La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente-cinq.)
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet (n° 1626).
Madame la ministre de la culture et de la communication, monsieur le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, le monde est frappé par une épidémie de grippe.
Monsieur Karoutchi, vous me regardez éberlué en vous demandant quel rapport cela peut bien avoir avec le projet de loi HADOPI. Mais il y a bien un lien.
Tout d'abord, il arrive que des virus circulent aussi sur Internet ; ensuite, et plus sérieusement, les recommandations faites à l'occasion de l'épidémie, préconisent « l'exploitation de modes alternatifs d'organisation, dont le développement du travail à distance et des téléréunions, l'encouragement et la mise en oeuvre de solutions de substitution au courrier grâce au courrier électronique ». Vous voyez bien sûr où je veux en venir.
Pas du tout !
Voyons, monsieur le secrétaire d'État : puisqu'il est préconisé d'avoir recours à Internet en cas d'épidémie pour diffuser les informations et pour combattre la maladie, à partir du moment où vous coupez Internet, vous vous privez d'un moyen de combattre l'épidémie, c'est pourtant clair !
Relayé par les médias et par Internet – pour ceux qui ont encore la chance d'être connectés –, notre débat n'est pas sans effet puisqu'un habitant de La Celle Saint-Cloud, M. Tyran, a attiré notre attention sur le plan de lutte contre la pandémie grippale du Gouvernement.
Tout cela montre bien que votre projet de loi est dangereux non seulement pour les libertés, mais aussi pour la santé de nos concitoyens.
J'utilise à dessein la dérision, mais vous constatez que lorsqu'on écrit un projet de loi complètement déconnecté du réel, on finit par se tirer une balle dans le pied – si tant est que cela soit possible avec le virus de la grippe mexicaine.
Madame la ministre vous voyez bien qu'il y a quelque chose qui cloche dans votre projet de loi !
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, le présent projet de loi ne sert qu'aux industries culturelles – deux mots qui d'ailleurs ne vont pas très bien ensemble. Incapables de se remettre en question devant la fonte de leurs profits, ces dernières font semblant de trembler face aux menaces de piraterie et de culture gratuite.
Les formes traditionnelles de distribution culturelle et de protection des oeuvres volent en éclat en même temps que la diversité culturelle. Et l'usine à gaz que vous inventez ne vise en réalité qu'à protéger des formes archaïques, fossilisées. À cet égard, il est intéressant de noter, chers collègues, le parallèle entre ce texte et le projet de loi sur l'audiovisuel public auquel nous nous consacrions il n'y a pas si longtemps.
Finalement, le Gouvernement ne s'intéresse qu'aux impératifs financiers et économiques des grandes entreprises médiatiques dont le chiffre d'affaires baisse. Il y a deux mois, il punissait France Télévisions pour avoir trop bien géré l'entreprise publique ; aujourd'hui, il s'attaque aux internautes partageurs – autrefois on disait partageux –, autrement dit aux citoyens lambda.
La création artistique, libérée des contraintes commerciales, doit être encouragée par la possibilité de court-circuiter les majors, de dépasser leur politique frileuse de standardisation à grand renfort de campagnes de marketing. Comme le disait notre collègue Dionis du Séjour – et Dieu sait combien il est modéré – : quelle valeur ajoutée créent-elles donc ?
Contrairement à ce que vous semblez penser, Internet accélère les croisements entre les cultures, multiplie les occasions d'échanges donnant naissance à de nouvelles formes artistiques. Effectivement, cet Internet participatif et interactif fait du spectateur-consommateur un acteur à part entière, qui ne remplit plus les attentes des entreprises de communication. Elles perdent aujourd'hui la main ; une main graissée par les intérêts économiques et agitée par la mécanique du marketing. Or, selon nous, leur perte est plutôt un gain pour d'autres.
Avec l'émergence de l'idée d'un contrôle des ordinateurs individuels afin d'assurer la survie d'un système dépassé, nous sommes au coeur de l'ambiguïté entre libéralisme et liberté, là où les tentations plus ou moins voilées de contrôle de l'espace privé voient le jour. Et, madame la ministre, c'est certainement à votre corps défendant, mais, en fait, vous êtes là où les multinationales vous demandent d'être afin qu'elles puissent enfin contrôler ces espaces de temps libre et de liberté individuelle de nos concitoyens. Oui, madame la ministre : de facto, vous êtes la sentinelle de ces groupes mercantiles.
Permettez-moi de revenir sur un aspect dont on parle peu mais qui se trouve, malgré tout, au coeur de ce projet de loi. En effet, Internet et le téléchargement illégal participent de l'abandon progressif des moyens de contrôle sur la production de symboles indispensables à la culture occidentale. Tout le système de valeurs morales, économiques et politiques de l'Europe de l'Ouest, porté par les produits culturels conformes, est ébranlé. Comment ne pas se réjouir de ce mouvement qui annonce la naissance d'un monde nouveau ?
Avec l'article 2 du projet de loi, toutes les conditions sont réunies pour que l'internaute partageur retrouve le droit chemin que Mme Marland-Militello nous proposait tout à l'heure : celui du respect des sacro-saintes règles commerciales, celui du respect du profit à tout prix pour des majors incapables de se remettre en cause.
Finalement, quels seront les seuls acteurs du système punis par votre projet de loi ? Il y a d'abord l'internaute partageur, et ensuite, on l'oublie trop souvent, l'artiste, dont la rémunération ne sera pas augmentée pour autant.
Pour résumer, une haute autorité indépendante, sans contrôle de l'autorité judiciaire – autrement dit une instance d'exception – pourra punir l'usager d'Internet à partir de l'identification d'une adresse IP, seule preuve de l'infraction. Or cette preuve est d'une faiblesse juridique rarement rencontrée.
Au Moyen Âge, c'était « la bourse ou la vie », aujourd'hui, madame la ministre, c'est, en quelque sorte, « la bourse ou la liberté ».
Tout dans l'article 2 contribue à criminaliser les internautes les moins en pointe et les moins habiles, au nom de la sauvegarde de la diversité culturelle, alors que rien dans ce texte ne vise à favoriser la création et à améliorer la rémunération des artistes.
Nous proposons la suppression de cet article, au nom de la défense de la liberté de la création et de la capacité pour notre monde à se renouveler.
La quasi-totalité des nombreux députés de l'opposition et de la majorité, inscrits pour s'exprimer sur l'article 2, a déjà dit son hostilité à l'égard de ce mauvais texte, bien inutile et bien inefficace. L'amendement n° 79 , identique à celui que vient de défendre Jean-Pierre Brard, vise à supprimer cet article central de la loi HADOPI.
Madame la ministre, je vous rappelle que je vous ai posé des questions à la fin de la séance de cet après-midi et je me permets de les formuler à nouveau.
Quelles sociétés vont-elles être chargées de la collecte des adresses IP préalable à la saisine de l'HADOPI, et avec quelles garanties techniques feront-elles ce travail ? Quels seront les moyens de sécurisation prétendument absolus que l'HADOPI sera amenée à labelliser ? Sur quelles bases le seront-ils ? Selon quels critères l'HADOPI pourra-t-elle, ou ne pourra-t-elle pas, envoyer un mail d'avertissement, puis une recommandation ? Selon quels critères la Haute autorité choisira-t-elle entre la sanction et l'injonction ? Selon quels critères proposera-t-elle une transaction plutôt qu'une sanction ?
Au-delà du dispositif répressif que nous estimons être totalement disproportionné, nous pensons que la compétence donnée par le projet de loi à une haute autorité administrative sera censurée par le juge constitutionnel. En effet, si une délégation de compétence est possible, celle-ci ne doit pas amener une autorité administrative à disposer d'un pouvoir de sanction qui restreigne les libertés individuelles, ou en prive les citoyens.
Nous estimons que le pouvoir de l'HADOPI serait à la fois arbitraire et aléatoire – nous répétons qu'elle agirait « à la tête de l'internaute ». À ce sujet, madame la ministre, je relève dans vos propos une contradiction majeure entre l'affirmation que la Haute autorité agira au cas par cas et votre description d'un dispositif répressif de masse et automatisé, dont vous avez déjà fixé les objectifs – 10 000 courriels d'avertissement par jour, 3 000 lettres recommandées par jour, et 1 000 décisions de suspension par jour ! Nous ne comprenons pas encore, à l'heure où je vous parle, comment automatisation et examen « au cas par cas » vont pouvoir se conjuguer.
Par ailleurs, le caractère manifestement disproportionné de la sanction encourue par les internautes est aggravé par le fait que ces derniers ne pourront bénéficier des garanties procédurales habituelles. C'est pourquoi nous avons été conduits à défendre, cet après-midi, un amendement similaire au fameux amendement n° 138 , devenu amendement n° 46 .
Absence de procédure contradictoire, non-prise en compte de la présomption d'innocence, non-respect du principe de l'imputabilité et possibilité de cumuler sanction administrative, sanction pénale et même sanction financière, puisque l'internaute continuera à payer son abonnement une fois sa connexion à Internet suspendue : autant de motifs d'inconstitutionnalité de votre texte.
Non seulement vous instaurez notamment une présomption de responsabilité, et même de culpabilité, de l'internaute – puisque c'est à lui qu'incombera la charge de la preuve –, mais vous privez les titulaires de l'accès à Internet recevant des messages d'avertissement par voie électronique de tout droit de recours effectif. Sont ainsi ignorés les droits de la défense, notamment le droit à une procédure équitable.
Enfin, le texte qui nous est soumis renvoie à plusieurs reprises à un décret, notamment sur des points essentiels qui relèvent de la compétence du législateur. Ainsi, c'est par décret que seront déterminées les conditions dans lesquelles les sanctions peuvent faire l'objet d'un sursis à exécution, ainsi que la procédure de labellisation des outils techniques censés sécuriser nos ordinateurs, qui sert de base au nouveau délit, créé par cette loi, de manquement à l'obligation de surveillance – lequel ne répond d'ailleurs en rien aux exigences, posées par le Conseil constitutionnel, d'une définition claire et précise des infractions. C'est également par décret que devront être définies les règles applicables à la procédure et à l'instruction des dossiers devant la commission de protection des droits de la Haute autorité.
Pour toutes ces raisons, nous souhaitons supprimer l'article 2.
La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. L'article 2 constitue le coeur du dispositif, puisqu'il concerne la procédure de la riposte graduée. Avis défavorable, donc.
La parole est à Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication.
Avis défavorable. Le dispositif permettra aux sociétés d'auteurs, comme c'est le cas aujourd'hui, de mandater des agents assermentés afin qu'ils se rendent sur les sites de peer-to-peer – où, faut-il le rappeler, on enregistre près d'un milliard de téléchargements par an –, qu'ils suivent des oeuvres, repèrent les adresses IP et se procurent l'identité des internautes concernés. Ces derniers recevront ensuite des e-mails d'avertissement, puis une lettre recommandée. Au terme du processus, leur accès à Internet sera suspendu, mais uniquement s'ils se sont obstinés à télécharger sur une longue période. Ce dispositif constitue donc bien le coeur du système, et il nous paraît éminemment pédagogique et utile.
Madame la ministre, vous devriez écouter plus attentivement les arguments de l'opposition, en particulier ceux de M. Brard, qui ne sont pas dénués d'humour. En effet, si son rappel au règlement et son évocation de la grippe mexicaine ont pu paraître quelque peu décalés,…
…ils ont néanmoins permis de soulever un véritable problème, en démontrant combien Internet est devenu indispensable à la vie citoyenne.
Ce projet de loi est à l'évidence liberticide. Non seulement il fixe des critères aléatoires et arbitraires, mais les internautes, que l'on n'hésite pas à qualifier, de manière excessive, de délinquants ou de pirates, ne bénéficieront même pas des droits élémentaires qu'un système judiciaire démocratique digne de ce nom offre à ceux qui subissent les foudres de la loi.
Madame la ministre, la défense de la création est l'un de vos leitmotiv, mais, lorsque l'on regarde le bilan culturel de votre ministère et la liste des artistes signataires des appels en faveur de votre texte, qui ont été bien souvent abusés,…
…on s'aperçoit que vous ne vous préoccupez que d'une petite partie du champ musical. Vous vous cantonnez à la musique commerciale produite par les grandes majors de l'industrie du disque, alors qu'Internet couvre, lui, l'ensemble des styles musicaux, dont certains ne sont jamais offerts dans les médias et les majors que vous soutenez. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Nous voterons donc la suppression de l'article 2, pour que l'on puisse se protéger de la grippe mexicaine et pour vous éviter ainsi, madame la ministre, d'être prise de remords lorsque vous verrez les hordes de victimes faites par cette maladie qui se répand sur la surface du globe. (Mêmes mouvements.)
Suivez donc la voie que vous ont indiquée M. Brard et l'excellent Patrick Bloche, qui a exposé ses arguments avec le talent, la rigueur et l'objectivité qu'on lui connaît.
J'ai le sentiment d'avoir déjà entendu ces arguments un si grand nombre de fois dans la bouche des mêmes orateurs (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) que je me demande s'ils ne finissent pas par y croire. C'est l'éternelle antienne du pot de terre contre le pot de fer (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC),…
…et d'une droite qui, prisonnière de la pensée unique et à la solde des grands groupes, n'a aucun talent et ne comprend rien.
Soyons sérieux. Le projet de loi « Création et Internet » représente un véritable enjeu de société. Oui, notre société évolue. Cela vous a peut-être échappé ; il est vrai qu'au mois de novembre, vous étiez encore occupés à préparer le congrès de Reims.
Et vous, où en êtes-vous de la composition de vos listes pour les élections européennes ?
J'ignore où vous en êtes aujourd'hui, mais, manifestement, vous avez oublié que le monde de la culture bouge.
Il existe une propriété intellectuelle, immatérielle, et ce n'est pas parce que l'on télécharge en cliquant ici ou là que les choses sont nécessairement légales.
Il y a un véritable débat autour de la création. Cet après-midi, vous avez évoqué certains artistes en laissant entendre qu'ils seraient has been (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Ce sont les propos que vous avez tenus aux alentours de dix-neuf heures cinq. En tout état de cause, le débat est beaucoup plus large. Il s'agit d'un véritable enjeu de société : voulons-nous défendre l'exception culturelle française ? À cette question, la majorité répond évidemment : oui. (« Nous aussi ! » sur les bancs du groupe SRC.)
Peut-on défendre la gratuité ? Nous répondons également : oui. Voulons-nous défendre la propriété intellectuelle ? Oui, bien entendu.
La liberté ne consiste pas à faire n'importe quoi, mais à se conformer à un certain nombre de règles. Celles que nous tentons d'instaurer dans ce texte sont des règles de bon sens et d'équité.
Vous nous avez parlé de droit européen, d'atteinte aux libertés, des foudres de la loi et de la défense de la création. Cet article 2 est le coeur du dispositif, un dispositif pédagogique qui responsabilisera les uns et les autres. Y renoncer, ce serait renoncer à l'exception culturelle française. Le groupe UMP ne peut donc souscrire à votre proposition, d'ailleurs très révélatrice du divorce qui est en train de se produire entre vous et une partie de la société.
M. Gosselin est à la peine ; cela mérite compassion et peut-être même encouragements. Tout à l'heure, j'ai usé de dérision pour vous montrer où vous mène le muselage de cet outil fantastique qu'est Internet.
La libre circulation de l'information est nécessaire dans le domaine de la santé, et il est vrai que ceux qui seraient privés de connexion à Internet n'y auraient pas accès.
Madame la ministre, contrairement à ce que vous avez dit, nous ne sommes ni au coeur du texte ni dans son esprit, mais dans le coffre-fort, ce qui n'est pas la même chose. Vendredi dernier, Patrick Bloche et moi battions le pavé avec les internautes. Dans le défilé, du reste, ceux-ci avaient été hébergés par les journalistes, à l'intérêt desquels votre texte porte également atteinte. Là s'exprimaient librement les aspirations de ceux qui portent le futur ! Vous, vous rêvez de poser des chaînes partout. M. Plagnol, qui vient d'arriver, songe même à enchaîner les brins de muguet, puisqu'il veut en interdire la vente libre dans sa ville. Voilà où mènent vos excès : des chaînes partout ! Nous, nous rêvons d'un monde libre, où peuvent naître et se développer les initiatives de ceux qui portent l'avenir.
Bien entendu, se pose le problème de la rémunération de la création. Mais votre texte n'y apporte aucune solution. Pour preuve, Bienvenue chez les Ch'tis a enregistré 24 millions d'entrées. Pourtant, jamais un film n'a été autant téléchargé. Le téléchargement a-t-il porté préjudice à la fréquentation des salles de cinéma ? Bien sûr que non ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Voilà la réalité, mais vous ne voulez pas la voir, monsieur Gosselin, et vos onomatopées n'y changeront rien, car vous êtes poussés aux fesses par des gens qui sont intéressés, non pas par la culture, mais uniquement par leurs petits sous.
Je suis saisie d'un amendement n° 80 .
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire.
Mes chers collègues, vous n'aurez aucune difficulté à voter cet amendement, puisqu'il s'agit de garantir une procédure équitable à tous ceux qui pourraient se voir priver d'accès à Internet. L'architecture du texte repose en effet sur la présomption de culpabilité, notamment celle des jeunes. Or je vous rappelle, madame la ministre, que ceux-ci ne représentent qu'un tiers des utilisateurs d'Internet. Une telle stigmatisation de la jeunesse est quelque peu pénible et pourrait produire des effets désastreux dans l'opinion publique.
Admettez que les procédures prévues ne sont pas très sécurisées, voire qu'elles sont hasardeuses ; comment qualifier autrement un système prévoyant l'envoi de 10 000 e-mails d'avertissement par jour, dont certains n'arriveront sans doute jamais à leur destinataire en raison de l'action des logiciels antispams et du fait que certains fauteurs ne transmettront pas les e-mails à l'abonné concerné ? Vous avez fait référence au peer to peer, madame la ministre. En général, les utilisateurs de peer to peer n'écoutent pas sans arrêt le même morceau. Mis à part le cas particulier de certaines personnes dont le problème est plutôt d'ordre psychologique, on ne tracera pas les utilisateurs de peer to peer, qui se déplacent sur Internet au gré de leurs envies et de leurs découvertes pour découvrir de nouvelles musiques, avant d'acheter légalement cette musique, comme cela est désormais prouvé par toutes les études.
Les personnes qui découvrent de la musique ou des films sur Internet en sont les plus gros acheteurs, notamment sous forme de places de spectacles. Cela a été démontré par des organismes complètement indépendants et vous avez beau le contester, c'est la réalité !
Il faudra bien que vous admettiez un jour que si l'on n'achète pas toute la musique que l'on écoute, cela est dû à des raisons économiques. Tout le monde a, un jour ou l'autre, enregistré des disques appartenant à des personnes de son entourage, tout en achetant par ailleurs d'autres disques. Internet favorise la copie à usage privée, mais cette pratique existe depuis le lancement des minicassettes, créées pour cela, et qui dégradaient un peu la qualité de la musique enregistrée. Il me semble par conséquent que vous vous trompez complètement.
Vous faites le pari qu'en bradant un certain nombre de libertés publiques et de principes généraux du droit, vous allez obtenir un retour sur la vente de disques, reposant sur un modèle économique éculé.
La propriété intellectuelle mérite un peu de respect ! Il ne faut pas la brader !
La protection des consommateurs et des usagers d'Internet est devenue un droit imprescriptible, en passe d'être confirmé par le Parlement européen. Il me semble que nous devons au minimum inscrire dans la loi que la procédure doit être équitable et respectée en toutes circonstances. Or, de ce qui a déjà été débattu longuement lors de la précédente lecture…
Longuement, vous l'avez dit !
…il ressort qu'il n'existe aucune garantie à ce titre, ce qui rend la loi extrêmement fragile et contestable devant le Conseil constitutionnel. Admettez que cet amendement puisse être supporté par tous. À défaut, vous affirmeriez implicitement que tout le monde est coupable et qu'il faut punir les coupables sans chercher à faire de pédagogie.
La France est soumise, en la matière, aux principes généraux du droit ainsi qu'au droit international. En l'espèce, on applique l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui fait clairement mention de la nécessité d'un procès équitable.
C'est tout à fait équitable et cela s'applique de plein droit dans la législation française, sans qu'il soit nécessaire de le préciser à nouveau dans ce texte.
Défavorable, pour les mêmes raisons.
L'intervention de notre rapporteur est intéressante car, en faisant référence aux droits fondamentaux, il vient de confirmer l'idée que nous sommes bien dans le cadre d'une procédure de sanction. Tout l'enjeu de cet amendement est là : s'il y a une sanction pour l'exercice d'un droit qui, à défaut d'être fondamental, a vocation à devenir prochainement imprescriptible, nous sommes tenus de faire en sorte que l'exercice de la procédure de sanction réponde aux principes fondamentaux du droit. À plusieurs reprises figurent dans l'article 2 à la fois des indications sur la nature de la sanction – amende, puis suspension – et la référence à la procédure. Il est même fait état à deux reprises du renvoi à un décret pour fixer les conditions dans lesquelles s'exerce un recours, ainsi qu'à un décret en Conseil d'État pour déterminer la juridiction compétente pour en connaître.
Mes chers collègues, je peux me tromper, mais il me semble bien que l'organisation judiciaire et la compétence des juridictions relèvent de la loi et non d'un décret. Je tiens à le dire solennellement ici ce soir : si vous renvoyez en Conseil d'État la définition d'une procédure – ce qui présuppose le choix de la juridiction par le Conseil d'État, car une procédure judiciaire et une procédure administrative, ce n'est pas la même chose ; la sanction sera-t-elle administrative ? À cet égard, on peut citer l'exemple du permis de conduire qui, durant un certain temps, était contesté soit devant la juridiction pénale – quand la contestation portait sur le contenu de la sanction pénale – soit devant la juridiction administrative – quand on contestait les conditions dans lesquelles la commission avait statué. Mes chers collègues, j'attire votre attention sur le fait que vous donnez compétence par décret en Conseil d'État non seulement pour déterminer la procédure, mais aussi pour indiquer quelle juridiction va en connaître.
Eh bien voilà, vous l'avez fait !
Or, la loi seule peut le faire.
Deuxièmement, je souhaite attirer l'attention de tout le monde…
Ah non, ça suffit !
…sur le fait que le rappel aux principes fondamentaux du droit va être à l'origine de nombre de contentieux. On va contester les conditions dans lesquelles la formalisation de l'infraction se sera effectuée, c'est-à-dire les conditions dans lesquelles elle aura été constatée. Un problème de preuve va se présenter car, dans un processus de sanction, il ne peut incomber à celui qui est poursuivi d'apporter la preuve qu'il n'a pas commis d'infraction. Vous renversez la charge de la preuve, ce qui, devant une juridiction judiciaire, peut même entraîner l'irrecevabilité.
Au-delà du fait que le principe d'un processus de sanction de cette nature est totalement inadéquat et contraire aux principes fondamentaux du droit, de l'organisation judiciaire, des compétences juridictionnelles, que vous ne pouvez pas renvoyer au Conseil d'État, il existe un deuxième problème : chaque fois que vous serez engagé dans un contentieux judiciaire, vous devrez rapporter la preuve de l'infraction commise, ce qui sera impossible. Le dispositif proposé, totalement inadéquat, va dès lors susciter de nombreuses contestations. Vous n'obtiendrez pas le résultat que vous recherchez car, dans deux ans, la jurisprudence sera établie. C'est la raison pour laquelle nous vous avons proposé de revenir sur ces dispositifs qui, en droit, ne tiennent pas (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
(L'amendement n° 80 n'est pas adopté.)
La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l'amendement n° 189 .
L'amendement n° 189 reprend la discussion sur les errances et les carences de l'exécutif, mais aussi, d'une certaine manière, de la représentation nationale, à la suite de la loi DADVSI. Comme Patrick Bloche l'a rappelé tout à l'heure, cette loi devait être suivie d'une évaluation dix-huit mois après sa promulgation durant l'été 2006. Cette évaluation n'a jamais été effectuée, ce qui fait que nous sommes passés au projet de loi HADOPI sans pouvoir nous y référer.
Ce nouveau projet de loi n'apporte aucune réponse, aucune protection à qui que ce soit, et ne permet à aucun acteur de comprendre dans quel univers il évolue : ni aux internautes, ni aux créateurs, ni même aux majors de la musique et du divertissement. L'amendement n° 189 vise à ce que, parmi les nombreuses missions de la Haute autorité, figure celle de remettre au Gouvernement et au Parlement « un rapport relatif aux droits d'auteur et droits voisins à l'ère numérique avant le 31 octobre 2009 ». Vous avez repoussé tout à l'heure toutes les propositions et tous les amendements visant à instaurer la contribution créative, qui aurait pourtant tant apporté au financement de la culture et à la protection du droit des artistes.
Nous délibérons sous le regard de nos concitoyens, mais aussi du public présent dans les tribunes. Il y a ce soir dans le public quelqu'un que j'admire beaucoup : M. Luc Besson. Je rends hommage à l'oeuvre de M. Besson et à ce qu'elle représente en matière de pédagogie et de respect des normes dans la société, notamment à l'égard des jeunes. Toute cette oeuvre témoigne d'un esprit d'impertinence, d'humour, d'envie de s'exprimer, de liberté, qui s'accompagne parfois de la volonté de toucher les limites.
Les auteurs, les scénaristes, les intermittents du spectacle qu'il fait travailler grâce aux films qu'il réalise ou qu'il produit ont un rapport distancié avec les normes, avec la règle, avec le passé, avec cette société morte que vous voudriez perpétuer avec ce projet de loi.
Si vous voulez rendre hommage à Luc Besson et à sa présence dans le public ce soir, adoptez cet amendement n° 189 , vous ferez du bien à la représentation nationale.
Je remercie Sandrine Mazetier de saluer la présence de Luc Besson – aux côtés duquel se trouve également Alain Terzian et d'autres personnalités. Nous nous sommes retrouvés tous ensemble au ministère, toutes sensibilités confondues ; il y avait de très nombreux artistes, parmi lesquels Costa-Gavras, Alain Corneau, Nadine Trintignant, Bertrand Tavernier, tous unis pour porter cette loi qui défend les droits des auteurs.
Je crois que vous faites insulte à la grande intelligence de ces créateurs, qui savent pertinemment où sont les vrais combats (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Nous sommes tous de grands admirateurs de Luc Besson. J'ai, pour ma part, vu la plupart de ses films (Exclamations sur les bancs du groupe SRC)…
…et je trouve extrêmement dommage que l'on cherche à tirer argument de la présence d'un grand talent du cinéma français. Je trouve qu'un tel procédé ne vous honore pas, madame Mazetier…
…et que vos propos étaient bien éloignés du contenu du texte dont nous discutons. Luc Besson ne mérite pas la manipulation dans laquelle vous cherchez à l'impliquer.
Puisque le débat sur HADOPI devient un débat sur Luc Besson, je me sens l'obligation d'intervenir à mon tour, car cet artiste aborde de façon extrêmement dynamique et moderne – révolutionnaire, serais-je tenté de dire – un sujet ô combien sensible, celui de la chronologie des médias.
M. Luc Besson, dont tout le monde a souhaité reconnaître le talent – concert de louanges auquel je me joins – a été amené à faire des déclarations et à prendre des engagements qui doivent être rappelés ici pour illustrer notre propos et informer notre assemblée.
Personne n'ignore que M. Besson pense qu'il serait bon que les films soient disponibles en VOD dès leur sortie dans les salles de cinéma, ce qui revient à supprimer la chronologie des médias. C'est une position révolutionnaire et assez peu suivie, notamment par le législateur, puisque nous avons décidé de n'autoriser la sortie en VOD que quatre mois après la sortie en salle.
Monsieur Bloche, je vous rappelle que nous ne débattons pas avec les tribunes du public. Veuillez donc poursuivre votre propos sans systématiquement citer les personnes qui y sont présentes.
Je ne regarde pas les tribunes, madame la présidente. Je vous regarde, vous, la ministre et mes collègues de la majorité.
Quoi qu'il en soit, je donne rendez-vous à nos collègues le 5 juin prochain sur YouTube, où M. Besson, producteur de Home, un film de Yann Arthus-Bertrand, en proposera la diffusion gratuite aux internautes.
Il s'agira donc d'un film sans copyright. Il convient de saluer cette belle initiative, qui rompt totalement avec le principe de la chronologie des médias et dépasse de loin ce que nous avons pu défendre dans cet hémicycle.
La commission a émis un avis défavorable sur la remise de ce rapport par la Haute Autorité. Je propose en revanche que la future commission des affaires culturelles puisse se saisir de la question fondamentale de la rémunération des artistes à l'ère numérique, en s'appuyant sur ce projet de loi.
Avis défavorable. La réflexion sur la rémunération des artistes sera en effet une étape importante, mais une fois les droits des auteurs sécurisés.
(L'amendement n° 189 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 190 .
La parole est à Mme Corinne Erhel.
Cet amendement vise à ce que la Haute Autorité remette chaque année au Parlement et au Gouvernement un rapport d'évaluation sur la mise en oeuvre du dispositif. Étant donné, madame la ministre, monsieur le rapporteur, que vous avez l'air parfaitement convaincus de l'efficacité de votre dispositif, j'espère que vous accepterez ce rapport.
Cela nous paraît d'autant plus important que la loi DADVSI n'a jamais été ni appliquée ni évaluée et que nous légiférons aujourd'hui sur un nouveau dispositif sans avoir apprécié ce qui a été fait précédemment.
Le rapport devra donc comporter une évaluation du dispositif, qui porte sur la manière dont ont été constatés les manquements et sur leur nombre, sur la façon dont ont été mises en oeuvre les recommandations, sur la nature des sanctions prises, sur les recours enfin dont ont pu faire l'objet les recommandations et les décisions. Il devra également établir en quoi la loi aura permis le développement d'une offre légale attractive.
On ne peut en effet continuer à légiférer sans ces rapports, qui doivent nous permettre, chaque année, de juger des décisions prises et des coûts engendrés par le dispositif.
Défavorable.
L'une des convictions le plus largement répandues parmi ceux qui s'intéressent à ce projet de loi, quel que soit leur positionnement politique, est que ce texte sera difficilement applicable, certains allant même jusqu'à affirmer qu'il est inapplicable, car les évolutions technologiques vont rapidement nous faire sortir du champ d'application de la loi et nous confronter demain à de nouvelles réalités qui en empêcheront l'application. Prétendre le contraire relèverait du coup de menton.
D'où la grande pertinence de cet amendement. Permettez-moi en effet de vous rappeler que la loi DADVSI prévoyait un rapport d'évaluation dont je me permets de vous redire les termes : « Le Gouvernement présente au Parlement un rapport sur la mise en oeuvre de l'ensemble des dispositions de la présente loi dans les dix-huit mois suivant sa promulgation. Ce rapport comporte un chapitre spécifique sur les conditions de mise en place d'une plateforme publique de téléchargement permettant à tout créateur vivant qui se trouve absent de l'offre commerciale en ligne de mettre ses oeuvres ou ses interprétations à la disposition du public et d'en obtenir une juste rémunération. »
Le législateur avait bien ciblé ce dispositif d'évaluation, mais il n'y a pas eu d'évaluation, mes chers collègues, et nous revisitons l'intégralité de la DADVSI sans nous être à aucun moment préoccupés des conséquences que pouvaient avoir sur la mise en oeuvre des dispositifs l'évolution des technologies et la mondialisation de l'accès à Internet. Il est regrettable que, pour n'avoir pas su faire les constats qui s'imposaient, nous nous précipitions aujourd'hui au-devant des mêmes problèmes.
C'est la raison pour laquelle notre amendement propose un nouveau dispositif d'évaluation, qui nous permette de juger en toute objectivité des éléments indispensables à l'élaboration de dispositifs législatifs adaptés à la prochaine génération d'Internet, dont nous ne pourrons faire l'économie.
Je suis stupéfait de voir que ni le rapporteur ni la ministre n'apportent jamais de réponse positive. Il faut parfois savoir faire des ouvertures, et on ne vote pas une loi en repoussant systématiquement toutes les propositions, alors même qu'elles sont parfois pleines de bon sens. Davantage d'ouverture d'esprit faciliterait beaucoup le travail parlementaire.
J'entends dire par ailleurs qu'il n'y a pas de loi DADVSI. Mais il y en a une : la preuve en est que vous légiférez précisément pour la modifier ! Je rappelle en effet que la loi DADVSI comportait le principe d'une riposte graduée fondée sur un système d'amendes et que c'est en raison de l'annulation de ce dispositif par le Conseil constitutionnel que nous nous trouvons avec une peine disproportionnée – trois ans de prison et 300 000 euros d'amende qui punissent la contrefaçon. C'est ce qu'entend modifier la loi actuelle. La loi DADVSI existe donc.
Cela dit, elle aurait beaucoup mieux existé si, comme la loi elle-même l'exigeait, elle avait été évaluée. En effet, si le Gouvernement avait pratiqué, comme j'en faisais la demande, l'évaluation à laquelle il était contraint dix-huit mois après le vote de la loi, peut-être l'exécutif et le Parlement auraient-ils pu rectifier le tir sans faire appel à quelqu'un d'extérieur au monde politique, brusquement considéré comme un « super sachant », par rapport aux parlementaires incapables de faire quoi que ce soit de bien.
J'ai beaucoup d'admiration pour les cinéastes et pour celui qui est ici, mais ce sont les parlementaires qui font la loi, et non les cinéastes qui sont dans les tribunes ! Nous devons viser le bien commun et non l'intérêt de telle ou telle profession, quel que soit son intérêt artistique ou économique.
Je voudrais dire enfin que, pour les adversaires du texte comme pour se partisans, la proposition de Mme Erhel ne peut être que positive. Il n'y a rien de contestable en effet à vouloir savoir, un an ou deux après le vote de la loi, quels ont été ses effets. Soit elle aura répondu à vos attentes et porté ses fruits, madame la ministre, et dans ce cas vous aurez gagné ; soit, comme nous le pensons, elle se révélera inefficace et nous le regretterons, notamment pour les cinéastes et pour les musiciens.
Je demande donc au rapporteur et à la ministre de revenir sur leur opposition, qui n'a aucun sens. En acceptant cet amendement, vous ferez preuve d'ouverture d'esprit et vous ferez progresser le texte, au-delà de l'affrontement gauche-droite auquel nous assistons depuis une semaine.
Nous avons déjà eu sur ce texte quarante-deux heures de débat et adopté deux cent soixante amendements.
Ce n'est pas à un ministre de juger de la durée d'un débat parlementaire !
Je ne juge pas de la durée du débat mais rappelle un fait. Quant à l'adoption des deux cent soixante amendements, elle signifie que le texte a considérablement évolué et qu'il a été amélioré.
Pour le reste, je pense qu'il n'est pas mauvais qu'un projet de loi repose aussi sur des accords interprofessionnels et qu'au lieu d'avoir comme précédemment la musique contre le cinéma et les fournisseurs d'accès à Internet contre les sociétés d'auteurs, nous ayons un texte qui fédère l'interprofession.
Je rappelle enfin que le coeur de ce projet de loi est le défaut de surveillance de l'accès à Internet, ce qui le différencie de la loi DADVSI, même si celle-ci demeure adaptée à ceux qui crackent des réseaux ou se livrent à du piratage massif.
(L'amendement n° 190 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 191 .
La parole est à M. Didier Mathus.
Je voudrais avant toute chose remercier la ministre et les sociétés de répartition de droits de nous avoir procuré au fil de ces séances nocturnes, d'ordinaire assez arides, un public de choix composé de tous les dignitaires du cinéma et de la chanson française : c'était beau comme un défilé du 1er mai en Union Soviétique autrefois, et nous vous en sommes très reconnaissants. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Tout comme les artistes ont été trompés en 2005 avec la loi DADVSI, ils sont trompés aujourd'hui avec la loi HADOPI. Or, si l'on avait écouté ceux qui prônaient la licence légale, nous aurions récolté depuis lors plusieurs centaines de millions d'euros pour la création.
Aujourd'hui le problème reste entier, et notre amendement renvoie, d'une certaine manière, à la loi sur l'audiovisuel public votée il y a quelques semaines. Vous défendiez à l'époque, madame la ministre, l'idée qu'il fallait taxer les FAI pour compenser la perte de publicité sur le service public de la télévision. Nous avons toujours pensé, nous, qu'il fallait que les tuyaux financent les contenus et que, s'il devait y avoir une taxe sur les FAI – idée à laquelle nous sommes en effet favorables –, elle devait servir à financer la création sur Internet.
La taxe en question, dont le taux est fixé à 0,9 %, rapporterait 378 millions d'euros à plein régime, selon les estimations actuelles. Nous demandons que cette somme soit consacrée à la création, plutôt qu'à la satisfaction d'une lubie du Président de la République – en l'occurrence la perte de la publicité pour les chaînes du service public. Si nous disposions aujourd'hui du produit d'une taxe sur les fournisseurs d'accès pour financer la création, comme nous vous le proposons par le biais de la contribution créative, plutôt que d'un dispositif obsessionnel visant à contrôler l'Internet et à pourchasser les adolescents de Clermont-Ferrand ou de Montceau-les-mines sans apporter un centime de revenu supplémentaire aux créateurs français, alors nous ferions oeuvre utile. À preuve : 378 millions d'euros – voilà le produit de la taxe sur les fournisseurs d'accès qui servira à financer la perte des revenus publicitaires pour France Télévisions.
Cette somme aurait dû servir à financer la création sur Internet et à résoudre le problème ; au lieu de cela, vous inventez une machine à pourchasser les adolescents !
Je ne reviendrai pas sur les caricatures entendues à la fin du propos de M. Mathus ; nous y sommes habitués.
Tentez seulement de comprendre ce que nous souhaitons instaurer par le biais de ce projet de loi.
Nous souhaitons que la rémunération des créateurs, qu'il s'agisse de musique, de cinéma ou de produits audiovisuels, préserve le mode de financement actuel, physique ou numérique. Or la seule façon de développer les revenus numériques consiste à créer un système sécurisé qui permette à tout producteur, créateur ou entreprise proposant un produit en ligne de ne pas être concurrencé de manière déloyale par des produits ou services équivalents pour lesquels aucun droit n'est versé aux créateurs. Si nous voulons que de nouvelles ressources financent la création, il est nécessaire de sécuriser les créateurs, les producteurs et les sociétés qui proposent leurs produits et leurs services en ligne.
Songez à l'exemple de Believe, nouveau distributeur de musique numérique : cette société, qui soutient le projet de loi, a mis au point un modèle qui permet de quadrupler la rémunération des artistes – je vous en donnerai la preuve, documents à l'appui.
Oui, monsieur Paul, nous en avons débattu ensemble : il fonctionne ! Néanmoins, si l'on ne lutte pas contre le téléchargement illégal, c'est-à-dire contre d'autres entreprises qui s'implantent sur le marché pour concurrencer les sociétés telles que Believe sans payer les créateurs, alors tout le système s'écroule !
Nous ne sommes pas opposés à la mobilisation de nouvelles ressources trouvées çà et là, et nous y travaillerons avec vous, à la seule condition que la base du système, elle, ne s'écroule pas. Or, si vous instaurez la « contribution créative », cette nouvelle taxe qui s'apparente à une vente forcée, tout le reste s'effondre. Pourquoi, en effet, les internautes iraient-ils payer un produit qu'ils peuvent obtenir gratuitement ailleurs ?
Si : tout s'effondre dès lors que l'environnement d'Internet n'est pas sécurisé. Voilà précisément ce que nous souhaitons faire par le biais de ce projet de loi !
Nous sommes favorables, monsieur Vanneste, à l'idée d'examiner la mise en application de la loi et ses conséquences sur le financement de la création, mais laissons le Parlement s'en charger. Nous sommes donc défavorables à cet amendement, qui imposerait à l'HADOPI la charge d'un rapport supplémentaire – outre le compte rendu de ses travaux, qui paraîtra à intervalles réguliers. Il est important que le Parlement se saisisse lui aussi de ces questions, en particulier au sein de la nouvelle commission culturelle qui sera créée dans les prochains mois.
Avis défavorable.
La réponse de M. le rapporteur prouve une nouvelle fois que l'on trompe de manière éhontée les artistes, les créateurs et tous les titulaires de droits voisins. Voilà le vrai scandale de ce débat ! Nous l'avons dit et répété : ce texte est « perdant-perdant » : non seulement les internautes y perdent, naturellement, comme on le voit bien dans cet article 2 qui accorde un pouvoir exorbitant et arbitraire à la nouvelle Haute autorité administrative – un monstre juridique, une véritable usine à gaz qui produira un mécanisme répressif tout à fait disproportionné – mais les artistes, eux aussi, y perdent. Nous avons déjà perdu trois ans avec la loi DADVSI, qui transposait une directive européenne ; le rapporteur de l'époque est ici présent pour confirmer que cette loi n'a jamais été appliquée. Et rebelote avec cette loi HADOPI, qui constitue une nouvelle ligne Maginot, une véritable stratégie de retardement alors qu'il faudrait au contraire tous ensemble, unanimement – comme en 1985 lors du vote de la loi Lang sur les droits d'auteur – adapter enfin le droit d'auteur à l'ère numérique. Ce n'est pas en sanctionnant 18, 19 ou même 30 millions de nos concitoyens que vous y parviendrez ! Comment une loi pourrait-elle bousculer les usages de millions de Français ? Au contraire, il faut prendre à bras-le-corps la réalité d'Internet et de l'accès à la culture aujourd'hui. Il faut se dire qu'Internet est une chance formidable, qui permet à un nombre croissant de personnes d'accéder aux contenus de la culture et de la connaissance ; ce faisant, il faut jeter les bases d'un nouveau modèle économique, d'un nouveau mode de rémunération.
À l'automne dernier, lors de la réforme de l'audiovisuel public, nous avons pendant quatre semaines critiqué le fait que l'on taxait les fournisseurs d'accès à Internet et les opérateurs de télécoms pour compenser le manque à gagner publicitaire de France Télévisions.
C'était la première fois que l'on taxait les possesseurs de tuyaux, qui ont si opportunément saisi la possibilité d'y insérer des contenus assurant leur développement, grâce auquel ils réalisent aujourd'hui 40 milliards de chiffre d'affaires. Dès lors que l'on taxait ce chiffre d'affaires, il fallait imposer une logique redistributive à l'intention des créateurs, des auteurs, des artistes et des titulaires de droits voisins, plutôt que compenser le manque à gagner publicitaire de France Télévisions – c'est-à-dire aider ce groupe à boucler ses fins de mois, à payer ses 11 000 salariés, ses frais de siège ou encore ses charges fixes !
Et rebelote, donc : voici un projet de loi qui ne rapportera pas un euro supplémentaire à la création. Oui, nous nous y sommes opposés, et nous avons proposé des solutions alternatives. Oui, la contribution créative permet de rapporter 400 millions d'euros à la création. Certes, la mesure n'est pas simple, et l'on nous accuse de démagogie à l'égard des internautes parce que nous proposons de les taxer de deux euros mensuels, voire trois, afin d'aboutir à ce montant de 400 millions d'euros – et peut-être 500 millions – à consacrer à la création. Taxer 18 millions d'internautes, ce n'est ni de la démagogie, ni de la facilité ! C'est tout simplement prendre la réalité à bras-le-corps, conscients que nous sommes que le droit d'auteur a toujours su s'adapter à l'évolution technologique. Pourquoi ne serait-ce pas le cas aujourd'hui ? Nous refusons que ce projet de loi soit une nouvelle occasion manquée : nous continuerions de perdre un temps précieux pendant lequel les producteurs les plus fragiles, notamment indépendants, devront fermer boutique.
Lorsque le moment sera venu de dresser le bilan de cette loi, que vous refusez pour l'instant…
La loi DADVSI n'a pas été évaluée ; aujourd'hui, vous refusez d'adopter nos amendements prévoyant l'évaluation de la loi HADOPI. De grâce, madame la ministre, ne nous rappelez pas une nouvelle fois que 200 amendements ont été adoptés : ils étaient tous proposés par le rapporteur, et tous les amendements de l'opposition ont été rejetés !
Nous nous engageons donc dans une démarche résolue, pour qu'enfin nous sachions collectivement, et peut-être unanimement, comme en 1985, adapter le droit d'auteur à l'ère numérique, et ne pas opposer de manière stérile les internautes aux créateurs, les artistes à leur public. Ce texte est « perdant-perdant », et nous voulons qu'il soit « gagnant-gagnant », pour les internautes comme pour les artistes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
À ce stade du débat, je rappelle que le Gouvernement a présenté ce texte en urgence il y a près d'un an ; voilà où nous en sommes aujourd'hui. C'est bien la preuve qu'il n'y avait aucune urgence ! Si l'urgence avait alors été demandée, c'était pour tenter de museler le débat et d'éviter la navette.
Ce débat a au moins un immense avantage : il nous a donné l'occasion d'entendre M. Marc Joulaud, notre collègue, que nous n'avons pas l'habitude d'entendre. Il a plusieurs fois invoqué le nom de Luc Besson…
Je n'en ai pas pour longtemps, madame la présidente. Notre collègue a donc cité ce nom à la manière d'une invocation, sans même nous dire ce qu'il pense vraiment du texte ! À l'entendre, je songeais qu'il faisait peut-être la promotion des rillettes de Sablé-sur-Sarthe avec autant de conviction !
Au fond, madame, monsieur les ministres, nous vous reprochons d'avoir été fermés au dialogue, ce dialogue que nous voulons afin que tout le monde se retrouve autour de la table, y compris les créateurs et les artistes.
Les créateurs et les artistes sont dans les tribunes pour vous entendre !
Lorsque Mme la ministre instrumentalise ainsi les artistes (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), je pense au Président de la République, qui n'est même pas capable de citer deux films de Luc Besson, de Costa-Gavras ou de Robert Guédiguian !
Une chance s'offrira vite à nous.
Les assises de la création et de l'Internet se tiendront bientôt, au cours desquelles la raison et le sens du dialogue devraient, si vous n'êtes pas animée par des motivations inavouables, vous inciter à prendre votre temps, afin que nous proposions des dispositions législatives qui permettent de rémunérer la création. Telle n'est pas votre intention : vous n'avez besoin que d'alibis dans le discours pour beurrer la tartine des majors !
(L'amendement n° 191 n'est pas adopté.)
Non : je vais le présenter, car il diffère de celui de la première lecture. Il s'agit de la constitution du collège de la Haute autorité, qui sera composé de neuf membres, dont trois magistrats et deux personnalités qualifiées – l'une proposée par le président de l'Assemblée nationale, l'autre par celui du Sénat. Pour les quatre membres restants, il est prévu de nommer un membre du Conseil supérieur de la propriété littéraire, ce qui nous semble assez cohérent avec le rôle assigné à cette Haute autorité.
L'amendement n° 51 vise à ce que les trois membres restants comprennent un représentant des associations de consommateurs et un représentant des utilisateurs de réseaux de communication en ligne. En effet, il est essentiel que le collège de la Haute autorité rassemble l'ensemble des acteurs concernés par le droit d'auteur et la diffusion des oeuvres sur Internet, car cette autorité sera chargée d'effectuer une veille des réseaux pour surveiller l'évolution de la mise à disposition des oeuvres et le respect des droits d'auteur. Voilà qui justifie que tous ceux dont la compétence peut servir participent au collège.
Ce n'est pas à vous de décider si je dois laisser la parole, monsieur le président, mais à madame la présidente.
Nous estimons qu'il est important que ce collège comprenne à la fois un représentant des consommateurs et un représentant des utilisateurs de réseaux en ligne. Que ni l'un ni l'autre n'y siègent serait plus que bizarre. Certes, on nous a répondu que le ministre pourrait choisir, mais il existe une marge profonde entre laisser une possibilité au ministre et écrire la loi ! Il est très important d'inscrire dans la loi la représentation équilibrée des représentants des auteurs et celle des usagers.
Nous proposons que deux des cinq personnalités représentent les utilisateurs de réseaux en ligne. Un tel choix nous paraîtrait symboliquement décisif parce que toute la problématique de ce projet de loi HADOPI réside dans une sorte d'entente tacite entre les industriels du loisir qui étaient présents à la table des fameux accords de l'Élysée, et je note un absent de taille…
…ce sont tous les utilisateurs de l'Internet, c'est-à-dire les citoyens. Eux n'ont pas été consultés.
Ce projet de loi, qui se propose de donner les clefs du réseau Internet aux industriels, a tout simplement oublié qu'Internet est d'abord l'irruption d'une certaine forme d'esprit civique, de citoyenneté, de prise de contrôle de l'information, des circuits par les internautes justement.
Il serait paradoxal d'imaginer que vous puissiez inventer une instance de régulation, une haute autorité, fut-elle administrative, qui laisse les principaux utilisateurs à la porte du dispositif de contrôle.
Notre argumentation repose sur cette conviction simple qu'à l'ère d'Internet vous ne pourrez plus continuer à écrire des accords de l'Élysée dans quelque salon feutré entre quelques industriels de bonne tenue. Il y a à la porte des citoyens, des utilisateurs, qui ont le droit d'être concernés. C'est ce que nous demandons.
Défavorable. Ce qui est bien, c'est que Mme Billard anticipe même les réponses.
Cela prouve que nous avons eu une première lecture qui a duré longtemps.
Le ministre de la communication nommera une personnalité qualifiée qui ira dans le sens que vous souhaitez.
Par ailleurs, je suis convaincu que tous les membres de l'HADOPI seront des utilisateurs réguliers d'Internet.
Défavorable.
La démarche suivie par le Président de la République partait bien : il nomme un expert, M. Olivennes, qui est un professionnel ; ensuite sont signés les fameux accords de l'Élysée. Ces accords de l'Élysée, cela a été souligné par notre collègue Mathus, rassemblaient, globalement, le monde de la culture et le monde des télécoms. Encore faut-il nuancer : au vu des communiqués de presse qu'envoie le monde des télécoms actuellement, il semble que l'accord n'avait pas une solidité en béton.
Et, c'est vrai, il manquait les consommateurs.
J'ai participé à deux démarches gouvernementales qui ont réussi, ou qui sont bien parties pour réussir : le Grenelle de l'environnement…
…et le Grenelle des antennes, sur lequel nous sommes en train de travailler. Au Grenelle des antennes participe un représentant des utilisateurs de communications. Lors du Grenelle de l'environnement, les consommateurs étaient représentés. Où étaient les consommateurs dans les accords de l'Élysée ? Ils n'étaient pas là.
Quelque part, l'Élysée est un Grenelle de l'Internet raté. Aujourd'hui, on vous propose de corriger cette erreur, acceptez. Je ne vois vraiment pas où est le problème.
Le fait de prévoir, en cas de loi technologique, de réunir la conférence des parties prenantes, dans laquelle figurent les consommateurs, était positif. Il existe des associations de consommateurs qui se tiennent, qui ont une réflexion sur le long terme. Pensez-vous que cela désorganiserait l'HADOPI si elle comprenait un représentant de l'UFC-Que choisir ou d'une autre grande association ? Non, cela ne ferait que la légitimer. Je pense donc que cet amendement a tout son sens.
Je voudrais savoir ce qui gêne précisément le Gouvernement et le rapporteur dans le fait que pourraient siéger dans le collège des personnalités qualifiées de l'HADOPI deux représentants – ce n'est quand même pas exagéré – des utilisateurs de réseaux. Où est le problème ? Après tout, n'y a-t-il pas meilleurs connaisseurs que les utilisateurs eux-mêmes des manières dont ils peuvent être victimes du dispositif ou dont ils peuvent éventuellement l'améliorer ? Ce ne sont pas les membres de la Haute autorité, aussi éminents soient-ils, qui vont envoyer les mails, les lettres recommandées, et qui vont faire la chasse aux pirates. La Haute autorité ne servira qu'à statuer sur le fait de déclencher ou non la riposte.
Qu'est-ce qui s'oppose, au XXIe siècle, à ce que des utilisateurs, des consommateurs soient présents dans une haute autorité qui prétend justement protéger les usages, protéger les ayants droit et protéger éventuellement les utilisateurs ? Qu'est-ce que vous fait peur dans le fait que les citoyens se mêlent de leurs affaires, mesurent les sanctions auxquelles ils peuvent être exposés et s'interrogent sur la meilleure manière de les adapter à la gravité des actes ? Très franchement, j'aimerais avoir la réponse à cette question.
Nous avons déposé ce type d'amendement à plusieurs reprises. Vous ne vouliez pas des associations de consommateurs, finalement, vous tolérez leur présence, une seule personnalité qualifiée sur les cinq qui composent le collège. Pourquoi maintenant être rétifs à la présence des utilisateurs de réseaux ? Parmi toutes les associations qui se sont exprimées sur HADOPI, certaines sont extrêmement précises, sérieuses, responsables, et essaient de trouver des solutions. Ce sont d'ailleurs elles qui sont à l'initiative des fameuses assises dont nous avons parlé et qui réuniront les créateurs et leur public pour essayer de faire ce que vous auriez dû faire depuis longtemps, madame la ministre, à savoir essayer d'inventer ce nouveau modèle, ces nouveaux droits pour les auteurs, pour les créateurs, face à ces nouveaux usages et à ce formidable autant que dangereux outil qu'est Internet.
Je voudrais comprendre ce qui vous fait peur chez les utilisateurs. Leur présence dans la Haute autorité serait une garantie pour vous autant que pour eux. Cela honorerait la représentation nationale d'adopter ces amendements qui, franchement, ne remettent pas en cause l'équilibre de l'ensemble que vous vous apprêtez à voter.
Je suis saisie d'un amendement n° 82 .
La parole est à M. Christian Paul.
La question de l'indépendance de l'HADOPI n'est pas une question mineure. Nous avons expliqué à de multiples reprises pourquoi nous étions hostiles à la philosophie du dispositif que vous voulez mettre en place.
Mais puisque vous persistez dans cette illusion qui trompe les artistes, beaucoup de collègues l'ont dit avant moi, nous vous proposons de nous accorder au moins sur un point, celui de la nécessaire indépendance de cette haute autorité. C'est un sujet sur lequel d'ailleurs l'Europe nous observe.
Vous avez été comme moi attentif aux débats du Parlement européen, monsieur Lefebvre. La question qui tourmente le Parlement européen, qui le tourmentait avant le paquet Télécoms et qui le tourmentera après, c'est bien celle-là : comment peut-on mettre en place en France, pays où l'État de droit représente quelque chose, où les droits de la défense ont un sens, une haute autorité sur l'indépendance de laquelle planent, avant même sa création, de sérieux doutes ?
Nous proposons de détacher un peu plus des intérêts strictement économiques en présence les membres de l'HADOPI en demandant qu'un délai de cinq ans soit prévu entre l'exercice de certaines fonctions dans l'industrie de la musique et la nomination au sein de cette haute autorité. Au fond, cela permet de tester votre volonté d'indépendance. Ce n'est pas que nous croyions à cette haute autorité, mais nous aimerions être certains que vous voulez réellement que cette haute autorité soit indépendante.
Je vous invite donc à voter cet amendement, qui ferait passer de trois ans à cinq ans le délai de viduité en quelque sorte entre des fonctions de responsabilités économiques et un siège au sein de cette haute autorité. Je crois que ce serait une bien mince concession à l'idée d'indépendance de l'HADOPI. Le test est devant vous et c'est votre vote sur cet amendement qui nous permettra de mesurer, encore une fois, si nous sommes, comme je le crains, face à une simple mascarade…
Vous exagérez !
…ou si vous avez quand même la volonté de préserver les droits de la défense. L'État de droit, les droits de la défense, monsieur Karoutchi, sont des valeurs auxquelles les républicains étaient jusqu'ici attachés. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
L'indépendance de l'HADOPI est largement assurée et trois ans suffisent.
Défavorable.
Ce débat est très intéressant. Nous sommes contre l'HADOPI mais à partir du moment où vous persévérez dans votre entêtement, nous pensons qu'il faut, au moins, assurer une certaine moralité et empêcher la porosité entre les milieux économiques, intéressés d'une façon sonnante et trébuchante à votre texte, et l'HADOPI, qui se doit d'être droite. Il faut faire en sorte qu'il n'y ait pas des gens des milieux économiques qui viennent pantoufler, le terme étant employé dans un sens inverse à celui habituellement admis, au sein de l'HADOPI.
Vous avez ainsi l'occasion de démontrer votre bonne foi. Nous savons en effet ce qu'il en est des experts, des personnes qualifiées : comme les apolitiques sont toujours de droite, les experts dont vous parlez, on sait de quel côté ils penchent, et les personnes qualifiées, comme c'est vous qui les désignez, on sait bien pour quoi elles sont qualifiées.
Nos collègues socialistes sont très modérés, leur proposition n'est pas révolutionnaire.
C'est une sorte de concession dans votre sens qu'ils vous proposent. Alors, entendez la voix de la raison et de la morale, les deux ne devant pas être contradictoires.
Monsieur Riester, pensez-vous vous en tirer en disant « défavorable » ? Que répondrez-vous aux gens qui, au marché de Coulommiers, le dimanche, vous demanderont pourquoi vous n'êtes pas favorable à la morale et à la transparence ?
Vous allez avoir du mal à vous expliquer, monsieur le rapporteur. Je vois M. Karoutchi opiner du chef dans le mauvais sens, mais je lui ferai observer que Mme la ministre n'a pas été plus prolixe que le rapporteur.
Vous êtes dépourvus d'arguments convaincants à opposer au caractère moralisateur de cette proposition (Protestations sur les bancs du groupe UMP) qui, au moins, aurait été une concession allant dans le bon sens.
Mes chers collègues, de retour de ma circonscription, je me précipite dans l'hémicycle pour participer à cet intéressant débat mais, là, j'avoue que la distance entre ce qui se passe depuis une heure que je suis là et ce qui se passe dans ma circonscription me semble quasi interplanétaire.
M. Brard vient de nous faire une démonstration de son talent, que je salue, et de sa mauvaise foi, à laquelle nous sommes habitués.
Comment peut-il nous expliquer que cette instance sera constituée de personnages à la solde, de personnages dont, à l'avance, il dénonce le caractère intéressé, d'une façon que je trouve d'ailleurs assez désagréable voire franchement scandaleuse,…
…et, à la sortie, nous expliquer qu'il faut les garder non pas trois ans mais cinq ans ? Seul M. Brard pouvait exposer cette contradiction avec ce talent.
Mais il ne peut pas espérer une seconde que nous allons être pris au piège de ses propos aussi brillants qu'ils soient, car ils sont insupportables. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Notre collègue Brard vient de relever que Mme la ministre et M. le rapporteur manquaient d'arguments. En réalité, ils sont muets.
Depuis quarante-deux heures, bientôt quarante-trois, que durent nos débats, je n'entends rien, si ce n'est un ministre muet qui, de manière opiniâtre, oppose à nos amendements le même mot, « défavorable », sans argumenter.
Il est vrai que nous, dans l'opposition, sommes très défavorables au dispositif que vous voulez mettre en place, mais une fois que le fait majoritaire aura permis son adoption encore faudra-t-il qu'il soit quelque peu moralisé. Or vous écartez la moindre ouverture qui permettrait un semblant de respect, de légitimité et de morale en refusant, par exemple, que des consommateurs soient membres de l'HADOPI. Vous avez beaucoup de talent, monsieur de Charette, mais la distance qu'il y a entre ce qui se passe dans ma circonscription et les propos tenus ici n'est pas aussi grande que ce que vous dites. Il y a en effet un fossé entre la vie culturelle, musicale du pays telle qu'elle devrait être et celle que vous voulez encadrer. Je le répéterai inlassablement : la musique que le Gouvernement fait défendre par ses amis, par ceux qui ont mangé au Fouquet's, par les majors,…
… ne représente qu'une toute petite partie de la musique en France. Vous piétinez un pan entier de musique que vous ne voulez pas voir exister !
Madame la ministre, combien y a-t-il de musiques différentes dans la liste que vous avez établie ? Vous bafouez des musiques extraordinaires qui doivent exister. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) La semaine dernière j'ai cité des artistes que, j'en suis sûr, vous n'avez jamais écoutés. J'aimerais que vous reconnaissiez enfin que la musique ne se résume pas au choix des gros médias de télévision et qu'il y a un panel important. Je continuerai à le dire et je me fâcherai s'il le faut ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
(L'amendement n° 82 n'est pas adopté.)
Je vous rappelle simplement, mes chers collègues, que, depuis le début de l'après-midi, vous avez examiné vingt-six amendements, et qu'il en reste 188. Peut-être pourrions-nous essayer d'accélérer un peu !
Je suis saisie d'un amendement n° 83 .
La parole est à M. Patrick Bloche.
Nous allons évidemment répondre à votre appel, madame la présidente. Nous n'avons d'ailleurs demandé aucune suspension de séance depuis seize heures.
C'est un hommage que le groupe SRC voulait rendre à la fois à la présidence de cet après-midi et à celle de ce soir !
L'amendement n° 83 vise à renforcer l'indépendance de l'HADOPI. Il n'est pas secondaire.
Le texte précise actuellement : « Aucun membre de la Haute Autorité ne peut participer à une délibération concernant une entreprise ou une société contrôlée… par une entreprise dans laquelle il a, au cours des trois années précédant la délibération, exercé des fonctions ou détenu un mandat. » Ce délai de trois ans nous paraît insuffisant. Voilà pourquoi nous proposons de le faire passer à cinq ans.
Cet amendement est essentiel. Nous avons fait référence, à plusieurs reprises, à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, au droit à un procès équitable. Il s'agit de savoir si la haute autorité administrative qu'est HADOPI est, ou non, indépendante, si elle peut être, ou non, assimilée à un tribunal indépendant et impartial, ce que nous contestons par ailleurs. Le vote de cet amendement est donc une garantie à peu de frais que nous vous offrons sur un plateau. Le refuser nous apparaîtrait plus que jamais paradoxal.
Défavorable.
(L'amendement n° 83 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 84 .
La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.
Je reviens, à l'occasion de cet amendement, sur la nature juridictionnelle de la Haute Autorité et sur les conséquences qu'aura ce texte. J'ai déjà dénoncé tout à l'heure le fait que celui-ci renvoyait au Conseil d'État le soin de désigner la juridiction compétente pour connaître des recours, de fixer les modalités dans lesquelles seront prononcés les sursis à exécution. C'est une négation de toutes les règles de la procédure constitutionnellement reconnue.
Nous parlerons peut-être de l'alinéa 106, qui évoque l'amende de 5 000 euros, mais je dois attirer l'attention de l'Assemblée sur le fait que n'ont été évoqués ni le problème de l'infraction continue ni la question de la confusion de sanction – les internautes auront intérêt à saisir la juridiction compétente quelle qu'elle soit pour obtenir des confusions dans la sanction. Ce sont des problèmes que l'on retrouve dans les infractions pénales en matière de droit du travail, par exemple.
Puisque le président de la Haute Autorité désignera des rapporteurs chargés de l'instruction – je souligne au passage que le projet de loi fait référence à des termes juridictionnels –, nous demandons que ces rapporteurs ne puissent participer au délibéré des recommandations ou décisions qu'ils préparent. Nous faisons ainsi référence à la notion de procès équitable, en vigueur dans tous les États démocratiques, selon laquelle le juge, quel que soit son statut, qui instruit et investit les faits pour retenir des qualifications et soumettre la décision ne peut pas participer au jugement. C'est un fondement du droit. Je pose à nouveau ce problème, car vous êtes en train d'institutionnaliser dans une forme juridictionnelle la prise en compte de ces infractions et vous mettez à bas en permanence des principes fondamentaux. Le principe que je viens d'évoquer est la condition du procès équitable. Nous ne sommes plus dans l'intendance de l'internaute ; nous touchons là aux droits fondamentaux de nos concitoyens, et d'ailleurs des concitoyens européens. Voilà pourquoi l'amendement n° 84 vise à préciser, après l'alinéa 52, que les « rapporteurs chargés de l'instruction des dossiers ne peuvent participer au délibéré des recommandations ou décisions qu'ils préparent ».
Madame la ministre, je n'ai pas l'habitude de faire preuve de fantaisie dans mes démonstrations et je vous demande de répondre à ces arguments de droit que je considère fondés.
Défavorable. En fait, le principe que vous voulez inscrire dans la loi s'impose, monsieur Le Bouillonnec, puisque, comme vous l'avez rappelé, c'est l'un des principes fondamentaux du droit. Il sera défini par décret.
En effet, c'est l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme qui s'applique. Pour le reste, je précise que les recours contre les sanctions se font devant le juge judiciaire. C'est expressément indiqué dans le texte de loi.
J'en déduis que la commission et le Gouvernement sont défavorables à cet amendement.
La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.
J'ai indiqué tout à l'heure que le fait de renvoyer au Conseil d'État le soin de fixer la procédure selon laquelle l'HADOPI sera saisie anticipe sur le choix de la juridiction. Vous faites référence à la juridiction judiciaire, madame la ministre, mais, s'agissant d'une juridiction administrative, le tribunal administratif peut être compétent par l'effet obligé des tribunaux. Et lorsque vous dites que la compétence est judiciaire, vous n'évoquez qu'un petit aspect du problème. Vous n'évoquez pas le fondement de la décision de l'HADOPI et, du même coup, vous préfigurez un choix que vous suggérez en disant que les recours se font devant la juridiction judiciaire, mais je suis désolé de vous dire qu'un citoyen pourra saisir la juridiction administrative : vous ne pouvez pas affirmer le contraire, madame la ministre !
Je ne fais pas de juridisme absolu ; nous revendiquons simplement la matière qui est la nôtre puisque, je le rappelle, nous faisons la loi. Nous reparlerons de la procédure et du sursis à exécution. Les deux chambres ont tout de même voté, en première lecture, une disposition selon laquelle c'est le Conseil d'État qui détermine les conditions du sursis à exécution. C'est une aberration juridique ! Je ne ferai pas le professeur de droit car je ne le suis pas, mais il est impossible qu'un décret en Conseil d'État détermine les conditions dans lesquelles une juridiction, quelle qu'elle soit, prononce le sursis à exécution. C'est à la loi de le faire et c'est tout !
Cela dit, je veux rappeler que cet article 2 pose un problème depuis le début. Vous chahutez des dispositifs qui sont consensuels avec des structures de forme administrative qui, en réalité, querellent des notions de droit. Et si ce n'est pas le Conseil constitutionnel qui règle ce problème – je ne demande pas qu'il fasse la loi avec nous ! –, ce sont les tribunaux qui le feront. Et si les tribunaux administratifs, ou de l'ordre judiciaire, disent quotidiennement que tout cela est nul, vous serez en échec législatif. Il vaut donc mieux anticiper plutôt que de revenir piteux lorsque la jurisprudence du tribunal administratif et du Conseil d'État ou des tribunaux correctionnels, donc de la Cour de cassation, dira que la loi est inapplicable. Voilà le problème de fond sur lequel je souhaite attirer l'attention de mes collègues. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Plus largement, cette majorité et le Gouvernement ont un problème avec la transparence. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Je vais vous donner un exemple précis concernant le projet de loi Bachelot HPST. Quand, avec mon collègue Christian Paul, nous avons voulu, un peu dans le même esprit que ce dont nous discutons aujourd'hui, clarifier et écarter les conflits d'intérêt de l'industrie pharmaceutique avec le système de soins, le rapporteur, qui vient de vos bancs, nous a dit très clairement – cela figure dans le compte rendu de séance – que trop de transparence créait la suspicion.
Avouez que nous vivons de grands moments dans cet hémicycle ! Je regrette que tous les amendements précédents n'aient pas été acceptés.
(L'amendement n° 84 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 134 .
La parole est à M. Lionel Tardy.
Il est écrit, dans l'alinéa 58, que la commission de protection des droits vérifie la matérialité des manquements. J'estime que c'est très limitatif, que cette commission doit pouvoir porter une appréciation générale sur les éléments que lui apportent les agents assermentés, et non se contenter de vérifier que les faits existent. Cela revient à laisser aux agents assermentés, qui sont au service d'intérêts privés ne l'oublions pas, trop de pouvoir quant à l'appréciation des faits. S'agit-il, ou pas, de manquements ? Je pense que la commission de protection des droits doit pouvoir se pencher sur ce point.
Défavorable.
(L'amendement n° 134 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 85 .
La parole est à M. Christian Paul.
Mes chers collègues, j'attire votre attention sur cet amendement dont l'objectif est de défendre les libertés. Nous le disons depuis des dizaines d'heures, la loi HADOPI suscite deux critiques essentielles : son inefficacité économique et les dangers qu'elle représente pour les libertés. C'est sur ce dernier terrain que se situe cet amendement.
Les agents assermentés de l'HADOPI, ceux que vous avez appelés un peu lestement dans le débat initial les « petites mains », auront de grands pouvoirs, qui sont identifiés aux alinéas 59 et 61 du texte, en termes d'intrusion dans la vie privée, et cela en dehors même du contrôle du juge.
Parmi les principes auxquels l'adoption du projet de loi nous obligerait à renoncer, et qu'a soulignés M. Le Bouillonnec, figurent les droits de la défense. Outre le fait que la ligne pourra être coupée avant toute comparution devant un tribunal, la possibilité est en effet créée de procéder à des perquisitions électroniques en dehors du contrôle du juge, qui n'interviendra que bien plus tard. Cette intrusion dans la vie privée est non seulement choquante mais dangereuse. Une telle disproportion entre le délit et la sanction ne pourra échapper à la censure du Conseil constitutionnel.
Mais le texte ouvre une autre brèche.
Oui, terrifiant ! Il va dans le sens d'une surveillance de l'Internet, tentation qui semble se répandre aujourd'hui au niveau mondial. Pour enquêter sur des faits de terrorisme, on peut aller dans ce sens, même à l'intérieur d'un État de droit, mais, en l'espèce, il s'agit de traquer des pirates par un procédé archaïque. Quelle disproportion entre les faits, les moyens utilisés et les dangers que l'on fait courir à l'État de droit !
En outre, le Gouvernement ouvre une brèche dans laquelle il ne manquera pas de s'engouffrer, notamment dans la loi pour la performance de la sécurité intérieure. Par ce texte, qui donne des pouvoirs exorbitants aux agents de l'HADOPI, nous sommes en train de baisser la garde, en termes de respect des libertés, et nous changeons la nature de dispositifs mis en place depuis des décennies, pour que la répression des crimes et délits ne puisse s'exercer que sous le contrôle du juge et au moyen de sanctions proportionnées à la faute. La majorité met donc en place, délibérément ou par inconscience, une loi d'exception.
Mais en ce qui vous concerne, monsieur Warsmann, ce ne peut être que délibéré.
Avis défavorable. Les agents de l'HADOPI sont assermentés, comme ceux de nombreuses autorités administratives indépendantes qui possèdent un pouvoir de sanction.
Défavorable.
Sur ces questions, nous aurions aimé être écoutés plus attentivement.
Je voudrais évoquer les heures difficiles qu'a vécues la commission des lois, dont M. Warsmann a probablement pris connaissance en lisant les comptes rendus. Je me souviens de la difficulté avec laquelle nous avons obtenu qu'un juge puisse disposer de l'adresse électronique, de l'adresse IP et du contenu des mails, dans le cas d'une enquête réalisée sur un crime ou sur des faits de terrorisme. Nous avons eu à ce sujet des débats sans fin.
Or le projet de loi prévoit la possibilité d'entrer dans la vie privée non seulement d'un individu, mais d'une famille. À ce titre, les agents d'une autorité administrative, que je respecte par avance, auront plus de droits qu'un juge d'instruction, puisqu'ils pourront recourir sans avoir à le justifier à un procédé qui s'apparente en tous points à une écoute téléphonique.
Comment une autorité administrative peut-elle se voir accorder autant de pouvoir, alors que, dans toute procédure, nous exigeons plus de motivation et plus de temps, et que nous prévoyons des recours et une possibilité d'assistance ? Je ne comprends pas que le président de la commission des lois…
…ne demande pas que, au moins sur ce point, nous ayons une vraie discussion. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Les hautes autorités administratives font toujours débat. Des experts s'interrogent sur leur cas. Qu'il s'agisse de l'Autorité des marchés financiers ou des autorités chargées de la concurrence, elles posent problème. Ceux qui ont eu l'occasion d'appartenir à la juridiction administrative éprouvent à leur égard une certaine hésitation.
Mais le temps a passé depuis qu'ont été mises en place les premières autorités réputées indépendantes mais qui, j'en conviens, l'étaient fort peu. Sous l'influence de la justice européenne, nous sommes parvenus à un équilibre satisfaisant.
En outre, l'HADOPI a besoin d'avoir accès à certaines données. Chargée de contrôler l'usage que l'on fait d'Internet, elle ne saurait être privée de l'accès à certaines informations. Ses agents assermentés assumeront la pleine responsabilité de leurs actes, sous le contrôle de la justice judiciaire.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Non !
Par conséquent, les dispositions que prévoit le projet de loi sont nécessaires et raisonnables pour assurer le fonctionnement de l'HADOPI.
Les alinéas 59 à 61, que l'amendement propose de supprimer, reprennent mot pour mot les dispositions de la loi de 1978 relatives aux agents assermentés de la CNIL.
Il n'y a rien de choquant à donner aux agents de l'HADOPI les pouvoirs dont disposent ceux d'une autre autorité indépendante.
J'ajoute que le projet de loi prévoit un contrôle de l'autorité judicaire plus proche, plus direct et plus prégnant que le texte de 1978.
Les arguments de nos collègues ne sont donc absolument pas recevables. Je le répète : le texte reprend celui de 1978…
La comparaison n'est pas pertinente. La CNIL ne prononce pas de sanctions à l'encontre des usagers, alors que l'HADOPI pourra suspendre l'accès à Internet, mesure de nature pénale, qui sera d'ailleurs accessoire à une peine d'emprisonnement ou à une amende.
Nouvelle inexactitude : la CNIL peut prononcer des sanctions, notamment des amendes allant jusqu'à 5 % du chiffre d'affaires, dans la limite de 300 000 euros.
En l'espèce, il me semble assez grossier d'invoquer le précédent de la CNIL.
Mes chers collègues, je vous demande de vous calmer. Le débat est important. Que chacun choisisse donc avec soin les termes qu'il utilise et nous pourrons continuer. Je vous demande d'user d'un autre terme, monsieur Paul.
J'ai qualifié comme il se doit la démonstration qui vient d'être menée. Il me semble curieux que l'on invoque le précédent de la CNIL, que ses missions ne conduisent pas à procéder à des perquisitions dans la vie privée. Or celles que décidera l'HADOPI s'effectueront indépendamment d'un crime…
Cessez de m'interrompre, monsieur Warsmann ! Vous vous exprimerez à votre tour ! Depuis une heure, vous n'avez pas cessé de tenter d'intimider les orateurs de l'opposition et de réduire leur temps de parole !
Je vous ai observé, et ce n'est pas la première fois depuis le début de la législature que vous procédez ainsi. Souffrez que l'opposition appelle votre attention sur le risque que vous prenez. Il ne s'agit pas d'un détail, mais d'un véritable changement de la nature du droit, puisque nous mettons en place un système de surveillance de la vie privée, qui s'effectuera en dehors du juge.
Une telle décision devrait susciter sinon la vigilance du président de la commission des lois, sur lequel nous n'avons plus aucune illusion, du moins celle de l'Assemblée nationale.
(L'amendement n° 85 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 59 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Au coeur de ce débat important, j'ai noté avec intérêt que la détermination et la conviction de M. de Charette sont chancelantes. Si la CNIL protège les citoyens et punit ceux qui portent atteinte aux libertés, l'HADOPI porte atteinte à la liberté des citoyens en les présumant coupables. Elles obéissent donc à des logiques bien différentes !
Quant au président Warsmann, je le sens prêt à rétablir la sainte inquisition et à mettre certains mots à l'index. Dans ce cas, pourquoi ne pas faire appel au grand linguiste qu'est le Président de la République pour nous indiquer la valeur des mots ? (Sourires sur les bancs du groupe SRC.) M. Karoutchi n'y croit pas lui-même, et je lui donne raison !
Monsieur Gosselin, chacun est libre de sa parole et, ne vous en déplaise, nous avons tous dans cet hémicycle la même légitimité ! La nôtre est même supérieure à la vôtre, puisque nous portons la voix de ceux qui vous réduisez au silence.
L'amendement n° 59 est un amendement de repli. Nous l'avons signalé, la privatisation de l'instruction nous paraît inacceptable. Mais nous souhaitons aussi aider le texte à passer l'épreuve de la saisine du Conseil constitutionnel.
Monsieur Warsmann, oserez-vous dire que vous n'êtes pas grossier ? Vous m'interrompez sans cesse.
En l'état actuel du texte, en permettant à l'HADOPI de demander l'identification des personnes liées à une adresse IP collectée par les sociétés d'auteurs en dehors de toute intervention…
De rien.
…d'une autorité judiciaire, le projet est contraire à la décision du Conseil constitutionnel de 2004 statuant sur la loi « Informatique et libertés ».
Le Conseil avait, à l'époque, subordonné la possibilité pour les sociétés d'auteurs, dans le cadre de la lutte contre le téléchargement, de traiter les fichiers d‘infractions à la garantie que les données recueillies ne puissent avoir un caractère nominatif que dans le cadre d'une procédure judiciaire. Or, en l'état du texte, les membres de la commission de protection des droits pourront obtenir ces informations sans passer par le juge. Le risque est grand, et vous le savez, madame la ministre et monsieur le rapporteur, que certaines dispositions de votre texte soient retoquées. Au-delà de la probable incompatibilité de votre loi avec notre Constitution, nous craignons que les garanties de protection des données personnelles ne soient pas suffisantes dès lors que l'autorité judiciaire se trouve évincée de la procédure.
Notre amendement propose donc de combler une des béances juridiques de votre texte…
… en réintroduisant l'autorité judiciaire dans la procédure.
Madame la présidente, il est très désagréable de trouver un héritier de Torquemada dans cette assemblée. À quand le bûcher, monsieur le président de la commission des lois ?
Fondé, madame la présidente, sur l'article 58, alinéa premier.
Je suis surpris, je le dis avec beaucoup de pondération au président de la commission des lois, de son attitude répétée, qui relève de la récidive, depuis le début de cette séance. Monsieur Warsmann, nous avons l'impression que vous exercez une sorte de présidence bis.
Vous minutez le temps des intervenants, de ceux de l'UMP peut-être, je ne sais, en tout cas de ceux du parti socialiste, et vous le faites à voix haute. On a donc le sentiment, malgré les efforts de Mme Vautrin, d'être face à une présidence à double commande.
Au nom du groupe socialiste, afin qu'il puisse se concerter sur le déroulement de nos débats, je vous demande, madame la présidente, une suspension de séance de dix minutes.
Elle sera d'une minute, sur place. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Rappel au règlement
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures trente-trois, est reprise à vingt-trois heures trente-quatre.)
Défavorable.
Jusqu'aux interventions du président de la commission des lois, le débat s'était plutôt bien déroulé. Mais il n'y a pas débat quand on se contente de nous répondre systématiquement par un même « Défavorable, défavorable ». Vous pourriez au moins vous renouveler.
Pour notre part, nous sommes ici pour débattre et pas simplement pour enregistrer des fins de non-recevoir. Monsieur le rapporteur, vous nous aviez habitués à autre chose, depuis le début de la discussion il y a quelques semaines. Nous voudrions en savoir un peu plus, d'autant que j'ai bien dit qu'il s'agit pour nous de vous aider à éviter la censure du Conseil constitutionnel. Certainement avez-vous des arguments pour nous convaincre que notre amendement n'est pas fondé.
J'insiste sur la pertinence de l'amendement. Le Conseil constitutionnel avait sanctionné le dispositif prévu à l'article 34-1 du code des postes et télécommunications, à propos de la loi « informatique et liberté ». C'est donc dans un dispositif tout à fait parallèle à celui-ci que le Conseil constitutionnel avait considéré qu'il ne pouvait pas y avoir de recueil de données nominatives sans intervention de l'autorité judiciaire. Vous commettez de nouveau la même erreur ou la même imprécision en confiant à l'HADOPI des mesures d'investigation qui sont hors du droit. En effet, les services de police ne peuvent disposer de ces éléments sauf dans le cadre d'une enquête préliminaire ou d'un constat de flagrance. On ne peut engager une telle démarche hors d'un processus judiciaire. C'est bien ce que le Conseil constitutionnel avait imposé à propos de l'article 34-1 du code des postes et télécommunications. La même exigence demeure dans ce cas pour protéger les droits élémentaires de chaque citoyen.
(L'amendement n° 59 n'est pas adopté.)
Pour accéder aux données personnelles, la règle générale est qu'il faut l'intervention du juge, à une seule exception, la lutte anti-terroriste. Dans ce cas, il s'agit d'assurer un équilibre entre deux principes et le juge constitutionnel dit lequel a la priorité. Effectivement, la lutte contre le terrorisme peut justifier quelques entorses à la protection des données personnelles. Mais le cas qui nous occupe est bien différent : la protection des intérêts financiers de l'industrie culturelle justifie-t-elle que l'on passe par-dessus celle des libertés individuelles ? Pour ma part, je ne le pense pas.
On place ainsi la lutte contre le téléchargement illégal sur le même plan que la lutte antiterroriste. Il s'agit d'un vrai choix politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
L'intervention de M. Tardy est tout à fait éclairante. Nous essayons de vous le faire comprendre depuis le début : on ne peut pas étendre un dispositif prévu pour lutter contre le terrorisme à la défense d'un droit de propriété. La mise à disposition de données personnelles a été refusée dans d'autres cadres, le juge devant l'autoriser préalablement. Nous ne sommes pas contre la mise à disposition de ces données dans le cas d'un téléchargement massif – ce que visait la loi DADVSI – si le juge a levé l'anonymat de la personne afin qu'une sanction puisse s'exercer. Mais, dans le présent cas, on va envoyer 10 000 courriers électroniques, ce qui va entraîner la levée de l'anonymat des données personnelles sans autorisation d'une autorité judiciaire. Ce n'est pas conforme non plus au droit européen. A ce niveau, il serait logique de passer la main à l'autorité judiciaire.
L'argument par lequel vous justifiez votre refus est qu'il ne faut pas encombrer les tribunaux. Mais ou il y a délit, et la justice doit être saisie, ou il n'y en a pas, et les tribunaux ne seront pas encombrés.
Défavorable. Le Conseil constitutionnel a validé à de multiples reprises des dispositifs identiques à celui instauré pour l'HADOPI, par exemple pour les données personnelles de santé nécessaires à la constitution du dossier médical personnel ou pour l'utilisation à des fins administratives (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) de données nominatives recueillies dans le cadre d'activités de police.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Cela n'a rien à voir !
Bien sûr que non. Mais c'est exactement la même chose. Il n'y a aucune raison de requérir l'autorité judiciaire dans le traitement de données personnelles par une haute autorité administrative, et elles sont plusieurs dans ce cas.
La question est de savoir si l'on veut que l'action de l'HADOPI soit pertinente et si l'on veut que ce texte soit applicable ou non. Faire appel à l'autorité judiciaire représente certes un contrainte, mais aussi une garantie de respect de la Constitution et de droits intangibles. C'est surtout à réponse au problème juridique, soulevé sur tous les bancs, de la recherche de la preuve. Les preuves que les agents assermentés réuniront pour l'HADOPI – avec des garanties qui ne sont pas celles de la procédure pénale –serviront dans le cadre des procédures menées par cette haute autorité, dans celui d'un contentieux administratif et, pourquoi pas, dans le cadre d'une procédure pénale menée en application de la DADVSI, puisque ces procédures sont cumulatives. Par définition, le niveau de garantie n'est pas le même dans ces différents cas. C'est pourquoi l'intervention de l'autorité judiciaire, dès lors qu'il s'agit de données personnelles, est quasiment obligatoire, ne serait-ce que pour savoir quel usage on fait de ces données. Imaginons que ces preuves servent dans un procès en contrefaçon. On aura alors recours à la procédure pénale pour la raison suivante : dans le cadre des actions de l'HADOPI, la prescription est de six mois ; en passant au pénal, elle est portée à trois ans. Donc, ne pas faire intervenir l'autorité judiciaire conduira soit à violer les dispositions du code de procédure pénale soit à prononcer des décisions de relaxe – ce qui n'est pas ce que vous souhaitez – pour des individus qui pourront exciper du fait que la procédure pénale n'a pas été respectée pour le recueil de la preuve.
Madame la ministre, je ne suis pas sûr que vous vous soyez vantée auprès des artistes et des auteurs du fait que vous utilisez, pour frapper les internautes, des dispositions mises en place pour lutter contre le terrorisme. Je pense que si vous leur aviez expliqué cela, ces créateurs, qui sont attachés à la liberté dans toutes ses dimensions, auraient évidemment été tétanisés et ne vous auraient pas suivie. Ils auraient recherché avec nous et avec les internautes les voies du dialogue, pour ménager à la fois les libertés et les moyens de rémunérer la création.
Vous avez fait preuve d'absence de transparence, comme il a été dit tout à l'heure. Mais il est vrai que c'est un mot que vous n'aimez pas, sauf quand il était prononcé en russe : « glasnost », ça vous plaisait, mais « transparence », en français, cela provoque chez vous une certaine répulsion, dès lors que cela pourrait être une incitation à faire pratiquer cette vertu pourtant essentielle.
(L'amendement n° 135 n'est pas adopté.)
(L'amendement n° 60 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 61 .
La parole est à Mme Martine Billard.
Il est quand même un peu bizarre, madame la ministre, de faire la comparaison avec le dossier médical personnel. D'autant qu'au moment de l'examen du texte sur le DMP, M. Dionis du Séjour s'en souvient peut-être, nous avions justement eu un débat sur l'utilisation du numéro INSEE.
Je suis de ceux qui se sont opposés à l'utilisation du numéro INSEE précisément pour éviter l'interconnexion des fichiers. Et cette disposition avait été retirée.
J'en viens à l'amendement n° 61 . Nous avons déjà eu le débat, mais je m'obstine. À l'alinéa 61 de l'article 2, il est prévu que l'HADOPI pourra obtenir des FAI l'identité, l'adresse postale, l'adresse électronique et les coordonnées téléphoniques de l'abonné. Je propose que les coordonnées téléphoniques que l'HADOPI pourra obtenir soient strictement celles de la connexion Internet avec laquelle a été commis le délit, ou plutôt est supposé avoir été commis le délit, puisque l'on sait que, dans 30 à 40 % des cas, l'auteur des faits pourra être une personne autre que la personne incriminée.
On m'a opposé des arguments très fluctuants. Il m'a été dit d'abord qu'il fallait pouvoir contacter la personne incriminée. Je souligne que 10 000 courriels par jour, comme me l'a confirmé M. le rapporteur hors de cet hémicycle, seront envoyés par les fournisseurs d'accès à Internet, lesquels effectueront une coupure toutes les vingt-trois secondes. On voit mal comment l'HADOPI, avec ses sept membres, pourrait prendre son téléphone pour appeler les personnes incriminées et leur demander si ce sont vraiment elles qui ont procédé au téléchargement illégal ou si leur connexion a été piratée. Cette réponse, qui m'est souvent donnée, est totalement fantaisiste.
En commission, un collègue de l'UMP m'a aussi répondu que la précision demandée était inutile puisqu'elle figurait déjà dans le texte. Non, elle n'y figure pas : dans la rédaction actuelle, l'HADOPI peut, comme je l'ai dit, obtenir tous les numéros de la personne concernée. Or je maintiens qu'il n'y a aucune raison de transmettre l'ensemble des coordonnées téléphoniques : la connexion Internet ; la ligne fixe s'il y en a une autre ligne ; d'autres lignes fixes éventuelles ; le téléphone portable, puisque le rapporteur nous a dit en première lecture qu'il était bon de pouvoir le communiquer à l'HADOPI. Il y a quand même des limites !
Oui, on ne sait jamais !
L'objectif de la levée de l'anonymat de ces données, c'est de pouvoir contacter la personne incriminée pour lui annoncer qu'elle est soupçonnée d'avoir procédé à des téléchargements illégaux et que, si elle s'obstine, elle fera l'objet d'une sanction pouvant aller jusqu'à la coupure. Je ne vois pas en quoi l'ensemble des numéros de téléphone de cette personne peut avoir un rapport avec l'objectif de l'HADOPI, c'est-à-dire administrer la sanction.
Franchement, je considère qu'il n'y a pas lieu d'élargir à ce point le champ des données pouvant être transmises. Tant qu'on y est, pourquoi ne pas y ajouter l'adresse et le numéro de téléphone du lieu de travail ? Vous seriez encore plus sûrs de pouvoir contacter la personne. Si jamais elle est peu présente à son domicile, vous risqueriez de ne pas pouvoir la joindre, tandis qu'aux heures de bureau, vous y parviendrez à coup sûr. Non, à un moment donné, il faut savoir s'arrêter, et se limiter aux données qui, de votre point de vue, par rapport à l'objectif que vous poursuivez, sont indispensables.
Ce qui est formidable, madame Billard, c'est que vous annoncez dans vos questions ce que va être ma réponse.
Je vous redis, puisque nous en avons souvent parlé, en commission, en aparté ou dans l'hémicycle, qu'il est important de transmettre les coordonnées téléphoniques pour que l'HADOPI puisse entrer en contact avec les titulaires des abonnements. L'objectif est de faire de la pédagogie. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Défavorable, pour les mêmes raisons.
Pourquoi je cite votre rapport, monsieur le rapporteur ? Parce que vous aviez déjà donné l'occasion de faire beaucoup rire sur Internet, mais là, vous en rajoutez une couche !
En première lecture, je ne pouvais vous devancer avant d'entendre votre réponse. Vous me l'avez donnée, vous l'avez répétée en commission, et maintenant je vous réponds effectivement à l'avance, pour vous dire que ce n'est pas sérieux. Ce n'est pas sérieux de prétendre que l'HADOPI va téléphoner à 10 000 personnes incriminées par jour. C'est franchement n'importe quoi !
Vous feriez mieux de nous dire quel est le sens profond de cette exigence, parce qu'il y a là, quand même, un motif d'inquiétude. Cette exigence, en réalité, n'a aucun fondement, et surtout pas la réponse que vous donnez.
Je voudrais prolonger le débat que nous avons abordé tout à l'heure, car c'est en fait le même dispositif que nous examinons aux étapes successives des investigations de la Haute autorité.
Dans un arrêt de mai 2007, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a rappelé que l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques ne permettait pas le traitement de données nominatives ayant pour finalité l'envoi de messages pédagogiques qui n'aurait pas « pour but la mise à disposition d'informations à l'autorité judiciaire pour le besoin de la poursuite des infractions pénales ». C'est cette décision du Conseil d'État que vous méconnaissez aux alinéas 59 à 61 de l'article 2.
Pour bien montrer comment, actuellement, l'autorité judiciaire investit le champ des supports informatiques dans le cadre des enquêtes préliminaires, je souhaite simplement vous rappeler le premier alinéa de l'article 571 du code de procédure pénale, qui a été créé par l'article 17 de la loi du 18 mars 2003 :
« Les officiers de police judiciaire ou, sous leur responsabilité, les agents de police judiciaire peuvent, au cours d'une perquisition effectuée dans les conditions prévues par le présent code, accéder par un système informatique implanté sur les lieux où se déroule la perquisition à des données intéressant l'enquête en cours et stockées dans ledit système ou dans un autre système informatique, dès lors que ces données sont accessibles à partir du système initial ou disponibles pour le système initial. »
Cela veut dire que, même dans le cadre d'une enquête judiciaire préliminaire, la police judiciaire ne peut pas entrer dans n'importe quel dispositif informatique et rechercher les éléments qu'il contient dans n'importe quelles conditions. Du reste, les deux autres alinéas de l'article 57-1 du code de procédure pénale détaillent les conditions dans lesquelles la police judiciaire doit stocker ces données et les placer sous scellés.
Vous êtes en train de manipuler une donnée juridique qui a été déjà été visitée par le Conseil constitutionnel et par le Conseil d'État. Votre dispositif prévoit notamment que la Haute autorité pourra intervenir, en dehors de tout contrôle judiciaire, sur des éléments nominatifs que, jusqu'à maintenant, on n'a reconnus accessibles que par l'intervention de l'autorité judiciaire. C'est le Conseil constitutionnel qui l'a dit. C'est le Conseil d'État qui l'a dit.
Et je considère, chers collègues, que nous ne pouvons pas, en tant que législateurs, prendre le risque de faire corriger l'appréciation de notre action législative par la juridiction constitutionnelle ou le Conseil d'État. Je ne dis pas cela par irrespect, mais au contraire par souci que le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État aient quand même l'impression que nous n'oublions pas de respecter le droit en faisant la loi. Il nous faut être juristes dans cet hémicycle. C'est cela, le problème de fond, surtout quand le droit est protecteur de l'intimité de chacune et de chacun de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
(L'amendement n° 61 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 62 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Nous proposons de supprimer les alinéas 63 à 69, parce qu'y est développée l'idée d'offre légale. Ainsi, selon le bon plaisir de l'HADOPI, il y aurait des offres légales et des offres qui ne le seraient pas. Cela rappelle ce que fut l'art officiel dans les pays de l'Est, autrefois.
Selon que la qualité d'officiel était reconnue ou non, c'était de l'art « légal », pour reprendre votre terme, ou non.
Nous sommes dans l'arbitraire total. La notion d'offre légale n'existe nulle part dans notre droit. En outre, confier cette qualification à une autorité qui n'est pas judiciaire est complètement exorbitant.
Et vous qui êtes des adeptes de la concurrence « libre et non faussée », comme on dit à Bruxelles, en vertu de quoi allez-vous violer l'un des principes devant lesquels vous vous mettez d'habitude à genoux ? Il y a là une double contradiction.
La concurrence libre et non faussée, je vous l'abandonne volontiers. J'en resterai simplement au fait que la notion d'offre légale n'existe pas dans notre droit. Vous définissez un nouveau principe, comme cela, en faisant entrer par la petite porte quelque chose qui va introduire une inégalité et qui bénéficiera à certains au détriment d'autres.
Défavorable. Nous en avons longuement parlé en première lecture. Il ne s'agit absolument pas de généraliser un label à tous les sites présents sur Internet, mais simplement de donner à ceux qui veulent promouvoir leur offre légale, c'est-à-dire des oeuvres qu'ils mettent à disposition sur Internet en payant des droits, la possibilité d'obtenir un label qui sera attribué par l'HADOPI.
Défavorable. Il s'agit simplement de rendre plus visibles les offres légales qui le souhaitent.
Mais précisément, madame la ministre, la notion d'offre légale n'existe pas. Au nom de quoi l'inventez-vous aujourd'hui ? Je sais bien que le ministère de la culture est, par définition, celui de la création, mais vous n'êtes quand même pas, sauf le respect que je vous dois, la plus compétente pour créer de nouvelles notions juridiques.
Mais citez-moi vos références, monsieur le président de la commission des lois,…
…alias M. Torquemada. Vous en restez coi, et je vous comprends, puisque cela n'existe nulle part. Vos râles ne suffisent pas à me rassurer !
J'ajoute que des doutes ont surgi sur la fiscalité de certaines de ces plateformes et sur le fait que le Gouvernement s'apprête à assurer la promotion, via des labellisations HADOPI, d'entreprises qui vont faire domicilier leurs bénéfices dans des paradis fiscaux.
Pouvez-vous nous donner la certitude que ce gouvernement n'assurera pas la promotion d'entreprises qui font tout pour échapper à la juste contribution qu'elles se doivent d'acquitter ? Vous êtes-vous penché sur cette question, monsieur le rapporteur ? Souhaitez-vous, madame la ministre, qu'indépendamment de la contribution créative à laquelle vous êtes définitivement rétive, il soit au moins acquis que ces entreprises contribuent légitimement à la richesse nationale ?
(L'amendement n° 62 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 86 .
La parole est à M. Patrick Bloche.
À la sous-section 2 de l'article 2, l'HADOPI est censée jouer un rôle désigné officiellement sous le joli intitulé de « mission d'encouragement au développement de l'offre légale et d'observation de l'utilisation licite et illicite d'oeuvres et d'objets protégés par un droit d'auteur et par un droit voisin sur les réseaux de communication électronique ». En fin de compte, cette autorité administrative sera amenée à labelliser un certain nombre d'offres disponibles sur Internet.
Je rappelle à nos collègues attachés, comme nous, à l'économie de marché que, par définition, dans une économie de marché, les offres sont libres. Comme viennent de le souligner à juste titre Jean-Pierre Brard et Sandrine Mazetier, il est donc très incohérent de confier à l'HADOPI le soin de décider de ce qui est légal ou non. C'est une aberration. La légalité de quelque chose – la base de notre État de droit – ne peut être décidée que par une autorité judiciaire. C'est le juge qui décide ce qui est légal et ce qui est illégal. Une autorité administrative ne peut avoir ce pouvoir et labelliser, au nom de cette légalité ou illégalité, des offres commerciales.
Il est d'ailleurs frappant, et on retrouve là le caractère flou du texte, que le projet de loi ne définisse pas ce qu'est une offre commerciale ni à qui le label va être attribué. Est-ce à la société qui propose des offres ou aux services de communication au public en ligne ?
Nous aimerions aussi avoir une réponse à une question que nous avions posée lors de la précédente lecture. Si, sur un même site, plusieurs offres sont proposées par différentes sociétés, à qui ou à quoi va être attribué ce label ? Il y a un problème de pertinence, de lisibilité, notamment pour les utilisateurs, par rapport à ce label.
De même, certains ayants droit exploitent des services de communication au public en ligne. À ce titre, l'octroi ou non d'un label à des sites concurrents, donnant un avantage concurrentiel, créerait un vrai conflit d'intérêts. Nous voudrions que, sur cette question, le rapporteur et la ministre puissent aller un peu plus loin.
De la même façon, nous considérons que ce dispositif serait discriminant pour les sites étrangers dont les offres ne seraient pas soumises aux éventuels critères de labellisation, bien qu'accessibles aux internautes français. Faut-il rappeler, à ce moment de la discussion, une évidence dont ne tient pas compte la rédaction des alinéas dont nous demandons la suppression ? Internet est un réseau mondial !
Défavorable.
Je voudrais relancer l'interrogation que formulait à l'instant Patrick Bloche. Contrairement à ce que pourraient laisser penser les avis du rapporteur et de Mme la ministre, nous discutons là d'une question fondamentale : le mode de régulation de l'Internet.
Aux nombreux contresens de ce projet de loi que nous avons dénoncés – le contresens économique, le risque pour les libertés –, s'en ajoute un autre, à la fois politique et juridique, sur ce que doit être la régulation de l'Internet. Vous dites, madame la ministre, qu'Internet n'est pas une zone de non-droit. Nous sommes bien d'accord ! C'est pourquoi il est nécessaire que ce soit le juge qui dise le droit et y applique la loi, et non pas une autorité administrative.
Depuis plus de dix ans, on s'interroge en France pour savoir comment il faut réguler l'Internet, en distinguant ce qui relève de l'autorégulation, de la corégulation ou du juge. C'est une machine infernale – et je vois M. Lefebvre qui sourit diaboliquement – que de faire échapper Internet au contrôle du juge, pour le confier, dans des conditions aussi hasardeuses, à une autorité administrative. Là, nous avons un désaccord de fond. Là passe effectivement entre nous, monsieur Lefebvre, la barrière des espèces.
Monsieur Warsmann, c'est vous qui devriez tenir ce langage en tant que garant des libertés et de l'État de droit !
Non, Internet n'est pas un espace de non-droit ; Internet relève de l'État de droit et doit donc ressortir au contrôle du juge, et non, encore une fois, dans des conditions hasardeuses, d'une haute autorité que vous mettez en place et qui, de quelque façon, échappera à son créateur. Dans de tels domaines, quand on prend des risques, on est certain du résultat. Et le résultat sera fâcheux pour l'État de droit.
(L'amendement n° 86 n'est pas adopté.)
…mais à condition, madame la présidente, que le précédent eût été adopté. Or qu'a su répondre le rapporteur, et la ministre après lui ? Défavorable !
Mais je ne suis pas renseigné sur les raisons de leur désaccord. En particulier, ils n'ont pas répondu à l'objection selon laquelle la notion d'offre légale n'existe pas dans notre droit. Vous ne pouvez pas vous en sortir par le mutisme. Répéter sans cesse « défavorable », ce n'est qu'une façon de ne pas nous répondre, ni à ceux qui sont soucieux du respect du droit dans notre pays, exigence à laquelle vous vous soustrayez en accordant une sorte de droit de haute justice, comme du temps de la féodalité, à cette HADOPI, privant ainsi nos concitoyens du bénéfice de la justice tout court.
…l'offre légale, c'est l'offre consommée dans le respect des droits des créateurs et des auteurs, donc dans le respect des dispositions du code de la propriété intellectuelle. Évoquer « une offre » sans plus de précision, comme vous le préconisez, cela voudrait dire que l'HADOPI privilégie tout type d'offre, y compris celles qui ne respectent pas les dispositions du code de la propriété intellectuelle. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)
Défavorable. Je redis qu'il s'agit de valoriser les offres légales, c'est-à-dire les sites qui proposent des contenus tout en respectant les droits des auteurs. Par exemple, Deezer.com pourrait très bien faire partie des offres légales labellisées.
Nous sommes au coeur d'un des principaux problèmes de ce texte : l'instauration d'une offre légale. Nous verrons avec la labellisation qu'il y aurait une sorte de catalogue officiel des offres autorisées.
M. Brard a fait allusion à la culture officielle : c'est vrai, on ne peut manquer de faire ce parallèle.
À l'heure d'Internet, que le Gouvernement puisse labelliser des offres a de quoi étonner. C'est même surréaliste !
D'autant que cela pose directement la question de la légitimité de la taxe sur les supports, dite redevance pour copie privée. Quelle légitimité aurez-vous, demain, à percevoir une taxe sur les clés USB ou les disques durs externes, alors que la copie privée va disparaître ? En réalité, elle ne pourra plus exister puisque seules les offres commerciales seront tolérées.
On va duper les consommateurs : d'un côté, on va les obliger à aller sur les offres légales qui auront le petit label, le tampon officiel de la nomenklatura gouvernementale ;…
…de l'autre côté, on va leur faire payer la taxe pour copie privée sur les supports. Le subterfuge est grave. On a beau avoir quelque peu oublié la question de la copie privée, elle est tout de même au centre de cette affaire. Ce qu'essaient de faire aujourd'hui les industriels, c'est d'éradiquer le droit à la copie privée.
On voit très bien, avec les plates-formes d'offres légales, que le droit à la copie privée n'existe plus puisqu'il faut payer à l'acte. Vous faites disparaître la copie privée,…
…et je trouve assez cocasse que certains de ceux qui défendent cette idée se réclament des grands accords de 1985. Mes chers collègues, je vous invite à réfléchir un instant à ce que signifie, dans le monde d'aujourd'hui, ce que vous vous apprêtez à adopter. Le Gouvernement va vous dire ce que vous avez le droit d'aller écouter sur Internet : cela n'a aucun sens !
Tout ce qui est excessif est insignifiant.
(L'amendement n° 63 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 64 .
La parole est à Mme Martine Billard.
Je vais le défendre, en effet.
Cet amendement a pour objet de supprimer l'alinéa 66, aux termes duquel la Haute autorité attribue aux offres proposées par les fournisseurs d'accès un label permettant aux usagers d'identifier clairement le caractère légal de ces offres.
Tout à l'heure, dans la formulation d'une de ses réponses, le rapporteur a laissé parler son inconscient : finalement, la labellisation concerne principalement les plates-formes commerciales. D'ailleurs, dans le texte d'origine, n'étaient effectivement prévues que les offres commerciales. Ce n'est pas un hasard, c'est l'objectif ! Il s'agit de désigner les offres commerciales qui auront le label et les plates-formes sur lesquelles on pourra les acheter.
Dans la version présentée en première lecture à l'Assemblée nationale – ce n'était pas dans le texte originel du Gouvernement – la rédaction proposée par le rapporteur indiquait que l'HADOPI veillait « à la mise en place, ainsi qu'à l'actualisation d'un système de référencement complet de [ces] offres par les logiciels permettant de trouver des ressources sur les réseaux de communications électroniques ». Autrement dit, le texte disait à Google, à Yahoo et aux autres : « Vous devez référencer les offres labellisées par le Gouvernement. » L'opposition avait alors protesté et indiqué qu'il lui semblait bizarre d'obliger des sociétés commerciales à accepter les labels gouvernementaux français. À l'époque, le rapporteur avait soutenu sa rédaction.
C'est cette rédaction qu'on retrouve dans le texte de la commission des lois en seconde lecture.
On n'oblige plus les moteurs de recherche à référencer les offres labellisées par le Gouvernement, on dit simplement que c'est la Haute Autorité qui va veiller à la réalisation d'un portail de référencement de ces offres. C'est vrai que cela va créer de l'emploi !
De manière générale, je suis plutôt pour créer de l'emploi et réduire le temps de travail. Je l'assume et c'est la position officielle des Verts.
Mais croyez-vous franchement que c'est à une autorité administrative d'attribuer des labels aux plates-formes commerciales ?
Si on commence comme ça, on peut continuer : après la musique ou le cinéma, le Gouvernement va se mettre à attribuer des labels aux livres, pourquoi pas ?
J'ai connu malheureusement cette volonté de labelliser, si l'on peut dire, en tant que bibliothécaire de la ville de Paris, à l'époque où elle était dirigée par l'ancêtre de l'UMP, qui était le RPR. On nous obligeait à mettre des labels aux livres destinés à la jeunesse, en distinguant ceux qui étaient considérés comme…
Même pas ! Nous devions faire la distinction entre les livres pouvant être lus par la jeunesse et ceux qu'il ne fallait pas mettre entre ses mains. Si je vous donnais la liste de ceux qui étaient écartés, cela vous ferait froid dans le dos !
Comme il est impossible de labelliser des centaines de sites, j'ai bien peur que les labels soient donnés uniquement à des sociétés commerciales. Les auteurs, les coopératives, les sociétés de droit qui voudront avoir des sites où seront proposées de nombreuses oeuvres, y compris par une mise à disposition gratuite dans le cadre du respect des droits d'auteur, pour des licences comme celle de Créative Commons, risquent d'attendre longtemps leur label et auront moins de chances d'être référencés. De fait, monsieur le rapporteur, votre quasi-lapsus ne faisait référence qu'aux offres commerciales.
Avis défavorable.
Cela a été traité en première lecture. Tout a été vu, disséqué, « scalpellisé » .
Il est clair qu'il y aura une rupture d'égalité entre les offres commerciales et les autres. Or les offres commerciales ne représentent qu'un centième, voire un millième de ce que l'on trouve sur Internet.
Pourquoi privilégier exclusivement les offres commerciales, dont les représentants seront d'ailleurs membres de l'HADOPI ? Il y a là un conflit d'intérêts majeur. Vous avez refusé un amendement précédent visant à exclure de l'HADOPI tous ceux qui auraient une trop grande proximité avec l'industrie du disque.
L'HADOPI favorisera les offres commerciales au détriment de toutes les autres. Or beaucoup d'artistes – ils sont même de plus en plus nombreux – veulent diffuser leurs oeuvres sur Internet pour les rendre plus accessibles et assurer la promotion de leurs disques et concerts. Avec ce système qui référencera quasi exclusivement les offres commerciales formatées pour obtenir le label, il y aura une rupture d'égalité. Il faut, je crois, revenir à quelque chose de plus basique qui rétablisse l'égalité et évite de créer une sorte d'art officiel.
(L'amendement n° 64 n'est pas adopté.)
Pas seulement, madame la présidente.
On se plaint que la loi soit trop bavarde. Mais le Gouvernement donne le mauvais exemple. Qu'est-ce que cette révision périodique prévue à l'alinéa 66 ? Par définition, les textes sont soumis à révision. La loi est, paraît-il, gravée dans le marbre, mais même le marbre est friable, madame la ministre.
Certes, monsieur Piron ! Même nous ! Comme le chantait Ronsard :
Le temps s'en va, le temps s'en va, Madame ;
Las ! le temps non, mais nous nous en allons,
Et tôt serons étendus sous la lame.
C'est un autre sujet, madame la ministre, mais sans plus faire référence à Ronsard, je vous propose de supprimer de la loi ce qui est inutile.
Défavorable.
(L'amendement n° 65 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n°66 .
La parole est à Mme Martine Billard.
Cet amendement propose la suppression du portail de référencement.
Madame la ministre, ces propositions étaient comprises dans le rapport du Conseil général des technologies de l'information, qui prévoyait des listes blanches pour les points d'accès Wifi, qui peuvent être situés dans les jardins, les mairies, les hôtels, les webcafés. Il en existe de plus en plus sur notre territoire. Vous comprendrez que je sois très critique vis-à-vis de la multiplication de ces sources d'ondes en tant qu'écologiste. Mais je sais que vous n'êtes pas prêts à remettre ce développement en cause, bien au contraire.
Les labels et le portail de référencement sont-ils des précurseurs de l'obligation de tenir à jour une liste blanche pour tous les points Wifi ? Cela limiterait les possibilités d'accès au web de tout internaute qui se connecterait par l'intermédiaire de ces Wifi publics – publics au sens où ils sont accessibles indépendamment des accès privés, mais ils peuvent être offerts par des sociétés privées, des hôtels ou des cafés.
Madame la ministre, nous aimerions obtenir une réponse concernant ce fameux rapport du CGTI . Pour l'instant, la sécurisation des points Wifi est renvoyée à un décret. Ces labels sont-ils des signes avant-coureurs des listes blanches ? Il ne serait pas neutre dans notre pays, qui est une grande démocratie, de vouloir imposer des listes restreintes à certains sites sur des points d'accès publics.
Ce n'est, en effet, absolument pas le cas. Il s'agit seulement de valoriser les sites légaux.
Je rappelle en outre que le débit offert par les accès Wifi est très souvent insuffisant pour télécharger des fichiers sur une grande échelle…
… ou des dossiers volumineux comme les films.
Le débat que nous avons n'est pas secondaire, car ces dispositions auront des conséquences totalement insensées. Elles prouvent, s'il en était besoin, qu'HADOPI est vraiment une loi d'exception. En écoutant le débat sur la labellisation des offres commerciales, sur le pouvoir de labellisation donné à l'HADOPI, cela m'a rappelé – les collègues qui étaient là sous la précédente législature s'en souviennent – l'avant-projet DADVSI. Le salon attenant à l'hémicycle, espace pourtant sanctuarisé, avait été annexé pour y présenter des offres commerciales. Les employés de Virgin et de la FNAC chargés de ces présentations portaient au revers de leur veston un badge « cabinet du ministre » qui leur donnait la possibilité de se mouvoir au sein de l'hémicycle. Cela avait créé un incident. Une première à l'Assemblée nationale !
On retrouve ici la même logique. La confusion permanente des genres, le conflit d'intérêts que vous faites naître par ces dispositions nous situent dans un contexte d'exception, comme l'ont regretté plusieurs de nos collègues, en particulier M. Le Bouillonnec. On en arrive à des aberrations qui mettent à mal les lois les plus essentielles, les plus primaires de l'économie de marché : celles qui régissent la libre concurrence. Je rappelle que les offres sur Internet sont des offres libres avant d'être des offres commerciales. Je rappelle que leur légalité ne peut être décidée que par l'autorité judiciaire.
Aller jusqu'à créer un portail de référencement montre jusqu'où vous êtes prêts à aller ! Votre démarche est étrangère aux objectifs les plus communément affichés par ceux qui soutiennent encore le projet – la création d'une loi dissuasive ou pédagogique –, elle vise en réalité à défendre, et c'est un de ses éléments les plus critiquables, des intérêts particuliers clairement référencés, alors que nous devrions ici servir l'intérêt général. L'alinéa 67 est l'exemple même d'une mesure destinée à défendre des intérêts commerciaux bien précis et connus de tous.
(L'amendement n° 66 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n°67 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Madame la ministre, l'utilisation de technologies de filtrage ou de reconnaissance des contenus représente une intrusion dans la vie privée des citoyens qui ne saurait être tolérée, ni pour faire respecter les droits d'auteur, ni – je dirais même encore moins – pour protéger les intérêts financiers des majors. Cette surveillance généralisée, personne n'avait osé la mettre en place. Vous, si ! À notre grande surprise, il faut le dire. Et dans le cadre d'une loi sur la culture, qui plus est !
Les enjeux sont tels qu'ils nécessitent, il est vrai, ces mesures d'exception : permettre aux amis du Président…
Ce ne sont peut-être pas les amis du Président, monsieur Warsmann ? Je ne parle pas des intellectuels comme Luc Besson. Je pense à Johnny Halliday. Ce sont bien les amis du Président, n'est-ce pas ?
Nous ne sommes pas là pour critiquer les artistes. Je vous prie, monsieur Brard, de bien vouloir en revenir à votre amendement.
Ces mesures d'exception vont permettre, c'est incontestable, à certains amis du Président de continuer à s'en mettre plein les poches.
Il n'y a pas de doute, monsieur Warsmann, même si cela écorche vos chastes oreilles.
Qu'est-ce que la censure, le contrôle et la surveillance des moyens de communications, face aux exigences impériales ?
Mais tout ceci est tellement cohérent que je serais presque naïf de m'insurger, de m'indigner ! Grâce à une procédure d'urgence qui fait fi de l'efficacité du travail parlementaire et qui préfigure les nouvelles modalités du débat public et des pouvoirs du Parlement, vous faites passer en force un texte liberticide qui s'inscrit dans le droit fil de la politique du bâillon !
Après le contrôle des sociétés de l'audiovisuel, vous créez une véritable milice de l'Internet.
Quelle sera la suite ?
Vos râles, monsieur Warsmann, sont des exhalaisons qui correspondent tout à fait à la nocivité du texte. (Rires.)
À quand le contrôle de La Poste ? De toutes les communications téléphoniques ?
Soyez sérieuse, madame la ministre, supprimez cet alinéa absurde et dangereux.
Vous vous engagez dans une voie étroite, qui met en péril la démocratie…
… et qui s'apparente à des pratiques que vous condamnez très durement quand elles ont lieu dans des pays qui vivent sous un régime autoritaire.
À croire que vous les jalousez !
Si vous viviez sous de tels régimes, monsieur Warsmann, le seul mode d'expression dont vous disposeriez serait celui dont vous nous gratifiez sous forme de rugissements qui n'ont rien à voir avec une expression claire et intelligible ! (Rires.)
Défavorable également.
J'ai le très net sentiment que l'on veut faire marcher le législateur sur la tête.
La sous-section 2 est intitulée « Mission d'encouragement au développement de l'offre légale et d'observation de l'utilisation licite et illicite d'oeuvres et d'objets protégés par un droit d'auteur ou par un droit voisin sur les réseaux de communications électroniques. »
L'alinéa 68 – dont nous proposons la suppression – est ainsi rédigé : la Haute autorité « évalue, en outre, les expérimentations conduites dans le domaine des technologies de reconnaissance des contenus et de filtrage par les concepteurs de ces technologies, les titulaires de droits sur les oeuvres et objets protégés et les personnes dont l'activité est d'offrir un service de communication au public en ligne. Elle rend compte des principales évolutions constatées en la matière, notamment pour ce qui regarde l'efficacité de telles technologies, dans son rapport annuel. »
En lui confiant le soin d'évaluer les expérimentations, n'avez-vous pas l'impression, chers collègues, de donner à la Haute autorité une dimension de nature quasi scientifique et technologique. Vous nous proposez, à vrai dire, un scénario du type « nuage de Tchernobyl », où la France serait isolée et où la Haute autorité déciderait, à l'intérieur de notre petit espace franco-français, de ce qui est bien et de ce qui ne l'est pas en matière d'informatique et d'Internet, en ignorant superbement ce qui se passe à l'extérieur et dont la portée est incommensurablement plus vaste.
Quel est le sens de cette disposition ? Pour ma part, je ne le vois pas. Pense-t-on avoir instauré un système de contrôle quasi scientifique de la pertinence de ces modèles ? La Haute autorité décrétera-t-elle ce qui est bien et ce qui ne l'est pas ? Mais dans deux ans, à peine installée, elle sera déjà dépassée par la technologie. Elle se préoccupera des quelques expérimentations mises en oeuvre par le modèle industriel français alors que le reste du monde n'aura que faire de ses avis. Il en résultera que nous aurons besoin un jour ou l'autre de rattraper le retard que nous aurons pris dans ces domaines.
Tout cela relève d'une technocratie démesurée reposant sur l'hypothèse que le marché offert par les acteurs nationaux est susceptible de répondre aux attentes de nos concitoyens. Je le répète, vous êtes en train de nous faire marcher sur la tête. La Haute autorité, qui n'avait déjà aucune capacité à entrer dans le dispositif de contrôle et de surveillance, voire de sanction, en aura encore moins s'agissant de sa capacité à attribuer des labels et à se prononcer sur une quelconque pertinence technologique. Entre le moment où elle sera saisie et celui où elle émettra un avis, le consommateur aura depuis longtemps tranché !
À deux reprises, à l'article 2 et à l'article 5, le projet de loi ouvre la porte du filtrage.
Lors de l'examen de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, l'Assemblée a voté, à l'unanimité, en faveur du filtrage pour les délits les plus graves de notre code pénal. Avec ce projet de loi, nous ouvrons le filtrage pour des délits concernant le code de la propriété intellectuelle. C'est à la fois imprudent et disproportionné. Je l'ai dit au moment où nous examinions l'article 5 ; je le répète ce soir et j'espère que le Conseil constitutionnel se penchera sur cet article,…
…car il y a une rupture entre ce projet et la loi pour la confiance dans l'économie numérique.
Nous proposons que l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes – l'ARCEP – participe avec l'HADOPI à l'évaluation et au suivi des expérimentations conduites dans le domaine des technologies de reconnaissance des contenus et des filtrages. Il nous a semblé, madame la ministre, que vous aviez, pour le moins, une certaine réticence vis-à-vis de l'ARCEP que vous n'avez pas voulu voir figurer au nombre des membres de l'HADOPI.
L'association de l'ARCEP à ces expérimentations est seule à même de prévenir le risque d'atteinte à la neutralité des réseaux qu'organise votre texte. En outre, l'ARCEP pourrait opportunément jouer un rôle de veille en matière de diversité culturelle en ligne, en prévenant les manoeuvres de favoritisme d'un fournisseur d'accès à Internet envers un partenaire commercial.
Le refus de cet amendement signerait, de la part du Gouvernement, une volonté délibérée d'organiser la surveillance, pour ne pas dire le flicage, des réseaux, sous couvert de protection de la création, en fait pour des intérêts mercantiles obsolètes et, in fine, avec des opportunités de contrôle de toutes les communications électroniques des internautes. Cela nous étonnerait finalement assez peu dans la mesure où le Président de la République a un jour déclaré : « Je veux tout voir. Je veux tout savoir. »
Les questions techniques autour de la reconnaissance de contenu et du filtrage sont très complexes. Il est donc nécessaire de prendre le maximum d'avis. Nous disposons à l'heure actuelle de deux autorités indépendantes très compétentes dans leur domaine et dont l'expertise peut être utile : l'ARSEP et la CNIL. Utilisons-les !
La parole est à Mme Martine Billard, pour soutenir l'amendement n° 70 .
Il va de soi que cet amendement tendant à associer la CNIL est de repli, car nous sommes fermement opposés au principe du filtrage.
Il est particulièrement difficile de filtrer Internet eu égard au niveau de développement qu'il a atteint.
Première remarque : il est possible de filtrer des sites. Encore faut-il les avoir repérés et, en tout état de cause, cela concerne fort peu les questions de droits d'auteur.
Deuxième remarque : il est possible de filtrer par le biais de mots. Mais le résultat est le même ; limiter l'accès à des sites racistes ou à des sites antisémites, par exemple, est très difficile par ce biais, ce que l'on ne peut, du reste, que regretter.
Troisième remarque : il est possible de filtrer par catégorie de sites, pornographiques par exemple. Seulement, cela nécessite à chaque fois un travail de définition des sites. Or, en matière de droits d'auteur, plus que les sites, ce sont les échanges qui sont visés. Ces échanges peuvent prendre des formes diverses et, de moins en moins, passer par des sites.
L'alinéa 68 est donc certes volontariste, mais très peu réaliste quant aux attributions de l'HADOPI. Le site de la première agence spécialisée dans la protection des droits d'auteur et de la lutte contre la contrefaçon numérique sur les réseaux peer to peer reconnaît qu'il est particulièrement difficile de filtrer Internet, en raison de la rapidité avec laquelle les procédures de contournement, comme la riposte cryptée ou le téléchargement anonyme sous peer to peer, se mettent en place. Les solutions sont nombreuses ; nous avons déjà parlé du système VPN, par le tunnel, ou du système Proxy sous une identité d'emprunt.
Dans ces conditions, l'HADOPI a pour le moins besoin d'experts pour l'aider dans sa mission d'appréciation des expérimentations qui vont être conduites. Mais même avec une telle aide, nous n'y croyons pas beaucoup car on voit mal comment une Haute autorité administrative…
… réussirait là où des sites spécialisés rencontrent les plus grandes difficultés.
Il aurait mieux valu, madame la ministre, éviter de confier à l'HADOPI des tâches supplémentaires qu'elle ne pourra pas assumer et concentrer son action sur les fonctions qu'elle peut réellement prendre en charge. Même de votre point de vue, cela eût été plus efficace ! En la noyant sous de nouvelles obligations, elle ne pourra remplir aucune de ses missions.
Avis défavorable. L'ARCEP est une autorité administrative indépendante dont la mission est de réguler les activités des opérateurs sur les réseaux de communications électroniques. L'HADOPI, elle, se concentrera plus directement sur les utilisateurs et les ayants droit. Il n'est pas nécessaire de mélanger ces deux fonctions. En revanche, rien n'empêchera l'HADOPI de se rapprocher de l'ARCEP pour obtenir son avis sur tel ou tel sujet.
Avis défavorable. Il n'est nullement question de réglementation des réseaux, mais bien d'une nouvelle version des expérimentations que vont mener les acteurs de la culture et de l'Internet sur les technologies de reconnaissance des contenus, ce qui est tout à fait différent.
Associer l'ARCEP tout comme la CNIL est indispensable. La mission de l'ARCEP ne consiste pas seulement, monsieur le rapporteur, à réguler les relations entre les opérateurs. Cette autorité a également son mot à dire sur le développement des usages des contenus, sur la cohérence avec le plan numérique 2012, dont certains objectifs sont d'ailleurs en contradiction avec votre projet, comme l'accès à Internet…
Or vous semblez l'oublier. À cet égard, permettez-moi de vous faire remarquer que Mme la secrétaire d'État chargée de la prospective et du développement de l'économie numérique, interviewée dimanche sur France 2, n'était visiblement pas très emballée par la suspension de l'accès à Internet.
C'est un euphémisme ! Il n'y a pas, à ce sujet, beaucoup de solidarité gouvernementale !
Affirmer qu'il n'est pas nécessaire de faire appel à l'ARCEP, c'est oublier que votre projet concerne également le numérique. C'est oublier encore que cette autorité de régulation a émis des recommandations. Elle a en particulier insisté sur la nécessité de délais supplémentaires pour l'application de votre dispositif, du fait de sa complexité et du temps qu'il faudra aux opérateurs pour assurer leur propre sécurité juridique. Il me paraîtrait donc de bon aloi d'associer l'ARCEP à la totalité du processus.
En outre, vous avez affirmé qu'il était nécessaire de collecter l'ensemble des coordonnées téléphoniques des internautes susceptibles de commettre une infraction. Or 10 000 courriels quotidiens sont attendus, ce qui impliquerait 10 000 appels téléphoniques chaque jour. Dans ces conditions, comment avez-vous pu faire une estimation aussi basse du coût de fonctionnement de l'HADOPI ? J'aimerais avoir une réponse à ce sujet également.
Si le filtrage des réseaux au niveau des fournisseurs d'accès n'est pas explicitement à l'ordre du jour et si le texte prévoit simplement que la Haute autorité en évalue les technologies et qu'un juge pourra ordonner toute mesure propre à prévenir ou à faire cesser les atteintes au droit, cette deuxième mesure n'était pas prévue dans les accords de l'Élysée. Les fournisseurs d'accès n'ont d'ailleurs pas manqué de le relever. Dans un communiqué, l'AFA – association des fournisseurs d'accès et de services Internet – souligne que « ce texte permet d'imposer aux fournisseurs d'accès Internet la mise en oeuvre de filtrages portant sur les contenus mais aussi sur le réseau » et s'inquiète de restrictions d'accès.
La Fédération française des télécoms, quant à elle, s'est exprimée en termes plus mesurés : dans le cadre d'une démarche fondée sur la pédagogie, elle demande que les moyens mobilisés soient raisonnables et proportionnés à l'efficacité recherchée.
Enfin, Xavier Niel, patron de Free, a indiqué que, s'agissant du filtrage, sa société n'avait procédé à aucun test : « Nous ne souhaitons en faire aucun et n'en avons jamais pris l'engagement. Nous n'avons ni l'ambition ni la volonté de filtrer le contenu de nos abonnés, de faire des tests ou de mettre en oeuvre un filtrage qui ne nous serait pas imposé par un juge ou par la loi. »
Ces différents acteurs – en particulier les FAI – ont ainsi réaffirmé leur attachement à la neutralité d'Internet.
(L'amendement n° 68 n'est pas adopté.)
(L'amendement n° 136 n'est pas adopté.)
(L'amendement n° 70 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n°71 .
La parole est à Mme Martine Billard.
Mme la ministre a évoqué de manière significative les « technologies de reconnaissance des contenus », termes qui renvoient à une surveillance intégrale d'Internet. Mais comment est-on passé de la protection justifiée des droits d'auteur à la reconnaissance des contenus circulant sur l'ensemble de la toile ? Comment un tel glissement a-t-il été rendu possible ?
Cibler certaines plateformes proposant des téléchargements illégaux d'oeuvres est difficile car ces sites, qui se livrent à un pillage des oeuvres à l'échelle de la planète, s'installent dans des pays où il est très ardu d'obtenir une décision juridique d'interruption d'accès. Vous avez donc préféré ce qui apparaît à vos yeux comme la seule solution encore crédible à l'échelle d'un pays : surveiller l'ensemble d'Internet pour faire croire aux auteurs que vous pourrez ainsi défendre leurs droits.
Chers collègues de la majorité, au-delà de nos désaccords sur la façon d'agir face aux téléchargements abusifs, je vous demande de penser à la responsabilité que vous allez devoir assumer si jamais cet amendement n'était pas adopté. Nous entrerons dans l'ère de la surveillance intégrale de la toile.
Il s'agira d'identifier les contenus pour distinguer ceux qui posent problème, Ainsi, la loi « Création et Internet » n'aura plus pour objet la création mais la surveillance de l'Internet, ce qui la fait basculer dans une tout autre dimension.
Si vous avez l'intention de voter cette loi, faites au moins en sorte que cette disposition soit supprimée. Je peux concevoir que vous acceptiez la coupure de la connexion Internet mais, de grâce, ne contribuez pas à l'établissement d'une surveillance intégrale de la toile.
Il n'y a aucune espèce de surveillance générale de la toile ; il s'agit simplement d'expérimentations (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR) menées par des acteurs de la culture, d'une part, et des acteurs d'Internet, d'autre part, pour la reconnaissance des contenus. Nous entendons agir à la source en créant une sorte de tatouage des oeuvres destiné à empêcher les actes de piratage. Il n'y a là rien de choquant.
J'appelle l'attention de mes collègues sur le fait que c'est maintenant ou jamais qu'il nous faut débattre du filtrage, car l'article 5, voté conforme, ne viendra pas en discussion. C'est un sujet d'importance et il importe que vous preniez la mesure de cette disposition que certains d'entre vous s'apprêtent à voter.
Le filtrage, madame la ministre, monsieur le rapporteur, n'est pas autre chose que la surveillance généralisée d'Internet. Le fournisseur d'accès devra introduire des dispositifs qui tenteront d'identifier tous les contenus circulant sur Internet. Face à cela, deux attitudes sont possibles : l'optimisme qui pousse à penser que cela ne fonctionnera pas – ce qui est fort probable, du moins je l'espère – ; le pessimisme, qui fait craindre au contraire que cela fonctionnera.
Une chose est sûre : vous êtes en train de fabriquer une sorte de Frankenstein de l'ère numérique, espèce de machine laissée aux mains d'intérêts privés, ayant la capacité de contrôler tout ce qui circule sur le Net, d'élaborer des listes officielles labellisées de ce qui convient ou ne convient pas.
Vous affirmez qu'il s'agit de protéger les droits d'auteur. Mais on ne peut qu'être stupéfait par la disproportion entre l'objectif que vous visez et l'énormité des moyens financiers mis en oeuvre, lesquels s'élèvent à plusieurs dizaines de millions d'euros, ainsi que des manquements aux principes élémentaires du droit qui régissent les libertés dans notre République. Et je dois dire que nous sommes estomaqués que vous laissiez passer cela sans réagir, monsieur le président de la commission des lois.
N'y a-t-il pas quelque chose d'extrêmement choquant dans cette fuite en avant ? D'une loi conçue pour répondre aux besoins de quelques lobbies, on aboutit à un texte aux conséquences imprévisibles. Vous êtes-vous seulement demandé ce qui se passera une fois que l'on sera capable de filtrer, de légaliser, de contrôler, y compris une partie des messageries personnelles ? J'en appelle à votre conscience de républicains, d'élus de peuple pour vous inviter à mesurer la gravité de certains aspects de ce projet de loi.
Le débat est mal parti, parce qu'il s'est crispé politiquement, opposant la droite et la gauche.
Mais demandez-vous dans votre for intérieur si vous pouvez être favorables à un dispositif qui contrôlera la totalité du Net, au bénéfice d'intérêts privés, sans qu'aucune garantie ne soit apportée car tout cela se fera en dehors de la sphère judiciaire.
Sur le vote de l'amendement n° 71 , je suis saisie par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Christian Paul.
Si nous avons demandé un scrutin public sur cet amendement, c'est que nous voulons appeler solennellement l'attention de notre assemblée sur le risque qu'il y aurait à ne pas voter cet amendement.
Après Didier Mathus, dont je partage entièrement l'argumentation sur la mise en cause de la neutralité de l'Internet et les dangers que présente ce dispositif de reconnaissance des contenus, je voudrais vous poser une seule question, madame la ministre.
Vous parlez de simples expérimentations. Mais l'expérimentation suppose de tester à une petite échelle des méthodes et des technologies que l'on compte ensuite généraliser et, contrairement à ce que vous pensez, cela n'a rien de banal. Pouvez-vous nous dire si, aujourd'hui, dans un autre domaine de notre société, il existe un dispositif analogue de surveillance à grande échelle des contenus et de filtrage – je ne parle pas de la lutte anti-terroriste ou de la répression des pratiques criminelles qui supposent des dispositifs d'enquête très ciblés, sous le contrôle des juges – ou bien cette intrusion dans la vie privée est-elle sans précédent ? Nous estimons, pour notre part, que c'est une première et que vous êtes en train d'ouvrir une brèche.
Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur l'amendement n° 71 .
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 80
Nombre de suffrages exprimés 79
Majorité absolue 40
Pour l'adoption 25
Contre 54
(L'amendement n°71 n'est pas adopté.)
Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 41 et 138 rectifié .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l'amendement n° 41 .
On voit bien que la mondialisation, les réunions du G 20, ont pour conséquence d'unifier et, à l'évidence, en fréquentant M. Jintao, le Président Sarkozy fait du mimétisme en ce qui concerne sa volonté de contrôler Internet.
Pour améliorer la garantie des libertés, nous faisons confiance, pour notre part, à l'ARCEP, qui assure le service universel, procède à la régulation tarifaire, règle les litiges et a un pouvoir de sanction qui équilibre celui que vous accordez à l'HADOPI, puisque cette autorité de régulation peut sanctionner les opérateurs qui ne remplissent pas leurs obligations et leur retirer des ressources en fréquence et numérotation. Par ailleurs, elle peut, en cas d'urgence, prendre des mesures conservatoires.
Même si nous condamnons l'existence de l'HADOPI, l'adoption de cet amendement constituerait un garde-fou pertinent.
La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l'amendement n° 138 rectifié .
Comme je viens de l'indiquer, je suis contre les expérimentations. Mais, si elles existent, il me semble nécessaire de les encadrer en matière de filtrage et de reconnaissance des contenus pour éviter de porter atteinte à la neutralité des réseaux en favorisant des sites ou des contenus par rapport à d'autres de manière automatique.
Avec cet amendement, je propose donc de préciser clairement le cadre des expérimentations, à défaut d'obtenir mieux.
Défavorable : les dispositions proposées sont tellement exigeantes qu'elles videraient de toute portée concrète la possibilité d'expérimenter ces technologies.
Le Gouvernement est défavorable à ces amendements pour les mêmes raisons.
La réponse du rapporteur est étonnante. Dans un domaine aussi essentiel, nous essayons d'obtenir des garanties. Il est proposé, en effet, que l'HADOPI s'assure que « ces expérimentations présentent un intérêt général apprécié au regard de leur degré d'innovation, de leur viabilité économique et technique, de leur impact sur le développement de la production française et européenne des services de télécommunication et de communication au public en ligne, de leur impact potentiel sur l'organisation sociale et le mode de vie, ainsi que de l'association des utilisateurs à leur élaboration et à leur mise en oeuvre ».
En l'occurrence, si expérimentation il y a dans la reconnaissance des contenus et le filtrage, une évaluation et un suivi de ces expérimentations nous semblent indispensables, et elles doivent s'inscrire dans un cadre déterminé par le législateur. Compte tenu du rôle que l'ARCEP est amenée à jouer dans la régulation des télécommunications, il est nécessaire qu'elle participe à cette évaluation et à ce suivi aux côtés de l'HADOPI.
Cet après-midi, j'ai indiqué que je regrettais la démission – pour raisons personnelles – de l'actuel président de l'ARCEP. Mon groupe a salué le travail sérieux qu'il a réalisé, tout en s'inquiétant de l'empressement dont a fait preuve le Gouvernement pour désigner son successeur, dans un mélange des genres qui nous a interpellés. En effet, M. Silicani est actuellement président du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, qui devrait être avant tout une instance de médiation, de pacification des questions liées à la propriété intellectuelle. Un rapport, qu'il a publié en 2005, nous invitait à ne pas reconnaître la copie privée sur Internet, à interdire les échanges peer to peer, et même à aller plus loin dans la mise en oeuvre des DRM.
L'enjeu essentiel de ces amendements reste le refus du filtrage, donc de la surveillance généralisée d'Internet. Ce projet de loi contient des dispositions attentatoires à un principe essentiel fondateur de l'Internet : la neutralité des réseaux.
Monsieur le président de la commission des lois, cessez ces vagissements incessants (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), qui n'apportent pas grand-chose au débat et perturbent la clarté de l'élocution !
Monsieur le rapporteur, l'existence d'un code de la route n'empêche pas de conduire. Au contraire, il permet d'établir des règles et sécurise la conduite, y compris des chauffards.
Le recours à l'ARCEP ne rend pas du tout les expérimentations impossibles, il permet de s'assurer qu'elles répondent bien à l'intérêt général. Votre refus de recourir à l'ARCEP ne nous rassure pas sur la réalité de vos intentions, et encore moins sur leur moralité.
(Les amendements identiques nos 41 et 138 rectifié ne sont pas adoptés.)
La parole est à Mme Martine Billard, pour soutenir l'amendement n° 42 .
S'agissant des expérimentations – auxquelles nous ne sommes pas favorables –, le projet de loi prévoit que l'HADOPI prenne en compte l'efficacité des technologies de filtrage évaluées. Nous proposons d'ajouter « et le caractère intrusif ou non ». Il nous paraît important de ne pas accepter n'importe quelle technologie de filtrage, et de veiller notamment à ce qu'elles n'aient pas de caractère intrusif.
Défavorable.
La seule compétence que vous donnez à l'HADOPI, c'est une évaluation des expérimentations et en aucune manière la fixation de conditions susceptibles d'assurer le respect de l'enjeu premier, qui est la prohibition du filtrage en droit européen. En quelque sorte, vous semblez être tentés par la mise en place d'un filtrage puisque vous entendez l'évaluer et non le prohiber.
Vous ne pouvez pas échapper à cette suspicion puisque vous autorisez l'expérimentation de la reconnaissance des contenus et du filtrage, sans qu'aucun préalable ne vienne en conditionner les modalités et le contenu. Une dérive aussi gravissime, c'est du pousse-au-crime ! Si la loi encourage l'expérimentation de procédés actuellement prohibés, elle ne peut pas ne pas encadrer et contrôler ces expérimentations a priori. Peut-être polémiquons-nous trop quand nous parlons de sous-entendus, mais accepter le développement de techniques dont l'objectif est contraire à la loi,...
..ce ne peut être que du pousse-au-crime. Vous ne pourrez pas échapper à cette sentence sévère puisque vous avez mis le ver dans le fruit.
(L'amendement n° 42 n'est pas adopté.)
La parole est à Mme Martine Billard, pour soutenir l'amendement n° 43 .
Je souhaite revenir un instant sur l'amendement précédent. Le rapporteur et la ministre se sont contentés de dire qu'ils y étaient défavorables, ce qui signifie que des procédés de filtrage peuvent avoir un caractère intrusif.
J'en viens maintenant à l'amendement n° 43 . Il ne faudrait pas que les procédés de filtrage aboutissent à trop filtrer. J'en veux pour preuve l'exemple de l'auteur de clips de Frank Wilson, Ian Levine, très connu outre-Manche. Quand il a essayé de mettre ses vidéos de soul music sur You Tube, il a été accusé de piratage alors qu'il en a les droits musicaux. Ses oeuvres ont été retirées de ce site sans qu'on lui demande son avis. Il a envoyé des courriers de protestation mais a eu bien du mal à trouver un interlocuteur qui puisse lui expliquer pourquoi ses oeuvres avaient été évincées de You Tube – en fait ses courriers arrivaient en Inde. La dernière vidéo qu'il a tenté de diffuser a été retirée sans plus d'explication qu'un message automatique lui indiquant qu'il violait les droits détenus par une société privée. Finalement, la maison de disques a reconnu qu'elle n'avait pas les droits et qu'il s'agissait là d'un simple malentendu.
Que se passera-t-il quand l'HADOPI soutiendra des logiciels de sécurisation qui présenteront des défauts, inévitables en informatique ? Des auteurs pourront ne plus avoir accès à leurs propres oeuvres, qu'ils auront mises volontairement à la disposition du public sur la toile. Elles seront retirées sans qu'eux-mêmes puissent s'y opposer car il ne sera sans doute pas facile remonter toute la chaîne pour savoir à quel moment et par qui – la Haute autorité, le fournisseur d'accès, une plate-forme ? – cette décision aura été prise.
Défavorable.
Je trouve très étonnant que le Gouvernement ou le rapporteur ne répondent pas aux questions nouvelles qui leur sont posées.
Elles ne sont pas nouvelles.
Elles peuvent, je le reconnais, avoir un caractère technique car Internet est un sujet complexe.
Elles le sont ! Je n'ai pas entendu jusqu'à présent aborder de façon convaincante la question des faux positifs qu'a évoquée, exemple à l'appui, Mme Billard. M. Karoutchi paraît, lui, parfaitement au courant de la réponse.
Parfaitement ! (Sourires.)
Pour ma part, je ne l'ai toujours pas entendue.
De même, madame la ministre, nous vous avons demandé si les dispositifs de surveillance prévus par ce texte étaient sans précédent ou si, déjà, en droit français, des précédents pouvaient être cités concernant la société numérique. Là encore, nous n'avons reçu aucune réponse. Je ne demanderai pas une suspension de séance à cette heure-ci, madame la présidente, pour laisser le temps à Mme la ministre de rassembler des éléments d'information pour nous répondre,…
Monsieur Warsmann, il est très désagréable, lorsqu'on essaie d'avoir un débat sur des questions précises, qui peuvent éclairer non seulement le législateur mais également les milliers d'internautes qui nous regardent, d'entendre de telles réactions. Nous devons et vous devez aux internautes des réponses.
C'est la raison pour laquelle, madame la ministre, si vous acceptiez de répondre à la question de Mme Billard ainsi qu'à celles que je vous ai posées sur le filtrage à la française que vous mettez actuellement en place, je vous serais doublement reconnaissante.
Monsieur Paul, nous avons déjà eu ce débat en première lecture.
Nous ne débarquons pas sur un nouveau sujet ! (Exclamations sur les bancs des groupes GDR et SRC.) Je le répète : aucune espèce de dispositif de surveillance n'est instaurée par ce texte et ne l'a été par aucun autre auparavant. Il s'agit d'expérimentations, prévues par les accords de l'Élysée et menées par les acteurs de la culture, c'est-à-dire les producteurs, les musiciens, les cinéastes et les fournisseurs d'accès à Internet, relativement à la possibilité, qui n'existe pas encore, d'installer des dispositifs de reconnaissance des oeuvres interdisant de les pirater. Ce n'est pas l'HADOPI qui surveille, ni l'État : il s'agit, je le répète, d'expérimentations conduites par les acteurs culturels et Internet.
Non, ce n'est pas pire : il n'y a aucun dispositif de surveillance. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
C'est encore plus inquiétant : en effet, ce ne sont ni le juge ni la Haute autorité qui superviseront ces expérimentations. Cela signifie qu'on livrera Internet à des expérimentations menées par des sociétés de droit privé – des personnes morales représentant des intérêts privés. Il ne s'agira pas d'expérimentations en laboratoire, madame la ministre, et j'espère que chacun mesure ce que vous dites ! Des sociétés privées pourront se livrer à des expérimentations sur les réseaux français de télécommunications…
Non, pas sur les réseaux, sur les oeuvres !
…en dehors de tout contrôle ! C'est cela même que vous dites et que le projet de loi prévoit.
Monsieur Warsmann, si vous êtes en désaccord avec mes propos, prenez la parole et faites-nous une démonstration concrète ! Sinon, arrêtez de nous menacer de je ne sais quel châtiment !
Je dois certainement avoir des difficultés de raisonnement, mais j'ai du mal à vous comprendre, monsieur Paul.
J'ai du mal en effet à comprendre votre contradiction. D'un côté, vous nous expliquez que les contrôles que le projet de loi entend mettre en oeuvre au nom de l'État sont insupportables et vous contestez le rôle de l'autorité administrative ; de l'autre, lorsqu'un espace d'invention est laissé aux acteurs – car il s'agit bien de créer de nouveaux outils –, vous récusez d'avance l'idée qu'on puisse ne pas contrôler la totalité de ces expérimentations. Vous voulez contrôler l'inconnu, que nous voulons au contraire autoriser, et vous récusez le contrôle du connu, que nous, au contraire, admettons. J'ai beaucoup de mal à comprendre la logique qui préside à vos démonstrations.
À plusieurs reprises déjà, nous avons observé que le rapporteur, qui a d'autres responsabilités en ce moment, se contente de donner systématiquement un avis défavorable. Mme la ministre, quant à elle, a fait un aveu lourd de conséquences – d'où ce rappel au règlement fondé sur l'article 58.
Elle considère en effet ce qui n'est qu'une deuxième lecture à l'Assemblée nationale comme un évènement exceptionnel…
Pas du tout !
…insupportable, comme le dit fort excellemment Jean-Yves Le Bouillonnec.
La réponse qui nous est faite systématiquement, c'est : « Nous vous avons déjà répondu en première lecture : passons à autre chose ! » Nous assistons en ce moment à un basculement de nos débats où, tout à coup, une deuxième lecture, ou une nouvelle lecture, devient quelque chose d'insensé alors même – faut-il vous le rappeler ? –que c'est une majorité de députés qui l'a décidée en rejetant, ici même, le 9 avril dernier, le texte de la CMP.
Eh bien non, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois et monsieur le rapporteur, une deuxième lecture à l'Assemblée nationale correspond au rythme habituel d'examen d'un projet de loi car les procédures d'urgence ont encore aujourd'hui un caractère minoritaire, voire exceptionnel. Je sais que votre tendance est de déclarer l'urgence sur tous les projets de loi et de ne plus faire qu'une lecture à l'Assemblée et au Sénat parce qu'il faut tenir le timing fixé par le Président de la République.
C'est lui qui arrête notre ordre du jour et qui décide de la date où un projet de loi doit être voté. Dois-je rappeler que, le 22 février dernier, le Président de la République avait annoncé que le projet de loi HADOPI devait être voté avant la fin du mois de mars ? Or nous sommes le 4 mai.
Je tenais à faire ce rappel au règlement pour le bon déroulement de nos travaux. Je souhaiterais que le rapporteur, malgré sa fatigue très compréhensible, fasse un effort pour nous répondre et que Mme la ministre ne nous répète pas constamment, comme dans un salon : « Ah ! Quelle horreur ! Une nouvelle lecture à l'Assemblée nationale ! » (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Arrêtez de vous montrer condescendant, monsieur Bloche ! La suffisance est chez vous une seconde nature !
Je suis saisie d'un amendement n° 181 .
La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.
Cet amendement nous permet de changer d'angle de vue. Si l'HADOPI a une mission d'encouragement au développement de l'offre légale, rien n'interdit de réfléchir au facteur prix. C'est la raison pour laquelle je propose que la Haute autorité ait un rôle d'observation des relations contractuelles entre les parties prenantes de l'industrie culturelle : auteurs, interprètes, ayants droit et diffuseurs.
Une des raisons du téléchargement illégal – il faut en revenir au bon sens – c'est l'écart entre une pratique peut-être illégale mais gratuite, et une pratique légale où télécharger un titre coûte 0,99 euro. C'est dans le refus de cet écart que s'est enracinée la pratique de masse du téléchargement illégal.
En quatre ans, très peu de progrès ont été réalisés sur le facteur prix. Aujourd'hui, nous ne disposons d'aucune étude sérieuse ni sur le prix de revient moyen d'un titre pour l'industrie culturelle. Nous ne disposons pas non plus d'étude sérieuse sur le prix que le consommateur est prêt à payer pour un titre. La dernière date de 2004 et la réponse des consommateurs se situait autour de 0,25 euro, alors qu'aujourd'hui chaque titre coûte, je le répète, 0,99 euro. Il est grand temps de poser la question du prix, en réunissant toutes les personnes concernées, notamment les auteurs et les ayants droit, qui font partie de cette industrie – certains des propos tenus à leur égard sont un peu lourds à mon goût.
Il est vrai que la question du partage de la valeur ajoutée est posée : cela a été rappelé sur plusieurs bancs. Aujourd'hui, 10 % vont aux auteurs interprètes, 70 % à 85 % aux ayants droit et 5 % aux diffuseurs. Il convient d'analyser ces relations contractuelles, car le facteur prix est, je le répète, au coeur de la pratique de téléchargement illégal de masse.
Cet amendement vise donc à confier à la Haute autorité la surveillance et l'analyse des relations contractuelles et à lui permettre de saisir, en face d'une pratique anticoncurrentielle inacceptable, l'Autorité de la concurrence. Cet amendement est au coeur du débat. Nous avons perdu beaucoup de temps,…
…et rien n'empêchera l'HADOPI de saisir l'Autorité de la concurrence.
Je vous rappellerai toutefois, monsieur Dionis du Séjour, que les prix – c'est heureux ! – ne sont plus administrés depuis plusieurs années en France : il faut laisser le temps au marché de se mettre en place.
Il faut lutter contre le téléchargement illégal pour que le marché n'ait plus à affronter une concurrence déloyale. Il sera temps, le moment venu, d'observer l'évolution du marché et des prix.
En tout état de cause, je le répète, l'HADOPI pourra saisir l'Autorité de la concurrence.
Défavorable.
Ce n'est pas le rôle de la Haute autorité de réguler les relations contractuelles. Elle pourra saisir l'Autorité de la concurrence.
On se plaint de toutes les responsabilités données à la Haute autorité : ce n'est pas pour lui en rajouter ! De plus, les prix qui ont été cités sont parmi les plus élevés : c'est en combattant le piratage qu'on pourra faire baisser, sans doute, l'offre légale.
Nous comprenons, en écoutant Mme la ministre, que la Haute autorité est chargée de toutes les basses besognes mais qu'on lui interdit de jouer un rôle positif.
La remarque de M. Dionis du Séjour est pertinente. M. le rapporteur répond qu'il n'y a plus de prix administrés.
Comment se fait-il, en effet, que toutes les offres sur les plateformes légales soient à 0,99 euro le titre ? Il y a manifestement des connivences, c'est le moins qu'on puisse dire !
Le paradoxe, c'est que les maisons de disque ont des marges supérieures sur la musique dématérialisée par rapport au disque ! On comprend la pression qu'elles mettent pour obtenir cette loi ! Aujourd'hui, leurs marges s'accroissent avec la musique dématérialisée, alors que celle-ci coûte moins cher puisqu'il n'y a plus ni support matériel, ni distribution, ni transport, ni magasins, et que la part des auteurs est en diminution proportionnelle – il suffit de demander à la SACEM – entre ce qu'ils perçoivent sur un titre dématérialisé et sur un CD.
Cette évolution de l'économie donne à réfléchir et, plutôt que de nous lamenter sur le piratage, nous devrions nous interroger sur le fait que l'offre reste très peu attractive à cause de son prix et, surtout, à cause des marges des maisons de disques, marges dont on se demande pourquoi elles continuent d'augmenter alors que la musique est dématérialisée. Voilà une question que devrait résoudre la loi HADOPI. Payer un euro pour un titre sur une plate-forme légale est pour le moins abusif dans la mesure où plus aucun élément physique n'entre en ligne de compte dans la distribution.
La proposition de M. Dionis du Séjour est donc parfaitement fondée et nous sommes surpris que vous refusiez que l'HADOPI, qui pourrait enfin se révéler utile, remplisse cette mission.
Madame la ministre, vous êtes à l'évidence, vous venez de le prouver une fois de plus, à la solde des majors. Lorsque vous nous faites pleurer sur le recul de l'économie du disque, la baisse des marges et des recettes, la diminution des ventes,…
…vous oubliez de rappeler que lorsque le CD est apparu et que ces mêmes majors ont vendu massivement, sur ce nouveau support, la réédition d'oeuvres éditées jusqu'alors en vinyle – nos vieux Beatles ou Rolling Stones –, elles ont réalisé des bénéfices monstrueux puisque ces disques avaient été depuis longtemps rentabilisés. Je ne vous ai pas entendue protester contre les marges réalisées à cette occasion par les majors.
Et vous persistez puisque vous refusez la proposition honnête, mesurée, équilibrée, de notre collègue Dionis du Séjour, avec lequel je ne suis pas toujours d'accord, mais qui, en l'occurrence, va dans le sens de l'aide à la création. Au lieu de quoi vous protégez les majors et ne savez que répéter, lorsque vous donnez l'avis du Gouvernement : défavorable, défavorable, défavorable ! C'est difficile à supporter alors que l'honneur d'un Parlement consiste à essayer de susciter un minimum de respect et d'intérêt pour la loi. Je vous demande donc de réfléchir à nos arguments et de voter cet amendement qui sert l'intérêt des créateurs.
(L'amendement n° 181 n'est pas adopté.)
Prochaine séance, aujourd'hui, à neuf heures trente :
Questions orales sans débat.
La séance est levée.
(La séance est levée, le mardi 5 mai 2009, à une heure trente-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma