai pour ma part appris d'autres choses : la pédagogie est plutôt la capacité à savoir gérer ses erreurs et à en tirer tous les profits possibles. Je vous renvoie à cette autre méthode, cher collègue !
L'article 2 traite du délit de contrefaçon. Didier Mathus s'est à juste titre interrogé sur les raisons qui vous ont poussés à assimiler le téléchargement à la contrefaçon. Dans l'esprit du public, la notion de contrefaçon amène automatiquement à l'idée de délinquant. C'est ce à quoi vous voulez aboutir avec ce texte : assimiler l'internaute qui télécharge à un délinquant. Tout votre projet de loi est construit autour de cette démarche.
Qui plus est, en recourant au juge unique et aux ordonnances pénales, vous mettez en place une justice expéditive, une justice rendue dans un minimum de temps, avec un minimum de moyens et tous les risques que cela peut engendrer, notamment en matière de garanties des droits de la défense.
Nous devons prendre du temps pour examiner ce point. J'aimerais écouter M. le rapporteur ou M. le ministre sur leur définition de la contrefaçon liée au téléchargement.
Comme vous vous êtes déjà exprimé, monsieur Gosselin, j'imagine que c'est pour faire un rappel au règlement ?
Effectivement, monsieur le président… Vous avez encore lu dans mes pensées, c'est formidable !
Monsieur le président, j'ai cru comprendre, qu'il y avait de nombreux inscrits sur l'article 2. Pourriez-vous me le confirmer ?
Monsieur le député, doivent encore intervenir Mme Monique Boulestin, M. Marcel Rogemont, M. Jean-Louis Le Bouillonnec, Mme Catherine Quéré, Mme Catherine Lemorton, M. Jean-Pierre Brard et Mme Martine Billard.
C'est moins long, mais soyons raisonnables. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Toutefois, en signe de bonne volonté, et pour ne pas altérer la teneur de nos débats futurs, j'en prends acte. Je n'en attends pas moins en retour. J'espère que vous n'emploierez pas de mesures dilatoires pour faire traîner indûment les débats, même si nul ne conteste que cet article 2 est effectivement important.
Si j'ai bien compris, monsieur Gosselin, votre rappel au règlement était simplement formel et ne demandait pas d'application pratique. (Sourires.)
Au risque de nous répéter, nous demandons la suppression de l'article 2 pour plusieurs raisons. Pour commencer, il nous semble abusif de présenter les usagers comme des délinquants en qualifiant de contrefaçon ce qui n'est qu'une duplication d'information. Il nous semble également que le recours au juge unique induira des jugements expéditifs avec la mise en oeuvre d'un minimum de moyens.
L'article 2 tend à donner une compétence à un juge unique et à recourir aux ordonnances pénales. Cette rédaction tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel : des dizaines de milliers d'affaires, 50 000 à croire les estimations, devront être instruites, d'où un encombrement extraordinaire des tribunaux. Pour y remédier, vous mettez donc en place une justice expéditive. Certains, dans la majorité, s'en sont émus : pourquoi diable avoir inventé un tel dispositif, pourquoi n'avoir pas imaginé – sans pour autant que je le suggère – un système d'amendes, qui, pour une grande part, aurait évité cette judiciarisation ? Tout simplement parce qu'une personne, qui habite à quelques centaines de mètre d'ici, a dit qu'il fallait aller jusqu'au bout, qu'il en irait ainsi et pas autrement !
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. On se calme !
À partir de là, et même si, nous, députés de l'opposition, ne le souhaitons pas, force est d'obtempérer et de nous soumettre…
…aux instructions du Président de la République, qui nous met donc dans une position intenable. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Jean-Louis Le Bouillonnec… je veux dire Jean-Yves Le Bouillonnec.
Monsieur le président, je proteste contre le fait que le président Accoyer et vous-même persistiez à m'appeler parfois Jean-Louis, ce qui est heureux parce que c'était le prénom de mon père que je suis ravi de saluer à cet instant, bien qu'il nous ait quittés il y a trop longtemps. Reste que je me prénomme Jean-Yves et que je le revendique !
Depuis le début de l'examen de ce texte, notre débat portait sur la propriété industrielle et le code de procédure pénale. Avec l'article 2, il tombe dans le code de procédure pénale, ce qui aboutit à quelque chose d'inacceptable à mes yeux : on travestit l'instrument que constitue l'ordonnance pénale.
Vous avez tort, monsieur le rapporteur : si son extension a effectivement été votée par l'Assemblée – c'était l'article 63 de la proposition de loi de simplification et de clarification du droit –, on ne saurait oublier qu'elle a été retoquée par le Sénat qui trouvait trop dangereux d'utiliser pour le jugement de tant de délits une procédure écrite et non contradictoire, initiée par le procureur et assortie d'aucun débat préalable.
La disposition que vous prévoyez heurte totalement le dispositif de la procédure d'ordonnance pénale. En effet, vous introduisez la constitution de partie civile devant le juge de l'ordonnance, alors qu'aux termes de l'article 495, alinéas 1, 2, 3, 4 et 5 du code de procédure pénale, les intérêts civils, s'il y en a, ne peuvent être revendiqués devant la juridiction correctionnelle qu'après le prononcé de l'ordonnance pénale. Autrement dit, vous bouleversez totalement le dispositif de l'ordonnance pénale et altérez sa philosophie la plus fondamentale : substitut, réquisition, juge, ordonnance pénale, signification au prévenu, et, le cas échéant, opposition. Vous travestissez la procédure d'ordonnance pénale. Il conviendra de revoir ce problème. Nous reviendrons lors de la discussion des amendements.
L'article 2 vise deux objets distincts s'agissant du délit de contrefaçon. Je répéterai ce qu'ont dit mes collègues avec sans doute beaucoup plus de talent que moi.
Le terme de contrefaçon est totalement inadéquat.
Le but est de permettre le recours au juge unique et à la procédure simplifiée des ordonnances pénales avec un même objectif. Ainsi, le Gouvernement créera un délit de masse, et il se trouve, du fait de la décision du Conseil constitutionnel, contraint de recourir à une procédure qui n'est pas satisfaisante. N'aurait-il pas été plus simple de s'en tenir à un système d'amende ?
Le projet de loi HADOPI va tenter de mettre en place une justice que l'on qualifie d'expéditive, rapide et peu chère en favorisant l'ordonnance pénale. Mais la vitesse de cette justice risque, de fait, de faire naître beaucoup d'oppositions. Dans son rapport, le Conseil d'État précisait ainsi que « le taux d'oppositions peut être important dans la mesure où la peine de suspension de l'accès à l'internet aura des conséquences pratiques évidentes pour les condamnés. » Je me suis exprimée assez clairement sur ce point cet après-midi. « Ce taux peut être estimé à 50 % pour ce nouveau contentieux », ajoutait le Conseil d'État.
Dans un cas sur deux, il risquera donc d'y avoir opposition à l'ordonnance pénale, avec retour à une procédure classique, débat et audience publique.
Un dossier étant traité en trente minutes en moyenne par les magistrats compte tenu du temps d'audience, de sa préparation et de la rédaction de la décision, on obtient en multipliant ce temps par le nombre de dossiers sur lesquels il y aura opposition, soit environ 20 000 selon les calculs des majors elles-mêmes, 600 000 minutes, soit 10 000 heures de travail.
Que la procédure soit expéditive, c'est sûr ; qu'elle soit rapide, c'est moins sûr ; qu'elle soit peu coûteuse, c'est encore moins sûr.
Cet article est évidemment très important. M. Gosselin a parlé d'une procédure « rapide », « simple », « respectueuse des droits de la défense », « efficace ».
Aucun de ces adjectifs n'est approprié puisque ce n'est pas vrai. Cela relève de la propagande. Cela prendra trente minutes par dossier, Mme Lemorton vient de le dire, ce qui est déjà beaucoup plus que pour l'examen des dossiers des travailleurs immigrés que l'on se prépare à expulser.
Il y a une différence entre le téléchargement et le vol d'une tablette de chocolat. Ne pas la voir, c'est ne rien comprendre à l'époque dans laquelle nous vivons. Si l'on vous vole une tablette, vous ne l'avez plus, tandis qu'un produit numérique, vous l'avez toujours !
Je suis frappé de l'ignorance des mutations révolutionnaires que provoque, dans le processus de production des marchandises, l'intégration de toutes les créations immatérielles qui contribuent aujourd'hui à la formation de la valeur.
La valeur, évidemment, vous ne la voyez que chez les banquiers. Nous, nous la voyons là où elle est vraiment, là où l'on ajoute quelque chose tandis que les banquiers soustraient.
Il y a là quelque chose de tout à fait innovant, dont le texte ne tient pas compte.
Monsieur le ministre, vous n'avez toujours pas répondu, enfin, à la question du centre de rétention pour les internautes.
C'est effectivement l'un des articles les plus importants de ce texte, et qui justifie entre autres notre opposition.
M. Gosselin a parlé de procédure rapide et simple.
L'ordonnance pénale est adaptée aux contentieux simples et de masse. Qu'il s'agisse d'un contentieux de masse, oui, mais d'un contentieux simple, non : il sera passablement difficile, nous le disons depuis le début, de démontrer qu'il y a réellement eu téléchargement.
De plus, il est écrit au dernier alinéa de l'article 495 du code de procédure pénale que : « Le ministère public ne peut recourir à la procédure simplifiée que lorsqu'il résulte de l'enquête de police judiciaire que les faits reprochés au prévenu sont établis et que les renseignements concernant la personnalité de celui-ci, et notamment ses charges et ses ressources, sont suffisants pour permettre la détermination de la peine. »
D'abord, il ne sera pas si simple d'établir les faits. Ensuite, la HADOPI devra enquêter sur la personnalité des internautes mis en cause, et en particulier sur leurs charges et leurs ressources. Que cette enquête soit faite par une autorité administrative pose problème, car il s'agit d'une intrusion dans la vie privée. Dans ce genre de situations, ce sont généralement des officiers de police judiciaire qui recueillent ces informations, non des personnes habilitées.
Ce n'est pas tout à fait la même chose. Lorsqu'on est mis en cause, dans le cadre d'une enquête, on répond à un officier de police judiciaire. Là, c'est plus délicat.
Il a été dit, madame la garde des sceaux, qu'une circulaire préciserait qu'il ne pourra s'agir que de faits n'entraînant pas de lourds préjudices. Qu'entendez-vous par là ? Quelle sera la limite ?
La parole est à M. Pierre-Alain Muet. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Le débat que nous avons sur cet article montre bien que, pour justifier votre loi répressive, vous vous raccrochez au monde ancien, alors que nous sommes désormais dans un monde où une oeuvre culturelle peut être totalement dépouillée de son support matériel.
La seule question, en effet, est de savoir comment rémunérer les auteurs, mais ce n'est pas par le biais de l'incrimination de contrefaçon, qui n'a rien à voir, que vous résoudrez le problème.
Au fond, que restera-t-il de nos débats sur les lois « HADOPI » ?
En positif, il restera la décision du Conseil constitutionnel, une décision fondamentale qui met le droit d'accès à internet dans les droits fondamentaux, comme le droit à imprimer librement, le droit à la culture et le droit à l'accès aux oeuvres culturelles.
En négatif, il restera que votre seule préoccupation, au moment où nous assistons à une évolution technologique fondamentale qui permet à chacun d'accéder à la culture de façon quasiment gratuite, aura été de créer une société de surveillance où chacun se sentira traqué.
Ce que vous nous proposez, c'est tout simplement d'entrer dans l'avenir à reculons. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Je me fonde sur l'article 58-1 pour faire observer à l'opposition que nous avons joué le jeu, puisque nous étions d'accord pour que sept de ses orateurs prennent la parole. Or, il y en a eu huit. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur Gosselin, vous avez parfaitement raison : au moment où vous m'avez demandé le nombre d'inscrits sur l'article, il en restait sept, mais M. Muet a souhaité s'inscrire par la suite. Le règlement de notre assemblée prévoyant que l'on peut s'inscrire à tout moment sur un article, j'ai respecté à la lettre le règlement en inscrivant M. Muet sur l'article 2.
Il y a la lettre et il y a l'esprit. On s'honore toujours à respecter ses engagements, même immatériels !
L'ordonnance pénale est vraiment inadaptée, et l'est encore plus compte tenu des modifications introduites en commission.
L'avantage, nous dit-on, c'est la rapidité. Nous contestons déjà la façon dont les personnes seront informées de leur mise en cause. J'avais été choquée, monsieur le ministre, de vous entendre parler de pigeons voyageurs, mais, finalement, vous aviez peut-être raison. Il existe en effet une norme, la norme RFC 1149, qui date du 1er avril 1990 bien que ce n'est pas un poisson d'avril (Sourires), qui décrit comment on peut faire une transmission internet par pigeon voyageur. Neuf paquets de données ont été envoyés. Le pourcentage de paquets perdus a été de 55 %, et le temps de réponse un peu long, compris entre une et deux heures. Par contre, on peut transporter de nombreuses données. Vous aviez donc eu une intuition, monsieur le ministre…
La leçon de tout cela, c'est qu'il faut savoir prendre son temps. Or, l'ordonnance pénale ne permet pas de prendre le temps de débattre ni de prouver si les faits sont établis. C'est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.
Nous demandons en effet la suppression de l'article 2, et cela nous permet de continuer à interroger Mme la garde des sceaux car nous attendons beaucoup de la parole ministérielle sur ce projet qu'elle n'a pas élaboré elle-même, puisqu'elle n'était pas encore arrivée place Vendôme.
Le ministère public ne peut recourir à l'ordonnance pénale que lorsque les faits reprochés au prévenu ont été établis par la police judiciaire. Ce sont les termes de l'article 495 du code de procédure pénale. Nous avons donc deux questions à vous poser, madame la garde des sceaux.
Du fait de la modification en commission de l'article 1er, que nous avons adopté cet après-midi, les agents de la HADOPI constateront les faits susceptibles de constituer des infractions et non les infractions. Qui établira les faits ? Pas le juge, car les faits devront avoir été préalablement établis. Pas le procureur non plus. Il y a donc une contradiction, qu'il faudra lever, entre l'article 1er et la procédure de l'ordonnance pénale.
Seconde question : comment établir le délit de contrefaçon ? Uniquement, selon nous, en fouillant les disques durs des internautes. Vous n'avez pas prévu de perquisition – ce dont nous vous remercions. Mais une adresse IP ne suffit pas, car elle peut être usurpée ou utilisée sans que l'abonné soit au courant, ainsi que nous l'avons dit et répété.
Les agents de la HADOPI ne pouvant fouiller les disques durs, il sera donc nécessaire de faire une enquête complémentaire, si bien qu'à l'arrivée la procédure sera plus longue. La police judiciaire a sans doute mieux à faire, vous en conviendrez, et d'autres délits à sanctionner - à moins que vous ne fassiez le choix de donner priorité à la répression du délit de contrefaçon.
Tout cela prouve que les dispositions proposées ne contribuent en rien à accélérer les procédures.
La parole est à M. Pierre-Alain Muet, pour défendre l'amendement n° 604 .
Il est défendu. Je vous rends ainsi le temps que j'ai utilisé tout à l'heure, monsieur Gosselin ! (Sourires.)
Cet article est emblématique du projet de loi lui-même.
Il y a, d'une part, l'instauration d'une procédure judiciaire, sinon low cost, comme l'ont qualifiée certains, du moins de piètre qualité, dans laquelle le juge n'aura finalement qu'à cocher une croix sur un formulaire. Chacun l'a bien compris, c'est une façon de contourner la décision du Conseil constitutionnel. Sur le plan de l'équilibre des institutions, sur celui des droits de la défense et d'un certain nombre de valeurs fondamentales de la République, cela nous semble inquiétant, et ce n'est pas, en tout cas, un progrès.
Il y a, d'autre part, la question de la contrefaçon. Nous sommes dans ce débat depuis un certain nombre d'heures. Même si la focale, si j'ose dire, se dérègle un peu, et si l'on s'appesantit parfois sur des points de détail, le fond de l'affaire est que cette loi traduit une incompréhension du monde numérique.
Le monde numérique, c'est – vous devriez y être sensible, monsieur le ministre – la perspective de la médiathèque universelle, de l'accès ainsi donné à l'ensemble de nos concitoyens au monde de la culture, de l'échange, de l'intelligence, de la connaissance. Or, votre seule réponse à cette belle utopie, ce sont les chaussettes à clous et le bâton du gendarme. Il y a un formidable décalage et une incompréhension fondamentale de ce qu'est l'ère numérique.
Une copie numérique n'est pas une contrefaçon : c'est une copie à l'identique, reproductible à l'infini et sans frais. C'est donc un outil nouveau pour l'intelligence du monde.
Au lieu de saisir cette chance et de se poser la seule question qui vaille, c'est-à-dire celle de la rémunération de la création dans ce nouvel univers, vous nous répondez par le bâton du gendarme et les menottes. Comme l'avait dit un journaliste, c'est une réponse à côté de la plaque !
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour défendre l'amendement n° 606 .
Je vais insister sur cet article, car nous sommes là au coeur du problème.
C'est un article de rattrapage après la censure du Conseil constitutionnel. Donnez-nous d'abord acte que c'est à la suite de notre recours que le Conseil constitutionnel a rétabli un peu de justice dans cette procédure.
Or le juge constitutionnel rend des décisions qui sont au-dessus de ce que nous pouvons parfois entendre ici, notamment de la part du rapporteur.
Cette justice au rabais, résultant de l'extension de la liste des délits pouvant être soumis à la décision d'un juge unique, n'est pas acceptable. Il n'est pas acceptable, en effet, qu'un juge décide seul de la suspension de l'accès à internet ni d'amendes pouvant atteindre 300 000 euros. Le Conseil constitutionnel a considéré que la suspension de l'abonnement était une peine sévère, et nous pourrions au moins reconnaître ensemble qu'elle doit rester exceptionnelle, réservée à des délits graves, notamment aux pratiques de contrefaçon qui visent à s'enrichir sur le dos des artistes.
Pour l'immense majorité de ceux dont nous parlons, il ne s'agit pas de cela. Ce sont des gens qui souhaitent accéder à une culture universelle à un coût supportable et acceptable par tous.
Vous êtes entrés dans ce débat à reculons. Nous ne vivons pas dans le même siècle : vous êtes restés au XIXe siècle alors que nous sommes déjà au XXIe siècle. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Vous créez un délit de contrefaçon sans apporter la moindre nuance. S'agit-il de conrefaçon à titre onéreux ou non ? Nous n'avons pas de réponse.
Vous créez ainsi, en quelque sorte, un délit de masse, auquel vous allez associer une sanction, dans une procédure que l'on peut assimiler à une procédure de masse, expéditive et ne garantissant nullement les droits de la défense. L'ordonnance pénale est en effet une procédure écrite et non contradictoire, et le juge n'entendra à aucun moment l'auteur supposé des faits.
C'est pourquoi nous demandons la suppression de cet article. Nous insistons car cela nous paraît essentiel. Vous donnez, avec cette disposition, une bien mauvaise image du développement du numérique. Comme je l'ai dit, vous ne faites pas de distinction entre les personnes qui téléchargent à titre personnel et celles qui le font à titre onéreux, avec un objectif de revente.
Je suis saisi par le groupe GDR d'une demande de scrutin public sur les amendements identiques de suppression dont nous sommes en train de débattre. Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour soutenir l'amendement n° 608 .
Nous allons beaucoup insister sur cet article ; je l'ai annoncé dès hier en indiquant qu'il s'agissait du coeur de nos critiques.
Vous ne pouvez pas altérer le sens de l'ordonnance pénale. Le législateur, lorsqu'il a voulu, l'année dernière, étendre les mesures de simplification du droit pénal, a finalement renoncé à le faire. Pourquoi ? Parce que l'ordonnance pénale présente les inconvénients de ses avantages.
La procédure est écrite, non contradictoire, et comporte la saisine du procureur. Il n'est pas prévu d'intervention du prévenu, qui n'a pour toute possibilité que celle de contester la décision qui lui est notifiée. En outre, dans le cas où une partie civile s'est constituée ou est intervenue en amont, il ne peut y avoir d'ordonnance pénale, et si une partie civile manifeste son intention d'être indemnisée après le prononcé d'une ordonnance pénale exécutoire et définitive, elle doit saisir le juge correctionnel, lequel statue alors non pas sur l'ordonnance pénale elle-même, mais uniquement sur les dommages et intérêts.
En introduisant, par votre loi, la possibilité qu'une victime puisse demander au président de statuer « par la même ordonnance se prononçant sur l'action publique », vous réduisez à néant l'ensemble de la construction de l'ordonnance pénale.
Cette disposition est contraire à l'égalité des débats, car le prévenu n'aura pas le droit d'accéder au juge tandis que la partie civile pourra le faire. C'est un premier motif de censure par le Conseil constitutionnel.
En outre, il n'est pas envisageable de permettre au juge, qui ne reçoit pas le prévenu, de statuer sur des intérêts civils qui lui seraient présentés par l'une des parties. Ce serait en effet une entorse flagrante au principe du procès équitable, fondamental dans notre droit : deuxième motif de censure.
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour soutenir l'amendement n° 609 .
Le recours à l'ordonnance pénale et au juge unique en matière de contrefaçon commise par des moyens de communication électronique nous pose problème, car il crée un déséquilibre profond entre les prévenus, c'est-à-dire les internautes, ceux qui veulent consulter, écouter, regarder des oeuvres d'art, et les artistes, les créateurs ou leurs ayants droit, qui seront du côté des parties civiles.
Comme l'a dit Jean-Yves Le Bouillonnec, les droits conférés aux parties civiles sont nettement supérieurs à ceux conférés aux prévenus. C'est une forme de présomption de culpabilité de l'internaute, qui relève d'une conception obsolète, à l'ère numérique, de la diffusion des oeuvres.
Certes, le code de la propriété intellectuelle définissait en 1957 la contrefaçon comme « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou des ayants droit ». Toutefois, le devoir du législateur aujourd'hui n'est pas d'élargir un fossé créé artificiellement entre les artistes et leur public. À l'heure du numérique, notre rôle est plutôt de réconcilier les artistes et leur public, en trouvant les moyens de rémunérer les premiers – nous avons fait de nombreuses propositions en ce sens – et en montrant à quel point la diffusion numérique est une chance pour eux. Le fait que le coût marginal de diffusion numérique des oeuvres soit nul est une formidable chance de démocratisation de l'accès à la culture.
Le recours à des procédures expéditives et exceptionnelles me semble aller dans la mauvaise direction.
La parole est à Mme Marylise Lebranchu, pour soutenir l'amendement n° 610 .
Outre ce qu'a dit Jean-Yves Le Bouillonnec, qui a mis le doigt sur ce qui fait mal, il faut que les faits soient établis par la police judiciaire. Si vous reprenez les minutes du débat d'hier, vous verrez – je l'ai déjà souligné deux fois –,que le rapporteur dit, dans l'une de ses interventions, que les fonctionnaires ou agents assermentés de la HADOPI ne sont pas des officiers de police judiciaire, avant de dire le contraire dans une autre. Pour qu'une ordonnance pénale soit prononcée, il faut en tout cas que les faits soient établis par la police judiciaire.
Comment, ensuite, les agents assermentés de la HADOPI constateront-ils les faits ? Je ne vois pas d'autre solution que le recours à l'adresse IP ou, éventuellement, la lecture du disque dur, avec intervention de la police.
L'ordonnance pénale reposera donc, d'une part, sur des faits qui ne sont pas établis par la police judiciaire et, d'autre part, sur une simple déclaration relevant que, sur telle adresse IP, un téléchargement illégal a été constaté.
Je ne vois pas du tout comment cela peut tenir, sauf à changer complètement la nature de l'ordonnance pénale, ce que vous n'êtes pas non plus allés jusqu'à faire.
La parole est à M. Marcel Rogemont, pour soutenir l'amendement n° 611 .
Le Gouvernement tient impérativement à la coupure de l'internet, et c'est cela qui le met dans la nasse. À partir du moment où vous êtes dans la nasse, madame et monsieur les ministres, vous créez un délit de masse. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Vous placez la justice devant une foultitude de situations dont elle ne devrait pas avoir à connaître. C'est le principal défaut du dispositif que vous créez : face à ces 50 000 ou 60 000 affaires auxquelles la justice sera confrontée, vous êtes obligés de mettre en place une justice expéditive.
Vous auriez pu l'éviter car, même dans le cadre de votre texte, d'autres voies étaient possibles sur la question des sanctions. Je trouve très regrettable votre entêtement à vouloir judiciariser le dispositif dans les termes de l'article 2. Madame la garde des sceaux, je vous invite à davantage de circonspection ; ne vous laissez pas embarquer dans un dispositif qui ne réglera pas le problème. J'en appelle à votre sens des responsabilités.
Défavorable. Nous venons d'entendre une trentaine d'interventions dont certaines se sont égarées dans des voies que je préfère ne pas qualifier, car les artistes, les auteurs, les compositeurs qui ont dû écouter ces débats…
Non, ils ne sont pas couchés. Ils sont devant leurs ordinateurs pour écouter les représentants de la nation débattre de leurs droits.
Nous ne renoncerons jamais au droit d'auteur dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Mme Erhel dit que nous créons un délit de contrefaçon alors qu'il est inscrit dans le code de la propriété intellectuelle en toutes lettres. On a également comparé des barres de chocolat avec des phonogrammes, c'est-à-dire que l'on a complètement nié la différence entre biens matériels et biens immatériels,… (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
…nié que la propriété intellectuelle était quelque chose à laquelle notre République était très attachée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Ce n'est pas parce que notre pays est entré dans l'ère du numérique que nous renoncerons, de ce côté de l'hémicycle, à défendre les droits d'auteur et les droits voisins ! (Mêmes mouvements.)
Quant à l'ordonnance pénale, c'est une procédure simplifiée à la disposition du parquet. Celui-ci jugera s'il est nécessaire et possible d'y recourir.
S'il décide de le faire, le prévenu pourra demander qu'une procédure classique soit utilisée.
Monsieur Le Bouillonnec, je vous ai écouté, ainsi que vos collègues, pendant près d'une heure ; pouvez-vous me laissez cinq minutes pour répondre ?
Des contrevérités, j'en ai entendu beaucoup ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Toutes les garanties en termes de libertés, s'agissant de l'utilisation des ordonnances pénales, sont inscrites dans le code de procédure pénale.
Pour toutes ces raisons, l'avis de la commission est, je l'ai dit, défavorable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Au cours de cette longue succession d'interventions, j'ai entendu beaucoup de choses, y compris des propos qui relèvent du fantasme.
Il y a eu les figures imposées, propres à certains groupes, sur les rapports entre les gros et les petits, sur le Gouvernement qui défendrait généralement les premiers contre les seconds,…
…comme si nous ne faisions pas la loi pour l'ensemble des Français. En tout cas, je peux vous assurer que faire la loi pour l'ensemble de nos compatriotes, telle est la volonté de Frédéric Mitterrand, et que c'est sa philosophie comme la mienne. Autre fantasme : des menaces pèseraient sur l'ensemble des usagers d'internet. Non, nous ne visons pas l'ensemble des internautes, mais le téléchargement illégal. N'essayez pas de faire peur à tout le monde.
Nous sommes ici pour fixer des règles, et lorsqu'elles sont transgressées, il y a lieu à sanction.
Derrière de tels fantasmes, il y a des présupposés ou des arrière-pensées. Je préférerais, pour la clarté du débat, que certains les revendiquent ouvertement. Quand j'entends répéter, comme un leitmotiv, que le seul problème, c'est de financer la création, cela sous-entend qu'il ne devrait pas y avoir de protection de la propriété littéraire et artistique. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Toute protection devient illégitime si la seule chose qui compte, c'est de s'intéresser au financement de la création. Certes, il faut mener une réflexion sur ce sujet – Frédéric Mitterrand l'a rappelé à juste titre –, mais cela ne nous empêche pas d'avoir besoin de protéger certains principes.
Monsieur Bloche, nous sommes au XXIe siècle et à l'heure d'internet, mais ce n'est pas une raison pour renoncer à certaines valeurs et à certains principes qui fondent la République et la démocratie. C'est aussi ce que nous sommes en train de protéger aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur Mathus, le téléchargement illégal, quoique vous en disiez, est une contrefaçon, à savoir une copie numérique illicite d'une oeuvre originale. C'est une atteinte au droit de propriété artistique parce que, si l'original n'est en effet pas détruit, il perd de sa valeur marchande.
Je suis donc opposée à ces amendements de suppression.
En effet, dès lors que l'on estime qu'il faut protéger la propriété intellectuelle, littéraire et artistique contre une action illégale, il faut se donner les moyens de faire appliquer des sanctions. La possibilité de recourir à une procédure d'ordonnance pénale est nécessaire pour permettre à l'institution judiciaire de traiter une partie du contentieux à venir. Je vous l'ai dit, mesdames, messieurs les députés : il s'agit évidemment d'une faculté. Le recours à la procédure simplifiée ne sera pas systématique, et n'importe laquelle des parties – personne mise en cause, victime, ayant droit – pourra demander de recourir au tribunal correctionnel. Le procureur de la République pourra aussi le décider s'il l'estime nécessaire. Il aura la possibilité de faire compléter par une enquête de police judiciaire l'enquête menée par la HADOPI, enquête qui, je le rappelle, ne lie pas le juge. Celui-ci pourra ainsi statuer en toute connaissance de cause.
Je rappelle à M. Bloche, à M. Le Bouillonnec et à Mme Filippetti que seul le juge peut tenir les faits pour établis et les qualifier sur le plan juridique. C'est l'apport de ce deuxième texte par rapport au premier. Une enquête, menée par des officiers ou des agents de police judiciaire agissant sous la direction du procureur, pourra être ordonnée pour compléter les constatations faites par les agents de la HADOPI. On ne peut pas déplorer les pouvoirs de constatation des agents de la HADOPI tout en s'émouvant que le procureur ait la faculté de demander une intervention d'officiers ou d'agents de police judiciaire pour une enquête complémentaire.
Monsieur Le Bouillonnec, madame Filippetti, je l'ai déclaré dans mon discours introductif, je vous l'ai répété à plusieurs reprises depuis : le régime de responsabilité des internautes ne contient aucun élément de présomption de culpabilité. Qu'il y ait ou non ordonnance pénale, le parquet devra prouver au juge l'existence du délit de contrefaçon – ou d'une négligence caractérisée dans le cas d'une sanction contraventionnelle. Je rappelle que la notion de négligence caractérisée n'est pas une création de ce texte. Il me semble que c'est en 2000 ou en 2001, donc sous une majorité qui n'est pas celle-ci, qu'a été créé ce délit.
L'ordonnance pénale n'est qu'un mode de poursuite ; la présomption d'innocence, elle, est un principe. Ce mode de poursuite, dont la constitutionnalité a été expressément reconnue par le Conseil constitutionnel, ne saurait en aucun cas être qualifié de justice au rabais. Ceux qui utilisent une telle expression ont tort. Ce n'est bon pour personne : ni pour la représentation nationale, ni pour la justice.
Par ailleurs, je souligne que le texte donne la possibilité au juge de statuer par ordonnance pénale sur la demande de dommages et intérêts en cas de contrefaçon, car cette disposition simplifie la procédure. Du reste, l'Assemblée nationale avait adopté des dispositions similaires lors de l'examen de la proposition de loi relative à la simplification du droit, à l'initiative du président de votre commission des lois, M. Warsmann.
S'agissant de la compétence du juge unique, c'est une mesure nécessaire pour simplifier le traitement de ce contentieux. Il faut arrêter de fantasmer à ce propos. Nous devons mettre fin à la contrefaçon car, vous le savez tous très bien, c'est un véritable danger. Certains problèmes de contrefaçon sont simples à traiter : en ce cas, l'ordonnance pénale sera utilisée, avec l'accord de tous les intéressés. Et puis il y a des situations complexes qui justifieront que le procureur recoure à la procédure du tribunal correctionnel. Quant aux cas d'une complexité intermédiaire, soit l'ordonnance pénale pourra s'appliquer, soit, à la demande de l'une des parties au procès, il y aura recours au tribunal correctionnel.
La contrefaçon est un problème que nous essayons de traiter de façon pragmatique.
Arrêtons d'en faire une occasion de fantasmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, je vous demande, dans l'intérêt du débat, et en application de l'article 54, alinéa 5 du règlement, la permission de prolonger mon intervention au-delà de la durée normale de cinq minutes. Il me paraît en effet important d'aller jusqu'au bout de la clarification.
Monsieur Le Bouillonnec, dans l'intérêt du débat, je veux bien faire preuve de beaucoup de mansuétude à votre égard, mais à condition que vous restiez dans des limites raisonnables.
Je vous remercie, monsieur le président.
Madame la garde des sceaux, je m'en tiendrai exclusivement au débat sur l'utilisation de l'ordonnance pénale, mesure que nous contestons. L'article 2 du projet modifie le dispositif de l'ordonnance pénale. Ce dispositif répond à des règles qui sont actuellement fixées par l'article 495 du code de procédure pénale. L'introduction dans cet article des dispositions que vous proposez soulèverait une contradiction et souffre, à nos yeux, d'une impossibilité d'application en l'état, car lesdites dispositions sont contraires à des principes fondamentaux du droit.
L'ordonnance pénale est à l'initiative du procureur, la procédure est écrite, non contradictoire et sans débat préalable ; personne n'intervient, hormis le procureur et le juge ; celui-ci rend sa décision, qui est notifiée au prévenu, lequel peut alors faire opposition ; s'il ne le fait pas, la décision est exécutoire. D'autre part, seules des amendes peuvent être prononcées par ordonnance pénale ; les peines d'emprisonnement sont expressément écartées par l'article 495. Enfin, celui-ci dispose que : « Le ministère public ne peut recourir à la procédure simplifiée que lorsqu'il résulte de l'enquête de police judiciaire que les faits reprochés au prévenu sont établis […] ». Le procureur ne peut donc pas utiliser cette procédure s'il ne dispose pas d'éléments fournis par l'enquête de police judiciaire. C'est pourquoi hier, toute la journée, nous avons contesté la qualité à agir des agents de la Haute autorité, en demandant s'ils avaient des prérogatives de police judiciaire et s'ils pouvaient être assimilés à des agents ou officiers de police judiciaire.
Madame la garde des sceaux, si vous introduisez dans la procédure simplifiée le dispositif de l'article 2, vous allez permettre que le juge soit saisi par la partie civile alors que le prévenu ne sera pas dans le dossier. Vous avez fait une erreur en évoquant les « parties » au procès car il n'y en a pas dans la procédure de l'ordonnance pénale – mais on peut faire beaucoup d'erreurs, moi le premier, à cette heure avancée de la nuit. S'il y avait une partie civile, on ne pourrait pas en effet recourir à cette procédure. Si la partie civile se manifeste après l'ordonnance pénale, c'est le juge correctionnel qui est saisi.
Madame la garde des sceaux, je me permets de vous rappeler solennellement ces éléments, que nous avions déjà développés lors de l'examen de « HADOPI 1 », et que le Conseil constitutionnel a repris. Si l'article 2 est maintenu en l'état, il y aura déséquilibre entre les droits de la défense du prévenu et les droits de la partie civile, ce qui constituera une inégalité de situation qui altérera l'équité du procès. Je tenais à le dire pour que cela figure au Journal officiel. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 108
Nombre de suffrages exprimés 106
Majorité absolue 54
Pour l'adoption 38
Contre 68
Sur le fondement de l'article 58, alinéa 1. Madame la garde des sceaux, quand vous intervenez, vous êtes économe de votre parole, mais au moins celle-ci porte-t-elle, et y a-t-il de quoi débattre. Permettez-moi de revenir sur un propos que vous avez tenu et qui a de l'importance pour la suite de notre discussion : vous avez dit que la marchandise immatérielle perd de sa valeur en cas de copie. Or je vous renvoie aux travaux de Paul Boccara sur la révolution informationnelle, travaux dont Pierre-Alain Muet pourrait confirmer l'intérêt car, bien que ne se définissant pas lui-même comme marxiste, il connaît parfaitement la loi de la valeur.
Avec la révolution informationnelle, ces marchandises immatérielles ont acquis cette caractéristique : lorsque vous ne les possédez plus, vous les possédez quand même encore. Aussi n'est-il pas légitime de dire que ces marchandises immatérielles perdent de leur valeur. Madame la garde des sceaux, il y a là une erreur conceptuelle fondamentale,…
C'est vous qui faites une vraie erreur de raisonnement, monsieur Brard !
…qui nous renvoie à un vrai débat intellectuel comme nous n'en avons pas assez souvent dans cet hémicycle. Monsieur Gosselin, je ne vous y ai pas associé parce qu'il vous en manque les prémices, celles du Capital en particulier. (Rires sur les bancs des groupes GDR et SRC.) – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la ministre, les gros et les petits dont vous parliez, vous ne les traitez pas de la même manière. S'il s'agit de Bernard Tapie, vous faites une transaction ; s'il s'agit de la grand-mère de la vallée de l'Ariège, dont l'ordinateur est utilisé par le petit-fils pendant la nuit, vous frappez. Voilà la différence.
Il s'agit d'un amendement de suppression, donc d'un amendement très important. En effet, vous proposez une sorte de juridiction qui sera ressentie par les contrevenants comme une juridiction d'exception.
Pour se faire comprendre, il faut souvent raisonner par analogie. Imaginons un Tibétain qui vole deux chèvres ou un Ouïghour qui vole un chameau. (Sourires sur quelques bancs.) Que diraient tous ces défenseurs des droits de l'homme qui siègent sur les bancs de l'UMP, si le voleur relevait d'un juge décidant seul de la sanction et tranchant sans que le prévenu comparaisse ? Ils diraient que cet horrible gouvernement chinois porte atteinte aux droits de l'homme !
Si je procède par analogie, c'est pour me faire comprendre. Quelle différence y a-t-il, par exemple, entre voler une chèvre et télécharger Bienvenue chez les Ch'tis ? Il n'y a pas de différence fondamentale.
Il vaut mieux éviter de télécharger la chèvre ! Quant au chameau, on sait où il est !
Et vous livrez le contrevenant, qui a téléchargé sans se rendre compte de la véritable gravité de l'acte accompli – parce qu'elle est inexistante –, à la décision d'un juge seul. Ce dernier pourra prononcer une sanction financière qui, eu égard aux revenus de la famille, sera lourde, surtout quand l'acte aura été commis par celui qui ne possède pas l'ordinateur.
Madame la garde des sceaux, je comprends que vous défendiez à tout prix le projet de loi que vous portez au nom du Gouvernement, mais vous rencontrez une difficulté majeure : entre le 10 juin, date de la décision de censure du Conseil constitutionnel, et le 24 juin, date de la réunion du conseil des ministres qui a adopté le projet de loi, ne se sont écoulés que quinze jours.
À l'arrivée, vous vous retrouvez avec un nouveau projet de loi, dit « HADOPI 2 », totalement bancal. D'un côté, le dispositif initial a été conservé, d'où l'affaire des agents assermentés ayant des prérogatives de police judiciaire a été conservé. D'un autre côté, vous avez récupéré le délit de contrefaçon, sanctionné de 300 000 euros d'amende et de trois ans de prison, qui existait déjà dans le code pénal.
Dans la hâte – en quinze jours, le projet de loi devait être rédigé puis soumis au Conseil d'État –, vous avez assimilé de manière abusive et scandaleuse la contrefaçon et le téléchargement illégal, notamment le téléchargement illégal sans but lucratif.
Résultat : une confusion totale, un système bancal et des ruptures d'égalité en conséquence. Madame la garde des sceaux, si vous aviez eu plus de temps, il eût fallu, pour plus de cohérence, créer une nouvelle incrimination.
Ce texte crée une rupture d'égalité paradoxale : l'auteur d'un délit de contrefaçon ordinaire aura droit à une juridiction ordinaire collégiale c'est-à-dire composée d'un président et de deux assesseurs ; l'auteur d'un délit de contrefaçon commis sur un service de communication au public en ligne aura droit à une ordonnance pénale et à un juge unique.
L'autre rupture d'égalité – sur laquelle nous reviendrons – porte sur la question des dommages et intérêts. Je persiste et je signe : si vous ne voulez pas créer une rupture d'égalité, vous êtes inévitablement obligée d'étendre à toutes les victimes, la possibilité de demander en même temps une sanction pénale et des dommages et intérêts. Par exemple, les victimes de pratiques commerciales prohibées vont se tourner vers vous et vous demander : madame la garde des sceaux, pourquoi est-ce que je ne pourrais pas obtenir des dommages et intérêts en même temps que la sanction pénale, comme dans le cas de droits d'auteur ?
Les propos très intéressants de Mme la garde des sceaux nous éclairent sur la philosophie de la majorité et du Gouvernement. Je lui en donne acte, il s'agit enfin d'un échange intéressant sur le fond.
C'était un échange idéologique avec quelqu'un qui a des idées… mais pas les bonnes !
Cela étant, ses propos révèlent une certaine conception de la contrefaçon. Elle nous explique qu'il y a contrefaçon car l'original est dupliqué et perd ainsi de sa valeur marchande. La contrefaçon a une autre acception : c'est un acte intellectuel déformé par la reproduction – ce qui, à l'ère numérique, n'est pas le cas.
Cette question éclaire la déformation, perceptible au fil des mois et des années, de la notion de propriété intellectuelle à l'ère numérique. C'est un vrai problème.
Vous connaissez tous l'histoire de Monsanto et vous avez sûrement tous vu des documentaires sur cette entreprise qui tente de faire breveter tous les gènes du vivant, toutes les semences, pour se les approprier. Nous sommes confrontés à exactement la même problématique sur internet. Actuellement, des intérêts puissants de l'industrie de l'entertainment sont à l'oeuvre ; ils veulent labelliser tout ce qui circule sur internet et transformer ce réseau d'échanges en réseau de diffusion commerciale. Ils ont le même projet philosophique que l'industriel Monsanto dans la génétique : parvenir à s'arroger un droit sur tout ce qui circule sur internet. C'est une perversion de l'idée même de propriété intellectuelle.
À travers cette définition de la contrefaçon que vous nous avez donnée, madame la garde des sceaux, se révèle une conception qui n'est pas la nôtre de ce qu'est la révolution numérique actuelle.
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour défendre l'amendement n° 615 .
À mon tour, madame la garde des sceaux, je dirai que c'est la première fois, depuis le début de nos débats, que nous avons une réponse claire du Gouvernement. Nous ne partageons pas votre point de vue ni plusieurs de vos présupposés, mais vous êtes la première, au sein du Gouvernement, à argumenter sur le fond.
S'agissant de présupposés, il faut tout de même revenir à la genèse de cette loi. Depuis des mois, on invoque la perte de revenu pour les artistes, liée aux téléchargements sur internet et à leurs conséquences sur les ventes de disques et de DVD. Partant de ce préjugé, vous avez élaboré des lois successives, visant à rétablir une meilleure rémunération des artistes et des créateurs.
Au fil du temps, nous avons dérivé. Après la censure du Conseil constitutionnel, vous essayez de bricoler pour avoir raison à tout prix, prévoyant notamment le recours à l'ordonnance pénale qui ne peut pourtant être employée que dans certaines conditions, rappelées par mes collègues.
Il ne faut pas travestir la vérité, mais revenir à ce qui constitue le fond du problème. Chers collègues de l'UMP, je vous invite à ne pas suivre aveuglément le rapporteur, qui s'est trompé de multiples fois, et dont les analyses ont été censurées par le Conseil constitutionnel. Au cours des débats, nous avons même assisté à des épisodes ubuesques, notamment lorsque l'ancienne ministre de la culture proposait de rapporter les disques durs quelque part dans un entrepôt de la HADOPI, afin de vérifier la réalité des faits !
Je voudrais répondre à mon tour aux propos quelque peu vifs et agacés du rapporteur, concernant le délit de contrefaçon.
Nous savons évidemment, monsieur le rapporteur, que le délit de contrefaçon existe. Je m'étonnais simplement que vous utilisiez ce terme pour qualifier l'acte de téléchargement illégal qui, selon moi, ne correspond pas à cette définition.
Je vous rappelle que le téléchargement est massivement le fait de jeunes qui n'ont pas du tout l'impression ni l'intention de réaliser de la contrefaçon. Nous ne sommes pas d'accord – et c'est notre droit – sur la définition donnée au mot contrefaçon.
D'autre part, monsieur le rapporteur, je voudrais vous dire que, bien entendu, nous voulons protéger le droit d'auteur, mais que nous n'employons ni la même méthode ni les mêmes moyens que vous.
Votre texte, tel qu'il est construit, nous conduit à une impasse sur les plans juridique, économique, technique. (Interruptions sur les bancs du groupe UMP.)
Si vous voulez vous exprimer, mesdames et messieurs les députés de la majorité, essayez, plutôt que de vociférer, de construire une argumentation, et prenez la parole sur chacun des amendements ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour défendre l'amendement n° 617 .
Nous sommes bien dans le dispositif des alinéas 1 et 2 de l'article 2, qui inscrivent les délits de contrefaçon sur la liste de ceux pouvant être jugés par un juge unique. Avant, ce n'était pas le cas, car les sanctions prévues – non pas celles que vous venez de rajouter mais celles qui préexistaient – étaient extrêmement lourdes.
En modifiant ce dispositif et en précisant que ces délits de contrefaçon seront soumis à la procédure de juge unique « lorsqu'ils sont commis au moyen d'un service de communication au public en ligne », vous introduisez la référence à un petit alinéa, le dernier de l'article L. 335-2 du code de la propriété intellectuelle, qui, à ma connaissance, n'a pas été modifié, et aux termes duquel : « Lorsque les délits prévus au présent article ont été commis en bande organisée, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et 500 000 euros d'amende. »
Mes chers collègues, madame la garde des sceaux, vous allez, par l'application de ce dispositif et dans l'état actuel de l'article 335-2, vous allez donner au juge unique la possibilité de prononcer des peines allant jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 500 000 euros d'amende.
Vous avez évidemment raccroché votre texte à des dispositions du code de la propriété intellectuelle – les articles L. 335-1, L. 335-2, L. 335-3, L. 335-4 – qui sanctionnent tous les types de contrefaçon et pas seulement celui-là.
C'est ainsi que vous prenez le risque colossal de laisser un juge unique en mesure de sanctionner d'une peine de cinq ans d'emprisonnement un auteur de contrefaçon numérique, dès lors qu'on aura démontré qu'il a agi en bande organisée, ce qui est relativement facile puisque la bande organisée n'est pas définie par la loi. Excusez du peu !
Nous demandons la suppression des alinéas 1 à 3 parce qu'ils permettent à un juge unique d'infliger une peine allant jusqu'à trois ans de prison pour un délit de contrefaçon, même quand il n'est pas commis en bande organisée. C'est énorme.
Soyons honnêtes : in fine, après discussion avec le procureur, cela aboutira à une amende. J'en viens donc à me demander s'il n'aurait pas tout simplement fallu créer un nouveau délit. Assimiler celui dont nous parlons pour gagner du temps en prévoyant un recours au juge unique et à l'ordonnance pénale est incompréhensible. Votre texte est-il seulement violent et dur, ou pédagogique tout en étant plus dissuasif ? Je l'ignore. Mais pourquoi, dans la seconde hypothèse, ne pas avoir créé une nouvelle incrimination – ce qu'au demeurant nous aurions désapprouvé – afin d'alléger les peines encourues ? Vous ne m'avez pas répondu, madame la garde des sceaux, sur la qualification des faits, qualification pour laquelle, comme vous l'avez rappelé, le procureur pourra demander à la police judiciaire d'enquêter. Tout cela est extrêmement lourd.
Au fond, on a l'impression que vous avez choisi un véhicule existant afin de simplifier les choses ; mais votre texte est au contraire fort compliqué et inapplicable. Je regrette que l'on en soit arrivé là.
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour défendre l'amendement n° 618 .
Nous ne parvenons pas à obtenir de réponse à une question pourtant simple. Il ne peut y avoir d'ordonnance pénale que si les faits sont établis ; or, les agents de la HADOPI ne peuvent fouiller les disques durs pour établir ces faits. Comment, dès lors, établir le délit de contrefaçon ? S'il faut pour cela une enquête de police judiciaire, à quoi servent les agents de la HADOPI ? Nous sommes face à une contradiction, et aimerions donc que vous nous répondiez.
La parole est à M. Marcel Rogemont, pour défendre l'amendement n° 620 .
Tout à l'heure, madame la garde des sceaux, je vous ai interrogée sur ce qui peut apparaître comme de l'entêtement à vouloir couper la connexion à internet. Pourquoi, puisque la voie que vous avez choisie conduit à de telles difficultés, n'en empruntez-vous pas une autre ? Un véritable travail d'abattage est à prévoir, puisque certains magistrats auront à juger jusqu'à 50 000 cas. D'autres solutions n'étaient-elles pas envisageables ? Je me permets d'insister sur cette question que je vous ai déjà posée deux fois. Après tout, on aurait pu imaginer, à la place de votre dispositif sophistiqué, un simple système d'amendes. Je crains que votre attitude ne tienne à l'entêtement du Président de la République ou, comme le rappelait Patrick Bloche, à la brièveté des délais entre la censure du Conseil constitutionnel et l'examen du présent texte.
Défavorable. La procédure d'ordonnance pénale, ainsi qu'il a été maintes fois répété, comporte de nombreuses garanties, à commencer par son caractère facultatif : le parquet, et même le juge, peuvent décider de ne pas l'utiliser, et le prévenu lui-même peut la refuser.
Non : il peut s'y opposer une fois que l'ordonnance est rendue, pas avant !
Le juge, disais-je, peut lui aussi refuser de statuer selon cette procédure.
J'ai déjà largement répondu aux questions que l'on ne cesse de poser.
Ma réponse restera la même ; à un moment, il faut donc savoir s'arrêter.
Les parties, monsieur Le Bouillonnec, sont présentes dans la procédure d'ordonnance pénale : le ministère public, qui représente la société ; la partie civile, qui demande des dommages et intérêts ; enfin, le prévenu lui-même,…
…qui peut faire opposition s'il n'est pas d'accord.
Madame Lebranchu, monsieur Le Bouillonnec et madame Filippetti, la procédure prévue respecte les exigences de l'article 495 du code de procédure pénale. Une enquête permet de constater des faits, laquelle est menée par les agents de la HADOPI et, le cas échéant, par la police ou la gendarmerie. Cette enquête permettra notamment de déterminer les ressources du prévenu afin de proportionner la peine. Bref, tous les principes du code de procédure pénale sont respectés.
J'ajoute que l'ordonnance pénale peut en effet conduire à la suspension de certains droits ; mais il en va de même, par exemple, pour le permis de chasse ou le permis de conduire. La suspension de l'abonnement à internet ne fera que compléter la liste des peines restrictives de droits qui existent déjà.
Enfin, monsieur Rogemont, qu'il s'agisse d'une amende ou, comme nous le proposons, de la suspension de l'abonnement, la procédure et l'enquête restent les mêmes. Une amende ne serait donc pas plus simple.
La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour répondre à la commission et au Gouvernement.
Je ne veux plus débattre avec vous, madame la garde des sceaux, sur la nature de l'ordonnance pénale. Vous commettez, je vous le dis avec la courtoisie et le respect dûs au prestige de vos fonctions, une erreur fondamentale en affirmant qu'une ordonnance pénale intervient en présence des parties.
En tout état de cause, nous ne débattons pas de l'ordonnance pénale mais du juge unique. Permettez-moi, à ce titre, de vous signaler un autre motif de censure constitutionnelle de votre texte : jusqu'à présent, aucun délit susceptible d'être jugé par un juge unique n'était passible d'une peine d'emprisonnement. Bien plus, le huitième et dernier alinéa de l'article 398-1 précisait : « Les délits pour lesquels une peine d'emprisonnement n'est pas encourue, à l'exception des délits de presse. » Étaient donc explicitement écartés de la procédure du juge unique les délits passibles d'une peine de prison.
Avec votre texte, les nouveaux délits de contrefaçon ne seront pas seulement passibles de trois ans d'emprisonnement, comme vous l'avez écrit, mais de la peine prévue pour le délit de contrefaçon commis en bande organisée, à savoir cinq ans d'emprisonnement et 500 000 euros d'amende. Voilà ce que signifient les alinéas 1 et 2 de l'article ; c'est pourquoi nous en demandons la suppression. Il n'est pas ici question, je le répète, de l'ordonnance pénale, mais des compétences du juge unique. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
(Les amendements identiques nos 518 , 612 et 614 à 620 ne sont pas adoptés.)
Je suis saisi d'un amendement n° 520 .
La parole est à Mme Martine Billard.
Monsieur le rapporteur, vous avez complété l'alinéa 2 de l'article – lequel englobait initialement les délits de contrefaçon – par la précision suivante : « lorsqu'ils sont commis au moyen d'un service de communication au public en ligne. »
Le texte fait donc du sur-mesure. Cette addition est d'ailleurs comparable à celle qui, à l'alinéa 5, donne aux ayants droit la possibilité de se constituer partie civile dans le cadre d'une ordonnance pénale, ce qui est tout à fait nouveau. De telles dispositions sont spécifiques au délit de téléchargement abusif sur internet. Mais quelle différence y a-t-il entre ce délit et la reproduction de CD ou de DVD sans accord de l'auteur ? Que le support soit matériel ou non, la situation est la même : pourquoi faire une exception pour le téléchargement en ligne ? Les alinéas 2 et 5 font du sur-mesure, ce qui nuit à la loi. Celle-ci doit rester générale et s'appliquer à toute contrefaçon portant atteinte au droit d'auteur.
Défavorable. Il faudrait savoir ce que vous voulez, madame Billard. Vous affirmiez qu'il fallait tenir compte des réalités de la contrefaçon à l'ère numérique ; c'est bien le cas avec la rédaction proposée. Je ne vois donc pas pourquoi vous êtes opposée à cette spécification de l'ordonnance pénale.
Très bien !
(L'amendement n° 520 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Notre rapporteur manque un peu d'esprit dialectique : son raisonnement suit le principe du tiers exclu qui était en vigueur au Moyen-Âge – « ou bien… ou bien » – ; or, depuis, la pensée a évolué. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
L'extension de la procédure simplifiée, définie à l'article 495 du code pénal, constitue, en matière de contrefaçon, l'un des éléments les plus alarmants de ce nouveau projet de loi.
Madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, vous vous apprêtez à mettre en place une procédure pénale expéditive, dans l'irrespect le plus total du droit au procès équitable défini par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. En effet, cette procédure simplifiée ne s'accompagne d'aucun débat contradictoire et d'aucune enquête judiciaire.
Or les peines encourues sont extrêmement sévères : jusqu'à trois ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende ; il faudra désormais y ajouter la peine complémentaire de suspension de l'accès à internet. Comptez-vous réellement demander à un juge unique de statuer par voie d'ordonnance pénale pour des peines d'une telle ampleur, alors même que les faits sont impossibles à prouver avec certitude ? Quand bien même cette procédure n'aboutirait qu'à la seule suspension de la connexion, doit-on vous rappeler que les juges constitutionnels ont estimé qu'elle était privative de la liberté d'expression et de communication ? Tout cela n'est pas sérieux, et c'est même dangereux. Ces alinéas sont manifestement inconstitutionnels, et les sages ne manqueront pas de vous le rappeler en temps voulu.
De plus, notre rapporteur a inclus par voie d'amendement la possibilité pour les ayants droit de se voir conférer, dans la même ordonnance pénale qui condamne l'internaute, la qualité de partie civile.
Ils pourront alors réclamer des dommages et intérêts dans le cadre d'une procédure pénale classique et seront en mesure d'extorquer à la personne déjà condamnée de quoi remplir leurs coffres.
Je voudrais faire deux remarques et un constat.
D'une part, vous vous voulez les défenseurs du droit d'auteur et vous contestez que nous puissions partager ce souci. Mais en vérité, nous vous le disons avec une certaine solennité, voire avec de la tristesse, vous tuez le droit d'auteur par votre refus de l'adapter aux réalités de l'internet.
Le droit d'auteur a toujours su s'adapter aux révolutions technologiques successives : s'il ne le fait pas cette fois-ci, il mourra.
D'autre part, madame la garde des sceaux, vous avez dénoncé nos « fantasmes ». Pourtant, avec ce projet de loi, pour un simple téléchargement, illégal certes – et méritant à ce titre d'être sanctionné, nous en sommes d'accord puisque nous partageons les mêmes valeurs que vous –, mais sans but lucratif, et donc assimilé abusivement à de la contrefaçon, les internautes risquent une quintuple peine : jusqu'à 300 000 euros d'amende, jusqu'à trois ans de prison, la suspension de l'abonnement pour une durée de un an au maximum, le paiement de l'abonnement durant la résiliation et des dommages et intérêts. Et vous trouvez que nous « fantasmons » ?
En outre, ces sanctions peuvent être décidées par une simple ordonnance pénale, c'est-à-dire par un juge unique, dans le cadre d'une procédure écrite et non contradictoire, démarche totalement expéditive, où les pouvoirs du juge sont réduits à la portion congrue – puisque, au lieu de vraiment juger, il se contente d'exécuter la justice –, et où les droits de la défense sont moins bien garantis que dans une procédure ordinaire.
Il suffit de lire l'article 2 pour voir que nous ne fantasmons pas, que nous dénonçons simplement la réalité.
J'ai écouté attentivement la double démonstration de M. le rapporteur et de Mme la garde des sceaux. Ils nous ont assené des certitudes dans un domaine où l'expérience des derniers mois devrait les inciter à davantage de prudence et de réserve. Nous avons entendu M. le rapporteur énoncer, avec tout autant d'assurance et en refusant pareillement d'écouter les rigoureuses démonstrations juridiques de nos collègues, les mêmes certitudes éphémères, qui n'ont pas tenu devant le Conseil constitutionnel.
Quant à la dernière intervention de Mme la garde des sceaux, elle était certes très structurée, mais néanmoins profondément inquiétante, tant sur le plan juridique qu'en raison de l'incompréhension fondamentale qu'elle trahissait. Vous tentez, madame, imitant en cela le ministre de la culture qui l'a fait l'autre jour à la tribune en ouverture de la discussion, de faire croire que les groupes de l'opposition sont hostiles à la protection des auteurs et de leurs droits.
C'est d'autant plus faux que, dans ce domaine, nous ne nous attachons pas seulement, comme vous, à la question des rapports entre les artistes et le public, qui est certes une donnée importante, mais à celle des rapports entre les artistes et les nombreux opérateurs qui menacent leurs droits, car les droits d'auteur ne sont pas essentiellement faits pour protéger les créateurs de leur public.
C'est notamment le cas dans le domaine qui nous intéresse : les opérateurs de télécommunications et les grandes entreprises de l'informatique…
Je vous ai déjà répondu, monsieur Paul, mais vous n'étiez pas là !
Étant donné la lourdeur des peines encourues – une amende pouvant atteindre 300 000 euros et l'inscription au casier judiciaire –, il nous apparaît que le recours à la procédure de l'ordonnance pénale n'est pas adapté, car elle est beaucoup trop simplifiée, beaucoup trop rapide et n'offre pas assez de garanties à la défense.
La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour soutenir l'amendement n° 626 .
D'après la loi, toutes les peines d'emprisonnement étaient, jusqu'à maintenant, exclues de l'ordonnance pénale. Cette procédure ne pouvait être utilisée que dans trois cas : « Peuvent être soumis à la procédure simplifiée […] :
« 1° Les délits prévus par le code de la route […] ;
« 2° Les délits en matière de réglementations relatives aux transports terrestres ;
« 3° Les délits prévus au titre […] du code de commerce pour lesquels une peine d'emprisonnement n'est pas encourue ».
Il était donc absolument impossible qu'une ordonnance pénale soit utilisée pour prononcer des peines d'emprisonnement. Vous introduisez cette possibilité avec ce texte. Sans doute répondrez-vous que le procureur n'est pas obligé d'y recourir. J'entends bien : il peut ne pas faire, mais il peut aussi faire, et s'il fait, que se passe-t-il, s'il fait ? Le délit que vous avez constitué est passible d'une peine pouvant atteindre trois ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende, ce qui ne peut pas entrer dans la case que vous avez choisie. Pour que leur intention soit bien claire, les rédacteurs du code de procédure pénale ont pris soin de dire que cette procédure particulière était « simplifiée » : pas de débats contradictoires, pas de parties au contentieux, une procédure écrite et une ordonnance notifiée.
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour soutenir l'amendement n° 627 .
Je voudrais insister sur la distinction qu'établit le projet de loi entre un délit de contrefaçon ordinaire, soumis à une procédure ordinaire, et un délit de contrefaçon numérique par voie électronique, susceptible de faire l'objet d'une ordonnance pénale, procédure écrite, non contradictoire, dans laquelle les droits de la défense ne sont pas respectés. Il y a là une véritable rupture d'égalité entre les citoyens : pourquoi prévoir deux procédures distinctes pour un même délit ? Jean-Yves Le Bouillonnec a rappelé que cette justice d'exception pouvait prononcer des peines allant jusqu'à trois ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende.
La parole est à Mme Marylise Lebranchu, pour soutenir l'amendement n° 628 .
Vous nous avez expliqué, madame la garde des sceaux, que les faits seront établis avec certitude par les officiers de police judiciaire. Or vous – vous ou votre ministère – n'y croyez pas. Dans l'étude d'impact, vous estimez qu'il faudra cinq minutes au juge pour traiter une ordonnance pénale. Ce chiffre paraît sous-évalué. Le procureur, lui, aura un délai de dix jours. Vous considérez que, sur les 50 000 affaires prévues – pour plusieurs millions d'avertissement –, 10 000 passeront en procédure classique au tribunal correctionnel, du fait de leur complexité, et que, dans la moitié des 40 000 affaires restantes, il y aura opposition aux ordonnances rendues.
Ce sont donc au moins 30 000 affaires qui iront en correctionnelle, selon une procédure non simplifiée.
Cette nouvelle me réjouit – pour une seule raison : cela va sauver tous les tribunaux qui devaient fermer. Aujourd'hui, en effet, les tribunaux traitent entre 500 000 et 550 000 affaires par an. D'après l'étude d'impact que vos services ont rédigée, le nouveau contentieux va donc représenter 7 % de l'ensemble du contentieux. Cette charge de travail supplémentaire ne manquera pas d'avoir des conséquences sur le traitement des autres affaires.
Ou bien cette étude d'impact a été faite trop vite et elle n'est pas sérieuse. Ou bien vos services ne croient pas à l'application de l'ordonnance pénale, du fait que l'article 1er ne permet pas d'établir les faits avec certitude et que les délais – cinq minutes pour le juge et dix jours pour le procureur – sont trop courts.
La parole est à Mme Monique Boulestin, pour soutenir l'amendement n° 629 .
Avec notre demande de suppression des alinéas 3 à 5 de l'article 2, nous sommes toujours au coeur de nos préoccupations. Aux termes de l'article 495 du code de procédure pénale, l'ordonnance pénale n'est possible « que lorsqu'il résulte de l'enquête de police judiciaire que les faits reprochés au prévenu sont établis ». Or, nous l'avons vu depuis le début de la soirée, la difficulté d'établir les faits en matière de téléchargement illégal devrait conduire à exclure cette procédure.
De plus, la lourdeur des peines encourues est incompatible avec une telle procédure. Dans sa décision du 10 juin dernier, le Conseil constitutionnel a considéré que le droit de se connecter à internet relevait de l'exercice de la liberté de communication et d'expression protégée par la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Enfin, rien ne justifie des traitements différents selon la façon dont est commis le délit de contrefaçon : procédure classique pour le délit de contrefaçon dit ordinaire, ordonnance pénale pour le délit de contrefaçon commis au moyen d'un service de communication en ligne. Par conséquent, nous demandons la suppression de ces alinéas, au regard, notamment, des faibles garanties que cette procédure offre à la défense.
Défavorable. Je ne répéterai pas les arguments déjà été exposés en réponse aux précédentes questions de nos collègues, mais je voudrais répondre à M. Le Bouillonnec à propos de l'emprisonnement.
Dans l'article 495-1 du code de procédure pénale, il est bien précisé : « S'il estime qu'un débat contradictoire est utile ou qu'une peine d'emprisonnement devrait être prononcée, le juge renvoie le dossier au ministère public. »
L'ordonnance pénale ne peut donc pas s'appliquer ! Nous sommes d'accord ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Elle ne le peut pas si des peines d'emprisonnement sont éventuellement prononcées.
Monsieur Le Bouillonnec, le sujet est assez important pour que l'on ne tente pas de semer la confusion. Je ne doute pas que vous connaissiez la réalité. Néanmoins, dans votre façon de présenter le sujet, vous avez introduit une confusion. Sans revenir sur tous les éléments du débat, je me concentrerai sur cette seule question.
L'ordonnance pénale est effectivement prévue pour des délits punis d'emprisonnement et elle permet de juger des délits qui encourent le cas échéant des peines d'emprisonnement, par exemple la conduite sous emprise d'un état alcoolique ou sous l'emprise de stupéfiants, qui, je vous le rappelle, est punie d'un emprisonnement de trois ans. Mais il est vrai qu'elle ne peut pas prononcer une peine de prison.
Cela signifie que le juge peut, dans le cas d'un délit éventuellement puni d'une peine d'emprisonnement, décider de ne pas prononcer cette peine. Je vous ai d'ailleurs précisé que le but de la peine complémentaire de suspension de la connexion à internet consiste aussi à ne pas appliquer la peine d'emprisonnement lorsqu'elle serait en décalage avec l'acte commis. Il est donc parfaitement possible, dans ce cas, de recourir à une ordonnance pénale mais, si la constitution de délit est assez importante pour que le procureur estime qu'il y a un risque d'emprisonnement, alors l'autre procédure s'impose, car il est impossible de prononcer une peine d'emprisonnement par ordonnance pénale.
Distinguons donc bien les deux formules. En l'occurrence, nous rectifions la situation : l'ordonnance pénale peut être prise pour ce type de délit, mais elle ne peut entraîner une peine d'emprisonnement. Ce serait faire injure aux magistrats du parquet que de croire qu'ils utiliseront l'ordonnance pénale si l'affaire n'est pas en état d'être jugée, ou s'ils estiment que le délit est suffisamment grave – vraisemblablement dans le cas de professionnels du téléchargement illégal à but commercial évident. De même, ce serait faire injure aux magistrats du siège que de croire qu'ils pourraient condamner dans une telle hypothèse.
L'intérêt du dispositif est clair : le principe de l'ordonnance pénale est retenu pour les délits « classiques », mais la possibilité existe pour le parquet comme pour la personne incriminée ou pour la partie civile de renoncer à l'ordonnance pénale afin de retourner à la procédure normale. La méthode est limpide, et parfaitement compatible avec les textes actuels, ainsi qu'avec l'esprit du présent projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Je souhaite rebondir sur la comparaison hasardeuse que Mme la garde des sceaux a faite entre les délits. Observez, madame la garde des sceaux, la démesure des peines sanctionnant le téléchargement illégal : vous criminalisez à outrance les internautes. Je rappelle que l'usage de stupéfiants, qui met en danger la santé de l'individu et même – vous l'avez dit – celle d'autrui s'il conduit un véhicule, est passible – je ne parle là ni de recel, ni d'enrichissement personnel, ni d'économie souterraine ni de revente de produits, mais simplement de consommation personnelle – d'un an d'emprisonnement assorti d'une amende éventuelle de 3 750 euros.
Tout à l'heure, madame la garde des sceaux indiquait que les magistrats disposaient d'une batterie de possibilités. Je comprends qu'elle pense aux magistrats, mais pensons aussi aux contrevenants – je veux dire à tous ceux qui, quoiqu'ils n'aient pas cru être en délicatesse avec la loi, se retrouveront face à des procédures qui les écrasent et qui, in fine, suscitent un sentiment d'injustice réelle.
L'alinéa 5, que cet amendement vise à supprimer, permet aux représentants des industries du divertissement ayant saisi la HADOPI de se constituer partie civile. Tout d'abord, il est en contradiction directe avec la nature même de la procédure pénale simplifiée, telle que précisée à l'article 495-5 du code de procédure pénale, qui dispose que l'ordonnance pénale « n'a pas l'autorité de la chose jugée à l'égard de l'action civile en réparation des dommages causés par l'infraction ».
Ensuite, et surtout, cet alinéa révèle le but non avoué de votre usine à gaz. M. Mitterrand a dit vouloir défendre les artistes. En réalité, cet alinéa est l'aveu du contraire : c'est pour les majors du divertissement qui exploitent les artistes que vous roulez de facto ! C'est à leurs lobbyistes, Vivendi Universal en tête, que vous obéissez ! Vous êtes donc complètement à contre-emploi, monsieur le ministre. En effet, cet alinéa permet aux majors de persécuter leurs clients : en sus de la peine de prison, de l'amende, de la coupure de la connexion et de l'obligation de payer l'abonnement suspendu, vous instaurez la possibilité d'extorquer des dommages et intérêts – alors même que nul n'est en mesure de prouver le préjudice causé par le partage d'oeuvres sur internet. Pourquoi pas l'échafaud ou le pal, tant que vous y êtes ? C'est ce que faisait Dracula !
Avec cet amendement qui vise à supprimer l'alinéa 5, nous en venons à la délicieuse réécriture par laquelle M. le rapporteur nous a beaucoup surpris en commission.
En effet, nous partions d'une situation de droit commun dans laquelle l'ordonnance pénale – nous l'avons dit – était incompatible avec la demande de dommages et intérêts. Il fallait choisir entre l'un et l'autre. De ce point de vue, la loi actuelle est plutôt bien faite et cohérente. Le Sénat s'est donc aperçu que les ayants droit pouvaient profiter d'une procédure rapide, mais l'essentiel – c'est-à-dire leurs droits – était oublié. C'est ainsi que le Sénat a prévu que la Haute autorité informerait les représentants des ayants droit quant aux éventuelles saisines de l'autorité judiciaire qu'elle effectuerait, leur permettant ainsi de décider s'ils souhaitent ou non – car, au fond, ils ont le choix – se constituer partie civile et, le cas échéant, se signaler auprès du procureur de la République afin de bénéficier de la procédure classique. Cependant, il leur fallait choisir, dans les faits, entre dommages et intérêts et procédure rapide. C'est là qu'est intervenu M. Riester, qui a créé par voie d'amendement un régime d'exception permettant en l'espèce à un seul juge de statuer en même temps sur le pénal et sur le civil.
Je me permets donc de vous interroger tout particulièrement sur ce point, madame la garde des sceaux, car il constituera un élément-clé de notre recours devant le Conseil constitutionnel. Il y a rupture d'égalité. Ainsi, pourquoi les victimes de pratiques commerciales prohibées, lesquelles sont visées par des ordonnances pénales, ne pourront-elles pas jouir du même bénéfice ? Il y aura désormais deux types de victimes, et c'est au nom du droit d'auteur que l'on crée une rupture d'égalité.
Je ne reprendrai pas la démonstration très précise que vient de donner M. Bloche, mais nous serons très attentifs à la réponse qu'y donneront le rapporteur et le Gouvernement. Je reprendrai néanmoins le fil de celle que, tout à l'heure, n'a je n'ai pu mener à son terme, compte tenu du corset dans lequel le règlement enserre désormais nos débats.
Nous sommes très surpris, madame la garde des sceaux, de voir comment le Gouvernement concentre de façon obsessionnelle la question de la défense du droit d'auteur sur les relations entre les artistes et le public, tandis que sont écartés tous les autres problèmes qui ont pris une importance particulière dans le monde numérique. Je pense notamment à la répartition des revenus commerciaux tirés de la vente des oeuvres culturelles entre auteurs, interprètes, producteurs ou éditeurs, mais aussi opérateurs de télécommunications ou grands diffuseurs de dimension mondiale, comme Apple ou Google – qui, en ce moment même, déploie en Chine des services qui permettront, pour quelques euros par mois, d'accéder à des catalogues extraordinaires. C'est sur ce domaine que l'essentiel de l'effort de protection doit porter. Or, cette question est complètement absente du projet de loi, qui organise le dispositif de sanction autour d'un bouc émissaire unique : l'internaute, et donc le public. Aux lacunes énormes de ce texte en matière de nouvelles façons de rémunérer les artistes s'ajoutent d'autres lacunes énormes s'agissant du rétablissement d'un système de droit, non pas tant entre l'artiste et son public – car cette relation relève non seulement du droit mais aussi, je l'espère, de la passion – mais avec les autres acteurs. Sur ce point, vous êtes muet, et votre silence est assourdissant !
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour défendre l'amendement n° 633 .
À cette heure avancée de la nuit, nous avons besoin d'explications plus claires, après les interventions des uns et des autres, s'agissant de l'ovni juridique que vous construisez.
Je préfèrerais entendre les membres du groupe UMP s'exprimer au micro, plutôt que par invectives !
Inscrivez-vous, prenez vos responsabilités et engagez-vous ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Si vous croyez à ce texte, engagez-vous et prenez la parole, plutôt que de vociférer à chaque fois que l'un d'entre nous intervient !
Certes, vous n'êtes pas le seul à le faire, monsieur Gosselin, et au moins vous exprimez-vous sur le fond du débat. Que vos collègues s'engagent donc, puisqu'ils croient à ce texte ! Participez au débat, démontrez que nous avons tort ! Hélas, vous n'avez rien à dire : vous êtes des godillots ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) L'Élysée a décidé d'avancer à marche forcée, au nom de présupposés complètement erronés.
Vous faites semblant d'oublier le problème récurrent de la rémunération des artistes. Vous avez cru trouver la solution – fatale – pour offrir de nouveaux financements aux artistes en privant les internautes de leur connexion. Or, cela ne marche pas ! Vous tentez donc, autour de ce principe initial, d'inventer d'autres dispositifs qui ne marcheront pas davantage. Quand j'entends M. le rapporteur s'obstiner, avec beaucoup de culot,…
…,alors même qu'il a été censuré par le Conseil constitutionnel sur bon nombre des propos qu'il a tenus dans cet hémicycle, j'en appelle à davantage de modestie ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Cet amendement vise à supprimer l'alinéa 5, qui crée une procédure dérogatoire s'agissant de l'ordonnance pénale. En effet, en cas de délit de contrefaçon commis au moyen d'un service de publication en ligne, les « parties victimes » pourront, dans le cadre de cette procédure, obtenir des dommages et intérêts, alors même qu'en l'état du droit, le recours à l'ordonnance pénale bloque une telle demande.
Cette possibilité, ouverte par un amendement du rapporteur, n'est pas nécessaire, puisque les ayants droit seront avertis des éventuelles saisines de l'autorité judiciaire par la HADOPI, ce qui leur permettra de se porter partie civile et, ainsi, de déclencher la procédure ordinaire. Cumuler, de manière dérogatoire au droit commun, la procédure expéditive sans audience de l'ordonnance pénale avec la constitution de partie civile et l'allocation de dommages et intérêts est disproportionné, et n'est en rien justifié par le délit en cause.
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour soutenir l'amendement n° 636 .
Nous avons, là encore, un problème. Cela me fait penser à cette phrase de Gramsci…
…qui disait – je le cite de mémoire : « Le monde ancien ne veut pas mourir. Ce qui est nouveau n'arrive pas encore à naître et, dans cet entre-deux, prennent naissance les monstres. » À cette heure tardive, je laisse à Jean-Pierre Brard le soin de corriger l'exactitude de la citation !
Cet entre-deux monstrueux reflète ce qui est en train de se passer du point de vue juridique. En effet, vous créez une procédure dérogatoire à l'ordonnance pénale visant à ce que les ayants droit parties civiles puissent obtenir des dommages et intérêts, alors que c'est interdit aujourd'hui, en l'état de l'ordonnance pénale. Vous instaurez une procédure dérogatoire pour les seuls ayants droit. Par ailleurs, pour les internautes, c'est-à-dire les prévenus, nous n'avons aucune garantie sur les droits de la défense. Vous construisez une sorte d'usine à gaz juridique aberrante, extrêmement compliquée, totalement inapplicable et qui rompt avec le principe d'égalité des citoyens devant la loi.
La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour soutenir l'amendement n° 635 .
Le code de procédure pénale ne prévoit aucune intervention des parties devant le juge chargé de l'ordonnance pénale, qui ne peut prononcer que des amendes. C'est inscrit dans le texte.
Dès lors que, comme vous l'avez écrit, vous donnez à l'ayant droit la possibilité de se constituer partie civile et de demander au président de statuer en matière civile par la même ordonnance, vous rompez cet équilibre. En même temps, vous instituez une inégalité entre le prévenu, qui n'a été ni convoqué ni entendu et qui ne connaîtra l'existence de l'ordonnance que lorsqu'elle lui sera notifiée – il pourra alors faire opposition –, et la partie civile qui verra, elle, ses intérêts pris en considération par le juge. Un tel dispositif n'est pas viable, mes chers collègues ! Il est totalement contraire au principe de l'équité et de l'égalité du procès, et il sera évidemment censuré.
Il est inimaginable qu'une procédure non contradictoire, sans débat préalable, à la seule initiative du procureur de la République et en l'absence du prévenu, aboutisse à condamner ce dernier à réparer un préjudice sans qu'il soit entendu, sans qu'il ait pu faire part de ses observations. C'est tout à fait inconcevable, mes chers collègues ! C'est encore pire que faire du mauvais droit : c'est a-juridique, au sens où ce n'est pas un procès équitable. Il faut revenir à la raison, autrement dit supprimer la faculté de constitution de partie civile devant le juge chargé de rendre l'ordonnance pénale.
La parole est à Mme Marylise Lebranchu, pour soutenir l'amendement n° 637 .
Je suis le même raisonnement pour ce qui est de l'alinéa 5. Comme personne ne semble entendre nos arguments, je vais faire référence au rapport de février 2009 du sénateur Bernard Saugey. Il s'agissait de simplifications de procédure et, dans le champ de cette discussion, il a été proposé ceci – je cite le rapport : « Dans le cas où la victime n'aurait pu se constituer partie civile, le procureur de la République l'informerait de son droit de lui demander de citer l'auteur des faits… » Sur l'ordonnance pénale, l'ouverture est faite aux victimes.
Je continue à citer le rapport de M. Saugey : « Votre commission est particulièrement réservée face à cette extension massive du champ de l'ordonnance pénale. Certes, elle n'ignore pas que cette mesure a été préconisée, dans un souci d'allégement des audiences correctionnelles… Néanmoins, elle considère qu'une telle extension du champ de l'ordonnance pénale soulève plusieurs interrogations. Elle souligne tout d'abord le fait qu'il s'agit d'une procédure écrite et non contradictoire, basée essentiellement sur les faits établis par l'enquête de police et au cours de laquelle la personne n'est, à aucun moment, entendue par l'institution judiciaire. Si l'ordonnance pénale a montré son utilité dans le traitement de contentieux extrêmement simples… elle n'est pas nécessairement adaptée pour des contentieux plus complexes. »
Ce ne sont pas les propos de membres du groupe SRC de notre assemblée : c'est le rapport, extrêmement sérieux, de M. Saugey, à propos d'une extension possible du champ de l'ordonnance pénale. Ce jour-là, il avait été convenu qu'en aucun cas la victime ne pourrait demander au président de statuer par la même ordonnance se prononçant sur l'action publique.
La parole est à Mme Monique Boulestin, pour soutenir l'amendement n° 638 .
Nous réitérons notre demande d'une justice que j'oserai qualifier d'« éclairée ».
L'alinéa 5 crée une procédure dérogatoire que nous avons du mal à comprendre. En effet, en cas de délit de contrefaçon commis au moyen d'un service de publication en ligne, les parties victimes pourront obtenir, dans le cadre de cette procédure, des dommages et intérêts, alors qu'en l'état du droit, le recours à l'ordonnance pénale bloque une telle demande.
Par ailleurs, cette surenchère n'est pas nécessaire puisque les ayants droit seront avertis des éventuelles saisines de l'autorité judiciaire par la HADOPI, ce qui leur permettra de se porter partie civile et de déclencher la procédure ordinaire.
Cumuler de manière dérogatoire au droit commun la procédure expéditive, sans audience, de l'ordonnance pénale avec la constitution de partie civile et l'allocation de dommages et intérêts, est disproportionné et n'est en rien justifié par le délit en cause.
Défavorable.
Il y a des victimes du téléchargement illégal : ce sont les ayants droit, les artistes et les créateurs de notre pays.
Nous devons aussi penser à eux et au préjudice qu'ils subissent.
La procédure d'ordonnance pénale est une procédure simplifiée. Madame Lebranchu, M. Saugey avait certes un avis différent, mais M. Guinchard, lui, était favorable à la possibilité donnée aux victimes de se porter partie civile dans le cadre de la procédure d'ordonnance pénale. C'était aussi l'avis du président Warsmann,…
…qui avait déposé un amendement, et c'était aussi l'avis de l'Assemblée nationale, puisque cet amendement a été voté !
Par l'Assemblée nationale ! M. Saugey n'est pas seul à avoir raison…
L'ordonnance pénale est une procédure simplifiée. Nous proposons de simplifier également la possibilité pour les victimes de se porter partie civile, en l'incorporant directement au niveau de l'ordonnance pénale, comme le proposent M. Guinchard et M. Warsmann, et comme le prévoyait l'amendement voté en première lecture à l'Assemblée nationale.
Je ferai trois remarques.
D'abord, j'ai entendu certains d'entre vous dire que le Gouvernement, puisqu'il présentait cette loi, ignorait le problème du financement de la création ou des rapports entre les créateurs, et notamment les sociétés de diffusion. Je le rappelle, et cela a été dit dès le début de notre débat, M. le ministre de la culture a indiqué qu'une fois le texte voté, il engagerait immédiatement une réflexion sur ce sujet qui, à l'évidence, dépasse le simple cadre législatif. Vous pourrez toujours répéter la même chose, vous ne changerez rien à l'engagement du ministre de la culture aux côtés des créateurs.
S'agissant ensuite de la procédure de constitution de partie civile, nous voulons, comme le rapporteur vient de le rappeler, simplifier les procédures. C'est pourquoi la procédure simplifiée est proposée, sachant que chacun peut la remettre en cause puisque l'ordonnance pénale n'est pas obligatoire : aussi bien le procureur que le juge, le prévenu ou la partie civile peuvent choisir de recourir à une autre procédure.
Enfin, vous demandez pourquoi nous appliquons aux seuls délits commis sur internet la procédure actuelle. C'est tout simplement parce que le projet de loi vise précisément les délits sur internet, et étend l'ordonnance pénale au délit de contrefaçon sur internet. Il est de bonne législation que de légiférer sur le domaine visé par la loi, et qui ressort, en l'occurrence, du titre même du projet de loi.
La parole est à M. Patrick Bloche, pour répondre à la commission et au Gouvernement.
Madame la garde des sceaux, on nous a vendu la loi « HADOPI », c'est-à-dire la déclinaison législative des accords de l'Élysée de novembre 2007, comme la solution à tout. Or, on nous explique maintenant qu'il faudra autre chose après ! Cela confirme ce que nous disons depuis le début, chers collègues de la majorité : le dispositif « HADOPI » ne servira à rien ! La meilleure preuve en est qu'il n'y a pas un euro de plus à la création !
Madame la garde des sceaux, permettez-moi de pointer du doigt ce qui est selon nous une erreur : un prévenu ne peut s'opposer à une ordonnance pénale qu'une fois celle-ci rendue.
Enfin, je ferai une dernière observation. Nous considérons qu'il y a rupture d'égalité entre le délit de contrefaçon que nous appellerons « ordinaire » et le délit de contrefaçon commis sur un service de communication au public en ligne.
Comme il me reste quarante-trois secondes, j'en profite pour souligner un tout dernier point. Vous n'avez pas répondu, madame la garde des sceaux, sur le fait que le plaignant bénéficiera à la fois de la rapidité de l'ordonnance pénale et de la réparation, c'est-à-dire du possible versement de dommages et intérêts. Ce dispositif nouveau, c'est-à-dire cette exception ajoutée à l'exception qu'est déjà l'ordonnance pénale, est réservé aux ayants droit. J'ai cité l'exemple des victimes de pratiques commerciales prohibées. Elles se tourneront vers vous, vous diront, avant que nous ne saisissions le Conseil constitutionnel, qu'il y a rupture de l'égalité, et vous demanderont pourquoi elles ne peuvent bénéficier, elles aussi, d'une action au pénal et au civil.
Je suis saisi d'un amendement n° 522 .
La parole est à Mme Martine Billard.
Il est défendu.
(L'amendement n° 522 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 829 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
J'aurais eu beaucoup à dire jusqu'à présent, mais hélas, je n'ai pas eu la parole. Il faut avoir l'aplomb, l'imprudence et l'inconscience de la fraîche jeunesse de M. Riester pour dire qu'il s'agit de défendre les créateurs. Si je me rappelle le sort que vous avez réservé aux intermittents, monsieur le rapporteur, vous ne manquez pas d'audace ! Mais c'est spéculer sur l'amnésie des Français, ce en quoi vous avez tort !
Quel amendement dois-je défendre, monsieur le président ? (Rires sur les bancs du groupe UMP.)
Le présent amendement propose d'aménager l'exception à l'application des sanctions prévues par le présent texte, notamment les sanctions pécuniaires. Il s'agit d'exclure les bénéficiaires du RSA des condamnations pécuniaires ou de la sanction de suspension de l'accès à internet qui pourraient découler de l'application de ce texte.
Nous allons pouvoir mesurer le degré d'humanité de ce Gouvernement et de sa majorité qui a les yeux de Chimène pour les bénéficiaires du bouclier fiscal. Aurez-vous une inclination pour les bénéficiaires du RSA qui auraient à subir vos foudres en raison d'un téléchargement illégal ?
(L'amendement n° 829 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l'amendement n° 826 .
Tout à l'heure, nous avons pu admirer M. Mitterrand qui se levait, chaque fois qu'était demandé l'avis du Gouvernement, pour dire : « Défavorable ». Maintenant, il ne se lève même plus ! (Sourires.)
L'amendement n° 826 tend à favoriser la lutte contre l'exil fiscal des hauts revenus, en facilitant l'amnistie des auteurs d'infractions portant sur des oeuvres protégées dont un ayant droit réside dans un paradis fiscal. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Mes chers collègues, les créateurs ou producteurs préfèrent placer leurs revenus dans des paradis fiscaux pour échapper à leur devoir républicain de contribution aux charges publiques. La majorité estime que les ayants droit dont les oeuvres sont partagées sur les réseaux doivent être protégés. Vous êtes prêts à remettre en cause les libertés les plus fondamentales de nos concitoyens, mais les comportements condamnables, ceux qui devraient faire l'objet de votre acharnement répressif, sont commis par les fuyards, les Coblençards, qui choisissent l'exil fiscal alors qu'ils comptent parmi les personnes les plus riches de notre pays.
À l'issue du G8 qui s'est tenu à Londres au début du mois d'avril, on nous annonçait, avec des mouvements appuyés du menton, que la lutte contre les paradis fiscaux était devenue une grande cause mondiale. De même, M. le ministre du budget et des comptes publics ne manque pas de souligner, chaque fois que l'occasion lui en est donnée, qu'il s'agit là d'une priorité pour nos services fiscaux. Il est temps de joindre les actes aux paroles. Je vous demande donc de ne pas accentuer l'injustice qui caractérise notre système fiscal.
Voyez comment on expédie les amendements dès lors qu'il s'agit de justice fiscale !
Madame la ministre, je ne suis pas du tout hors sujet puisqu'il s'agit de la justice. Vous essayez seulement de nous discréditer.
Mais, dès qu'on touche au coffre-fort, vous nous répondez que nous sommes hors sujet. Croyez-vous donc pouvoir, à l'heure de l'endormissement, tromper notre vigilance ? Certainement pas ! Il n'y a pas d'heure pour la justice !
Certains privilégiés habitent à Gstaad en Suisse – je ne sais pas où est domicilié Doc Gynéco… Le soir de l'élection présidentielle, l'ami de Sa Majesté, Johnny Hallyday, cet intellectuel célèbre était dans le carré VIP, mais il n'y avait pas un seul prix Nobel, pas un seul prix Goncourt, peut-être M. Gosselin (Sourires), mais l'intelligentsia n'y était pas.
Prenez-vous en aux privilégiés et laissez tranquilles les pauvres gens qui ont téléchargé ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l'amendement n° 828 .
Comme l'a dit Patrick Bloche, pas un euro supplémentaire pour les artistes ! Pour eux, seulement vos larmes de crocodile, qui peuvent être volumineuses...
Les artistes sont les grands oubliés de ces débats. Le financement de la création et les nouvelles modalités de diffusion n'ont pas droit de cité ici, surtout à droite. Je pense en particulier aux artistes interprètes les plus fragiles, les plus modestes, ceux qui n'ont pas les moyens de vivre de leur travail. Vous vous en doutez, je ne parle pas des amis du Président, des invités du Fouquet's (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) et autres superstars soumis à l'ISF, qui n'ont aucune légitimité à vouloir punir des jeunes et des moins jeunes qui ont peu de moyens et pour qui le téléchargement représente l'une des seules façons d'accéder à la culture.
C'est pourquoi nous proposons de ne pas sanctionner les infractions portant sur des oeuvres dont l'un des ayants droit au moins est redevable de l'ISF.
Si les intéressés ne sont pas d'accord, nous pouvons leur proposer un marché : la suppression du bouclier fiscal. L'argent ainsi récupéré par l'État, soit 460 millions par an, servirait alors à financer la création, à rémunérer chaque artiste grâce à la licence globale et permettrait d'augmenter le budget du ministère de la culture.
Monsieur le ministre, qu'en pensez-vous ? Vous faites voter la loi et vous donnez l'illusion que vous ouvrirez le dialogue ensuite, alors que vous savez que Sa Majesté ne vous a autorisé aucune marge de manoeuvre.
Monsieur Brard, vous êtes vraiment le dernier marxiste tendance Groucho (Rires),car vous transformez cette conversation en un dialogue de la Soupe au canard. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
(L'amendement n° 828 n'est pas adopté.)
(L'article 2 est adopté.)
Prochaine séance, ce matin, jeudi 23 juillet 2009, à neuf heures trente :
Suite du projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet.
La séance est levée.
(La séance est levée, le jeudi 23 juillet 2009, à une heure vingt.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma