La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
Ce matin, l'Assemblée a commencé l'examen des articles, s'arrêtant à l'amendement n° 396 portant article additionnel avant l'article 1er.
Monsieur le président, mon intervention se fonde sur l'article 58, alinéa 1, de notre règlement et concerne le déroulement de nos travaux qui, depuis hier, sont gravement perturbés par l'existence d'un site, un site officiel comme Mme la ministre de la culture et de la communication nous l'a confirmé et non un site pirate, dont l'intitulé même, « jaimelesartistes.fr », est une provocation pour tous ceux qui s'opposent à ce projet de loi.
Il se trouve que sa mise en ligne a été interrompue en fin de matinée : nous pensions que Mme la ministre nous avait entendus et qu'afin d'assurer la sérénité de nos débats, le site avait été définitivement fermé. En réalité, il s'agissait – sans doute à la suite de l'interpellation de notre collègue Christian Paul et des observations ô combien pertinentes de Martine Billard ! – d'une simple opération de maintenance visant à supprimer les codes sources. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Reste, madame la ministre, que j'ai reçu, comme d'autres collègues, un mail, dont j'aimerais rapidement vous exposer la teneur afin que vous mesuriez pleinement les conséquences de l'existence d'un tel site. « Dis, Christine, elles sont vraiment légales tes offres ?» : c'est le titre du message, madame la ministre ; je ne me permettrais bien sûr pas de m'adresser à vous de façon aussi familière, même si cela viendra peut-être un jour.
Le site« jaimelesartistes.fr », qui présente le projet de loi création et Internet, propose de découvrir ce qui est globalement appelé l'offre légale, c'est-à-dire les services où les internautes sont censés pouvoir écouter ou acheter de la musique en toute légalité, dans le respect des ayants droit. Parmi ces sites, « Jiwa.fm », un site d'écoute en streaming où l'on peut écouter sept titres de l'album Bidibule. Jusqu'ici tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes sauf que voici ce que dit l'internaute : « Je n'ai jamais uploadé de titre sur la plateforme Jiwa.fm, je n'ai jamais donné d'autorisation permettant cette diffusion ; aucun revenu en droits d'auteur liés à la diffusion de ces oeuvres sur ce site ne m'est parvenu via la SACEM ; aucun revenu lié à l'exploitation de ces enregistrements dont je suis le producteur ne m'est versé par “Jiwa.fm” ».
« Mieux, sur le site, on peut lire : “Toute personne estimant qu'un utilisateur viole un droit dont elle serait titulaire doit porter ces faits litigieux à la connaissance de Jiwa, conformément aux dispositions de l'article 6-1-5 de la loi du 21 juin 2004 n° 2004-575, par courrier, avec accusé de réception. ”
« Dois-je le résumer par “pas vu, pas pris” ou par une forme de passage en force ? Dis, Christine, elles sont vraiment légales et respectueuses des artistes tes offres ? » Ainsi s'exprime donc le producteur d'oeuvres qui ont été piratées sur une plateforme que le site « jaimelesartistes.fr »a fait figurer parmi ses liens.
Ce site, site officiel du ministère financé par l'argent du contribuable, s'expose donc à deux inconvénients majeurs.
D'abord, il perturbe gravement les travaux de la représentation nationale. Que je sache, Mme Bachelot n'a pas créé un site officiel du Gouvernement pour promouvoir sa réforme de l'hôpital avec des professionnels de santé vantant les mérites de son projet de loi !
En tant que site officiel, il devrait respecter les règles élémentaires du débat démocratique en présentant des points de vue contradictoires.
Ensuite, il renvoie par ses liens vers d'autres sites qui n'assurent pas la rémunération des ayants droit et des auteurs.
Votre intervention, je le note une fois encore, n'avait rien à voir avec un rappel au règlement !
La parole est à Mme Martine Billard, pour un véritable rappel au règlement, je l'espère.
Absolument, monsieur le président, il se fonde sur l'article 58, alinéa 1, de notre règlement et vise à éviter quiproquos et faux débats, ce qui contribuera, je l'espère, à raccourcir nos discussions.
Deux erreurs ont été commises : une par moi-même – j'ai l'honnêteté de le reconnaître –, une autre par Mme la ministre.
Mon erreur porte sur le marketing viral et les spots viraux, auxquels j'ai fait référence à propos des mails envoyés par la société servant de support au courrier du site « jaimelesartistes.fr ». Ces pratiques ne sont en fait pas illégales, il s'agit de techniques de commercialisation de spams. Mais cela n'enlève rien à leur caractère intrusif s'agissant d'adresses privées, comme j'ai pu en faire l'expérience. J'aimerais donc savoir, madame la ministre, si dans le marché passé entre le ministère et cette entreprise, il était prévu d'envoyer des spams commerciaux intrusifs vers les boîtes mail privées des députés ?
J'en viens à l'erreur de Mme la ministre : sur la page d'accueil du site « jaimelesartistes.fr », on ne trouve pas le logo du ministère qui figure, en revanche, en gros sur les mails envoyés quotidiennement par cette fameuse société que je viens de citer.
Là encore, il ne s'agissait pas d'un rappel au règlement en bonne et due forme !
Entre un rappel au règlement et une suspension de séance, que préférez-vous ?
Notre président, qui connaît bien notre maison, sait qu'entre le pire et le pire, il faut toujours choisir le moins pire.
Mes collègues viennent de soulever de vrais problèmes. Mme Billard, avec une intégrité rare – je connais d'autres membres des Verts qui n'ont pas cette qualité –, a pratiqué son autocritique.
Nous attendons, madame la ministre, que vous fassiez la vôtre. Ce matin, nous vous avons fait une proposition d'apaisement visant à ce que chacun des quatre groupes présents dans notre assemblée puissent disposer d'une tribune pour exposer sa position, le débat démocratique nourrissant ensuite l'échange avec les internautes.
Si vous faisiez un geste en ce sens, le débat serait fortement apaisé et pourrait se poursuivre dans de bonnes conditions.
Je rappelle que des clivages existent à l'intérieur de certains groupes, en particulier l'UMP, ce qui permettra des rapprochements et même des positions communes autour d'amendements susceptibles de satisfaire les revendications des internautes en reconnaissant la communication électronique comme un droit fondamental. J'entends bien que vous n'aimez pas cette épithète : laissons donc « fondamental » entre parenthèses et parlons simplement de « droit ».
Madame Albanel, vous êtes ici présente en tant que ministre libérée de ses tutelles habituelles, je veux parler de celles de la rue du Faubourg Saint-Honoré. Vous avez la possibilité de nous répondre directement : c'est vous et vous seule qui êtes comptable à cette heure de la politique du Gouvernement.
Je suis persuadé – mais je ne veux pas parler au nom de mes collègues socialistes –…
La parole est à Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication.
Je veux redire qu'il s'agit en effet d'un site d'information gouvernementale. Et rien n'empêche le parti socialiste de créer son propre site d'information. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)
Tous les sites d'information gouvernementale pourraient sinon faire l'objet des mêmes réclamations.
Par ailleurs, vous observerez l'extrême réactivité dont nous avons fait preuve, à la suite des problèmes évoqués ce matin.
Quant aux adresses électroniques privées, je crois qu'elles avaient été rendues publiques à un moment donné.
En tout cas, je puis vous assurer, madame Billard, que vous ne recevrez plus jamais de mails intrusifs. Nous y veillerons.
Je suis saisi d'un amendement n° 396 , portant article additionnel avant l'article 1er.
La parole est à M. Christian Paul.
Madame la ministre, je sais bien que, sous ce régime, la confusion entre l'argent public et l'argent privé, la vie privée et la vie publique, est monnaie courante, mais je vous rappelle que le site dont nous parlons est financé par le contribuable et vous ne m'avez d'ailleurs pas répondu sur son coût. Votre prédécesseur avait, lui aussi, monté un site de propagande appelé « lestéléchargements.com », et il avait fini par avouer, après un certain nombre de suspensions de séance, que son coût était de 180 000 euros, ce qui est très cher.
Je vous invite donc, afin d'éviter le même chemin de croix, à nous dire assez rapidement dans l'après-midi combien a coûté le site « j'aimelesartistes.fr ». Ce site étant financé par les contribuables, le pluralisme pourrait y être la règle.
J'en viens à l'amendement n° 396 auquel nous sommes très attachés. Madame la ministre, vous n'avez en aucune façon évalué la loi DADVSI, votée en 2006, qui est en quelque sorte le péché originel. Vous n'avez pas exercé le devoir normal d'inventaire pour voir si cette loi avait eu un quelconque impact ou intérêt. En 2007, vous avez entrepris la rédaction d'un nouveau texte sans avoir pris le temps de vérifier pourquoi cette loi avait échoué. Le présent amendement vise donc, ni plus ni moins, à abroger la loi DADVSI puisque le constat de son échec est patent.
Nous pourrions tous voter cet amendement s'il n'y avait la page 10 du rapport de M. Riester où il est écrit que : « Le projet de loi soumis à l'examen de l'Assemblée nationale n'entend pas revenir sur l'équilibre trouvé lors de la discussion de la loi du 1er août 2006, dite DADVSI, au sujet du maintien, à l'ère numérique, de notre conception personnaliste du droit des auteurs sur leurs oeuvres. Il est seulement question de mieux sensibiliser les internautes aux risques que leurs pratiques font courir à l'innovation culturelle ».
Vous dites que ce texte porte sur la pédagogie – pour notre part nous pensons plutôt qu'il organise la répression –, mais qu'il ne modifie pas l'équilibre, ce qui nous inquiète. Pour sa part, Mme Marland-Militello a plutôt considéré qu'il fallait tourner la page. Mais pour ce faire, la seule solution consiste à abroger cette loi inapplicable et qui n'a pas trouvé le bon équilibre. Elle instaure en effet des représailles massives, à savoir trois ans de prison et 300 000 euros d'amende, pour les internautes qui ne respectent pas les droits d'auteur. Vous avez tenté d'escamoter le problème en disant que cela permettrait de lutter contre la contrefaçon. Mais avant la loi DADVSI, il existait déjà des dispositifs pour cela ; il suffisait de les appliquer. Vous auriez donc intérêt à faire place nette. M. Riester est sans doute le seul ici à considérer que la loi DADVSI avait établi le bon équilibre. Il est donc urgent de l'effacer de notre corpus législatif. Madame la ministre, faites donc du passé table rase !
La parole est à M. Franck Riester, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 396 .
Monsieur Paul, la loi DADVSI a complété le dispositif destiné à lutter conte le délit de contrefaçon, mais ne l'a en aucun cas instauré. Elle a trouvé un bon équilibre pour lutter contre les contrefacteurs, c'est-à-dire ceux qui téléchargent et utilisent des fichiers illégaux pour en faire du commerce.
Et il est nécessaire de maintenir cet équilibre.
Par ailleurs, la loi DADVSI prévoyait la mise en place des fameux DRM. Or, le projet de loi propose la levée des mesures anticopies, dispositions qui ont déjà été anticipées par les maisons de disques et les plates-formes de téléchargement.
Reste la question fondamentale de la gestion des droits. On ne peut pas abroger la loi DADVSI, car cela remettrait en cause la gestion numérique des droits.
Enfin, cette loi a étendu le bénéfice de l'exception pour copie privée à certaines situations particulières – les archives, les bibliothèques, les associations pour personnes handicapées – et il est important de maintenir ce dispositif.
Telles sont les raisons pour lesquelles il ne faut pas abroger la loi DADVSI.
Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Le rapporteur a très bien expliqué en quoi ce texte et la loi DADVSI étaient complémentaires. Cette dernière punit ceux qui se livrent à une forme massive de piratage, craquent les systèmes et en font du commerce. Par ailleurs, elle est la transposition pure et simple d'une directive européenne du même nom qui oblige les États à respecter les verrous de protection dont pouvaient se doter les maisons de production, même si elles y ont renoncé, ce qui constitue un geste positif pour les consommateurs.
Madame la ministre, la loi DADVSI n'est pas la transposition pure et simple de la directive européenne. Elle la transposée en partie seulement. À l'époque, la France a été le pays qui l'a transposée de la façon la plus dure, puisque les exceptions pour copies privées ont été transposées au strict minimum. Qu'il s'agisse de l'enseignement, des bibliothèques ou des personnes en situation de handicap, les autres pays ont transposé la directive de façon beaucoup plus large.
S'agissant des DRM, les députés de l'opposition et un certain nombre de députés de la majorité avaient indiqué quels problèmes cela posait. Nous avions tellement tort que ces DRM ont disparu en partie, mais pas totalement ! Il faut donc les supprimer totalement.
Ce matin, j'ai évoqué, en défendant la motion de renvoi en commission, la mesure qui avait été proposée par M. Dutoit, député communiste de Marseille, dans le cadre de la loi DADVSI. Cette mesure, qui avait été maintenue en commission mixte paritaire, prévoyait la possibilité pour les auteurs qui le souhaitaient de mettre leurs oeuvres à la disposition du public sur une plate-forme légale publique. Or, cette disposition n'a jamais été mise en oeuvre. Mais je ne crois pas qu'il s'agisse là d'un hasard.
Il serait donc sage d'abroger la loi DADVSI et de reprendre les quelques mesures indispensables qui y figurent...
M. Riester a parlé d'équilibre et de cohérence et Mme la ministre de complémentarité. Il serait souhaitable de lever une ambiguïté, car le projet de loi nous est présenté dans une logique de substitution. Il s'agit en effet de remplacer le dispositif DADVSI par un autre tout simplement parce qu'aucun tribunal n'a voulu prononcer les sanctions prévues – trois ans de prison et 300 000 euros d'amende. Il paraît même que les représentants des ayants droit n'ont jamais osé saisir les tribunaux.
Madame la ministre, si vous voulez que votre projet de loi s'inscrive dans une démarche à la fois pédagogique et dissuasive, abrogez un dispositif qui, sans ambiguïté, est répressif ! Vous avez beau dire que les dispositions relatives à la contrefaçon ne concerneront désormais que ceux qui téléchargent massivement et en tirent bénéfice, encore faut-il que ce que vous dites soit traduit très précisément dans le code de la propriété intellectuelle !
Si nous n'abrogeons pas la loi dite DADVSI, n'importe quel internaute pourra être passible de trois ans de prison et de 300 000 euros d'amende dès le premier titre téléchargé illégalement.
La loi DADVSI est mauvaise, car elle est allée bien au-delà de la transposition de la directive européenne qui visait à sécuriser juridiquement les mesures techniques de protection.
Monsieur le rapporteur, vous nous dites que ces mesures sont abandonnées les unes après les autres. Vous avez raison, parce qu'elles ont montré leur inefficacité et surtout parce qu'elles constituent un obstacle commercial : iTunes et d'autres opérateurs ont bien compris que la non-interopérabilité et les DRM étaient des obstacles commerciaux – ce n'est pas par une générosité soudaine qu'ils abandonnent les DRM, c'est parce que leur intérêt commercial est en jeu.
Nous avons présenté un amendement prévoyant la fin des DRM, pour la musique le 31 décembre 2009 et, pour le cinéma et l'audiovisuel, le 31 décembre 2011. Or, cet amendement a été rejeté. Il y a trop d'ambiguïtés dans ce débat, qui souffre d'un double langage permanent : c'est pourquoi nous voulons plus de clarté. Nous avions obtenu des exceptions pour les copies privées, les bibliothèques et l'éducation : rien n'interdit de les reprendre dans ce texte. Fondamentalement, la loi DADVSI est une mauvaise loi, dont l'échec est patent – nous l'avons dit à plusieurs reprises et l'avions même prédit dans cet hémicycle il y a trois ans. Pour reprendre une formule chère à M. Brard, faisons du passé table rase !
Abroger la loi DADVSI serait essentiel pour clarifier le débat. Sinon, l'internaute conservera toujours, suspendue au-dessus de sa tête, l'épée de Damoclès que constitue la double peine, puisqu'il risquera à la fois une sanction pénale et une sanction administrative – la suspension de l'abonnement à Internet –, ce qui n'est pas acceptable.
Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement…
(L'amendement n° 396 n'est pas adopté.)
Monsieur le président, vous m'avez refusé la parole sur cet amendement socialiste, qui était très important puisqu'il concernait la consolidation des dispositions de la DADVSI dans le présent texte. C'était donc un amendement de fond. Votre arbitrage n'a pas été conforme au règlement.
Monsieur Dionis du Séjour, je ne vous permets pas de décider pour le président ce qui est conforme ou non au règlement !
J'ai donné la parole à deux députés après que la commission et le Gouvernement ont donné leur avis.
J'ai mis ensuite aux voix l'amendement, ce qui est conforme au règlement.
Monsieur le président, les clivages dans un tel débat n'étant pas aussi manichéens qu'ils peuvent l'être pour d'autres textes, je vous demande de donner au minimum la parole à chacun des groupes, sans oublier qu'il existe des courants à l'intérieur même de ces groupes. Veillez-y car nous n'accepterons pas d'être ainsi marginalisés !
Je suis saisi d'un amendement n° 440 .
La parole est à M. Christian Paul.
Monsieur le président, y compris au perchoir, l'autorité, cela se mérite !
Je vous demande, à mon tour, au nom du groupe SRC, de permettre à chacun des groupes de cette assemblée, fût-il très minoritaire comme le Nouveau Centre (Exclamations sur les bancs du groupe NC), de s'exprimer. Je le dis sans malice : on peut être minoritaire et être compétent, ce qui est le cas de Jean Dionis du Séjour. Je suis en désaccord avec certaines de ses propositions, mais je respecte son travail. J'aimerais que la présidence de cet après-midi fasse de même.
L'amendement n° 440 peut, lui aussi, comme le remarquait Jean Dionis du Séjour, transgresser les clivages habituels, voire obtenir l'appui du Gouvernement. En effet, il vise véritablement à défendre les droits d'auteur.
Depuis hier nous avons cité, les uns et les autres, un grand nombre d'exemples relevant des nouveaux modèles économiques de diffusion de la culture, notamment de la musique. On a cité les sites de streaming, qui sont financés pour beaucoup d'entre eux par la publicité, ou les plates-formes de ventes de fichiers musicaux, dont le plus célèbre, qui a une position dominante sur le marché, vient d'outre-atlantique. Tous les renseignements que nous avons obtenus ou toutes les auditions auxquelles nous avons procédé, avec ou sans M. Riester, nous ont conduits à penser que, souvent, ces plates-formes respectaient mal les intérêts des créateurs – auteurs, artistes, interprètes –, la part qui leur est réservée étant trop limitée : lorsqu'un titre est vendu 99 centimes d'euros sur un canal de distribution en ligne, la part qui revient à l'artiste est notoirement plus faible qu'elle ne l'était lorsqu'un CD de vingt titres était vendu 20 euros, c'est-à-dire, finalement, au même prix.
Mme Billard a également évoqué un site de streaming que j'utilise moi-même beaucoup : Jiwa – nous aurions pu en citer d'autres. Or, manifestement, certains des artistes présents sur ces sites, qui sont à vos yeux légaux, ne sont quasiment pas rétribués. Ces modèles émergents posent donc la vraie question de la régulation et des droits d'auteurs, qui n'est pas celle du rapport entre les artistes et le public – c'est la première fois qu'elle est posée en ces termes ! Au XVIIIe siècle, elle était celle du rapport entre, par exemple, Beaumarchais et les comédiens français, avant de devenir, plus tard, celle du rapport entre les auteurs et les éditeurs de musique, les chaînes radiophoniques ou de télévision. Vous le savez bien, du reste, puisque vous êtes, comme nous, des défenseurs du droit d'auteur.
L'amendement n° 440 repose sur ce tronc commun de la philosophie française du droit d'auteur que, je l'espère, nous partageons. Il prévoit en effet que « tout vendeur de phonogramme ou vidéogramme, mais également de fichier de film ou de musique doit, par voie de marquage, étiquetage ou affichage, ou par tout autre procédé approprié, informer le consommateur de la part revenant à la création », c'est-à-dire au créateur, « sur le prix de vente. ».
En assurant ainsi la transparence sur les rémunérations nous ferions, dans la majorité comme dans l'opposition, la preuve de notre attachement au droit d'auteur. Tel est l'objet de cet amendement, madame la ministre, qui ne heurte pas votre philosophie. On peut, en effet, à la fois ne pas la partager et faire, au cours de ce débat, des propositions qui sont de nature à affirmer les nouveaux droits d'auteur dans le monde numérique.
Monsieur Paul, nous sommes favorables à toute mesure visant à améliorer l'information du consommateur. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Encore faut-il (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP) que l'information soit facilement accessible et…
…décorticable – je vous remercie, monsieur Brard.
Or, en matière de musique et de cinéma, les créateurs, artistes, auteurs-compositeurs, sont si nombreux qu'il est difficile de décortiquer les différents revenus qu'ils perçoivent.
Il faudrait presque faire une comptabilité analytique du coût de revient de ces produits entre producteurs, auteurs et compositeurs. Ce serait un système trop compliqué à mettre en place, même si l'objectif premier de cet amendement va dans le sens d'une meilleure information du consommateur. Avis défavorable, donc.
Même avis.
Cet amendement part assurément d'une bonne intention. J'ai d'ailleurs décidé, dans le même esprit, que le montant de la rémunération pour copie privée serait désormais affiché sur les supports assujettis. Mais ce qu'il est possible de faire avec la rémunération pour copie privée, du fait qu'il s'agit d'un droit d'auteur calculé de façon forfaitaire et centralisée, avec un barème réglementaire, est très compliqué à mettre en oeuvre dans le cas des phonogrammes. Les CD sont en effet le dernier maillon d'une série de contrats entre un grand nombre d'intervenants.
Je suis donc défavorable à cet amendement, mais nous pourrons travailler sur la question d'une plus grande transparence. Le présent texte vise à franchir une première étape : protéger le principe même de la rémunération des créateurs et des industries culturelles. Une deuxième étape, dans le cadre, peut-être, de l'installation de la nouvelle commission des affaires culturelles, sera d'entamer, avec le Parlement, un travail sur la question du partage de la valeur et sur celle de la rémunération des auteurs. Le ministère de la culture y est tout à fait prêt.
Madame la ministre, si, comme vous le prétendez, vous voulez vraiment favoriser la diffusion culturelle sur Internet et faire prendre conscience aux internautes de l'intérêt de cette diffusion et d'une meilleure connaissance du droit d'auteur, il faut assurer la transparence sur les rémunérations.
Du reste, quand on veut, on peut ! Vous avez bien été capable de mettre en place un système très complexe sur les plans technique et financier – HADOPI – : si vous le vouliez, vous pourriez mettre en application la mesure que propose cet amendement.
Par ailleurs, je souhaiterais entendre plus régulièrement les autres rapporteurs, d'autant que, s'agissant de l'abrogation de la loi DADVSI préconisée par l'amendement n° 396 , le rapport de M. Riester et celui de Mme Marland-Militello sont en totale contradiction !
Page 7 de son rapport, Mme Marland-Militello écrit que le présent projet de loi « tire les leçons du passé. Il s'inscrit en rupture par rapport à la loi du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (DADVSI), tant au plan de la méthode que du contenu. »
Les deux rapports disent exactement le contraire : lisez-les, monsieur Lefebvre !
Il serait donc bon, pour la clarté de nos débats, d'entendre Mme Marland-Militello sur ce qu'elle a écrit dans son rapport.
La parole est à Mme Muriel Marland-Militello, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
Je ne souhaitais ni alourdir ni retarder les débats par une perte de temps inutile,…
…mais puisque vous m'avez sollicitée à deux reprises, je vais expliquer ma position, qui est très claire, madame Erhel.
En tant que députée de la majorité, je me suis opposée à la loi DADVSI sur deux points : la sacralisation des DRM et l'absence de mesures permettant l'interopérabilité. Or le présent texte est en rupture sur ces deux points, mais peut-on encore parler de rupture, puisque nous avons obtenu gain de cause par les faits et non par le droit : on supprime actuellement les DRM.
De plus, le présent texte est en rupture sur le plan de la méthode puisqu'il est le prolongement des accords de l'Élysée entre les professionnels de la culture. Madame Erhel, le fait que le secteur le plus concerné, du moins celui qui apporte les contenus, est favorable à ce projet de loi, devrait vous interpeller !
Enfin, sur le plan du contenu, le présent texte ne remet pas en cause la gestion des droits d'auteur inscrite dans la loi DADVSI pour la simple raison que tel n'est pas son objet. Ce qui est propre à ce texte, la nouveauté qu'il apporte, c'est de faire le choix de mesures dissuasives plutôt que répressives, éducatives plutôt que pénales. Telle est la différence !
Le présent texte ne remet donc pas en cause la loi DADVSI sur la gestion du droit d'auteur ; il la complète. En revanche, il y a bien rupture sur un autre plan, celui de la dissuasion, puisque la loi DADVSI proposait le contraire de ce texte. Le rapporteur et moi-même sommes donc tout à fait d'accord ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
Madame la rapporteure pour avis, la sanction pénale ne sera pas remplacée par la sanction administrative : les deux existeront désormais !
Vous auriez pu réserver la sanction pénale aux internautes qui organisent les téléchargements illégaux pour en tirer une source de revenus, ce qui me semblerait juste. Or l'internaute lambda qui, pour telle ou telle raison, se contente d'écouter un titre sans payer de droits, est lui aussi concerné par la sanction pénale. Vous auriez pu différencier les sanctions puisqu'il s'agit de deux cas différents. Vous ne l'avez pas fait !
Selon vous, le dispositif prévu par l'amendement serait trop compliqué à appliquer. C'est une attitude étonnante puisque nous sommes d'accord sur le fait qu'il faut absolument informer les internautes de la nécessité de rémunérer les auteurs. Il faut les convaincre que lorsqu'ils écoutent abusivement des oeuvres qui n'ont pas été mises gratuitement à la disposition du public, ils commettent un préjudice à l'encontre des auteurs. Or, justement, l'amendement de nos collègues socialistes permettrait aux internautes d'en prendre pleinement conscience.
Toute diffusion de musique doit être déclarée à la SACEM. Et l'on peut faire confiance à cette dernière pour poursuivre les contrevenants qui, s'ils ne déclarent pas la musique qu'ils ont diffusée, lèsent les auteurs. J'ai moi-même été confrontée à cette situation il y a très longtemps, dans ma jeunesse. J'avais diffusé de la musique à l'occasion d'une petite fête et les employés de la SACEM sont arrivés pour me faire payer des droits, ce qui était juste.
Par conséquent, grâce aux performances de l'outil informatique et malgré une inévitable fraude, il paraît simple de déterminer la part qui revient à tel ou tel auteur à partir des déclarations à la SACEM de ceux qui diffusent de la musique. C'est pourquoi je ne comprends pas votre argument selon lequel ce calcul serait très difficile.
Je demande la parole pour un rappel au règlement !
(L'amendement n° 440 n'est pas adopté.)
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, à condition qu'il s'agisse bien d'un rappel au règlement.
Attendez donc que je m'exprime ! Dans le droit-fil de la logique gouvernementale, on est condamné avant que l'infraction soit prouvée !
Monsieur le président, j'attire votre attention sur le fait que vous suscitez cet après-midi des mouvements d'humeur sur tous les bancs.
Vous ne pouvez pas avoir raison contre tout le monde, malgré votre fonction présidentielle. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et NC.)
Vos applaudissements me desservent, chers collègues, car ils sont de nature à irriter le président.
La séance de ce matin s'est très bien passée et, sans vouloir formuler de recommandation mais souhaitant simplement exprimer mon avis, monsieur le président, je pense que, sur des amendements aussi importants, il serait légitime que nous puissions nous exprimer de façon à gagner du temps pour la suite de nos débats.
Les propos de Mme la rapporteure étaient à l'évidence inexacts puisqu'elle soutient qu'avec la procédure administrative tout ira bien. En réalité, si vous aviez, hier, la paire de menottes aux poignets, vous en avez désormais une autre paire aux chevilles. La première vous est mise sans que le délit soit prouvé et vous n'avez pas la possibilité de vous défendre à moins d'avoir recours à l'autorité judiciaire. J'entends déjà Mme la ministre ou Mme la rapporteure affirmer que l'on peut avoir recours au juge. Vous pensez bien ! Vous allez pousser les gens dans la bureaucratie et surtout dans l'arbitraire contre lequel ils ne pourront pas se défendre.
Aussi, monsieur le président, je souhaite que, dans votre grande mansuétude – celle qu'on vous a connue parfois dans le passé –, vous nous laissiez le temps nécessaire au bon déroulement de la discussion. En effet, à un moment où l'on sent des convergences sur les différents bancs, permettez qu'elles s'expriment afin que nous rédigions la meilleure loi possible, dans le respect du droit fondamental à la communication.
Cela fait cinquante minutes que nous avons commencé la séance et nous n'avons examiné que deux amendements. Il est donc difficile de dire que je n'ai pas laissé longuement la parole.
Nous, nous ne l'avons jamais, la parole ! Il n'y en a que pour les députés de l'opposition !
Je vous la donne, monsieur Paul, mais pour défendre l'amendement n° 441 !
Dans ce cas, je vous demande une suspension de séance de dix minutes pour réunir mon groupe.
Rappel au règlement
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à quinze heures cinquante-cinq.)
Rappel au règlement
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
N'abusez tout de même pas du procédé, mon cher collègue !
On ne peut pas nous reprocher d'en avoir abusé jusqu'à présent, car vous ne nous en avez pas beaucoup laissé le loisir.
Nous sous sommes demandé, monsieur le président, pourquoi vous aviez empêché M. Tardy et M. Dionis du Séjour de s'exprimer. En réfléchissant, nous avons découvert votre argument massue, madame la ministre : votre liste des dix mille, comme si, dans l'histoire, il n'y avait pas de nombreux exemples montrant que les coupables de l'inégalité arrivent parfois à se faire rejoindre par leurs victimes, ce qui est ici le cas, évidemment !
Vous avez donc intérêt, monsieur le président, puisque vous n'en êtes pas moins un peu UMP, à ne pas laisser s'exprimer ceux qui montrent que le clivage ne correspond pas à l'opposition entre la gauche et la droite, qu'il sépare ceux qui veulent la liberté de communication et favoriser la culture de ceux qui n'y comprennent rien ou bien qui sont les porte-voix des intérêts des majors.
De ce point de vue, je comprends que vous ne souhaitiez pas laisser le débat suivre son cours.
Vous pensez bien, madame Albanel, qu'un modeste parlementaire ne saurait oser quelque conseil gratuit à un membre du Gouvernement.
Mais rappelez-vous comment le débat sur l'hôpital et le logement, pourtant difficile, suivit son cours paisiblement. Certes, Mme Bachelot et Mme Boutin ont plus d'heures de vol que vous dans la sphère politique. (Sourires.)
Certes !
Mais justement, instruisez-vous donc avec modestie de leur expérience et, à défaut de nous écouter, tâchez – je vous en conjure ! – de ne pas nous empêcher de nous exprimer ou, du moins, n'y contribuez point en faisant en sorte que tout se passe bien avec le président.
Je suis saisi de trois amendements, nos 441 , 202 rectifié et 413 , pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos202 rectifié et 413 sont identiques.
La parole est à M. Patrick Bloche, pour soutenir l'amendement n°441 .
Cet amendement, comme le précédent, a malheureusement été rejeté, pour des raisons…
…particulièrement perplexes.
M. le rapporteur comme Mme la ministre ont bidouillé – il n'y a pas d'autre terme – des réponses vaseuses, sinon évasives. L'amendement n°440 et celui-ci n'ont qu'un objectif : la transparence à l'égard de nos concitoyens. Vous voulez nous entraîner dans ce que vous considérez comme un cercle vertueux, nous avons le nôtre, mais nous nous rejoignons sur le fait que nos concitoyens doivent être conscients de la nécessité d'une juste rémunération des auteurs, indispensable au financement de la création.
La transparence est un élément pédagogique essentiel. Quand on achète une oeuvre sur un support physique ou de façon dématérialisée, il est essentiel de savoir où va l'argent, où vont, pour un titre, les 99 centimes, surtout quand les représentants des ayants droit, qu'il s'agisse des artistes interprètes ou des auteurs, nous rappellent qu'avec la dématérialisation ils ont perdu. Ils étaient en effet mieux rémunérés avec les supports physiques.
Nous nous interrogeons donc sur le rejet de l'amendement précédent. Nous ne voulons pas avoir mauvais esprit, mais vous nous renforcez ainsi dans l'idée que, derrière le financement de la création et l'amour que vous portez aux artistes, dont vous n'avez pas l'exclusivité ; la seule chose qui vous intéresse c'est l'intérêt des gros, des éditeurs, des producteurs et des majors. Sinon, vous accepteriez ces amendements de transparence que notre groupe n'est d'ailleurs pas le seul à présenter.
Nous n'en savons pas suffisamment sur la diffusion des oeuvres sous forme de licence, de rémunération proportionnée ou de forfait. Il y a donc un usage global des oeuvres. La logique du forfait amène en effet les ayants droit à ne pas percevoir la juste rémunération de leurs oeuvres puisque l'organisme collecteur chargé de la redistribution des sommes ne le fait pas au prorata des passages radio du fait d'un phénomène de globalisation.
Nous voulons remédier au fait que cette information est au mieux partielle, voire la plupart du temps absente, et contraindre l'ensemble des utilisateurs à fournir aux organismes collecteurs les statistiques précises des titres diffusés pour que la répartition soit réellement représentative de l'audience.
Et ne nous dites pas, monsieur le rapporteur, madame la ministre, qu'il n'est pas possible de savoir comment on répartit la rémunération. Parce qu'alors là, nous vous attendons sur la contribution créative dans quelques instants !
La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour soutenir l'amendement n° 202 rectifié .
Vous me permettrez quand même, monsieur le président, de revenir sur l'amendement n° 396 , qui visait à abroger la loi DADVSI. Cet amendement socialiste était très important, et il fallait prendre le temps d'en débattre.
Honnêtement, un minimum d'étude d'impact sur la loi DADVSI me semble s'imposer. Certains de ses articles doivent être maintenus, notamment l'article 1er portant sur l'exception pour copie privée. En revanche, nous devions faire le ménage, en bon législateurs, sur les articles relatifs aux DRM, à l'interopérabilité, qui sont encore en vigueur, madame la rapporteure pour avis. Ils encombrent la loi. Le minimum, c'était de faire proprement ce travail de consolidation législative. Enfin, il faut consolider le volet sanction de ces deux lois. L'amendement socialiste n'était pas acceptable en tant que tel, mais il ouvrait une discussion de fond. Si nous ne faisons pas ce travail de consolidation, nous faisons mal la loi. Nous la mettons dans une situation de fragilité qui se paiera lourdement en termes de contentieux devant les juridictions. C'est pour cela, monsieur le président, malgré le respect que j'ai pour la fonction, et éventuellement pour l'homme, que j'ai réagi un peu vivement.
J'en viens à l'amendement n° 441 . Quel est le problème ? Un certain nombre de médias, comme les radios et maintenant les diffuseurs en streaming, de type deezer, procèdent à une négociation globale avec les sociétés de répartition qui représentent les auteurs. Ce système présente des avantages. Cela marche très bien dans la radio. Il faut, ensuite, que les sociétés de répartition puissent répartir selon l'audience. C'est fondamental, notamment pour ceux qui, comme moi, ont critiqué la licence globale. C'est un des points faibles de la licence globale. La répartition selon l'audience, selon le succès, doit permettre l'émergence de jeunes talents. Elle doit permettre l'équité.
Notre amendement ne dit qu'une chose : il faut que les utilisateurs – radios, sites de type deezer, sites en streaming – fournissent aux sociétés de répartition une information précise sur l'audience. C'est quand même le minimum syndical !
Nous sommes au pied du mur. Oui ou non, voulons-nous faire la place aux sites en streaming ? Ce débat commence. Je vous assure, mes chers collègues, que beaucoup de monde nous regarde. Il faut que nous nous retrouvions consensuellement. Il n'y aucun débat droite-gauche sur ce problème. Voulons-nous, oui ou non, ouvrir la voie aux sites en streaming ? C'est la brique numéro un. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur quelques bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l'amendement n° 413 .
La rémunération des oeuvres prévue aux articles L. 214-1 à L. 214-5 du code de la propriété intellectuelle ne permet pas à certains ayants droit de se faire rémunérer pour l'usage global de leurs oeuvres, dès lors que celles-ci sont diffusées sous forme de licence, de rémunération proportionnée ou de forfait. Dans les faits, c'est l'organisme collecteur qui a la charge de la redistribution des sommes aux ayants droit, au prorata des passages radio, sur la base d'une information qui se révèle lacunaire à l'heure actuelle.
L'amendement que nous vous soumettons a donc pour ambition de pallier cette carence d'information en obligeant les utilisateurs à fournir aux organismes collecteurs les statistiques précises des titres diffusés, afin que la répartition des rémunérations soit réellement représentative de l'audience que cumulent les oeuvres.
Sans résoudre le problème abyssal de la disproportion entre la rémunération des artistes et la part du lion que se taillent la SACEM, le CNC et les majors sur les recettes générées par les biens culturels qu'ils gèrent, une telle mesure va dans le sens d'une plus grande équité de la rémunération des artistes, et d'une plus grande transparence.
Nous touchons là au coeur du problème. Vous nous avez dit, vous appuyant sur la liste des dix mille, que nous ignorions la demande des créateurs, des auteurs. Nous, nous vous disons qu'il y a une solution. Même si vous êtes encore récente dans le champ, madame Albanel, vous savez bien que l'on juge les hommes et les femmes politiques, non pas à ce qu'ils disent, mais à ce qu'ils font. Aujourd'hui, vous avez l'occasion de poser un acte en donnant le feu vert à notre amendement. Nous verrons si vos affirmations sont vérifiées par la position que vous allez prendre sur notre amendement. Nous faisons la loi, nous pouvons délibérer tout de suite et rendre une plus grande justice, au bénéfice des créateurs.
Je comprends, madame la ministre, que votre souffleur vous empêche de m'écouter. Je sais que vous avez des talents pour la stéréophonie. Néanmoins, je préférerais que vous m'écoutiez, moi, qui ai la légitimité du suffrage universel, plutôt que votre collaborateur qui vous souffle la réponse, ou M. Lefebvre, qui ne fait pas confiance à votre collaborateur, parce qu'il dispose, lui, de la partition récemment écrite.
Je disais seulement que vous, vous êtes plutôt en mono qu'en stéréo, monsieur Brard !
Je vous remercie, monsieur le président, pour votre sens de l'équité. Vous n'hésitez pas à tancer quelqu'un de l'UMP, qui est d'ailleurs plus le porte-voix du Président de la République que membre de l'UMP. Mais c'est un autre débat !
Madame la ministre, nous tenons beaucoup à ces amendements, puisqu'il ne s'agit pas seulement du nôtre : plusieurs disent la même chose. Vous voyez bien que c'est l'un des noeuds de ce projet de loi. Allez-vous le dénouer, ou allez-vous serrer la corde au cou des créateurs ?
Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que les auteurs, les artistes interprètes, sont cessionnaires de leurs droits à d'autres acteurs – les producteurs, les éditeurs –, et ce dans le cadre de relations contractuelles. Les rémunérations qui découlent de la négociation entre ces différents acteurs sont plus ou moins abondées, en fonction de la diffusion des oeuvres. On ne peut pas remettre en question, avec les systèmes proposés par ces amendements, ce fondement que sont les négociations entre les auteurs, les compositeurs, les artistes et les producteurs.
Ce sont comme des négociations qui se tiendraient entre les patrons et les chômeurs !
Ce projet de loi ne vise pas, effectivement, à remettre à plat les répartitions de revenus entre différents ayants droit. Il a pour vocation de développer les offres légales, de lutter contre le téléchargement illégal, pour que les revenus globaux issus des offres légales se développent.
Je rejoins la proposition de Christine Albanel sur la nécessité, dans le cadre des travaux de la future commission culturelle, de regarder de très près, dans l'avenir,…
…la répartition du « gâteau » entre ayants droit. Mais ne nous trompons pas quant aux objectifs de ce projet de loi. Il vise avant tout à développer l'offre légale et à lutter contre le téléchargement illégal.
Dans le prolongement de ce que vient de dire notre rapporteur, je rappelle que nous ne sommes pas, en France, dans une économie administrée. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Nous sommes dans une économie libérale.
Mais justement ! C'est la transparence du marché que vous devriez défendre !
Mais pas du tout ! On ne peut pas, dans une loi, s'immiscer dans des accords qui sont conclus entre les personnes. Ce serait extrêmement dangereux. Dieu sait si je défends les artistes, …
…mais vous savez fort bien, monsieur Bloche, que chaque contrat entre artiste et producteur est fonction des modes de diffusion et du travail d'investissement du producteur. Vous ne pouvez pas rayer ce contrat d'un trait de plume. Ou alors, il faudrait le faire cas par cas et, dans ce cas, vous alourdissez les charges au détriment des artistes.
Je veux rappeler que l'obligation de fournir les relevés d'utilisation des oeuvres est déjà prévue à l'article L. 214-3 du code de la propriété intellectuelle.
Par ailleurs, cette obligation est systématiquement rappelée, et surtout précisée, voire assortie de contreparties, dans les décisions de la commission chargée de fixer le barème de ce qu'on appelle la rémunération équitable, décisions qui ont valeur réglementaire.
Je précise, s'agissant de cette rémunération équitable payée par les radios, que nous avons fait en sorte qu'elle augmente, en trois ans, de 38 % au profit des artistes, soit une augmentation de 9 millions d'euros. C'est dire les preuves d'amour que je ne cesse de donner aux artistes ! Cela répond à la préoccupation de Jean-Pierre Brard. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
En défendant cet amendement, je voudrais défendre en même temps le précédent, puisque leur inspiration est la même. Tout à l'heure, j'ai eu le sentiment que le vote avait été un peu forcé. En tout cas, tout cela a été fait un peu à la hussarde.
Vous souhaitez développer ce que vous appelez l'offre légale. Je n'aime pas ce terme, qui ajoute à la confusion. Parlons d'offre commerciale. Vous souhaitez développer l'offre commerciale, et nous n'y sommes bien sûr pas opposés. C'est une manière – ce n'est pas la seule – de permettre la rémunération des artistes, qui est absolument indispensable. Il n'y a que M. Lefebvre pour feindre de croire que, dans cet hémicycle, il y a ceux qui veulent rémunérer les artistes et ceux qui veulent les appauvrir.
Cet amendement est un amendement de principe. On l'a dit tout à l'heure au sujet des disques ou des fichiers musicaux achetés en ligne, on peut aussi le dire au sujet de la radio, il est souhaitable d'aller dans le sens de la transparence de la rémunération de chacun des acteurs de la chaîne, en particulier les créateurs.
Par rapport à ce que contient ce projet de loi, le dispositif que nous proposons est extrêmement simple à mettre en place, madame Marland-Militello. Les dispositions que nous allons examiner un peu plus tard vont coûter environ 80 millions d'euros par an : un peu au budget de Mme Albanel, et beaucoup aux fournisseurs d'accès. Avec cet amendement, on n'est pas du tout dans cet ordre de grandeur. Ce qui est proposé ici est très réaliste et correspond à une conception du marché qui doit permettre d'afficher la transparence des rémunérations. C'est une vision très walrasienne du marché, madame Marland-Militello. Vous, qui êtes très libérale, auriez dû au contraire applaudir à cet amendement.
Madame la ministre, vous allez avoir un très gros problème de crédibilité si vous refusez tous les amendements qui permettent de rompre avec l'opacité des systèmes de rémunération des auteurs et des artistes. C'était vrai pour l'amendement précédent et c'est également vrai pour celui-ci. Vous ne voulez pas le soutenir, mais vous aurez de plus en plus de mal à prétendre vouloir sincèrement défendre les droits d'auteur et les rémunérations des artistes, puisqu'on ne peut même pas les afficher.
Madame la ministre, vous avez fait tout à l'heure une référence à mon intervention, et montré votre affection pour les artistes par une preuve d'amour chiffrée à 9 millions d'euros. Ce n'est quand même pas cher comparé au paquet fiscal : 14 milliards, ça c'est de l'amour vrai ! (Rires.) Vous n'êtes pas prête à acheter les créateurs, puisque vous leur donnez trois fois rien.
Nous, nous proposons un partage équitable : que ceux qui se sont donné, en fin de compte, seulement la peine d'accumuler de l'argent pour l'investir après partagent plus les bénéfices retirés avec ceux qui sont la véritable source, c'est-à-dire l'intelligence, la création. Ceux-là, vous n'augmentez leur part qu'à un niveau de 9 millions, une aumône quand notre proposition va beaucoup plus loin en reconnaissant le talent et en rémunérant l'intelligence. Vous ne voulez pas l'entendre, car vous n'êtes pas dans le champ de la rémunération de l'intelligence ; vous êtes dans celui de la rémunération du capital investi. Nous ne sommes pas du tout au même endroit – nous sommes plus proches de l'Académie et vous de la Bourse –, et nous n'avons pas les mêmes choix. C'est tout !
(L'amendement n° 441 n'est pas adopté.)
(Les amendements identiques nos 202 rectifié et 413 ne sont pas adoptés.)
Je suis saisi d'un amendement n° 444 .
La parole est à M. Patrick Bloche.
Cet amendement est essentiel pour le groupe SRC, et sans doute aussi pour le groupe GDR que je me permets d'associer. Il est fondateur en ce sens que nous souhaitons adapter le droit d'auteur à l'ère numérique.
Depuis plus de deux siècles, depuis Beaumarchais, le droit d'auteur a été confronté à des défis technologiques qu'il a toujours su surmonter. Aujourd'hui, il s'agit de faire émerger un nouveau modèle économique, de mettre en place de nouveaux modes de rémunération pour les créateurs, auteurs, artistes, interprètes, ainsi que les titulaires de droits voisins.
Depuis la loi DADVSI, nous avons eu trois ans pour y travailler. L'occasion nous est offerte de proposer à notre assemblée d'ouvrir le débat sur une licence collective étendue, que nous appelons contribution créative. Celle-ci s'adressera, après négociation, car il ne s'agit pas de l'instituer dès l'adoption de la loi, à tous les acteurs concernés. Elle n'est pas limitative, comme le furent les accords de l'Élysée de novembre 2007, et prendra en compte non seulement les organisations professionnelles du secteur, les sociétés de perception et de répartition de droits, mais aussi les associations de consommateurs, les grands oubliés de ces accords.
Le dispositif permettra, contrairement à votre projet de loi, d'assurer une nouvelle rémunération pour les auteurs et les artistes. Il consiste en une contribution forfaitaire que paieront les abonnés à Internet, en contrepartie de laquelle ils pourront échanger entre eux, sans but de profit – nous ne visons que des échanges non lucratifs –, des oeuvres numériques phonographiques. Ce dernier point est précisé pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, car nous avons conscience de la chronologie des médias et du fait que le mode de financement du cinéma et des productions audiovisuelles dans notre pays demande du temps. Alors que votre projet de loi n'amènera pas un euro de plus pour les créateurs, nous souhaitons trouver le moyen de dégager plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de millions d'euros pour financer la création.
J'entends déjà vos remarques. Nous voudrions que vous perdiez ce réflexe, quelque peu sectaire et empreint de je ne sais quelle idéologie, d'écarter d'emblée, comme nous l'avions déjà constaté lors du débat sur la licence globale, la contribution créative. Renoncez à dire Vade retro Satanas et à refuser le débat. Car il y a débat ! Depuis trois ans et la loi DADVSI, en effet, les internautes n'ont pas fondamentalement changé leurs usages, et la création n'a pas profité d'une rémunération nouvelle, pourtant nécessaire à la production des oeuvres.
Dans ce débat, nous posons et respectons les fondamentaux du droit d'auteur, qui est un droit moral d'autoriser la diffusion de ses oeuvres sur Internet, et un droit patrimonial à une juste rémunération. Il ne s'agit pas d'enrôler les artistes, de les contraindre. Tout artiste qui ne souhaitera pas autoriser la diffusion de ses oeuvres et entrer dans le dispositif de la contribution créative pourra le refuser. Dès lors, il ne pourra naturellement prétendre à sa part de la contribution créative.
J'en termine, monsieur le président.
Nous entendons également souvent que la contribution créative sera une rémunération impossible à répartir et qu'elle est injuste, car tous les internautes la paieront, y compris ceux qui ne téléchargent pas. Permettez-moi de répondre à ces deux observations en évoquant la grande loi de 1985, votée à l'unanimité dans cette assemblée, qui a créé la rémunération pour copie privée. Cette dernière est basée sur une taxation uniforme des supports physiques, qui se sont élargis depuis.
Tout consommateur s'acquitte de cette taxe en achetant un support physique, quel que soit l'usage qu'il en fasse, qu'il copie ou pas des oeuvres culturelles sonores ou audiovisuelles.
Monsieur le président, cet amendement est essentiel pour nous. Il répond au faux procès qui nous est fait de ne pas aimer les artistes et de ne pas penser au financement de la création. Or c'est une obsession pour nous, d'où notre amendement.
J'en termine, parce que je suis soucieux du règlement et du bon fonctionnement de l'Assemblée nationale, en expliquant que, de la même façon qu'on répartit la rémunération pour copie privée ou le produit de la licence sur les radios, il faudra mettre en place des commissions de répartition. Il existe bien une commission de la copie privée pour assurer une juste répartition. Nous sommes persuadés que la contribution créative permettra de mieux rémunérer les auteurs et les artistes que les offres commerciales actuellement existantes dans lesquelles nous savons bien qu'ils ne trouvent pas leur compte.
Cette contribution créative n'est ni plus ni moins que la licence globale. (« Non ! sur les bancs du groupe SRC.)
Nous en avons déjà discuté, et cette contribution créative est rejetée par la quasi-totalité des ayants droit et des artistes.
Vous-même y avez fait allusion pour vous en défendre, mais il s'agit bien d'une vente forcée, puisque vous imposez aux internautes de payer un forfait pour avoir un accès quasi illimité à tout le patrimoine musical ou cinématographique sur Internet. Cela signifie que tous les revenus liés aux offres légales aujourd'hui mises à la disposition des internautes tomberaient automatiquement. Pourquoi ces derniers paieraient-ils la contribution créative plus un autre dispositif ou abonnement pour télécharger et avoir accès en streaming à des titres ou des films ? Cela casserait tout le dispositif que nous voulons mettre en place, qui consiste précisément à faire en sorte qu'il y ait un foisonnement d'offres légales dans notre pays sur Internet pour la consommation de biens culturels, que des start-up du net, en collaboration avec les sociétés culturelles, puissent proposer des services de plus en plus innovants contre une rémunération variable en fonction des besoins des consommateurs. L'espèce de vente forcée valable pour tout le monde que vous proposez casserait tout ce système. C'est bien une différence de conception majeure entre nous, et c'est ce qui rend ce débat, engagé il y a trois ans, très intéressant.
La taxe sur la copie privée que vous avez évoquée ne sert précisément qu'au financement de la copie privée. Nous parlons ici du financement du téléchargement ou de la consommation à la source du titre ou du film, qui est le contraire de la copie privée. Nous n'interdisons pas cette dernière puisque, dès lors qu'on a acquis un titre ou un film, il est logique qu'on puisse le copier au titre de l'exception pour copie privée. C'est ce que couvre partiellement la taxe.
Ce que vous proposez casserait tout le dispositif que nous voulons mettre en place et développer, à savoir une offre légale multiple rémunératrice pour les ayants droit.
J'ajoute un élément qui me paraît important : pour pouvoir rémunérer à leur juste prix et de façon équitable les artistes, la contribution créative devrait être très élevée. Tous nous le disent.
Quel est ce discours sectaire ? Que veut dire « tous les artistes » ? Et ceux qui mettent librement leurs oeuvres sur Internet ?
Cela augmenterait de façon considérable l'abonnement. Vous avez vous-même indiqué dans un article que ce n'était pas applicable pour le cinéma.
Comme viennent de le souligner les rapporteurs, c'est en effet le retour de la licence globale, dont M. Dionis du Séjour a bien expliqué pourquoi elle était tout à fait inadéquate.
Il est étrange de la voir revenir sans n'avoir rien changé aux problèmes qu'elle soulève : problème juridique, puisqu'elle est inconciliable avec les engagements internationaux de la France, notamment les grandes conventions sur les droits d'auteur ;…
…problème pratique, puisqu'on est dans l'incertitude sur le montant de la licence et sur le mode de répartition entre les ayants droit,…
…ce qui explique qu'elle est rejetée par les artistes ; problème d'équité, car on fait payer tous les abonnés à Internet alors que moins de 40 % d'entre eux téléchargent les oeuvres.
Cela n'a rien à voir monsieur Bloche ! La copie privée, c'est une exception, puisqu'il est impossible, par définition, de calculer ce qui se fait.
Il y a encore un problème de désincitation des artistes, puisque l'on commence à les exproprier de leurs droits et que le système est entièrement fondé sur la privation des droits.
En outre, pourquoi restreindre le dispositif à la musique et considérer qu'on peut exproprier les créateurs et entreprises de musique, mais que l'on doit respecter les droits du cinéma et de l'audiovisuel ?
Ce n'est une solution ni pour les créateurs ni pour les consommateurs. Cette proposition est extrêmement datée, car le monde a changé et l'offre légale est aujourd'hui considérable.
Nous avons évoqué Deezer, il y a quelques instants. Des quantités de modèles différents sont en cours d'installation, les systèmes forfaitaires par exemple. Ces systèmes ne se développeront que si nous n'avons pas de dispositif du type licence globale qui tuerait les initiatives, en dehors de tous les autres reproches que l'on peut faire. Avis très défavorable.
Dans trois ans, vous verrez, tout le monde demandera la contribution créative !
Nous revenons, c'est vrai, sur un débat que nous avons déjà eu en 2005. La loi DADVSI a échoué. Il est donc légitime que l'on rouvre le débat. Où en est-on ? En trois ans, les critiques de fond sur la licence globale ont-elles évolué ?
Premièrement, on disait en 2005 que c'était une fiscalisation touchant tous les abonnés à Internet. Cela reste le cas, si j'ai bien compris, puisqu'il est indiqué dans l'amendement : « en contrepartie du paiement d'une contribution forfaitaire par les abonnés à un service de communication au public en ligne… » Or, il y a aujourd'hui 37 % de gens qui téléchargent, contre 63 % qui ne téléchargent pas. Je ne dis pas que, dans dix ans, ce ne sera pas le système retenu, mais, aujourd'hui, il faut considérer ces proportions. Elles fondent une partie de notre refus, puisque 63 % des personnes ne font que rechercher des informations sur Internet ou se servent uniquement de la messagerie. Il ne serait pas juste de leur imposer de payer cinq ou six euros par mois. Cette critique est encore valable aujourd'hui.
Deuxièmement, comment sera calculée la répartition ? Sur quelles statistiques ? Selon quelle fréquence ? Nous avions défendu le même amendement de transparence par rapport au trafic, à l'audience. Le moins que l'on puisse dire – je vous rejoins sur ce point – c'est que ce n'est ni facile ni bétonné.
Troisièmement, Mme la ministre a raison lorsqu'elle dit que, juridiquement, nous sommes sur une spoliation des droits d'auteurs L'auteur a un droit sacré : la maîtrise des modalités de commercialisation de son oeuvre.
Ces trois critiques expliquent que nous ne puissions soutenir cet amendement.
On a parlé de la radio, mais ce n'est pas la même chose. Il s'agit d'un média gratuit, financé par la publicité, où le mode juridique, que je vais soutenir, est la licence collective étendue. Nous ne sommes pas du tout sur le système de la taxation de cinq ou six euros par mois pour chaque internaute.
Voilà pourquoi le groupe Nouveau Centre maintient son opposition, qu'il avait déjà exprimée clairement en 2005, à la licence globale.
Le débat est intéressant. J'ai l'impression que ni Mme la ministre ni notre collègue Dionis du Séjour n'ont lu l'amendement ou écouté sa défense.
L'amendement propose un rapport, c'est-à-dire une étude sur la question. On nous avait vendu la loi DADVSI qui devait tout résoudre – elle n'a rien résolu – ; un rapport devait être remis dans les dix-huit mois au Parlement, mais nous ne l'avons jamais vu.
Aujourd'hui, nous légiférons sur un nouveau texte sans réelle étude d'impact préalable puisque les seules études dont nous disposons sont celles réalisées par les sociétés intéressées au sujet. Avec la réforme de notre fonctionnement, les études d'impact devraient être obligatoires. Il serait donc intéressant d'en disposer.
Ensuite, les propositions de nos collègues socialistes ont évolué. Avant, ils prônaient la licence globale facultative pour les internautes. Tous les auteurs étaient concernés et les internautes payaient ou non. Je pensais que cela ne pouvait pas marcher. Nos collègues nous proposent aujourd'hui une contribution créative des auteurs volontaires. Les auteurs qui le souhaiteront participeront et pourront ainsi voir leurs oeuvres mises en ligne sur cette plateforme. Ceux qui ne le souhaiteront pas continueront à mettre leurs oeuvres à disposition sur des sites payants ou en streaming sur Deezer par exemple. Il n'y a donc pas de spoliation des auteurs. Chacun décidera de ce qu'il fera. Le seul débat qui subsiste, c'est la petite contribution supplémentaire que devront payer les internautes dans leur abonnement Internet.
On nous dit : ce n'est pas comme la copie privée. Moi, je ne télécharge pas de musique, je suis de la vieille école qui achète des CD. Nous sommes dépassés. Je fais partie de ces dinosaures qui achètent encore des CD et ne téléchargent pas !
J'achète des CD pour sauvegarder mon travail, pour l'Assemblée par exemple, ou pour des photos de vacances, comme tout un chacun. Je paye la redevance pour copie privée. Pourtant, je n'en fais pas ! Je pourrais donc m'interroger sur le bien-fondé de ce paiement.
Monsieur le rapporteur, vous n'étiez pas là au moment de l'examen de la loi DADVSI, mais certains de vos collègues du groupe UMP avaient proposé la suppression de la redevance pour copie privée, considérant qu'à partir du moment où l'on payait les téléchargements, il n'y avait plus de raison d'avoir une redevance pour copie privée. Et il s'en était fallu de peu que ce soit adopté par notre assemblée !
En ce qui concerne le montant payé, les internautes vont être obligés – c'est scandaleux, je le répète ! – d'installer sur leur ordinateur – PC ou Mac – des logiciels de sécurisation. On nous rétorque que rien ne dit qu'ils seront payants. Mais, comme par hasard, l'amendement que j'ai déposé au nom de mon groupe pour que ces logiciels soient gratuits a été rejeté.
Cela signifie bien que la possibilité qu'ils soient payants est ouverte.
Quand vous avez un logiciel, vous avez également des mises à jour. Si vous êtes encore dans le cadre de Microsoft et que vous avez Norton, vous payez, tous les ans, la mise à jour. Certes avec les logiciels libres, vous n'avez pas ce problème. C'est l'avantage. Mais comme beaucoup de nos concitoyens ne sont pas venus aux logiciels libres, ils paieront ces logiciels de sécurisation et leur mise à jour annuelle. Cela représentera bien un coût.
Qui prendra en charge les 70 millions que coûtera cette loi aux fournisseurs d'accès Internet ? Mme la ministre ne nous a pas répondu. Les fournisseurs d'accès n'ont pas l'air d'accord. Sera-ce le ministère sur son budget ? Les consommateurs ?
Si une partie est reportée sur les consommateurs, et que l'on ajoute le logiciel de sécurisation et les mises à jour, cela représentera une somme assez importante et, de notre point de vue, abusive. Je préfère donc la solution proposée par nos collègues socialistes, qui permettrait d'avoir accès à des oeuvres de la création culturelle française.
Nous sommes au coeur du débat. Depuis le début des années 2000, époque à laquelle le problème est apparu, des experts, des parlementaires, des professionnels réfléchissent à ces questions. Deux voies possibles ont été dégagées.
La première est celle dans laquelle s'obstinent le Gouvernement et sa majorité : la répression, le gendarme, la surveillance généralisée d'Internet. Il n'y a pas d'autres issues possibles car, si l'on choisit cette voie, on ne peut que se retrouver devant une surenchère de la surveillance.
La deuxième voie consiste à préférer une cotisation forfaitaire – quel que soit son nom – permettant de rémunérer les créateurs pour les échanges culturels sur le Net. C'est celle que nous avons choisie. Nous avions déjà défendu cette thèse il y a trois ans. Madame la ministre, je ne pense pas que la licence globale mérite tant d'opprobre. À l'époque, nous avions estimé que cinq euros par abonnement étaient nécessaires. Si nous avions été suivis, plus d'un milliard d'euros aurait été versé, chaque année, aux créateurs depuis 2006, alors qu'ils n'ont rien eu, pas un centime d'euros !
Nous avons poursuivi notre réflexion et sommes parvenus à une proposition plus aboutie que la licence globale que nous défendions en 2005 : il s'agit d'une forme de licence collective étendue qui relève du choix de l'auteur. Si une certaine sonnerie de téléphone était un fichier protégé, comment peut-on savoir si elle a bénéficié ou non de l'autorisation de l'auteur, si elle a donné lieu à une rémunération. Avec notre système, la question ne se poserait pas, puisqu'il y aurait, de toute façon, une rémunération.
La licence collective étendue repose sur le volontariat des auteurs qui pourront choisir de se retirer du système. Tous les internautes participeront bien sûr à ce financement et les critiques à cet égard sont parfaitement ridicules. Quand vous payez la redevance télévision, on ne vous demande pas de cocher la case de la chaîne regardée : France 2, France 3, TF1 ou M6. Vous payez la redevance ; un point c'est tout ! Comme l'a parfaitement dit Mme Billard, vous payez la redevance pour copie privée sur tous les supports numériques, qu'il s'agisse d'un CD vierge, d'une clef USB ou d'un lecteur MP 3. Vous ne le savez pas, car elle n'est pas identifiée, mais vous financez la redevance pour copie privée, au nom de la loi de 1985. C'est, semble-t-il, un principe juste. On a le droit de faire des copies privées – et non à usage lucratif – et cette rémunération permet de financer la création.
Quant à la répartition, monsieur Dionis du Séjour, arrêtez de nous prendre pour des idiots ! Vous nous proposez un système soviétique où on sera capable d'aller chercher le lycéen de Clermont-Ferrand qui télécharge un titre de MGMT dans sa chambre et vous nous dites que vous ne savez pas comment faire pour répartir le fruit d'une redevance globale. Soyons sérieux ! Si vous êtes capables de mettre l'ensemble du Net sous surveillance pour aller interpeller le lycéen de Clermont-Ferrand – les sociétés de répartition le font déjà pour la licence légale sur la radio et pour la redevance pour copie privée –, vous pouvez parfaitement identifier les ayants droit qui devraient bénéficier de cette répartition. Gardons en mémoire les chiffres. J'ai parlé tout à l'heure de cinq euros, ce qui représenterait environ un milliard et demi par an. Cela peut être inférieur. Deux euros représenteraient 400 millions d'euros. Ces montants sont à rapprocher du chiffre d'affaires de la musique d'aujourd'hui, qui est de l'ordre de 800 à 900 millions d'euros. Ce n'est pas anecdotique. Cela pourrait représenter la source centrale du financement de la création sur le Net. Aujourd'hui, c'est zéro centime. Nous proposons qu'il y ait enfin une rémunération pour les créateurs afin de préserver les libertés nouvelles que nous a données le progrès technologique.
(L'amendement n° 444 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 443 .
La parole est à M. Patrick Bloche.
Nous regrettons que le débat n'ait pu se poursuivre au-delà des interventions que nous venons d'entendre. Il reviendra – nous sommes prêts à prendre le pari en ce mois de mars 2009 – dans deux ou trois ans au maximum. Nous visons évidemment l'industrie musicale. Le Parlement sera amené à créer ce cadre de négociation. Certains des acteurs du secteur nous confient leur conviction que l'on en arrivera là. Donc rendez-vous dans deux ou trois ans pour voter à ce moment-là – espérons-le, à l'unanimité – la contribution créative. Nous aurons ainsi scellé l'échec du texte dont nous discutions actuellement.
Le cinéma français bénéficie de nombreuses aides publiques – c'est le rôle du CNC –, assorties d'un dispositif d'obligation pour les chaînes de télévision d'intervenir dans le financement de la production. Tel n'est pas le cas du secteur de la création musicale, fortement touché par la baisse de la vente de CD, et qui est entièrement dépendant du marché.
Le secteur de ce qui est communément appelé la chanson française, riche par sa grande diversité culturelle et où l'on ne compte plus les nouveaux talents, est un marqueur de notre identité culturelle, si ce n'est de notre identité nationale. C'est la raison pour laquelle notre amendement n° 443 propose la mise en oeuvre d'un fonds de soutien à la création musicale, qui viserait tout particulièrement les labels indépendants, ces petits producteurs que vous prétendez défendre par le biais de votre mauvaise loi, madame la ministre. Une concertation avec l'ensemble des acteurs de ce secteur devra être organisée et un rapport présenté au Parlement avant le 31 octobre 2009. Nous avons souhaité fixer une date qui ne soit pas trop lointaine, compte tenu de la crise que traverse ce secteur. Pour autant, nous ne souhaitons pas légiférer dans l'instant, mais souhaitons disposer d'un rapport sur la mise en oeuvre de ce fonds et sur ses modalités de financement.
Ce fonds ne se substituerait pas aux revenus issus de l'offre légale commerciale, mais compléterait les ressources financières de la création. Nous avons insisté, tout à l'heure, sur la nécessité de mener une réflexion au sein de notre Assemblée sur la répartition des revenus entre les différents ayants droit de la création musicale. Lorsque la nouvelle commission des affaires culturelles sera installée, elle devra, sans tarder, se pencher sur cette question.
Avis défavorable, donc.
Avis également défavorable. Le meilleur moyen de soutenir la création musicale est de réduire le piratage – ce qui est l'objet même de ce projet de loi. Voilà pour la première étape, mais je ne suis pas hostile au fait qu'une réflexion d'ensemble – englobant éventuellement l'audiovisuel, mais non pas focalisée uniquement sur une taxe sur les télécommunications – s'engage ultérieurement, afin d'étudier toutes les modalités permettant de soutenir au mieux les créateurs.
Il ne pourra pas être dit que nous n'avons pas tenté d'engager un vrai débat sur le financement de la création à l'ère numérique !
À l'automne dernier, nous avons assisté à un véritable détournement – le mot est faible – avec l'instauration d'une taxe sur le chiffre d'affaires des fournisseurs d'accès et des opérateurs de télécommunications, taxe qui, en toute logique, aurait dû bénéficier au financement de la création : il aurait été normal que les propriétaires des tuyaux redistribuent de l'argent aux créateurs de contenus, contenus qu'ils ont été bien heureux de trouver et sans lesquels ils n'auraient jamais pu se développer.
L'idée qu'Internet finance la création et la culture est une idée forte. Depuis vingt-cinq ans, le cinéma est en partie financé, en France, par les chaînes de télévision.
Nous regrettons que l'article 40 nous ait été opposé, nous empêchant de développer toute la palette de possibilités qui d'ores et déjà s'ouvrent à nous. L'inconvénient majeur de vos réponses, madame la ministre, monsieur le rapporteur, c'est que vous repoussez toutes nos propositions à plus tard, exactement comme vous l'aviez fait il y a trois ans, lors de l'examen de la loi DADVSI, en prenant le pari que vos dispositifs répressifs bouleverseront les usages des internautes et que, de ce fait, les offres légales démarreront !
C'est la raison pour laquelle nous considérons que ce nouveau projet de loi est un pari perdu d'avance ! Didier Mathus a rappelé, à juste titre, qu'un milliard d'euros a été perdu pour la création ces trois dernières années parce que vous n'avez pas souhaité, en 2005, instaurer un nouveau mode de rémunération de la création.
Vous refusez notre amendement n° 443 , à l'instar de la contribution créative et d'un autre amendement qui n'a pas franchi l'obstacle de l'article 40. Pourtant, notre proposition aurait permis que la taxe sur le chiffre d'affaires des fournisseurs d'accès et des opérateurs de télécommunications, qui a été votée par la majorité de cette assemblée à l'automne dernier, aille directement à la création au lieu de compenser le manque à gagner publicitaire de France Télévisions. Nos concitoyens apprécieront ! En tout état de cause, ils seront en mesure de savoir où se trouvent les défenseurs des artistes à l'ère numérique : c'est, à n'en pas douter, dans les rangs de l'opposition !
Je partage à 150 % les propos de Patrick Bloche. Nous avons, en effet, perdu beaucoup de temps et d'argent, lequel aurait dû profiter à la création.
Pour que notre débat n'ait pas été inutile – après quoi vous voterez, mes chers collègues, comme vous l'entendrez –, je souhaite interroger le rapporteur sur la philosophie qu'il défend avec tant de véhémence, mais qui n'est guère convaincante.
Je reviens un instant sur les modèles économiques qui sont en train d'émerger. Il y a deux ou trois ans, on a vu apparaître iTunes, modèle de vente à l'acte prenant appui sur des outils très ergonomiques comme Apple sait les mettre en place, et avec des prix très élevés – comparés au prix du disque – liés sans doute aux frais de marketing et de publicité, ce qui a pour conséquence qu'un morceau de musique sur iTunes ou un CD est à peu près au même prix.
Autre modèle qui se développe : le streaming avec accès gratuit, légal selon Mme Albanel.
Il a l'accord des éditeurs !
Or, il s'agit de millions de titres accessibles à tout instant, et qu'il n'est pas besoin de télécharger. Vous conviendrez tout de même qu'entre un baladeur numérique qui télécharge sur iTunes et le streaming en temps réel, il n'y a pas de différence radicale.
J'aimerais, au contraire, que nous en parlions.
Le streaming permet d'avoir un accès gratuit à des milliers de titres sans qu'il soit nécessaire de les télécharger. En quoi le streaming, qui est en train de faire baisser le téléchargement – beaucoup plus que la loi DADVSI ou le projet de loi actuel –, est-il aujourd'hui freiné par le téléchargement ? Vous prétendez, en proposant de bloquer le téléchargement – que vous appelez piratage –, contribuer au développement du streaming. Mais que je sache, il ne l'a pas freiné ! C'est gratuit dans les deux cas, mais, dans le cas du streaming, il y a de la publicité et les artistes sont rémunérés. Laissons-le donc se développer : le piratage ne le bloque nullement !
Ce qu'on peut se demander, justement, c'est en quoi votre loi permettra au streaming de se développer davantage demain.
Si le streaming se développait à côté d'un univers de gratuité, les artistes devraient vous appeler au secours. Car le streaming, tout en étant légal, n'est pas très rémunérateur.
Nous serons le seul pays au monde où la filière musicale fera une croix sur 400 millions d'euros par an ! Ce dossier ayant été insuffisamment explicité, le débat nous donne l'occasion d'y réfléchir. Peut-on avoir le beurre et l'argent du beurre ? Certainement : on peut concilier publicité, achat à l'acte et contribution créative.
Il y a une différence radicale entre le téléchargement illégal et le streaming !
Pour la consultation en streaming, des accords ont été passés avec les sociétés d'auteurs.
Les auteurs sont rémunérés en fonction du nombre de morceaux de musique écoutés. On peut donc affirmer que les droits sont reconnus.
Qu'importe : les auteurs sont rémunérés ! Notre objectif est de mettre en place des modèles diversifiés – nous ne sommes pas sectaires – tenant compte des ayants droit.
J'indique que les sites de streaming fonctionnent avec de la publicité ; les publicitaires iront d'autant plus volontiers sur ces sites qu'il y aura moins de piratage et donc une moindre dilution de la ressource.
Dans la mesure où la publicité sera plus importante, ces sites seront confortés. Rien que de logique dans cette démarche, monsieur Paul !
Quant à la réforme de l'audiovisuel public, monsieur Bloche, elle est plébiscitée par tous les Français. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Cette grande réforme n'a pas fini de montrer ses effets : nouveaux horaires, programmes plus culturels, satisfaction accrue du public.
Ce sont les chaînes historiques qui ont perdu un peu d'audience, vous le savez fort bien. Quant à l'indice de satisfaction, il est considérable. Bref, cela a valu la peine de trouver des financements pour faire cette réforme !
Vous entretenez volontairement l'ambiguïté et la confusion, chers collègues. Jamais il n'a été question de renoncer à la gratuité ni de l'interdire. Nous voulons seulement interdire le téléchargement illégal.
Je croyais avoir entendu quelqu'un dire : « La gratuité, c'est le vol » ! (Sourires.)
À partir du moment où les auteurs sont rémunérés, que ce soit par la publicité ou par d'autres moyens, ils ont fait un choix et cela ne pose aucun problème. De grâce, cessez de répéter que nous sommes contre la gratuité ! Nous sommes contre l'illégalité et l'impossibilité pour les auteurs d'exercer leurs choix. C'est tout à fait différent !
N'entretenez pas la confusion, c'est de la malhonnêteté intellectuelle ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
(L'amendement n° 443 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 439 .
La parole est à M. Didier Mathus.
Avec cet amendement qui s'apparente au précédent, nous sommes toujours au coeur du sujet. Nous ne disposons pas d'une multitude de choix pour répondre à l'évolution technologique. Nous sommes le seul pays au monde à opter pour la criminalisation de toute une génération. Que nous soyons les seuls à nous engager dans cette voie devrait vous interpeller et vous conduire à regarder ce qui se passe ailleurs, en Europe et au-delà.
Cette voie qui, à un moment, avait été envisagée dans d'autres pays – car tout le monde tâtonne et cherche –, a été abandonnée.
Pas du tout !
Sauf la France et peut-être l'Irlande, soit deux pays en tout et pour tout !
Mieux vaut être deux que tout seul, me direz-vous ; mais cela n'est pas brillant. Si tous les pays démocratiques ont renoncé à cette éventualité, c'est bien parce qu'ils ont quelques raisons de le faire. Ces raisons ont été formulées de manière assez convaincante dans plusieurs textes émanant de l'Union européenne, qu'il s'agisse des observations de la Commission ou du récent rapport sur l'éducation, sans parler de l'amendement Bono, redéposé, si je ne me trompe, sous le numéro 43. S'y ajoutent les observations de la CNIL et d'autres organismes attachés aux libertés fondamentales, qui vous mettent en garde contre la faute grave que vous vous apprêtez à commettre envers ces dernières.
Je le répète, il n'y a que deux solutions. La première est la pénalisation, qui suppose de mettre en place un appareil policier considérable pour surveiller Internet. Les frais de fonctionnement de l'HADOPI sont ainsi estimés à plusieurs millions d'euros. En pleine crise, est-ce le moment de dépenser autant d'argent pour financer une police du Net composée d'agents assermentés qui viendront vérifier à domicile les disques durs ? Croyez-vous vraiment que la situation économique et sociale de notre pays soit propice à ce genre d'exercice ? Il me semble que ce n'est pas le cas et que l'argent public pourrait être mieux employé.
La solution que nous proposons, notamment en demandant, par cet amendement, que les autres moyens de financement d'internet fassent l'objet d'un rapport, permettrait d'échapper à cette difficulté. La société a droit au progrès technique et technologique.
Lorsque l'on peut profiter d'une avancée qui contribue au bien-être collectif, il faut se demander comment consolider cet acquis d'un point de vue économique. Telle est la véritable question que nous tentons de soulever, et à laquelle nous nous efforçons de répondre par la licence collective étendue. Celle-ci, je le répète, est fondée sur le volontariat, et son application ne pose aucun problème technique ; elle aurait le grand avantage de préserver le bien-être acquis.
Enfin, s'agissant de l'audiovisuel, soyez modeste, madame la ministre : aujourd'hui, France Télévisions perd de l'audience ; si c'est là ce que vous appelez un grand succès, voilà qui est pour le moins saugrenu ! La vérité, la voici : les créateurs, les auteurs, se sont fait piquer la caisse par M. Sarkozy (« Eh oui ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR) qui, pour financer son rêve – faire plaisir à M. Bouygues –, a inventé la suppression de la publicité sur les chaînes de télévision publiques et a dû préempter la recette issue de la taxation des FAI.
Ce détournement de fonds, ce racket au bénéfice du club du Fouquet's (Protestations sur les bancs du groupe UMP), est regrettable : cette recette, qui représente tout de même beaucoup d'argent, aurait été mieux employée pour financer la création sur Internet.
M. Mathus l'a dit, cet amendement est très proche du précédent. Je suggère donc, comme pour ce dernier, que la commission des affaires culturelles qui sera créée très bientôt se penche sans tarder sur la question.
Défavorable. S'agissant des dispositifs que propose le projet de loi, je signale que beaucoup d'autres pays, qui recherchent eux aussi une solution au problème, optent pour la suspension. Je songe aux États-Unis, à l'Irlande ou à la Nouvelle-Zélande, qui a voté cette mesure mais souhaite, avant de l'appliquer, que soient conclus des accords interprofessionnels, analogues aux accords de l'Élysée que nous avons pour notre part déjà obtenus ! (Rires sur les bancs du groupe SRC.)
Cet exemple montre combien nous sommes précurseurs. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur Bloche, monsieur Mathus, vous êtes-vous demandé pourquoi aucun pays ne choisit la licence globale – la fameuse contribution créative que vous appelez de vos voeux ?
Cela montre qu'elle est inefficace et contraire à des principes essentiels. Demandez-vous pourquoi le monde de la création est à nos côtés…
Dans les secteurs du cinéma ou de la musique, petits et grands, à quelque génération qu'ils appartiennent, sont avec nous. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Les dix mille pétitionnaires le prouvent s'il en était besoin, et, partout où vous irez, vous en serez immédiatement persuadés. Interrogez-vous sur cette réalité, qui vous gêne énormément.
Madame la ministre, je vais être un peu familier : arrêtez votre cinéma !
Oh la la, monsieur Bloche ! Quelle honte !
Nous aimons les artistes et nous les connaissons. Nous en rencontrons beaucoup, dont la rémunération quotidienne n'est pas nécessairement liée à la diffusion de leurs oeuvres sur support physique ou sous forme dématérialisée. Les artistes, en France, appartiennent d'abord au spectacle vivant ; ce sont d'ailleurs eux qui représentent le plus grand nombre d'emplois culturels, bien plus que ceux que concerne le projet de loi. Madame la ministre, nous rencontrons ces artistes tous les jours.
Moi aussi !
Si vous saviez ce qu'ils nous disent de votre politique, du désengagement scandaleux de l'État, dont les budgets, qui annulent ou gèlent continuellement les crédits, incitent à se demander si, l'année de son cinquantenaire, le ministère de la culture existe encore !
C'est faux !
Heureusement que le financement public de la culture est assuré aux deux tiers par les collectivités territoriales : sans elles, il aurait aujourd'hui entièrement disparu ! C'est aussi cela, l'exception culturelle, notre diversité culturelle, notre identité culturelle.
Dans notre débat, n'oublions pas ces artistes au profit des autres,…
…même s'ils ne bénéficient pas de la même exposition médiatique. Remarquez ainsi la hiérarchie dont atteste l'appel des fameux dix mille artistes : on a établi une short list des plus connus, pour impressionner je ne sais qui – peine perdue pour les députés de l'opposition, en tout cas !
Madame la ministre, puisque, par définition, ces derniers ne disposent pas de la majorité leur permettant de faire adopter leurs idées,…
…ils tentent simplement d'énoncer quelques évidences. Depuis des années – je songe au débat sur la loi DADVSI –, nous n'avons de cesse de trouver de nouveaux modes de rémunération de la création. En la matière, comme l'a dit à juste titre Didier Mathus, la réforme de l'audiovisuel survenue à l'automne a procédé à un véritable détournement de fonds. Dès lors que l'on taxait, pour la première fois en France, les fournisseurs d'accès et les opérateurs de télécommunications, le produit de cette taxe devait aller à la création. Vous savez fort bien, madame la ministre, que tous les producteurs audiovisuels, qu'ils s'occupent de fiction télévisée ou de documentaires, nourrissent aujourd'hui les plus vives inquiétudes lorsqu'ils s'adressent aux chaînes de télévision, qu'elles soient privées ou publiques : les carnets de commandes se vident, les délais de décision s'allongent. Nous voulions aussi nous faire l'écho dans l'hémicycle de l'inquiétude de ces créateurs.
Un dernier mot : lorsque vous affirmez que la France n'est pas le seul pays à envisager la riposte graduée, vous proférez une contre-vérité flagrante. S'agissant de la Nouvelle-Zélande, vous étiez si sûre de votre fait que vous avez cité cet exemple lors de votre audition devant les commissions des lois et des affaires culturelles. Malheureusement, vous anticipiez fort imprudemment sur une application prévue pour le 28 février, et que le Premier ministre néo-zélandais, insensible à votre détresse,… (Mme la ministre éclate de rire.)
Ma détresse ?
…a suspendue – par prudence, et non pour procéder à des négociations analogues aux accords de l'Élysée, en présélectionnant ses invités.
Sans aller jusqu'en Nouvelle-Zélande, prenons l'Angleterre…
…ou l'Allemagne : je l'ai rappelé en défendant l'exception d'irrecevabilité, ces pays proches de nous se refusent à imiter la solution française,…
…la ministre allemande de la justice allant jusqu'à déclarer qu'une fois les premières suspensions d'abonnement appliquées en France,…
Cette fois, madame Albanel, vous poussez le bouchon un peu loin. Jusqu'à présent, vous étiez restée assez raisonnable dans votre aveuglement ; mais vous ne manquez pas d'audace lorsque vous affirmez que les Français approuvent la loi sur l'audiovisuel. (Rires sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Votre manière de poser la question induit la réponse. Vous demandez aux Français si la disparition de la publicité sur les chaînes publiques est une bonne chose.
Or, les auditeurs et les téléspectateurs préfèrent naturellement ne pas être perturbés par la publicité. Vous auriez pu poser la question autrement : est-ce une bonne chose de réduire les ressources de l'audiovisuel public et d'accroître celles du privé ? Est-ce une bonne chose que le président de la République ait le pouvoir de nommer et de révoquer instantanément les présidents des chaînes ?
En posant la question en d'autres termes, vous avez obtenu la réponse que ceux-ci induisaient. Or nous avons connu bien des régimes autoritaires…
…qui pensaient justement s'en sortir en présentant une vision du réel conforme à leurs fantasmes. Mais l'histoire est sévère, et punit toujours ceux qui sont en retard sur la réalité !
Les créateurs que vous évoquez ne sont pas avec vous, cela n'est pas vrai. Vous avez réussi à vendre vos salades à certains d'entre eux en leur présentant de fausses évidences. En voici quelques exemples. « Le Président roule en Citroën ; l'action Renault a perdu 90 % de sa valeur ; donc l'action Renault a baissé parce que le Président roule en Citroën. » (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) « Il pleut ; le chômage augmente ; donc le chômage augmente parce qu'il pleut. » (Même mouvement.) « Les ventes de CD diminuent ; les internautes téléchargent de la musique ; donc les ventes de CD baissent parce que les internautes téléchargent. » (Même mouvement.)
C'est en égrenant ces sophismes que vous parvenez à tromper – provisoirement. Mais, lors de la dernière cérémonie des Césars, à laquelle vous avez assisté, quelques propos ont dû écorcher vos chastes oreilles. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Du calme, monsieur Gosselin !
…sans quoi vous introduirez des tensions dans un débat qui mérite la sérénité.
Je disais donc que les créateurs exigent la liberté, et ils savent bien qu'elle n'est pas de votre côté ; ce projet de loi le montre. Ils l'ont dit dans les formes que vous connaissez lors de la soirée de remise des Césars.
Quant à être isolés, madame Albanel, nous le sommes dans bien des domaines : le droit à la santé ou la laïcité, par exemple. Le mimétisme que vous préconisez, et qui nous ferait renoncer à ce qui constitue, là encore, l'exception française, doit-il devenir une politique ? Certainement pas ! Notre histoire est riche d'enseignements…
Monsieur le président, le 18 juin 1940, le général de Gaulle était très seul…
Ils étaient déjà dans la Résistance, comme le montre par exemple l'histoire du Nord-Pas-de-Calais,… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
…tandis que vos ancêtres politiques trempaient jusqu'au cou dans la collaboration, le renoncement et la capitulation ! (Même mouvement.)
Sur ce chapitre, nous n'avons de leçons à recevoir de personne, et surtout pas de vous ! (Même mouvement.)
…mais reconnaissez, monsieur le président, que l'on m'a poussé sur une voie que je n'avais pas choisie, et sur laquelle certains de nos collègues ne sont pas habilités à circuler. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.) En la matière, le fait de ne pas être comme les autres est plutôt une vertu qu'un défaut ; vous devriez le savoir, car c'est que l'histoire nous enseigne.
Je suis sidéré par le mépris avec lequel, chers collègues de l'opposition, vous considérez les artistes !
Tout à l'heure, M. Bloche a parlé d'une espèce de short list dont nous n'aurions extrait que les quelques noms qui nous intéressaient. Chacun peut consulter cette liste, qui contient plus de dix mille noms : on y trouve de grands noms et de plus petits – même si, pour moi, il n'y a ni grands ni petits, il n'y a que des artistes.
Quand M. Brard dit que ces artistes se sont retrouvés avec le roi des sophistes,…
Je crois que le débat mérite mieux que cela.
Les attentes sont bien réelles, qui portent sur la défense de la création artistique et sur la rémunération des artistes. Si la réponse apportée par le projet de loi ne vous convient pas et vous navre, tant pis pour vous. C'est votre droit. Mais cessez donc de nous faire prendre des vessies pour des lanternes.
(L'amendement n° 439 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 317 rectifié .
La parole est à M. le rapporteur.
Cet amendement fait suite à de nombreuses discussions que nous avons eues en commission des lois : M. Bloche avait présenté un amendement à ce sujet et nous en avons également discuté avec M. Dionis du Séjour. L'amendement vise à améliorer la circulation des oeuvres, notamment audiovisuelles. Pour que l'offre légale se développe, pour que les catalogues s'enrichissent, il faut que les oeuvres circulent aussi rapidement et aussi bien que possible.
Tout le monde s'accordait sur le principe ; seule subsistait une question de forme. Nous avons retravaillé pour aboutir à cet amendement n° 317 rectifié , qui vise à définir les usages de la circulation des oeuvres. En effet, l'article L. 132-27 du code de la propriété intellectuelle dispose que « le producteur est tenu d'assurer à l'oeuvre audiovisuelle une exploitation conforme aux usages de la profession ». Or les « usages de la profession » ne sont pas définis précisément dans ce code. Nous demandons donc que, sans tarder, les professionnels établissent conjointement ces usages. Ainsi, les auteurs pourront vérifier que les producteurs font bien diligence pour que la circulation des oeuvres soit aussi efficace que possible, au service du développement de l'offre légale.
Favorable. Cet amendement incite en effet à la circulation des oeuvres et donc à l'accroissement de l'offre légale.
Nous aurons peut-être un débat complémentaire lorsque nos propres amendements portant sur ce sujet seront examinés. Nous avons déjà abordé ce sujet lors de la réforme de l'audiovisuel. Il s'agit effectivement de permettre une circulation plus fluide des oeuvres. Le rapporteur a déposé un amendement a minima, qui propose de réunir autour d'une table des organisations professionnelles d'auteur et des sociétés de perception et de répartition des droits, pour qu'elles établissent, huit mois au plus tard après la publication de la loi, un code des usages de la profession. Pourquoi pas ? Peut-être faudra-t-il retravailler sur cette question, car elle s'impose plus que jamais dans la logique – qui nous est commune – de développement des offres commerciales.
Dans le cadre de la réforme de l'audiovisuel, un amendement plus volontariste avait obtenu une égalité des voix en commission mixte paritaire et avait failli être adopté. Notre groupe considère donc que le présent amendement vaut mieux que rien.
(L'amendement n° 317 rectifié est adopté.)
Cet amendement vise à montrer une nouvelle fois combien les députés de l'opposition sont soucieux, à l'ère numérique, du financement de la création, notamment de celle diffusée sur les réseaux. Nous avons estimé qu'il fallait définir une plus juste répartition des revenus générés par la création dans le cadre du développement de l'économie numérique, et nous avons voulu accorder une attention particulière aux artistes interprètes qui doivent se battre pour bénéficier d'une rémunération équitable.
Il s'agit donc de permettre une meilleure répartition des recettes publicitaires. Certains sites gratuits de téléchargements légaux – pour reprendre votre appellation – vivent des revenus de la publicité. Dès lors qu'il y a rémunération, il faut mieux répartir ces recettes. Je sais, madame la ministre – vous ne vous en cachez pas –, que vous passez votre temps sur Deezer (Sourires) : avec un tel site, producteurs et éditeurs s'en tirent ; mais la vérité est un peu plus sombre pour les auteurs ou les artistes interprètes. La redistribution n'a en tout cas rien d'équitable. Cet amendement vise donc à y remédier.
Il ne s'agit nullement de faire en sorte, en taxant indûment ces sites, qu'ils ne puissent plus vivre de leurs recettes publicitaires. Mais ne taxons-nous pas celles que perçoivent les chaînes de télévision, qu'elles soient publiques ou privées ? C'est dans la logique des choses. Nous souhaitons que ces sites de téléchargement gratuit puissent continuer à exister, mais nous considérons qu'on peut imaginer une meilleure répartition de leurs recettes publicitaires.
Je m'interrogeais tout à l'heure sur le titre de la loi. À l'origine, c'était : « Diffusion et protection de la création ». Puis le mot « diffusion » a été supprimé. J'aurais aimé, pour ma part, qu'elle s'appelle simplement : « Création sur Internet », pour que nous puissions évoquer la rémunération de la création. On peut, c'est vrai, se demander si nous ne sommes pas hors sujet. Nous sommes tous d'accord pour protéger la création, mais ne s'y prendrait-on pas mieux en la rémunérant, et non pas simplement en économisant une dépense ? Telle est bien la question que posent ces amendements, et singulièrement celui que je défends et qui correspond, j'en suis convaincu, aux préoccupations de tous nos collègues.
Chacun a réfléchi à ce sujet lors des assises de la création. Je me souviens notamment que, le 14 novembre 2008, Frédéric Lefebvre signalait qu'une obligation de financement de la création par le monde de l'internet pourrait être mise en place. Ceux qui, sur Internet, créent de la valeur grâce aux contenus doivent en effet participer au financement de la création. Le CSA pourrait par exemple être chargé de mesurer la part du contenu dans la création de valeur des entreprises internet. Il a également souhaité que soient abordées les questions de France Télévisions et du guichet unique, dont nous avons déjà parlé.
Je constate qu'il est rejoint par Luc Besson, qui a pris part à ce débat de l'extérieur : il relève que l'internet qui utilise des contenus ne paie pas de droits. Il souhaite la création d'un fonds qui soit géré par un autre organisme que l'internet, un fonds où un organisme lié au monde de la culture ne pourrait intervenir. Nous sommes là au coeur du débat : comment pouvons-nous mieux rémunérer la création pour la protéger, à l'heure du streaming et des sites de téléchargement gratuit ? On sait que la publicité va prendre une part de plus en plus importante : il n'est pas exclu qu'on ne puisse bientôt plus mesurer ses choix, notamment en matière de diversité culturelle. La moindre des choses serait que, grâce à des amendements comme celui-ci, l'on puisse compenser le manque à gagner lorsqu'il y a diffusion de messages publicitaires associée à celle d'un contenu protégé. Nous devons responsabiliser les fournisseurs d'accès, pour qu'ils puissent participer à la rémunération.
Cet amendement est tout à fait dans l'air du temps. Quand on parle de création, il ne faut pas seulement songer à la protection, mais avoir une vision d'avenir. Le téléchargement existe encore aujourd'hui, mais il faut prévoir de nouvelles évolutions : le streaming va se développer au détriment du téléchargement. Nous qui sommes responsables de la défense de la création, nous devons affirmer clairement que la rémunération est un complément aujourd'hui nécessaire. Les fournisseurs d'accès et tous ceux qui sont en amont de la diffusion de la publicité, notamment les moteurs de recherche, doivent contribuer activement.
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l'amendement n° 419 .
Sans doute pouvons-nous, au-delà des clivages partisans, nous accorder sur cet amendement. Au risque de nous répéter, nous avons déploré que votre projet ne prévoie pas la rémunération des artistes, alors même que vous prétendez parler en leur nom – tout au moins en celui de 10 000 signataires – et que vous dites les aimer. Mais vous ne pouvez témoigner de la sincérité de vos affirmations que par des actes. Comment pouvez-vous, madame la ministre, défendre un texte presque exclusivement répressif au nom de la création sans même prévoir de nouvelles rémunérations pour les artistes ?
Vous êtes pourtant bien placée pour savoir que l'immense majorité des artistes sous contrat – ne parlons pas de ceux qui ne trouvent pas de producteur sous prétexte que leur création ne serait pas rentable – ne vivent pas de leurs oeuvres, en raison de la part exorbitante des recettes d'exploitation que s'octroient les sociétés de répartition des droits et les majors.
Cette situation contredit les mots de Hermann von Keyserling qui, dans son Analyse spectrale de l'Europe, décrivait les Français comme « le peuple européen de la culture par excellence ». Ainsi, l'exception culturelle française que vous brandissez comme un étendard – encore pourrait-on dire qu'il existe une exception culturelle française comme il existe des exceptions culturelles allemande ou italienne, chacune ayant ses caractéristiques propres –, est en passe de n'être rien de plus qu'une économie de la culture régie par des principes mercantiles.
C'est pourquoi, madame la ministre, nous avons souhaité, sur tous les bancs de cette assemblée, vous soumettre cet amendement afin que vous vous saisissiez de l'occasion pour prévoir, au bénéfice des artistes interprètes, une rémunération attachée à leur personne, du fait de l'utilisation de l'impact commercial de leur interprétation comme outil de vente d'espaces publicitaires en ligne. Il ne s'agit pas ici de légitimer la pratique du téléchargement illicite, mais bien de combler l'insuffisance du montant de la rémunération aujourd'hui perçue par les artistes interprètes du fait de l'utilisation licite de leurs prestations en ligne, par rapport au volume total des recettes perçues.
Les artistes ne perçoivent actuellement de rémunération que sur le prix de vente des enregistrements. Or de nouveaux modèles économiques d'exploitation ont émergé ces dernières années, qui s'appuient sur la commercialisation d'espaces publicitaires. Aucune part de ces rémunérations publicitaires n'est reversée aux artistes interprètes. La juste rémunération consisterait en une rémunération sur la publicité parallèle à la mise à disposition des oeuvres. Cette rémunération serait reversée par les bénéficiaires des ressources publicitaires à la SPRD représentative des artistes en cause, qui la répartirait au vu des déclarations faites par l'exploitant des contenus protégés.
Nous sommes bien conscients que cette proposition n'offre pas de solution miracle à la faiblesse de la rémunération des artistes, mais elle constitue une piste de réflexion sur laquelle nous souhaiterions entendre votre avis, madame la ministre ; à défaut, vous apporteriez la preuve du peu de cas que vous faites des créateurs, que vous prétendez défendre.
Je vous rappelle une fois de plus la philosophie qui inspire ce projet de loi : en luttant mieux contre le téléchargement illégal, nous créons les conditions d'un environnement sécurisé…
…pour le développement de l'offre légale et, ce faisant, nous suscitons l'augmentation des revenus pour financer la création.
Qu'il existe des contributions complémentaires, qui ne se substituent pas à ce mécanisme général, telles qu'un fonds abondé par les recettes d'une taxe sur les fournisseurs d'accès, que vous proposiez tout à l'heure, soit : je suis favorable à ce que nous réfléchissions à de telles pistes dans le cadre de la future commission des affaires culturelles de l'Assemblée.
Néanmoins, c'est la lutte contre le téléchargement illégal qui est au coeur de ce projet de loi, car elle permettra, je le répète, de créer les conditions d'un environnement sécurisé pour le développement d'une offre légale et, partant, des revenus croissants pour les créateurs.
J'en viens au mécanisme de la contribution que vous proposez, et qui consiste en une taxe sur la publicité diffusée sur les sites légaux. Pour ces sites, comme Deezer par exemple, un tel dispositif présente le risque du double paiement : le paiement aux auteurs, compositeurs et ayants droit dans le cadre des relations contractuelles habituelles d'une part et, d'autre part, le paiement lié à la taxe sur la publicité – rappelons que le modèle économique de ces sites se fonde sur les revenus publicitaires.
D'autre part, la taxe sur la publicité est un mécanisme bien plus difficile à envisager sur internet qu'à la télévision, car nous ne pouvons pas identifier les revenus publicitaires des sites étrangers. Dès lors, une taxe sur les revenus publicitaires des sites internet menacerait les sites français.
C'est pourquoi je suis très défavorable à cet amendement, non pour l'intention qu'il manifeste, mais pour le mécanisme qu'il prévoit.
Défavorable également. Je souscris entièrement aux propos de M. le rapporteur. Les modèles économiques d'entreprises telles que Deezer ne sont pas encore stabilisés ; il convient donc de rester prudent.
En outre, la question de la rémunération des ayants droit mérite une réflexion globale. On ne peut distinguer le traitement des artistes interprètes ou celui des auteurs. Or, la mesure proposée modifierait l'équilibre des relations contractuelles, notamment avec les producteurs à qui sont cédés les droits d'exploitation.
Enfin, rien ne prouve qu'une négociation contractuelle conduite avec les éditeurs de services en ligne pourrait améliorer la rémunération des artistes et interprètes.
Le problème, que nous avions déjà soulevé à l'occasion de la loi DAVDSI, demeure pour les interprètes. Pire : il s'aggrave. En effet, les supports physiques disparaissent peu à peu : après les vinyles et les cassettes, chacun constate aujourd'hui la chute des ventes de CD. Or, ces supports physiques alimentent l'essentiel des droits perçus par les interprètes, qui ne perçoivent pas de rémunération pour l'écoute en ligne de leurs oeuvres. Certes, la taxe pour la copie privée au format MP3 demeure ; cela étant, sur des sites tels que Deezer, il est très facile d'enregistrer ce que l'on écoute !
Oui, au point que l'on peut parfaitement remplir un baladeur MP3 en enregistrant des morceaux écoutés en ligne sur Deezer, par exemple. L'enregistrement aura beau être analogique et ne pas avoir la qualité d'une version numérique, certains ne se privent pas de le pratiquer !
Quid, dès lors, de la rémunération des interprètes ? Si les sites d'écoute en ligne se multiplient au détriment des plateformes de téléchargement et des supports physiques, certains interprètes, même lorsqu'une large diffusion leur procure des revenus confortables – je pense à Johnny Hallyday, par exemple – risquent d'avoir des problèmes.
On ne peut donc pas dire que la priorité accordée à la lutte contre le téléchargement illégal permettra d'améliorer la rémunération des auteurs, car rien ne changera pour les interprètes. Il faut distinguer entre les auteurs, les ayants droit et les interprètes, compte tenu de la nature spécifique de la rémunération de ces derniers, aujourd'hui dépassée par le modèle économique dématérialisé de l'écoute en ligne.
Comment ne pas dire notre étonnement, et même notre atterrement ? Voici trois amendements presque identiques, l'un déposé par notre collègue du groupe UMP, M. Suguenot, et les autres issus du groupe SRC pour l'un et du groupe GDR pour le second – autant dire de l'opposition. Nous essayons par là d'élaborer de nouveaux modes de rémunération de la chaîne de la création, et visons ceux qui souffrent le plus : les auteurs et les artistes interprètes. J'espère que chacun a bien entendu ce que Mme Billard et MM. Suguenot et Brard viennent de dire : les artistes interprètes perçoivent une grande partie de leurs revenus grâce à la rémunération pour copie privée. Cette rémunération peut être directe, ou bien liée au taux de 25 % consacré au soutien au spectacle vivant. Même si la commission de la copie privée a élargi le champ des supports taxés, la rémunération pour copie privée déclinera inévitablement à mesure que la dématérialisation progressera. En conséquence, il faut créer de nouveaux modes de rémunération pour ces auteurs et ces artistes interprètes.
Au-delà du débat que nous venons d'avoir sur la contribution créative, convenez que notre amendement était bien modeste. Il existe des sites de téléchargement légaux et gratuits, y compris ceux qui permettent d'accéder à des contenus musicaux via la diffusion en flux, dite streaming – nous en avons longuement parlé. Ces sites sont gratuits parce qu'ils vivent de revenus publicitaires. Nous voulons qu'une part de ces revenus publicitaires soit reversée aux auteurs et aux artistes interprètes, car un modèle économique viable ne peut être qu'équitable et surtout redistributif.
À entendre M. le rapporteur, les pauvres sites de téléchargement seraient déjà contraints de donner de l'argent par la voie contractuelle. Et il faudrait encore taxer leurs revenus publicitaires, s'interroge-t-il, multipliant par là les contradictions avec ses déclarations antérieures.
Je retiendrai ce paradoxe essentiel : les sites de téléchargement, dans les relations contractuelles qu'ils entretiennent avec des titulaires de droits voisins, négocient avec des éditeurs et des producteurs qui ne redistribuent pas les sommes ainsi collectées. Ainsi, les artistes interprètes demeurent hors du circuit des accords contractuels que vous visez. Dans ces conditions, si le législateur n'intervient pas pour qu'une taxation des revenus publicitaires contribue à la rémunération des artistes interprètes, ceux-ci seront les oubliés de notre débat.
Par pitié, monsieur le rapporteur, ne nous renvoyez pas à une réflexion ultérieure ! Il est toujours trop tôt, il faut attendre plus tard : vous nous avez déjà servi le même discours lors de l'examen de la loi DADVSI.
J'ai encore à l'oreille les propos de M. Donnedieu de Vabres : nous ferons une loi, disait-il, qui bouleversera les usages de nos concitoyens.
Une fois votée, poursuivait-il devant les députés, les offres légales de téléchargement vont exploser, et nos internautes vont migrer massivement vers ces offres commerciales.
Voilà qui, selon lui, résoudrait tous les problèmes. Or, avec la loi HADOPI, vous refaites exactement le même pari : celui de la sanction administrative.
On mesure d'ailleurs toutes les funestes conséquences qu'ont de telles sanctions sur la vie quotidienne de nos concitoyens.
J'y viens. Vous refaites donc le même pari : votez notre loi, dites-vous, et vous verrez comme ce sera fantastique ! Les usages de nos internautes seront modifiés – pensez, ils auront trop peur que l'on suspende leur connexion à Internet. Par prudence, donc, ils migreront vers les offres commerciales, et le problème sera ainsi résolu !
Hélas, ce pari est perdu d'avance. Et pendant ce temps, pas un euro supplémentaire n'est accordé à la création, qui a déjà perdu un milliard en trois ans ! Et cela continuera par votre faute. Vous en porterez la responsabilité ; nous verrons alors qui aime vraiment les artistes !
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 215 rectifié et 412 , sur le vote desquels j'annonce d'ores et déjà être saisi par le groupe Nouveau Centre d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour défendre l'amendement n° 215 rectifié .
Cet amendement porte sur ce que nous avons baptisé la « licence collective étendue », relative au phénomène du streaming. Nous tentons de tirer les leçons de la vie éphémère des sites en streaming, et de les favoriser.
Qu'est-ce qu'un site en streaming ? À l'origine, il s'agit d'un groupe de personnes qui disposent d'un vaste catalogue financé par les recettes publicitaires, et mis à disposition des internautes gratuitement. Chacun a pu constater le succès de ces sites, qui sont aujourd'hui en proie à d'importantes difficultés. Ces sites, qui représentent l'avenir, mènent des négociations très compliquées avec les ayants droit, en particulier les plus importants d'entre eux – les majors. Ces négociations portent sur la rémunération, actuellement régie par un système de minimum garanti assez élevé, auquel s'ajoute un montant proportionnel à l'audience. J'ajoute que de nombreux mécanismes de retardement existent, s'agissant de la mise à disposition partielle de catalogues. Un vrai problème oppose donc les principaux ayants droit aux diffuseurs de nouvelle génération que sont les sites en streaming.
Souhaite-t-on développer ces sites ? La question est essentielle. Ce système est utilisé à la radio, mais aussi très largement en Scandinavie, en Angleterre ou en Allemagne. Pour les favoriser, il faut autoriser les négociations directes et forfaitaires entre les sociétés de perception et les utilisateurs. Ainsi, à la radio, la Société pour la rémunération équitable négocie un forfait avec la radio mais aussi, désormais, un diffuseur tel que Deezer, et le répartit entre les organismes collecteurs, qu'il s'agisse des auteurs ou des interprètes. Dès lors, c'est en fonction des statistiques de l'audience que l'on pourra rétribuer équitablement les artistes.
Si nous ne faisons rien aujourd'hui, nous resterons dans une aimable situation de non-droit. Il faut savoir que Deezer a démarré en ne payant rien, notamment aux auteurs. C'est seulement lorsqu'il a atteint plusieurs millions de visites par mois qu'il a commencé à négocier. Nous ne pouvons fonder un système d'avenir sur une situation de non-droit.
Il nous faut maintenant légiférer sur ce que tout le monde reconnaît comme étant le modèle pour l'avenir. Je le répète, il n'y a aucune innovation en la matière, c'est simplement ce qui se fait à la radio et chez les diffuseurs internet dans les grands pays d'Europe du Nord.
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l'amendement n° 412 .
Il s'agit d'un problème très important, celui de la reconnaissance ou non du droit, pour les créateurs, à vivre de leur travail en trouvant une source de revenu stable et transparente. J'appelle votre attention, madame la ministre, sur le caractère récurrent de ce débat. La question s'est déjà posée pour la loi DADVSI, mais aussi pour le statut des intermittents.
Nous ne le répéterons jamais assez : malgré la défense de la création dont vous vous targuez, votre texte est d'un silence assourdissant sur la problématique de la rémunération des artistes. Le fait que cet amendement soit soutenu par les trois principaux groupes de notre assemblée devrait vous pousser à y réfléchir et, nous l'espérons, à y donner un avis favorable.
L'un des principaux freins à la vente de contenus musicaux ou à leur écoute en ligne réside dans la difficulté d'obtenir l'autorisation des maisons de disques, qui refusent de manière quasi systématique l'utilisation de leur catalogue. Ce phénomène est dommageable pour le consommateur, mais également pour les artistes. Il empêche en effet que se développe une offre innovante, à un prix correspondant à ce que les consommateurs sont disposés à payer, et prive les artistes de nouvelles formes de revenus et d'un mode de distribution capable de rivaliser avec le téléchargement dit « illégal ».
Les amendements proposés visent à instaurer un système de licence collective étendue, déjà utilisé pour la diffusion des oeuvres musicales protégées par un droit d'auteur sur les radios françaises.
À l'heure actuelle, les radios ne paient pas de droits d'auteur titre par titre, mais s'acquittent d'un forfait à la Société pour la rémunération équitable, laquelle en répartit le produit aux différents ayants droit par l'intermédiaire des organismes collecteurs. En étendant ce type de dispositif et ces accords à la Toile, le présent amendement rend possible l'émergence de nouvelles offres en permettant l'existence d'un marché créatif, pour l'heure inexistant. Tout acteur voulant réaliser ce type d'activité aurait pour seule obligation de payer un forfait dont le montant pourrait être fixé par une commission administrative paritaire. Ce régime permettrait que soit intégré automatiquement tout acteur n'ayant pas pris part aux négociations. Ainsi, aucun artiste ne serait lésé. De plus, il permettrait aux artistes qui ne souhaiteraient pas intégrer une licence collective de négocier de manière individuelle et indépendante.
Voilà, madame la ministre, une proposition concrète et constructive, qui ne coûtera rien à l'État et marquera un geste fort en direction de la création, si vous décidez de la retenir. La rejeter, en revanche, apporterait la preuve flagrante de la sujétion de votre ministère aux lobbies de l'industrie du disque, ainsi que de votre mépris pour les artistes, que vous dites tant aimer, Thomas Dutronc, Mireille Mathieu et Vanessa Paradis en tête ! Vous ne pouvez plus reculer, madame la ministre. Soit vous acceptez cet amendement, et nous essayons d'avancer à tâtons, avec la part d'expérimentation que comporte notre volonté de trouver des solutions pour donner des revenus stables aux créateurs et aux artistes.
Vous devez nous donner une réponse, au moins proposer une ouverture. Vous devez faire honneur, madame la ministre, à votre titre et à la place prestigieuse que vous occupez dans ce gouvernement. Comme l'a rappelé Patrick Bloche, c'est le cinquantième anniversaire de la création de votre ministère. Marquez cet anniversaire d'une pierre blanche, en montrant que vous avez le souci des artistes et des créateurs et que vous voulez, vous aussi, leur apporter des revenus stables, grâce à une création rémunérée. Ainsi, nous ne retomberons pas dans les discussions que nous avons eues lors du débat sur les intermittents du spectacle, dans le cadre du comité présidé par notre collègue Étienne Pinte.
Lorsque nous avons interrogé M. Gautier-Sauvagnac, qui représentait le patronat (Exclamations sur les bancs du groupe UMP),…
Je ne sors pas du débat : il s'agissait de rémunérer la création et le travail des artistes. M. Gautier-Sauvagnac nous avait répondu que ce n'était pas son problème !
Madame la ministre, vous devez trancher.
Que faites-vous des producteurs ? Vous avez une conception rigide et terriblement ringarde de la société si vous pensez qu'il y a d'un côté le monde de l'argent, crapuleux,…
…et, de l'autre, les artistes qui vivent de l'air du temps ! Les artistes et les producteurs sont interdépendants. Avez-vous déjà vu un artiste vivre sans financement ? Vouloir les opposer à tout prix me paraît contraire à l'éthique de la culture, que j'entends représenter ici.
M. Brard illumine souvent l'hémicycle de ses prises de parole, et pas seulement grâce à la couleur jaune soleil de sa veste, qui nous éclaire tous depuis le début de la journée !
Autant je vous rejoins quand vous voulez, comme Jean Dionis du Séjour, défendre cette offre spécifique qu'est le streaming, autant je ne peux souscrire à vos propos lorsque vous vous éloignez du sujet.
Le streaming est une offre de plus en plus développée, une offre d'avenir ; mais – et je vais le répéter souvent, car la pédagogie, c'est aussi la répétition – ce projet de loi vise à mettre en place un environnement sécurisé qui permettra à toutes ces offres nouvelles, diversifiées, à ces méthodes de consommation de biens culturels sur Internet de trouver leur modèle économique.
Monsieur Dionis du Séjour, je rejoins votre réflexion sur la nécessité de trouver un modèle économique pérenne pour le streaming. Mais donnons-nous le temps de voir comment la société Deezer, et d'autres sociétés qui fonctionnent avec du streaming, trouveront leur modèle économique sur Internet. Donnons-nous un peu de temps ! Mettre en place une licence collective légale, comme vous le proposez,…
…risquerait de perturber l'émergence de ce nouveau marché de l'offre légale commerciale sur Internet. Là est le vrai problème. Les discussions entre Deezer et les maisons de disques sont de plus en plus nombreuses. Nous avons rencontré le patron de Deezer lorsqu'il est venu devant la commission des lois, ainsi que dans le cadre d'une réunion avec les députés du groupe UMP. Il est de plus en plus en relation avec les producteurs, afin qu'il y ait de plus en plus de rémunération pour les producteurs et les créateurs. Il y aura davantage de publicité parce qu'il y aura davantage d'audience. Tout est en train de se mettre en place et de se stabiliser.
Le patron de Deezer réfléchit à mettre en ligne de nouveaux services, payants cette fois. Car ce qui fait la force d'un marché légal de consommation de biens culturels sur Internet, c'est que les entreprises du Net, de la culture, vont mettre en place des services adaptés aux besoins des consommateurs, lesquels seront prêts à payer le prix nécessaire pour y avoir accès. C'est la mise en place de ce marché, dans un environnement sécurisé, que nous appelons de nos voeux. Par conséquent, attendons, pour le streaming, de voir comment ce marché va se mettre en place !
Je souscris pleinement aux propos de Franck Riester.
La gestion collective est un moyen très important de défense des intérêts des artistes. Mais il faut assurer l'équilibre avec la liberté des titulaires de droits voisins, c'est-à-dire les producteurs, les artistes interprètes, de décider de leur stratégie de distribution, et notamment de création de nouvelles offres légales en ligne. La rémunération équitable pour la diffusion de musique sur les radios, dans les discothèques et autres lieux sonorisés, a trouvé son équilibre, mais c'est un équilibre extrêmement complexe. Nous sommes très ouverts à la discussion, mais cette proposition, en l'état et en l'absence d'étude d'impact approfondie, est prématurée.
Pour cette raison, j'émets un avis défavorable aux deux amendements.
Ce débat est important, et j'ai entendu votre plaidoyer : selon vous, il faut laisser les choses se décanter, car c'est très compliqué.
Revenons à l'essentiel : voulez-vous, oui ou non, faire reculer le téléchargement illégal ? J'ai cru comprendre que oui. Croyez-vous que le volet répressif sera central ? Pour ma part, j'estime qu'il est utile et je le soutiens, mais il est marginal dans la loi. Le vrai problème est de faire émerger des modèles techniques et économiques qui ringardisent le téléchargement. Vous en avez un, qui est l'écoute en flux continue – le streaming. Mais que faites-vous aujourd'hui, madame la ministre, monsieur le rapporteur, pour favoriser l'émergence de ce modèle ?
Vous dites qu'il est trop tôt et vous ne donnez pas de réponse concernant le streaming. Pour notre part, nous pensons qu'il faut essayer, puisqu'il y a un modèle, qui fonctionne pour la radio et sur le web dans les pays d'Europe du Nord. Que risquons-nous ? Les deux tiers des personnes qui écoutent en flux continu ne téléchargent plus. Nous sommes à un moment décisif, mes chers collègues, et je me tourne vers les députés du groupe UMP : soit nous voulons faire reculer le téléchargement et nous le montrons en soutenant les modèles qui le ringardisent, soit nous ne faisons rien et il ne nous restera que le volet, certes utile, mais marginal, de la répression.
Mme la ministre objecte que nous n'avons pas inclus les producteurs dans notre réflexion. Nous voulons ouvrir une possibilité de liaison directe entre les sociétés de perception et les diffuseurs.
Ils seront rémunérés. C'est ainsi que cela fonctionne en Europe du Nord. J'ai beaucoup de respect pour les producteurs, mais de deux choses l'une : soit ils produisent de la valeur ajoutée et ils auront toute leur place dans le monde de l'Internet, soit ils n'en produisent pas et, comme tous les intermédiaires dans l'Internet, ils disparaîtront. Aujourd'hui, ils doivent intégrer l'offre de streaming au coeur de leur stratégie commerciale. Si vous adoptez cet amendement, n'ayez aucune crainte, les producteurs français sont bons et ils s'adapteront !
Je m'étonne, moi aussi, des réponses de Mme la ministre et de Mme Marland-Militello.
Jusqu'à présent, je n'avais pas remis en cause le choix du Gouvernement et de sa majorité. Mais Mme Marland-Militello vient de dire clairement que la préoccupation portait sur les producteurs. Je croyais, pour ma part, que nous traitions de la rémunération des auteurs.
Vous nous expliquez, depuis le début de l'examen de ce texte, qu'il y a une crise et que ne pas prendre de sanctions efficaces signifierait que l'on refuse de défendre la rémunération des auteurs. Trois groupes de l'Assemblée proposent justement de tenir compte de l'évolution des technologies et d'appliquer sur Internet le modèle utilisé pour la radio, et qui a fait ses preuves, l'écoute en ligne s'apparentant totalement à une radio.
Vous nous répondez alors qu'il faut attendre et que se pose le problème des producteurs. Or, la loi a d'autant moins pour objectif central d'organiser la rémunération des producteurs que nous traitons du droit d'auteur, c'est-à-dire de la rémunération des auteurs ! Je trouve tout de même invraisemblable que l'on nous oppose les producteurs quand nous essayons de trouver des solutions pour la rémunération des auteurs !
Vous nous dites qu'un auteur n'est rien sans un producteur.
Je vais vous citer un exemple. Peut-être avez-vous entendu parler de Kamini Santoko, auteur de Marly-Gomont. Ce clip musical, libre de droit, a très bien fonctionné, alors qu'il avait été refusé à l'époque par toutes les majors. S'il n'avait pas circulé librement sur Internet, personne n'aurait entendu parler de Marly-Gomont et son auteur ne connaîtrait pas aujourd'hui une telle carrière et un tel succès.
Non, il a été lancé libre de droits sur Internet parce que les majors de la musique l'ont refusé ! Cela montre bien qu'il faut laisser des espaces de liberté hors producteurs, sauf à risquer un appauvrissement de la création culturelle ! On ne peut pas toujours mettre en parallèle la rémunération des auteurs avec celle des producteurs ! Comme l'a souligné notre collègue, les producteurs doivent effectivement apporter une plus-value, sinon pourquoi seraient-ils systématiquement rémunérés ? Il convient, en conséquence, de modifier la répartition des bénéfices entre les producteurs, les distributeurs et les auteurs parce qu'elle se fait effectivement au détriment de ces derniers, alors que les coûts liés à la diffusion sur Internet n'ont rien à voir avec ceux des supports physiques. La répartition, à l'époque justifiée, permet aujourd'hui, comme je l'ai expliqué dans ma motion de renvoi en commission, une augmentation de 22 % des bénéfices des distributeurs, contre 1 % seulement pour les auteurs.
La réponse qui nous a été donnée est donc quelque peu abusive.
Cet échange est extrêmement révélateur de la philosophie qui nourrit ce projet de loi. En effet, notre collègue Dionis du Séjour, qui est un grand naïf,… (Rires.)
…avait cru, comme peut-être quelques autres parmi vous, que ce projet de loi avait simplement pour objectif de favoriser l'émergence d'une offre légale sur Internet. Avec la foi de cette naïveté, il a donc présenté un amendement tendant à renforcer une forme d'offre légale, le streaming, avec une modalité de rémunération : celle de la licence collective étendue. Or la ministre et les rapporteurs lui ont répondu que ce n'était pas possible.
C'est prématuré !
Il semble que ce soit impossible parce qu'il s'agit de la licence collective étendue et que l'on ne se situe plus dans le simple cadre de la préservation des intérêts des majors qui contrôlent, à elles seules, 75 % du marché de la musique et qui ne veulent entendre parler que du contrat qui les lie aux artistes dans le cadre des plateformes légales.
Je mets ici le doigt sur un point essentiel. Si la ministre et les rapporteurs étaient sincères, s'ils avaient pour objectif de défendre l'émergence d'une offre légale – ce que l'on conteste, mais que l'on peut comprendre –, ils auraient fait leur miel de ces deux amendements qui proposent enfin de consolider une des variantes de l'offre légale de musique sur Internet permettant sa viabilité économique.
J'observe que vous refusez cette proposition parce qu'elle ne fait pas du tout l'affaire des maisons de disques. En effet, la licence collective étendue définit un autre schéma des relations entre les producteurs et les artistes. On pourrait en débattre à l'infini ! Comme cela a été rappelé tout à l'heure, les producteurs, les maisons de disques ont encore accru, dans les plateformes d'offres légales disponibles aujourd'hui, et par rapport aux supports physiques, leur part relative au détriment des auteurs et des interprètes. C'est la réalité ! Alors que nous vous donnons là l'occasion de renforcer la philosophie de votre projet de loi, vous nous répondez que c'est impossible. Nous allons finir par croire que vous n'êtes guère autre chose que le syndicat de défense des majors du disque !
Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur les amendements n°s 215 rectifié et 412 .
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 48
Nombre de suffrages exprimés 47
Majorité absolue 24
Pour l'adoption 12
Contre 35
(Les amendements n°s 215 rectifié et 412 ne sont pas adoptés.)
Mon rappel au règlement se fonde sur l'article 58, alinéa 1, et a trait au déroulement de nos travaux.
Nous venons d'achever l'examen de tous les amendements portant articles additionnels avant l'article 1er. Nous siégeons depuis trois heures. En dépit des efforts convergents de parlementaires de différents groupes visant à mettre en place de nouveaux modes de rémunérations ou une répartition plus équitable des rémunérations existantes, nous constatons malheureusement que tous ces amendements, qu'ils émanent de la majorité, parfois, ou de l'opposition, le plus souvent, ont été rejetés. Cela pose à notre groupe un vrai problème. En effet, nous traitons ici du financement et de la création à l'ère du numérique et nous allons maintenant entrer dans le vif du sujet en examinant ce projet de loi qui, à aucun moment, ne permettra d'assurer un euro de plus aux créateurs et aux artistes.
Dans ces conditions, je souhaiterais réunir mon groupe pour tirer les conséquences du rejet de nos amendements. Je vous demande, en conséquence, monsieur le président, quinze minutes de suspension de séance.
Rappel au règlement
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à dix-huit heures vingt.)
Depuis hier soir, mes chers collègues, j'ai écouté avec attention vos interventions. Permettez-moi de vous dire que j'ai entendu un relativement grand nombre d'erreurs.
Certains ont bien compris que ce sujet faisait appel à des technologies spécifiques mais, sous couvert de discuter d'Internet avec un grand I, on oublie l'essentiel. Internet n'est qu'un outil, un support d'échanges de données entre les hommes. Si nous voulons qu'il continue à faciliter la vie de tous, jeunes et moins jeunes de tous les pays du monde, il faut en respecter la philosophie d'origine. Je suis dans cette assemblée une modeste spécialiste de ces questions, sur lesquelles j'ai commencé à travailler il y a plus de dix ans, à une époque où bien peu d'entre vous, je pense, imaginaient l'ouverture d'Internet à chacun de nos concitoyens.
On peut, vous avez raison, s'interroger sur les limites techniques liées à l'impossibilité physique de sécuriser à 100 % un réseau informatique ouvert, mais la question n'est pas là. Ce texte part d'un principe très simple : combattre toute forme de vol. Dans une société démocratique comme la nôtre, il s'agit de défendre les droits de chacun.
Internet est un réseau permettant le partage et l'échange entre un nombre indéfini d'utilisateurs qui ont les mêmes droits et donc les mêmes devoirs. La puissance et le développement d'un tel outil ont modifié nos comportements et nous libèrent de nombreuses contraintes, celles du temps, du volume d'information et, plus encore, de la distance. Il n'en reste pas moins que ce merveilleux outil collaboratif doit respecter des règles.
Dans de nombreuses organisations, et dès l'origine, une charte des bonnes pratiques d'utilisation d'un réseau Internet a été créée, à l'initiative du réseau RENATER, réseau national de télécommunications pour la technologie, l'enseignement et la recherche, plate-forme française d'Internet sur le plan mondial. Elle a pour objectif d'engager chaque utilisateur à qui l'on délivre un accès Internet à respecter une utilisation légale du réseau. Cette même charte implique expressément la suppression de l'accès au réseau en cas de non-respect.
Toutes ces organisations, publiques ou privées, ont compris depuis bien longtemps la nécessité de se protéger d'agressions extérieures en installant des outils d'administration de leur réseau informatique. Ces outils leur permettent aussi de surveiller les accès sortants. En aucun cas il ne s'agit de regarder les contenus : il s'agit tout simplement d'utiliser ces fameuses adresses IP, sur lesquelles, là encore, j'ai entendu beaucoup de choses. Il n'y a pas de Big Brother dans ce système, mais tout simplement la possibilité de savoir si tel ou tel fichier, qui aura été marqué par son créateur ou son ayant droit, est passé par tel ou tel endroit. L'adresse IP, c'est exactement la même chose qu'une adresse postale : il est heureux que le facteur connaisse le nom de ceux qui vivent derrière une boîte aux lettres.
Je n'entrerai pas ici dans des considérations techniques, mais je voudrais insister sur le fait que ce que propose le texte concernant l'identification des adresses IP pour lutter contre le piratage est une technique déjà très utilisée et mise en oeuvre dans de nombreux pays comme les États-Unis ou la Norvège. De façon plus pragmatique, ils ont simplement mis en place des règles contractuelles permettant aux ayants droit de saisir directement les fournisseurs d'accès sans passer par une autorité indépendante.
La création de l'HADOPI est donc une exception française permettant de respecter l'anonymat des utilisateurs en interposant une autorité publique présentant des garanties d'indépendance et d'impartialité entre les opérateurs et les ayants droit. Il n'y a rien d'inadmissible, rien qui bafoue la liberté des uns contre celle des autres, mais simplement une démarche permettant de rappeler l'importance du respect de la propriété intellectuelle.
Oui, la création de l'HADOPI est une bonne chose pour lutter contre le piratage, mais cette mission doit s'accompagner d'une autre, tout aussi importante, le développement de l'offre légale.
Si nous voulons continuer à développer le concept même d'un système collaboratif où les échanges sont libres, il faut avant tout construire une offre légale forte et facile d'accès.
Il faut que le coût soit diminué très fortement, passant par exemple, pour un morceau de musique, de près d'un euro à un centime.
Sur le réseau, la mise à disposition des oeuvres est elle aussi dispensée des frais liés au support et au transport. Il est donc tout à fait anormal que l'acquisition d'une oeuvre soit aussi coûteuse sur le réseau qu'en magasin.
Voilà pourquoi l'HADOPI doit avoir deux missions essentielles, qu'elle doit mener de manière équitable.
Défendre la création, c'est défendre des artistes, mais c'est aussi défendre tous ceux qui créent des produits logiciels, toux ceux qui, techniciens, ingénieurs, participent à faire avancer notre économie numérique. Même si leur travail est immatériel, il existe une vraie propriété intellectuelle à ce travail de production numérique, production qui est essentielle. Il s'agit de garantir la liberté de chacun, les droits et les devoirs de chacun doivent être respectés de la même façon. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
Madame Guégot, c'est la première fois que je vous entends dans cet hémicycle. Je vous conseille de ne pas prendre à l'avenir ce ton donneur de leçons, qui est insupportable. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Je respecte parfaitement l'opinion que vous avez émise, même si je ne la partage pas, mais c'est très pénible d'entendre pendant cinq minutes – car, heureusement, le Règlement limite à cinq minutes les interventions sur un article – …
..que nous sommes tous – pour parler poliment – des imbéciles, que nous ne comprenons rien à Internet, que vous avez tout compris et que vous allez nous expliquer ce que c'est.
Nous sommes nombreux à travailler sur ces questions depuis longtemps. Je suis désolé de ne pas être ingénieur de formation, mais je m'honore d'avoir, dès l'année 2000, dans un projet de loi dont Didier Mathus était le rapporteur, fait adopter un amendement qui a posé les bases d'un statut de responsabilité pour les hébergeurs et les fournisseurs d'accès à Internet, ce qui a permis à un grand nombre d'entre eux d'échapper à des procédures civiles. Il n'y aurait sans doute plus d'hébergeur ni de fournisseur d'accès en France si nous n'avions légiféré par anticipation sur la transposition de la directive sur le commerce électronique.
Bref, nous nous intéressons à ces questions depuis un bon bout de temps. Nous exprimons très librement notre opinion sur ce sujet et prenons en compte la réalité de ce projet de loi qui, quoi que vous disiez, est une usine à gaz, un monstre juridique, qui donnera lieu à bien des contentieux. Vous avez parlé des adresses IP, vous auriez pu parler accessoirement du cryptage des contenus…
…ou des problèmes d'anonymisation, qui ne sont pas des problèmes secondaires. En l'occurrence, et c'est bien la difficulté, un grand nombre de nos concitoyens internautes vont se trouver incriminés alors qu'ils n'auront pas téléchargé illégalement.
Ce qui nous gêne le plus, nous le redirons fortement à l'article 2, c'est qu'il y a, à travers cet article 1er, une mise en cohérence, pour reprendre les propos de notre rapporteur, Franck Riester, de la loi DADVSI et de la loi HADOPI, une sorte de croisement, mais ô combien funeste, qui, loin de faire disparaître des dispositions aussi répressives que celles contenues dans DADVSI, aura un effet cumulatif.
À un premier dispositif répressif n'ayant pas produit les effets escomptés, on en ajoute un second, qui n'aura pas plus d'effets positifs pour le financement de la création dans notre pays, mais qui aura des effets collatéraux désastreux car, contrairement à ce que vous avez dit, madame Guégot, c'est une généralisation de la surveillance sur Internet qui se prépare, sous prétexte de défendre les créateurs et les artistes ; ce sont des pratiques de filtrage, des éléments qui donneront lieu à de nombreuses dérives, notamment lorsqu'on demandera aux particuliers de sécuriser leurs connexions Internet.
Je ne vais pas reprendre les arguments que nous avons développés dès hier. En tout cas, nous voterons contre l'article 1er car nous aurions souhaité que l'on abroge d'abord la loi DADVSI. Ceux qui l'ont votée il y a trois ans n'ont même pas respecté ce qu'ils ont voté. Nous sommes rentrés en live, si j'ose dire, dans le débat, sans évaluation, sans étude d'impact. La révision constitutionnelle aura au moins cet avantage que ce ne sera pas le cas la prochaine fois qu'il faudra réformer en ce domaine, c'est-à-dire très bientôt. Reste que, sans évaluation aucune, nous allons ajouter un dispositif répressif à un autre.
L'article 1er consolide au fond l'esprit de la loi DADVSI puisqu'il proroge même les mesures techniques de protection, les DRM, et il est assez singulier de la part du Gouvernement de laisser dans la loi un chapitre d'une bataille déjà perdue.
En effet, depuis la loi DADVSI, les DRM ont peu à peu été abandonnés par les opérateurs, volontairement ou sous la pression des consommateurs. C'est Universal, aux États-Unis, qui a commencé et, petit à petit, tous les opérateurs ont baissé pavillon sur cette question des DRM, dont le caractère offensant pour les libertés essentielles, le droit à la copie privée et d'autres droits annexes, était manifeste. Nous nous étions battus contre avec beaucoup de vigueur. Il y a quelques mois, iTunes, principale plate-forme de téléchargement commerciale, a à son tour abandonné les DRM.
Il est donc bizarre que le Gouvernement continue, dans l'article premier, à faire référence aux mesures techniques de protection. J'imagine que c'est, pour le ministère de la rue de Valois, une sorte d'écho nostalgique à cette grande bataille perdue de la loi DADVSI ; peut-être d'ailleurs que les rédacteurs sont les mêmes.
Cela montre que le Gouvernement n'est pas en retard d'une guerre, mais d'au moins deux ou trois : les DRM, c'est fini ! Ici même, à votre place, madame la ministre, M. Donnedieu de Vabres prenait, il y a quelques années, des accents lyriques pour nous expliquer que le monde entier enviait la France qui allait imposer la pénalisation du contournement des DRM. Tout cela a sombré dans un ridicule absolu. Le Gouvernement serait bien inspiré d'en tirer les conséquences et de réécrire cet article de façon à faire disparaître les mesures techniques de protection, qui n'ont strictement plus aucun sens.
Nous en venons à la discussion des amendements à l'article 1.
Je suis saisi d'un amendement n° 301 rectifié .
La parole est à M. Patrick Bloche.
Cet amendement est un test sur la bonne foi de ceux qui assurent la promotion de ce projet de loi. Madame la ministre, madame et messieurs les rapporteurs, vous nous expliquez qu'il faut passer à autre chose, et vous instaurez l'HADOPI pour ce faire. La loi DADVSI, qui visait à sécuriser les mesures techniques de protection, a sombré dans les conditions que l'on sait ; la plupart des acteurs abandonnent progressivement ces verrous qui bloquaient le développement de l'offre commerciale, qui est votre obsession, la solution à tout, selon vous.
En votant cet amendement, vous ferez définitivement tomber les DRM : d'ici à fin 2009 pour la musique, fin 2011 pour le cinéma et l'audiovisuel. Volontairement, nous laissons un certain délai.
Nous attendons un avis favorable de la ministre et du rapporteur sur cet amendement qui s'inscrit dans leur propre logique.
Cet amendement contredit la décision du Conseil constitutionnel rendue le 27 juillet 2006 sur la loi DADVSI, aux termes de laquelle il n'est pas possible d'empêcher un auteur de recourir à des DRM pour faire valoir ses droits de propriété intellectuelle. La disparition des DRM ne peut donc intervenir que par voie contractuelle. C'est ce qui se passe depuis plusieurs mois : les maisons de disques et les plates-formes légales se sont engagées à lever les mesures anti-copie sur l'achat aux titres, en France et dans le monde.
Aujourd'hui, vous pouvez donc télécharger légalement des morceaux de musique sur un iPod et les copier sur différents baladeurs numériques, sous des formats différents. L'interopérabilité est donc assurée ; c'est un élément fondamental du développement des offres légales. Nous en avions parlé depuis longtemps, et c'était l'un des engagements de l'accord de l'Élysée entre professionnels des télécommunications, de l'internet et de la culture pour que les offres légales se développent.
Les mesures anti-copie sont un frein à l'interopérabilité, mais, juridiquement, nous n'avons pas le droit d'empêcher les auteurs de prendre de telles mesures. Cela doit se faire de manière contractuelle ; et c'est bien ce qui se passe depuis plusieurs mois.
Supprimer les DRM par la loi serait inconstitutionnel et incompatible avec le droit communautaire, puisque ces mesures sont protégées par la directive DADVSI ainsi que par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen relatif au droit de propriété.
En revanche, les DRM ont déjà été supprimées volontairement par les maisons de disque, en anticipation de la loi. Cela est d'ailleurs dû à notre projet. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR.) C'est bien parce qu'il y a eu les accords de l'Élysée et qu'il y a ce projet de loi que nous avons obtenu ce que toutes les maisons de disque refusaient jusqu'alors. C'est donc une grande victoire, qui va dans le sens du développement de l'offre légale que Mme Guégot, dans son analyse extrêmement fine et subtile, appelait de ses voeux.
Enfin, la suppression des DRM sur le cinéma est totalement impossible, puisque ceux-ci sont à la base de la vidéo à la demande : les films peuvent être regardés dans un laps de temps limité grâce aux mesures techniques de protection.
Si l'on prend le temps d'examiner honnêtement le texte, on verra que c'est du gagnant-gagnant.
Le cadre actuel est lourd. C'est la loi sur la contrefaçon, dont j'ai été le rapporteur, à l'automne 2007, qui s'applique. Elle prévoit de lourdes peines : 300 000 euros d'amende, trois ans d'emprisonnement. Un système beaucoup plus souple et efficace nous est aujourd'hui proposé, qui permet une certaine forme de négociation – comme prévu par le rapport Olivennes et les accords de l'Élysée – réduisant les contraintes sur les utilisateurs.
Cela appelle en contrepartie une protection renforcée des droits d'auteur et de propriété intellectuelle. Au bout du compte, tout le monde peut être gagnant. Comme les auteurs bénéficieront d'une plus grande sécurité juridique, ils pourront retirer volontairement les DRM, l'offre pourra s'accroître et les tarifs devenir plus intéressants.
Nous sommes au coeur des ambiguïtés de ce texte, entre une volonté affichée de tourner la page de la loi précédente, qui comportait des lourdeurs intolérables pour la diffusion des oeuvres, en particulier les DRM, et l'envie de laisser subsister malgré tout ces outils devenus obsolètes mais qui avaient revêtu une telle charge symbolique dans notre hémicycle que vous avez du mal à vous en défaire. Il va falloir trancher. Ou bien nous considérons que les DRM doivent rejoindre la machine à filer au musée, ou bien nous considérons que ces mesures de protection ont un avenir.
Tout cela a tout de même un caractère un peu hors-sol et ne donne pas le sentiment que vous ayez prise sur les événements. Il est assez extraordinaire de voir comment, moins de deux mois après l'adoption de la loi DADVSI, les DRM commençaient à être abandonnés aux États-Unis. Alors que votre prédécesseur, madame la ministre, s'était illustré avec un lyrisme extraordinaire dans la défense de ces mesures techniques de protection, deux mois plus tard, les majors, qui ont beaucoup d'avance sur les pouvoirs politiques, lesquels tentent de maintenir l'illusion d'une certaine efficacité sur ces questions, amorçaient le virage stratégique de la sortie des DRM.
En outre, créée par votre majorité dans la loi DADVSI, en 2006, l'Autorité de régulation des mesures techniques ne s'est jamais réunie. Avant même d'être née, elle est au cimetière des autorités défuntes !
En effet : relisez nos débats. Nous allons les mettre en ligne pour que les Français prennent conscience de l'efficacité de l'action publique sur ce dossier depuis quelques années.
Vous proposez de remplacer cette Autorité par la Haute autorité baptisée HADOPI. Cette dernière a un nom de bande dessinée. Elle ne manquera pas de susciter la dérision générale pendant de longues années. Je ne suis pas sûr que l'on parvienne à redonner du crédit à l'action publique avec ce type de texte.
Je vous suggère donc d'appeler à l'adoption de l'amendement. Monsieur Riester, si vous étiez un rapporteur un peu plus créatif et moins rigide, vous pourriez proposer de le sous-amender, puisque vous ne voulez pas supprimer les mesures techniques ou que l'énoncé vous choque. Nous pourrions nous contenter de supprimer l'actuel article. Cela aurait le mérite de redonner un peu de lustre non seulement à nos débats, mais surtout à leur résultat. La balle est dans votre camp.
Comme vient de le dire notre collègue Christian Paul, il n'y a pas que la France : les DRM ont été supprimées bien plus tôt par les majors aux États-Unis, qui se sont rendu compte que, loin de protéger les auteurs, ces mesures les désavantageaient, à cause des problèmes d'interopérabilité.
À l'époque, nous avions l'impression que, pour M. Donnedieu de Vabres, les DRM, c'était comme la Ligne Maginot. Heureusement qu'ils ont moins de conséquence ! Nous n'avons pas eu le temps de rechercher certains morceaux d'anthologie, mais nous essaierons de le faire pour ce soir : cela fera rire les collègues qui n'étaient pas sur nos bancs à l'époque.
Par ailleurs, madame Guégot, c'est bien gentil de venir nous dire : « Moi, je m'y connais ; vous, vous n'y connaissez rien ! » (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
C'est comme cela que je l'ai ressenti moi aussi. Or c'est un peu abusif. Certains parlementaires travaillent sur ces questions depuis longtemps. Et puis il ne faut pas toujours se fier aux CV tels qu'ils sont écrits ; certaines personnes ont pu connaître de ces problématiques dans leur cadre professionnel.
Cela étant, je m'inscris en faux contre ce qu'affirment certains depuis hier, à savoir que les DRM sur la musique auraient disparu en France. C'est faux. Il en reste encore de nombreux : il y en a sur les CD, sur les oeuvres dites « en écoute illimitée » telles que celles protégées par les opérateurs de téléphonie mobile, et même sur les sites de plusieurs fournisseurs d'accès à Internet – Neufbox et Orange. Ces mesures techniques de protection empêchent l'utilisateur d'écouter la musique lorsqu'il n'est pas connecté au service. Vous voyez qu'il reste encore beaucoup à faire.
C'est pourquoi nous demandons l'abrogation de ces DRM. À l'heure actuelle, on donne l'impression que le problème est réglé parce qu'ils ont été supprimés d'un certain nombre de plates-formes. Or non seulement le problème de l'interopérabilité persiste – j'y reviendrai dans un amendement ultérieur –, mais il y a toujours des personnes confrontées aux difficultés que nous avions déjà soulignées lors de l'examen de la loi DADVSI, et pas uniquement dans les rangs de l'opposition : vous pouvez acheter un morceau de musique, mais s'il a un DRM, vous ne pourrez l'écouter que sur un support dédié et sur aucun autre. C'est bien pour cette raison que les DRM sont tombés en désuétude, pour la majorité d'entre eux. Les consommateurs ne sont pas stupides, ils n'ont pas pour habitude d'acheter à plusieurs reprises la même oeuvre musicale, à raison d'une pour chaque support : un exemplaire pour leur lecteur de CD, un autre pour le baladeur, un autre pour le lecteur de CD dans la voiture, et ainsi de suite. Cela a conduit à l'abandon d'un certain nombre de DRM, mais contrairement à ce qui est affirmé, cet abandon n'est pas total.
(L'amendement no301 rectifié n'est pas adopté.)
La parole est à M. Patrick Bloche, pour défendre l' amendement n° 304 .
Il s'agit encore des mesures techniques de protection. Mais c'est un débat qui me semble ô combien nécessaire et toujours d'actualité ; il ne relève pas de la nostalgie. Je le répète : nous ne nous satisfaisons pas d'avoir eu raison, il y a trois ans, de nous opposer au projet de loi DADVSI. Puisqu'il s'agit de retravailler sur le cadre législatif de la propriété intellectuelle en réécrivant la loi DADVSI, il faut prendre en compte l'insécurité juridique qui existe pour de nombreux auteurs de logiciels indépendants interopérant avec des mesures techniques, mais aussi pour des utilisateurs qui ne savent plus s'ils ont le droit de procéder aux manipulations leur permettant de lire, avec l'outil de leur choix, les fichiers porteurs de mesures techniques de protection.
De plus, ces dispositifs sont sources de désagrément parce qu'ils exercent un contrôle très souvent abusif. Nous voulons donc que les éditeurs de DRM soient incités à créer des dispositifs plus respectueux de la libre concurrence et des droits du public.
L'amendement vise ainsi à modifier l'article L. 331-5 du code de la propriété intellectuelle afin d'écarter de tels dispositifs, que nous jugeons obsolètes. Comme l'a rappelé Martine Billard, tous les verrous n'ont pas encore sauté.
La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour défendre l'amendement n° 331 .
…et le projet de loi actuel, c'est bien celui-là. Pour les collègues qui ne siégeaient pas en 2006, je vais rappeler le summum de lisibilité juridique auquel nous étions arrivés, en citant une partie de l'article 13 de la loi DADVSI : « Un protocole, un format, une méthode de cryptage, de brouillage ou de transformation ne constitue pas en tant que tel une mesure technique au sens du présent article. » Si vous comprenez, dites-le moi ! Je poursuis : « Les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet d'empêcher la mise en oeuvre effective de l'interopérabilité, dans le respect du droit d'auteur » – cela veut tout dire et son contraire. Je termine : « Les fournisseurs de mesures techniques donnent l'accès aux informations essentielles à l'interopérabilité dans les conditions définies aux articles L. 331-6 et L. 331-7 ». Est-ce qu'un tel texte a été vraiment appliqué ? On a peine à croire qu'il figure dans la loi française. Pourtant, madame la ministre, c'est l'article L. 331-5 du code de la propriété intellectuelle. Je ne suis pas fier de le reconnaître car j'étais là à l'époque, et on a laissé passé cela. Pour ma part, je m'y suis opposé (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), c'est-à-dire que je me suis, moi aussi, abstenu.
Aujourd'hui, ce galimatias fait partie de la loi française. Monsieur Gosselin, vous n'étiez pas là en 2006, mais vous voyez que s'il y a vraiment besoin de faire le ménage, c'est sur cet article de la loi DADVSI.
C'est pourquoi notre amendement propose d'améliorer la logique DADVSI, qui était d'ailleurs celle de la directive européenne : non seulement il fallait admettre les DRM mais, en plus, les protéger par le droit d'auteur. Une telle logique a posé de redoutables problèmes, notamment à tous les gens qui veulent assurer l'interface entre des formats des logiciels libres et des formats des logiciels propriétaires. Ne pensez pas qu'à la musique ou au cinéma, la bureautique est aussi concernée. Les DRM concernent toute l'industrie du logiciel.
Alors que le galimatias en vigueur crée une instabilité juridique complète, je vous demande si, oui ou non, vous voulez retenir cet amendement, qui propose le minimum pour revenir à un peu de lisibilité. Il prévoit simplement que les mesures techniques ayant pour effet d'empêcher l'interopérabilité dans le respect du droit d'auteur ne soient pas protégées par les dispositions prévues au présent titre, c'est-à-dire par le droit d'auteur. Ainsi, il sera possible de travailler sur les interfaces.
Je termine en soulignant que c'est un amendement de bon sens qui vise à remettre un peu de lisibilité dans le code de la propriété intellectuelle, devenu illisible après nos travaux de 2006.
La parole est à Mme Martine Billard, pour défendre l'amendement n° 421 .
Je tiens d'abord à revenir sur la décision du Conseil constitutionnel parce que, monsieur le rapporteur, vous avez menti par omission. En effet, il n'a pas considéré que l'interopérabilité était anticonstitutionnelle, mais il a censuré le terme au motif qu'il n'était pas défini dans la loi. C'est d'ailleurs un peu bizarre puisque ce mot était présent dans notre législation depuis la transposition de la directive de 1991 – sur les problèmes d'ordinateurs – et la reconnaissance de l'exception de décompilation à des fins d'interopérabilité. Le Conseil constitutionnel ne s'est donc pas prononcé sur le fond, mais uniquement sur la forme.
J'apprécie l'évolution de notre collègue Jean Dionis du Séjour, mais je regrette qu'il se soit abstenu à l'époque. S'il avait voté contre, on aurait peut-être empêché le désastre qu'il a évoqué. Non seulement nous avons une loi illisible, mais qui, en plus, est porteuse d'une insécurité juridique. En effet, tous ceux qui développent ou qui utilisent des logiciels libres se retrouvent dans une situation qui, de par la décision du Conseil constitutionnel, pose un problème. Je rappelle qu'il y avait déjà eu, à l'époque, une longue bataille sur la question de l'interopérabilité et de la non-protection des DRM par le droit d'auteur. Notre position avait rassemblé des députés de tous bords.
L'APRIL – l'association pour la promotion et la recherche en informatique libre –, la plus importante association française de défense du logiciel libre, a adressé une requête au Conseil d'État. Celui-ci a répondu que l'exception de décompilation, c'est-à-dire le fait de pouvoir utiliser des logiciels libres dans le cadre d'une interopérabilité, prime sur la protection juridique des DRM imposée par la loi DADVSI.
Mais nous sommes toujours dans une situation d'insécurité juridique. C'est pourquoi il faut clarifier les choses en inscrivant dans la loi qu'il est indispensable de fixer des limites aux DRM au nom de l'ineropérabilité.
On reviendra sur la question de l'interopérabiité puisque M. le rapporteur de la commission des lois, contrairement à son homologue de la commission des affaires culturelles, a expliqué qu'un tel débat n'avait pas d'importance pour les consommateurs.
Certes, monsieur le rapporteur, j'évoque vos propos de mémoire mais nous, à la commission des affaires culturelles, nous avons fait reconnaître la primauté de l'interopérabilité.
Pour finir, je rappelle quel a été le résultat du dispositif sur les mesures de protection établi par la loi DADVSI : cela a permis à Microsoft et à Apple de renforcer leur position dominante sur le marché des lecteurs multimédias, puisqu'il ne pouvait plus y avoir de craquage des DRM. Il est temps de mettre fin à une telle situation et de ne pas continuer à cautionner la vente liée et la captation de clientèle permises par les DRM, du logiciel au matériel.
Tel est le sens de ces amendements qui sont, je le souligne, défendus par trois groupes de cette assemblée, ce qui prouve qu'il y a un vrai problème. J'espère, madame la ministre, que vous allez cette fois-ci donner un avis favorable, compte tenu du fait que la décision du Conseil constitutionnel portait sur la forme et non sur le fond.
Quel est l'avis de la commission sur les trois amendements identiques ?
Madame Billard, la décision du Conseil constitutionnel ne portait pas seulement sur la forme, mais aussi sur le fond. Je partage vos préoccupations sur la question de l'interopérabilité, et je rejoins en cela jusqu'à un certain pointJean Dionis du Séjour, mais je constate que tous ces amendements sont clairement contraires au contenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel…
…et de la directive de 2001. Il est sans doute important de réfléchir à nouveau sur la question de la protection juridique des DRM, mais dans d'autres lieux, à Bruxelles ou à Strasbourg. À cet égard, je suggère que Mme la ministre en débatte dans d'autres enceintes. Mais, au niveau du Parlement national, nous ne pouvons accepter ces amendements parce qu'ils sont contraires à la directive de 2001 et à la décision du Conseil constitutionnel de 2006.
Les arguments que j'ai développés précédemment demeurent valables, madame Billard. Il est impossible de priver les DRM de protection juridique. Ce serait en effet anticonstitutionnel et contraire à la directive de 2001. Je m'en tiens là parce que c'est un fait établi.
Par ailleurs, il est exact, madame Billard, que nous avons obtenu par d'autres voies ce que nous interdisaient la directive de 2001 et la Constitution, à savoir par des accords interprofessionnels. Certes, tous les DRM n'ont pas disparu mais, et c'est déjà très important, les DRM liés au téléchargement à l'acte sont supprimés. Toutes les grandes sociétés – Universal, Sony, Warner, EMI, etc. – et toutes les grandes plates-formes telles que Virgin et la FNAC sont concernées. Les autres DRM, que ce soit pour les abonnements musicaux sur Internet ou pour le cinéma, servent à moduler l'offre légale et à la rendre possible.
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 305 rectifié et 337 .
La parole est à M. Patrick Bloche, pour défendre l'amendement n° 305 rectifié .
Nous référant au débat que nous avons eu dans cet hémicycle il y a trois ans, nous manifestons le souci de faire disparaître certaines dispositions.
C'est le cas du troisième alinéa de l'article L. 331-7 du code de la propriété intellectuelle qui dispose que « le titulaire des droits sur la mesure technique ne peut imposer au bénéficiaire de renoncer à la publication du code source et de la documentation technique de son logiciel indépendant et interopérant que s'il apporte la preuve que celle-ci aurait pour effet de porter gravement atteinte à la sécurité et à l'efficacité de ladite mesure technique. »
Voyez un peu comment, il y a trois ans, nous avons été amenés à traiter le problème des codes sources, comme celui de l'interopérabilité et des DRM.
Le problème posé est assez simple : nous devons avoir à l'esprit – c'est tout l'objet de la propriété intellectuelle – le fait que la décision de publier un logiciel avec son code source relève du droit moral de l'auteur. La possibilité laissée au titulaire des droits sur la mesure technique d'interdire la publication du code source et de la documentation technique d'un logiciel indépendant et interopérant – c'est bien le propos du troisième alinéa – porte manifestestement atteinte au droit moral de l'éditeur de logiciel, défini comme « perpétuel, inaliénable et imprescriptible » par l'article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle. En outre, l'article L.121-2 indique : « L'auteur a seul le droit de divulguer son oeuvre (…) Il détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle-ci. »
En un mot, cet amendement vise à restaurer quelques principes fondamentaux du droit d'auteur, et notamment du droit moral « perpétuel, inaliénable et imprescriptible » de l'auteur. L'amendement tend donc à la suppression de ce troisième alinéa qui restreint l'exercice de ce droit moral de tout auteur à la diffusion de son oeuvre, en l'occurrence des logiciels indépendants et interopérants. La défense de cette mesure salutaire nous permet de rappeler qu'il n'est pas question que de culture et de création, mais aussi de développement économique.
La parole est à Mme Martine Billard, pour soutenir l'amendement n° 337 .
Comme l'amendement précédent, celui-ci tend aussi à défendre le droit moral de l'auteur d'un logiciel – ce droit ne concerne pas que la musique ou le cinéma dont nous avons surtout parlé jusqu'à présent. Il nous semble évident que ce n'est pas à une autorité administrative ou à un tiers de décider à la place de l'auteur ce qu'il est possible de faire.
Mais je voudrais revenir sur le débat précédent qui est lié à celui-ci : l'exception de décompilation et l'interopérabilité sont dans le considérant 48 de la directive EUCD. Madame la ministre, monsieur le rapporteur, vous ne pouvez donc pas soutenir que l'interopérabilité est contraire à la directive européenne concernant les DRM. Ce n'est pas vrai ; c'est contenu dans la directive EUCD.
Si le Conseil constitutionnel a censuré « interopérabilité », ce n'est pas au nom de la directive, mais parce qu'il a considéré que le terme n'était pas défini dans la loi. Il n'a donc pas pris position sur le fond, à savoir : si des DRM empêchent d'accéder à une oeuvre, peut-il y avoir exception dans le cas d'utilisation de logiciels libres ? Cela revient à ça.
Si une telle exception ne peut exister, cela signifie, par exemple, qu'à l'Assemblée nationale où nous avons des postes de travail sous Linux, complètement en logiciel libre, nous ne pouvons pas avoir accès à certains CD ou certaines oeuvres en lignes. C'est la conséquence logique, si, comme vous l'affirmez, il n'est pas possible de passer outre un DRM protégé si les fournisseurs de ce DRM n'ont pas donné la possibilité de lire le morceau avec des logiciels libres.
Nous avons un désaccord sur la lecture de la décision du Conseil constitutionnel qui est fondamental puisque en découle la possibilité d'inscrire dans la loi les amendements que nous proposons depuis tout à l'heure.
Avis défavorable. Si cet amendement était adopté, madame Billard, il priverait l'HADOPI de l'un de ses moyens les plus efficaces pour essayer de garantir l'interopérabilité des DRM avec des supports de lecture d'oeuvres ou d'objets protégés.
Avis défavorable pour les mêmes raisons.
(Les amendements identiques nos 305 rectifié et 337 ne sont pas adoptés.)
Je suis saisi par la commission d'un amendement de la commission, n° 27, tendant à réparer une omission.
(L'amendement n° 27 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 28 .
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir cet amendement.
Cet amendement tend à élargir la saisine de l'HADOPI à deux cas importants. Tout d'abord, lorsqu'une mesure technique de protection entrave l'accomplissement d'une procédure parlementaire de contrôle, d'une procédure juridictionnelle ou administrative, ou d'une procédure entreprise à des fins de sécurité publique. Ensuite, lorsqu'une mesure technique de protection empêche la mise en oeuvre, par les organismes du dépôt légal, de l'exception de reproduction à des fins de consultation sur place. Cette extension découle de l'application de l'article 6 de la directive du 22 mai 2001, transposée par la loi DADVSI.
(L'amendement n° 28 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
Cet amendement tend au rétablissement formel d'une abrogation préalable.
(L'amendement n° 31 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
(L'article 1er, modifié, est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 32 , portant article additionnel après l'article 1er.
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir cet amendement.
Cet article additionnel a vocation à procéder à diverses coordinations rendues nécessaires dans le code de la propriété intellectuelle par la renumérotation de l'article L. 331-22 en article L. 331-11.
(L'amendement n° 32 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
Sur cet article 2, très dense, il y aurait beaucoup à dire. Je vais me concentrer sur un aspect important, mais qui ne sera sans doute que très marginalement évoqué : cette mauvaise habitude française de multiplier les structures administratives – autorités indépendantes, commissions, hauts conseils et autres observatoires.
Que serait une nouveauté législative sans la création d'une nouvelle autorité administrative indépendante, permettant au ministre concerné de se défausser de ses responsabilités ? Cette autorité coûte de l'argent. Nous n'en avons pas tellement parlé, mais le coût de l'HADOPI m'apparaît assez faramineux.
Cette autorité brouille la lisibilité de l'action publique. En plus de créer une usine à gaz procédurale, ce texte ajoute une nouvelle couche au mille-feuilles, égarant un peu plus le citoyen dans le maquis des autorités habilitées à conseiller, à sanctionner, et maintenant à avertir.
D'un côté, nous engageons un effort de simplification ; de l'autre, nous complexifions. C'est la même commission – celle des lois – et notamment son président – pourtant un adepte de la simplification – qui se chargent des deux mouvements. Afin de réconcilier les deux logiques, nous pourrions poser une question : la mission que nous voulons confier à l'HADOPI ne pourrait-elle pas être exercée par une autorité déjà existante ?
Deux autorités indépendantes oeuvrent déjà dans le domaine de la régulation des réseaux électroniques : l'ARCEP et l'AMT. Elles ne font pas exactement la même chose, et la mission spécifique de L'HADOPI nécessite la création d'une nouvelle structure, m'objectera-t-on.
On se rend compte que tout cela n'a pas de sens, surtout quand on observe le monde de la finance, doté de plusieurs instances de régulation : l'autorité des marchés financiers, le comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, la commission bancaire, et la Banque de France. Leur émiettement porte préjudice au bon accomplissement de leur mission, et elles sont priées de travailler davantage en synergie.
Pourquoi ne pas appliquer cette logique à la régulation des réseaux électroniques, d'autant plus que c'est un sujet sur lequel nous aurons encore à débattre dans les années à venir ? Lorsqu'un nouveau problème surgira, allons-nous encore créer une autre autorité indépendante, la troisième ? Nous savons pourtant qu'une commission ne sert pas à grand-chose, sauf à donner l'illusion qu'on agit.
Permettez-moi de vous présentez l'HADOPI, la fameuse usine à gaz. Mesdames et messieurs les députés, pour ceux d'entre vous qui ne l'ont pas encore admiré, en voici le schéma synoptique, en exclusivité. (L'orateur brandit un organigramme.) Voyez un peu la complexité !
Ce schéma correspond, en fait, au pré-appel d'offres qui va permettre à la riposte graduée de fonctionner en France. Ce schéma-là, monsieur le président !
On notera la délicatesse de la démarche, puisque le projet de loi relatif à la protection de la création sur Internet n'a pas été voté. Ce document est de premier ordre, car il permet de toucher d'un peu plus près ce que sera exactement le mécanisme de la riposte graduée. À cet égard, le schéma reproduit est tout à fait symptomatique de la lourdeur du mécanisme.
Le document, officialisé dans les bulletins d'annonces le 5 mars dernier, vise « la réalisation, l'hébergement et la maintenance d'un prototype du système d'information gérant le mécanisme de riposte graduée confié à la commission de protection des droits de l'HADOPI. » Ce n'est pas encore la vraie riposte, mais la réalisation d'un premier prototype avec un appel d'offres préliminaire.
Dans ce document dont on pourra rediscuter lors de l'examen des amendements, on trouve beaucoup d'informations intéressantes comme celle-ci : «L'objectif est d'envoyer les premières recommandations que prévoit le mécanisme de sensibilisation dès le mois de juillet 2009. » Ce sera une phase de test via un prototype qui « offrirait les fonctionnalités principales du système d'information cible, afin de tirer un maximum d'enseignements des premiers mois d'exploitation et traiterait des volumes dix fois inférieurs à la volumétrie cible, puisque certaines tâches y seraient assurées de manière semi-automatisée du fait de cette exigence de calendrier. »
En rythme de croisière, on atteindra 1 000 mails, 300 lettres recommandées et 100 suspensions par jour. Si l'on divise par 10 les chiffres donnés par Mme la ministre, ce test devrait donc bien viser ces 1 000 mails, 300 lettres recommandées et 100 suspensions d'abonnement chaque jour, en raison de cette fameuse semi-automatisation qui conduira ainsi à une petite riposte graduée.
La pleine mesure de l'usine à gaz sera pour la suite ; nous reviendrons sur les détails.
Ce qui me gêne, avec ces entités que l'on crée, et notamment cette haute autorité, c'est le coût. Or, selon l'appel d'offres, ce chapitre ne compte que pour un cinquième de la décision : au ministère, quand on aime, on ne compte pas !
La date limite de réception des offres ou des demandes de participation est fixée au 3 avril, date à laquelle le Parlement n'aura pas fini l'examen du texte et le Conseil constitutionnel ne se sera pas encore prononcé. Cette usine à gaz sera donc mise en place dans notre dos, avant notre vote.
Nous sommes au coeur du projet de loi, puisque l'article 2 contient la majorité de ses dispositions.
L'ARMT, autorité créée par la loi DADVSI, est remplacée par une haute autorité, une de plus : c'est devenu une manie – je souscris aux propos de M. Tardy sur ce point – qui, à certains égards, témoigne d'un démantèlement de la justice. On nous explique parfois que celle-ci n'aurait pas les moyens de traiter aussi rapidement que nécessaire les procédures visées, en l'occurrence celles liées aux téléchargements abusifs ; mais il est un peu étonnant d'en tirer argument pour créer une haute autorité dont on externalise alors certaines charges.
Selon un communiqué publié aujourd'hui par l'AFP, l'IFPI, la Fédération internationale de l'industrie phonographique, basée à Londres, soutient totalement le projet de loi. Pour lutter contre le piratage, cette fédération s'appuyait sur une association interprofessionnelle américaine, la RIAA – Recording industry association of America –, laquelle regroupe les sociétés privées détentrices des labels et maisons de disques représentant 90 % de la production aux États-Unis. Or les majors – EMI, entre autres – qui finançaient la RIAA ont décidé de se retirer massivement. Résultat : cette association a dû licencier plus d'une centaine d'employés qui étaient affectés à la surveillance des réseaux et à la lutte contre le piratage. Le dispositif que l'on nous propose revient donc à transférer vers le contribuable la charge d'un financement jusqu'alors assuré par des sociétés du secteur de la musique. Voilà qui explique sans doute le soutien enthousiaste de l'IFPI au présent texte.
L'article pose plusieurs problèmes que je n'ai pas le temps de détailler. En particulier, la Haute autorité, qui comprendra une commission de protection des droits, pourra obtenir toutes les données conservées et traitées par les opérateurs de communication électronique dans le cadre de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques,…
…article auquel seul la lutte contre le terrorisme permet de déroger. Je trouve inadmissible que, pour défendre la propriété privée, on en vienne à utiliser des mécanismes prévus pour la lutte contre le terrorisme. Il ne s'agit pas de contrôler l'Internet, nous dit-on.
Je conclus, monsieur le président.
On veut instaurer une surveillance continuelle des réseaux qui, si elle ne porte pas sur l'ensemble des données, a quand même pour objectif de repérer les oeuvres illicitement téléchargées qui y circuleraient.
Je développerai ces différents points ultérieurement ; en tout état de cause, les Verts sont totalement opposés à l'article 2.
L'article 2 est en effet essentiel.
Une fois de plus, la preuve est faite qu'une réforme, en France, ne peut s'envisager sans que soit créée une nouvelle autorité administrative indépendante, permettant au ministre concerné – en l'occurrence vous, madame Albanel – de se débarrasser de ses responsabilités. Sous couvert de hautes autorités, l'État abdique sa propre autorité en la confiant à des experts, comme par hasard proches du pouvoir, et souvent autoproclamés.
L'article 2, autour duquel est construit le projet de loi, contient à lui seul tout le dispositif répressif. Or cette riposte graduée, que vous drapez d'atours pédagogiques, pose un certain nombre de problèmes qui en font un dispositif juridique inacceptable, inefficace et dangereux. Revenons très rapidement – car nous aurons l'occasion d'en rediscuter – sur les aspects juridiques. Votre texte est avant tout contraire au principe fondamental du droit à un procès équitable permettant à un accusé d'assurer sa défense à l'occasion d'une procédure contradictoire : l'usager n'aura pas le loisir de connaître les contenus des éléments qu'il est accusé d'avoir téléchargés, et ne pourra contester la sanction qu'a posteriori, devant les juridictions judiciaires, et, bien entendu, à ses frais. C'est bien à vous, qui avez été à Versailles, qu'il revenait de rétablir la lettre de cachet !
Cette procédure est d'autant plus choquante qu'elle induit une inversion de la charge de la preuve : c'est à l'usager, désormais, de prouver qu'il n'est pas coupable, que sa connexion était sécurisée ou qu'elle a été utilisée à son insu. Souhaitons donc bien du courage à ces usagers souvent néophytes, que l'on condamne en raison d'une aptitude technique qu'ils n'ont pas, ou dont on met en cause, par le fait d'autrui, la responsabilité. En outre, vous exposez l'usager à une triple peine : une sanction de suspension qui ne l'exonère pas de payer pour un service dont il ne jouit plus, et qui n'empêchera pas une potentielle action en contrefaçon devant les juridictions judiciaires.
Ces quelques éléments mettent en évidence, s'il en était besoin, la défiance de votre gouvernement vis-à-vis de la justice, défiance qui n'a d'égale que la quête du chiffre : 360 000 suspensions de connexion constituent « un objectif raisonnable », annoncez-vous calmement ! Voilà le véritable Graal dont M. Sarkozy parlait le 23 novembre 2007 en matière de lutte contre la piraterie ! La culture du résultat chère au Président de la République se traduit donc par 360 000 suspensions de connexion comme par 28 000 expulsions d'immigrés ; dommage que vous n'ayez pas les mêmes objectifs pour la lutte contre la délinquance et la fraude !
Mais la perfidie qui consiste à stigmatiser l'échange de pair à pair en le qualifiant, de manière anxiogène, de piratage des oeuvres culturelles, sert en définitive des intérêts mercantiles ; elle vous permet de brouiller l'écoute des citoyens et de l'opinion au nom de la défense de la culture et des créateurs.
En réalité, contrairement à ce que vous voulez faire croire, l'Internet n'est une menace ni pour la culture ni pour les artistes ; en revanche, c'est une réelle opportunité pour l'industrie de prendre le contrôle de ce qui échappe encore à son marché. En instaurant la riposte graduée à la demande des industriels, vous cautionnez la crispation de secteurs qui renâclent à opérer leur mue et demandent encore quelques instants de répit au réel, arc-boutés qu'ils sont sur des taux de rentabilité qui constituent des outrages aux artistes.
Nous considérons, madame la ministre, que la culture est un bien commun universel,…
…qui s'échange et circule depuis la nuit des temps, notamment par la copie. Octavio Paz écrivait :…
…« Toute culture naît du mélange, de la rencontre, des chocs. À l'inverse, c'est de l'isolement que meurent les civilisations. »
Souhaitez-vous réellement, pour satisfaire l'industrie culturelle, apparaître dans l'histoire comme la ministre qui aura mis en place une sanction pénalisant la diffusion de la culture et favorisé les positions dominantes des distributeurs et des majors sur l'Internet, sans pour autant revoir les modes de rémunération des artistes que vous prétendez défendre ?
Fidèle à la philosophie qui anime votre gouvernement, vous présentez cette riposte graduée comme le seul rempart pertinent pour protéger les créateurs. Serez-vous la ministre de la culture, ou celle des petits sous pour les majors ?
Pour rester au niveau de Jean-Pierre Brard et d'Octavio Paz, il faut vraiment parler, au sujet de cet article, d'un choc de civilisations. L'HADOPI, à cet égard, est l'emblème technocratique de la contre-civilisation numérique que vous tentez d'imposer ; sa transcription graphique aurait la légèreté d'une raffinerie de pétrole, comme l'a montré l'un de nos collègues.
Cela fait dix ans que l'on réfléchit en France à la régulation de l'Internet. Le droit commun suffit-il, ou en faut-il un spécifique ? C'est une réflexion de fond, madame la ministre.
Je vous écoute avec passion !
Et nous apprécions de discuter de ces sujets avec vous.
Quelle voie suivre ? L'autorégulation ? Le recours au juge ? À une autorité administrative indépendante ? Vous avez choisi cette dernière solution, que nous désapprouvons totalement. S'il ne s'agissait que de réguler ou de définir des normes pour faire progresser le débat sur l'Internet, pourquoi pas ; sous la conduite de Lionel Jospin, nous avions ainsi créé le forum des droits sur l'Internet. Les questions, en ce domaine, évoluent avec les technologies et s'avèrent épineuses au plan juridique. Créer des espaces de débat pour élaborer des normes, pourquoi pas ; mais quand il s'agit d'écrire la loi ou de l'appliquer, les choses sont bien différentes : la première mission incombe au Parlement et la seconde aux juges.
Or il s'agit ici de sanctions qui portent sur des questions qui n'ont rien de mineur. Nous pouvons concevoir que des autorités administratives prennent des sanctions s'agissant de questions de vie quotidienne relativement peu importantes : il s'agirait simplement de trouver des voies de recours devant les tribunaux. En l'occurrence, les sanctions prévues mettent en jeu des libertés fondamentales : liberté de communiquer, liberté de s'exprimer, droit au travail, droit à l'éducation – les réflexions du Parlement européen à cet égard sont fondatrices. Et lorsque des questions aussi fondamentales que ces libertés et leur exercice réel sur Internet et grâce à Internet sont en jeu, les sanctions doivent relever, non d'une autorité administrative, mais du juge.
Lors de votre audition devant la commission des affaires sociales et culturelles, madame la ministre, vous avez avancé l'argument d'un risque d'engorgement des tribunaux. Vous avez reconnu par là même que c'est une surveillance et une répression massive que vous envisagez. Je comprends dès lors un peu mieux votre envie de disposer d'une sorte de cour spéciale chargée d'appliquer cette loi très contestable sur le fond.
Voilà pourquoi l'article 2 représente pour nous un monstre juridique. Il repose sur une erreur quant aux principes mêmes de la régulation d'Internet et met en place un dispositif contraire à l'État de droit : absence de procédure contradictoire dès la première recommandation, non-application de la présomption d'innocence et difficultés d'imputation de la responsabilité du délit, nous y reviendrons à travers nos amendements.
Confier la tâche de décider des sanctions à quelqu'un d'autre qu'un juge, exerçant ses fonctions dans le cadre légitime des tribunaux de la République, nous paraît profondément contestable.
Nous voterons donc contre l'article 2.
Cet article 2, article central de ce projet de loi, vise à créer une usine à gaz, une raffinerie pétrolière, une monstruosité juridique, bref, un nouveau machin, présenté abusivement comme un dispositif pédagogique et dissuasif alors qu'il s'agit en réalité d'un dispositif répressif et disproportionné.
L'avis de la Commission européenne, le vote par le Parlement européen à une très large majorité d'une résolution, reprise dans l'amendement n° 46 , démontrent l'isolement de la France, de manière presque caricaturale.
Vous avez évoqué tout à l'heure le cas de la Nouvelle-Zélande, insistant sur le fait que l'absence d'une concertation analogue à celle ayant abouti aux accords de l'Élysée avait conduit à retarder la mise en oeuvre du dispositif. Vos propos m'ont interpellé et j'ai voulu relire votre audition devant la commission des lois : vous souligniez que le nombre de téléchargements en Nouvelle-Zélande avait baissé depuis qu'avait été mis en place le système de la riposte graduée. Cela a évidemment quelque chose de drôle, je le dis en souriant et sans esprit polémique, car ce système n'a toujours pas été mis en oeuvre, le Premier ministre néo-zélandais en ayant suspendu l'application.
Nous avons tous lu l'avis rendu par l'ARCEP et l'avis rendu par la CNIL. J'entends ici ou là que ce dernier aurait été satisfait par les discussions au Sénat. Notre rapporteur nous expliquera sans doute qu'il a quelques amendements dans la poche la main qui finiront de régler tous les problèmes. Il n'en est rien ! Beaucoup des interrogations de la CNIL restent en suspens et j'espère que l'adoption de nos amendements permettra d'y apporter des réponses.
La création de cette nouvelle Haute autorité, outre qu'elle aboutit à une gabegie financière supplémentaire, repose sur une démarche privative de libertés et de droits fondamentaux, qui ne sont pas seulement ceux des internautes mais ceux auxquels tout citoyen est attaché en démocratie. Cette instance repose sur une sorte d'extraterritorialité juridique : les conditions dans lesquelles elle pourra oeuvrer empêcheraient tout tribunal en France de rendre justice, malgré les mauvaises réformes de Mme Dati.
L'internaute à qui il sera reproché un téléchargement dit illégal recevra un premier mail d'avertissement mais sans que lui soient communiqués les éléments matériels qui fondent cette démarche. Puis, après la recommandation, suivra la sanction suprême, la suspension de l'abonnement. Mais à aucun moment de cette procédure insensée – nous le répétons et nous le répéterons jusqu'à la fin de ce débat – ne sont respectés la présomption d'innocence, les droits de la défense les plus élémentaires ou le principe du contradictoire. C'est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement visant à ce que la suspension de l'abonnement soit soumise à une décision préalable d'une autorité judiciaire.
Je termine par la disposition la plus choquante : le caractère aléatoire des sanctions, qui constitue une rupture manifeste d'égalité de nos concitoyens devant la loi. L'HADOPI jouira d'un pouvoir discrétionnaire qui conduira, selon son bon vouloir, à ce qu'un internaute ne reçoive qu'un simple avertissement quand un autre sera l'objet de multiples courriers, qui conduira encore à ce qu'il soit proposé à l'un une transaction quand un autre se verra appliquer une sanction.
Je tiens à mettre en garde notre assemblée contre les funestes conséquences de cet article : nous ne pouvons légiférer dans de telles conditions et laisser naître un monstre juridique ni laisser l'HADOPI décider, selon son bon vouloir, que tel internaute est blanc et tel autre noir.
Nous en venons à deux amendements de suppression de l'article 2, nos 338 et 403.
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l'amendement n° 338 .
Le présent projet de loi, madame la ministre, ne sert qu'aux industries culturelles – deux mots qui ne vont pas très bien ensemble –, incapables de se remettre en question face à la fonte de leurs profits, et qui font semblant de trembler face aux menaces de piraterie et de culture gratuite.
Les formes traditionnelles de distribution culturelle et de protection des oeuvres volent en éclat en même temps que la diversité culturelle. Et l'usine à gaz que vous inventez ne vise en réalité qu'à protéger des formes archaïques, fossilisées. À cet égard, il est intéressant de noter, chers collègues, le parallèle entre ce texte et le projet de loi sur l'audiovisuel public auquel nous nous consacrions il n'y a pas si longtemps.
Ce sont donc les seuls et uniques impératifs financiers et économiques des grandes entreprises médiatiques qui voient leurs chiffres d'affaire baisser qui vous occupent. Il y a deux mois, vous punissiez France Télévisions de trop bien gérer l'entreprise publique, aujourd'hui, vous vous attaquez aux internautes partageurs, autrement dit aux citoyens lambda.
La création artistique, libérée des contraintes commerciales, doit être encouragée par la possibilité de court-circuiter les majors, de dépasser leur politique frileuse de standardisation à grand renfort de campagnes de marketing. Comme le disait notre collègue Dionis du Séjour, quelle valeur ajoutée créent-elles donc ?
Contrairement à ce que vous semblez penser, Internet accélère les croisements entre les cultures, multiplie les occasions d'échanges donnant naissance à de nouvelles formes artistiques. Effectivement, cet Internet participatif et interactif fait du spectateur consommateur un acteur à part entière, qui ne remplit plus les attentes des entreprises de communication. Elles perdent aujourd'hui la main, une main graissée par les intérêts économiques et agitée par la mécanique du marketing : une perte qui, à nos yeux, relève plutôt du gain.
Avec l'émergence de l'idée d'un contrôle des ordinateurs individuels aux fins d'assurer la survie du système, nous entrons au coeur de l'ambiguïté entre libéralisme et liberté où les tentations plus ou moins voilées de contrôle de l'espace privé voient le jour. Et vous êtes, madame la ministre, là où les multinationales vous demandent d'être afin qu'elles puissent enfin contrôler ces espaces de temps libre et de libertés individuelles de nos concitoyens. Oui, madame la ministre, vous êtes la sentinelle de ces groupes mercantiles.
Permettez-moi de revenir sur un aspect dont on parle peu mais qui est, malgré tout, au coeur de ce projet de loi : Internet et le téléchargement illégal participent de l'abandon progressif des moyens de contrôle sur la production de symboles indispensables à la culture occidentale. En effet, c'est tout le système de valeurs morales économiques et politiques de l'Europe de l'Ouest, porté par les produits culturels conformes, qui est ébranlé. Comment ne pas se réjouir de ce mouvement qui augure d'un monde nouveau ?
Avec cet article 2, toutes les conditions sont réunies pour que l'internaute partageur retrouve le droit chemin, celui du respect des sacro-saintes règles commerciales, celui du respect du profit à tout prix pour des majors incapables de se remettre en cause.
Finalement, les seuls qui se voient punis avec votre projet de loi, ce sont l'internaute partageur et, on l'oublie trop souvent, l'artiste dont la rémunération ne sera pas augmentée pour autant.
Pour faire vite, une Haute autorité indépendante, sans contrôle de l'autorité judiciaire, autrement dit une instance d'exception, pourra punir l'usager d'Internet à partir de l'identification de l'adresse IP, seule preuve de l'infraction, d'une faiblesse juridique rarement rencontrée.
C'est en quelque sorte, madame la ministre, la bourse contre la liberté, …
…la trique ou la soumission !
Bref, tout dans cet article – et je termine, monsieur le président – contribue à criminaliser les internautes les moins en pointe sur le sujet, au nom de la sauvegarde de la diversité culturelle, alors que rien dans ce texte ne vise à favoriser la création et à améliorer la rémunération des artistes.
Nous proposons donc la suppression de cet article, au nom de la défense de la liberté de la création et de la capacité pour notre monde à se renouveler.
Je vais résumer en trois points les motifs de notre opposition à la création de cette Haute autorité, qui répond au délicieux diminutif d'« HADOPI ».
La première raison, qui renvoie à la conception même que nous avons du développement d'Internet et de la diffusion de la culture, est l'inutilité d'une telle autorité. En écoutant les débats cet après-midi, je me disais que la meilleure façon de réduire les téléchargements était de développer les sites de streaming, sachant que certains d'entre eux permettent le stockage, François Brottes l'a souligné hier soir.
Toute la musique du monde sera donc soit en accès gratuit avec un système de publicité qui permettra une rémunération très symbolique des artistes et des ayants droit, soit accessible par téléchargement souvent d'ailleurs de moindre qualité comme c'est souvent le cas sur les réseaux peer to peer. Comment pouvez-vous encore écrire la loi en disant que d'un côté le système est légal tandis que de l'autre il ne l'est pas ? La barrière des espèces est tombée. Cet espace non marchand méritait-il une vraie contrepartie forte permettant de soutenir la filière musicale ?
Le deuxième motif de suppression de l'article 2 concerne l'absence de garanties procédurales solides. La connexion à internet pourra être coupée avant toute possibilité de recours. Cette inversion de la chronologie de la sanction est particulièrement contestable.
Le troisième motif de suppression de cet article concerne le coût de l'HADOPI. Madame la ministre, combien de millions d'euros mettez-vous sur le tapis vert ? Tous les députés, qu'ils soient de l'opposition ou de la majorité, pourraient vous citer des compagnies de spectacle vivant qui sont à deux doigts du dépôt de bilan ou des festivals de musique, de théâtre, de danse, de poésie – en Bourgogne et ailleurs – dont l'activité est menacée parce que les subventions qui leur sont accordées baissent chaque année. Si vous aviez 10 millions de trop dans votre budget, il fallait nous le dire ! Nous vous aurions tout de suite indiqué comment les utiliser. Cessez de dire qu'en créant l'HADOPI vous soutenez la culture. En fait, vous allez détourner du spectacle vivant des millions d'euros.
Vous vous gargarisez des accords de l'Élysée. Mais ce sont des accords bidon qui ne résisteront pas – un certain nombre de FAI les dénoncent déjà. Je lisais tout à l'heure une déclaration de M. Kosciusko-Morizet, un jeune entrepreneur fringant de cette galaxie des startups, qui estime, à juste titre, qu'il faut arrêter les dégâts. Nous aurions pu reprendre cette demande de moratoire. En fait, ce ne sont pas des accords, mais une injonction de l'Élysée adressée au ministre de la culture qui va devoir ponctionner sur son budget de quoi financer ce site de propagande dont on a beaucoup parlé aujourd'hui mais aussi l'HADOPI. Et nous attendons de votre part une évaluation officielle du coût de fonctionnement de cette Haute autorité.
Monsieur le président, nous n'irons pas très loin dans l'examen de l'article 2 tant que nous ne saurons pas combien elle coûte.
J'aurai l'occasion de répondre aux différentes critiques que vous avez formulées sur l'article 2 à travers les amendements que vous nous présenterez tout à l'heure. Aussi, je me bornerai à vous répondre sur la question de la CNIL.
Monsieur Bloche, la quasi-totalité des suggestions formulées dans l'avis de la CNIL ont été intégrées au projet de loi.
Celui-ci prévoyait notamment le principe selon lequel les fournisseurs d'accès à internet proposent à leur abonné les outils de sécurisation de leur poste dans les mêmes conditions que les logiciels de contrôle parental visés à l'article 6 de la LCEN – article 8 du projet de loi – et que la sanction ne saurait aboutir à suspendre les services de téléphonie et de télévision dont l'abonné bénéficie dans le cadre du contrat qu'il a conclu avec son fournisseur d'accès à Internet – article 2, alinéa 91.
La CNIL proposait également que les agents en charge de l'instruction des saisines soient habilités dans des conditions équivalentes à celles des agents de l'ARCEP – article 2, alinéas 52 à 59. En fait, la procédure d'habilitation et les prérogatives de ces agents reprennent à l'identique les dispositions relatives aux agents enquêteurs de la CNIL elle-même qui constituent, sans aucun doute, la meilleure référence possible, ou aux agents d'autres autorités indépendantes comme la HALDE.
Par ailleurs, elle suggérait que l'envoi d'avertissements préalablement à toute sanction ait un caractère nécessaire et non pas facultatif – article 2, alinéa 75 –...
...et que le répertoire des personnes dont l'activité a été suspendue ne pourrait être consultable par les fournisseurs d'accès à Internet que sous la forme d'une simple interrogation – article 2, alinéa 111.
Vous le voyez, les recommandations de la CNIL ont été reprises, dans leur très grande majorité, dans ce projet de loi.
La commission des lois mais aussi la commission des affaires culturelles et la commission des affaires économiques ont pris en compte les avis qui ont été rendus mais aussi les remarques qui ont été formulées lors des auditions ou encore lors des discussions que nous avons eues avec le Gouvernement. À cet effet, je tiens à remercier Mme la ministre pour le travail constructif que nous avons eu avec son cabinet.
Nous avons repris les suggestions qui nous semblaient les plus opportunes afin d'améliorer et d'enrichir le texte. Du reste, nous avons retenu de nombreux amendements présentés par le groupe SRC...
Vous le voyez, nous sommes dans un état d'esprit constructif et un certain nombre des suggestions de la CNIL ont été prises en compte.
Monsieur Paul, peut-être n'avez-vous pas lu le rapport de la commission des affaires culturelles.
Les pages 73 à 75 y traitent de l'organisation et des moyens humains et financiers de l'HADOPI. Je vais me faire un plaisir de vous le donner ! (Mme Muriel Marland-Militello donne à M. Christian Paul le rapport n° 1481.)
Je m'associe à toutes les observations que vient de faire le rapporteur et qui montrent que de nombreux avis de la CNIL ont été suivis.
En réalité, cette Haute autorité, c'est le prix de la confidentialité, de l'exigence française en matière de lutte pour la protection des droits d'auteur.
Le fait de défendre les droits d'auteur n'est pas risible à ce point, monsieur Bloche, même si ce souci vous est étranger, ce que je regrette beaucoup !
L'HADOPI garantira la confidentialité. Différents systèmes ont été mis en place qui prévoient des liens directs entre les FAI et les sociétés d'ayants droit qui ne garantissent aucune confidentialité.
Peut-être faudrait-il comparer le coût de revient de la future Haute autorité au coût d'un déferlement de contentieux, comme on peut le constater en Allemagne où l'en est à 50 000 cas.
Nous ne sommes ni dans le système anglo-saxon d'absence totale de confidentialité, ni dans celui d'un embouteillage extrêmement coûteux pour les finances publiques auquel nous parviendrions si nous ne mettions pas en place ce projet de loi.
J'entends qu'il y a une espèce de filtrage généralisé alors que nous sommes toujours dans la philosophie précédente selon laquelle ce sont les sociétés d'ayants droit qui vont repérer sur les sites les adresses IP, dans des conditions autorisées par la CNIL. Et la procédure contradictoire existe bien.
Les avertissements que pourra recevoir une personne ont le mérite d'appeler l'attention sur le problème, donc d'avoir une action pédagogique, de même que la lettre recommandée. Puis, en réalité, il y a une double procédure contradictoire, la première devant l'HADOPI, exactement comme devant le Conseil de la concurrence, puis devant le juge.
Pas du tout, l'abonnement n'est pas suspendu. Mais vous pourrez faire des observations, saisir l'HADOPI et demander un sursis d'exécution. Toutes les précautions sont donc bien prises.
En réalité, ce n'est qu'au terme d'un long processus qu'interviendra cette fameuse suspension de l'abonnement dont la durée ne sera pas très longue.
Nous ne sommes donc pas dans un processus liberticide. Il s'agit donc bien de défendre de façon assez efficace les droits des auteurs tout en restant dans ce que j'appellerai le génie français.
Nombre de vos arguments montrent à quel point vous trouvez qu'il y a un droit à prendre, à se servir parce qu'on est sur Internet et une absence de volonté de votre part à défendre les droits des auteurs et des artistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Ce débat sur la constitutionnalité de l'HADOPI et sur l'atteinte aux libertés qu'elle représente me semble surréaliste. On a l'impression qu'on est face à un monstre inconnu, une espèce d'OVNI juridique. Je rappelle qu'il existe déjà des autorités indépendantes – je pense à l'ARCEP, à l'AMF – qui rendent des décisions sans que cela pose des problèmes particuliers...
..même si nous ne sommes pas exactement dans le même domaine.
Comme j'ai l'honneur de représenter l'Assemblée nationale à la CNIL depuis quelques mois...
..je me sens autorisé à communiquer quelques éléments.
Je rappelle d'abord que la CNIL a été l'objet de toutes les attentions, qu'elle a été auditionnée à plusieurs reprises par la commission des lois et que son rapporteur s'en est fait l'écho dans son rapport. J'ajoute que les sénateurs socialistes ont voté ce texte sans polémiquer, ce qui ne semble pas être le cas aujourd'hui.
Comme l'a demandé la CNIL, les agents de l'HADOPI seront assermentés dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État, ce qui renforcera leur indépendance.
J'ajoute que les FAI devront informer leurs clients de l'existence d'outils de sécurisation mais ils devront également leur en fournir un parmi ceux qui figurent sur la liste établie par l'HADOPI, comme le souhaitait la CNIL.
Enfin, la CNIL sera saisie pour avis du décret d'application relatif aux modalités de mise en oeuvre par l'HADOPI des traitements des données personnelles des internautes.
Je suis heureux de vous entendre dire que c'est son rôle. En effet, le rôle de la CNIL ne sera pas négligé. Elle assurera toutes ses missions.
Les décrets en Conseil d'État, les avis de la CNIL et les agents assermentés sont autant d'éléments qui font tomber, un à un, vos arguments…
…selon lesquels le projet de loi instaurerait une Haute autorité qui serait totalement déconnectée de la réalité et attenterait aux libertés.
Nous terminons en feu d'artifice cette séance !
Madame Marland-Militello, je suis obligé de constater que c'est, assurément, avec une grande amabilité, mais aussi avec une naïveté confondante, que vous m'avez transmis votre rapport : en effet, celui-ci, sur la question du budget de l'HADOPI, est à charge, puisque ce n'est pas moins de 6,7 millions d'euros qui seront distraits en 2009 du budget du ministère de la culture ! Voilà une information que nous allons placarder dans la France entière ! C'est l'équivalent des sommes que le ministère de la culture consacre à plus d'une demi-douzaine de maisons de la culture ou à une centaine de compagnies conventionnées ! C'est un montant énorme pour un budget en totale paupérisation !
Dans nos régions, des chantiers de restauration de monuments historiques sont arrêtés parce que Mme Albanel n'a plus les moyens de payer les entreprises.
C'est faux.
C'est vrai ! Je peux vous citer des monuments sur lesquels des échafaudages ont été laissés à grands frais durant un an ou deux parce qu'il n'y avait plus un euro pour financer les travaux. Et vous allez mettre 6,7 millions d'euros dans l'HADOPI ! Je garderai le rapport à charge de Mme Marland-Militello, car il est digne de figurer dans une anthologie.
Monsieur Gosselin, je ne savais pas que vous étiez commissaire de la CNIL. Je vous en félicite, tout en regrettant qu'aucun député, ni sénateur, je crois, de l'opposition, n'y siège.
Si, sur les deux sénateurs qui siègent à la CNIL, le premier est de la majorité et le second de l'opposition.
Il n'y a donc bien aucun député de l'opposition. Le Sénat fait preuve en la matière d'un plus grand pluralisme que l'Assemblée.
Je suis d'autant plus agréablement surpris que la CNIL, en dépit de ce faible pluralisme, ait rendu cet avant-projet. Je lui en rends hommage.
Mais vous êtes, quant à vous, un bien mauvais commissaire de la CNIL puisque vous n'avez pas cité avec sincérité et loyauté son rapport.
Que M. Riester, dont c'est désormais la marque de fabrique, travestisse le rapport de la CNIL, cela ne saurait plus nous étonner, mais vous, monsieur Gosselin, qui êtes membre de la CNIL, vous auriez dû lire le florilègedu rapport, d'autant qu'il n'a été satisfait que sur quelques broutilles – celles que M. Riester a rappelées.
C'est ainsi que la CNIL déplore « que le projet de loi ne soit pas accompagné d'une étude qui démontre clairement que les échanges de fichiers via les réseaux “pair à pair” sont le facteur déterminant d'une baisse des ventes dans un secteur qui, par ailleurs, est en pleine mutation du fait, notamment, du développement de nouveaux modes de distribution des oeuvres de l'esprit au format numérique ». La CNIL met en doute les fondations même de votre texte ! De plus, elle considère que la liste des exonérations prévues par le projet de loi est trop « restrictive » – nous entrons sur le terrain des libertés individuelles avec la question de l'obligation de surveillance mise à la charge des abonnés – et « ne permet pas d'appréhender les cas où l'internaute pourrait légitimement mettre à disposition un fichier protégé par les droits d'auteur ».
La CNIL remarque également qu'aucune précision n'a porté sur les critères et les modalités pratiques de mise en oeuvre de la procédure permettant d'accepter une transaction. Quant à la nature des personnes concernées par l'obligation de surveillance, la commission estime qu'au-delà des conséquences économiques et sociales que pourrait engendrer la suspension de l'abonnement à Internet d'une entreprise ou d'une collectivité,…
…le respect par l'employeur de l'obligation de sécurisation « comporte » – c'est la CNIL qui le dit, ce ne sont pas seulement les députés socialistes ! – « un risque de surveillance individualisée de l'utilisation d'Internet ».
Sur le respect des droits de la défense et le recours au filtrage, la CNIL relève qu'une telle disposition « comporte un risque d'atteinte aux libertés individuelles, au rang desquelles figure la liberté d'expression, dans la mesure où elle donnerait la possibilité à l'HADOPI de demander à un intermédiaire technique de procéder au filtrage de contenus considérés comme portant atteinte aux droits d'auteur. » Et vous osez prétendre, monsieur Riester, que le projet de loi donne réponse aux questions posées par la CNIL ! Quant à vous, monsieur Gosselin, commissaire de la CNIL, vous devriez en démissionner dès ce soir car vous l'avez tristement représentée ! La CNIL est une conquête de la République : c'est un contre-pouvoir face aux pouvoirs, quels qu'ils soient, qui ont la tentation de faire adopter des lois liberticides. Et vous prétendez que le texte répond aux objections de la CNIL ! C'est scandaleux !
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma