La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
L'ordre du jour appelle le débat préalable au Conseil européen des 1er et 2 mars.
Pour le groupe SRC, la parole est à M. Christophe Caresche.
Monsieur le président, monsieur le ministre chargé des affaires européennes, mes chers collègues, le prochain Conseil européen est censé consacrer la réponse européenne à la crise avec, notamment, l'adoption du traité budgétaire. Mais, loin des discours rassurants et des propos réconfortants qui ne manqueront pas d'être tenus, la crise demeure une réalité et une menace pour les peuples européens. En réalité, rien n'est réglé. Rien n'est réglé en Grèce. Les modalités de participation du secteur privé à la restructuration de la dette grecque continuent d'être discutées.
La perspective d'une faillite de la Grèce n'est pas écartée, avec les graves conséquences qu'aurait le déclenchement des CDS pour l'ensemble de la zone euro. En tout état de cause, et le ministre des finances allemand, M. Schäuble, l'a confirmé, il faudra un nouveau plan de soutien à la Grèce. Pour ne pas avoir pris, dès le début, la mesure de la crise grecque, l'Europe se condamne à un lent processus de procrastination.
Rien n'est réglé non plus avec la mise en place du désormais fameux MES, le mécanisme de solidarité entre les pays européens.
À peine a-t-il été ratifié qu'on nous dit qu'il sera insuffisant. C'était d'ailleurs une des raisons de notre abstention. Certains pensent qu'il faudrait ajouter aux 500 milliards de capacités du MES les 250 milliards de l'actuel Fonds de stabilité européen. Cette demande émane notamment du FMI. Un conseil de l'euro devait être consacré à cette importante question en marge du Conseil européen. Il a été purement et simplement annulé face aux divisions des pays européens, lesquels sont incapables de se mettre d'accord sur ce sujet. L'Europe ne dispose toujours pas d'un fonds de solidarité suffisamment doté lui permettant de faire face avec crédibilité à la défaillance d'un de ses membres.
Rien n'est réglé non plus concernant le traité budgétaire. Il sera probablement adopté par le Conseil européen, même si les discussions semblent se poursuivre, notamment sur la saisine de la Cour de justice. Il sera signé, mais sera-t-il ratifié ?
C'est loin d'être acquis, et pas seulement parce que François Hollande demande sa renégociation. Beaucoup de peuples, beaucoup de pays, à commencer par l'Irlande, semble-t-il, n'accepteront pas l'austérité comme seule perspective. Le traité budgétaire impose un ajustement budgétaire irréaliste pour nombre de pays. Le respect d'un déficit structurel inférieur à 0,5 % du PIB est hors de portée pour la plupart des pays européens, dont probablement la France. D'ores et déjà, l'Espagne, dont le gouvernement n'est plus socialiste, a indiqué qu'elle ne serait pas en mesure de tenir ses engagements budgétaires. Si le traité était en vigueur à l'heure actuelle, elle serait traduite devant la Cour de justice et sanctionnée. Pensez-vous que les Espagnols l'accepteraient ? On pourrait également évoquer la situation de l'Italie. Mario Monti a déclaré qu'il lui serait à lui aussi difficile de respecter le pacte budgétaire en dépit des efforts très importants demandés aux Italiens.
Si la zone euro connaît depuis quelques mois une certaine accalmie, ce n'est pas lié aux réponses imparfaites et improvisées des pays européens menés par la France et l'Allemagne, c'est en raison de l'intervention massive de la BCE, dont on doit d'ailleurs se féliciter. La détente que l'on constate sur les marchés depuis le début de l'année est la preuve éclatante que la Banque centrale a un rôle majeur à jouer, qu'elle constitue le véritable pare-feu dont l'Europe a besoin, loin des chiquayas qui caractérisent les sommets européens à répétition.
Plusieurs députés du groupe SRC. Très bien !
Mais si l'Europe a tant de difficultés à élaborer une réponse crédible à la crise, c'est qu'elle est prisonnière d'une conception inadaptée qui ne peut mener qu'à l'échec. Au « tout pour l'austérité », il faut substituer le « tout pour la croissance » !
Ce qui menace l'Europe, ce n'est pas la surchauffe, ce n'est pas l'inflation, mais la déflation, la récession ! Il faut être aveugle pour ne pas voir que le principal risque pour l'Europe, c'est de s'enfoncer dans la récession ou de connaître au mieux des années de croissance molle. L'assainissement financier, la discipline budgétaire sont nécessaires, nous ne le contestons pas, mais ils ne peuvent servir à eux seuls de viatique pour faire face à la crise. Il faut impérativement inclure dans la réponse européenne à la crise un volet dédié à la croissance, et pas seulement sous l'angle unique de l'achèvement du marché intérieur ou encore moins du démantèlement du droit du travail et de l'État social comme il est proposé dans le pacte de l'Euro plus ou dans la stratégie « 2020 ». (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Ce que nous voulons, c'est une relance de l'investissement en Europe, c'est la mise en oeuvre d'un véritable fédéralisme de projets.
Je termine, monsieur le président.
C'est en ce sens que notre candidat François Hollande demande la renégociation du traité budgétaire qui sera discuté à ce Conseil. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Les Français doivent savoir que, s'il est élu, nous réorienterons l'Europe dans un sens plus favorable à la croissance et à l'emploi. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Ce Conseil ne sera en réalité qu'une étape. Il ne sera ni conclusif ni décisif. La réponse européenne à la crise reste à construire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au prochain Conseil européen, trois enjeux majeurs seront traités : l'indispensable solidarité, l'impérieuse responsabilité budgétaire et les nécessaires ambitions de croissance que l'Europe doit assumer.
Sur l'enjeu de la solidarité, l'Europe a fait une avancée considérable, concrétisée par le mécanisme européen de stabilité. Lorsque l'on pense aux réticences, notamment allemandes, il y a encore un an, pour s'engager dans l'entraide européenne, la création de ce fonds européen constitue un succès historique pour lutter contre la crise et prévenir sa propagation.
Nous approuvons la France, qui veut doter ce pare-feu de moyens accrus par rapport aux 500 milliards d'euros déjà décidés. Pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, l'état des négociations sur ce sujet, qui pourraient, nous l'espérons, aboutir au cours du mois de mars ?
On peut déplorer, d'ailleurs, que sur ce sujet François Hollande ait prôné l'abstention (Protestations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), alors qu'il s'agissait d'un sujet capital, le mécanisme européen de stabilité. Quand on veut être un chef, on tranche et on s'impose ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Comme à son habitude, il a au contraire cherché à concilier les inconciliables dans son camp, et a d'ailleurs échoué puisqu'il n'a pas empêché les divisions de s'étaler au grand jour. Nous, à l'UMP, sommes fiers de la détermination du Président de la République…
Plusieurs députés du groupe SRC. Vous êtes bien les seuls !
…pour arracher l'Europe et nos États à l'emprise de la spéculation. D'un côté, François Hollande fustige en paroles la finance et la spéculation, mais, en actes, il s'abstient, dans l'incompréhension totale de nos partenaires.
De l'autre, Nicolas Sarkozy, grâce à son influence incontestée en Europe, s'est, au contraire, engagé à fond et a convaincu ces mêmes partenaires de construire ensemble ce pare-feu contre les spéculateurs. Huit de ces partenaires sont en train de nous rejoindre pour la taxe sur les transactions financières. C'est cela le sens de l'État, de l'intérêt de l'Europe et de la France !
Quant au deuxième pilier de la responsabilité, le Conseil européen va permettre la signature du traité sur la stabilité. La règle d'or est une nécessité si l'on veut lutter contre la crise, assurer notre indépendance financière et permettre aux générations futures de peser sur leur destin. C'est pour cela que vingt-cinq États sur les vingt-sept se sont accordés au terme de longues négociations pour lutter contre les déficits et les dettes, principale cause de la crise sans précédent que nous traversons. Là encore, l'annonce par François Hollande (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) dans son programme de vouloir renégocier ce traité seul contre tous nos partenaires est perçue par eux comme arrogante et irresponsable. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Enfin, le pilier de l'ambition économique est aussi fondamental. Les Allemands ont accepté l'idée française du gouvernement économique dont ils ne voulaient pas entendre parler il y a un an. En posant le principe de la convergence en matière économique, fiscale et sociale, le traité nous donnera les armes pour forger des politiques ambitieuses. Il s'agira de réaffecter 80 milliards d'euros de fonds structurels et de relancer la croissance grâce à l'innovation, au soutien aux PME et à l'emploi des jeunes. Depuis le début de la crise violente en 2008, le Président de la République a fait preuve de détermination pour convaincre, pour agir, pour faire face. Il a su préserver la France et les Français du sort très difficile, parfois dramatique, que connaissent certains de nos voisins européens.
…préfère, par petit calcul électoral, choisir de ne pas choisir, et accroît ainsi son isolement en Europe. Ce n'est ni la voie du courage ni celle de la responsabilité. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Tous les autres partis socialistes européens – encore avant-hier le SPD en Allemagne, qui a voté le texte présenté par Mme Merkel – font le contraire. Les enjeux sont pourtant clairs : voulons-nous concrétiser la solidarité européenne pour vaincre la spéculation ?
Voulons nous assumer nos responsabilités en ancrant la discipline budgétaire dans nos lois fondamentales ?
Acceptons-nous d'agir en commun pour relancer la croissance et réindustrialiser l'Europe ?
De nombreux députés du groupe UMP. Oui !
À ces trois questions, l'UMP, vous l'avez entendu, répond résolument oui. Parce que, conscients que la solution n'est pas dans l'isolement de la France, mais qu'elle est européenne, nous voulons sortir notre continent de la crise et oeuvrer pour l'Europe, pour la France et les Français.
Isolé sur la scène européenne, incapable de rassembler son propre camp sur l'Europe et n'ayant pour seul programme que de faire exploser la dépense publique, François Hollande (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) est décidément à contre-courant des efforts entrepris partout en Europe. Je vous le dis : il n'a aucun des atouts nécessaires pour sortir la France et l'Europe de la crise. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Pour tout résumer, comme le dit Jean-Luc Mélenchon (« Ah ! » sur les bancs du groupe GDR), que je ne cite pas souvent,…
…mais qui, avec les communistes, existe encore, François Hollande (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC) ressemble bel et bien à un capitaine de pédalo dans la tempête ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
…jamais notre Parlement n'a été aussi dévalué, monsieur le président, j'ai le regret de vous le dire.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, le prochain Conseil européen, si le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance devait être signé, marquerait la soumission totale de L'Europe à la politique d'austérité, à la politique libérale de M. Sarkozy et de Mme Merkel, défenseurs du capitalisme financier, au détriment des peuples européens.
Quelques jours après le passage en force à l'Assemblée nationale sur le mécanisme européen de solidarité, le MES, sorte de FMI à l'européenne, il s'agit d'un nouvel acte de capitulation devant les marchés financiers et les lobbies.
Au nom de l'ensemble des députés communistes et du parti de gauche, j'exprime mon opposition la plus ferme à ces nouveaux traités qui, sous couvert de solidarité européenne, imposent en réalité un carcan libéral dévastateur aux États membres de l'Union européenne.
Ils n'ont en réalité qu'un seul but : préserver les intérêts des banques et des créanciers en imposant toujours plus de sacrifices aux salariés et aux peuples.
En consacrant l'orthodoxie budgétaire de la limitation stricte des déficits publics, les nouveaux traités européens sont une violation pure et simple de la souveraineté populaire. Après avoir perdu le contrôle de sa politique monétaire, la France va ainsi abandonner sa compétence budgétaire.
De fait, la Commission européenne pourra exiger des coupes drastiques, en réduisant les dépenses dans les domaines de la santé, de l'emploi, de l'éducation ou de la culture afin de satisfaire les marchés.
Les États qui ne respecteront pas cette prétendue règle d'or seront soumis à des sanctions financières pouvant aller jusqu'à 0,1 % du PIB. C'est inadmissible. La Commission européenne et la Cour européenne de justice, deux organismes non élus, seront les chiens de garde de cette politique d'austérité. Quant aux États ayant besoin d'une aide du mécanisme européen de stabilité, ils se verront administrer une cure d'austérité semblable à celle que connaît actuellement la Grèce, sous la férule de la troïka BCE-FMI-Commission européenne.
En 2005, les Français et les Néerlandais ont rejeté à une large majorité la Constitution européenne car ils avaient compris que l'Europe libérale était une impasse. Pourtant, avec l'adoption du traité de Lisbonne, copie conforme de la Constitution européenne, la souveraineté populaire a été bafouée par les gouvernements, toutes tendances confondues.
Vous n'avez pas jugé bon de consulter les Français sur le MES et le pacte de stabilité, sujet crucial. Pourquoi votre majorité, réconciliée depuis peu avec le référendum, a-t-elle refusé d'en organiser un sur l'Europe, comme le demandaient les députés du parti de gauche ? Trop technique, trop compliqué, incompréhensible pour le peuple, ai-je entendu. Quel mépris du suffrage universel et de la souveraineté populaire !
L'Union européenne ne peut continuer dans cette voie sans issue. La poursuite de l'austérité est une aberration économique. On voit les résultats de cette politique en Grèce, où les plans d'austérité successifs ont plongé le pays dans l'abîme : privatisations, coupes dans les dépenses, baisse du salaire minimum de 22 %, amputation des retraites de 15 %, plus de 30 % de pauvres et 20 % de chômeurs.
Oui, nous sommes favorables à des mécanismes de solidarité pour aider les États en difficulté et relancer l'économie, mais le MES n'a rien de solidaire : il renforce la dépendance des États envers les marchés. C'est un puits sans fond grâce auquel l'argent des contribuables tombe directement dans le portefeuille des banquiers et des spéculateurs. Cela ne peut plus durer.
Une question se pose : faut-il rembourser à tout prix ces dettes, fruit de la rapacité des marchés financiers et des cadeaux aux plus riches ?
Après avoir renfloué les banques à hauteur de 1 700 milliards d'euros après la crise financière de 2008, les États sont à nouveau mis à contribution.
En réalité, les puissants de ce monde, les spéculateurs, n'ont pas intérêt à une sortie de crise. Les marchés financiers se gavent et spéculent sur le dos des États dans la plus grande impunité. Les multinationales en profitent pour baisser les salaires, précariser, revenir sur les acquis sociaux, licencier.
Le président de la BCE, Mario Draghi, s'inspirant de la Dame de fer, Mme Thatcher, a récemment déclaré que l'austérité était incontournable. Ce jusqu'au-boutisme est une ineptie.
Avec le front de gauche, nous voulons une autre Europe, débarrassée du dogme libéral, soucieuse du bien-être des peuples et de l'environnement, une Europe qui respecte le choix des citoyens, qui a le courage de mettre en place une taxe sur les transactions financières, une Europe qui se libère de l'emprise des banques en autorisant la Banque centrale européenne à prêter aux États à des taux faibles, une Europe qui harmonise par le haut les politiques sociales et fiscales avec l'instauration d'un salaire minimum européen.
Députés communistes, républicains, citoyens et du parti de gauche, nous continuerons à lutter pour une réforme démocratique et sociale des institutions européennes, pour que la construction européenne se mette enfin au service du peuple français et des peuples européens. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après tant de sommets européens cruciaux, de Conseils européens de la dernière chance, nous sommes habitués à l'importance de telles rencontres. Le prochain Conseil ne fait pas exception à la règle puisque, outre l'économie, figurent au sommaire des priorités la préparation des futures réunions du G8 en mai et du G20 en juin, ainsi que la conférence des Nations Unies pour le développement durable Rio +20, mais aussi la confirmation de la reconnaissance du statut de candidat à l'Union européenne pour la Serbie.
Le 21 février dernier, un nouveau plan d'aide a été décidé pour la Grèce. Ce sont de nouveaux efforts douloureux et une mise sous tutelle budgétaire sans précédent. Pire : à voir l'envolée des taux d'intérêt, les marchés pensent que le Portugal risque de devoir un jour restructurer sa dette.
Nous sommes début 2012, et nous parlons encore de la Grèce, et nous avons encore des inquiétudes pour l'euro. Est-ce à dire que le problème n'a pas été définitivement réglé ? On peut le craindre.
En tout cas, il est évident que le redressement grec sera une oeuvre de longue haleine. En Grèce comme au Portugal, des pays où l'euro, au lieu de créer de la convergence, a accru les divergences entre les régions riches et les régions périphériques et désindustrialisées, l'enjeu est de réinventer un modèle de croissance et d'internationalisation, ce qui suppose des politiques publiques de réindustrialisation, mais aussi un changement d'affectation des aides européennes régionales, pour qu'elles servent davantage à la croissance.
Il apparaît en tout cas nécessaire de ne pas désespérer le peuple grec, et l'idée émise il y a quelques semaines d'envoyer à Athènes un commissaire pour prendre le contrôle du budget grec, inutilement vexante, ne va pas dans le bon sens.
Cela étant, la mise sous tutelle des pays ne respectant pas le pacte de stabilité figure bien dans le traité d'union budgétaire qui a été adopté lors du sommet européen fin janvier.
Européens depuis toujours, fédéralistes par conviction, nous sommes favorables au traité d'union budgétaire qui doit lier les pays volontaires de la zone euro.
Au-delà, l'Europe doit donner un message positif de sortie de crise, et tel doit être selon nous l'esprit du Conseil européen de cette fin de semaine : annoncer des mesures de soutien à la croissance et à l'emploi.
En pleine crise, que fait l'Europe pour ses 45 millions de chômeurs ? C'est la question que se posent les peuples européens, inquiets de voir le nouveau pacte budgétaire miser unilatéralement sur la rigueur budgétaire sans accroître en parallèle le potentiel de croissance.
L'Europe devrait prendre une initiative forte, qu'il s'agisse de l'instauration d'une taxe sur les transactions financières, suivant l'exemple français, ou d'un fonds de relance des investissements. Le budget communautaire dispose encore d'une cagnotte de plus de 80 milliards d'euros, qui pourrait aider à soutenir la croissance et l'emploi, avec deux priorités : le chômage des jeunes, qui touche au niveau européen 23 millions des 18-25 ans, et le soutien aux PME.
Monsieur le ministre, les peuples européens seront très attentifs aux conclusions de ce Conseil européen. Au Nouveau Centre, nous considérons que l'on peut éviter de rajouter de l'austérité à la rigueur. Il apparaît indispensable, comme le conseillent d'ailleurs tant le FMI que les agences de notation, de modérer la politique d'austérité pour ne pas aggraver la récession.
Certes, en Allemagne notamment, la crise et l'austérité apparaissent parfois comme les moyens de forcer les « pays du Sud » à accomplir des réformes qui n'ont pas été faites, mais l'Europe peut envisager des mesures de relance, et la Banque centrale européenne peut notamment, par une politique monétaire davantage expansionniste, soutenir la croissance.
L'Europe doit mettre à contribution le budget communautaire en le rendant plus réactif aux besoins. Pour le court terme, il serait utile, en matière d'objectifs de soldes publics, que l'Europe fixe des obligations de moyens plutôt que de résultats.
C'est à ces conditions que l'on permettra aux peuples de retrouver leur confiance dans l'Europe, en leur montrant qu'ils en ont besoin.
Nous vous faisons confiance pour que la France soit en mesure de faire que ce Conseil montre le chemin de l'espoir et de la croissance. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
Monsieur le président, mesdames, messieurs, le débat qui s'ouvre aujourd'hui intervient dans un contexte très particulier.
D'abord, la Grèce a été sauvée de la faillite. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Est-il utile de rappeler que ce n'est pas l'Europe qui a mis la Grèce dans l'état où elle se trouve ?
Plusieurs députés du groupe GDR. Goldman Sachs !
Est-il utile de rappeler que, comme l'avouait sincèrement M. Papandréou, ce sont des fautes accumulées par les dirigeants grecs qui ont creusé une dette insoutenable, l'euro ayant souvent masqué une économie faible et un endettement exagéré ?
Dire que l'Europe ne vient pas au secours de la Grèce alors qu'elle apporte plus de 237 milliards d'euros, dire que l'Europe n'apporte pas d'aide à la Grèce alors que cette aide significative lui permet d'éviter la faillite du pays, le non-paiement des fonctionnaires, l'impossibilité de recourir au moindre endettement ou au moindre prêt ultérieurement, c'est une contrevérité, c'est un mensonge.
L'Europe est solidaire de la Grèce. Qui a été à l'initiative de l'aide à la Grèce face à la réticence d'un certain nombre d'États européens ? C'est la France et c'est le Président de la République. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
J'entends dire que le peuple grec souffre, et c'est une réalité. J'entends dire aussi que, dans ce contexte, l'Europe devrait se désintéresser du sort de la Grèce.
Nous pensons, nous, qu'il faut aider la Grèce pour des raisons morales, parce qu'elle fait partie de la famille européenne et de la famille de l'euro. C'est aussi une mission économique et politique car il y a un risque de contamination et la crise pourrait s'étendre demain au Portugal, à l'Espagne ou à d'autres pays. C'est donc l'intérêt de la Grèce, de la France et de l'Europe. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Dans ce contexte, il y a un deuxième élément pour éviter que l'épisode grec ne se reproduise, le mécanisme européen de stabilité.
Il s'agit d'un fonds monétaire européen, un fonds aidant les États défaillants dans une spéculation financière mondialisée et les protégeant contre la finance, finance qui, si j'ai bien compris, est l'ennemi de M. Hollande. Il faut éviter de faire des effets de tribune en annonçant que son ennemi, c'est la finance.
Notre ennemi, c'est la spéculation financière contre les États qui affame les peuples et les confine dans la misère. Pour lutter contre elle, nous utilisons des moyens efficaces. Le mécanisme européen de stabilité est le pare-feu que la France a proposé.
Certains d'entre vous, comme Mme Guigou ou M. Caresche, trouvaient que c'était une bonne idée, mais le prétendument prochain candidat …
…souhaitait marquer l'opinion de façon significative et a donné l'ordre de s'opposer à la proposition du Président de la République.
Vous n'avez pas voté le mécanisme européen de stabilité, non parce que vous n'y croyiez pas, mais parce qu'il était proposé par Nicolas Sarkozy (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR) et que vous ne vouliez pas avouer devant tout le monde qu'il avait raison au sujet de la solidarité et de l'intégration européennes.
En marge de ce Conseil, arrive aussi le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, et avec lui le mot « discipline ». Cela suscite beaucoup d'émotion du côté gauche de cet hémicycle, mais je m'adresse à l'ensemble des Français. Nos concitoyens acceptent-ils que la France et l'ensemble des pays européens paient pour la Grèce sans contrepartie, sans plan de redressement, sans discipline ?
Comment pouvez-vous imaginer que la solidarité ne soit pas assortie de la discipline ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Comment pouvez-vous imaginer que nous puissions faire accepter à l'ensemble des peuples européens la solidarité vis-à-vis de la Grèce si nous ne sommes pas capables d'adopter une discipline commune ?
Rousseau, qui devrait vous plaire, monsieur Brard – c'est un philosophe dont vous avez quelques fois assimilé la pensée à certaines de vos idées –, disait : « L'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté » Eh bien, la liberté, pour les peuples européens, le fait de ne pas se trouver endettés, c'est d'accepter la règle d'or. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
La règle d'or n'est pas une invention allemande. Elle est proposée par le Président de la République, et c'est pour cela que vous n'en voulez pas !
Cependant, la question doit être posée à nos concitoyens : est-il anormal de dire que nous ne dépenserons pas plus que ce que nous produirons et que, par solidarité, nous ne creuserons pas le déficit ?
Creuser le déficit, aujourd'hui, c'est altérer la solidarité envers les générations futures. Si les socialistes pensaient aux futures générations plus qu'aux prochaines élections, ils auraient très probablement accepté l'idée que la règle d'or est une règle consentie librement pour ne pas être en difficulté à l'avenir ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Souveraineté : le peuple serait plus souverain, parce qu'il aurait transmis cette règle d'or, et que nous l'aurions adoptée ensemble. Qui est libre ? Qui est libre dans une famille lorsque le créancier frappe à la porte et demande son dû ?
Qui est libre dans une entreprise quand on ne peut pas payer les salaires et qu'on est obligé de mettre la clé sous la porte ? Qui est libre dans un État dont l'ensemble des créanciers annoncent qu'il va être en faillite et le peuple dans la misère ? (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Cette liberté, cette souveraineté sont reconquises par une meilleure intégration européenne. L'Europe est un équilibre entre la solidarité et la discipline, entre la rigueur et la croissance. Si vous n'aviez pas été aveuglés par les échéances futures et par vos propos d'aujourd'hui, vous auriez vu que le sommet qui s'annonce est un sommet de croissance et d'emploi.
Comme l'ont très bien expliqué Pierre Lequiller et Rudy Salles, demain, 80 milliards seront redistribués selon deux axes. Le premier est la formation et l'emploi des jeunes, pour lesquels seront dégagés 22 milliards de fonds de solidarité européens. N'est-ce pas une forme de plan de relance ? N'est-ce pas une façon de considérer que le chômage des jeunes, qui atteint 46 % en Espagne et 23 % dans l'ensemble de la zone euro,…
Un député du groupe SRC. Et en France ?
…est un problème auquel il faut que s'attaque l'Europe ? Eh bien, il a été décidé, en marge de ce sommet européen, d'attribuer 22 milliards à ce problème spécifique.
Le second axe, ce sont les petites et moyennes entreprises. Elles sont le fer de lance de l'économie de demain car elles représentent la capacité d'entreprendre, et elles ont souvent eu la force de résister à une crise très difficile. Comment pouvons-nous les aider ? D'abord, par une législation plus permissive et plus ouverte, en allégeant les contraintes, en réduisant la complexité, en étendant les capacités de capital-risque, en faisant en sorte que les petites et moyennes entreprises soient moins assujetties à une administration tatillonne et que les marchés publics leur soient davantage ouverts, avec des critères écologiques, sociaux, d'innovation. Voilà l'élément de la croissance.
L'Europe met 82 milliards d'euros sur les petites et moyennes entreprises et le chômage des jeunes, et vous trouvez qu'il n'y a pas de relance, pas de vision économique ?
C'est que, de deux choses l'une, ou bien vous ne connaissez pas le problème européen, ou bien vous avez décidé de l'ignorer, de rester assis sur vos chaises en criant « La croissance ! La croissance ! », alors que la croissance se crée par la discipline, la solidarité, la dynamique économique et la compétitivité. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Vous devriez soutenir aussi la France lorsqu'elle propose la réciprocité. La réciprocité, ce n'est pas la fermeture de nos frontières, ce n'est pas le retour au franc, ni le retour à la France des années soixante. C'est dire que l'Europe s'est dotée de critères : développement durable, innovation, critères sociaux… Ce sommet abordera l'Europe sociale. Il faut désormais exiger la réciprocité des pays qui n'appliquent pas les mêmes règles écologiques et sociales que la France et l'Europe.
Une Europe nouvelle est en train de naître. Ce n'est pas celle des communistes, dont ils avaient rêvé et qui a disparu. (Exclamations sur divers bancs.) Ce n'est pas non plus celle des socialistes, qui ont beaucoup de difficultés avec l'Europe car ils ont choisi de ne jamais choisir. (Mêmes mouvements.)
Une fois, c'est le plan B qui vient en alternative, une autre fois, c'est la renégociation d'un traité… Si vous voyiez à la fois l'irritation, comme l'a très bien dit Pierre Lequiller, et l'amusement de nos partenaires européens quand ils entendent que l'on va renégocier les traités ! (Mêmes mouvements.) Depuis que je suis aux fonctions que j'occupe, quatre fois des pays ont changé de ministre des affaires européennes : les Espagnols, les Italiens, les Allemands… Est-ce que, chaque fois que l'on change de gouvernement et de ministre, on change de traité ? Non, il y va de la parole de la France, de l'équilibre de l'Europe, de la stabilité de l'euro.
Si tel est votre projet, vous allez déstabiliser l'Europe et la livrer une fois de plus aux marchés financiers que vous dénoncez. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.) En revanche, si vous avez, comme d'habitude, le verbe haut et l'acte faible (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR), alors, vous ferez ajouter un mot, une phrase ou un chapitre au traité, un petit volet « croissance », et Angela Merkel vous l'accordera pour vous permettre de vous en sortir la tête haute.
J'ai utilisé un futur, c'est une erreur. J'aurais dû employer un conditionnel ou, mieux, un irréel du futur, si cela existait !
Car vous êtes dans l'irréel, dans le rêve.
Vous n'êtes pas dans la réalité, vous n'acceptez pas l'Europe concrète que nous sommes en train de construire, une Europe intégrée, plus forte (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR), une Europe qui conserve ses valeurs de démocratie et de liberté et qui les porte en Syrie comme dans le monde entier, de même qu'elle porte un message positif dans les Balkans occidentaux. Comme c'est ce dont vous êtes capables, vous continuerez de parler fort, mais sans agir, et sans choisir ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Nous en venons aux questions des groupes.
Pour la première question, la parole est à M. Christophe Caresche.
Je répondrai d'abord quelques mots sur ce que vous venez de dire, monsieur le ministre. Ceux qui ne sont pas dans la réalité, ce sont ceux qui pensent qu'ils peuvent imposer des cures d'austérité à tous les pays européens sans que cela suscite de réactions.
Aujourd'hui, il faut ouvrir en Europe le débat sur la croissance.
Ce n'est pas seulement une demande de François Hollande ou du parti socialiste, c'est une demande de nombreux pays, et je suis convaincu que, si François Hollande est élu Président de la République, il sera suivi par de nombreux pays qui ne se contenteront pas des réponses d'austérité qui nous sont proposées. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Je voudrais vous poser une question très simple, monsieur le ministre, une question qui est, semble-t-il, en train de se discuter au niveau du FMI, au sujet des conditions dans lesquelles certains pays émergents, notamment la Chine, sont sollicités pour participer au plan de renflouement européen, et en particulier au mécanisme européen de stabilité. C'est une question extrêmement importante. Aujourd'hui, l'Europe est affaiblie, et il ne faudrait pas que des pays en profitent pour obtenir des contreparties en termes de politique commerciale ou de rééquilibrage institutionnel dans les instances internationales. Qu'en est-il de ces discussions ? Quelle est la position de la France sur la participation de ces pays et quelles sont les contreparties envisagées ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Monsieur Caresche, vous avez raison de poser cette question, car c'est celle de l'indépendance et de l'interdépendance sur la scène internationale. Nous avons bien compris que, dans le monde d'aujourd'hui, chacun dépend de l'autre. Pourquoi la Chine, pourquoi nos amis britanniques ou les États-Unis se posent-ils des questions sur la zone euro ? Parce que si, demain, cette zone s'effondrait, toutes les économies seraient en difficulté.
Ensuite, l'ouverture des marchés est mondiale. Toutefois, je tiens à vous rassurer : le mécanisme européen de stabilité n'est pas ouvert à l'ensemble des marchés mondiaux. Oui à l'interdépendance, qui fait émerger une nouvelle solidarité mondiale et une force européenne, que nous devons opposer, mais non à la dépendance aux marchés financiers, qui contribueraient abusivement à l'aide que nous pouvons apporter au niveau européen et s'en prévaudraient pour influer sur nos économies ! Le mécanisme européen de stabilité n'est pas ouvert aux marchés internationaux.
Ma question ne sera pas seulement conceptuelle ; elle sera concrète. Pourtant, l'Europe est un concept, un concept devenu grand projet et, aujourd'hui, réalité. Une réalité qui avance dans la négociation. C'est cette construction qui accompagne notre progression et qui nous garantit la paix.
C'est parfois à l'occasion des crises que l'on évolue de façon plus pertinente. Dans ce contexte, le prochain Conseil européen franchira une étape nouvelle et importante pour trouver une issue à la crise de l'euro, qui bouleverse le monde.
Depuis le début de cette crise, la France joue un rôle prépondérant et, grâce à la détermination du chef de l'État, notre pays a permis des solutions. Des étapes européennes ont été franchies, la dernière dans cet hémicycle, avec l'adoption du mécanisme européen de stabilité.
Lors du vote, nous aurions pu espérer un moment d'unité nationale. Il n'en fut rien. Je le regrette, et je déplore l'attitude du parti socialiste, qui a choisi de ne pas choisir, comme je regrette la remise en cause du nouveau traité qui sera signé lors du prochain Conseil, alors qu'il est le résultat du consensus qui caractérise si bien la construction de l'Europe.
Même forte, la France a besoin de négocier, et je voudrais rendre mon propos concret à partir d'un dossier qui montre bien que nous avons besoin de l'Europe.
À l'heure du Salon de l'agriculture, ma question est concrète : nos viticulteurs sont inquiets face au risque de suppression du régime des droits de plantation. Une telle libéralisation aurait pour conséquence un développement anarchique du vignoble, un démantèlement des exploitations familiales et une délocalisation des territoires traditionnels de la viticulture française, qui doit continuer à être créatrice des richesses dont notre balance commerciale a besoin. Il faut une agriculture régulée et la France doit négocier pour maintenir le régime des droits de plantation.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de nous informer du calendrier des négociations qui permettront d'aboutir au fameux consensus européen. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à M. le ministre, pour répondre à cette question composite. (Sourires.)
Robert Lecou sait, bien sûr, que cette question n'est pas à l'ordre du jour du prochain Conseil européen. Néanmoins, elle le préoccupe à juste titre, comme elle préoccupe beaucoup de nos viticulteurs. C'est pourquoi je veux lui apporter des informations extrêmement positives.
En 2008, malgré nous, la Commission a envisagé de supprimer les droits de plantation à partir de 2016. C'est dans cette perspective, et dans celle du plan de financement européen 2014-2020, que le problème se pose ; il n'est donc pas immédiat mais il est préoccupant.
Le souci de la France est heureusement relayé par de nombreux pays, treize au total, et non des moindres, tels que l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, ainsi que d'autres plus modestes, comme Chypre ou la Grèce. Ces pays se sont émus d'une telle situation, car elle présente deux inconvénients.
Tout d'abord, elle risque de déstabiliser les revenus, déjà relativement précaires et fragiles, de toute une partie des travailleurs, mais elle peut aussi altérer la qualité de nos produits.
C'est la raison pour laquelle, sur intervention de la France, la Commission a décidé, par l'intermédiaire du commissaire Ciolos, de mettre en place un groupe de travail…
Pour enterrer un problème, on crée un groupe de travail, c'est bien connu !
…chargé d'étudier l'ensemble de ces problèmes. Une telle annonce est le premier résultat de notre remise en cause de la libéralisation des droits de plantation.
Si la Commission avait décidé de passer outre et de ne pas revenir sur sa décision, elle n'aurait pas créé ce groupe de travail qui aboutira, j'en suis sûr, sous l'impulsion de la France et de Bruno Le Maire, à renoncer à l'idée funeste de supprimer les droits de plantation. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Monsieur le ministre, le nouveau traité européen qui sera signé demain ne répond en rien à la crise bancaire et financière ; avant tout destiné à rassurer les marchés financiers et les agences de notation, il ne prévoit aucune mesure pour réduire le pouvoir de la finance ou pour approfondir la solidarité et la coopération entre les peuples : l'unique objectif est de contraindre les États à l'austérité généralisée. S'il devait entrer en vigueur, il annihilerait toute perspective de relance économique, aggraverait le chômage et la précarité.
En prévoyant de sanctionner les États, le traité bafoue la souveraineté populaire. Nous refusons toute mise sous tutelle des États comme nous refusons toute atteinte à la souveraineté budgétaire du Parlement, garantie par l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Sur une question aussi grave et lourde de conséquences, la France ne saurait être engagée sans consultation du peuple. C'est à lui de trancher. C'est pourquoi nous demandons avec force l'organisation d'un référendum. C'est le sens de la proposition de loi constitutionnelle que nous allons déposer pour que, désormais, tous les traités européens ayant une incidence sur les institutions, les politiques économiques et sociales ou les services publics soient obligatoirement soumis à référendum.
Monsieur le ministre, le Gouvernement est-il prêt à souscrire à cette proposition ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
Jean Leonetti, ministre. Monsieur Dolez, notre Constitution, vous le savez, peut être modifiée par deux voies : celle du Congrès et celle du référendum. Vous savez aussi que la règle d'or ne peut être qu'une réforme constitutionnelle. Dès lors, ou bien il y a une majorité au Congrès, ou bien on organise un référendum si l'on veut changer la Constitution sur ce point. Enfin, je rappelle que ces deux voies existent en France, alors que dans d'autres pays que l'on cite en exemple, telle l'Irlande, il n'y a qu'une voie : la voie référendaire.
je n'ai pas vu dans le programme de qui que ce soit, en particulier pas dans celui de M. Hollande (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), qu'il souhaitait recourir à chaque fois à un référendum. Je n'oublie pas, contrairement à certains, que les communistes existent (« Ah ! » sur divers bancs), mais je m'aperçois que sur l'Europe, comme sur d'autres problèmes, il y a une divergence fondamentale entre eux et les socialistes, deux groupes tout aussi démocratiques et estimables. Je me demande comment un jour vous pourrez envisager de gouverner ensemble.
Je ferme cette parenthèse pour redire que j'ai cru entendre que l'on aurait renié le référendum de 2005 avec le traité de Lisbonne.
Je rappelle que la position du candidat aujourd'hui Président de la République était très claire à l'époque : il a dit qu'il renégocierait sur tel et tel point. L'élection présidentielle valait donc engagement européen. (Protestations sur les bancs du groupe GDR.)
Chacun sait que l'engagement européen de Nicolas Sarkozy est parfaitement clair et qu'il se base sur une expérience et une action. Je n'ai toujours pas compris le flou de la proposition de M. Hollande (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) et s'il faudrait passer par un référendum si, par malheur pour le pays, il était élu Président de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le ministre, en complément de l'ordre du jour chargé de ce Conseil européen, il nous apparaît souhaitable que le Conseil se penche sur certaines questions de politique étrangère, en particulier sur la question syrienne.
Depuis mars 2011, ce sont plus de 7 600 morts, en grande majorité des civils, selon l'observatoire syrien des droits de l'homme, qui sont à déplorer du fait de la répression du soulèvement en Syrie. Les chefs des diplomaties européennes se sont réunis il y a deux jours, le 27 février, pour décider de nouvelles sanctions à employer contre le gouvernement de Bachar Al-Assad. Ils sont soutenus par Hillary Clinton, qui a également appelé Moscou et Pékin – pour le moment immobiles — à durcir le ton face aux violences commises en Syrie.
En plus de pressions diplomatiques, les sanctions visent à restreindre un peu plus les voies de financement du régime : gel des biens de la Banque centrale syrienne en Europe, interdiction du commerce de métaux précieux réalisé par ce pays, embargo sur les vols fret, qui ne pourront donc plus atterrir sur le territoire européen. En outre, sept nouvelles personnes vont être ajoutées à la liste des personnes, organisations ou entreprises faisant l'objet d'interdictions de visa en Europe et de gels d'avoirs. Leurs noms ont été publiés.
Déjà, le Parlement européen avait exprimé le regret, partagé par tous les Européens, que la Russie et la Chine aient opposé leur veto au Conseil de sécurité des nations unies à un projet de résolution condamnant la répression sanglante en Syrie. Nous souhaitons donc que le Conseil européen affirme sa grande fermeté contre le gouvernement syrien. La communauté européenne doit prendre au sérieux ses responsabilités internationales et agir concrètement pour obtenir la fin de la violence en Syrie. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
Monsieur Rudy Salles, votre question est quasiment une réponse puisque vous qui connaissez très bien le sujet avez évoqué toutes les sanctions qui, à l'initiative de la France et de l'Europe, ont été prises vis-à-vis du régime syrien, qui massacre son peuple et bafoue la démocratie la plus élémentaire.
Le plan de la Ligue arabe est la seule voie crédible et la seule possible. Vous savez que la réunion des Amis du peuple syrien a eu lieu à Tunis, à l'initiative de la France, le 24 février, et qu'ils ont envoyé un message de soutien au peuple syrien,…
…ainsi qu'à l'ensemble des personnes en rébellion ; Les prochaines étapes de la mobilisation internationale, y compris toutes les pistes lancées par la Ligue arabe, se poursuivent au niveau européen. J'en veux pour preuve les éléments que vous avez évoqués, qu'il s'agisse de la Banque centrale syrienne ou de l'embargo sur le fret, mais aussi bien sûr les mesures d'embargo sur les armes, appliquées depuis longtemps.
Le Gouvernement va continuer à intensifier sa pression sur le régime de Bachar Al-Assad et rappeler que la France souhaite aussi l'interdiction des exportations de phosphates syriens vers l'Union européenne, ce qui sera un élément supplémentaire pour assécher les ressources du régime.
Nous sommes persuadés que nous devons continuer à affirmer notre position et que la révolte légitime d'un peuple qui aspire à la liberté ainsi que le soutien international de la France, de l'Union européenne et d'autres États feront plier le gouvernement syrien.
Je tiens à donner des nouvelles de Mme Bouvier, qui a été blessée gravement à Homs. Les autorités françaises, vous le savez, sont pleinement mobilisées ainsi que la communauté internationale, la Croix-Rouge et le Croissant-Rouge. La procédure est bien entendu en cours pour la mettre hors de tout danger. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat ressemble aux précédents. Si un consensus large s'affirme sur la nécessité de mettre en oeuvre des instruments de solidarité, comme le mécanisme européen de solidarité, à condition qu'il soit à la mesure des besoins, je regrette, monsieur le ministre, que vous n'ayez de cet enjeu qu'une approche purement politicienne (Protestations sur les bancs du groupe UMP), comme s'il s'agissait d'un plébiscite sur le nom de M. Sarkozy, alors que celui-ci n'est en l'occurrence qu'un acteur parmi d'autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Vous n'apportez malheureusement pas de réponse crédible à la question, de plus en plus cruciale, de l'activité et de la croissance, alors que les outils sont potentiellement disponibles.
Mais, au-delà des nécessités du moment, il y a la question fondamentale de la régulation et de la réforme du système financier international. Par-delà les proclamations initiales du G20, les avancées sont aujourd'hui dramatiquement insuffisantes.
Même à l'échelle de l'Union européenne, elles sont très loin des engagements annoncés. Où en est la mise en place de la directive sur les fonds alternatifs ? Où en est la directive MIFID sur les marchés financiers et la réforme de la directive épargne ? Au-delà des conventions et de l'examen par les pairs mis en oeuvre par l'OCDE, qu'en est-il de la remise en cause des paradis fiscaux ? Où en est l'harmonisation des règles applicables aux établissements bancaires et financiers européens ou américains ?
J'aimerais que ces questions soient aussi à l'ordre du jour des sommets à venir. Sinon, nous nous épuiserons dans des opérations de sauvetage sans jamais lutter efficacement contre les causes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur Garrigue, je citerai un ancien Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin : « Méfie-toi toujours de tes propos lorsque tu n'es applaudi que par l'opposition. Cela veut dire que, probablement, tu ne sièges pas à l'endroit qu'il faut, ou que tu es en train de trahir le groupe dans lequel tu te trouves. » (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Les parlementaires sont libres dans cet hémicycle ! Ils n'ont pas de mandat impératif !
Par ailleurs, il me paraît nécessaire de rappeler que, pour lutter contre les marchés financiers, on est obligé d'intervenir au niveau international. Je vais vous mettre en difficulté en vous rappelant que le G8 est une initiative française et que le G20 est présidé par la France, et cela ne me gêne pas de vous rappeler également que cette initiative, elle aussi française, a été portée par le Président de la République, et qu'il s'appelle Nicolas Sarkozy.
Un certain nombre de directives sont en train d'être mises en place, par exemple celle sur la garantie des dépôts et celle sur les produits dérivés. J'ajoute qu'aucune banque française n'a aujourd'hui des avoirs dans les paradis fiscaux. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)
On peut toujours me dire que ce n'est pas suffisant, qu'il faut continuer à faire plus, mais qui avait agi avant ? Quel gouvernement a mené la lutte contre les paradis fiscaux ? Quel gouvernement a limité la rétribution des traders ? Quel Gouvernement a mis clairement à l'ordre du jour la taxe sur les transactions financières ?
Par conséquent, monsieur Garrigue, les choses sont très claires : le Gouvernement a agi à la fois au niveau national, au niveau européen mais aussi international, au travers du G20 et du G8. Vos propositions sont légitimes, mais vous omettez de préciser qu'elles sont en cours de réalisation, et veuillez m'excuser de rappeler que c'est à l'initiative de Nicolas Sarkozy. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Alors que l'Union européenne et la zone euro traversent une grave crise donnant lieu, à chaque épisode, à des mesures d'austérité nouvelles sans perspectives ni début de rémission, alors que le taux de chômage est le plus haut qu'ait connu la zone euro depuis sa création, ce cinquième sommet va définir les orientations qui vont ensuite être imposées aux États en déterminant la stratégie de leur politique économique. Parallèlement, la Commission européenne élabore ce qu'elle appelle « l'examen annuel de croissance ». Ni le Parlement européen ni le Parlement français ne sont véritablement conviés à intervenir en amont pour contribuer à la définition d'une orientation de croissance au niveau européen. Nous ne savons donc pas sur quelles bases le prochain sommet fera des prévisions.
Les perspectives économiques sont pourtant sombres, même pour l'Allemagne, donnée souvent comme modèle. Ce que nous savons, c'est qu'il y a à l'évidence des contradictions entre, d'une part, la stratégie Europe 2020, censée être mise en oeuvre par la Commission, qui fixe comme priorité l'emploi, la recherche, le changement climatique et l'innovation, et, d'autre part, les accords du Conseil européen créant un nouveau pacte de stabilité qui limite les investissements publics d'avenir en les assimilant à des dépenses inutiles.
Parallèlement au double déficit économique et démocratique, l'Union paraît très timide en ce qui concerne la fraude fiscale. Les avoirs grecs dissimulés en Suisse représenteraient 150 à 200 milliards d'euros alors que la dette publique du pays est de 300 milliards.
La Suisse propose de prélever un impôt sur cette fraude et de le verser aux États concernés mais l'Union estime que ces accords seraient illégaux. Selon nous, l'Union devrait avoir comme les États-Unis la capacité d'obliger la Suisse et les autres paradis fiscaux à transmettre les données bancaires des fraudeurs présumés.
Monsieur le ministre, je souhaite connaître la position du Gouvernement et de la France sur ces trois points. Sur quelles bases le Conseil va-t-il travailler ? Entendez-vous préserver les investissements publics d'avenir et la stratégie Europe 2020 ? Entendez-vous lutter efficacement contre la fraude fiscale qui gangrène les ressources des États ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Vous avez raison, la fraude fiscale est une plaie pour la Grèce. Quand on pense qu'elle équivaut à peu près au déficit annuel du pays…
…on imagine les conséquences pour le peuple grec, qui se trouve dans la situation que nous connaissons.
Dans ce contexte, la liste noire publiée au niveau européen et renforcée par la France est l'un des moyens de lutte globale contre les paradis fiscaux.
Il n'est pas suffisant, il en faut d'autres, parmi lesquels l'action de la Suisse vis-à-vis de l'évasion fiscale en provenance d'autre pays.
Vous le savez, la Suisse a pris attache avec la Grande-Bretagne et l'Allemagne et elle a signé avec ces deux pays des accords que nous contestons car ils ne se font pas dans la transparence et parce qu'ils ne servent qu'à amnistier pour un prix forfaitaire et global toute la fraude fiscale concernée. Ce n'est pas notre conception de la transparence et de la lutte contre la fraude fiscale. La Commission a été saisie et je suis sûr qu'elle va considérer que ces deux accords passés avec l'Allemagne et la Grande-Bretagne ne sont pas acceptables.
Voilà pourquoi il faut des experts et la troïka auprès de la Grèce : cinq milliards d'euros ont été rapatriés en Grèce à la suite de l'aide que nous apportons au peuple grec.
La Grèce a besoin d'une aide substantielle pour éviter la faillite, d'une assistance structurelle en ce qui concerne la collecte de l'impôt et la fraude fiscale, et aussi des moyens d'assurer la relance. D'ici 2013, 16 milliards d'euros de fonds structurels vont être débloqués afin de permettre cette relance pour le peuple grec.
Voyez qu'il n'y a pas que de l'austérité mais aussi de la solidarité, de la croissance et de la relance par l'intermédiaire de l'Union européenne. La lutte contre les paradis fiscaux et la fraude fiscale en Grèce fait partie des priorités européennes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le ministre, je voudrais revenir sur un point que vous avez évoqué dans votre intervention et qui est au coeur de débat dans la campagne présidentielle : la question si difficile de l'équilibre à trouver face à la crise entre la discipline budgétaire et le soutien à l'économie.
Pour sortir de la crise, il est impératif que les pays européens remettent de l'ordre dans leurs finances, mais pour faire face à la menace d'une récession, il faut trouver les moyens de soutenir la croissance. Et ce n'est pas parce que les derniers chiffres sur la conjoncture sont encourageants pour la France – une croissance de 1,7 % en 2011, ce qui est un bon résultat – que la récession ne menace pas l'Europe.
Selon les prévisions publiées la semaine dernière par la Commission, la zone euro se dirige vers sa deuxième récession en trois ans, et l'Union européenne des vingt-sept devrait connaître une quasi-stagnation en 2012.
Si l'on peut se réjouir que, dans ces conditions, la France et l'Allemagne continuent à tirer leur épingle du jeu, il faut s'inquiéter de voir se dessiner une Europe à deux vitesses, où l'Espagne et l'Italie notamment décrocheraient par rapport au couple franco-allemand.
Il est vital d'éteindre la crise de la dette, mais il est également indispensable de soutenir la croissance, toute la question étant de savoir de quels moyens nous pouvons disposer. Les moyens budgétaires sont limités puisque, si la dépense peut être réorientée, elle ne peut pas globalement augmenter. Rappelons qu'en France la dépense publique dépasse de dix points de PIB celle de l'Allemagne.
L'approfondissement du marché unique avec ses 21 millions d'entreprises et ses 500 millions de consommateurs est une piste qu'explore la Commission, encouragée par dix États membres dont la Grande-Bretagne et L'Italie. Mais il est clair que toute libéralisation du marché suscite toujours de très vives réticences.
La réforme des marchés publics visant à exclure les pays qui n'appliquent pas les mêmes règles concurrentielles que l'Europe afin d'instaurer une vraie réciprocité serait à la fois logique et équitable, mais elle n'est facile ni à négocier ni à appliquer.
La monétisation de la dette apporterait à l'économie de l'argent frais, mais le statut de la Banque centrale européenne s'y oppose et l'Allemagne s'y refuse.
Alors, monsieur le ministre, comment faire, quels moyens mobiliser au service d'une croissance européenne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le député, vous posez la vraie question. L'incendie est éteint…
…et les pare-feux sont montés, mais nous devons être capables de trouver la stabilité, et aussi la croissance, car c'est elle qui permettra également de réduire les déficits.
Comment allier la discipline budgétaire à la relance et à la croissance ? L'exemple français montre que l'on peut appliquer une discipline budgétaire sans diminuer le salaire des fonctionnaires, sans augmenter le chômage de manière phénoménale, sans être contraints de renoncer à des fondamentaux qui font partie de notre pacte social. Personne ne peut contester que nous y sommes parvenus.
Cela étant, comment relancer l'économie ? Les 35 milliards d'euros investis dans les dépenses d'avenir permettent à la recherche française d'être à la pointe au niveau européen. S'agissant des perspectives financières européennes, nous devons être capables de nous imposer une rigueur budgétaire tout en trouvant les éléments de la relance. Quels sont-ils ? Un meilleur dynamisme des petites et moyenne entreprises et une lutte contre le chômage des jeunes.
Faut-il déréguler le marché, le libéraliser totalement ? La France y est opposée car nous ne voulons pas mettre en concurrence un centre communal d'action sociale ou une crèche avec des structures privées, parce que nous pensons que le service public à la française est un élément de stabilité de notre pacte social.
C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas adhéré à la proposition des douze États en faveur d'une libéralisation totale du marché que vous avez mentionnée. Néanmoins, nous travaillons sur les perspectives financières, pour qu'au lieu de dépenser plus nous dépensions mieux à l'avenir.
Dans les politiques de cohésion, de relance ou de recherche, nous pouvons définir des éléments qui seront des moteurs pour l'Europe – à l'exemple d'ITER ou de GEMS – sans pour autant augmenter de manière exagérée le budget européen.
L'objectif est une discipline budgétaire qui ne soit pas austérité et une relance qui ne soit pas gaspillage d'argent public mais vision d'un développement économique et d'une nouvelle croissance pour une Europe nouvelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Marc Le Fur.)
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, nous sommes réunis aujourd'hui pour mettre un point final au débat sur la proposition de loi relative à la protection de l'identité. Après plusieurs navettes qui ont vu émerger, au Sénat et ici, au Palais-Bourbon, deux positions irréconciliables, le Gouvernement a demandé à votre assemblée, comme elle en a le pouvoir, de statuer définitivement. La proposition a été très bien instruite par plusieurs discussions, des améliorations ont été apportées, et il est temps de faire un choix.
Ici, à l'Assemblée nationale comme au Sénat et au Gouvernement, nous nous accordons tous sur la nécessité absolue de protéger nos concitoyens contre l'usurpation d'identité, mais il nous reste à nous accorder sur les moyens concrets d'y parvenir. Faut-il, suivant la volonté des auteurs de cette proposition de loi, les sénateurs Jean-René Lecerf et Michel Houel, suivant l'avis du Gouvernement, suivant la position prise de manière répétée par votre assemblée, privilégier un lien fort au sein de la base TES – pour « titres électroniques sécurisés » – destinée à recenser, de manière unique et centralisée, les éléments d'état civil et des données biométriques de chaque demandeur ou titulaire d'un titre d'identité, ou bien suivre la position prise en cours de débat par le Sénat en faveur du lien faible ?
Comme l'a fait votre commission des lois en revenant sur le texte transmis par le Sénat, nous vous demandons de choisir définitivement le lien fort. Nous vous demandons de faire le choix de l'efficacité et de la sécurité.
Le choix de l'efficacité, d'abord, car, contre l'usurpation d'identité, le lien faible n'est qu'un pétard mouillé. À l'inverse en effet du lien fort, qui permet de remonter jusqu'à l'usurpateur via ses empreintes, le lien faible ne permet que de détecter l'usurpation.
La question qui nous est posée est simple : protéger nos concitoyens, est-ce détecter leurs problèmes ou nous mettre en position de les résoudre ? Un constat n'est pas une réponse. Nos concitoyens attendent de nous des solutions. Ils attendent de nous que nous retenions le lien fort.
Retenir le lien fort, c'est aussi faire le choix de la sécurité.
Sécurité technique, en premier lieu, puisque, de l'avis même de l'entreprise chargée de le développer, le lien faible n'est aujourd'hui ni pleinement fiable ni parfaitement opérationnel.
Sécurité juridique, ensuite, puisque le texte qui vous est présenté aujourd'hui fait siennes toutes les garanties définies par la CNIL en matière d'utilisation des fichiers : restriction de l'accès à la base aux seuls agents de l'Agence nationale des titres sécurisés et traçabilité de ces accès ; segmentation des données ; sécurité des transmissions et sécurité contre les intrusions.
Sécurité juridique, toujours, puisque nous pensons que la garantie des libertés fondamentales mérite d'être gravée dans le marbre de la loi et non pas simplement subordonnée à un dispositif technique. Adopter le lien faible, ce serait considérer que seule une technique dégradée permet de garantir une liberté individuelle, ce serait reconnaître que le législateur est incapable de concevoir des garanties. C'est pourquoi nous avons inscrit dans le texte qui vous est présenté aujourd'hui l'interdiction de croiser la base TES avec les autres fichiers publics, c'est-à-dire, très concrètement, l'interdiction de l'utiliser pour tout autre objectif que celui de la protection de l'identité ; la limitation à deux du nombre d'empreintes enregistrées et l'interdiction de la reconnaissance faciale ; la limitation, enfin, à trois cas, et trois cas seulement, de l'autorisation de remonter des empreintes à l'identité : premièrement, c'est logique, au moment de la délivrance ou du renouvellement du titre, afin d'en garantir la bonne fabrication et la remise à la bonne personne, deuxièmement, sous le contrôle du procureur, dans le cadre d'infractions pour usurpation d'identité, ce qui correspond à l'objet même de la loi, troisièmement, toujours sous le contrôle du procureur, pour permettre l'identification de victimes d'accidents collectifs ou de catastrophes naturelles.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, dans l'esprit donné à ce texte par ses auteurs, à la suite de votre rapporteur et de votre commission des lois et en songeant à tous ceux de nos concitoyens qui voient leur vie perturbée par une usurpation d'identité, le Gouvernement vous demande d'adopter le texte qui vous est présenté aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à M. Philippe Goujon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici réunis aujourd'hui pour la dernière étape de la discussion de la proposition de loi relative à la protection de l'identité : sa lecture définitive par l'Assemblée nationale.
Conformément au dernier alinéa de l'article 45 de la Constitution et au troisième alinéa de l'article 114 du règlement, en dernière lecture, l'Assemblée devait choisir entre la reprise du texte de la commission mixte paritaire et celle du dernier texte voté par elle, c'est à dire le texte adopté en nouvelle lecture. C'est la deuxième option qui a été retenue par votre commission des lois.
En effet, le texte de la CMP était tout simplement inacceptable, car il correspondait à la position inflexible du Sénat,...
...position que celui-ci a évidemment confirmée en nouvelle lecture. Je rappelle d'ailleurs qu'en CMP les sénateurs du groupe UMP ont voté en faveur de la version du texte adoptée par l'Assemblée nationale en deuxième lecture.
Comme il fallait cependant s'y attendre, la majorité sénatoriale a campé sur les positions qui sont les siennes depuis la première lecture de ce texte et n'a jamais pris en compte les concessions faites, vous le savez bien, par notre assemblée dans la recherche d'un compromis, concessions qui ont même été reconnues par certains membres de l'opposition.
En nouvelle lecture, le Sénat a rétabli la base à lien faible dont votre rapporteur et, encore à l'instant, le ministre de l'intérieur vous ont exposé le manque de fiabilité. Il a également rouvert, en commission des lois, l'article 2 du texte, pour y réintroduire, de manière superflue car les intentions du législateur sont explicites en la matière, les dispositions concernant la limitation du nombre d'empreintes digitales, passé de huit à deux. Nos deux assemblées étaient pourtant parvenues à un accord.
En séance, le rapporteur du Sénat a même appelé ses collègues sénateurs à « voter en bloc, de manière monolithique » contre un amendement du Gouvernement qui proposait de revenir à la base à lien fort. Cette position, que je qualifierai de doctrinale et intransigeante, n'a pas été suivie.
L'adoption de ce texte n'a donc que trop tardé. Dois-je vous rappeler que c'est la cinquième fois, oui, la cinquième fois, qu'il est examiné par notre assemblée ? Aussi, je ne vous surprendrai pas, mes chers collègues, en vous proposant, pour la dernière fois, de rétablir, conformément au texte de votre commission des lois, la version de l'article 5 adoptée par notre assemblée en deuxième et en nouvelle lectures. Il s'agit, certes, de la fameuse base à lien fort, mais elle est assortie des garanties juridiques qui limitent sa consultation judiciaire, sous le contrôle d'un magistrat, aux seules infractions relatives à l'usurpation d'identité et aux recherches de corps de victimes de catastrophes collectives, ce dont la tragédie récente du Costa-Concordia nous a d'ailleurs cruellement rappelé l'intérêt.
Ce fichier administratif – telle est bien sa nature, et le confondre avec un fichier de police est non seulement erroné mais relève de la mauvaise foi – …
…respecte les prescriptions de la CNIL et du Conseil d'État quant au nombre d'empreintes enregistrées dans la base, à l'interdiction d'utilisation de procédés de reconnaissance faciale et aux restrictions apportées à la consultation de la base centrale biométrique. Il ne pourra être créé qu'après qu'un décret aura été pris en Conseil d'État après avis public de la CNIL.
Les garanties en matière d'utilisation des fichiers imposées par la CNIL sont respectées, comme l'accès à la base restreint aux seuls agents de l'Agence nationale des titres sécurisés, la traçabilité de ces accès, la segmentation des données, la sécurisation des transmissions et la protection contre les intrusions.
La restriction de l'usage de la base est spécifiquement prévue par plusieurs garanties.
La première, recommandée elle aussi par la CNIL, consiste à interdire toute interconnexion de la base TES avec d'autres fichiers publics. Cela revient à clairement interdire son usage pour tout objectif autre que celui de la protection de l'identité.
La deuxième garantie réside dans la liste limitative des trois cas où la remontée des empreintes jusqu'à l'identité est autorisée : premier cas, logiquement, au moment de la délivrance ou du renouvellement du titre, dont je rappelle d'ailleurs qu'il est facultatif et gratuit, afin d'en garantir la bonne fabrication et la remise à la bonne personne, une autre avancée de ce texte étant qu'il prévoit également un renforcement de la sécurisation des documents d'état civil en amont ; deuxième cas, sous le contrôle d'un magistrat, dans le seul cadre d'infractions liées à l'usurpation d'identité, ce qui correspond à l'objectif initial de la loi ; troisième et dernier cas, toujours sous le contrôle de la justice, pour permettre l'identification de victimes d'accidents collectifs ou de catastrophes naturelles.
Seule cette base biométrique à lien fort, ainsi très strictement encadrée, sera à même d'atteindre l'objectif que nous avons assigné à ce texte : la protection de l'identité, comme son auteur, Jean-René Lecerf, n'a cessé de le rappeler au cours des lectures successives. Et seul ce dispositif sera à même de dissuader les fraudeurs, car ils auront la certitude, la certitude absolue, d'être retrouvés par la justice. La preuve en est que l'instauration du passeport biométrique a vu la fraude identitaire qui lui était liée diminuer de 50 %.
Si le législateur désespère du rôle de la loi, si, comme le prétendent certains, il hésite à légiférer en se retranchant derrière d'improbables barrières techniques, il renie le mandat qui est le sien. Notre rôle est au contraire de créer les garanties juridiques nécessaires au respect des libertés, comme nous l'avons fait en amendant la proposition de loi. Je tiens à ce propos à rendre un hommage particulier au ministre de l'intérieur, qui a su faire évoluer sa position vers un texte de nature consensuelle, sans que jamais son efficacité soit remise en cause.
Il est grand temps d'adopter ce texte, afin que, au terme de cette lecture définitive, cette loi tant attendue par les spécialistes et surtout par les 100 000 personnes qui, chaque année, sont victimes de fraude identitaire, entre enfin en vigueur, pour la sécurité de tous. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai donc le privilège de défendre pour la cinquième fois une motion de rejet préalable sur ce texte,…
…et que l'Assemblée acceptera de reconnaître les risques que nous dénonçons et de rejeter ce texte, ce qui nous évitera bien des déconvenues dans quelques années.
Comme l'ont rappelé M. le ministre et M. le rapporteur, le cheminement du texte a été long et nous sommes aujourd'hui bien loin de la proposition de loi que deux sénateurs avaient déposée le 27 juillet 2010. Leur ambition était louable et, pour le coup, consensuelle : ils souhaitaient lutter contre les fraudes à l'identité, même s'ils reconnaissaient la difficulté de quantifier leur nombre avec précision. Les estimations dont nous disposons sont assez aléatoires, et vont des 14 000 faits constatés par les services de police et de gendarmerie en 2009 à quelque 200 000 usurpations. Chacun conviendra que, en la matière, la précision pourrait être meilleure.
Pour lutter contre la fraude à l'identité, nos deux collègues sénateurs proposaient un dispositif copié sur celui que l'autorité réglementaire a mis en place pour le passeport biométrique. Ainsi, la sécurisation de l'identité, telle qu'ils l'envisageaient, consistait à enregistrer certaines données biométriques de la personne considérée afin de les associer à son identité. Ces données devaient ensuite être enregistrées dans un titre d'identité sécurisé. Comme l'écrivaient nos collègues en juillet 2010, un tel système devait garantir, d'une part, grâce au fichier central des Français, qu'à une personne donnée ne puisse correspondre qu'une seule identité, et, d'autre part, que l'on puisse s'assurer que la personne qui présente son titre d'identité en est bien le titulaire légitime, parce que ses empreintes digitales sont les mêmes que celles enregistrées sur la puce de sa carte d'identité ou de son passeport.
Conscients que la concrétisation de cette intention nécessitait l'élaboration d'un fichier, les auteurs de la proposition de loi convenaient aussitôt qu'il fallait en limiter l'usage à la seule lutte contre la fraude à l'identité et préconisaient un moyen technique pour en interdire toute utilisation à d'autres fins que celles poursuivies par les auteurs de la proposition de loi. C'est ainsi que, le 31 mai 2011, le Sénat adoptait un texte somme toute assez technique, sans grande incidence sur nos libertés individuelles, puisque le fichier n'était pas un fichier de police au sens de l'article 26 de la loi de janvier 1978 relative à l'informatique.
Hélas, dès la première lecture à l'Assemblée, notre rapporteur a suggéré, avec l'appui du Gouvernement, d'adopter conformes neuf des treize articles de la proposition de loi, mais de modifier l'article 5 pour organiser une évolution des modalités techniques imaginées par les sénateurs. Il regrettait en effet que l'architecture du fichier central ne puisse être utilisée en matière de recherche criminelle et préconisait qu'un lien fort soit établi entre les données biographiques d'un demandeur de titre et ses empreintes digitales. Le vote d'un amendement vint autoriser cette utilisation judiciaire.
C'est donc depuis le début que s'opposent à l'Assemblée les partisans du lien faible et ceux du lien fort. Les arguments sont connus, ont été répétés et ne méritent pas d'être rappelés longuement. Les données biométriques ne sont pas des données à caractère personnel comme les autres. Elles présentent en effet la particularité de permettre à tout moment l'identification de la personne concernée sur la base d'une réalité biologique qui lui est propre, permanente dans le temps et dont elle ne peut s'affranchir. À la différence de toute autre donnée à caractère personnel, la donnée biométrique n'est donc pas attribuée par un tiers ou choisie par la personne : elle est produite par le corps lui-même et le désigne ou le représente, lui et nul autre, de façon immuable. Elle appartient donc à la personne qui l'a générée et tout détournement ou mauvais usage de cette donnée fait alors peser un risque majeur sur l'identité de celle-ci.
Cette spécificité des données biométriques est reconnue par le législateur, et notre assemblée a accepté à de multiples reprises de leur conférer une protection et un encadrement particuliers.
Ainsi la CNIL n'a-t-elle validé le système des passeports biométriques que parce que sa finalité était uniquement d'ordre administratif. Et c'est la même grille de lecture qui justifie l'hostilité de la CNIL à la création de la base de données biométriques centralisée que vous envisagez.
C'est aussi pourquoi, dans la plupart des démocraties occidentales, il n'existe pas de fichier central biométrique de la population.
En réalité, derrière cette apparence de technicité, nous divergeons sur les deux notions que sont l'authentification et l'identification. Un dispositif biométrique à finalité d'authentification ne vise qu'à s'assurer que la personne interrogée est bien celle qu'elle prétend être. Dans ce cas, les caractéristiques biométriques peuvent être stockées simplement sur une puce électronique, aucun fichier n'étant nécessaire. C'est ce que demandait le règlement européen sur les passeports, et c'est ce que préconisait la CNIL.
Mais, selon une autre conception, un dispositif à finalité d'identification devrait permettre de retrouver l'identité civile d'un sujet inconnu. Cette lecture impliquerait la création d'une seule base regroupant toutes les données, sans lien crypté entre les différentes données. C'est ce qui vous conduit à affirmer que toute autre solution technique que celle qui a votre préférence empêcherait de confondre et d'arrêter l'usurpateur, faute de pouvoir l'identifier avec certitude par ses seules empreintes. Ce n'est pas une simple divergence de vocabulaire, mais une différence de conception, selon qu'on recherche l'authentification ou l'identification.
C'est parce que nous voulons rester fidèles à l'esprit de la proposition de loi adoptée par les sénateurs que nous faisons le choix de l'authentification. Aussi, il est indispensable d'élever des barrières étanches afin d'encadrer l'utilisation de la biométrie. Or personne ne peut mieux que nous témoigner que les garanties juridiques, aussi solides et sincères soient-elles, ne sont jamais définitives ni absolues. Ce n'est pas être pessimiste que de rappeler que ce qu'une loi a fait, une loi peut le défaire, que le droit seul ne suffit pas à résister. Il faut donc imaginer, en plus du droit, des réponses techniques irréversibles interdisant les tentations d'utiliser des données biométriques personnelles qui sont, elles, intangibles, immuables, inaltérables. Poser aujourd'hui un verrou qui restera fermé demain, c'est un moyen pragmatique d'écarter tout risque éventuel. Nous avons l'humilité de reconnaître que le droit peut être changé, et nous préférons donc prévoir des modalités techniques, matérielles.
Ce fichier sera l'un des plus sensibles qui soit. Il va en effet concerner la totalité de la population : pas seulement les personnes majeures, mais tous ceux qui sont titulaires d'une carte d'identité, qu'ils aient moins ou plus de dix-huit ans. Le rapporteur du Sénat expliquait d'ailleurs que 60 millions de Français pourraient être dans ce fichier de données biométriques.
Il est donc absolument nécessaire de s'entourer des dispositifs de sécurité les plus exigeants. N'est-il pas préférable, pour la sécurité des Français, que le fichier soit conçu sur le modèle du lien faible plutôt que sur celui du lien fort ? Qu'adviendrait-il si, dans quelques années, des pirates accédaient à la base dans laquelle seront consignés, de manière univoque, l'état civil, le visage, les empreintes digitales, l'adresse de tous les Français ?
Acceptez-vous de prendre ce risque ? Oseriez-vous dire qu'il n'existe pas ? Vous pouvez d'autant moins le dire que, dans sa note d'observation du 25 octobre 2011, la Commission nationale de l'informatique et des libertés a souligné que ce fichier était d'autant plus vulnérable qu'il serait « convoité », susceptible d'utilisations multiples, parce qu'il est de grande dimension et qu'il contiendra des informations sensibles, comme, justement, des données biométriques.
Le 14 décembre dernier, le sénateur Lecerf, auteur de la proposition de loi, a interrogé la présidente de la CNIL, Mme Isabelle Falque-Pierrotin qui, à propos du texte tel qu'il est aujourd'hui rédigé, a dit : « La CNIL est inquiète : les restrictions juridiques seront toujours moins efficaces que les restrictions techniques qui rendent impossible l'utilisation de la base à des fins détournées ». Voilà pourquoi nous partageons la vision du Sénat – et je ne parle pas du Sénat d'après le changement de majorité, mais du Sénat d'avant. Du reste, au Sénat, le rapporteur du texte est le même depuis deux ans. La majorité du Sénat a changé, mais le texte du Sénat est le même. La Chambre haute et la majorité de cette assemblée font l'une et l'autre preuve de constance. Je ne vois pas pourquoi la constance du Sénat serait du dogmatisme, alors que celle de l'Assemblée nationale serait du réalisme.
Nous pensons que les garanties matérielles apportées par le Sénat sont pertinentes. Non seulement elles n'altèrent pas l'intérêt du texte, mais elles préservent mieux les libertés individuelles. Les différents amendements que vous avez proposés au fil des lectures n'ont fait que nous conforter dans notre conviction. Le texte qui sera soumis au vote mardi prochain et que nous combattons déborde sensiblement l'objectif initial des sénateurs, c'est-à-dire le cadre strict de l'usurpation d'identité. La liste des infractions pour lesquelles la consultation de ce fichier sera autorisée ne devait à l'origine porter que sur les atteintes à la fraude à l'identité. Aujourd'hui, on pourra parfaitement modifier la finalité du fichier. Il suffira par exemple de se référer à l'article 313-1 du code pénal qui concerne « l'escroquerie par manoeuvre frauduleuse ». Il n'y a pas là d'usurpation d'identité : on pourra pourtant, dans ce cas, utiliser l'accès au fichier.
Et je ne reviens pas, monsieur le rapporteur, sur votre amendement autorisant l'emploi du fichier pour identifier un cadavre par ses empreintes digitales, ce qui n'a rien à voir avec l'esprit de la proposition de loi.
Pour que le fichier soit définitivement détourné de son but premier, il suffirait, comme l'a relevé le rapporteur du Sénat, François Pillet, le 21 février dernier, de supprimer, dans une énième loi de simplification du droit, la dernière phrase du dernier alinéa de l'article 55-1 du code de procédure pénale, dans la rédaction proposée par notre assemblée, ou d'ajouter de nouveaux articles à la longue énumération déjà présente dans le même code.
On le constate, la voie est ouverte à d'autres empiétements afin d'étendre peu à peu le périmètre de l'utilisation du fichier central biométrique de la population française.
De notre point de vue, une telle imprécision pose inévitablement la question de la constitutionnalité du dispositif.
En effet, aux termes de la Constitution, c'est bien au législateur qu'il appartient de définir avec précision les garanties légales nécessaires à l'exercice ou à la protection des libertés individuelles.
Or, comme l'écrit encore la CNIL, la proportionnalité de la conservation sous forme centralisée de données biométriques, au regard de l'objectif légitime de lutte contre la fraude à l'identité, n'est pas à ce jour démontrée.
Nous ne pensons pas, pour notre part, que la lutte contre l'usurpation d'identité puisse justifier la mise en place d'un instrument aussi puissant que le fichier que vous prônez.
C'est la raison pour laquelle nous vous convions à rejeter ce texte en adoptant notre motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Éric Ciotti pour une explication de vote au nom du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, naturellement, le groupe UMP votera contre cette motion de rejet. D'une façon assez classique, le groupe socialiste nie le problème auquel nous voulons apporter une solution pragmatique, celui de l'usurpation d'identité.
Monsieur Urvoas, l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales a souligné l'importance de l'augmentation de ce phénomène, puisqu'il y a eu, de 2005 à 2010, 52 761 signalements pour usurpation d'identité, soit une augmentation de près de 110 % en cinq ans.
Vous avez conclu votre propos en disant que la lutte contre l'usurpation d'identité ne justifiait pas le dispositif que nous mettons en place. Nous avons échangé des arguments et vous avez rappelé vous-même que c'est la cinquième fois que ce texte vient en discussion. C'est un texte important car la lutte contre ce phénomène est une priorité qui devrait tous nous mobiliser.
Nous avons une divergence de fond et elle subsiste ; je veux parler de la différence entre lien fort et lien faible. La technique du lien faible, que vous prônez, a une spécificité : il sera impossible de retrouver l'usurpateur d'identité. C'est un véritable paradoxe ! Comment lutter contre un phénomène si l'on ne peut pas rechercher ceux qui en sont à l'origine ?
Comme l'ont rappelé M. le ministre et M. le rapporteur, nous avons une position totalement inverse, et assortie de toutes les garanties juridiques pour protéger les libertés. Car nous sommes, autant que vous, soucieux de protéger les libertés individuelles. Les évolutions au fil de la navette parlementaire ont permis, grâce à l'intervention de M. le rapporteur – dont je salue le travail – d'améliorer le texte. Aujourd'hui, il faut le voter. Je regrette que l'opposition contribue, une fois de plus, avec la majorité sénatoriale, à retarder l'application d'un texte utile et attendu par les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Serge Blisko pour une explication de vote au nom du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est la cinquième fois que nous examinons ce texte et, une fois encore, nous allons constater que nous ne sommes pas d'accord, notamment sur l'article 5. Je le sais d'avance – mais il n'est pas de mauvais combat –, l'Assemblée ayant le dernier mot, vous remporterez cette bataille préjudiciable aux libertés publiques.
M. Urvoas l'a parfaitement démontré, une chose est de protéger nos concitoyens contre le délit d'usurpation d'identité qui, nous le savons tous, peut causer de graves préjudices. Une autre est de mettre en oeuvre un grand fichier rassemblant les données biométriques de 50 millions de Français. Là encore, je vous renvoie à l'excellente démonstration de Jean-Jacques Urvoas.
Ce n'est certainement pas la réponse la plus adéquate à l'usurpation d'identité. Il y a eu un « détournement » de texte tout au long de ces deux années pendant lesquelles ont travaillé sénateurs et députés. Vous le savez, monsieur le ministre, car vous ne prononcez que du bout des lèvres le mot « fichier », auquel vous préférez celui de « base ». Pour vous, le fichage généralisé de 50 millions de Français contenant des informations très personnelles, voire intimes, c'est une « base » ! Je trouve le terme un peu hypocrite…
L'usurpation d'identité n'était qu'un prétexte sur lequel vous avez bondi pour créer ce fameux « fichier des gens honnêtes » – qui n'existe pas chez nous, car notre pays s'en est toujours gardé –, pour reprendre l'excellente expression de notre collègue, le sénateur Pillet.
Nous nous orientons donc, ce soir, vers la création d'un fichier informatique et biométrique. Si la CNIL a été créée il y a plus de trente ans, c'est bien que les fichiers informatiques, et plus particulièrement leur utilisation et la facilité de pénétrer à l'intérieur de ces fichiers, présentent des dangers pour les libertés publiques et individuelles – en outre, plus les fichiers sont gros, importants, plus ils sont consultés et plus ils sont faciles à pénétrer.
Nos données biométriques, notre intimité la plus personnelle, seront accessibles sur réquisition judiciaire aux services de police et de gendarmerie. Il faut espérer – c'est le pari que vous prenez, mais nous ne vous suivons pas – qu'un autre ministre de l'intérieur ne souhaite pas un jour y intégrer d'autres données, génétiques ou médicales par exemple.
C'est un pari que je ne veux pas prendre ! Ce qu'un ministre fait, un autre ministre peut le faire. Demain, un gouvernement mal intentionné peut effectivement y introduire des données beaucoup plus personnelles. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Le fichier des HLM de Paris ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Mes chers collègues, vous le savez, nous n'approuvons pas la moindre mention de cette sorte dans un fichier, que ce soit un fichier HLM ou un autre fichier.
Mais vous n'avez pas su résister à cette tentation, ou plus exactement refréner son utilisation, puisque, avant même sa naissance, vous avez décidé d'étendre la consultation de ce fichier par l'autorité policière pour des délits mineurs qui n'ont rien à voir avec l'usurpation d'identité, comme le franchissement illicite d'un portillon dans le métro ! – il s'agit de l'article 5, alinéa 10.
Pour toutes ces raisons, je vous demande de rejoindre la formidable analyse de Jean-Jacques Urvoas en votant sa motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
(La motion de rejet préalable n'est pas adoptée.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de débats intenses et après avoir constaté les positions irréconciliables de nos deux assemblées sur ce sujet, la proposition de loi relative à la protection de l'identité est aujourd'hui soumise à notre examen en lecture définitive. Conformément à la Constitution, la représentation nationale a le dernier mot.
Au cours des lectures successives, nous avons tous décrit le phénomène de l'usurpation d'identité comme un enjeu de sécurité majeur pour notre société. Comme l'a rappelé Éric Ciotti, ce fléau fait chaque année près de 200 000 victimes, et les conséquences sur le quotidien de ces personnes sont souvent désastreuses. Il était donc du devoir du Parlement de régler ce problème.
La présente proposition de loi prévoit de créer une base, un fichier central – les deux termes se rejoignent – contenant l'ensemble des données requises pour la délivrance du passeport et de la carte nationale d'identité.
Malgré le relatif consensus qui nous rassemble sur l'objectif de ce texte, l'architecture du fichier central, point essentiel et coeur de la réforme, continue de nous opposer de part et d'autre de l'hémicycle.
Une question demeure : doit-on retenir la technique du lien fort, qui permet d'associer une identité à des éléments biométriques, ou celle du lien faible, qui empêche le croisement des données biographiques et biométriques d'une personne ?
Cette question touche à l'idée même que nous nous faisons de l'adéquation entre la préservation de la sécurité, mission régalienne de l'État, et les moyens que nous souhaitons mettre en place pour y parvenir. En d'autres termes, il s'agit de concilier la nécessaire protection de la société avec les droits et libertés fondamentaux dont chacun de nos concitoyens est en droit d'exiger le respect.
Ainsi que nous l'avons démontré tout au long de cette législature, la sécurité reste la première des libertés. Pour autant, le souci des libertés individuelles ne se trouve pas d'un seul côté de l'hémicycle. Elle n'est pas le monopole de quelques bien-pensants. Nous attachons tous, dans cet hémicycle, la même importance à cette exigence.
En retenant la technique du lien fort, l'Assemblée a fait le choix de l'équilibre et de l'efficacité.
Le choix de l'équilibre, d'abord, car elle a su modifier le texte, au cours des différentes lectures, en fonction des craintes qu'avait pu susciter la création de ce fichier et en prenant en compte certaines recommandations de la CNIL et du Conseil d'État.
Contrairement à ce que prétend Jean-Jacques Urvoas, notre assemblée a su entourer le dispositif initialement prévu des garanties juridiques nécessaires en plaçant la consultation du fichier biométrique sous le contrôle d'un magistrat. Votre argumentation, cher collègue, montre que vous ne faites confiance ni à la loi ni aux magistrats de notre pays pour en respecter les termes et l'esprit. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Par ailleurs, la reconnaissance faciale a été écartée du dispositif. La commission des lois a tenu compte de la décision du Conseil d'État en précisant que seules deux empreintes digitales seraient recueillies pour alimenter la base centrale.
Le choix de l'efficacité a été fait, car la commission a retenu la technique du lien fort, seul procédé véritablement à même d'identifier l'usurpateur, et donc, de lutter effectivement contre l'usurpation d'identité. À quoi servirait de constater des infractions si l'on ne pouvait en identifier les auteurs ?
La rédaction de l'article 5 retenue par le Sénat prive la proposition de loi de son sens et de son objectif initial : comment, en effet, éviter à nos concitoyens de se trouver dépossédés de leur identité s'il est impossible d'identifier les fraudeurs ?
Enfin, notre assemblée a complété le texte en permettant, lors de catastrophes collectives ou naturelles, de procéder à l'identification des corps des victimes, dans l'intérêt des familles. Je ne vois pas dans cette disposition un motif d'inquiétude concernant le respect des libertés fondamentales.
Toutes les garanties qui s'imposaient ont donc été introduites dans ce texte sans pour autant altérer l'efficacité du dispositif retenu.
Nous devons concilier le respect des droits et libertés fondamentaux de nos concitoyens avec la nécessité pour nos services de police ou de renseignement de disposer d'outils, de répertoires de données leur permettant de remplir efficacement leur mission. La présente proposition de loi, fidèle à ces exigences, recueillera l'adhésion du groupe Nouveau Centre. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de cinq lectures, le Gouvernement aura donc, jusqu'au bout, campé sur ses positions et refusé d'assortir la création du fichier biométrique, comprenant la quasi-totalité de la population française, de garanties absolues et irréversibles. En dépit des risques liberticides, le Gouvernement et sa majorité dans cette Assemblée sont ainsi revenus au système du lien fort, établissant une corrélation univoque entre les données d'état civil d'un individu et ses données biométriques enregistrées dans le fichier central.
Certes, la position initiale s'est un peu assouplie et certaines garanties ont été associées au dispositif du lien fort afin de réserver l'usage de la base centrale à la seule lutte contre l'usurpation d'identité, mais, à vrai dire, ces garanties légales, loin d'être suffisantes, ne permettent pas d'apaiser nos inquiétudes.
D'une part, elles peuvent être levées facilement, comme nous en avons l'exemple avec le fichier national automatisé des empreintes génétiques ou avec le système de traitement des infractions constatées. À cet égard, la CNIL, qui considère que la création d'une base centrale est disproportionnée au regard de l'objectif visé, s'est inquiétée, par la voix de sa présidente, du choix de réduire, par la loi, les finalités d'accès à la base. Nous savons qu'une fois un fichier constitué, il est toujours possible d'étendre ses finalités de consultation. Les restrictions juridiques seront toujours moins efficaces que les restrictions techniques qui rendent impossible l'utilisation de la base à des fins détournées.
D'autre part, la liste des infractions concernées par le dispositif proposé est longue et dépasse largement le cadre strict de l'usurpation d'identité. Il suffit de constater que l'article 5 du texte se réfère explicitement à des dispositions d'ordre pénal pour comprendre que la finalité du fichier n'est pas simplement administrative.
L'ampleur des recherches qui pourront être menées à partir de ce fichier est très large et pourra toujours, dans l'avenir, être étendue par voie législative.
Je rappelle enfin qu'en Europe, si plus de douze pays ont adopté une carte nationale d'identité électronique, peu de pays prévoient, en revanche, l'inclusion de données biométriques, et presque aucun la mise en place d'un fichier central. L'Allemagne refuse tout fichier central biométrique par principe, tandis que le Royaume-Uni et la Belgique ont refusé sa mise en place. Quant aux Pays-Bas, son gouvernement a décidé que les six millions d'empreintes digitales enregistrées dans une base centrale dans le cadre du passeport biométrique seraient toutes effacées. Pour notre part, nous contestons la création même de ce type de fichier centralisé, qu'il soit utilisé à des fins de gestion administrative ou de police judiciaire, et nous le considérons comme fondamentalement dangereux pour les libertés publiques.
C'est pour toutes ces raisons que le groupe GDR se prononcera, une nouvelle fois, résolument contre ce texte.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui en lecture définitive, visant à mieux protéger l'identité, est un texte particulièrement important. Il vise tout d'abord à assurer une fiabilité maximale aux cartes nationales d'identité au moyen d'une puce « régalienne » qu'elles comporteraient, dans le but de lutter efficacement contre l'usurpation d'identité. Il vise également à sécuriser les échanges électroniques administratifs et commerciaux en proposant, aux citoyens qui le souhaitent, une puce de « services électroniques » distincte sur le même titre d'identité.
Aujourd'hui, personne ne peut contester – à part vous peut-être – la nécessité absolue de lutter contre ce fléau que constitue l'usurpation d'identité – un fléau qui touche chaque année plusieurs milliers de nos concitoyens, dont la vie est bouleversée du jour au lendemain, en provoquant non seulement un préjudice moral mais encore des préjudices économiques ou sociaux. L'usurpation d'identité donne le plus souvent lieu à l'escroquerie bancaire, la fraude aux prestations sociales, l'entrée et le séjour illégal sur le territoire français, le crime organisé, voire les actes de terrorisme. Outre le traumatisme pour la victime, dont la vie quotidienne se trouve bouleversée par le vol de son identité, c'est la société dans son ensemble qui en pâtit.
Pour tenter d'y mettre fin, la loi du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure a créé une infraction propre à l'usurpation de l'identité, qui figure désormais dans le code pénal.
Pourtant, malgré les moyens existants, la fraude à l'identité persiste et prend de l'ampleur en raison de la faiblesse de certains maillons de la chaîne de l'identité. Rien qu'en 2009, 13 900 fraudes documentaires et à l'identité ont été recensées.
Il est ainsi apparu nécessaire de renforcer les moyens de détection des faux documents et d'apporter des garanties solides de sécurité à l'occasion de la délivrance des documents d'identité.
C'est la raison pour laquelle ce texte entend passer à un niveau supérieur de sécurisation de l'identité à travers deux types de mesures : la généralisation de la mise en oeuvre des technologies biométriques, et la constitution d'un fichier central biométrique des cartes nationales d'identité et des passeports.
Lors des lectures précédentes de cette proposition de loi, nous étions parvenus à un texte juste et équilibré, permettant de combiner efficacement lutte contre l'usurpation d'identité et strict respect des libertés fondamentales auxquelles nous sommes tous, naturellement, fondamentalement attachés. Ce texte entourait l'établissement d'un lien fort entre données biométriques et données d'état civil au sein de la base TES – titres électroniques sécurisés – de toutes les garanties légales nécessaires.
Mes chers collègues, le seul moyen de protéger les victimes des usurpations d'identité passe par l'identification des usurpateurs. C'est évident. Or, la technique du lien faible ne le permet pas, car elle rend tout simplement impossible l'établissement d'un lien ténu et unique entre l'identité civile d'une personne et ses empreintes digitales – je dis bien digitales, monsieur Urvoas !
Ainsi, cette technique présente une très faible fiabilité : la preuve en est le fait qu'elle n'a été mise en place dans aucun pays au monde. C'est la raison pour laquelle nous avions opté assez naturellement pour l'établissement de la technique, dite de lien fort sur proposition de M. le rapporteur, qui a réalisé un remarquable travail, que je salue.
Pour répondre aux inquiétudes parfois suscitées par la création de ce fichier sur le plan des libertés publiques, le rapporteur avait prévu la mise en place des garanties légales supplémentaires lors de la deuxième lecture. Telle est la position cohérente, équilibrée, à laquelle nous étions parvenus et qui prenait en compte les interrogations, voire les inquiétudes des uns et des autres.
Face à cela, le Sénat, dans une posture devenue, hélas, assez classique, a préféré faire preuve de dogmatisme et d'obstination.
Car si nous sommes ici, c'est parce que les sénateurs de la majorité socialiste ont, une fois de plus, souhaité revenir sur ces équilibres trouvés par notre Assemblée. Le désaccord sur le coeur de la proposition constaté lors des précédentes lectures demeure. C'est donc à notre Assemblée, comme nous y invite la Constitution, que revient le dernier mot.
Par simple idéologie, et au détriment de l'intérêt général, les sénateurs de la majorité sénatoriale ont fait le choix de nous retarder alors qu'ils savaient pertinemment que nous ne pourrions accepter leur position en l'état. Depuis que la majorité sénatoriale a changé, la Haute Assemblée s'est transformée en un mini-laboratoire des catastrophes qui tomberaient sur la France, notamment en matière de justice et de sécurité si, par malheur, la gauche venait aux responsabilités. Il est toujours utile et intéressant de regarder ce qui se vote et ce qui se dit au Sénat. Cela éclairera opportunément les Français. La sénatrice socialiste Virginie Klès affirmait il y a quelques jours dans une interview : « Si François Hollande est élu, il entendra nos arguments contre le lien fort ». Cela a au moins le mérite de révéler à nos concitoyens, et plus particulièrement à ceux qui ont été victimes d'une usurpation d'identité, ce qui les attend si cette sombre perspective venait à se réaliser – ce qui, naturellement, ne sera pas le cas.
Mes chers collègues, la version de la proposition de loi à laquelle l'Assemblée nationale est parvenue lors de la dernière lecture permettait d'inscrire dans notre droit les moyens de protéger véritablement l'identité de nos concitoyens sans porter atteinte à leurs libertés fondamentales. C'était l'objectif du Gouvernement – vous vous l'avez rappelé, monsieur le ministre de l'intérieur – un objectif que je salue.
C'est la raison pour laquelle le groupe UMP votera ce texte dans sa version précédemment adoptée par notre Assemblée, qui constitue un ensemble cohérent, équilibré et respectueux de nos libertés. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Mes chers collègues, au terme de cette cinquième lecture, on peut dire que chacun aura été constant dans ses positions. Je retiendrai surtout les qualificatifs de nos excellents collègues Éric Ciotti et Pascal Brindeau quant au texte « juste, équilibré et efficace » que constitue cette proposition de loi, sur laquelle vous êtes amenés à vous prononcer.
Je regrette sincèrement, alors que certains éléments étaient acceptés sur tous les bancs de cet hémicycle, notamment le principe d'une base centrale, qu'une partie de nos collègues n'aient pas voulu donner à ce texte l'efficacité qu'il requiert. De notre côté, par des avancées et propositions nouvelles, tant du Gouvernement que de l'Assemblée, nous avons obtenu un texte à la fois protecteur des libertés individuelles et efficace – car c'est aussi l'objectif de ce texte.
Si le système proposé par la gauche et la majorité sénatoriale permet effectivement d'authentifier la fraude – de savoir qu'il y a eu fraude –, il ne permet pas d'identifier le fraudeur sans enquêtes de police, enquêtes au demeurant très intrusives dans la vie des individus, et très nombreuses de surcroît en vue d'essayer de déterminer celui qui a fraudé.
En raison du lien univoque que permet la base de donnée à lien fort, il est possible d'identifier immédiatement le fraudeur et de le traduire ainsi en justice ; a contrario, avec un fichier à lien faible, si l'usurpateur est le premier à se faire recenser, il sera absolument impossible de le confondre.
Pour revenir sur les propos de M. Urvoas, la proposition de loi initiale de nos collègues Houel et Lecerf établissait le lien fort. Ce n'est que parce que le rapporteur du Sénat a modifié cette position et a fait voter un amendement en ce sens que nous sommes revenus au lien faible. Pourtant, au départ, le rapporteur, lui-même auteur d'un rapport reconnu par tous sur la fraude identitaire, avait prévu que ce dispositif soit assorti d'une grande efficacité.
Le législateur doit aujourd'hui créer le droit et, même si nous créons le droit ici et que nous ne nous réfugions pas uniquement derrière des dispositions techniques, des garanties techniques nombreuses, qui sont aussi dans ce texte, permettront de protéger les libertés individuelles tout en assurant l'efficacité du texte : l'accès restreint, la traçabilité, la segmentation des données, la sécurité dans les transmissions. Ces garanties techniques viennent s'ajouter aux garanties juridiques et légales que nous avons amenées dans ce texte, dont la restriction de l'utilisation du fichier aux seuls cas d'usurpation d'identité et d'identification de corps – et c'est cela l'élément de modification important par rapport au texte d'origine.
Un dernier mot concernant la CNIL, dont il a beaucoup été question lors cette cinquième lecture.
Tout d'abord, un décret en Conseil d'État, pris après avis de la CNIL, viendra réglementer le fichier.
Mais, surtout, la CNIL a admis que le traitement sous une forme automatisée et centralisée de données biométriques pouvait être admis, à condition que des exigences en matière de sécurité ou d'ordre public le justifient, ce qui est le cas, on ne peut pas le nier, avec ce texte. Vous avez vous-même reconnu l'importance de lutter contre la fraude identitaire, et les réserves qu'a émises la CNIL concernant la proportionnalité du traitement envisagé ont trouvé une réponse dans le dispositif que nous proposons.
La CNIL réclamait des sécurités supplémentaires en matière d'accès à la base. Satisfaction lui a été donnée, puisque l'accès ne sera possible que sur réquisition judiciaire, au cas par cas, sous le contrôle d'un magistrat, pour les enquêtes d'usurpation et l'identification de cadavres de catastrophes collectives.
La CNIL réclamait l'abaissement du nombre d'empreintes conservées dans la base. Il a été retenu le chiffre de deux au lieu de huit.
La CNIL réclamait une procédure de fiabilisation des documents d'état civil des demandeurs. Le texte apporte une réponse dans son article 4, qui n'est d'ailleurs plus en discussion.
La CNIL souhaitait que la loi prévoie expressément l'interdiction de toute interconnexion avec un traitement de données à caractère personnel. Le dispositif répond à cette attente, en excluant expressément toute interconnexion des données digitales et faciales.
La CNIL souhaitait que soit expressément exclue la reconnaissance faciale. C'est ce qui a été retenu.
Enfin, la CNIL souhaitait que soit bien rappelé le caractère facultatif de la puce dite de « service ». Il n'en a pas été question aujourd'hui, mais cela a également été intégré.
J'ai essayé de vous démontrer une cinquième et dernière fois, je ne suis pas sûr d'y être parvenu, en tout cas j'aurai tout tenté, que ce texte est à la fois protecteur des libertés, utile et efficace pour lutter contre la fraude identitaire.
J'appelle maintenant, conformément au troisième alinéa de l'article 114 du règlement, la proposition de loi dans le texte adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.
Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble de la proposition de loi auront lieu le mardi 6 mars après les questions au Gouvernement.
La séance est suspendue.
Discussion générale
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures vingt.)
L'ordre du jour appelle la discussion, en lecture définitive, de la proposition de loi relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives (nos 4367, 4397).
La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation.
Monsieur le président, cher président Jean-Luc Warsmann, cher rapporteur Étienne Blanc, mesdames et messieurs les députés, c'est avec une certaine émotion que je me présente aujourd'hui devant vous.
Après tant de travaux préparatoires, de discussions parlementaires animées, nous arrivons enfin à l'aboutissement d'un processus riche durant lequel nous avons oeuvré, main dans la main, avec Jean-Luc Warsmann mais également, c'est une première, avec les entreprises et je veux rendre ici hommage à Jean-Michel Aulas. Parlement, Gouvernement, entreprises ont travaillé pour aboutir à un texte de simplification qui ne se contente pas de reprendre, une fois de plus, ce qu'il y a dans les tiroirs de l'administration, mais qui répond point par point aux attentes des entrepreneurs de ce pays, c'est-à-dire avant tout des artisans, des très petites entreprises qui n'en peuvent plus de la complexité administrative.
Quand on sait que les acteurs économiques passent, en moyenne, cinquante jours ouvrés à remplir de la paperasse, que cela coûte, c'est l'OCDE qui le dit, entre 3 % et 4 % du PIB, que le classement international nous place au 116e rang mondial sur 142 alors que nous sommes la cinquième puissance économique du monde, on doit en conclure qu'il était temps de se lancer dans cette démarche.
Le Président de la République a voulu, dès son élection en 2007, s'attaquer à cette question de la simplification. Il a commencé par faire la RGPP parce que, avant de simplifier de bas en haut comme nous l'avons entrepris, il fallait d'abord réorganiser et simplifier l'administration française.
C'est tout sauf un démantèlement…
…puisque les ratios en termes d'efficacité se sont améliorés.
Cette première étape a été réussie, à plusieurs titres. Mais, dans le même temps, on se donne les moyens enfin de simplifier la vie de nos compatriotes acteurs économiques grâce à des mesures qui étaient plébiscitées, attendues, que nous avons été chercher non pas, je le répète, dans les tiroirs de l'administration mais dans les entrepôts, les boutiques, chez les commerçants, les artisans.
C'est justement parce que je l'écoute, monsieur le président, que je suis obligé de réagir.
Ce sont leurs propositions qui sont devenues nos décisions et cela a été chiffré, monsieur Mallot.
Cela équivaut, selon le cabinet Ernst and Young, à un milliard d'euros rendus aux acteurs économiques. Dans cette période de crise multiforme, répétitive, que nous vivons depuis quatre ans, ceux-ci attendent des décisions en la matière.
Ce que nous faisons dans cette proposition de loi, cher Jean-Luc Warsmann, sur des points très précis.
Par exemple, nous mettons en place l'armoire sécurisée numérique.
Tous les chefs d'entreprise l'espéraient, eux qui remplissent, en moyenne, soixante-dix déclarations par an dans lesquelles ils donnent les mêmes informations sur leurs entreprises. Que de temps perdu ! Que de gâchis ! Avec cette armoire sécurisée numérique, et je veux ici remercier René Ricol, qui me permet, avec les investissements d'avenir, de la financer, les acteurs économiques n'auront plus à donner des informations sur leur entreprise qu'une fois par an.
Le bulletin de paie, il n'y a pas un chef d'entreprise que nous rencontrons en France qui ne nous en parle. Les salariés non plus n'y comprennent rien. La complexité du bulletin de paie est dénoncée par tous. M. François Hollande, qui est, je crois, un candidat que vous soutenez, monsieur Mallot,…
…interrogé sur TF1 par un chef d'entreprise sur ce qu'il comptait faire en matière de simplification, a répondu : « ça a été tellement promis, j'ai tellement entendu que la simplification allait se faire, pour la création d'entreprise, pour l'accès au crédit, pour l'émission du bulletin de paie. Or je constate que ce n'est pas le cas. » L'entrepreneur, à qui M. Hollande parlait d'informatique, a alors plus précisément évoqué le bulletin de paie. Et M. Hollande de répondre que les employeurs, les entrepreneurs, et les agriculteurs, avaient autre chose à faire que de faire de l'administratif.
Il a poursuivi en disant que, pour simplifier ces tâches-là, on pourrait faire des groupements d'employeurs pour gérer le personnel et les procédures administratives, et de conclure : « Tout sera encouragé parce que, moi, je ne veux pas que ceux qui sont là pour créer, fassent autre chose que de créer. »
Malheureusement, sur ce sujet, comme sur les autres, M. Hollande tient un double langage.
En effet, alors que M. Hollande défend ce point de vue à un chef d'entreprise à TF1 en direct, devant des millions de téléspectateurs – pas autant que d'habitude, mais des millions quand même –, dans le même temps il demande au groupe socialiste et à M. Ayrault de déposer une motion de rejet sur le texte de simplification que présente le Gouvernement.
Texte qui justement, sur le bulletin de paie et la complexité de la paperasse, apporte les réponses attendues par nos compatriotes.
Je le dis avec force, c'est indigne, de la part de M. Hollande, de dire à ce point des choses différentes. Certes, il nous avait habitués avec son interview à The Guardian. Après nous avoir doctement expliqué que son ennemi était la finance, il s'est repris devant les Anglais, en disant que, pendant les années Jospin, le pouvoir socialiste avait été là pour aider et développer la finance, et qu'il ne voulait aucun mal à la finance.
On retrouve malheureusement ce double langage porté jusqu'à la caricature dans ce débat sur la simplification.
Ce n'est pas bien, et j'espère que les députés de gauche présents sur ces bancs suivront le M. Hollande de la télévision et ne voteront pas la motion qu'ils présentent. Ils montreraient ainsi qu'ils ont le sens de l'intérêt général.
Car, je le répète, les dispositions que nous vous proposons de voter ne sont ni de droite ni de gauche ; elles sont réclamées par tous les acteurs économiques.
Croyez-moi, je n'ai jamais demandé à ceux que j'ai rencontrés lors des assises de la simplification ou au cours des trois déplacements hebdomadaires que j'effectue sur le terrain, dans vos circonscriptions, souvent d'ailleurs accompagné d'élus de gauche, s'ils votaient pour les socialistes ou pour l'UMP. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Ce sont des acteurs économiques qui ne veulent qu'une seule chose : qu'on leur simplifie la vie.
Il est temps que le parti socialiste en finisse avec une attitude qui s'apparente à de la démission face à la complexité administrative qu'ont à supporter les acteurs économiques, et je demande solennellement à M. Mallot de se conformer aux propos tenus par M. Hollande sur TF1 et de bien vouloir retirer la motion de rejet déposée par le groupe socialiste.
Ce serait faire oeuvre utile pour nos compatriotes, qu'ils soient de droite ou de gauche, qui se battent contre la crise et sont des acteurs essentiels pour la croissance de notre pays et l'emploi de nos enfants. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Étienne Blanc, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, une nouvelle fois, le Sénat, hélas, a refusé de s'associer à la démarche de simplification du droit qui a pourtant été l'un des principaux fils conducteurs de l'action de la commission des lois, tout au long de cette treizième législature.
Plutôt que de contribuer à enrichir la présente proposition de loi, en l'examinant au fond et en l'amendant, la majorité sénatoriale a choisi, en nouvelle lecture, d'adopter la question préalable présentée en séance publique par M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois du Sénat, et de rejeter ainsi le texte dans son ensemble, comme elle l'avait fait en première lecture.
On ne peut que le regretter, et ce pour trois raisons. D'abord parce que, derrière la simplification et la clarification de nos lois, c'est la compétitivité de notre pays vis-à-vis de ses principaux partenaires qui est en jeu. Nous sommes un certain nombre ici à être élus de zones frontalières et à être quotidiennement confrontés aux faits suivants : désormais, ce sont 380 000 de nos concitoyens qui, tous les matins, quittent la France pour travailler dans un pays voisin, tandis qu'ils ne sont que 10 000 à traverser la frontière pour venir travailler chez nous. Les flux se sont inversés en moins de trente ans, et l'une des raisons de cette inversion, c'est la baisse de la compétitivité française. Lorsque l'on interroge les entreprises qui s'installent chez nos voisins plutôt que chez nous, elles justifient ce choix en faisant état de la complexité, de la rétroactivité et de la versatilité de nos lois.
Simplifier et clarifier, c'est aussi un outil budgétaire remarquable. L'Allemagne dépense 15 % de moins que la France pour faire fonctionner sa puissance publique, et les experts savent bien que la cause de cette dérive des coûts de notre administration et de nos institutions est à chercher dans la complexité de nos lois.
Enfin, c'est une question de démocratie. Combien de fois dans nos permanences avons-nous reçu des chefs d'entreprise ou des particuliers, sanctionnés pour avoir mal appliqué un texte qui avait été mal compris ? Combien de fois avons-nous vu certains de nos concitoyens exaspérés par la masse des formalités qu'on leur imposait, sans qu'ils puissent comprendre le sens de ces procédures ?
Face à cela, et alors que c'est la huitième loi de simplification que je rapporte devant notre assemblée, la gauche nous propose l'immobilisme : ne changez rien, dit-elle, car lorsque vous touchez à quelque chose, ce n'est pas la forme que vous modifiez, mais le fond du droit !
Elle nous accuse de produire des textes disparates, compliqués, et de recourir à l'article 38, qui, selon elle, n'est pas démocratique et habilite à légiférer un gouvernement que l'on ne contrôle plus. Ne rien faire, donc, ne rien changer, ne pas bouger, dans une France à la peine en matière de compétitivité internationale : voilà ce que propose la gauche ! Le secrétaire d'État évoquait tout à l'heure les propositions de François Hollande ; il a réinventé le trou noir, le vide sidéral : aucune proposition sérieuse ni aucune proposition constructive !
J'ai été effaré de lire, dans le rapport qu'il a produit sur la proposition de loi lors de son examen en nouvelle lecture, que M. Jean-Pierre Michel se contentait de réitérer de façon peu persuasive les critiques aussi incohérentes qu'infondées émises par certains de nos collègues sénateurs au stade de la première lecture du texte, sans apporter aucune réponse constructive aux objections que j'avais soulevées dans mon rapport de janvier dernier.
Lors de l'examen de la proposition de loi en commission, le 15 février dernier, le président de la commission des lois du Sénat, M. Jean-Pierre Sueur, a lui-même reconnu qu'il aurait « eu plaisir à discuter de certains articles » pour « supprimer certaines mesures et en ajouter d'autres ». Je regrette que nous ayons privé le président de la commission des lois du Sénat de ce plaisir, les sénateurs ayant préféré couper court à la discussion en rejetant le texte. C'est à mon avis plus qu'une erreur ; c'est une faute !
La majorité sénatoriale n'étant pas venue à bout de ses propres contradictions, nous ne pouvons que faire usage du dernier mot que le Gouvernement a souhaité donner à l'Assemblée nationale, conformément au dernier alinéa de l'article 45 de la Constitution, pour surmonter ce désaccord regrettable entre les deux assemblées, alors que, sur le fond, tout aurait dû nous rassembler. Je vous propose donc que nous adoptions le texte voté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je souhaite aborder trois points qui me paraissent fondamentaux.
Je voudrais en premier lieu insister sur la manière dont nous avons travaillé pour aboutir à la proposition de loi dont nous débattons. La simplification a été l'un des fils conducteurs du travail de la commission des loi durant cette législature. En ce qui concerne précisément ce texte, une mission de six mois auprès du Premier ministre a abouti, en juillet, à un rapport rendu public, puis à une proposition de loi, soumise pour avis au Conseil d'État, lequel avis figure au rapport que, les uns et les autres, vous avez eu entre les mains. Nous avons ensuite suivi toutes les étapes de la procédure parlementaire, usant de tous les moyens que nous offrait la révision constitutionnelle de 2008.
En second lieu, je tiens à souligner que le sujet dont nous débattons est tout à fait fondamental pour la compétitivité de notre économie. Produire en France, défendre nos emplois sont des préoccupations que tous ont présentes à l'esprit, mais il faut désormais passer des mots aux actes.
Si nous voulons défendre la compétitivité de l'économie française, mes chers collègues, il est de notre devoir d'améliorer, secteur par secteur, la législation et la réglementation pour permettre aux acteurs économiques qui ont choisi de travailler, de produire, d'investir et d'embaucher en France d'y trouver des conditions d'activité favorables. C'est le coeur de notre démarche, qui consiste, sur toute une série de points que nous avons identifiés, à supprimer des formalités administratives et à raccourcir les délais pour avancer plus vite.
Certaines dispositions sont très générales et concernent tous les secteurs d'activité ; d'autres sont plus spécifiques. Parmi les dispositions phares, je citerai au premier chef la déclaration sociale nominative : nous proposons qu'à partir de 2016 il soit interdit à toute administration de réclamer à une entreprise qui crée au moins un emploi toute déclaration sociale autre que la déclaration sociale nominative. Alors qu'il existe aujourd'hui plus d'une trentaine de déclarations que l'employeur est susceptible d'avoir à remettre à l'administration, notre texte va permettre qu'il n'en subsiste qu'une, laquelle, une fois remise, fait tomber toutes les autres, la loi interdisant qu'en soient créées de nouvelles.
Cela va simplifier la vie des salariés, notamment en cas de maladie, de congé de maternité ou de paternité, puisque le calcul des indemnités journalières sera plus rapide, plus fiable, et qu'il nécessitera beaucoup moins de papiers.
Une deuxième mesure importante concerne le bulletin de paie, véritable serpent de mer… Nous nous sommes donné les moyens de le simplifier enfin, et il ne s'agit pas d'une opération cosmétique ne faisant que dissimuler, sous un affichage simplifié, des calculs toujours complexes. Une telle modification ne changerait rien, puisqu'il faudrait toujours des logiciels perfectionnés pour opérer des calculs basés sur des assiettes et des taux différents. Nous avons opté pour un processus s'étalant sur plusieurs années, ce qui laissera aux partenaires sociaux le temps de négocier les simplifications permettant d'obtenir enfin un bulletin de paie plus simple.
J'évoquerai également l'achat public, dont nous avons très longuement discuté, y compris en deuxième lecture. Notre position est claire : pour tous les achats inférieurs à 15 000 euros, les acheteurs publics se comporteront en bons pères de famille. La volonté de la représentation nationale est d'abolir toutes les pesanteurs, meilleur moyen de respecter les deniers publics et de faire preuve d'efficacité.
J'insisterai enfin sur un dernier point. Au cours de nos travaux nous avons pu constater à quel point nous avions surtransposé les directives européennes. L'adoption d'une directive européenne devrait être pour nous une bonne nouvelle, puisqu'elle signifie que l'ensemble des gouvernements de l'Union se sont entendus pour que tous les pays harmonisent leurs réglementations. Mais on observe que, dans beaucoup de domaines, non seulement nous n'avons pas su utiliser la souplesse que les directives nous autorisaient, mais que, de surcroît, nous avons parfois surtransposé, c'est-à-dire instauré des rigidités que les directives ne justifiaient pas. Les exemples sont nombreux, qu'il s'agisse du rapport de gestion des entreprises ou de mesures touchant plus spécifiquement certains secteurs.
Nous vous proposons pour finir de voter toutes une série de dispositions permettant d'alléger les conditions d'activité dans l'agriculture, l'artisanat, les transports routiers ou pour les travailleurs indépendants qui dépendent du RSI, avec tous les problèmes qui en découlent.
J'appelle donc nos collègues, sur tous les bancs, à soutenir cet effort, qui témoigne de la volonté, qui fut celle de la commission des lois durant toute la législature, de contribuer à restaurer la compétitivité de nos entreprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du Règlement.
C'est scandaleux !
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, j'ai l'honneur de défendre au nom de mon groupe une ultime motion de rejet préalable sur le texte qui nous revient en troisième lecture.
J'ai déjà rappelé à plusieurs reprises les raisons qui me font penser que ce texte, censément consacré à la simplification du droit, a un contenu dépassant largement son intitulé.
Sans revenir sur les nombreuses dispositions qu'il contient, je m'attacherai à son article 40. Dans ce cas, le terme de simplification prend un relief tout particulier : cet article vise en effet à faire sauter un verrou juridique essentiel de notre droit.
Il crée un nouvel article L. 3122-6 du code du travail, disposant que : « La mise en place d'une répartition des horaires sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l'année prévue par un accord collectif ne constitue pas une modification du contrat de travail. »
La conséquence en est que le salarié sera obligé d'accepter la modulation de son temps de travail, souvent au détriment de sa vie personnelle et familiale. S'il refuse d'accepter la modification de ses horaires, il sera licencié sans préavis et sans indemnisation. Cette disposition ne constitue pas une simplification du droit, mais au contraire une régression des droits des salariés.
Relevant, qui plus est, du champ de la négociation nationale interprofessionnelle, elle aurait dû faire l'objet d'une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives en vue de l'ouverture éventuelle d'une négociation. Pourtant, pas une seule confédération syndicale n'a été auditionnée dans le cadre du rapport préparatoire à l'examen de cette proposition de loi.
De surcroît, cet article remet en cause la jurisprudence de la Cour de cassation, qui a jugé, dans un arrêt du 28 septembre 2010, que « l'instauration d'une modulation du temps de travail constitue une modification du contrat de travail qui requiert l'accord exprès du salarié ».
Cette jurisprudence est importante, tant sur le plan juridique que sur le plan humain : une nouvelle organisation du travail peut s'avérer incompatible avec la vie familiale et personnelle de chaque salarié. Et la Cour de cassation donne à tout salarié la liberté de refuser cette modification de son contrat de travail.
Lorsqu'on connaît les conséquences des accords de modulation du temps de travail, sur l'équilibre personnel et familial des salariés, en particulier les plus vulnérables, notamment les parents célibataires obligés de travailler tard le soir ou le week-end,…
…on mesure l'étendue de cette régression et de ses effets dans les secteurs concernés que sont l'industrie, la grande distribution, l'agro-alimentaire.
Mais, au fond, cette jurisprudence fait surtout obstacle sur le plan juridique à la proposition d'accord compétitivité-emploi émise par le Président de la République.
Monsieur Warsmann a raison !
Pas du tout. Le principe qui sous-tend cet article est qu'un accord d'entreprise portant sur le temps de travail et sur la rémunération en lien avec l'emploi, peut, tout en dérogeant à la loi, s'imposer au salarié sans qu'il soit considéré comme une modification de son contrat. Cet article qui remet en cause la décision du 28 septembre 2010 de la Cour de cassation sur le rapport entre la loi et le contrat…
…constitue une application par anticipation des conséquences des accords compétitivité-emploi.
Les syndicats, lorsqu'ils l'ont découvert, ont protesté auprès du Gouvernement, considérant que cet article ouvre une brèche pour mettre en place des accords compétitivité-emploi.
Le ministre du travail et de l'emploi, dans une réponse écrite, minimise la portée de cet article et ne voit « aucune interférence avec la négociation » qui s'est ouverte le 17 février dernier.
Pourtant lors du débat sur l'emploi du 16 février, initié par notre groupe, interrogé par Alain Vidalies quant à l'incidence de l'article 40 sur la négociation engagée sur les accords compétitivité-emploi, le ministre du travail s'est dérobé et n'a pas répondu.
Il est totalement inadmissible qu'un bouleversement aussi important du code du travail…
…se fasse sans que les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives ne soient amenées au préalable à négocier.
Une nouvelle fois, la majorité et le Président de la République font état de leur profond mépris pour le dialogue social et démontrent, par leur attitude, la justesse de la proposition émise par François Hollande (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) d'inscrire dans la Constitution la garantie du respect préalable de la négociation, afin que toute loi sociale qui n'aurait pas donné lieu à une négociation avec les partenaires sociaux puisse être déclarée anticonstitutionnelle. C'est le sens d'une démocratie qui se veut respectueuse du dialogue social.
L'article 40 de cette proposition de loi est « un élément perturbateur » de la négociation qui s'est engagée le 17 février.
La CGT, FO et la CFDT, ont estimé que cet article portant sur la modulation du temps de travail interférait avec la négociation qui vient de s'ouvrir sur les accords compétitivité-emploi, dans la mesure où il permet d'imposer le contenu d'un accord collectif au contrat de travail.
La présidente du MEDEF, dirigeant la délégation patronale, a reconnu également qu'il s'agissait « d'un élément perturbateur », mais a ajouté que « cette disposition figurait toutefois déjà dans le texte de la proposition de loi depuis juillet 2011 » et que son champ était « beaucoup plus restreint » que celui des éventuels accords compétitivité-emploi. Selon elle, « il aurait été préférable qu'un tel dispositif soit inscrit dans la procédure du protocole de l'Assemblée nationale visant à saisir les partenaires sociaux en cas de proposition de loi », et elle estime que les partenaires sociaux « ne pourront pas faire l'économie du sujet abordé dans la proposition de loi Warsmann dans leurs discussions ». Il n'est jamais trop tard pour bien faire !
Mais la réalité, c'est que ces accords compétitivité-emploi n'ont d'autre objectif que de faire baisser le coût du travail. Lors de son entretien télévisé du 29 janvier 2012, le Président de la République s'est prononcé pour leur mise en oeuvre dans les entreprises par la loi si la négociation des partenaires sociaux n'aboutit pas dans les deux mois.
Selon lui, de tels accords, qui s'inspirent de l'exemple allemand, devraient permettre, dans toutes les entreprises, de négocier librement sur l'adaptation de la durée du travail et des rémunérations.
Dès le 1er février, le Premier ministre a écrit aux partenaires sociaux en vue de l'ouverture d'une éventuelle négociation qui devra être conclue dans un délai de deux mois.
Dans cette période de crise de la dette publique, et dans l'esprit du Président de la République, le maintien de la compétitivité passe obligatoirement, et avant tout, par la baisse du coût du travail,…
Il n'est pas question d'investissements compétitifs dans la recherche, la formation et l'innovation, moteurs d'une relance du développement industriel.
La seule baisse du coût du travail ne fait pas une politique industrielle.
Après « travailler plus pour gagner plus » et « travailler moins pour gagner moins », cela risque d'être « travailler davantage pour ne pas gagner plus », voire « travailler plus, tout en gagnant moins », pour au bout du compte perdre son emploi !
Le premier volet de la baisse du coût du travail, c'est la suppression des 5,4 points de cotisations patronales familiales au 1er octobre prochain, sans toucher aux cotisations salariales pour préserver le pouvoir d'achat, et sans l'assurance que le financement des prestations familiales sera maintenu au même niveau.
Le deuxième volet, c'est la baisse de la rémunération salariale contre un maintien des emplois limité dans le temps, ce que propose le Président de la République et ce que souhaite le MEDEF. Le Gouvernement considère peut-être que le chômage partiel coûte encore trop cher au budget de l'État…
Dans le cas d'accords compétitivité-emploi, c'est le salarié qui assume seul la réduction du temps de travail. Aussi y a-t-il un véritable non sens à réclamer, d'un côté, des accords de compétitivité qui reposent sur des efforts de la part des salariés, et de l'autre, à maintenir le dispositif des heures supplémentaires défiscalisées qui poussent à travailler plus. L'objectif de répartir à volonté la durée du travail est d'autant plus incongru que les entreprises disposent déjà d'un arsenal pour faire face aux variations de l'activité : modulations horaires, annualisation, chômage partiel, temps partiel, CDD, intérim, heures supplémentaires...
La recherche de compétitivité pourrait aussi s'accompagner d'un volet de « modération actionnariale », mais il est absent de cette proposition de loi et pour cause ! Comment demander aux salariés d'accepter une baisse de rémunération si les dividendes continuent à être distribués au même rythme ?
Le droit du travail en vigueur prévoit déjà des accords compétitivité-emploi. Ainsi, toute modification de la rémunération d'un salarié constitue une modification substantielle de son contrat de travail, qui requiert son accord. De même, toute modification de la durée du travail d'un salarié, dès lors qu'elle entraîne une modification de sa rémunération, constitue une modification de son contrat nécessitant son accord.
Actuellement, un employeur peut proposer, en application d'un accord collectif, des baisses de salaire à ses salariés, mais il doit, en cas de refus, envisager leur licenciement économique. Et si plus de dix salariés sont dans ce cas, il doit mettre en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi, lequel a pour effet de limiter les conséquences sociales.
Des plans de ce type sont d'ailleurs engagés chaque mois, mais généralement ils se traduisent in fine par des suppressions de postes. La proposition qui est faite par le Président de la République, associé au MEDEF, a pour objet d'imposer aux salariés des accords compétitivité-emploi et de supprimer le consentement individuel des salariés.
Cette modification aurait pour effet, en cas du refus du salarié, de remplacer le licenciement économique ouvrant droit à indemnisation par un licenciement personnel et disciplinaire, sans indemnisation.
C'est la voie vers une flexibilité accrue et la déréglementation du droit du travail, réduisant à néant les protections des salariés, mais également l'impératif de sauvegarde des activités menacées.
S'il s'agit de réduire le temps de travail et le salaire, quid de la durée légale du temps de travail, des minima conventionnels et du SMIC ?
Les exemples d'accords compétitivité-emploi sont de véritables chantages à l'emploi. J'en donne un que je connais bien, celui des Fonderies du Poitou dans la Vienne. En 2011, la direction a présenté un plan de compétitivité consistant à réduire de 23 % les rémunérations des 480 salariés, avec chantage à l'emploi en cas de refus. Après deux mois de grève, le texte a été enterré.
En Allemagne, les accords comportent des garanties solides et sont assortis d'un droit de regard des salariés sur la stratégie des entreprises, grâce au rapport de forces que crée la forte implantation des syndicats allemands.
Cette réalité syndicale qui permet une qualité de dialogue social fait défaut en France, où ce type d'accords ne fait que repousser l'échéance des suppressions d'emplois et de fermetures d'établissement.
Le risque est grand que les donneurs d'ordres imposent à leurs sous-traitants la signature de tels accords, en exerçant un chantage indirect à l'emploi.
En Allemagne, le pouvoir d'achat des salariés est gelé depuis plusieurs années et, en dehors des noyaux durs industriels, on a assisté à une montée impressionnante des emplois à temps partiel et des très bas salaires. Ces accords ne sont donc pas « gagnant-gagnant », et leur transposition en France aurait des effets récessifs, car l'activité économique y est tirée par la consommation et non, comme en Allemagne, par l'exportation.
Vous ne pouvez l'ignorer, les partenaires sociaux sont hostiles à ces accords compétitivité-emploi, même si certains sont plus enclins à accepter de négocier des accords d'entreprise majoritaires et temporaires – à condition qu'ils soient bien encadrés, et avec la stricte garantie du maintien de l'emploi.
L'article 40 constitue une interférence totalement contraire à la pratique institutionnelle qui est la nôtre, et qui consiste à laisser les partenaires sociaux discuter entre eux avant d'inscrire dans le cadre de la loi les points fondamentaux de leurs accords.
Pour cette principale et essentielle raison, je vous demande, chers collègues, de voter cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Ce n'est pas cohérent !
L'adoption de la motion de rejet est justifiée uniquement, dans le propos de son défenseur, par l'article 40 de la proposition, alors qu'elle devrait répondre à des motifs touchant au fond du texte ou à sa constitutionnalité.
Vous avez choisi, monsieur Clément, de vous concentrer sur l'article 40, comme vous l'aviez fait en seconde lecture, et vous utilisez un argument très politique,…
…à savoir une déclaration du Président de la République en faveur des accords compétitivité-emploi. Discutés cas par cas, de tels accords permettraient d'adapter le fonctionnement de chaque entreprise à sa situation économique et à son carnet de commandes.
Vous nous reprochez d'avoir anticipé sur ces accords par l'article 40 ; vous nous suspectez d'avoir été quelque peu pervers, et même d'avoir commis une véritable vilénie. (« Oh ! » sur les bancs du groupe SRC.)
La réalité est très différente : le texte dont nous discutons est bien antérieur à la déclaration du Président de la République sur les accords de compétitivité.
À l'origine de l'article 40, il y a, dès la première version de la proposition de loi, la volonté de dissiper les incertitudes qu'a pu créer un arrêt récent de la Cour de cassation selon lequel une modulation de la durée du temps de travail exige, pour s'appliquer, d'obtenir l'accord individuel de chacun des salariés concernés, nonobstant l'accord des organismes représentatifs de l'entreprise. Or, les accords de modulation du temps de travail en question font l'objet d'une discussion avec les syndicats et les représentants du personnel. La jurisprudence de la Cour de cassation va donc à l'encontre de la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, qui fait de la négociation sur la modulation du temps de travail dans l'entreprise, notamment avec les syndicats, l'une des prérogatives de l'employeur. Dans ce cadre, la détermination du temps de travail, et éventuellement sa modulation, relève d'un accord collectif ; elle n'est pas individualisée.
Aujourd'hui, vous nous reprochez de revenir sur la jurisprudence de la Cour de cassation avec les accords compétitivité-emploi.
En fait, nous ne faisons que revenir aux dispositions de la loi de 2008.
Certains de nos collègues nous critiquent parce l'article 40 prend le contre-pied de la jurisprudence de la Cour de cassation : ce reproche n'est pas fondé. À qui appartient-il de faire le droit et de poser les principes ? C'est à nous ! Lorsque le législateur considère qu'un arrêt de la Cour de cassation est contraire à ce qu'il souhaite – en l'espèce, la jurisprudence est contraire à la loi de 2008 –, il lui appartient de rappeler le droit. C'est ce que nous faisons avec l'article 40.
Vous nous dites aussi que l'article 40 sera extrêmement nuisible aux droits des salariés.
Je vous rappelle que cet article ne change rien au fait que, si un accord de modulation du temps de travail porte une atteinte excessive aux droits des salariés, il peut être sanctionné par le juge. En nouvelle lecture, vous avez évoqué le cas d'une mère de famille qui se trouverait, du fait d'un tel accord, dans l'impossibilité de garder ses enfants et dans l'obligation de recourir à un système onéreux de garde qui la mettrait en situation difficile. En l'espèce, on peut considérer qu'il s'agit d'un excès de la part de l'employeur et d'une modification substantielle du contrat de travail. Dans cette hypothèse, il y aurait une indemnité : les droits du salarié sont donc parfaitement sauvegardés.
Nous ne revenons pas sur le principe selon lequel, lorsque l'employeur modifie une condition substantielle du contrat de travail, les droits du salarié sont sauvegardés et ce dernier est indemnisé. La responsabilité de la rupture du contrat incombe alors à l'employeur. L'article 40 ne change absolument rien à cela.
En conséquence, cette motion de rejet préalable me paraît totalement infondée. En tant que rapporteur du texte, je propose qu'elle soit purement et simplement rejetée.
Le rapporteur nous dit que l'article 40 est un couteau sans lame qui a perdu son manche !
Cette motion de rejet préalable est en contradiction avec la réponse récemment apportée par François Hollande à un entrepreneur devant des millions de Français sur TF1. Ce dernier qui se plaignait et lui demandait de simplifier la vie des entreprises s'est entendu répondre : « On vous promet une simplification depuis des années ; moi, je la ferai ! »
Décidément, François Hollande est votre auteur de chevet ! Vous avez raison de vous préparer !
Et voilà que la première chose que vous faites, c'est de défendre une motion contraire à ce qui a été dit par François Hollande ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Si vous aviez été cohérents, vous auriez retiré cette motion.
Je veux aussi rétablir un certain nombre de vérités. Contrairement à ce que vous avez prétendu, les organisations syndicales ont toutes été reçues au mois de septembre par le cabinet de M. Bertrand pour discuter de l'article 40.
Il est faux d'affirmer qu'il n'y a pas eu de consultations. La réalité, que chacun peut vérifier, est que les syndicats ont été reçus et consultés par M. Xavier Bertrand.
Cet article 40 était déjà dans la proposition de loi en première lecture, même si vous ne l'aviez pas vu.
Nous le savons parfaitement, nous sommes même intervenus à l'époque ! Le secrétaire d'État dit n'importe quoi !
J'ai entendu au Sénat que l'article 40 avait été introduit subrepticement dans la nuit alors que cette disposition était dans la proposition de loi initiale. Il faut vraiment cesser de dire n'importe quoi ! Cette disposition, présente dès l'origine, a bien été soumise à l'ensemble des syndicats.
J'ajoute que son antériorité par rapport aux déclarations du Président de la République annonçant les accords compétitivité-emploi…
…invalide votre argument selon lequel ce dispositif viserait à anticiper sur les négociations en question. Je rappelle que la proposition de loi a été déposée au mois de juillet.
Je vous crois parfaitement honnêtes et j'espère vous avoir convaincus. À coup sûr, vous ne cherchiez pas à nous faire un mauvais procès et vous étiez seulement mal informés. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Compte tenu du fait que votre candidat appelle à la simplification et que, contrairement à ce qui a été dit, le dispositif de l'article 40 était bien dans le texte initial, il me semble que M. Clément peut remonter à la tribune pour annoncer qu'il retire une motion qui n'a pas lieu d'être, puisque les seuls éléments qui la fondent sont factuellement faux, et qu'elle vous met en contradiction avec votre candidat.
Monsieur le président, j'imagine que M. Clément veut annoncer le retrait d'une motion de rejet qui n'a finalement aucun sens : vous devriez lui donner la parole. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Au titre des explications de vote, la parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Je ne surprendrai personne en annonçant que nous voterons cette motion.
Si, je suis surpris !
M. Clément a bien montré à quel point vous étiez, en quelque sorte, obsédés par la compétitivité.
Vous considérez que toutes les questions qui se posent à notre pays en termes de développement industriel trouvent leurs solutions dans le coût du travail et dans la compétitivité. C'est la raison pour laquelle il y a chez vous une sorte de perversité – pour reprendre un mot employé par M. le rapporteur. Pour parvenir à vos fins, vous braquez le projecteur sur cette unique question. Et comme vous êtes d'excellents comédiens,… (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est un expert qui parle !
…vous occultez, vous masquez, vous passez sous silence d'autres causes du déclin industriel de notre pays.
Je veux en citer trois.
Il s'agit d'abord de l'étranglement des petites et moyennes entreprises par des donneurs d'ordres, qui sont pour la plupart membres du CAC 40. Vous discutez avec des chefs d'entreprises dans vos circonscriptions et ils vous disent qu'ils sont soumis à des contraintes inacceptables…
Ils sont souvent à la limite du dépôt de bilan. Attaquez-vous au comportement des donneurs d'ordre ! Si vous le faisiez, vous apporteriez déjà une première réponse aux problèmes de nos PME.
Les industriels des PME nous parlent ensuite de l'insuffisance des leviers financiers publics pour financer la recherche et le développement, pour faire de l'innovation ou pour moderniser l'outil de travail. Ce qui est en cause, ce n'est pas la compétitivité et le coût du travail, ce sont les investissements nécessaires au développement économique !
Nos collègues de la majorité me font penser à ces chiens qui aboient avant même d'avoir reçu un coup sur la tête. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Monsieur Chassaigne, veuillez conclure et n'interpellez pas vos collègues !
Ils sont particulièrement énervés. Je ne sais pas pourquoi ils sont pris en ce moment d'une espèce de fièvre.
Enfin, il ne faut pas oublier une troisième cause importante : vous ne faites pas confiance aux salariés des entreprises. Donnons plus de droits aux salariés et aux comités d'entreprises pour qu'ils puissent développer des solutions alternatives et montrer à quel point l'intelligence ouvrière peut permettre des améliorations !
La compétitivité globale de l'entreprise compte aussi, mais les droits nouveaux et le pouvoir des salariés, cela vous fait peur ! (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.) La preuve en est que la première chose que vous avez faite en 2002, en arrivant au pouvoir, a été de détruire la loi de modernisation sociale votée en 2001 car vous ne pouviez pas l'accepter. (Mêmes mouvements.)
Au-delà de cette analyse qui vous a sans aucun doute convaincus – car vous avez tous un ancrage dans nos territoires –,…
…il y a aussi dans tout cela quelque chose qui relève de la falsification. Vous dites aux organisations syndicales que vous voulez négocier, vous engagez avec elles une négociation et, finalement, vous faites passer en catimini, avec cet article 40, une atteinte au code du travail.
La parole est à M. Claude Bodin, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Monsieur Chassaigne, vous ne nous avez pas plus convaincus que notre collègue Jean-Michel Clément. Ses arguments n'avaient d'ailleurs aucune chance d'y parvenir, car, l'un comme l'autre, vous cherchiez surtout l'opération politicienne.
Nous ne sommes pas favorables aux opérations politiciennes et, en cela, nous nous différencions une fois encore de vous.
Nous n'avons pas été convaincus ; nous ne voterons pas la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Jean Mallot, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Le groupe SRC votera la motion de rejet préalable. Jean-Michel Clément a fort bien montré comment la présence et le contenu de l'article 40 justifient ce rejet.
Aux termes mêmes de cet article, « la mise en place d'une répartition des horaires sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l'année prévue par un accord collectif ne constitue pas une modification du contrat de travail ».
Au-delà des positions de principe qui peuvent s'exprimer sur les accords compétitivité-emploi que le Président de la République a appelés de ces voeux en même temps qu'il a lui-même demandé l'ouverture d'une négociation sociale, nous savons tous que la relation entre l'accord collectif et le contrat individuel de travail est au coeur des choses – et que c'est sur ce point que la négociation peut achopper.
Mon cher collègue, je constate que vous ne pouvez pas vous empêcher de chanter les louanges de François Hollande, et je vous en félicite.
En nouvelle lecture, le 31 janvier dernier, soit deux jours après les annonces du Président de la République, nous avions appelé votre attention, avec force démonstrations et arguments, sur l'article 40 et les difficultés politiques qu'il allait créer. Vous ne nous avez pas écoutés, et vous avez délibérément maintenu cet article en toute connaissance de cause. Depuis cette date, les partenaires sociaux ont protesté et le ministre du travail, Xavier Bertrand, vous a désavoués, implicitement et explicitement. J'imagine, monsieur le ministre, qu'en tête à tête vous avez dû avoir une explication.
Pas du tout : je suis en plein accord avec Xavier Bertrand ! Comment pouvez-vous dire des âneries pareilles ?
Malgré cela, vous avez persisté en maintenant cet article qui met le Gouvernement, et singulièrement le Président de la République, en grande difficulté pour la négociation sociale que ce dernier a appelé de ses voeux.
Puisqu'il s'agit d'une lecture définitive, la Constitution nous interdit de déposer un amendement de suppression de l'article 40. C'est pourquoi, face à ce texte qu'il nous faut considérer comme un bloc, nous n'avons d'autre choix, pour nous opposer à cet article, que de demander le rejet de la proposition de loi.
Fort de ces arguments, mes chers collègues, nous vous demandons de voter la motion de rejet préalable.
Monsieur le président, je souhaiterais intervenir, car j'ai été mis en cause par M. Mallot !
Monsieur le ministre, les explications de vote ont eu lieu ; vous pourrez prendre la parole après le vote.
(La motion de rejet préalable n'est pas adoptée.)
Je tiens à préciser à M. Mallot qu'il n'existe aucun désaccord entre M. Bertrand et moi.
Des membres de son cabinet étaient, du reste, à mes côtés lors de la discussion du texte. Cette position est celle du Gouvernement dans son ensemble.
Ainsi que je l'ai indiqué tout à l'heure, dès le départ, les syndicats ont été consultés sur cette disposition. M. Mallot fait sans doute exprès de ne pas comprendre.
Je le vois qui opine du chef : il l'avoue lui-même, cela me rassure.
Toutefois, je regrette qu'en usant d'habiletés de ce type il s'oppose à la simplification qu'attendent les entrepreneurs de ce pays,…
Pas du tout ! Nous nous opposons au démantèlement du droit du travail !
…car elle est bonne pour la croissance et pour l'emploi.
Dans la discussion générale, la parole est à M. André Chassaigne (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP), qui veillera à ne pas provoquer ses collègues, afin que nous puissions l'écouter avec la plus grande attention.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, mon intervention sera…
…mesurée, oui. Mes chers collègues, vous me semblez particulièrement énervés. L'impression de déliquescence et de brutalité qui se dégage de vos interventions me fait penser à l'un des proverbes bantous inventés par Alexandre Vialatte : « Il ne faut pas piler le mil avec une banane trop mûre. » (Sourires.) Réfléchissez-y.
Une nouvelle fois, les députés communistes, républicains, citoyens et du parti de gauche voteront contre la proposition de loi dite de simplification du droit. En effet, nous avons déjà eu le loisir de passer en revue les dizaines d'articles dangereux et néfastes que comporte ce véhicule législatif, qui ne simplifie rien et procède à des réformes de fond.
Monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, vos explications ne m'ont pas convaincu. Elles sont tellement démesurées au regard du caractère fourre-tout de ce texte et s'appuient sur une dialectique si usée pour en glorifier le contenu qu'elles me rappellent cette phrase de Victor Hugo dans Les Misérables : « Ils confondent avec les constellations de l'abîme les étoiles que font dans la vase molle du bourbier les pattes des canards. » (Rires sur les bancs des groupes GDR et SRC. – Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Il y a quelques semaines, lors de l'examen du texte en nouvelle lecture par la commission des lois, nos collègues UMP avaient déposé de nouveaux amendements sur des sujets aussi variés que les chambres d'agriculture, les réseaux consulaires ou les palaces cinq étoiles. Il est vrai que la proposition de loi ne comptait que cent cinquante articles hétéroclites et techniques et que, pour veiller à l'intelligibilité de la loi, il était urgent de l'alourdir encore ! Fort heureusement, la plupart de ces amendements ont été repoussés, pour prévenir une censure du Conseil constitutionnel, qui veille au respect de la règle selon laquelle de nouvelles dispositions ne peuvent être ajoutées au stade de la nouvelle lecture. Ce strict contrôle constitutionnel sonne le glas de la frénésie législative de nos collègues, qui semblent trouver chaque jour dans leurs cartons – en cours de préparation – de nouveaux articles à insérer.
Je veux rappeler ici que, selon le rapport du Sénat, seulement 20 % des dispositions du texte correspondent effectivement à une simplification législative. Cela signifie que 120 des articles que nous examinons consistent dans des réformes de fond sur des sujets sensibles. Le rapport épingle ainsi les articles 14 à 20, qui procèdent à une vaste dépénalisation du droit des affaires. À ce sujet, permettez-moi de glisser une remarque : il est étonnant de constater la mansuétude avec laquelle la majorité organise l'impunité des délinquants en col blanc quand on sait la violence répressive qui s'abat sur les petits délinquants d'en bas. C'est vraiment : deux poids deux mesures ! (Protestations sur les bancs des groupes UMP et NC.)
L'article 77, qui réforme le statut des agences de presse, est également mentionné comme n'ayant rien à voir avec une simplification juridique.
Par ailleurs, les députés du Front de gauche ont déjà ferraillé, il y a un mois, contre l'article 48, qui complique la tâche des inspecteurs du travail, et contre l'article 72 bis, qui autorise la circulation des poids lourds de 44 tonnes à cinq essieux au mépris de tous nos engagements environnementaux. Quant à l'article 92 bis A, il crée un statut exorbitant du droit du travail pour les personnels d'encadrement des colonies de vacances.
J'étais également revenu sur les articles 10, 55, 56, 56 bis et 72 : autant d'entailles faites au Grenelle de l'environnement. Cette proposition de loi regorge en effet d'éléments qui détricotent les engagements pris en 2009. Ainsi, vous détruisez dans l'ombre la loi que vous aviez votée à grands renforts de célébrations médiatiques.
Nous pourrions citer de nombreux autres exemples de cette manipulation sémantique qui veut faire passer pour du toilettage rédactionnel ce qui constitue en réalité des réformes menées à la hache et en catimini. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Je pourrais ainsi mentionner l'article 72 ter, critiqué par la commission des affaires culturelles du Sénat, puisqu'il vise à autoriser les compagnies aériennes à remettre à leurs salariés des documents de travail liés à la maintenance, à la certification et à l'utilisation d'un avion en langue anglaise. C'est un cas typique de fausse simplification, puisque cette mesure, en augmentant les risques de mauvaise compréhension des normes, conduira à diminuer la sécurité.
Il a pourtant été rappelé qu'en 2010 la compagnie Air France a été condamnée par la cour d'appel de Paris à traduire en français sa documentation destinée aux pilotes de ligne, sur le fondement du code du travail, qui prévoit que soient rédigés en français les documents nécessaires au salarié pour l'exécution de son travail.
Outre ces différentes dispositions, je voudrais insister aujourd'hui sur une question qui me tient à coeur, celle de la modulation du temps de travail. Je veux bien entendu parler de l'article 40 du présent texte, contre lequel je m'étais battu nuitamment, en janvier, alors que notre hémicycle était beaucoup moins garni qu'il ne l'est aujourd'hui. M. Warsmann et le ministre ont, semble-t-il, promis aux syndicats de le supprimer. Hélas ! nous avons bien compris, tout à l'heure, que tel n'était pas leur objectif.
Cet article vise à permettre aux patrons de se passer de l'accord des salariés pour augmenter leur temps de travail, sans variation du salaire prévu. J'avais pourtant rappelé la jurisprudence de la Cour de cassation en vertu de laquelle « l'accord collectif s'applique au contrat de travail, sauf disposition plus favorable du contrat de travail » et donc qu'un « accord collectif ne peut pas modifier un contrat de travail, sauf accord du salarié ». Au lendemain de nos débats, la CGT avait dénoncé un « coup de force » (Exclamations sur les bancs du groupe UMP),…
…puisque des accords compétitivité-emploi étaient en cours de négociation entre les partenaires sociaux. Contrairement à ce que vous dites, les confédérations syndicales sont évidemment hostiles au principe même de ces accords, qui privent le salarié de la possibilité de donner son autorisation individuelle à une modification de son contrat de travail concernant son temps de travail, dès lors qu'elle relève d'un accord collectif.
Nous sommes opposés à ces accords compétitivité-emploi qui détruisent les droits des salariés au moment même où ceux-ci sont les plus exposés à la violence économique suscitée par la crise du capitalisme. Ces accords ont pour but de permettre au patronat de s'exonérer du code du travail et des conventions collectives, avec, à la clé, une augmentation du temps de travail et une baisse des salaires. Ainsi, l'article 40 est clairement le cheval de Troie législatif de cette forme de chantage à l'emploi voulue par Nicolas Sarkozy.
Alors même que les négociations sont en cours, c'est faire preuve d'un manque de respect total pour le dialogue social que de faire passer la disposition via un article d'une proposition de loi de simplification du droit. Cela montre une fois de plus le caractère inopportun de ces textes. Aujourd'hui, nous voudrions nous assurer que cet article est bel et bien supprimé, mais vous nous avez annoncé que vous alliez le maintenir, qui plus est en justifiant ce maintien par un argument fallacieux sur l'accord des organisations syndicales.
Laissez-moi vous rappeler les propos d'une conscience de notre temps : avec les accords compétitivité-emploi, il s'agit de « brandir la menace de la délocalisation pour obtenir un recul social ». L'auteur ajoute : « Lorsque l'équilibre du marché du travail ne garantit plus l'équilibre des forces dans la négociation, la loi du contrat devient fatalement la loi du plus fort. » Et de conclure : « On ne résoudra rien par la coercition ! » S'agit-il d'un éditorial de L'Humanité ? Non, c'est M. Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, qui s'exprimait ainsi dans le journal Les Échos, en 2004 !
Le Front de gauche voit dans cette dérive une funeste institutionnalisation du dumping social. La « compétitivité » est devenue le prétexte utilisé par la droite libérale pour faire avaler au peuple les potions les plus amères. Après la TVA sociale, cet article introduirait dans notre droit l'augmentation imposée du temps de travail sans contrepartie salariale. Pourtant, cette surenchère antisociale est illusoire. Les produits fabriqués dans des pays sans protection sociale seront toujours moins « coûteux » que ceux de notre industrie. L'opération qui est menée est donc mensongère. Votre objectif véritable est bien de faire des cadeaux supplémentaires au patronat.
Le quinquennat qui s'achève aura décidément été celui de la maltraitance des salariés. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Cette proposition de loi est inacceptable, sur le fond comme sur la forme.
Mes chers collègues, en guise de conclusion, je vous livre la sentence prononcée par notre brillant collègue sénateur Patrice Gélard, vice-président UMP de la commission des lois de la Haute Assemblée, au sujet de cette proposition de loi : « Il faut en finir avec les textes de ce genre : la simplification du droit est nécessaire, mais doit passer par des lois plus ciblées, centrées sur un domaine ou un code. Les propositions de loi Warsmann ont pris des dimensions invraisemblables et multiplient les cavaliers, au mépris de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. » Nous souscrivons à ces propos ; les députés du Front de gauche voteront contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l'examen de la proposition de loi relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives arrive à son terme aujourd'hui. La lecture définitive clôt ainsi un processus engagé depuis le début de cette législature. En effet, ce texte s'inscrit dans un vaste mouvement de simplification du droit, dont la complexification croissante ne contribue qu'à l'insécurité juridique, pénalisant aussi bien les citoyens que les entreprises.
En janvier 2009, Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois, remettait au Premier ministre un rapport relatif à la politique de simplification et à l'élaboration d'une stratégie pour une norme de meilleure qualité.
Par la suite, le Parlement a adopté deux lois répondant à ces objectifs : d'une part, la loi du 12 mai 2009, de simplification et de clarification du droit et d'allégement des procédures ; d'autre part, la loi du 17 mai 2011, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit.
Le 29 avril 2011, lors des Assises de la simplification, vous avez dévoilé, monsieur le secrétaire d'État, 80 mesures visant à renforcer l'appui territorial aux PME, mais aussi à simplifier leur environnement administratif. Parallèlement, le Président de la République a confié à Jean-Luc Warsmann une nouvelle mission ayant pour but de proposer « des mesures de simplification, ambitieuses et concrètes, pour desserrer les contraintes excessives qui pèsent sur les entreprises, en particulier les PME, mais aussi sur les artisans, les agriculteurs et les professions libérales. »
Au terme d'un important travail de concertation, d'audition et d'analyse, les conclusions de cette mission ont été rendues le 6 juillet dernier, avec 280 mesures concrètes d'ordre réglementaire, législatif ou européen.
C'est ce rapport qui a servi de base à la proposition de loi relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives.
Bien évidemment, je vous épargnerai le détail de chacun des articles.
Permettez-moi cependant de citer quelques dispositions qui vont profondément moderniser le quotidien de nos entreprises et leur permettre de se concentrer, non plus sur les nombreuses formalités administratives, mais sur leur mission première, à savoir la promotion de leur activité, la participation à la croissance de notre pays et la garantie des emplois.
La proposition de loi relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives permet ainsi, à l'article 30, de créer la déclaration sociale nominative, qui a vocation à regrouper l'ensemble des données et informations pouvant être exigées d'un employeur par les organismes gérant des régimes de protection sociale ; à l'article 36, de soutenir le développement du rescrit social ; à l'article 44, de réduire le nombre de mentions sur les bulletins de salaire ; à l'article 52, de créer un coffre-fort numérique afin que les PME ne déclarent qu'une seule fois ce qui faisait jusqu'à présent l'objet de déclarations multiples et redondantes à l'administration.
Cette proposition de loi a pour leitmotiv de simplifier le quotidien des acteurs économiques afin de favoriser le développement de leur activité.
Quand vous aurez supprimé les cotisations sociales, ce sera encore plus simple !
Elle concerne tous les secteurs de notre économie : PME, artisanat, agriculture, énergie, professions réglementées, tourisme, logement et aménagement du territoire, médias.
Tout au long de l'examen de ce texte, l'opposition s'est alarmée de son ampleur. Le Sénat n'a d'ailleurs pas souhaité examiner le moindre article, puisque la majorité socialiste y a tout rejeté d'un bloc en votant une motion de rejet préalable.
Ce que le groupe socialiste aurait voulu refaire ici !
En réalité, mes chers collègues, c'est de l'ampleur de ce qu'il reste à faire pour simplifier notre droit et libérer notre économie des lourdeurs administratives que nous devons nous alarmer !
Au nom du groupe UMP, je tiens à remercier et féliciter Jean-Luc Warsmann pour tout le travail accompli (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Je n'oublie pas, bien entendu, notre rapporteur, Étienne Blanc (Mêmes mouvements), et tous les députés de notre groupe qui ont apporté leur pierre à l'édifice. Je ne doute pas que nous poursuivrons ce travail de simplification lors de la prochaine législature.
C'est donc avec responsabilité et enthousiasme…
…que le groupe UMP votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Quelle conviction ! Mais comment pouvez-vous vous retenir de rire, mon cher collègue ?
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par souhaiter un bon rétablissement à M. le rapporteur.
L'examen, en lecture définitive, de cette proposition de loi, intervient dans un contexte politique, économique et social bien particulier. Certes, dès le titre de ce texte un peu fourre-tout, on est informé de son intention : il s'agit, faisons-en crédit à son auteur, de procéder « à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives ». Il contient cependant un article 40 qui, nous ramenant à l'actualité sociale, convoque au débat non seulement les groupes politiques de notre assemblée, mais également les partenaires sociaux.
Que dit cet article 40 ? Tout simplement, si j'ose dire, que « la mise en place d'une répartition des horaires sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l'année prévue par un accord collectif ne constitue pas une modification du contrat de travail ». Tiens, tiens !
Nous vivons dans un pays où le chômage ne cesse d'augmenter : il y a eu 13 400 demandeurs d'emploi de catégorie A supplémentaires au mois de janvier, ce qui porte leur total à 2,9 millions – pour la seule catégorie A, j'y insiste – et plus de 4,5 millions de personnes sont actuellement inscrites à Pôle emploi.
Nous vivons dans un pays qui a perdu, depuis dix ans – dix ans, cela ne vous dit rien ? – 500 000 emplois dans l'industrie. En France, pourtant, le coût du travail horaire dans l'industrie manufacturière est légèrement plus faible qu'en Allemagne – 33,16 euros contre 33,37 euros.
Nous vivons dans un pays où la durée annuelle effective du travail par salarié est plus importante qu'en Allemagne – 1 550 heures contre 1 419 heures.
Je parle de la durée annuelle, cher président.
À ce propos, et pour répondre à une critique que l'on entend souvent sur les bancs de la droite, je citerai l'ancien conseiller du Président de la République sortant, Raymond Soubie, qui a déclaré, dans le Journal du Dimanche du 11 décembre 2011, qu'en France, « la durée réelle du travail est aujourd'hui légèrement supérieure à son niveau d'avant les lois sur les 35 heures. »
Curieusement, en 2007, le Gouvernement a choisi de subventionner – avec de l'argent public emprunté – les heures supplémentaires au-delà de la majoration de 25 %, alors qu'avec un montant comparable de crédits d'État, l'Allemagne soutenait le chômage partiel (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), ce que M. Méhaignerie sait parfaitement. Ainsi, la France a accéléré la montée du chômage tandis que l'Allemagne faisait le gros dos en préparant la reprise.
Nous vivons dans un pays où, à l'approche de l'élection présidentielle, le ministre du travail se démène et fait pression pour que les entreprises reportent les licenciements qu'elles projettent à une date ultérieure à l'échéance politique qui vient.
Bref, la situation économique et sociale est plus que préoccupante, avec une perspective de croissance ramenée, il y a quelques jours, de 1 % à 0,5 % pour 2012. Or les élections approchent. C'est dans cette situation qu'à la suite du prétendu sommet social du 18 janvier dernier, le Président sortant a annoncé, le 29 janvier, que les partenaires sociaux seraient saisis par une lettre du Premier ministre en vue d'une négociation sur les « accords de compétitivité-emploi » devant être conclue dans les deux mois.
Cette négociation, ouverte le 17 février dernier, est en cours. Selon le président sortant – le fait que je le désigne ainsi ne choquera pas grand monde, puisque j'ai entendu plusieurs de nos collègues de l'UMP, et même M. le secrétaire d'État, chanter les louanges de notre candidat, François Hollande, sans doute pour se préparer au changement à venir –, les accords dits de « compétitivité-emploi » doivent s'inspirer de l'exemple allemand et permettre de négocier dans l'entreprise sur les thèmes de l'adaptation de la durée du travail et des rémunérations. On ne se soucie pas d'investissements compétitifs dans la recherche, l'innovation, la formation, moteurs d'une relance du développement industriel : en fait, on veut uniquement abaisser le coût du travail, comme si la seule baisse du coût du travail constituait une politique industrielle !
De fait, des accords de compétitivité-emploi sont d'ores et déjà possibles, certains ont même été conclus. Par ce biais, les salariés acceptent, en quelque sorte, des baisses de salaire pour préserver les emplois. Seulement, pour que cela puisse se mettre en place, le code du travail exige l'accord individuel de chaque salarié, car le contrat « collectif » entraîne une modification de chaque contrat de travail. Toute modification de la rémunération d'un salarié constitue, en effet, une modification substantielle de son contrat de travail et requiert donc son accord pour être mise en oeuvre.
De même, toute modification de la durée du travail d'un salarié, dès lors qu'elle a un impact sur sa rémunération, constitue également une modification de son contrat de travail nécessitant son accord.
Certes, l'employeur peut proposer de telles modifications en application d'un accord collectif, mais en cas de refus des salariés concernés, il doit envisager leur licenciement économique et, si plus de dix salariés sont dans ce cas, il doit mettre en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi.
Contrairement à l'Allemagne, où les accords comportent des garanties solides et sont assortis d'un droit de regard des syndicats sur la stratégie de l'entreprise – conséquence d'un rapport de forces différent de celui existant en France –, le risque est fort que les donneurs d'ordre imposent à leurs sous-traitants la signature de tels accords, en exerçant un chantage à l'emploi. De fait, en France, de tels cas ont le plus souvent abouti à des suppressions de postes : chez Continental, dans l'Oise, avec échec de l'opération et fermeture du site au bout de deux ans…
…ou encore chez Peugeot-Motocycles, dans le Doubs et le Haut-Rhin, où l'accord signé en 2008 s'est accompagné de la suppression d'un quart des effectifs et n'a pas empêché l'annonce de la fermeture de l'usine du Haut-Rhin.
Quand l'accord permet à l'usine de redémarrer, comme cela a été le cas chez Poclain Hydraulics, en Picardie, les salariés ont souvent le sentiment que leurs efforts ne sont pas récompensés, notamment lorsqu'ils constatent que des bénéfices réalisés dès les années suivantes sont distribués en grande partie aux actionnaires !
Quoi qu'il en soit, le Gouvernement, l'Élysée et la majorité actuelle veulent faire sauter le verrou du consentement individuel de chaque salarié. L'accord collectif s'imposerait à tous les salariés, qui ne pourraient plus refuser. Un refus entraînerait, non plus un licenciement économique donnant droit à indemnisation, mais une rupture personnelle de nature disciplinaire, sans indemnisation.
Dans ce nouveau cadre, que devient la durée légale du temps de travail, que deviennent le SMIC et les minima conventionnels ?
C'est là, justement, que l'article 40 prend tout son sens, qui semble préparer le terrain de la négociation sociale venant à peine de commencer et avoir pour objet de conditionner les esprits, afin d'aller dans le sens souhaité par le président sortant et ses soutiens du moment.
Et M. Mallot le sait !
Sous couvert de perfectionnisme juridique et de simplification administrative, l'article 40 figure en effet, depuis le début, dans cette proposition de loi. Eh oui, la simplification juridique et les allégements de procédure ont bon dos – n'est-ce pas, M. le président Méhaignerie ?
Cela me rappelle la déclaration faite par notre collègue Étienne Pinte en commission des affaires sociales, le 8 février dernier, à propos des prétendues entraves à la compétitivité et des contraintes administratives. Étienne Pinte se souvenait qu'il avait été le rapporteur des deux lois portant suppression de l'autorisation administrative de licenciement, dont on disait qu'elle allait entraîner 450 000 créations d'emplois – mais qui n'en avait finalement créé aucun ! Selon les termes mêmes de notre collègue, cette suppression avait tout au plus servi au maintien de l'emploi. On avait eu les assouplissements, mais pas les emplois que l'on aurait dû avoir en contrepartie !
Certains syndicats de salariés sont totalement opposés aux accords de compétitivité-emploi…
…tandis que d'autres accepteraient d'en discuter, sous réserve d'un encadrement strict et de leur caractère majoritaire et temporaire, et avec la garantie du maintien de l'emploi. Dans le même temps, les organisations d'employeurs souhaitent que ces accords prévoyant des réductions de la durée du travail et des salaires, voire des mobilités géographiques – vous le savez bien, monsieur le président de la commission des lois, puisque vous leur avez écrit en ce sens –, s'appliquent globalement à l'ensemble des salariés et prévalent sur les contrats individuels de travail.
C'est ici que se trouve le point dur de la négociation : le problème de la conciliation entre l'intérêt collectif de l'entreprise – intérêt réel ou supposé – et la situation des individus, chacun dans sa vie réelle et ses contraintes personnelles.
L'article 40 du projet de loi aurait pour conséquence que tout salarié se verrait obligé d'accepter la modulation de son temps de travail, y compris au détriment de sa vie personnelle et familiale.
Vous aurez beau le répéter, cela ne fera pas une vérité, monsieur le président Warsmann !
En cas de refus, il se verrait licencier sans préavis et sans indemnisation. On est bien loin de la simplification du droit !
Cet article remet en cause la jurisprudence de la Cour de Cassation établie par un arrêt du 28 septembre 2010, selon lequel « l'instauration d'une modulation du temps de travail constitue une modification du contrat de travail qui requiert l'accord exprès du salarié ». On connaît en effet les conséquences que peuvent avoir les accords de modulation du temps de travail sur les conditions de vie des salariés, notamment les plus vulnérables, souvent des parents célibataires enserrés dans des contraintes de mode de transport ou de garde des enfants.
Notre collègue Alain Vidalies, lors de la nouvelle lecture de ce texte, le 31 janvier, avait pris l'exemple d'une femme salariée vivant seule et mettant deux heures pour rentrer chez elle – cela existe.
Vous ne faites pas confiance aux syndicats pour négocier sur les conditions de travail ?
Ce n'est parce que l'on est en campagne électorale que l'on est autorisé à mentir !
Ne soyez pas indifférent à ce genre de situation, monsieur le président Warsmann ! Écoutez bien ce que je dis. Comment cette femme pourrait-elle accepter une modulation qui l'empêcherait de rentrer à temps à la maison ? Votre énervement me donne à penser que j'ai fait mouche !
J'observe que cet article relève du champ de la négociation nationale interprofessionnelle et aurait dû faire l'objet d'une consultation préalable avec les partenaires sociaux, en application de l'article L1 du code du travail et, puisqu'il s'agit d'une proposition de loi, en vertu du protocole social adopté par la Conférence des présidents de notre assemblée le 16 février 2010. Il n'en a rien été.
Cet article n'a pas non plus fait l'objet d'une étude d'impact, ce qui aurait été intéressant. Le Gouvernement s'est empressé de recourir à la procédure accélérée pour l'examen de la proposition de loi. Le débat sur cet article en nouvelle lecture avait mis le Gouvernement et sa majorité devant leur responsabilité politique, mais ils n'avaient rien voulu entendre.
Les syndicats de salariés ont vigoureusement protesté. Force ouvrière a demandé aux parlementaires de ne pas voter cet article qui constitue à la fois une première brèche et une manière de peser sur les négociations en cours. La CGT parle quant à elle de coup de force. La CFDT a écrit au Premier ministre pour demander que soit interrompue la discussion de cet article, et a fortiori le vote. Même le MEDEF a considéré qu'il s'agissait d'un élément perturbateur, regrettant qu'il n'ait pas été soumis à la négociation sociale. Le ministre du travail a écrit que cet article ne « semblait pas » créer d'interférence avec les négociations sur les accords dits de compétitivité emploi. C'est bien dit de sa part, mais on sait lire entre les lignes ! Interrogé ici même le 16 février dernier, lors d'un débat sur l'emploi, Xavier Bertrand s'est clairement dérobé. Son esquive en disait long.
En réalité, dans ce cas comme dans bien d'autres, le Gouvernement et sa majorité montrent le mépris dans lequel ils tiennent le dialogue social et ses acteurs. Quant à la façon dont le président de la commission des lois a répondu aux protestations des partenaires sociaux – on l'a vu dans la presse –, elle sonne à la fois comme une mauvaise manière un peu hypocrite et comme un aveu.
Le Sénat sera heureux d'apprendre que vous lui faites porter la responsabilité en lui imposant une sorte de chantage : il n'avait qu'à adopter votre proposition de loi en nouvelle lecture tout en supprimant l'article 40. Autrement dit : « Tu enlèves l'article 40 que j'ai maintenu délibérément et tu votes ma proposition de loi, sinon je te dénonce ! » La ficelle est grosse.
Dire, monsieur le président Warsmann, que l'Assemblée a rétabli cet article sans le modifier en nouvelle lecture, c'est reconnaître implicitement que la majorité a eu l'occasion de corriger son erreur et que c'est en toute connaissance de cause qu'elle ne l'a pas fait. Relisez à cet égard les débats du 31 janvier.
Écrire, en le soulignant, que le contenu de cet article 40 serait sans rapport direct avec la négociation en cours, c'est ouvrir la possibilité d'un rapport au moins indirect.
Et compléter en disant, comme vous le faites, que vous comprenez que les deux questions puissent être liées dans le cadre de discussions globales, c'est assez clairement faire son mea culpa.
Pour finir,…
…vous signez votre forfait, puisque, après avoir soutenu que l'article 40 n'avait rien à voir avec les négociations en cours, vous vous engagez, pour le cas où cette négociation aboutirait, à modifier le texte en conséquence. On ne peut mieux dire !
Au bout du compte, sans avoir de certitude sur vos intentions lors de la rédaction initiale de la proposition de loi, nous constatons que vous avez volontairement maintenu l'article 40 en ayant clairement conscience qu'il anticipait sur une négociation sociale amorcée par le président sortant à propos des accords de compétitivité-emploi. Cette façon de faire ne peut que rencontrer notre opposition. Nous voterons donc contre ce texte que nous désapprouvons. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
C'est parce qu'il n'était guère convaincu lui-même !
La parole est à M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales.
Je tiens vraiment à corriger, en tant que président de la commission des affaires sociales, une erreur qui est répétée en permanence et à l'instant encore par M. Mallot.
Quel est aujourd'hui le vrai critère pour mesurer le nombre d'heures de travail ? C'est le nombre d'heures travaillées par habitant, ce qui permet de tenir compte du poids de la jeunesse et des personnes âgées.
Quel est ce chiffre en France ? Il est de 610 heures, contre 690 heures en Allemagne et dans la moyenne des pays européens ; il atteint même 770 heures dans les pays scandinaves. C'est là un élément essentiel. Répéter en permanence, monsieur Mallot, l'erreur dont vous vous êtes fait l'écho, c'est faire un diagnostic qui a des conséquences.
En effet, la France souffre de rigidité et de lenteur, alors que nous sommes dans un monde ouvert qui exige souplesse et rapidité. Nous payons chèrement cette erreur en termes d'emploi, parce que l'embauche, aujourd'hui, en France, est devenue un risque. C'est la raison pour laquelle je dis et répète que c'est en France que le nombre d'heures de travail par habitant est le plus faible de tous les grands pays industriels. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vient parachever l'oeuvre simplificatrice de cette législature. Il s'agit de la quatrième loi de simplification, après celles du 20 décembre 2007, du 12 mai 2009 et du 17 mai 2011. Tous ces textes découlent de propositions de loi déposées par Jean-Luc Warsmann et dont Étienne Blanc était le rapporteur.
Celle que nous examinons aujourd'hui est issue d'un important travail préparatoire réalisé par le président Jean-Luc Warsmann, dans le cadre de la mission de réflexion sur la simplification des normes applicables à tous les acteurs économiques qui lui a été confiée par le Président de la République le 17 janvier 2011 et à l'issue de laquelle a été publié un rapport préconisant la mise en oeuvre de quelque 280 mesures, dont les plus emblématiques ont été introduites dans la présente proposition de loi.
Jean-Luc Warsmann avait remis au Premier ministre un premier rapport sur la qualité et la simplification du droit en janvier 2009, qui a inspiré la loi du 17 mai 2011, dans lequel il a défini une stratégie articulée autour de trois objectifs : formuler une méthodologie de la simplification du droit, rendre plus effectif l'objectif constitutionnel d'intelligibilité et garantir l'accessibilité de tous les citoyens à l'ensemble des normes juridiques, avec au total 103 propositions.
Par ailleurs, Jean-Luc Warsmann a pris l'initiative d'ouvrir un vaste chantier de simplification du droit avec la création du site internet « Simplifions la loi ». S'inspirant du constat de Montesquieu selon lequel « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires », la commission des lois s'est fixé pour mission de rendre la loi plus accessible, plus lisible et plus compréhensible aussi bien pour le citoyen que pour ceux qui sont chargés de l'interpréter ou de l'appliquer.
Il apparaît nécessaire d'abroger des dispositions devenues inutiles, redondantes, obsolètes ou insuffisamment normatives, de proposer la mise en cohérence de dispositions mal coordonnées, voire contradictoires, et de suggérer la réécriture de dispositions peu intelligibles. Il est à noter, par ailleurs, que, tout au long de l'année 2011, vous avez organisé, monsieur le secrétaire d'État, les Assises de la simplification, avec vingt-deux assises régionales dans toute la France.
On voit donc apparaître aujourd'hui très clairement un mouvement de fond vers la simplification. C'est sur ce point précis que je veux insister. Le sénateur Éric Doligé a remis, le 16 juin 2011, un rapport au Président de la République sur la simplification du droit applicable aux collectivités territoriales ; 268 mesures de simplification y sont proposées.
Moi-même, je remettrai dans les prochains jours au Président de la République un rapport sur la simplification des normes au service du développement des territoires ruraux.
Le Président de la République m'a en effet chargé, avec Étienne Blanc, Yannick Favennec et Daniel Fasquelle, d'identifier les normes réglementaires dont l'application aux collectivités territoriales et aux acteurs locaux limite ou freine le développement économique, social, environnemental, culturel et institutionnel des territoires ruraux et de proposer les clarifications ou les simplifications réglementaires qui pourraient être envisagées.
Pour ce faire, nous avons conduit une action de terrain. Nous sommes allés dans dix départements. Nous avons rencontré près de 4 000 personnes,…
…envoyé près de 5 000 courriers et auditionné à Paris cinquante personnes.
Au final, nous avons constaté qu'il est indispensable pour l'administration de revoir son rapport aux territoires ruraux, qu'il est indispensable de faire preuve de souplesse pour tenir compte des spécificités rurales et qu'il est vraiment urgent de libérer les élus et les acteurs socio-économiques des carcans administratifs qui sclérosent l'action publique dans les territoires ruraux. À cette fin, nous proposons de nombreuses mesures réglementaires de simplification.
Faisant écho à ce que mon collègue et ami Étienne Blanc vient de dire, je regrette l'obstruction de la majorité sénatoriale : elle a refusé d'examiner sur le fond la proposition de loi d'Éric Doligé aussi bien que le présent texte.
Alors même que tout le monde s'accorde à constater qu'entreprises, élus, associations et territoires ruraux sont englués dans un carcan de 8 000 lois, 400 000 normes, 3 000 traités, 6 000 directives communautaires,…
…alors même que le président du Conseil constitutionnel dénonce l'inflation législative et normative, la logorrhée législative et l'insécurité juridique, l'opposition a choisi la voie de l'obstruction. Alors que nous avons lancé une profonde réflexion sur l'émergence d'une véritable simplification, j'aurais souhaité qu'un consensus politique apparaisse dans notre pays, notamment sur le principe de proportionnalité, qu'il est possible de concevoir constitutionnellement, et sur le principe de subsidiarité, avec un véritable pouvoir d'adaptation réglementaire des exécutifs locaux. Vous n'avez pas choisi cette voie ; je le regrette.
Au contraire, je voudrais saluer l'exceptionnel travail effectué par Jean- Luc Warsmann et par Étienne Blanc…
…et leur exprimer la reconnaissance que l'on doit avoir pour ceux qui essaient de trouver des solutions, par opposition à ceux qui vivent dans l'immobilisme le plus dépassé qui soit.
Je veux également saluer, monsieur le secrétaire d'État, la règle des 15 000 euros, qui permettra enfin aux collectivités territoriales d'assumer leurs responsabilités et de dire à l'administration centrale qu'il faudra désormais respecter la volonté du législateur, ce qui, à mon sens, n'était pas le cas jusqu'à maintenant.
Vous avez fait ce matin, monsieur le président de la commission des lois, le bilan de l'action de notre commission. La simplification restera votre note personnelle. Soyez-en remercié. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, je ne reviendrai pas sur tous les articles de ce texte, car il y en a 94.
Si je rejoins ce qu'ont dit nos collègues socialistes et communistes, notamment sur l'article 40, qui est particulièrement lourd puisqu'il touche aux contrats de travail et, indirectement, au temps de travail, je voudrais pour ma part intervenir sur un autre article, qui s'apparente à un cavalier législatif : l'article 72 bis.
Je ne sais pas si le Conseil constitutionnel sera saisi de ce texte, ni ce qu'il en dira, mais je pense que cette disposition n'a pas grand-chose à voir avec l'objet de la proposition de loi, en l'occurrence, selon son titre, la simplification du droit et l'allègement des démarches administratives. Dans l'article en question, il s'agit d'autoriser en catimini, au détour d'un article additionnel introduit par voie d'amendement, une surcharge de 10 % pour les poids lourds dans le transport routier, dont le chargement maximum passerait de 40 tonnes à 44 tonnes.
On constate d'ores et déjà beaucoup d'inquiétude voire d'irritation chez nos concitoyens, qui sont choqués de voir les files de camions qui encombrent nos routes – résultat de la politique qui a consisté, depuis plusieurs décennies, à encourager le « tout-routier » pour le transport des marchandises. Il faut donc profiter du peu de temps de parole qui nous est accordé pour dire aux Français, car ceux-ci doivent le savoir, que la situation va encore s'aggraver. En effet, l'article 72 bis, malgré son caractère un peu technique, est très clair de ce point de vue : « la norme maximale en termes de poids total autorisé en charge d'un véhicule articulé. » – tout le monde aura compris qu'il s'agit d'un camion – « d'un train double ou d'un ensemble composé d'un véhicule à moteur et d'une remorque est fixée à 44 tonnes pour cinq essieux ». Si on lit cela sans connaître la question, on peut se demander de quoi il s'agit. Eh bien, jusqu'à présent, le poids maximal autorisé était de 40 tonnes pour cinq essieux et il fallait six essieux pour 44 tonnes, en dehors de quelques dérogations.
Cela pose d'abord des questions en termes de sécurité routière. J'aimerais bien d'ailleurs entendre le secrétaire d'État à ce sujet, car, s'il n'a pas en charge la sécurité routière, il appartient à un Gouvernement qui a tout de même, je crois, quelques préoccupations en la matière. Les véhicules et les camions conçus pour supporter 40 tonnes vont-ils pouvoir résister, sans la moindre adaptation – car c'est bien là le but –, y compris pour les systèmes de freinage, à ces 10 % de charge supplémentaire ?
Nous savons très bien qu'il est déjà difficile de contrôler la surcharge, malheureusement fréquente, des camions. Si on augmente le tonnage de 10 %, la surcharge pourra avoir des conséquences encore plus graves en termes de sécurité.
Cette décision soulève aussi des problèmes économiques. En effet, si le gain est assez évident pour les transporteurs, dont on sait très bien qu'ils ont demandé cette mesure, la collectivité en supportera le surcoût. Le Conseil général de l'environnement et du développement durable – organisme officiel – indique, en effet, dans son rapport paru le 13 octobre 2011, que le « bilan socio-économique de l'autorisation des 44 tonnes est globalement négatif dans l'hypothèse du maintien des véhicules à cinq essieux – ce qui figure, je l'ai dit, dans le texte de loi – car les coûts de l'impact sur les chaussées dépassent l'avantage économique lié à l'amélioration de la productivité du secteur des transports. L'avantage économique ne justifie donc pas cette disposition. » Le Conseil s'appuyait sur un argument économique avant d'être un argument écologique. Les départements sont chargés de l'entretien des routes. Ils doivent savoir, alors qu'ils rencontrent souvent des difficultés financières, qu'avec une telle mesure leurs dépenses d'entretien augmenteront. En effet, la détérioration des routes est essentiellement due aux camions.
Enfin, un problème de choix politique se pose dans le domaine des transports. Un nouvel avantage est ainsi accordé au transport routier au détriment, reconnaissons-le, du transport fluvial et du transport ferroviaire qui sont particulièrement adaptés au transport des pondéreux.
On avait commencé ce mandat avec le Grenelle de l'environnement, et donc une ambition affichée en la matière, et on le termine malheureusement avec la liquidation pure et simple de toute ambition écologique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
Les points abordés par les différents intervenants ont déjà été longuement débattus, je serai donc bref.
Je tiens d'abord à remercier Claude Bodin et Pierre Morel-A-L'Huissier.
L'un comme l'autre ont, en effet, bien mis en valeur certains dispositifs essentiels de ce texte très attendu par les entreprises.
Je ne répèterai pas ce que j'ai précisé tout à l'heure à MM. Chassaigne et Mallot. L'un et l'autre sont intervenus en sachant parfaitement que leurs propos ne correspondaient pas à la réalité. Les dispositions prévues à l'article 40 figuraient initialement dans le texte. Les syndicats ont, par conséquent, été consultés.
Vous me permettrez de vous répondre, monsieur de Rugy, que la mesure relative aux 44 tonnes, même si elle est d'initiative parlementaire, est soutenue par le Gouvernement…
…pour la simple raison qu'elle est essentielle, puisque le durcissement récent des règles était excessif. Le Parlement a eu raison de s'en saisir. Cela créait, en effet, une distorsion de concurrence majeure avec les autres pays européens. Je ne pense pas que M. de Rugy souhaite que tous les transporteurs des autres pays puissent concurrencer, pour les produits pondéreux, les transporteurs nationaux. Or c'est ce qui se passait.
C'est la meilleure réponse à son inquiétude quant à l'équipement des 44 tonnes et à l'adaptation, sur le plan mécanique, des transporteurs routiers à ce nouveau dispositif. Les surcoûts résultant du durcissement de ces règles auraient été insupportables pour les entreprises qui ne peuvent pas recourir à des prestataires étrangers, je pense en particulier aux agriculteurs.
Cela n'aurait eu aucun sens qu'une mesure de distorsion de concurrence avec tous les autres pays européens perdure dans notre législation. Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement est parfaitement en phase avec l'initiative parlementaire qui a fait passer le tonnage à 44 tonnes.
J'appelle maintenant, conformément à l'alinéa 3 de l'article 114 du règlement, la proposition de loi dans le texte adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.
La parole est à M. Jean-Michel Clément, pour expliquer son vote.
Nous arrivons au terme de la discussion d'un énième et dernier texte de simplification. Je sais l'attachement du président Warsmann à l'objectif de simplification qu'il avait assigné à notre commission. Nous partageons cette volonté de simplifier, de clarifier et de rendre la loi intelligible dès que c'est nécessaire. Vous l'avez vous-même souligné, monsieur Morel-A-L'Huissier, nous avons beaucoup, voire trop légiféré. Dans cette abondance de textes, des scories se sont forcément glissées, qui nécessitent que l'on revienne sur les textes votés.
Cette loi de simplification comporte certaines dispositions auxquelles nous avons apporté notre concours, parce que nous y étions favorables. Toutefois, nous nous sommes parfois, dans ce texte comme dans d'autres, quelque peu éloignés des objectifs initiaux que nous nous étions fixés dans le cadre des textes de simplification. André Chassaigne a indiqué que 20 % des articles que l'on nous propose de voter sont des textes de simplification et 80 % des textes de fond qui créent du droit.
On me répondra que les textes de simplification créent aussi du droit. Nous n'en doutons pas ! Cela étant, il semble que nous y ayons trop souvent glissé des cavaliers, ce qui a de temps en temps amené le Conseil constitutionnel à nous rappeler à l'ordre. Parfois aussi, des pans entiers de lois ont été retirés lors de la navette entre l'Assemblée nationale et le Sénat pour finir leurs jours dans un texte qui se suffisait à lui-même. Nous aurions donc dû mieux travailler.
Tout cela pour expliquer que vous ne voulez pas de simplification pour les entreprises !
Je conclurai, monsieur le président, en prenant l'exemple de l'article 40. Je suis toujours choqué que l'on ne parle du travail que pour évoquer son coût, ce qui est, me semble-t-il, faire insulte au monde du travail.
C'est faux ! L'article 40 ne parle pas de coûts ! Il ne comporte pas de notion de rémunération !
On ne met jamais en parallèle la rémunération des dirigeants de société, comme si elle était acceptable alors que le coût du travail serait indécent !
Voilà pourquoi nous voterons, bien évidemment, contre cette proposition de loi de simplification.
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi telle qu'elle résulte du texte voté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.
(L'ensemble de la proposition de loi est adopté.)
L'ordre du jour appelle la discussion, en lecture définitive, du projet de loi de programmation relatif à l'exécution des peines (n° 4410).
La parole est à M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, nous arrivons au terme de l'examen du projet de loi de programmation sur l'exécution des peines. Ce texte nous permet de poursuivre et d'intensifier l'action engagée depuis un an pour l'exécution des peines et d'en garantir ainsi la célérité et l'effectivité. Le Gouvernement s'est fortement mobilisé pour réduire les délais d'exécution des peines avec le lancement d'un plan national qui fixait des objectifs aux juridictions ayant accumulé le plus de retard. Ces efforts ont commencé à produire des effets. Le nombre de peines en attente d'exécution a baissé environ de 15 000 entre la fin de l'année 2010 et le milieu de l'année 2011. Cela s'est traduit par une augmentation du nombre de condamnés détenus et par une augmentation du nombre de condamnés placés sous surveillance électronique. Nous avons également raccourci les délais de mise à exécution : deux tiers des peines d'emprisonnement ferme prononcées sont désormais exécutées, en moyenne, dans les six mois de leur prononcé.
Pour la crédibilité même de la justice, il est en effet indispensable que les sanctions que prononcent les magistrats soient exécutées, et ce dans des délais raisonnables.
Les résultats sont donc encourageants, mais il faut aller plus loin. C'est tout l'objet du texte. Je voudrais saluer l'apport de votre assemblée et, en particulier, l'excellent travail de votre rapporteur et de la commission des lois pour renforcer et compléter les grands axes du texte.
En mettant en oeuvre des moyens adaptés à la réalité des besoins, en nous fixant des objectifs ambitieux, nous permettons que s'accomplisse pleinement l'oeuvre de justice, pour la meilleure protection de nos concitoyens, mais aussi pour la réinsertion des condamnés.
Vous pourriez dire merci au Président de la République ! Il y serait sensible !
C'est en effet le Président de la République qui a annoncé, au mois de septembre, à Réau, que ce texte de loi viendrait en discussion. Je vous le rappelle volontiers, monsieur Mallot, parce que je sais que vous avez la mémoire courte.
Augmenter la capacité du parc pénitentiaire pour le porter à 80 000 places à l'horizon 2017, diversifier les établissements, notamment par la création d'établissements pour courtes peines, est une nécessité. Nous permettons ainsi que les peines d'emprisonnement en attente puissent être effectivement mises à exécution. Nous apportons aussi une réponse au surencombrement de nos prisons, afin de garantir des conditions de détention dignes et de permettre un véritable travail de réinsertion indispensable à la prévention de la récidive. Les condamnés pourront également bénéficier d'un véritable parcours individualisé d'exécution de peine. Ce projet de loi est la traduction des obligations que l'État s'est fixées avec le vote de la loi pénitentiaire de 2009.
Afin de garantir une prise en charge rapide et efficace des condamnés, le texte prévoit le renforcement des services de l'application et de l'exécution des peines, la généralisation des bureaux d'exécution des peines à toutes les audiences et dans chaque juridiction. De même, les moyens des services pénitentiaires d'insertion et de probation sont renforcés avec la création de 300 équivalents temps plein supplémentaires et le recentrage de leur action sur leur coeur de métier.
Pour mieux lutter contre la récidive, il est également indispensable de développer de nouveaux outils de suivi des condamnés. Ainsi, le diagnostic à visée criminologique est généralisé et trois nouveaux centres d'évaluation sont créés. L'accent est également mis sur les soins en détention. Enfin, le texte élargit l'échange d'informations entre les services de justice et le médecin dans le cadre d'une obligation de soins ou d'une injonction de soins, ou encore entre l'institution judiciaire et les responsables d'établissements scolaires ou les personnes qui accueillent des mineurs placés sous contrôle judiciaire pour des crimes ou délits violents ou de nature sexuelle.
Le projet de loi améliore la prise en charge des mineurs par la création de vingt nouveaux centres éducatifs fermés. En donnant la primauté à l'éducatif, ces centres offrent une prise en charge renforcée et adaptée pour permettre à ces jeunes de se construire véritablement un avenir. Leur capacité d'accueil sera ainsi portée à 721 places ; leurs moyens seront, en outre, renforcés en matière de suivi pédopsychiatrique, comme l'avait proposé votre assemblée.
Parce que, pour les mineurs plus encore que pour les majeurs, la mesure judiciaire doit être mise à exécution dans un temps proche de la commission des faits, le texte fixe à cinq jours ouvrables maximum le délai imposé entre la date du jugement et la première convocation du mineur et de ses parents devant le service éducatif.
Mesdames, messieurs les députés, le projet de loi de programmation poursuit des objectifs essentiels nous donnant les moyens, aujourd'hui et pour l'avenir, d'améliorer le taux et les modalités d'exécution des peines. Il apporte des solutions adaptées à la poursuite de deux priorités majeures de la politique pénitentiaire et pénale que le Gouvernement conduit depuis cinq ans : la réinsertion des détenus et la prévention de la récidive.
En votant ce texte, vous permettrez de renforcer encore la crédibilité de la justice en garantissant l'effectivité des peines prononcées. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Jean-Paul Garraud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l'Assemblée nationale est invitée à statuer définitivement, en application de l'article 45, alinéa 4, de la Constitution, sur le projet de loi de programmation relatif à l'exécution des peines. Sans présenter dans le détail l'ensemble de ses dispositions, je souhaite vous rappeler les grandes lignes de ce texte que notre assemblée s'apprête à adopter en lecture définitive.
Le projet comprend vingt et un articles et se donne pour objectif, dans la continuité des réformes engagées depuis 2002, de renforcer de manière décisive l'effectivité de la réponse pénale, suivant trois axes.
En premier lieu, il entend renforcer la rapidité et l'effectivité de la mise à exécution des peines.
Le rapport annexé au projet prévoit la création de plus de 24 000 places de prison brut entre 2013 et 2017, ce qui permettra de porter la capacité d'accueil du parc carcéral français à 80 000 places en 2017. C'est une politique d'exécution des peines ambitieuse et réaliste, pour deux raisons.
D'abord, il est nécessaire d'augmenter le nombre de places de prison disponibles, ne serait-ce que pour mettre fin au phénomène de surpopulation carcérale dénoncé avec constance par tous les parlementaires depuis de nombreuses années déjà.
Ensuite, il est nécessaire d'anticiper les besoins de demain. Alors que le nombre de personnes incarcérées devrait, selon le scénario le plus vraisemblable, augmenter pour atteindre 80 000 en 2017, la capacité d'accueil du parc carcéral apparaît manifestement insuffisante.
Cet accroissement de la capacité d'accueil s'accompagnera, d'une part, de la mise en place de structures adaptées à l'exécution des courtes peines pour un total de près de 6 000 places et, d'autre part, d'un renforcement significatif des services chargés de l'application des peines avec, notamment, la création de 120 emplois de magistrats et de 89 emplois de greffiers, et la généralisation des bureaux d'exécution des peines, dont l'utilité et l'efficacité ne sont plus à démontrer. Je rappelle pour mémoire la création des vingt centres éducatifs fermés et des trois centres nationaux d'évaluation. Bref, il y a là toute une série de dispositions essentielles, et même le candidat de l'opposition semble prôner de telles mesures. Dommage que l'opposition se soit opposée à ce texte.
En deuxième lieu, ce projet de loi a pour objectif de renforcer les moyens d'évaluation de la dangerosité et de lutte contre la récidive, sujet on ne peut plus essentiel qui nous préoccupe depuis plusieurs années.
Nul ne peut contester que l'efficacité des dispositifs de prévention de la récidive apparaît intimement liée à la qualité, d'une part, de l'évaluation de la dangerosité criminologique des personnes condamnées et, d'autre part, du suivi de ces mêmes personnes, en particulier sur les plans sanitaire, psychologique et psychiatrique. Tant le rapport annexé que les dispositions normatives du présent projet de loi de programmation répondent à cette préoccupation majeure. En effet, qu'elles visent à répondre à la pénurie actuelle d'experts psychiatres, à généraliser le diagnostic à visée criminologique ainsi que les programmes de prévention de la récidive, à renforcer le dispositif d'incitation aux soins en milieu fermé ou encore à améliorer la prise en compte de la dangerosité, les dispositions contenues dans le projet soulignent toutes combien notre assemblée s'est engagée avec force et détermination pour offrir à l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale les moyens permettant de donner à la prévention de la récidive une impulsion décisive.
En troisième lieu, le projet de loi comprend un volet consacré à l'amélioration de la prise en charge des mineurs placés sous main de justice.
Alors que le nombre de mineurs mis en cause progresse et que les infractions qu'ils commettent tendent à s'aggraver, le texte comporte plusieurs dispositions destinées à accélérer la mise à exécution des mesures prononcées à l'encontre des mineurs délinquants. Ainsi, le projet de loi instaure, à compter du 1er janvier 2014, un délai maximal de cinq jours ouvrables pour la convocation par les services de la protection judiciaire de la jeunesse de tout mineur à l'encontre duquel est prononcée une décision exécutoire ordonnant une mesure ou une sanction éducative.
Ce projet de loi comprend enfin cinq articles relatifs à l'exécution des peines de confiscation issus d'amendements du président Warsmann, qui ont fait l'objet dès la première lecture – moment de lucidité de l'opposition – d'une adoption conforme par les deux chambres.
Ce sont malheureusement les seules dispositions qui ont été adoptées par l'opposition.
Après que le Sénat eut, le 1er février 2012, voté le projet de loi que l'Assemblée nationale avait adopté en première lecture le 17 janvier 2012, mais en le modifiant profondément, la commission mixte paritaire, réunie le 14 février 2012, n'est pas parvenue, on s'en doute, à élaborer un texte commun. L'Assemblée nationale a donc rétabli en nouvelle lecture, le 20 février dernier, le texte issu de ses délibérations en première lecture, en ne lui apportant que peu de modifications. Le 27 février dernier, le Sénat a rejeté le projet de loi en adoptant une question préalable. Le désaccord entre les deux assemblées ne pouvant être tranché que par le recours au dernier mot de l'Assemblée nationale, le Gouvernement a demandé à l'Assemblée nationale de statuer définitivement.
À ce stade de la procédure, en raison de l'échec de la commission mixte paritaire et du fait du rejet du texte par le Sénat en nouvelle lecture, les contraintes fixées par le dernier alinéa de l'article 45 de la Constitution sont précises : l'Assemblée nationale ne peut que reprendre le dernier texte voté par elle à l'exclusion de tout amendement. Je vous invite par conséquent, mes chers collègues, à adopter le projet de loi dans le texte voté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue tout d'abord la qualité du travail accompli sur ce texte par notre rapporteur et je vais revenir quelques instants sur le chapitre III, relatif à la saisie et à la confiscation des biens, qui a été ajouté par la commission des lois.
Nous avons voulu, tout au long de cette législature, renforcer et en grande partie créer un arsenal juridique permettant de saisir et de confisquer les biens des délinquants. Nous sommes en effet persuadés qu'au-delà de la sanction pénale, des amendes ou des peines de prison, nous devons, pour garantir la paix sociale et le respect de l'ordre public, pouvoir confisquer tous les biens des délinquants liés à leur activité criminelle. Il n'est pas acceptable de voir, dans de nombreux secteurs, certains de nos concitoyens mener un train de vie ostentatoire avec tout le luxe qui peut y être lié, le tout financé par des trafics en tous genres.
Nous avons dans un premier temps, après un long travail en commission des lois, voté la loi de juillet 2010, qui a donné à notre pays des outils essentiels grâce à la création d'une agence et dont on commence à voir les premiers résultats. Avec le présent texte, nous allons adopter une nouvelle série de dispositions pour améliorer encore l'arsenal français.
Il s'agit d'abord de permettre la saisie en valeur. Pour être très concret, lorsqu'un délinquant sera poursuivi pour une série d'actes délictuels et que la justice pourra reconstituer combien d'argent il a gagné par ces actes délictuels au cours des trois dernières années, il pourra être condamné à rembourser au Trésor public le montant de cette somme et l'on pourra confisquer aussi à cette fin les biens acquis auparavant, sans avoir à prouver qu'ils l'ont été directement avec l'argent du trafic des trois dernières années. C'est important pour la paix sociale, et c'est important pour les victimes. Les biens que l'on confisque, en effet, servent d'abord à indemniser les victimes et le reste va au Trésor public.
Nous avons prévu une deuxième série de dispositions afin de lutter contre les prête-noms. Il ne nous a pas échappé qu'au fur et à mesure que la loi était appliquée, des délinquants s'organisaient pour que les biens matériels qu'ils utilisent appartiennent à des prête-noms, des personnes n'ayant visiblement pas les moyens nécessaires pour financer une belle voiture ou ce qui va avec, ou, pire encore, parfois, à des structures sociales créées ad hoc pour jouer le rôle de sociétés écran. Sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, nous vous proposons de donner à la justice les moyens de saisir et de confisquer tous ces biens qui sont nominalement à des prête-noms mais qui, dans les faits, servent aux délinquants.
Enfin, pour renforcer les outils répressifs français, il est essentiel de travailler à la coopération internationale. Nous vous proposons ainsi des dispositions qui permettront à la France de saisir sur le sol français les biens que des juridictions étrangères auront décidé de confisquer. Si nous voulons que nos propres décisions de justice soient appliquées, exécutées à l'étranger, il faut que nous puissions symétriquement agir quand une justice étrangère nous demande d'appliquer les siennes en France. Un décret n'avait pu être publié en raison de l'imprécision de la loi de 2010. Lorsque la saisie sera inférieure à 10 000 euros, l'argent ira au Trésor public français. Lorsqu'elle sera supérieure à 10 000 euros, ce sera 50 % pour l'État français et 50 % pour l'État d'origine de la juridiction nous demandant d'exécuter son jugement.
Voilà, mes chers collègues, un gros travail que nous pourrons mettre au crédit du Parlement et de la commission des lois. En cette fin de législature, nous aurons doté notre pays des moyens humains, avec l'agence, et des moyens juridiques de saisir et de confisquer les biens issus des trafics des délinquants. Ce sont des mesures attendues par nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Dominique Raimbourg.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'interviens devant vous une nouvelle fois au sujet de ce texte et je serai donc relativement bref puisque de nombreux arguments ont été échangés.
Vous avez dit, monsieur le rapporteur, que, dans un éclair de lucidité, nous avions soutenu les dispositions concernant les saisies. C'est tout à fait exact. C'est d'ailleurs un peu plus qu'un éclair puisque nous avions également voté la loi de juillet 2010 et que nous sommes partisans du travail effectué par le président de la commission des lois pour aller chercher dans la poche des malhonnêtes l'argent gagné malhonnêtement, ce qui est très efficace, très utile, très salutaire et très sain pour notre pays.
Nous ne sommes pas non plus opposés à vos recherches sur la dangerosité. Nous sommes parfois en désaccord sur l'esprit, sur l'optimisme avec lequel vous les entamez, parce que nous sommes parfois plus sceptiques que vous sur la question de savoir si la dangerosité sera un jour scientifiquement démontrée, mais tout ce qui peut améliorer le traitement et le suivi des délinquants nous semble intéressant.
Malheureusement, au-delà des dispositions dont je viens de parler et qui recueillent de notre part un assentiment total pour les saisies et un assentiment partiel pour les dispositions relatives à la criminologie ou pour les améliorations du code de procédure pénale, l'essentiel de ce texte est tout de même la création de 24 000 places de prison pour aboutir à un parc pénitentiaire de 80 000 places en 2017, avec la circonstance très particulière que la moitié de ces places seront construites dans le cadre d'un partenariat public-privé.
Tout d'abord, il nous paraît tout à fait anormal, voire quasi choquant, qu'une telle loi de programmation soit votée à un peu plus de cinquante jours d'une élection présidentielle. Ce ne sera pas forcément un référendum mais il y aura au moins une discussion sur la politique pénale à venir, et voter une loi de programmation à quelques semaines d'une échéance présidentielle qui rythme la vie politique de notre pays, c'est beaucoup trop tard.
Il nous paraît anormal également que nous nous engagions dans une politique pénale pour cinq ans, parce que la construction des prisons conditionne la politique pénale. La nature a horreur du vide, les maisons d'arrêt encore plus, et nous savons tous que, dès l'instant où il y aura des cellules, on trouvera des occupants, d'autant plus que nous paierons un loyer et que le concessionnaire voudra remplir son établissement pour ne pas être dans une situation difficile.
Cette politique est en contradiction, me semble-t-il, avec l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, selon lequel la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires. J'ai le sentiment, en effet, que, si nous construisons un grand nombre de places de prison, nous irons vers l'incarcération de plus de gens, précisément parce que la nature a horreur du vide.
Il nous paraît aussi tout à fait anormal que nous nous lancions dans la construction d'un parc pénitentiaire de 80 000 places en partant de l'idée que 80 000 peines de prison sont en attente d'exécution. Les services de l'inspection judiciaire ont rappelé que la grande majorité de ces peines étaient inférieures à un an et que l'immense majorité d'entre elles étaient inférieures à deux ans. C'est dire que ce sont des peines susceptibles d'être aménagées.
Je sais parfaitement que les peines ne sont pas toutes aménageables, y compris parmi celles inférieures à deux ans. Je sais parfaitement qu'il y a de courtes peines qui doivent être exécutées, car elles interviennent après de nombreuses condamnations. Néanmoins, dans la masse de ces peines, il y en a énormément d'aménageables.
Aujourd'hui, nous ne connaissons pas le nombre de peines qui seraient véritablement non exécutées, c'est-à-dire qui n'auraient jamais été exécutées au terme du délai de prescription, lequel, en matière correctionnelle, est fixé à cinq ans. Cela signifie que nous nous lançons dans une opération qui ne répond pas à une appréciation, sinon scientifique, du moins statistiquement fondée de la nécessité de construire 80 000 places de prison. Le rapport lui-même me conforte dans cette idée car il étudie quatre scénarios possibles, qui ne correspondent pas tous au chiffre de 80 000.
Nous nous sommes lancés dans une politique d'augmentation de l'enfermement. Fin 2001, le ratio d'enfermement était de 75 pour 100 000 habitants ; il est passé à 93 en 2011 et doit atteindre 103 en 2012. C'est une augmentation très importante. Nous parlons de « stock » ; le terme est désagréable s'agissant d'hommes et de femmes enfermés, mais il est nécessaire pour que tout le monde ait statistiquement le même niveau d'information. En termes de stock, donc, le nombre de personnes incarcérées a augmenté de plus de 6 % cette dernière année. Cette fuite en avant ne correspond pas à une politique pénale moderne. J'ajoute, à l'heure où nous prenons pour modèle tout ce que fait l'Allemagne, que celle-ci a mis en oeuvre une politique dite de déflation carcérale, faisant passer son ratio d'enfermement de 95 à 88 pour 100 000 habitants.
Enfin, il nous paraît anormal de nous lier les mains pour des années avec les trois opérateurs aujourd'hui seuls capables de construire des prisons et, dans la logique du projet, d'assurer leur maintenance ainsi que les prestations à l'intérieur des établissements. Ces trois opérateurs, les trois grands du BTP, sont, soit directement, soit par l'intermédiaire de leurs filiales, Bouygues, Eiffage et Vinci. Est-il opportun de renforcer cet oligopole ? Est-il opportun de se lier les mains avec ces trois opérateurs qui auront des exigences en matière de politique pénale en tant que concessionnaires ? Ce sont des gens tout à fait honorables, mais leur métier consiste à investir dans des opérations, dont ils attendent un retour sur investissement. On ne peut pas le leur reprocher, mais on a tort d'entrer dans cette logique.
Je terminerai en disant qu'une autre politique est possible, une politique remplaçant la centralité de l'enfermement par le contrôle à la sortie de prison. J'avais évoqué deux mécanismes : d'une part, le mécanisme de régulation carcérale appelé numerus clausus, qui n'interdit absolument pas l'incarcération mais permet de mettre en place un contrôle à la sortie et d'éviter les sorties sèches ; d'autre part, la multiplication des libérations conditionnelles. Je vous avais même rendu hommage, monsieur le garde des sceaux, car le nombre des suivis avec bracelet a considérablement augmenté. C'est une politique pénale qui serait nouvelle.
Compte tenu de ces éléments, nous vous demandons, chers collègues, de voter la motion de rejet préalable.
Il y a dans ce que je viens d'entendre une véritable négation de la réalité. Malgré tous les efforts que nous avons faits, notamment avec le programme « 13 200 places » lancé dès 2002, la surpopulation carcérale existe. La question est de savoir comment y remédier.
Nous avons adopté en 2009 la loi pénitentiaire, dont j'étais aussi le rapporteur et qui permet des aménagements de peine. La politique alternative à l'enfermement, nous l'avons donc également mise en place. Pourtant, nous sommes toujours confrontés à la surpopulation carcérale. Il n'y a donc pas d'autre moyen, monsieur Raimbourg, que de construire de nouvelles places de prison. Ne pas le vouloir, c'est une négation de la réalité. C'est le premier point : il faut des places de prison supplémentaires et, déjà rapporteur de la loi pénitentiaire, je vous assure que 80 000 places sont nécessaires. C'est quelque chose dont je suis absolument certain.
J'ai également retrouvé dans vos propos un argument que j'entends souvent de la part de l'opposition : « Surtout ne construisez pas de places de prison car vous allez les remplir ! » C'est une seconde négation, la négation de la situation relative au crime. Les crimes et délits existent, et quand les magistrats, les juridictions prononcent, souverainement, une peine d'enfermement, qu'elle soit de courte ou de longue durée, il faut pouvoir y répondre. Attention à ne pas confondre les causes et les conséquences. Il est certain que des places de prison doivent être construites, malgré toute notre volonté de mettre en place d'autres dispositifs, comme nous l'avons fait.
Cette double négation de la réalité conduit nécessairement au rejet de votre motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur Raimbourg, j'ai trouvé votre exposé très intéressant, et je ne comprends pas que vous ayez conclu comme vous l'avez fait, alors que votre intervention était pleine de remarques exactes et de bon sens (Rires sur plusieurs bancs du groupe UMP).
Tout d'abord, vous nous avez dit que certaines peines courtes devaient être aménagées et d'autres exécutées. C'est vrai. Sur les 85 000 peines non exécutées, la plupart sont de courte durée. C'est donc à partir de ce chiffre qu'il faut évaluer les besoins.
Ce n'est pas vous qui avez rapporté la loi pénitentiaire, puisque M. Garraud a rappelé que c'était lui, mais je pense que vous l'avez votée. Quand on regarde les choses aujourd'hui, notamment à Nantes, chez vous, la surpopulation carcérale est quelque chose d'indigne, dont il faut bien sortir. Nous comptons aujourd'hui à peu près 66 000 personnes incarcérées pour 56 000 places. Nous avons donc besoin de 10 000 places rien que pour satisfaire les exigences de dignité à l'égard des personnes déjà détenues. Il ne reste plus que 14 000 places nouvelles, à comparer aux 85 000 peines non exécutées. Nous voyons donc bien qu'il faut tendre vers 80 000 places.
Il ne s'agira d'ailleurs pas que de constructions nouvelles, mais aussi de la réhabilitation de certaines prisons. Les établissements de Cherbourg, Coutances, Lure, Privas, Aurillac, par exemple, ont été traités de la même façon.
Au cours de la législature qui s'achève, nous avons réalisé de très gros efforts pour mettre en place ce que vous appelez le contrôle. Le Gouvernement, le rapporteur l'a rappelé tout au long de la discussion, ne veut pas faire du « tout-carcéral », et nous en serions bien loin avec ce projet. Bien au contraire, nous voulons utiliser tous les moyens d'exécution des peines. Nous créons des bureaux d'exécution des peines, nous mettons en place des travaux d'intérêt général, nous établissons de nouvelles méthodes d'aménagement, en application de la loi pénitentiaire, et nous développons le contrôle électronique. Nous avons augmenté de 127 % le nombre de personnes sous contrôle plutôt qu'incarcérées.
Je ne comprends donc pas que vous nous demandiez le rejet d'un texte qui correspond pleinement à tout ce que vous nous avez expliqué devoir être le but d'une politique pénitentiaire digne de ce nom. Je sais bien que vous ne pouvez pas le voter, notamment parce que nous sommes bientôt au mois de mai 2012. Pour le reste, ce texte mérite d'être adopté, et je souhaite dire à ceux qui le voteront qu'ils s'apprêtent à faire une bonne action.
Quelques mots pour expliquer l'opposition de l'UMP à la motion de rejet. Il est important de voter ce projet de loi. Nous arrivons au terme du processus, et c'est à l'honneur du Gouvernement et de la majorité d'avoir porté ce texte ambitieux, audacieux, qui comporte des avancées fondamentales et prévoit des moyens humains et matériels donnant une vraie lisibilité à la justice de notre pays sur la durée.
Monsieur Raimbourg, je regrette que vous ayez, dans votre argumentation au demeurant de qualité, contesté le phénomène de la mauvaise exécution des peines. Ce phénomène s'impose pourtant à tous ; je n'y reviendrai pas. Nous pourrions nous retrouver pour apporter des solutions concrètes – elles sont dans ce texte – en vue de faire face à ce problème majeur qui est de nature à altérer l'indispensable lien de confiance entre les Français et leur justice. Une décision de justice non exécutée ou exécutée dans un délai incompatible avec l'attente des victimes, c'est immanquablement, en effet, un lien de confiance affaibli entre les Français et la justice.
Enfin, je ne peux comprendre le raisonnement, qu'a réfuté le rapporteur, selon lequel ce sont les places de prison qui détermineraient la politique pénale. La justice, c'est tout le contraire. Elle est indépendante, elle a un devoir d'individualisation des peines et elle ne peut être soumise à des contingentements matériels. C'est pourquoi il est nécessaire de construire des places de prison supplémentaires.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre cette motion.
Qu'il soit nécessaire d'exécuter les peines, c'est tout à fait vrai, et je pense qu'il faudrait faire un effort à la fois sur l'exécution et l'aménagement. Si nous nous dotons de places de prison supplémentaires, la facilité amènera malheureusement à les remplir.
Ensuite, nous ne nions pas la réalité de la surpopulation carcérale, mais le problème devait être réglé par l'achèvement du programme « 13 200 », qui aurait dû nous amener à 65 000 places. Comme nous avons actuellement 65 000 détenus, la question aurait dû, au moins statistiquement, être réglée. Or elle ne l'est pas. Notre opposition, s'agissant des 80 000 places, ne porte pas sur le principe « une place, un détenu ».
Monsieur le garde des sceaux, vous avez bien voulu évoquer la situation particulière des établissements pénitentiaires de Nantes. Cette situation, monsieur Ciotti, apporte la démonstration de ce que j'avançais, à savoir que, quand il y a de la place, cela crée de l'appel. La maison d'arrêt de Nantes compte 294 places pour, en moyenne, 420 détenus. Un nouvel établissement va ouvrir à la périphérie de la ville. Il devrait, de mémoire, accueillir 520 détenus, selon le principe de l'encellulement individuel. Compte tenu de la situation, je crois que nous passons à 640 détenus, pour pouvoir répondre à la nouvelle demande, c'est-à-dire que l'on recrée des cellules collectives.
Telles sont les raisons pour lesquelles je vous demande d'adopter la motion de rejet.
(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, cette intervention est celle de mon collègue Marc Dolez, qui devait la prononcer. Vous n'y retrouverez donc pas le ton qui m'est propre, car je me limiterai à lire le texte qu'il a préparé.
Notre pays vient de battre un nouveau record, avec 65 699 détenus dans les prisons françaises au 1er février 2012. Ce triste record n'est malheureusement pas surprenant.
En effet, les politiques pénales menées ces dernières années, qui vont dans le sens d'un recours toujours plus fréquent à l'enfermement, sont directement responsables d'une telle augmentation. La construction de nouveaux établissements pénitentiaires, loin de résoudre le problème, entretiendra au contraire cette tendance
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui en lecture définitive s'inscrit précisément dans la logique du tout-carcéral,…
…qui a pourtant fait montre de son inefficacité. Je veux brièvement rappeler nos principales objections, sans reprendre toutes celles que j'ai déjà développées lors des lectures précédentes.
Tout d'abord, s'il paraît nécessaire et urgent d'améliorer les conditions matérielles de détention, nous contestons en revanche l'obsession visant à l'accroissement constant du nombre de places de prison. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a lui-même rappelé le 22 février dernier, présentant les grandes lignes de son rapport d'activité pour 2011 : « En prison, actuellement en France, on a le choix entre la vétusté et la solitude. » Réagissant à ce projet de loi, il ajoutait : « Notre société est assoiffée de sécurité. Or il faut aussi se préoccuper de dignité. Aujourd'hui, l'aspect réinsertion passe au second plan et le système pénitentiaire change de nature pour une illusion car aucun moyen ne permet de prévoir ce que, un jour, un être humain a décidé de faire. »
Pour le Gouvernement, le rôle de l'État en matière pénitentiaire consiste seulement à gérer des flux. C'est en vertu de cette logique gestionnaire que le texte propose une diversification du parc carcéral. Or la mise en place de structures spécifiques pour les courtes peines n'est pas compatible avec le principe de l'aménagement des peines inférieures ou égales à deux ans d'emprisonnement, principe posé par la loi pénitentiaire de 2009. L'OIP, l'Observatoire international des prisons, souligne, dans une lettre ouverte adressée aux parlementaires le 2 décembre dernier, que si des condamnés ne présentent pas de dangerosité particulière, il est permis de se demander pour quelles raisons ils doivent nécessairement purger leur peine en prison. Afin de mieux prévenir la récidive, toutes les études montrent qu'il est préférable d'exécuter ces peines en milieu ouvert.
Nous réfutons aussi le choix de réaliser le programme de construction en partenariat public-privé. Ce choix traduit la logique managériale du Gouvernement, qui n'hésite pas à recourir à des procédures dérogatoires pour stocker la population carcérale en traitant le secteur carcéral comme un service public privatisable et en méconnaissant ainsi l'objectif spécifique de la prison.
Oh !
S'agissant de la lutte contre la récidive, elle risque de demeurer, une fois de plus, sans effet, monsieur le ministre.
Mais non !
Les effectifs des conseillers d'insertion et de probation demeurent inchangés…
Allons !
…alors que leurs missions n'ont cessé de croître, et les efforts minimes consentis se concentrent sur les seuls emplois de surveillant pour les nouveaux établissements pénitentiaires.
Non !
Ce volet du projet de loi est en outre fondé sur la notion, pour le moins contestée, de 1'évaluation de la dangerosité, concept aux contours flous réfuté par les psychiatres qui privilégient celui de risque de récidive.
Le ministre réagit, cela me fait plaisir et me confirme que je donne lecture de ce discours avec une certaine vivacité. (Sourires.)
Notre ancienne collègue députée, Christine Lazerges, professeur de droit pénal à Paris I, note très justement que le concept de dangerosité rompt avec les principes fondamentaux du droit pénal puisque « le durcissement de la peine n'est plus fonction de la culpabilité d'un homme et de l'infraction qu'il a commise, mais dépend de sa dangerosité supposée, c'est-à-dire de sa probabilité à récidiver à l'avenir ». C'est sur la base de ce concept, monsieur le ministre, qu'a été instaurée la rétention de sûreté en 2008. Le professeur Lazerges souligne aussi que nos concitoyens devraient savoir que cette loi a été « complètement inutile : en trois ans, elle n'a concerné qu'une seule personne. On est dans la simple illusion d'une société sécurisée. En agitant la dangerosité, on bâtit sur du sable une société de la peur. »
Enfin, le volet sur la prise en charge des mineurs délinquants n'est pas satisfaisant. L'accroissement du nombre de centres éducatifs fermés au détriment des autres structures d'hébergement risque de diminuer significativement l'éventail des solutions dont disposent les juges des enfants pour adapter la réponse pénale à la personnalité de chaque mineur délinquant. Nous refusons que les centres éducatifs fermés soient banalisés et constituent in fine la seule réponse à la prise en charge des mineurs délinquants. Rappelons, une fois encore, que leur fonctionnement est loin d'être parfait. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté…
…l'atteste dans sa recommandation du 1er décembre 2010, soulignant notamment le « recours abusif aux contraintes physiques », le manque de formation des éducateurs ainsi que de grandes variations dans la prise en charge « d'une part, des soins somatiques des mineurs, d'autre part, du soin psychiatrique ou de l'assistance psychologique aux enfants, enfin, de leur éducation à la santé ». Il relève aussi dans sa recommandation que les liens avec les psychiatres sont très difficiles à établir, même lorsque la population du centre souffre d'évidentes carences.
De même, si nous estimons que les délais entre les jugements prononcés à l'encontre des mineurs et leur exécution doivent être le plus courts possible pour garantir une cohérence dans le déroulement de la procédure, la solution n'est pas d'imposer un délai impératif au service éducatif. Ce n'est pas la prise en charge par le service éducatif dans un délai impératif de cinq jours à compter de la date de jugement qui permettra de diminuer les délais entre les jugements prononcés et leur exécution. Seuls une augmentation significative d'éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse et des moyens matériels conséquents permettraient d'y parvenir.
Pour conclure,…
Mais non !
…empreint d'une logique répressive, élaboré à la va-vite et sans concertation préalable avec les professionnels. Ce dont notre pays a besoin, ce n'est de pas de nouvelles prisons, qui seront presque aussitôt surpeuplées en raison des politiques sécuritaires mises en oeuvre, mais de moyens humains et matériels conséquents pour permettre aux juges, à l'administration pénitentiaire, aux services pénitentiaires d'insertion et de probation et à la PJJ de remplir dans de bonnes conditions les missions qui sont les leurs et sur lesquelles repose la crédibilité de notre justice.
Pour toutes ces raisons, et cela ne vous surprendra pas, les députés du groupe GDR voteront résolument contre ce projet de loi.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous abordons la dernière lecture du projet de loi de programmation relative à l'exécution des peines. C'est un texte important, je dirai même essentiel, et je veux saluer la détermination du Gouvernement à mener au bout son adoption. J'y ai personnellement pris une part active et je me réjouis que beaucoup des dispositions qui en forgent l'ossature proviennent des propositions que j'avais formulées dans le rapport sur l'exécution des peines que m'avait demandé, au début de l'année dernière, M. le Président de la République.
Le 13 septembre dernier, au centre pénitentiaire de Réau, le Président de la République rappelait qu'« une justice efficace, c'est d'abord une justice dont les décisions sont suivies d'effets ». Chacun d'entre nous conviendra de la nécessité d'améliorer les conditions d'exécution des peines. Nous l'avons tous dit : il s'agit d'un enjeu essentiel, et nous avons tous le devoir de chercher à le relever. Depuis 2007, le Gouvernement et la majorité s'y sont employés, ils ont fait de la justice une de leurs priorités. Contrairement aux contrevérités répétées, assenés de manière récurrente, les moyens de la justice ont été considérablement renforcés au cours de ces dernières années : le budget de la justice a augmenté de plus de 60 % en dix ans !
Le projet de loi de programmation que nous examinons a été voulu par ce gouvernement, il revêt une importance absolue car il permettra à moyen terme de résorber le stock de peines en attente d'exécution, de renforcer la lutte contre la récidive et, c'est essentiel, d'améliorer la prise en charge des mineurs délinquants.
Ce texte a été enrichi par M. le président de la commission des lois qui, il l'a rappelé il y a quelques instants, a introduit un chapitre important sur la saisie des biens provenant de délits ou de crimes, améliorant considérablement les dispositifs de saisie confiscatoire.
Le projet de loi de programmation, monsieur le garde des sceaux, a le mérite de cibler concrètement, avec lucidité et pertinence, les principaux dysfonctionnements de notre justice.
Au premier rang des dysfonctionnements se trouve, contrairement à ce qu'a soutenu M. Raimbourg, l'insuffisance des capacités carcérales, et ce, le ministre et Jean-Paul Garraud l'ont rappelé, malgré le rattrapage effectué par ce gouvernement, dont je tiens à saluer les efforts. Avec cette loi, des moyens extrêmement importants et ambitieux vont être mis au service de l'amélioration de notre système judiciaire : 3,5 milliards de crédits d'engagement, 7 000 emplois créés, dont 200 de magistrats, 120 d'éducateurs et près d'une centaine de greffiers, moyens qui permettront de fluidifier le bon fonctionnement de la chaîne pénale et de favoriser l'indispensable et rapide exécution des peines.
Nous avons déjà eu, mes chers collègues, l'occasion de débattre longuement, lors des précédentes lectures, des dispositions essentielles, et je ne reviendrai pas sur l'ensemble des mesures, très complètes et très exhaustives, qui sont contenues dans le texte. Je voudrais simplement souligner que la réorganisation des services d'insertion et de probation, la généralisation des bureaux d'aide aux victimes, le développement et la multiplication des bureaux d'exécution des peines, la généralisation du diagnostic à visée criminologique et la création de nouveaux centres éducatifs fermés constituent autant d'éléments qui vont considérablement améliorer notre système judiciaire et pénitentiaire.
En revanche, je souhaite m'attarder sur une des mesures essentielles de ce texte, incontestablement la plus importante car elle permettra de résoudre un grand nombre des difficultés que nous rencontrons aujourd'hui : il s'agit de porter à 80 000 places la capacité d'accueil du parc carcéral français à l'horizon 2017. Avec 83 places de prison pour 100 000 habitants alors que la moyenne européenne, contrairement à ce que vous avez laissé entendre, monsieur Raimbourg, est de 140, nous avons en France un des taux de capacité de détention parmi les plus faibles en Europe. Pour parvenir à ces 80 000 places, indispensables au regard des objectifs de la loi pénitentiaire et au regard de la capacité de nos juridictions à prononcer des peines de prison ferme exécutoires, il est prévu de construire, dans les cinq prochaines années, 24 000 places de prison, dont près de 6 000 seront réservées aux courtes peines dans des quartiers ou dans des établissements spécifiques mieux adaptés à leur exécution, ce que j'avais proposé dans mon rapport.
La faiblesse du parc carcéral actuel a conduit par le passé à rechercher des solutions alternatives. J'émettrai quelques nuances par rapport à ce qu'a dit M. le garde des sceaux, car je considère que nous étions entrés dans une logique systématique de l'aménagement des peines – qui cachait, il faut bien le reconnaître, une certaine forme d'hypocrisie – pour pallier le manque de capacité carcérale. Les aménagements de peine ont bien évidemment une utilité lorsqu'ils sont individualisés.
Par contre, leur caractère trop général ou systématique, voire automatique, comme vous le proposez, ainsi que les sénateurs socialistes, remettrait en cause de façon particulièrement dangereuse les décisions prononcées souverainement par les tribunaux au nom du peuple français.
En conclusion, je veux rappeler que l'efficacité de notre justice est un objectif qui doit dépasser les clivages politiques et qui ne tolère pas de positions sectaires. À cet égard, je regrette l'attitude du Sénat qui a refusé de débattre en nouvelle lecture et qui avait précédemment introduit des dispositions à tout le moins surprenantes. En forçant un peu le trait, au prétexte de mieux exécuter les peines, l'idée assez inédite et originale était de les supprimer. Le Sénat a en effet proposé un aménagement systématique, automatique, obligatoire des peines de moins de trois mois – une disposition contraire à tous nos principes constitutionnels. Il a également proposé de supprimer les peines plancher. Quant à vous, monsieur Raimbourg, vous venez de rappeler votre attachement à cette idée ahurissante de numerus clausus : à partir d'un certain nombre de détenus, une personne condamnée par un tribunal ne peut entrer en prison que si une autre en sort.
Ce n'est pas sérieux mais cela a eu au moins un mérite : éclairer nos concitoyens sur les positions et les contradictions du parti socialiste et de son candidat à la présidence. Devant les Français, le candidat François Hollande exprime sa volonté de mieux exécuter les peines ; dans cet hémicycle, le député François Hollande vote en faveur du numerus clausus, de la suppression des peines plancher, de l'aménagement systématique, automatique et obligatoire des peines.
Avec ce débat, les Français seront éclairés. En tout cas, si ces dispositions venaient à être appliquées, elles auraient sans aucun doute des conséquences dramatiques en matière de sécurité et de délinquance dans notre pays.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous abordons la lecture définitive d'un texte dont nous avons déjà beaucoup débattu.
Vous l'appelez loi de programmation ; nous avons tendance à y voir un habillage législatif de projet immobilier. La seule ambition réelle de ce texte est en effet de porter à 80 000 le nombre de places de prison. Je ne vais pas développer à nouveau les arguments présentés avec talent par Dominique Raimbourg. Nous vous avons déjà souvent exposé les raisons de notre désaccord sur ce texte, dont nous ne pensons pas qu'il puisse apporter une quelconque solution au problème de l'exécution des peines.
Éric Ciotti a rappelé que nous avons des visions assez antagonistes pour ne pas dire irréductibles. Vous défendez l'idée – respectable mais que nous combattons – selon laquelle l'incarcération à laquelle oblige l'aggravation constante des peines est une condition de l'efficacité de la réponse pénale. Nous pensons que c'est une vision un peu courte. Vous voulez construire 24 397 nouvelles places de prison ; cela ne nous semble pas une solution miracle pour lutter contre l'insalubrité réelle de certains établissements ou contre la surpopulation carcérale.
Au-delà de ce paravent, votre objectif est d'incarcérer davantage, de faire de l'emprisonnement la peine de référence, en contradiction frontale avec les évolutions de la loi pénitentiaire et les modalités d'aménagement qu'elle a introduites.
Au moment des votes, on ne trouve pas de cohérence. Incarcérer massivement, y compris des personnes condamnées à de courtes peines, c'est favoriser la récidive en rompant les liens sociaux. La plupart des études montrent qu'une peine aménagée est une meilleure garantie contre la récidive qu'une peine exécutée en détention jusqu'à son terme.
La logique de construction du programme prévu par votre projet de loi constitue un véritable traitement industriel, en termes de gestion de stocks et de flux, appliqué à des êtres humains. À l'opposé de la rationalisation affirmée par le projet, cette politique pénale coûterait très cher au budget de l'État et pour longtemps, au vu des contrats de partenariat public-privé, sur lesquels j'étais déjà intervenu en première lecture.
La Cour des comptes estime qu'une journée de détention coûte 71,10 euros à l'administration pénitentiaire, soit beaucoup plus que les aménagements de peine, socialement plus efficaces : 47,81 euros pour la semi-liberté, 40 euros pour le placement extérieur et seulement 5,40 euros pour le bracelet électronique, qui permet donc une économie de plus de 60 euros. Quant au travail d'intérêt général, il ne coûte quasiment rien à la puissance publique.
L'impact sur le budget de l'État de l'incarcération pour de courtes peines, dont le projet de loi fait un axe majeur, est particulièrement frappant : plus de 90 % des peines dites non exécutées sont inférieures ou égales à deux ans donc aménageables, l'aménagement étant un mode d'exécution et non une faveur. D'ailleurs, si la majorité des condamnations à de courtes peines était exécutée en milieu ouvert, le parc carcéral actuel de 57 268 places suffirait.
Vous prévoyez la construction de 24 397 places pour un investissement, que nous considérons sous-évalué, de 3 milliards d'euros. Or il a été calculé hors acquisition foncière et hors coûts de fonctionnement. Bien plus, la Cour des comptes a observé que rien, ni à court ni à long terme, ne permet d'affirmer que le partenariat public-privé permettra à l'État de faire des économies.
Nous contestons cette vision linéaire de l'incarcération comme facteur d'efficacité de la peine, et nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls à dénoncer cette fuite en avant.
Vous avez nécessairement lu le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, monsieur le garde des sceaux et monsieur le rapporteur. Puis-je me permettre de citer ce que dit Jean-Marie Delarue,…
Créée par ce Gouvernement !
Certainement, personne ne cherche à le nier. Nous avons contribué à sa création, merci de le reconnaître pareillement.
Que dit à propos de ce texte le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ? « La loi de programmation relative à l'exécution des peines est une aberration. Dans des prisons d'au moins 700 places, tout le monde est isolé, détenus et surveillants, et les relations sociales sont impossibles. Un programme de rénovation des centres existants me semble plus adapté. C'est pourquoi je ne militerai pas pour le maintien de ce texte, mais abroger ce projet de loi est un choix politique. »
M. Delarue ne sort donc pas de son devoir de réserve, ce qui est bien normal,…
Il est complètement impartial…
…mais il condamne votre texte, disant que c'est une aberration. Nous approuvons le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
En quoi, du reste, est-ce une loi de programmation, dès lors que vous ne consacrez que peu de développements aux conditions de financement des différents objectifs qui figurent dans le rapport annexé ? Votre texte ne répond pas aux ambitions que vous vous fixez. Il ne garantit pas l'effectivité de l'exécution des peines. Il ne renforce pas les dispositifs de prévention de la récidive. Il n'améliore en rien la prise en charge des mineurs délinquants, par exemple.
Un domaine illustre à lui seul la distance qu'il y a entre vos objectifs et les moyens que vous ne vous donnez pas pour les atteindre : la protection judiciaire de la jeunesse. Entre 2008 et 2011, son budget a continuellement baissé de 6 %. Cette année, à la veille de l'échéance électorale, il a augmenté de 1,2 %, une progression dérisoire et même illusoire. Dérisoire parce qu'elle ne compense pas l'inflation, estimée à environ 2 %. Illusoire parce que vous transformez plusieurs établissements de placement éducatifs actuellement gérés par la PJJ en centres éducatifs fermés pour un montant de 30 millions d'euros. L'augmentation ne se traduit donc pas en moyens supplémentaires pour la PJJ.
S'agissant des personnels, vous ne cessez de confier, à longueur de textes, des missions supplémentaires à la PJJ, et vous affirmez vouloir toujours plus d'éducateurs dans les établissements de réinsertion scolaire ou les centres éducatifs fermés. Dans le même temps, vous supprimez 130 équivalents temps plein travaillé. Ainsi, sur la période 2007-2012, vous aurez supprimé 7 % des 9 000 agents de cette administration, soit quelque 650 postes. Alors que vous affirmez vouloir améliorer la qualité du traitement de la délinquance des mineurs, comment réussirez-vous à réduire les délais de prise en charge et à renforcer la réinsertion des mineurs tout en supprimant des agents dont c'est précisément la compétence ? Comment ferez-vous mieux avec, au total, moins de personnels ? Est-ce à la hauteur du défi que représente pour la société la prise en charge efficace de la délinquance des mineurs ? On peut même y voir une forme de mépris pour la PJJ, pour les personnels dévoués et compétents qui y travaillent.
Monsieur le garde des sceaux, vous étiez sincère lors du débat budgétaire, et votre réponse à la question que je vous avais posée sonnait comme un aveu d'impuissance : « La protection judiciaire de la jeunesse est-elle, comme vous l'affirmez, le parent pauvre de la justice ? J'admets que vos critiques soient recevables, même s'il convient de noter, premièrement, que l'on essaie cette année de mettre un terme à des coupes certes nombreuses et, deuxièmement, que l'on n'a jamais touché au coeur du métier, notamment aux effectifs des éducateurs. Il reste que des suppressions de postes ont touché les fonctions de support, ce qui a imposé une réorganisation territoriale des services, ce qui a pesé sur les éducateurs. »
Parce que la législature s'achève dans quelques jours – il était temps ! –, je veux citer quelques chiffres que la majorité ne rappelle jamais alors qu'elle adore les statistiques. Qu'on me permette de les citer comme une forme de bilan des cinq ans de votre gouvernement. La révision générale des politiques publiques appliquée à la justice.
Elle n'a pas été appliquée pour la justice !
Selon le rapport de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice, la France est le trente-septième pays sur les quarante-sept du Conseil de l'Europe pour le budget qu'elle consacre à la justice rapporté au PIB par habitant. Elle est quatorzième sur quinze pays économiquement comparables.
Citons un dernier chiffre, peut-être le plus explicite : la France dépense 57,70 euros par an et par habitant pour sa justice, là où les Italiens dépensent 71,80 euros, les Britanniques 75,10 euros ou les Espagnols 86,30 euros.
Si l'on rapporte l'effort budgétaire à la richesse du pays, mesurée par le produit intérieur brut, la France se situe au bas du classement avec moins de 0,30 % de son PIB consacré à la justice.
Votre texte sur l'application des peines ne rompt pas avec cette litanie malheureusement assez attristante. Vous avez mené une politique qui consiste à déshabiller Paul pour mal habiller Pierre. Naturellement, nous voterons contre toutes ces mesures, avec la conviction et la certitude que vous reconnaîtrez un jour que votre texte fut une erreur funeste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, ce projet de loi, le dernier de la législature en matière pénale, mérite quelques observations ; j'en ferai quatre.
La première concerne la méthode de discussion. Ce texte s'inscrit dans une série de lois que la Commission nationale consultative des droits de l'homme, institution indépendante de la République, a considéré comme relevant « de l'opportunité politique et non du travail législatif réfléchi ».
La CNCDH dit aussi ce que nous avons dénoncé depuis le début de la législature, ce que met en évidence la majorité sénatoriale actuelle et ce que suggèrent, entre les lignes, certains rapports parlementaires de nos collègues de la majorité : « L'importance d'une politique pénale cohérente, stable et lisible ne se mesure pas à son degré de réactivité aux faits divers ou aux circonstances du moment. »
Ce texte a été examiné et débattu selon la procédure dite accélérée qui ne garantit pas la sérénité nécessaire. Paradoxalement, cette loi de programmation arrive en toute fin de législature, alors que, par nature, le sujet et les moyens à mobiliser ont besoin de s'inscrire dans le temps.
Deuxième observation : c'est une programmation sans moyens. Comme l'ont excellemment rappelé Jean-Jacques Urvoas et Dominique Raimbourg, le seul objectif de ce texte est en effet la création de près 25 000 places en établissement pénitentiaire, entre 2013 et 2017, s'ajoutant aux quelque 5 000 places du programme précédent et portant le parc carcéral à 80 000 places à l'horizon de cinq ans.
La création de nouvelles places pourrait se révéler utile si elle compensait en quelque sorte la fermeture de places dans des établissements vétustes, dont plus de 80 devaient initialement fermer d'ici à 2015.
Néanmoins, sur ce sujet comme sur d'autres, les promesses n'auront tenu que quelques mois puisque le nombre de fermetures de sites ne pouvant accueillir des détenus dans de bonnes conditions a été réduit à moins de quarante. Cette politique n'est, par nature, pas favorable à l'encellulement individuel promu par la loi pénitentiaire.
Mais la plus grande surprise de cette loi est que l'ensemble du programme n'est pas précisément chiffré, même sous la forme de fourchettes. Pour une loi de programmation, cela constitue une sorte de contradiction.
Troisième observation, les dispositions de ce projet de loi en matière de résorption des peines, de dangerosité et de taille des établissement sont contestables.
S'agissant de la résorption des peines non exécutées, l'étude d'impact estime à plus de 85 000 le nombre de peines délictuelles en attente d'exécution.
Plus de 90 % des condamnations en attente d'exécution – 96 % exactement – sont des condamnations à des peines inférieures ou égales à deux ans. Autrement dit, ce sont des peines qui peuvent être aménagées ou converties, après leur prononcé, en une surveillance électronique, un placement à l'extérieur, une semi-liberté, une libération conditionnelle ou un travail d'intérêt général. Il y a donc un certain paradoxe à justifier la création de places par une non-exécution de peines quand une loi adoptée par le Parlement il y a seulement quelques mois a posé le principe de leur aménagement en d'autres peines. Une évaluation des raisons de la non-réalisation de cet aménagement aurait été non seulement souhaitable mais aussi raisonnable.
S'agissant d'établir un classement des établissements selon la dangerosité des détenus, le projet de loi pose le principe en renvoyant au rapport annexé. Cette consécration n'est pas sans poser problème.
Un projet de rapport, certes centré sur le suivi des auteurs d'infractions à caractère sexuel, remis la semaine passée, relève qu'il est difficile d'expertiser la dangerosité et l'adaptation du suivi. Élargie à la question d'ensemble de la détention, la définition systématisée de la dangerosité aurait mérité autre chose qu'une catégorisation par lieu. Une approche en fonction des types de suivi aurait été utile.
Le projet renvoie aussi à la mise en place d'un outil partagé, valable pour tous les condamnés : le diagnostic à visée criminologique, actuellement expérimenté. Selon les échos que nous pouvons en avoir, cet outil viserait à prédéfinir des modalités de suivi selon des items renseignés et de façon quasi automatique. Je constate donc qu'on nous propose de généraliser un dispositif, alors que les résultats de son évaluation préalable ne nous ont pas encore été communiqués.
Dernier point : ce projet prend acte, en quelque sorte, de l'échec de la politique du Gouvernement en matière de répression pénale.
Je l'ai dit en première lecture, et je le redis, monsieur le garde des sceaux.
L'étude d'impact retient quatre scenarii d'évolution du nombre de condamnations à des peines d'emprisonnement. Ce qui est remarquable, c'est que le Gouvernement retient celui d'une progression de 2 % par an du nombre de peines privatives de liberté, qui passerait donc de 140 000 en 2012 à 154 000 en 2017. Dans cette hypothèse, il y aura 96 100 personnes placées sous écrou et 80 100 personnes détenues à l'horizon 2017.
On peut craindre, à l'instar de nos collègues du Sénat et des experts de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, que « l'accroissement des capacités de détention n'ait d'autre effet que d'encourager de nouvelles incarcérations ».
Ainsi ce projet apparaît à bien des égards brouillon, imprécis sur les moyens, en contradiction avec d'autres engagements gouvernementaux et textes législatifs, et finalement comme un pis-aller face à une politique de prévention et de dissuasion de la délinquance qui échoue ou dont on sent qu'elle est en train d'échouer.
Hélas, plutôt que de s'interroger sur l'efficacité des mesures, le texte préfère organiser une fuite en avant, mauvaise pour l'efficacité des peines de détention et mauvaise pour les finances publiques.
La discussion générale est close.
J'appelle maintenant, conformément au troisième alinéa de l'article 114 du règlement, le projet de loi dans le texte adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.
J'imagine qu'il n'y a pas d'explications de vote ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(L'ensemble du projet de loi est adopté.)
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures quarante-cinq :
Lecture définitive du projet de loi de finances rectificative pour 2012 ;
Lecture définitive de la proposition de loi relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures vingt.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Nicolas Véron