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Intervention de Jean-Pierre Brard

Réunion du 12 mars 2009 à 15h00
Protection de la création sur internet — Article 2

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Brard :

L'article 2 est en effet essentiel.

Une fois de plus, la preuve est faite qu'une réforme, en France, ne peut s'envisager sans que soit créée une nouvelle autorité administrative indépendante, permettant au ministre concerné – en l'occurrence vous, madame Albanel – de se débarrasser de ses responsabilités. Sous couvert de hautes autorités, l'État abdique sa propre autorité en la confiant à des experts, comme par hasard proches du pouvoir, et souvent autoproclamés.

L'article 2, autour duquel est construit le projet de loi, contient à lui seul tout le dispositif répressif. Or cette riposte graduée, que vous drapez d'atours pédagogiques, pose un certain nombre de problèmes qui en font un dispositif juridique inacceptable, inefficace et dangereux. Revenons très rapidement – car nous aurons l'occasion d'en rediscuter – sur les aspects juridiques. Votre texte est avant tout contraire au principe fondamental du droit à un procès équitable permettant à un accusé d'assurer sa défense à l'occasion d'une procédure contradictoire : l'usager n'aura pas le loisir de connaître les contenus des éléments qu'il est accusé d'avoir téléchargés, et ne pourra contester la sanction qu'a posteriori, devant les juridictions judiciaires, et, bien entendu, à ses frais. C'est bien à vous, qui avez été à Versailles, qu'il revenait de rétablir la lettre de cachet !

Cette procédure est d'autant plus choquante qu'elle induit une inversion de la charge de la preuve : c'est à l'usager, désormais, de prouver qu'il n'est pas coupable, que sa connexion était sécurisée ou qu'elle a été utilisée à son insu. Souhaitons donc bien du courage à ces usagers souvent néophytes, que l'on condamne en raison d'une aptitude technique qu'ils n'ont pas, ou dont on met en cause, par le fait d'autrui, la responsabilité. En outre, vous exposez l'usager à une triple peine : une sanction de suspension qui ne l'exonère pas de payer pour un service dont il ne jouit plus, et qui n'empêchera pas une potentielle action en contrefaçon devant les juridictions judiciaires.

Ces quelques éléments mettent en évidence, s'il en était besoin, la défiance de votre gouvernement vis-à-vis de la justice, défiance qui n'a d'égale que la quête du chiffre : 360 000 suspensions de connexion constituent « un objectif raisonnable », annoncez-vous calmement ! Voilà le véritable Graal dont M. Sarkozy parlait le 23 novembre 2007 en matière de lutte contre la piraterie ! La culture du résultat chère au Président de la République se traduit donc par 360 000 suspensions de connexion comme par 28 000 expulsions d'immigrés ; dommage que vous n'ayez pas les mêmes objectifs pour la lutte contre la délinquance et la fraude !

Mais la perfidie qui consiste à stigmatiser l'échange de pair à pair en le qualifiant, de manière anxiogène, de piratage des oeuvres culturelles, sert en définitive des intérêts mercantiles ; elle vous permet de brouiller l'écoute des citoyens et de l'opinion au nom de la défense de la culture et des créateurs.

En réalité, contrairement à ce que vous voulez faire croire, l'Internet n'est une menace ni pour la culture ni pour les artistes ; en revanche, c'est une réelle opportunité pour l'industrie de prendre le contrôle de ce qui échappe encore à son marché. En instaurant la riposte graduée à la demande des industriels, vous cautionnez la crispation de secteurs qui renâclent à opérer leur mue et demandent encore quelques instants de répit au réel, arc-boutés qu'ils sont sur des taux de rentabilité qui constituent des outrages aux artistes.

Nous considérons, madame la ministre, que la culture est un bien commun universel,…

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