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Intervention de Dominique Raimbourg

Réunion du 29 février 2012 à 15h00
Exécution des peines — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Raimbourg :

Nous ne sommes pas non plus opposés à vos recherches sur la dangerosité. Nous sommes parfois en désaccord sur l'esprit, sur l'optimisme avec lequel vous les entamez, parce que nous sommes parfois plus sceptiques que vous sur la question de savoir si la dangerosité sera un jour scientifiquement démontrée, mais tout ce qui peut améliorer le traitement et le suivi des délinquants nous semble intéressant.

Malheureusement, au-delà des dispositions dont je viens de parler et qui recueillent de notre part un assentiment total pour les saisies et un assentiment partiel pour les dispositions relatives à la criminologie ou pour les améliorations du code de procédure pénale, l'essentiel de ce texte est tout de même la création de 24 000 places de prison pour aboutir à un parc pénitentiaire de 80 000 places en 2017, avec la circonstance très particulière que la moitié de ces places seront construites dans le cadre d'un partenariat public-privé.

Tout d'abord, il nous paraît tout à fait anormal, voire quasi choquant, qu'une telle loi de programmation soit votée à un peu plus de cinquante jours d'une élection présidentielle. Ce ne sera pas forcément un référendum mais il y aura au moins une discussion sur la politique pénale à venir, et voter une loi de programmation à quelques semaines d'une échéance présidentielle qui rythme la vie politique de notre pays, c'est beaucoup trop tard.

Il nous paraît anormal également que nous nous engagions dans une politique pénale pour cinq ans, parce que la construction des prisons conditionne la politique pénale. La nature a horreur du vide, les maisons d'arrêt encore plus, et nous savons tous que, dès l'instant où il y aura des cellules, on trouvera des occupants, d'autant plus que nous paierons un loyer et que le concessionnaire voudra remplir son établissement pour ne pas être dans une situation difficile.

Cette politique est en contradiction, me semble-t-il, avec l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, selon lequel la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires. J'ai le sentiment, en effet, que, si nous construisons un grand nombre de places de prison, nous irons vers l'incarcération de plus de gens, précisément parce que la nature a horreur du vide.

Il nous paraît aussi tout à fait anormal que nous nous lancions dans la construction d'un parc pénitentiaire de 80 000 places en partant de l'idée que 80 000 peines de prison sont en attente d'exécution. Les services de l'inspection judiciaire ont rappelé que la grande majorité de ces peines étaient inférieures à un an et que l'immense majorité d'entre elles étaient inférieures à deux ans. C'est dire que ce sont des peines susceptibles d'être aménagées.

Je sais parfaitement que les peines ne sont pas toutes aménageables, y compris parmi celles inférieures à deux ans. Je sais parfaitement qu'il y a de courtes peines qui doivent être exécutées, car elles interviennent après de nombreuses condamnations. Néanmoins, dans la masse de ces peines, il y en a énormément d'aménageables.

Aujourd'hui, nous ne connaissons pas le nombre de peines qui seraient véritablement non exécutées, c'est-à-dire qui n'auraient jamais été exécutées au terme du délai de prescription, lequel, en matière correctionnelle, est fixé à cinq ans. Cela signifie que nous nous lançons dans une opération qui ne répond pas à une appréciation, sinon scientifique, du moins statistiquement fondée de la nécessité de construire 80 000 places de prison. Le rapport lui-même me conforte dans cette idée car il étudie quatre scénarios possibles, qui ne correspondent pas tous au chiffre de 80 000.

Nous nous sommes lancés dans une politique d'augmentation de l'enfermement. Fin 2001, le ratio d'enfermement était de 75 pour 100 000 habitants ; il est passé à 93 en 2011 et doit atteindre 103 en 2012. C'est une augmentation très importante. Nous parlons de « stock » ; le terme est désagréable s'agissant d'hommes et de femmes enfermés, mais il est nécessaire pour que tout le monde ait statistiquement le même niveau d'information. En termes de stock, donc, le nombre de personnes incarcérées a augmenté de plus de 6 % cette dernière année. Cette fuite en avant ne correspond pas à une politique pénale moderne. J'ajoute, à l'heure où nous prenons pour modèle tout ce que fait l'Allemagne, que celle-ci a mis en oeuvre une politique dite de déflation carcérale, faisant passer son ratio d'enfermement de 95 à 88 pour 100 000 habitants.

Enfin, il nous paraît anormal de nous lier les mains pour des années avec les trois opérateurs aujourd'hui seuls capables de construire des prisons et, dans la logique du projet, d'assurer leur maintenance ainsi que les prestations à l'intérieur des établissements. Ces trois opérateurs, les trois grands du BTP, sont, soit directement, soit par l'intermédiaire de leurs filiales, Bouygues, Eiffage et Vinci. Est-il opportun de renforcer cet oligopole ? Est-il opportun de se lier les mains avec ces trois opérateurs qui auront des exigences en matière de politique pénale en tant que concessionnaires ? Ce sont des gens tout à fait honorables, mais leur métier consiste à investir dans des opérations, dont ils attendent un retour sur investissement. On ne peut pas le leur reprocher, mais on a tort d'entrer dans cette logique.

Je terminerai en disant qu'une autre politique est possible, une politique remplaçant la centralité de l'enfermement par le contrôle à la sortie de prison. J'avais évoqué deux mécanismes : d'une part, le mécanisme de régulation carcérale appelé numerus clausus, qui n'interdit absolument pas l'incarcération mais permet de mettre en place un contrôle à la sortie et d'éviter les sorties sèches ; d'autre part, la multiplication des libérations conditionnelles. Je vous avais même rendu hommage, monsieur le garde des sceaux, car le nombre des suivis avec bracelet a considérablement augmenté. C'est une politique pénale qui serait nouvelle.

Compte tenu de ces éléments, nous vous demandons, chers collègues, de voter la motion de rejet préalable.

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