La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
Madame la présidente, la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, que j'ai l'honneur de coprésider, travaille actuellement sur la fraude sociale. Si le rapport correspondant a été examiné part la mission, il doit encore l'être par la commission des affaires sociales, qui décidera éventuellement d'en autoriser la publication, mercredi 29 juin.
Or, sans attendre, le rapporteur Dominique Tian communique dans la presse, hier et ce matin sans doute encore, sur le contenu de son rapport, ce qui n'est pas correct. Il n'est, en effet, pas d'usage de communiquer sur un rapport avant qu'il soit approuvé par la commission des affaires sociales.
De surcroît, cette communication véhicule, en l'occurrence, des informations erronées. C'est ainsi que plusieurs propositions évoquées ne figurent pas dans le projet de rapport qui sera soumis à la commission, notamment la création d'une carte Vitale biométrique ou celle d'un « FBI social » – bien étrange formule. Si Pierre Morange était là, je pense qu'il dirait la même chose que moi, à savoir que, si ces propositions avaient figuré dans le rapport, celui-ci n'aurait pas été validé par la MECSS et ne serait donc pas soumis à la commission des affaires sociales.
Je proteste contre cette façon de faire qui, malheureusement, a l'air de se répandre dans cette assemblée, ce qui est regrettable. Cette instrumentalisation des travaux parlementaires et cette manipulation des médias ne sont pas acceptables. Je voulais le dire ici, dans le lieu où les parlementaires doivent s'exprimer, c'est-à-dire dans notre hémicycle.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs. (nos 3452, 3532)
Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de six heures six pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire, dont soixante et un amendements restent en discussion ; huit heures une pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, dont quarante-quatre amendements restent en discussion ; quatre heures quatre pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, dont soixante-six amendements restent en discussion ; trois heures quarante-trois pour le groupe Nouveau Centre, dont six amendements restent en discussion ; trente-quatre minutes pour les députés non inscrits.
Hier soir, l'Assemblée a commencé l'examen des articles, s'arrêtant à l'article 3.
Nous considérons que les conditions permettant aux citoyens assesseurs d'entrer véritablement dans les dossiers sur lesquels ils auront à statuer ne sont pas réunies. La lecture de l'article permet en effet de constater qu'il n'y a pas de modification en profondeur de la procédure applicable aux audiences devant le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne. On se contente ici de quelques ajustements.
Il ne semble pourtant pas cohérent de considérer que les règles de droit commun relatives au déroulement des débats devant le tribunal correctionnel ont vocation à s'appliquer aux audiences devant ce même tribunal dans sa formation citoyenne, puisque cette procédure continue de reposer sur l'examen d'un dossier relatant une procédure d'enquête écrite, à laquelle, bien entendu, il est nécessaire d'ajouter une dose d'oralité pour permettre à des novices du droit de suivre et de comprendre les débats. Étant donné que les citoyens assesseurs n'ont pas accès au dossier de l'affaire, il appartient au président du tribunal ou à l'un des magistrats assesseurs par lui désigné d'exposer à l'ouverture des débats, de manière concise, les faits reprochés aux prévenus ainsi que les éléments à charge et à décharge figurant dans le dossier.
Pour résumer notre pensée sur cet article, nous avons le sentiment que les citoyens assesseurs se trouvent placés au coeur d'une procédure qui n'a pas été pensée pour eux.
La parole est à Mme George Pau-Langevin, pour soutenir l'amendement n° 157 .
La procédure telle qu'elle est prévue alourdira la tâche du président du tribunal. S'il est intéressant de former des citoyens à la procédure pénale, le travail supplémentaire demandé aux magistrats, qui doivent déjà assurer des audiences lourdes, sera considérable : expliquer aux assesseurs le dossier ainsi que la qualification des faits, résumer les témoignages, bref, communiquer à des novices n'ayant pas lu le dossier les éléments, de fait comme de droit, qui permettent de juger.
L'idée est peut-être intéressante mais, une fois encore, ce sont les magistrats qui en supporteront les conséquences : alourdissement de leur travail, allongement de leurs audiences. Manifestement, la procédure sera difficile à mettre en oeuvre et leur compliquera singulièrement la tâche. C'est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.
La parole est à M. M. Sébastien Huyghe, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
La commission a repoussé cet amendement, qui poursuit l'entreprise de démolition « par appartements » que je dénonçais hier soir. Si l'on supprime la procédure qui doit être suivie devant le tribunal correctionnel en formation citoyenne, on aura du mal à le faire fonctionner.
La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
La rédaction de l'article 4 nous semble comporter des incohérences. D'une part, il prévoit que le délibéré se tient à l'issue des débats, avant l'examen de toute autre affaire. Cette précision est quelque peu étonnante : si, en règle générale, le délibéré est remis à plus tard, c'est pour de bonnes raisons, qui n'ont rien à voir avec la composition du tribunal. On peut certes comprendre que la précision soit apportée de crainte que les citoyens assesseurs n'oublient les éléments du dossier si le délibéré était remis à plus tard, mais c'est une raison de plus pour souligner, comme nous n'avons cessé de le faire, que l'introduction de la participation des citoyens nécessite que ceux-ci reçoivent une formation.
D'autre part, et pour permettre à ces citoyens assesseurs de participer utilement au jugement, le texte exige du président qu'il leur rappelle les éléments constitutifs du dossier, les éventuelles circonstances aggravantes de l'infraction, ainsi que toutes les dispositions afférentes. En cas de culpabilité, il doit aussi rappeler les peines encourues, notamment en cas de récidive légale, et faire un cours général de droit dont les différentes étapes sont détaillées au nouvel article 486-4 du code de procédure pénale, sans oublier les différents modes de personnalisation de la peine.
Ici encore, on voit la difficulté que ne manquera pas de causer cette nouvelle procédure, ainsi que le temps nécessaire à son bon déroulement. Comme le remarque, à juste titre, l'Union syndicale des magistrats, c'est bien la preuve que juger est un métier et que la formation initiale qu'il est prévu de dispenser aux futurs citoyens assesseurs sera insuffisante.
La parole est à M. Jean-Michel Clément, pour soutenir l'amendement n° 90 .
M. Dolez a parfaitement bien résumé la situation. Il y a un fossé entre la volonté affichée de faire participer les citoyens à l'oeuvre de justice et la réalité.
Pour qui connaît un peu le fonctionnement de la justice, notamment correctionnelle, et la complexité des situations qui lui sont soumises, l'immensité de la tâche à laquelle sera confronté le magistrat chargé de présider la juridiction est patente. Je vois mal comment les citoyens amenés à statuer dans ce type de juridiction pourront apporter un avis éclairé à un magistrat qui passera plus de temps à leur expliquer le sens de la procédure qu'à l'affaire. Ce n'est pas en rendant plus complexe la procédure que l'on rapprochera la justice des citoyens. C'est pourquoi nous demandons la suppression de l'article 4.
Défavorable. Il serait incohérent d'accepter ces amendements, alors que nous venons de repousser ceux qui tendaient à supprimer l'article 3.
J'appelle votre attention sur le fait que le texte apporte une certaine souplesse, puisqu'il prévoit certes que le délibéré a lieu dans la foulée de chaque affaire, mais que, pour la bonne administration de la justice, il peut être reporté à la fin d'une série d'audiences. Le président pourra donc faire le choix qu'impose la situation.
La parole est à M. Dominique Raimbourg, pour soutenir l'amendement n° 91 .
Nous souhaitons introduire une modification dans la procédure de comparution immédiate.
Chacun est bien conscient qu'il faut parfois juger très rapidement des dossiers relativement simples, mais qui ont troublé assez sérieusement l'ordre public.
Or, ces procédures rapides créent une difficulté, pour la personne mise en cause, à rassembler les éléments nécessaires sa défense, de sorte que la sanction prononcée est souvent assez lourde.
En conséquence, nous suggérons de distinguer prononcé de la peine et déclaration de culpabilité, ainsi que le proposera tout à l'heure le président Warsmann lui-même s'agissant du tribunal pour enfants.
L'adoption de notre amendement permettrait d'atteindre un double objectif : rassurer la population et apaiser le trouble à l'ordre public, mais aussi permettre à la personne mise en cause de faire valoir les éléments les plus utiles à sa défense.
Elle a rejeté cet amendement.
Chacun se plaint de l'engorgement des tribunaux. Or le dispositif proposé les engorgerait davantage puisqu'il faudrait deux audiences là où il n'y en qu'une aujourd'hui : la première pour déterminer la culpabilité de la personne mise en cause, la seconde pour fixer la peine.
Alors que le projet prévoit que les citoyens assesseurs, que ce soit en comparution immédiate ou dans une procédure classique, se prononceront non seulement sur la qualification des faits, mais aussi sur la culpabilité et sur la peine, je crains que votre dispositif n'aboutisse à une dichotomie entre ces différentes missions, dont serait exclue celle, pourtant essentielle, qui consiste à fixer la peine.
Je suis tout à fait défavorable à cet amendement.
J'ai du mal à comprendre que les mêmes qui nous reprochent de retarder, avec ce texte, le cours de la justice déposent un amendement qui aurait pour unique effet d'allonger et d'alourdir la procédure.
Il pose en outre un problème de principe. Nous considérons que les citoyens assesseurs, participant à la fonction juridictionnelle dans sa plénitude, doivent se prononcer à la fois sur la culpabilité et sur la peine. Or, les auteurs de l'amendement font un distinguo entre le prononcé de la sanction, auquel les citoyens assesseurs participeraient, et celui de la peine, auquel ils ne participeraient pas.
Vous nous dites que la philosophie du texte consiste à porter la plus grande attention possible à la victime. C'est justement ce à quoi tend notre amendement. Le mécanisme qui consiste à se prononcer, dans un premier temps, sur la culpabilité du prévenu et sur l'indemnisation de la victime, et à reporter le prononcé de la peine à plus tard, existe déjà dans notre procédure pénale pour un certain nombre de cas. La peine n'ayant pas encore été prononcée, le prévenu sera incité à dédommager la victime de manière à voir sa peine allégée. C'est donc un mécanisme qui favorise la victime, et nous avions cru comprendre que c'était la préoccupation majeure de ce Gouvernement.
(L'amendement n° 91 n'est pas adopté.)
L'alinéa 9 de l'article 4 dispose que le président, avant le délibéré sur la culpabilité du prévenu, rappelle aux citoyens assesseurs les éléments constitutifs de l'infraction ainsi que les éventuels éléments de circonstances aggravantes. Il nous paraît utile que soient également rappelés les termes du serment, afin que le citoyen assesseur ait pleine conscience de sa responsabilité.
Elle a repoussé l'amendement. La précision semble redondante et risque d'alourdir inutilement la procédure du délibéré. Je signale que, devant la cour d'assises où est prêté le même type de serment, ce rappel n'existe pas.
Enfin, un autre amendement des mêmes auteurs, et qui a reçu l'approbation de la commission, prévoit que lors de la formation des citoyens assesseurs, il leur sera rappelé leur rôle exact et l'état d'esprit dont ils doivent faire preuve. Je souhaite donc le retrait de celui-ci.
(L'amendement n° 226 est retiré.)
Nous souhaitons insérer, après l'alinéa 9, l'alinéa suivant : « Le président coordonne les débats, sans faire part de sa conviction, en donnant à chaque citoyen assesseur la possibilité de s'exprimer. »
Le président étant probablement le seul juriste à siéger, il lui serait aisé d'influencer les citoyens assesseurs indécis, d'où l'ajout de cet alinéa.
Le contenu de l'amendement paraît plein de sagesse. Malheureusement, la précision est inutile : il convient de faire confiance aux magistrats professionnels, qui ont l'habitude d'un tel fonctionnement. Rien de tel n'est d'ailleurs prévu s'agissant des cours d'assises. En outre, une telle disposition ne relève pas du domaine législatif, mais réglementaire.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, je demande aux signataires de cet amendement de le retirer.
Je comprends ce qu'ont voulu dire les auteurs de l'amendement, mais écrire que le président « coordonne » les débats n'est guère normatif. La loi dispose en effet qu'il les « dirige », et il faut s'en tenir là. C'est pourquoi je demande à mon tour aux auteurs de l'amendement de bien vouloir le retirer.
Madame la présidente, je propose de rectifier l'amendement en remplaçant « coordonne » par « dirige ». Ainsi le ministre pourrait-il soutenir cette disposition qui va tout à fait dans le sens du texte.
Celui-ci, en effet, vise à rapprocher les justiciables et la justice en faisant intervenir des assesseurs populaires. Par là même, l'idée que les juges n'interviennent pas dans la décision qui résultera de leur réflexion en conscience est une excellente idée. Il y a d'ailleurs des pays où les magistrats ne sont pas présents lors des délibérations du jury.
Dans le film qui a été consacré à l'affaire d'Outreau, on voit bien la distance énorme qui sépare les magistrats, détenteurs du savoir et de l'autorité, des pauvres jurés qui les regardent en se demandant ce qu'ils doivent faire. Entre le premier jugement et le jugement d'appel, huit personnes sont restées incarcérées à tort parce que le président Monnier était pressé, regardait sa montre et trouvait ennuyeux qu'on gêne ainsi le cours de la justice.
Faire confiance aux magistrats, monsieur le rapporteur, fort bien, mais l'on compte trop d'affaires où, précisément, cette confiance n'était pas méritée. Introduire des citoyens assesseurs dans la procédure correctionnelle pour vérifier que la justice est rendue en respectant la population est une excellente démarche et l'amendement de Bernard Gérard va exactement dans cette direction.
Je souscris tout à fait à cet amendement bienvenu. Il est essentiel de préciser que le juré n'est pas un supplétif, mais bien un juge, fût-il occasionnel.
Bien sûr !
Il existe une différence de fond entre ce citoyen et celui qui détient la compétence, le savoir, et dont la présence est indispensable même s'il doit exercer ses fonctions de manière modérée en veillant à ne pas influencer le jury. Le citoyen assesseur n'a pas vocation à se contenter d'opiner en faveur d'une décision déjà prête. Nous devons donc affirmer on ne peut plus clairement que le président dirige les débats et que les jurés peuvent s'exprimer le plus librement.
J'aimerais savoir ce que les auteurs de l'amendement entendent par « s'exprimer ». Tous les assesseurs doivent-ils donner leur avis ? Je rappelle que le principe de base est le secret du délibéré. Celui-ci n'existe plus si chacun donne son avis. Il faut donc préciser ce qu'on entend par « s'exprimer ». S'il s'agit de dire des généralités, cela ne pose aucun problème ; s'il s'agit de donner un avis sur la culpabilité, ce n'est pas le moment.
Il faut donc en rester à l'idée simple, exprimée par l'article 401 du code de procédure pénale, selon laquelle le président dirige les débats. Aller au-delà poserait un certain nombre de problèmes et risquerait de désorganiser le procès pénal.
Je ne comprends pas quel est le but recherché. Il est bien entendu que les assesseurs peuvent poser des questions à l'accusé, mais ils ne peuvent pas donner, individuellement, leur avis sur la culpabilité, car c'est une décision qui doit rester collective. On ne peut imaginer un procès au cours duquel chacun lèverait le doigt pour indiquer que le prévenu est coupable ou non.
Le verbe « s'exprimer » me paraît donc trop vague pour qu'on puisse accepter l'amendement. Je réitère l'avis défavorable du Gouvernement.
M. Vanneste a proposé de rectifier l'amendement en remplaçant le mot « coordonne » par le mot « dirige ». M. Gérard en est-il d'accord ?
Tout à fait, madame la présidente.
(L'amendement n° 227 , tel qu'il vient d'être rectifié, est adopté.)
Cet amendement vise à insérer, après l'alinéa 9, l'alinéa suivant : « Dans son exposé, le président ne doit pas manifester son opinion sur la culpabilité du prévenu. »
Cette disposition peut sembler aller de soi mais je rappelle qu'elle figure à l'article 6, alinéa 5, relatif à la cour d'assises. Le rapporteur comme le garde des sceaux pourront d'autant moins s'y opposer que l'on m'a demandé hier de retirer, par souci de cohérence avec les dispositions prévues pour les cours d'assises, un amendement que je venais de défendre.
C'est également par souci de cohérence avec les dispositions prévues pour les cours d'assises que je propose cet amendement, qui devrait recueillir l'aval de chacun.
J'étais prêt à développer la même argumentation que sur les amendements précédents mais, dès lors que nous venons d'adopter un amendement rappelant avec force que le magistrat ne doit pas donner son opinion, celui-ci me paraît redondant. Fort de la victoire que vous venez de remporter, vous devriez donc, mon cher collègue, retirer votre amendement, mon cher collègue, faute de quoi le code de procédure pénale se réduira à une litanie de répétitions sur la manière dont le magistrat doit se comporter.
Le Gouvernement partage l'avis du rapporteur. J'ai d'ailleurs l'impression que M. Gérard souhaite retirer son amendement, pour ne pas donner le sentiment de bégayer en répétant l'idée qu'il vient de faire valoir…
(L'amendement n° 228 est retiré.)
(L'article 4, amendé, est adopté.)
Le projet prévoit d'introduire des citoyens assesseurs non seulement dans les tribunaux correctionnels en première instance, mais aussi au sein de la chambre des appels correctionnels.
Nous avons déjà longuement exposé les raisons pour lesquelles nous pensons qu'il n'est pas judicieux d'introduire de cette manière les citoyens assesseurs au sein des tribunaux correctionnels, qu'il s'agisse de l'allongement des délais de traitement des dossiers, de la durée des audiences ou de la difficulté de la formation des citoyens assesseurs.
À cet égard, la discussion qui vient de se tenir entre le ministre, le rapporteur et une partie des députés de la majorité montre bien les difficultés que présente le texte, ses incohérences et la hâte avec laquelle il semble avoir été élaboré.
Pour nous, les mêmes raisons prévalent pour les chambres d'appel, d'autant que les difficultés seront amplifiées par la complexité accrue des dossiers en appel. Les arrêts soumis au contrôle éventuel de la Cour de cassation en cas de pourvoi doivent être motivés, ce qui, à l'évidence, sera très difficile pour des citoyens à peine formés.
La parole est à M. Jean-Michel Clément, pour soutenir l'amendement n° 92 .
Je rappellerai au préalable que les statistiques du ministère de la justice ne permettent pas de caractériser un mécontentement des justiciables à l'encontre de la justice pénale. Je relève notamment la faiblesse du taux d'appel en matière correctionnelle, qui constitue un indice démentant le postulat de la perte de légitimité de cette juridiction. Il convient de comparer ces données avec celles relatives aux cours d'assises. Notons également qu'une victime sur deux déclare que justice lui a été rendue en première instance.
Je ne reviendrai pas sur le débat de fond concernant la participation de citoyens assesseurs au fonctionnement de la justice pénale mais, monsieur le ministre, contrairement à ce que vous avez laissé entendre tout à l'heure, leur présence au sein de la chambre des appels correctionnels ne raccourcira pas les délais des décisions de justice. Les délais moyens de traitement des procédures par les cours d'appel sont plus longs que ceux que vous avez fixés. Les craintes que nous avons exprimées sur l'article 4 se vérifieront à l'article 5. La qualité des décisions rendues en première instance risque de provoquer un surcroît de décisions d'appel, ce qui irait à l'encontre de l'objectif recherché.
Il serait pour le moins paradoxal de prévoir la participation de citoyens assesseurs en première instance et de les évincer de la procédure d'appel. Le prévenu pourrait ainsi contourner le nouveau dispositif en interjetant systématiquement appel pour échapper au jugement des citoyens assesseurs en première instance. On doit instaurer un réel parallélisme entre la première instance et l'appel, comme c'est le cas pour les cours d'assises puisque la participation des jurés est prévue en appel. Nous devons donc veiller au même parallélisme des formes pour les tribunaux correctionnels que pour les cours d'assises.
(Les amendements identiques nos 29 et 92 , repoussés par le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)
(L'article 5 est adopté.)
La parole est à Mme George Pau-Langevin, pour soutenir l'amendement n° 195 , portant article additionnel après l'article 5.
Cet amendement vise à instaurer un délai maximum de deux mois pour le prononcé du jugement. Une telle disposition est cohérente avec nos arguments précédents. En effet, dans certains cas, on peut accepter l'idée d'une césure et, pour prononcer le jugement, donner un délai suffisant au prévenu pour lui permettre de remplir ses obligations vis-à-vis de la victime, de l'indemniser, etc. Sinon, à moins qu'il y ait de nombreux prévenus, nous ne voyons pas de raison pour que le jugement soit rendu très longtemps après la date de l'audience, ce qui ne rendrait pas la sanction suffisamment dissuasive, notamment pour un primodélinquant.
Cet amendement a été accepté par la commission, qui l'a jugé opportun et équilibré : il tend à limiter à deux mois le délai de mise en délibéré des affaires jugées par le tribunal correctionnel, tout en permettant une certaine souplesse puisqu'il prévoit une dérogation à ce délai pour les affaires complexes. Il est important que les majeurs comme les mineurs fassent l'objet d'un jugement rapide pour que celui-ci conserve un sens.
Une fois n'est pas coutume, le Gouvernement ne partage pas l'avis de la commission. L'amélioration des délais de réponse pénale constitue évidemment une priorité. Plus le temps séparant la commission des faits de leur jugement est réduit sans être toutefois expéditif, meilleure est la justice.
Pour autant, le Gouvernement n'est pas favorable à cet amendement car il ne répond à aucune difficulté réelle. Il n'existe en effet aucun abus dans la pratique des jugements mis en délibéré en matière pénale. Très souvent, du reste, les jugements sont rendus sur le siège. Le problème est celui de l'audiencement, ou des renvois d'audience, et non pas, j'y insiste, celui de la mise en délibéré. Ce n'est que pour les affaires complexes que les délibérés sont prononcés dans un délai de plus d'un mois.
En outre, l'amendement pose un principe curieux : il faudrait, en cas de mise en délibéré du jugement, respecter un délai d'un mois, ce qui est le cas en pratique, si la personne n'a jamais été condamnée ; mais, dans les autres cas, le délibéré pourrait être prononcé sans délai.
Vous avez raison, madame la députée, et c'est pour cela que le Gouvernement est contre l'amendement : il n'est pas très cohérent. Je ne voulais pas le dire aussi carrément, mais vous m'y incitez… (Sourires.)
(L'amendement n° 195 n'est pas adopté.)
Il est proposé d'insérer dans le code du travail un article L. 1132-3-1 ainsi rédigé : « Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire mentionnée à l'article L. 1132-1 en raison de l'exercice des fonctions de juré ou de citoyen assesseur. »
Cet amendement répond à un souhait qui avait également été formulé hier par notre collègue Raimbourg. Il me semble important.
Le Gouvernement est tout à fait favorable à cet amendement.
Je suis évidemment moi aussi favorable à l'amendement.
J'ajoute cependant – mais je parle ici sous le contrôle du rapporteur, car il est possible que quelque chose m'ait échappé – que la protection légale des jurés n'est pas absolument parfaite. Il me semble en effet que le projet de loi ne modifie pas l'article 222-10 du code pénal, qui aggrave la peine encourue en cas de violences commises sur un juré. Cet article ne protège pas les citoyens assesseurs, et pour cause, puisque, lorsqu'il a été rédigé, les citoyens assesseurs n'existaient pas.
Peut-être sera-t-il nécessaire d'introduire un amendement ailleurs dans le projet de loi, mais il me semble qu'il faudrait assurer aux citoyens assesseurs une protection légale identique à celle dont bénéficient les jurés d'assises.
Vous parlez, monsieur Raimbourg, de l'article 222-8 du code pénal, qui prévoit cette protection spécifique pour les jurés en son 4°. Mais le 4° bis du même article prévoit cette protection, de manière beaucoup plus générale, pour « toute personne chargée d'une mission de service public ». Or il se trouve que les citoyens assesseurs entrent pleinement dans ce cadre, et sont donc protégés par cet article. Ils font d'ailleurs l'objet de la même protection dans d'autres articles du code pénal, mais d'une manière assez générale.
Je pense qu'il était plus expédient de les protéger spécifiquement par un article du code du travail, plutôt que de préciser une disposition qui existe déjà dans le code pénal, même si elle est, certes, plus générale.
(L'amendement n° 1 est adopté.)
Cet article 6 est lui aussi porteur de nombreuses difficultés, que je voudrais souligner.
Il substitue à la lecture de l'acte de renvoi, au début de l'audience de la cour d'assises, un exposé des « éléments à charge et à décharge figurant dans le dossier, tels qu'ils résultent de la décision de renvoi », exposé effectué par le président.
Il est exact que la lecture de la décision de renvoi au début d'une audience de cour d'assises place l'accusé en situation défavorable. Mais cet article ne fait que déplacer le problème, puisque le rapport oral introductif fait par le président consistera en un résumé de l'acte de renvoi. Ce ne sera donc plus le greffier qui sera chargé d'introduire l'audience, mais le président lui-même, dont l'impartialité ne doit pourtant pas pouvoir être contestée.
Comme le souligne le Syndicat de la magistrature, un tel dispositif « ouvre la voie à des incidents dès le début de l'audience, l'impartialité du président pouvant immédiatement être mise en cause par les parties. Par ailleurs, cet exposé – discutable par définition – risque de faire une plus forte impression encore sur les jurés que la lecture formelle de l'acte de renvoi ».
L'Union syndicale des magistrats affirme quant à elle, dans une note reprise par le rapport, que « le rapport du président donnera prise immédiatement à incident, chaque partie pouvant considérer qu'on y a exposé insuffisamment les éléments qui favorisent sa thèse et exagérément ceux qui s'y opposent ».
Elle affirme également qu'une telle procédure « est totalement inadéquate aux assises, où il est nécessaire de prendre le temps de détailler et de rendre le plus intelligible possible le contenu du dossier, à l'intention de jurés non professionnels ».
Il est également souligné qu'un tel rapport introductif nécessitera un travail préparatoire et un effort oral supplémentaires pour le président à l'ouverture des débats, surtout dans les dossiers volumineux et complexes, alors même que l'objectif affiché est d'alléger les procédures aux assises.
Le rapporteur du texte au Sénat avait d'ailleurs également averti qu'un tel dispositif ne manquerait pas de « donner lieu à des incidents contentieux, au risque d'allonger la procédure à rebours de l'objectif recherché ».
Vous voyez, mes chers collègues, que les raisons de supprimer cet article sont nombreuses.
Cet amendement a été rejeté par la commission. En effet, la disposition introduite par le texte évite de perdre beaucoup de temps par la lecture intégrale, et souvent lourde, de la décision de renvoi. Cette lecture intégrale ne contribue pas nécessairement à éclairer les jurés. Il n'est pas rare que l'ordonnance de renvoi s'étale sur deux cents ou trois pages, dont la lecture est très longue : on nous a parlé de deux, voire trois jours de lecture.
Cela allonge les débats de manière excessive, d'autant que, une fois cette lecture achevée, l'intégralité des éléments que contient l'ordonnance de renvoi seront repris de manière orale. Une lecture in extenso est donc d'autant plus inutile que l'on demande au président de faire valoir, dans son rapport oral, les éléments à charge et à décharge tels qu'ils figurent dans l'ordonnance de renvoi. Si les avocats veulent apporter un certain nombre de précisions à l'issue de ce rapport synthétique, ils pourront le faire.
Nous avons auditionné des présidents de cour d'assises et les représentants des avocats spécialisés en matière criminelle. Ils nous ont tous dit que cette disposition allait plutôt dans le bon sens et qu'elle recueillait leur assentiment.
J'invite donc la représentation nationale à repousser cet amendement.
Je voudrais indiquer à M. Dolez que le rapport que doit faire le président n'est pas un rapport « hors sol ». Le texte qui résulte des travaux de la commission est extrêmement précis. Il dispose que « le président de la cour d'assises procède à un rapport oral introductif qui expose, de façon concise, les faits reprochés à l'accusé tels qu'ils résultent de la décision de renvoi ». Il est également précisé que le président « expose les éléments à charge et à décharge », comme le prévoit la loi du 5 mars 2007.
Le texte offre donc toutes les garanties nécessaires. Et ce rapport oral a un avantage très simple : il est plus court que l'ordonnance de renvoi, qui peut être très longue, et dont la lecture peut prendre toute une journée, voire deux. L'objectif recherché, c'est que les jurés soient informés de façon complète, claire et facilement accessible, par l'exposé de faits. Il s'agit aussi de gagner du temps, afin de lutter contre la correctionnalisation.
Puisque vous partagez ces objectifs, il serait bon, monsieur le député, que vous retiriez votre amendement. Dans l'hypothèse, pas tout à fait improbable, où vous ne souhaiteriez pas le faire, je donnerais un avis défavorable.
La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, pour soutenir l'amendement n° 94 .
Je défendrai cet amendement en même temps que je répondrai au rapporteur et au ministre.
L'article 327 du code de procédure pénale prévoit que le président de la cour d'assises « invite l'accusé et les jurés à écouter avec attention » la lecture de la décision de renvoi, de façon qu'ils soient informés de la façon la plus complète possible. Cette attention doit être à l'image de celle que les parlementaires de l'opposition mettent à écouter les arguments du Gouvernement (Sourires), même s'ils ne sont pas toujours frappés au coin du bon sens – mais c'est la patience qui est le propre de la présente opposition.
L'obligation de lire la décision de renvoi est d'ailleurs confirmée par la jurisprudence de la Cour de cassation, puisque celle-ci considère que le défaut de lecture de cette décision est une cause de nullité.
Ce que vous nous proposez, avec l'article 6, c'est de prévoir que le président, plutôt que de faire lire la décision de renvoi, procède à un rapport oral et expose les éléments à charge et à décharge. Nous entendons l'argument de la simplicité. Mais, puisque nous ne sommes pas des magistrats, nous nous sommes rapprochés de ceux-ci pour leur demander leur point de vue de praticiens. Christophe Régnard, président de l'Union syndicale des magistrats, nous dit que la chose a existé. Il s'agit de l'ancien résumé avant délibération, abrogé en 1881. Dans la mémoire des magistrats, ce résumé était devenu une cause de nullité, parce qu'il exposait le président à une suspicion de partialité. Cela justifiait d'adopter une autre formule, à savoir la lecture d'un texte qui avait été préalablement écrit.
J'entends bien qu'il peut se présenter des cas, exceptionnels, où le texte est particulièrement long, et où sa lecture est pénible pour tout le monde. Mais, en même temps, si l'on veut que les jurés écoutent « avec attention » l'ensemble des arguments, il est logique de s'en tenir à des documents écrits.
C'est pourquoi nous vous suggérons, dans l'intérêt du procès, dans l'intérêt de ceux qui vont y participer, et dans l'intérêt du jugement, de ne pas créer dès le départ des causes de nullité, sur lesquelles pourraient s'appuyer un grand nombre d'avocats en suspectant le président de partialité dans la manière dont il aura présenté les éléments à charge et à décharge.
Aucunement, madame la présidente.
J'ajoute que les représentants de l'Association nationale des praticiens des cours d'assises, que nous avons auditionnés, étaient favorables à cette disposition. Ce sont des gens qui sont, au quotidien, dans les cours d'assises. Et il y a notamment, parmi eux, des présidents de cour d'assises. Les avocats pénalistes étaient eux-mêmes favorables à cette disposition.
Même avis.
Avec cet article 6, nous abordons le chapitre du projet de loi consacré à la cour d'assises. À ce stade des débats, plusieurs faits ressortent.
Le premier, c'est que nous avons eu affaire à trois versions différentes du texte en ce qui concerne la composition des jurys d'assises. Il y avait d'abord un projet gouvernemental. Puis, le Sénat l'a complètement bouleversé, en diminuant le nombre de jurés, en première instance comme en appel. Le texte a été ainsi transmis à l'Assemblée nationale, et voilà que notre rapporteur propose encore un autre système, totalement différent, avec trois magistrats professionnels et trois jurés. Et le Gouvernement revient à sa version initiale.
Tout cela nous laisse penser que rien n'est absolument mûr pour cette modification de la composition des jurys d'assises.
Deuxième observation : nous cherchons à lutter contre un phénomène auquel nous sommes tous opposés, celui de la correctionnalisation. Tous les crimes, en effet ne sont pas jugés en cour d'assises. Une partie d'entre eux sont requalifiés en délits afin d'être jugés en correctionnelle, parce qu'il n'y a pas assez de place dans le calendrier des audiences des cours d'assises.
Je vous renvoie aux propos de M. Estrosi, qui nous a expliqué hier, à cette tribune, que nous n'avons aucun chiffre permettant de mesurer ce phénomène de la correctionnalisation. Nous nous accordons tous à dire qu'il s'agirait de 70 ou de 80 %, mais nous ne savons pas véritablement le nombre de crimes requalifiés en délits. Les statistiques policières laissent apparaître qu'il y aurait, en gros, 17 000 dossiers criminels, mais elles ne les comptabilisent pas un par un, et la ventilation à laquelle procède l'état 4001 ne permet pas toujours de bien repérer les dossiers criminels. On les repère facilement s'agissant des viols, mais beaucoup plus difficilement s'agissant des homicides. Nous sommes donc en train d'essayer de juguler un phénomène dont nous ne mesurons pas véritablement l'ampleur.
Troisième observation : la cour d'assises est une institution vieille de deux siècles, qui a une valeur symbolique. Juger des crimes, c'est évidemment un acte technique, qui consiste à se prononcer cas par cas. Mais c'est aussi un acte social symbolique, par lequel une société essaie de réparer symboliquement la blessure faite au corps social.
En conséquence, nous ne pouvons pas, d'un trait de plume, au détour d'un volet d'une loi qui concerne principalement les tribunaux correctionnels, modifier le fonctionnement des cours d'assises. Il y a une dimension symbolique et politique qui n'est pas prise ici en considération, et nous nous tromperions lourdement, majorité comme opposition, si nous laissions cette réforme se faire dans ces conditions.
Nous ne connaissons pas l'exacte ampleur du phénomène contre lequel nous luttons, et nous ne mesurons pas la portée politique, au sens large, de cette intervention.
(Les amendements identiques nos 30 et 94 ne sont pas adoptés.)
(L'article 6 est adopté.)
La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l'amendement n° 115 , tendant à supprimer l'article 6 bis.
Il s'agit en fait d'un amendement de cohérence avec l'amendement de suppression que nous présenterons ultérieurement, à l'article 7. Je le défendrai donc au fond lors de la présentation de l'amendement n° 31 .
Défavorable, puisque nous allons proposer la motivation des arrêts de cours d'assises, et la disposition qu'il est proposé de supprimer permet au président de conserver les décisions de renvoi ou, en cours d'assises d'appel, les arrêts de la première cour d'assises.
Défavorable par conséquence, comme l'a fort bien dit M. Dolez.
(L'amendement n° 115 n'est pas adopté.)
(L'article 6 bis est adopté.)
La parole est à M. Marc Dolez, pour défendre l'amendement n° 31 , tendant à supprimer l'article 7.
En abordant le présent article, nous en arrivons à la question épineuse de la motivation des arrêts de cour d'assises. C'est un débat important.
Sur le principe, nous sommes favorables à l'introduction d'une procédure de motivation des décisions de la cour d'assises. Cependant, comme chacun le sait, un tel dispositif est complexe à mettre en place. En effet, jusqu'à maintenant, ce sont les jurés, c'est-à-dire les représentants directs du peuple, qui ont la majorité dans la prise de décision. Il conviendrait donc, en toute rigueur, que ce soit eux qui participent activement à la rédaction de ladite motivation. Tel n'est pas le cas dans le présent projet, pour des motifs compréhensibles d'applicabilité.
Le dispositif qui nous est proposé aujourd'hui appelle bien des remarques, et j'aimerai faire écho à plusieurs objections qui ont été formulées par les différents syndicats de magistrats.
Ces derniers estiment qu'opérer un résumé des débats est un travail de synthèse presque impossible, et nécessairement partiel et partial, a fortiori dans le cadre de dossiers volumineux et très complexes.
De plus, les décisions des jurés se font sur la base de l'intime conviction, pour des raisons parfois contradictoires, ou sans explication, ce qui rend impossible la rédaction d'une feuille de motivation.
Enfin, le vote sur chacune des questions se fait à bulletin secret, de sorte que le rédacteur de la motivation ne sera peut-être pas en accord avec la majorité des votes.
Par ailleurs, il est paradoxal que, dans un projet de loi prétendant rapprocher la justice des citoyens, le jury d'assises soit dépossédé de la rédaction des motivations de la décision, confiée à un juge professionnel. La signature du premier juré, initialement prévue, a été supprimée du texte. Le rapport fait lui-même état de difficultés insurmontables : « Il peut s'avérer très difficile, sur un plan pratique, de faire signer le premier juré, qui ne sera plus présent dans les locaux de la juridiction. Par ailleurs, sur un plan juridique, le premier juré pourrait refuser de signer la feuille de motivation qui lui serait présentée, au motif qu'elle ne correspondrait pas aux motivations qui ont pu être exprimées par les jurés au cours du délibéré ou à son intime conviction. »
En tout état de cause, une telle modification constituerait un basculement de notre système et de sa philosophie générale, fondée sur l'intime conviction.
Si l'on ne peut qu'être favorable à la motivation des décisions des cours d'assises, encore faut-il trouver les modalités adéquates. Nous ne pensons pas que celles proposées aillent dans le bon sens, mais d'autres possibilités de motivation des arrêts de cour d'assises sont envisageables, comme par exemple l'établissement, tout au long de l'audience, d'une liste de questions précises et non équivoques validées par les jurés.
Elle a repoussé cet amendement de suppression. En effet, l'une des raisons avancées pour supprimer la motivation des arrêts d'assises est qu'aucune décision du Conseil constitutionnel ou de la Cour européenne des droits de l'homme n'a recommandé cette motivation. Mais le législateur n'est pas condamné à légiférer sous la contrainte de ces instances, et nous avons parfois le loisir de légiférer en toute liberté !
La motivation des arrêts de cour d'assises apparaît souhaitable à plusieurs titres. Tout d'abord, il est nécessaire que le condamné puisse comprendre les raisons de sa condamnation. Nous avons eu de longs débats hier soir sur la disposition permettant à la victime d'interjeter appel de la décision d'acquittement. Une des raisons qui nous a conduits à la repousser était que la motivation permettra également à la victime de bien saisir les raisons ayant conduit la cour d'assises à prononcer cet acquittement. Il est donc nécessaire que le condamné comme la victime disposent de ces explications. Enfin, la motivation permettra au condamné et au ministère public de se déterminer en toute connaissance de cause pour former appel du verdict rendu.
Je voudrais prendre quelques instants pour répondre à M. Dolez, car il s'agit d'un des points importants du projet de loi. J'ai bien compris, monsieur le député, que vous n'étiez pas complètement opposé à l'idée de motivation, mais que vous proposiez un autre système. Je vais répondre à votre amendement de suppression en espérant emporter votre soutien et obtenir le retrait de votre amendement.
Comme l'a fort bien rappelé le rapporteur, il n'y a aucune interdiction de légiférer dans ce domaine. Ce n'est pas parce que le Gouvernement n'est pas tenu par le Conseil constitutionnel ou une obligation conventionnelle qu'on doit renoncer à faire progresser le droit !
La motivation des arrêts d'assises est en effet un progrès évident du droit. C'est une réflexion ancienne : en 1982, la commission présidée par Robert Badinter lui-même, alors garde des sceaux, avait proposé cette motivation. Le projet de réforme de la procédure pénale présenté par Jacques Toubon en 1996 a repris cette idée.
La motivation des arrêts d'assises constitue une avancée évidente à plusieurs égards : elle renforce la confiance dans la justice en permettant à l'accusé, à la victime et au public de comprendre les raisons d'une décision ; elle rationalise un processus de décision parfois trop empreint d'émotivité ; elle donne des indications utiles à l'accusé en cas de condamnation, et au parquet en cas d'acquittement, afin de les aider à décider de faire appel ou non – ce point a été abordé hier soir.
Enfin, l'obligation de motiver les arrêts d'appel supprimera l'une des incohérences de notre droit : les condamnations les plus graves ne sont pas motivées alors que les moins graves le sont. Il serait incongru de laisser perdurer cette situation.
C'est sur le point de la méthode que nous sommes peut-être en désaccord.
C'est vrai, mais je suis sûr que nous serons d'accord, puisque le Gouvernement n'a fait que reprendre la thèse de M. Huyette, conseiller à la cour d'appel de Toulouse, président de cour d'assises, qui, dans une note intitulée « Comment motiver les décisions de la cour d'assises ? » parue au recueil Dalloz de 2011, préconise « l'adoption d'un mécanisme très simple de motivation succincte de l'arrêt pénal, avec un président de cour d'assises présentant en quelques paragraphes l'essentiel du raisonnement ayant conduit à la décision, le contrôle de la Cour de cassation étant alors un contrôle léger du fait de la particularité de la juridiction criminelle ».
C'est exactement ce que propose le projet de loi. Il y a déjà eu des essais, car si la loi n'oblige pas aujourd'hui à motiver, elle ne l'interdit pas pour autant ; en tout cas, les magistrats ne l'entendent pas ainsi. Je rappelle que l'une des dernières décisions qui a tenu le haut du pavé médiatique, l'arrêt en appel de la cour d'assises spéciale de Paris dans l'affaire Colonna, a été motivée.
Elle a motivé son arrêt quand même, sans y être tenue par la loi. La lecture des motivations de l'arrêt est extrêmement instructive, et l'on comprend bien pourquoi la cour a pris sa décision. Ce sera d'une grande utilité pour l'ensemble des citoyens.
Je pense donc que M. Dolez pourrait retirer son amendement, car nous poursuivons le même but, et les moyens que nous proposons prouvent déjà leur efficacité. Sinon, l'avis du Gouvernement sera défavorable.
Nous sommes effectivement au coeur d'un débat important. Je ne suis pas d'accord avec l'analyse que vient de faire le ministre : le fond de la question est de savoir si, devant une cour d'assises composée de jurés, la motivation sera obligatoire. Une cour d'assises spéciale ne comporte que des professionnels, c'est une situation différente. En introduisant une feuille de motivation dans les arrêts des cours d'assises classiques, vous donnez un poids supplémentaire aux magistrats professionnels.
De la même façon, en supprimant la lecture de l'arrêt de renvoi pour le remplacer par un exposé fait par le Président, vous accroissez son poids et sa charge de travail puisque vous lui demandez d'accomplir cette tâche supplémentaire, qui ne peut pas être partagée par les jurés.
L'idée de motivation est raisonnable et correspond, nous l'avons bien compris, à une demande des instances européennes. Le Conseil constitutionnel, saisi, a jugé, dans sa décision, que les questions précises posées aux jurés et leurs réponses qui leur sont faites constituent la trame de l'argumentation et de la motivation.
Si les questions sont du type : « M. Machin était-il tel jour à tel endroit ? Avait-il acheté un fusil ? Ce fusil a-t-il servi à tuer Mme Truc ? », on connaîtra les raisons pour lesquelles le prévenu est condamné. Il ne doit pas y avoir d'arbitraire, et nous avons besoin de comprendre le raisonnement ayant abouti à la condamnation. Il peut arriver en effet que les jurés, pour des raisons qu'ils n'ont actuellement pas à justifier, se forgent une conviction sur la culpabilité de telle ou telle personne. Si le jury parvient à un accord sur la culpabilité, il ne parviendra pas forcément à un accord sur le détail des raisons qui ont abouti à la condamnation.
On risque de compliquer à nouveau la tâche du président et la manière de rendre la justice, sans justification indiscutable. En effet, s'il s'agit simplement d'éclairer la personne mise en cause sur la raison pour laquelle elle est condamnée, le fait de rédiger précisément une feuille de questions lui fournit des indications suffisantes pour comprendre sa condamnation.
Vous commenciez à nous dire, madame la députée, au début de notre discussion, que le projet n'allait pas du tout, que nous mettions en cause les magistrats professionnels. Puis, tout d'un coup, à la lecture d'un article pratique, vous nous dites que nous allons renforcer le poids les magistrats.
Il faut savoir ce que l'on veut. On ne peut vouloir quelque chose un jour et son contraire le lendemain.
Il faut en rester à des choses simples et pratiques, et être attentif aux questions posées. Car si elles sont établies pour avoir un raisonnement, on risque de parvenir à une décision « préjugée », en quelque sorte, par la façon dont les questions auront été rédigées. Si votre objectif est d'arriver à une justification du raisonnement, il n'y aura plus de débat, plus de délibéré. Les jurés seront peu à peu enserrés dans des questions préétablies, pour faire ensuite l'explication de la décision. Ce n'est plus l'explication de la décision : c'est la question qui fait la décision. Ensuite, il n'y a plus rien à expliquer. (Sourires.)
Je pense que la solution qui vous est proposée est meilleure, et ce n'est pas là une susceptibilité d'auteur. Nous avons simplement retenu les suggestions des praticiens. Il s'agit, après le délibéré de la cour d'assises, une fois la décision prise, de faire établir par le président, ou par un magistrat qu'il désigne à cette fin, le compte rendu du raisonnement qui a conduit à cette décision.
J'ai vu ce système fonctionner et je considère que c'est plutôt satisfaisant, même si la juridiction était composée, je le reconnais, de magistrats professionnels. Ce sera plus vrai encore dans les cas où il y a des jurés. En effet, si les questions sont une sorte un entonnoir, il n'y aura plus de liberté dans le délibéré. C'est pourquoi le Gouvernement pense que sa proposition est la plus opportune à ce moment de la procédure pénale.
Monsieur le ministre, c'est l'éternelle question du pouvoir ! Les jurés décident, mais, au moment où le magistrat reprend la plume, il reprend le pouvoir pour motiver une décision qui lui est en partie extérieure. Je pense plus raisonnable d'adopter le système proposé par Mme Pau-Langevin, car il est plus proche du pouvoir des jurés que de celui qui tient la plume et récupère de ce fait une partie du pouvoir qu'il avait dû partager auparavant avec les jurés.
En répondant, je répondrai au passage sur l'amendement suivant, par lequel M. Dolez propose que les décisions soient motivées à travers la réponse à une liste de questions.
Si l'on répond succinctement à une liste de questions, cela peut entraîner une réponse mécanique, sans nuance, de culpabilité, qui n'est absolument pas conforme aux principes ni à l'esprit de l'intime conviction qui président aux décisions de la cour d'assises.
Il s'agit de demander à celle-ci de donner, par l'intermédiaire de son président, des éléments d'explication sur ce qui l'a amené à se prononcer sur la culpabilité de l'accusé, devenu par là même le coupable.
(L'amendement n° 31 n'est pas adopté.)
Monsieur le ministre, je n'avais évoqué la décision du Conseil constitutionnel que pour rappeler qu'il n'y a pas aujourd'hui d'obligation de motivation des décisions des cours d'assises.
Mais, dès lors que l'on décide d'introduire cette motivation – et, je le répète, nous y sommes favorables –, encore faut-il choisir selon quelles modalités on le fait. Mes collègues ont démontré qu'il existe un certain paradoxe, dans un projet de loi destiné à favoriser la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale, à introduire la motivation des arrêts des cours d'assises, donc à déposséder en quelque sorte les jurés du pouvoir de rédaction, pour le confier à un juge professionnel.
Nous pensons qu'il existe un autre mode de motivation. Il s'agirait d'élaborer, tout au long de l'audience, une liste de questions portant sur des éléments de fait comme de droit. Ces questions, validées par le jury, seront assorties de réponses qui servent de fondement au verdict et permettent de comprendre sur quels éléments repose la décision des jurés, en retraçant les étapes par lesquelles ils sont passés pour se forger leur intime conviction – que nous ne voulons pas, bien évidemment, remettre en cause.
Comme le souligne le Syndicat de la magistrature, cette manière de faire conduirait à structurer rationnellement les débats, sous le contrôle des parties, en écartant les inconvénients liés au travail de rédaction, qu'il s'agisse de l'alourdissement déraisonnable du délibéré, de la difficile prise en compte des opinions des jurés ou de la dépossession symbolique et réelle de la parole du jury.
La solution que nous proposons a parfois été retenue par certaines cours d'assises, celle de Douai par exemple, qui est, vous en conviendrez, monsieur le ministre, une excellente cour d'assises,…
Une cour d'appel également !
Bien entendu !
…ou à Créteil, ou dans d'autres départements de la région parisienne, et elle a plutôt donné de bons résultats.
Cette forme de motivation semble davantage traduire la réalité de l'élaboration d'un verdict que l'exercice artificiel de rédaction a posteriori prévu par cet article, et qui confie au seul président la responsabilité de justifier une décision collective.
Défavorable, pour les raisons que j'ai dites.
(L'amendement n° 99 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Par cet amendement, nous proposons que la motivation fasse également référence aux dispositions légales sur lesquelles s'appuie la condamnation.
Nous avons eu, hier, un débat très intéressant sur l'appel. À partir du moment où il existe une motivation, la victime qui ne comprendrait pas une décision d'acquittement obtiendrait au moins une explication. On peut comprendre qu'une personne soit acquittée ou condamnée, mais, dans l'un ou l'autre cas, les gens ont le droit de savoir pourquoi.
Il faut se rappeler qu'il existe un certain nombre de principes généraux du droit, et qu'une décision ne peut être rendue sans faire référence à la doctrine, à la loi, à la jurisprudence. Une décision de justice, ce ne peut pas être à peu près la doctrine, à peu près la loi ni à peu près la jurisprudence. Nulla poena sine lege : il ne peut y avoir de peine s'il n'y a pas de loi.
Il convient que les citoyens assesseurs puissent donner un avis de bon sens, mais il faut un chef d'orchestre pour mettre tout cela en musique et expliquer clairement quels sont les principes, les éléments légaux, la jurisprudence qui ont conduit à la décision rendue.
C'est la raison pour laquelle je souhaite que soit indiquées dans la motivation les dispositions légales sur lesquelles s'appuie la condamnation.
Elle a repoussé cet amendement, car nous sommes là dans l'application du principe de légalité des délits et des peines, qui a, en France, une valeur constitutionnelle – je vous renvoie à la décision du Conseil constitutionnel du 2 février 1981 sur la loi « Sécurité et liberté », rappelant que nul ne peut être condamné pénalement qu'en vertu d'un texte clair et précis.
Par ailleurs, l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que « nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée. »
L'article 111-3 du code pénal dispose en outre que : « Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi » et que : « Nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi, si l'infraction est un crime ou un délit ».
En application de ces grands principes, toute condamnation, y compris en matière criminelle, relève des dispositions légales auxquelles elles renvoient nécessairement. De ce fait, l'amendement est tout à fait satisfait.
Je partage tout à fait, monsieur Gérard, les raisons qui vous ont poussé à déposer cet amendement.
Vous pouvez cependant le retirer sans problème, car l'article 366 du code de procédure pénale prévoit expressément que : « Les textes de loi dont il est fait application sont lus à l'audience par le président ; il est fait mention de cette lecture dans l'arrêt. »
L'amendement est donc satisfait par le droit existant, et je ne peux que vous inviter à retirer votre amendement.
(L'amendement n° 229 est retiré.)
La parole est à Mme George Pau-Langevin, pour soutenir l'amendement n° 95 .
La discussion qui vient d'avoir lieu nous conforte encore dans notre position. Nous demandons une motivation. Mais il faut se rappeler que nous sommes en cour d'assises et qu'il est par conséquent tout à fait exceptionnel que l'on puisse établir une motivation dans laquelle soient repris tous les éléments de doctrine et de jurisprudence concernant un crime. Concrètement, je ne vois pas comment cela peut se réaliser avec des jurés non professionnels.
Vous nous proposez ni plus ni moins qu'une professionnalisation de la rédaction des arrêts de cour d'assises, tout en prétendant donner plus d'importance au citoyen juré, non professionnel. C'est pour le moins paradoxal.
La seule façon de régler cette contradiction consiste à préciser que la motivation est constituée par les réponses aux questions posées. Ce serait beaucoup plus démocratique. Avec votre proposition, aucun juré ne sera présent lorsque le président rédigera, ultérieurement, la feuille de motivation. C'est l'interprétation du président qui prévaudra, même si je ne doute pas qu'en tant que professionnel il le fasse de manière satisfaisante.
Nous sommes donc dans un système différent de celui qui a été voulu pour la cour d'assises, où l'on a donné une place déterminante aux jurés non professionnels. Certes, les présidents sont tout à fait en mesure de rédiger des arrêts motivés en droit et en fait, mais cela ne correspond pas à la procédure à laquelle on peut s'attendre en cour d'assises.
Cet amendement rejoint celui défendu par M. Dolez tout à l'heure, qui proposait, lui aussi, que la motivation résulte uniquement des réponses aux questions. Je vous ferai donc la même réponse, madame la députée.
Votre proposition conduirait mécaniquement à une réponse de culpabilité et on sortirait du cadre de l'intime conviction.
Au contraire, faisons confiance au magistrat professionnel – personnalité la plus qualifiée – pour rédiger cette motivation au regard du déroulement des débats avec le jury.
Le jury doit se prononcer sur la culpabilité et répondre à l'intégralité des questions. Quant au magistrat, en l'occurrence le président de la cour d'assises, il devra, dans la motivation, faire état des éléments qui ont emporté la décision. Chacun est dans son rôle.
Je vous rappelle que vous n'avez cessé, au début de l'examen du texte, de nous reprocher de faire preuve de défiance vis-à-vis des magistrats. Or maintenant, alors que nous faisons toute confiance aux présidents de cour d'assises, magistrats professionnels, pour rédiger en toute conscience la feuille de motivation, vous leur déniez une telle capacité !
Je comprends mal la position de Mme Pau-Langevin, ou plutôt je la comprends trop bien. En fait, elle ne veut rien changer du tout, et c'est toute la différence entre nous. Pour notre part, nous voulons faire progresser le droit, faire que les Français comprennent mieux les arrêts grâce à cette feuille de motivation. Il faut, madame la députée, accepter de changer et de progresser. Nous proposons une société dans laquelle les droits seront mieux garantis grâce à l'obligation de motivation.
Je vous suggère donc de retirer votre amendement, beaucoup trop conservateur, et aller vers l'avenir sans crainte des magistrats. Ce sont des hommes et des femmes intègres qui font bien leur travail. Je suis sûr que vous aurez à coeur de leur faire confiance en retirant votre amendement.
(L'amendement n° 95 n'est pas adopté.)
(L'article 7 est adopté.)
À l'occasion de l'examen du présent article, nous abordons la composition des jurys d'assises et les phénomènes de correctionnalisation auxquels nous nous opposons.
Le fait de requalifier certains crimes en délits pour qu'ils soient examinés non par une cour d'assises, mais par le tribunal correctionnel, trouve son origine, chacun en conviendra, dans l'engorgement général dont est victime notre organisation judiciaire, engorgement lui-même imputable au manque de moyens humains et financiers dénoncés par les professionnels de la justice.
Pour notre part, nous estimons que le seul moyen de lutter efficacement contre la correctionnalisation est de donner à la justice les moyens de fonctionner, comme l'ont récemment réclamé avec force ses acteurs au cours d'un mouvement social sans précédent, en augmentant le nombre d'experts et d'enquêteurs pour réduire la durée des instructions, ou encore en renforçant les effectifs des cours d'assises.
A contrario, réduire drastiquement le dispositif des jurys d'assises en ajoutant une nouvelle juridiction – la cour d'assises simplifiée, de la composition de laquelle on ignore encore tout, plusieurs versions étant en discussion – c'est en quelque sorte correctionnaliser tout en conservant pour la forme la qualification de crime. Autrement dit, on correctionnalise les assises au nom de la lutte contre la correctionnalisation !
Chacun a pu constater l'incohérence, le paradoxe, qu'il y a à se saisir d'un texte intitulé « participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale » pour réduire la présence des jurés citoyens aux audiences d'assises.
Les débats sont en cours sur les différentes versions, celle du Gouvernement, celle issue des travaux du Sénat, celle de notre commission.
Les débats en commission ont montré que la solution retenue par le rapporteur n'allait pas sans poser un certain nombre de questions de constitutionnalité. Le président Warsmann a ainsi affirmé que « de toute façon, avec trois magistrats et trois jurés, le jury ne peut obtenir la majorité à lui tout seul. C'est cela qui risque de poser un problème de constitutionnalité ».
L'argument opposé à notre rapporteur peut également être opposé, à plus forte raison encore, au projet initial du Gouvernement.
D'autre part, l'article 8, dont nous demandons la suppression, comporte désormais des dispositions issues de la proposition de loi Baroin-Lang sur la publicité des audiences des cours d'assises de mineurs. Selon la disposition ajoutée, toutes les parties au procès – et non plus seulement le mineur devenu majeur – pourront désormais demander l'application du régime de la publicité de l'article 306 du code de procédure pénale, la décision étant alors prise par la cour qui devra statuer par décision spéciale et motivée insusceptible de recours, et en prenant en considération les intérêts de la société, de l'accusé et de la partie civile.
Il convient dans un premier temps de souligner que cette disposition est sans rapport direct avec la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale. De plus, la publicité restreinte des procès des mineurs doit être maintenue, y compris quand lesdits mineurs sont devenus majeurs. C'est en effet l'âge de l'accusé au moment des faits qui doit déterminer le huis clos, et non son âge au moment de l'audience, qui peut avoir lieu dans des délais étendus.
Telles sont les deux raisons principales pour lesquelles nous proposons la suppression de cet article 8.
La parole est à M. Jean-Michel Clément, pour présenter l'amendement n° 96 .
Contrairement à ce que vous avez dit, monsieur le garde des sceaux, nous ne faisons pas preuve de défiance à l'égard des magistrats.
Il n'est pas souhaitable, selon nous, d'instituer une cour d'assises simplifiée. Notre collègue Dominique Raimbourg a indiqué tout à l'heure qu'il serait bon de mener une réflexion approfondie sur cette juridiction.
Votre proposition va à l'encontre de la démarche qui consiste à introduire des assesseurs citoyens dans les tribunaux correctionnels.
Vous proposez de passer de neuf à six jurés en première instance et de douze à neuf en appel. Faut-il y voir une simple logique comptable afin de financer les tribunaux correctionnels citoyens, et ce au détriment de la qualité des décisions rendues ?
Il ne nous semble pas souhaitable de diminuer le nombre des jurés d'assises, sauf si l'on veut réduire le poids du jury. Une telle diminution, introduite en commission, déséquilibre la cour d'assises et pourrait être censurée par le Conseil constitutionnel.
La commission a rejeté les deux amendements de suppression de l'article 8, qui tend, précisément, à lutter contre la correctionnalisation.
Absolument !
Le Sénat a introduit une disposition qui réduit le nombre de jurés en les faisant passer de neuf à six en première instance et de douze à neuf en appel. Il a simplifié le régime des sessions d'assises, en supprimant la distinction entre sessions trimestrielles et sessions supplémentaires.
Quant à la création d'une formation simplifiée de la cour d'assises, compétente de manière facultative pour les crimes punis de quinze à vingt ans de réclusion, c'est la meilleure façon de lutter contre la correctionnalisation. Nous aurons l'occasion d'en discuter de manière plus approfondie dans quelques instants.
Le but que nous poursuivons est clair et nous devons nous donner les moyens de l'atteindre.
Le but poursuivi est clair : on ne peut pas poursuivre un but sans s'en donner les moyens. Il s'agit de lutter contre la correctionnalisation – qui constitue en quelque sorte une injure au Parlement, dans la mesure où des faits qu'il a décidé de qualifier de crimes sont ensuite jugés comme étant des délits : et ça, cela ne va pas du tout ! C'est contre cela qu'il faut lutter, et c'est le but que nous poursuivons en réduisant le nombre de jurés, comme l'a rappelé le rapporteur.
Mais le Gouvernement essaie toujours de s'inspirer des bonnes idées émises par d'autres. En l'occurrence, nous n'avons fait que reprendre une proposition de M. Badinter ; il n'était pas parvenu à la mettre en oeuvre ; c'est ce que nous essayons de faire aujourd'hui. Il serait bon que ceux qui se présentent comme les proches de lui ne l'empêchent pas d'avoir satisfaction, fût-ce trente ans plus tard… Mais il n'est jamais trop tard pour bien faire !
Merci !
À l'entendre, cet article comme une manière de venger le Parlement contre les injures qui lui seraient par le biais de la correctionnalisation ! Reste, monsieur le garde des sceaux, que cet article, la preuve en est faite, est d'une certaine manière à l'opposé du titre du projet de loi : dès lors que vous réduisez le nombre de citoyens participant aux assises, comment pouvez-vous prétendre favoriser leur participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale ?
Qui plus est, vous en appelez aux mânes de M. Badinter pour nous faire avaler cet article… C'est tout de même incroyable !
Malgré tout le respect que nous devons à votre immense habileté, nous maintiendrons les amendements de suppression de cet article 8, qui résume toutes les contradictions et toutes les contrevérités de ce projet de loi.
Nous sommes tous d'accord pour reconnaître que la correctionnalisation est inacceptable. Pour lutter contre ce phénomène, deux options s'offrent à nous.
La première consiste à requalifier certains crimes en délits. Le cas le plus fréquent est celui du viol, requalifié en agression sexuelle et ainsi correctionnalisé. Ma conviction est que nous ne pouvons accepter que certaines infractions graves telles que le viol, qui porte une atteinte particulièrement grave à la femme, soient requalifiées en délits. Nous devons conserver leur qualification criminelle et en tirer toutes les conséquences, afin que ces crimes soient punis comme tels.
La deuxième option, que nous avons retenue, consiste à faire en sorte que les crimes puissent être jugés par l'instance adéquate, en l'occurrence la cour d'assises. La cour d'assise, nous le savons, fonctionne plutôt bien mais elle exige tout à la fois des moyens et un certain temps pour être mise en branle.
Les trois propositions contenues dans l'article 8 permettent de lutter efficacement contre la correctionnalisation et doivent donc être maintenues. Sinon, il ne nous restera plus qu'à nous rallier à la première option et à requalifier les crimes en délits, ce que nous ne pouvons accepter.
Je partage l'avis du rapporteur.
Je ne vois aucune corrélation directe entre la lutte contre la correctionnalisation et la réduction du format des cours d'assises.
Le lien est pourtant facile à établir !
Qui empêchera demain des magistrats de correctionnaliser des faits que nous avons qualifiés de crimes ? Il n'y a aucune automaticité et donc aucune garantie. Vous proposez quelque chose de nouveau, en prétextant une certaine volonté ; mais je ne vois pas en quoi le dispositif que vous voulez mettre en place pourrait changer quelque chose à cet égard – fût-ce dans le bon sens, d'ailleurs. À notre sens, il ne répond pas à l'objectif que vous poursuivez.
Grâce à cette procédure plus simple, plus rapide et plus légère, les cours d'assises pourront traiter un nombre plus important d'affaires.
En l'état actuel des choses, comment cela se passe-t-il ? La victime est confrontée à un choix : ou bien elle accepte la correctionnalisation, ce qui permettra au procès de se tenir dans quelques mois, ou bien elle exige le passage en cour d'assises, avec un délai d'attente de douze à dix-huit mois. Mais le plus souvent, elle a envie de tourner la page, et de voir son affaire jugée dans des délais raisonnables, en tout cas le plus rapidement possible. Entre deux maux, elle choisira le moindre et, faisant contre mauvaise fortune bon coeur, préférera la correctionnalisation, ce qui lui permettra de se reconstruire et de passer à autre chose, même si ce n'est pas totalement satisfaisant pour elle².
En simplifiant, et donc en accélérant la procédure, comme le prévoit l'article 8, nous permettrons à la victime à la fois de pouvoir tourner la page plus rapidement mais aussi de voir son affaire jugée par la bonne juridiction, c'est-à-dire la cour d'assises.
Nous voici dans un bien curieux débat. D'un côté, vous nous avez expliqué que pour que la justice correctionnelle fonctionne mieux, il fallait y introduire des jurés citoyens. De l'autre, vous nous expliquez que pour que cela aille mieux dans les cours d'assises, il faut y diminuer le nombre de jurés !
Votre raisonnement ne tient pas debout. Ce n'est pas la présence de trois jurés supplémentaires qui rend la procédure en cours d'assises plus chère ou plus longue : c'est le fait que la procédure de la cour d'assise est extrêmement précise, principalement orale, avec de nombreuses reconstitutions et expertises, qui la rend longue et compliquée – et heureusement, puisqu'elle vaut pour faits considérés comme particulièrement difficiles.
La réduction du nombre de jurés n'a rien à voir avec la lutte contre la correctionnalisation. Ce n'est pas parce que le Parlement considère tel ou tel fait comme un crime que, pour chaque affaire particulière, le procureur ou l'avocat général sera tenu de dire que telle ou telle affaire constitue un crime ou pas. Nous savons bien que l'élément décisif est l'appréciation par le parquet des circonstances aggravantes. Dans le cas du viol ou de l'agression sexuelle, cela renvoie à l'éternelle question de savoir s'il y a eu ou non consentement, ou violence. Ce n'est pas parce que nous avons décidé que tel fait constitue un viol que, sur le terrain, la justice considérera qu'il en est ainsi : elle se décidera au vu de circonstances aggravantes ou non, sur lesquelles nous serions bien incapables de nous prononcer.
Signalons à ce propos que si, dans la plupart des cas, l'avocat de la victime ne s'oppose pas à la correctionnalisation, c'est qu'un procès en cour d'assises, s'il implique des condamnations infiniment plus lourdes qu'en correctionnelle, expose aussi au risque d'un acquittement : auquel cas la victime est bien attrapée… Bien souvent, son avocat préférera entendre prononcer une condamnation, fût-ce à cinq ou sept ans de prison, plutôt qu'un acquittement pur et simple en cour d'assises. Quand on parle de correctionnalisation, il faut bien prendre en compte tous les aspects du phénomène, et ce n'est pas si simple.
(Les amendements identiques nos 32 et 96 ne sont pas adoptés.)
Je suis saisie d'un amendement n° 83 .
La parole est à M. le garde des sceaux.
Cet amendement renvoie au fond de notre débat : il entend lutter contre la correctionnalisation, qui nous apparaît comme un objectif essentiel. Les faits qualifiés comme crimes par le Parlement doivent être jugés comme tels et non transformés en délits de façon quasi-automatique du fait de l'engorgement des cours d'assises.
Le Gouvernement avait initialement proposé – cela a été abondamment rappelé par les orateurs, particulièrement ceux de l'opposition – de créer une formation simplifiée de la cour d'assises, composée de trois magistrats professionnels et de deux citoyens assesseurs. Le Sénat a refusé cette solution, préférant réduire le nombre de jurés de neuf à six. Votre commission propose une autre solution, qui consiste à prévoir, à côté de la formation traditionnelle avec un nombre de jurés réduit de neuf à six, une cour d'assise « optionnelle » appelée à siéger, en cas d'accord de toutes les parties, dans une formation simplifiée : trois magistrats professionnels et un jury composé de trois jurés citoyens.
Le Gouvernement, s'il comprend parfaitement le but poursuivi par la commission et le rapporteur et y adhère totalement, s'interroge toutefois sur la constitutionnalité du dispositif proposé, en particulier sur la présence à parité de jurés citoyens et les magistrats professionnels. Certes, nous n'avons aucune certitude en ce domaine, mais le risque existe de voir cette solution disparaître avant même que la loi ne soit promulguée, ce qui serait extrêmement dommage. Le but est de mieux faire comprendre la position du Gouvernement…
Tout le monde a bien compris que le Conseil constitutionnel serait saisi de ce texte.
Cela me paraît tout à fait normal. Le Conseil constitutionnel est là pour ça et c'est très bien ainsi. Sa décision sécurisera notre texte qui n'en aura que plus de force pour s'appliquer. Raison de plus pour nous assurer au préalable de sa solidité juridique.
Sur la constitutionnalité du projet, justement, le Gouvernement s'interroge.
Le Conseil constitutionnel n'a jamais eu l'occasion de statuer directement sur cette question. La décision constitutionnelle du 20 janvier 2005 nous montre néanmoins qu'en application de l'article 66 de la Constitution, qui fait de l'autorité judiciaire la gardienne de la liberté individuelle, les juges professionnels doivent être majoritaires au sein des formations correctionnelles de droit commun.
Toutefois, le rédacteur, particulièrement autorisé, d'un commentaire publié en 2010 aux Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel à l'occasion d'une autre affaire – une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la composition des tribunaux maritimes commerciaux – précise que la jurisprudence de 2005 n'avait pas entendu remettre en cause l'état de l'organisation juridictionnelle existante, et en particulier la composition de la cour d'assises.
Les raisons de cette position ne sont pas parfaitement claires.
Mon raisonnement n'ayant pas encore commencé, vous avez beaucoup de chance de l'avoir compris, monsieur Dolez ! (Rires.) Je reconnais bien là le fondement de votre philosophie… J'essaie de ne pas trop parler, mais ce point est très important et je voudrais poursuivre mon raisonnement jusqu'au bout. Je vous remercie de me permettre de le faire.
Il est probable que c'est le caractère historique du jury en matière criminelle – M. Raimbourg l'a rappelé à plusieurs reprises – qui justifie cette position du Conseil constitutionnel. La question est donc de savoir si une juridiction composée de trois jurés et de trois magistrats correspondrait à cette catégorie de cour d'assises « historique ».
Au cours de notre histoire pénale, la composition du jury et son importance dans la décision de la cour d'assises, ont beaucoup varié. Aujourd'hui, toute décision de la cour d'assises défavorable à l'accusé doit être adoptée par la majorité absolue des jurés au moins ; cela n'a pas toujours été le cas, notamment entre 1945 et 1958.
À notre sens, la circonstance que la majorité de quatre voix sur six pourrait être atteinte sans le soutien d'une majorité des jurés ne suffit donc pas à elle seule pour considérer que la composition envisagée ne peut se rattacher à la notion historique de cour d'assises, ce qui lui permettrait d'échapper à la règle suivant laquelle toute juridiction prononçant des peines privatives de liberté pour des infractions de droit commun doit comporter une majorité de magistrats professionnels.
En revanche, dans la composition de la cour d'assises, les jurés ont été constamment plus nombreux, et même au moins deux fois plus nombreux, que les magistrats professionnels : douze jurés en 1808, six en 1941, sept en 1945, neuf depuis 1959 et douze en appel depuis la loi du 15 juin 2000. On ne peut donc exclure que la présence d'une majorité de jurés au sein de la cour d'assises constitue un trait caractéristique de cette juridiction : si c'est le cas, la formation composée de trois magistrats professionnels et de trois jurés ne pourrait bénéficier de l'exception reconnue à la cour d'assises pour déroger à l'exigence d'une présence majoritaire de magistrats professionnels.
La composition paritaire – autant de juges professionnels que de jurés – apparaît donc comme celle qui présente le plus grand risque constitutionnel. La solution initialement retenue dans le projet de loi du Gouvernement prévoyait que certains crimes pourraient être jugés par une formation comportant trois magistrats professionnels et deux jurés, sur le modèle de la composition retenue pour certaines formations du tribunal correctionnel, et validée par le Conseil constitutionnel en 2005. Cette composition ne peut certainement pas se prévaloir du régime juridique particulier des cours d'assises, mais la Constitution n'interdit pas que certains crimes soient jugés par des juridictions composées en totalité ou en majorité de magistrats professionnels, et qui répondent de ce fait aux exigences de l'article 66 de la Constitution. C'est ce qui ressort de la décision constitutionnelle du 3 septembre 1986.
La cour d'assises composée de six jurés et de trois magistrats professionnels paraît également à l'abri de tout risque constitutionnel, dès lors que le nombre de jurés demeure comparable à des nombres retenus par le passé. Toute réduction du nombre de jurés en dessous de six, sans aller jusqu'à une composition qui répondrait aux exigences constitutionnelles applicables aux formations de droit commun – dans lesquelles les magistrats professionnels doivent être majoritaires –, serait en revanche de nature à augmenter le risque d'inconstitutionnalité.
Il est donc tout à fait possible de soutenir – sans certitude absolue d'ailleurs que ce raisonnement soit accepté de la même manière pour quatre ou cinq jurés – que tant que les jurés demeurent majoritaires dans la formation de jugement, celle-ci peut se rattacher à la catégorie « historique » de la cour d'assises, que le Conseil constitutionnel n'a donc pas entendu soumettre aux règles applicables aux juridictions de droit commun. Il est en revanche très douteux qu'une formation de jugement composée à parité de trois magistrats professionnels et de trois jurés puisse s'y rattacher. Il serait dès lors très difficile de justifier la dérogation au droit applicable aux juridictions de droit commun, qui comporte donc en particulier l'exigence d'une présence majoritaire de magistrats professionnels.
Je reconnais que la situation n'est pas très facile. Le Gouvernement ne peut bien sûr pas prétendre être certain de son raisonnement, puisqu'il n'y a pas eu de décision du Conseil constitutionnel.
La proposition initiale du Gouvernement, qui n'a pas été acceptée par le Sénat, était calquée sur la composition de la cour qui juge les crimes sur celle des tribunaux de droit commun ; l'Assemblée nationale choisit une autre solution, fondée sur le paritarisme entre les magistrats professionnels et les jurés. Toutefois, cette solution nous paraît présenter un grand risque d'inconstitutionnalité : c'est ce qui a poussé le Gouvernement à déposer l'amendement n° 83 .
Je vous remercie, madame la présidente, de m'avoir laissé la parole ; j'ai sans doute été trop long, mais ce sujet est important.
Le Gouvernement parle durant tout le temps qu'il juge nécessaire, monsieur le garde des sceaux. (Sourires.)
Certes, et néanmoins… (Sourires.)
Nous sommes dans une situation tout à fait paradoxale : la commission des lois, par le nouveau dispositif de cour d'assises simplifiée qu'elle a proposé d'instaurer, suit la philosophie du texte initialement déposé par le Gouvernement sur le bureau du Sénat, qui consistait en une cour d'assises simplifiée comportant trois magistrats professionnels et deux citoyens assesseurs.
Le Sénat n'a pas voulu de cette disposition, et a estimé que, pour lutter contre la correctionnalisation, une légère diminution du nombre de jurés était suffisante.
Il nous semble au contraire que le dispositif de la cour d'assises simplifiée constitue le moyen le plus efficace pour lutter contre la correctionnalisation et permettre aux procédures de se dérouler plus rapidement, en faisant en sorte que le plus grand nombre possible d'audiences puissent se tenir tant devant les cours d'assises simplifiées que devant les cours d'assises classiques.
Aujourd'hui nous défendons donc un principe initialement établi par le Gouvernement, mais que celui-ci combat désormais.
Pas du tout.
Si, puisque le Gouvernement veut supprimer ce système de cour d'assises simplifiée. Nous sommes donc dans une situation assez paradoxale.
À vous entendre, monsieur le garde des sceaux, nous risquerions l'inconstitutionnalité. Je suis très surpris : avec trois jurés et trois magistrats, nous risquerions l'inconstitutionnalité, alors que le texte initial du Gouvernement, qui prévoyait trois magistrats professionnels et deux citoyens assesseurs – autrement dit en position minoritaire – aurait été constitutionnel !
Mes souvenirs de mathématiques à l'école primaire m'indiquent que trois est supérieur à deux. (Rires.)
Merci. (Sourires.)
Si un dispositif prévoyant deux jurés est constitutionnel, un dispositif en prévoyant trois, c'est-à-dire plus que deux, l'être également. (Sourires.)
Plaisanterie mise à part, monsieur le garde des sceaux, l'argument de la constitutionnalité, me semble-t-il, ne tient pas. Vous faites référence à la décision du Conseil constitutionnel de 2005, qui concernait, je le rappelle, les juges de proximité dans les tribunaux correctionnels. Dans ce cas-là, les magistrats professionnels doivent être majoritaires par rapport aux citoyens au sein des juridictions de droit commun que sont les tribunaux correctionnels. Mais cette décision ne nous dit rien des cours d'assises ; en particulier, elle ne remet pas en cause le système inverse dans lequel les citoyens sont majoritaires. Elle ne dit pas que la formation de la cour d'assises telle que nous la connaissons serait inconstitutionnelle ; mais elle ne dit pas non plus que les citoyens doivent nécessairement être majoritaires dans les cours d'assises. Or, c'est un peu le raisonnement que vous nous tenez aujourd'hui.
Pas du tout.
Nous faisons en tout cas de grands efforts pour comprendre. (Sourires.)
Imaginons qu'il faille que les citoyens soient effectivement en nombre supérieur aux magistrats professionnels, puisque c'est le raisonnement que vous tenez. Je note que la cour d'assises simplifiée, telle que la commission des lois la propose, est optionnelle – comme le prévoyait d'ailleurs le texte initial du Gouvernement.
Tout à fait.
L'accusé et le ministère public ont chacun la possibilité de demander le renvoi de l'affaire devant la cour d'assises en formation classique. Lorsqu'il est utilisé, ce dispositif simplifié – avec trois magistrats professionnels et trois jurés – a donc été par avance accepté par l'accusé et le ministère public. Et ensuite, si le verdict n'est pas accepté, l'accusé comme le ministère public ont la possibilité de faire appel, donc de reprendre le procès devant une cour d'assises dans laquelle les jurés sont en nombre supérieur à celui des magistrats professionnels, c'est-à-dire de revenir dans une situation que vous nous dites plus constitutionnelle que celle de la cour d'assises simplifiée. Autrement dit, cette situation de second ordre de juridiction validerait le schéma de la cour d'assises simplifiée.
Ce débat, je le reconnais, est très technique, mais le droit constitutionnel l'est toujours.
Par ailleurs, vous utilisez aussi l'argument suivant lequel le Conseil constitutionnel ne s'est jamais prononcé sur la composition des cours d'assises.
Ce n'est pas un argument, c'est un fait.
Je suis tout à fait d'accord avec cette constatation ; mais est-ce à dire que le Parlement devrait s'interdire de légiférer dans les domaines où le Conseil constitutionnel ne se serait pas encore prononcé ?
Je n'ai pas dit cela !
Cela ne constitue donc pas un argument.
Nous pouvons légiférer dans ce sens et espérer que le Conseil constitutionnel, ce que je crois, validera la cour d'assises simplifiée telle qu'elle est proposée par la commission des lois.
C'est pourquoi j'invite nos collègues à repousser – exceptionnellement – l'amendement présenté par le Gouvernement.
Je tiens, ici, à expliquer les raisons pour lesquelles je soutiendrai l'amendement gouvernemental et je demande au rapporteur de bien vouloir m'en excuser.
Nous sommes tous soucieux d'éviter la correctionnalisation subreptice, que nous sommes unanimes à combattre, d'un certain nombre d'affaires qui, selon nous, doivent relever des assises. Un viol doit être traité comme un viol et non comme une agression sexuelle et doit être jugé aux assises et non en correctionnelle. À partir du moment où nous prenons cette option, nous devons, par définition, nous donner les moyens d'une bonne administration de la justice en assises ; autrement dit d'organiser cette procédure clairement, simplement et en économisant les moyens. Je partage tout à fait la volonté exprimée par le rapporteur dans ce sens.
Si nous allons dans ce sens, nous devons respecter un certain nombre de principes, et c'est ce en quoi je soutiens le Gouvernement. Ce n'est pas tant par crainte de la censure du Conseil constitutionnel, mais par peur de l'autocensure qui nous interdirait d'agir, alors même que nous sommes dans l'incertitude. Cet arguement ne me convainc pas, même si on nous le sort souvent. Car il a souvent pour effet d'émasculer…
Disons de nous retenir à l'excès. Censure du Conseil constitutionnel, oui, autocensure, non !
Il n'empêche que je suis d'accord avec le raisonnement du garde des sceaux : nous devons respecter le principe de base selon lequel, pour un ensemble de jugements, les jurés en assises doivent être majoritaires.
Je suis, en conséquence, partisan du trois plus six en première instance et du trois plus neuf en appel. Cela a le mérite de la majorité et de la clarté.
Je m'oppose au rapporteur, ce dont je lui demande également de m'excuser, sur un autre point. Le rapporteur propose deux hypothèses, avec possibilité laissée aux parties de revenir au jury le plus large. Pourquoi cela ne m'agrée-t-il pas ? Parce qu'on réserverait, en fait, cette faculté aux seules parties reconnues en l'état de notre droit pénal, donc à l'accusé et au procureur. La partie civile se trouverait dès lors dans une situation délicate, puisqu'elle n'aurait pas les mêmes droits. Cela aurait pour effet de créer dans ce texte une distorsion au détriment de la partie civile, autrement dit des victimes. Nous avons eu ce débat hier soir. Nous sommes, ici, quelques-uns à défendre les victimes.
L'amendement gouvernemental crée un élément d'automaticité qui interdit ce choix, donc ce risque de distorsion. Parce qu'il est clair, parce qu'il respecte le principe et parce qu'il place les parties à égalité, j'y suis favorable.
L'état d'impréparation de ce texte est tout de même phénoménal : nous touchons à une juridiction dont la portée symbolique et politique est très importante. Or plus personne ne sait où l'on va, et ce pour plusieurs raisons.
C'est faux !
Premièrement, on s'attaque à un premier phénomène, la correctionnalisation, dont on ne mesure pas exactement l'ampleur statistique à ce jour. On sait seulement grosso modo que, dans un département peuplé, les cours d'assises ne sont plus en mesure de juger les viols simples, c'est-à-dire sans circonstance aggravante, et les vols à main armée autres que ceux avec armes à feu. À partir de là, plusieurs solutions ont été proposées. Le projet gouvernemental – je parle sous votre contrôle, monsieur le garde des sceaux, car c'est tellement compliqué que j'ai un peu de mal à suivre –…
Vous avez parfaitement compris, monsieur Raimbourg !
J'espère avoir parfaitement compris, mais cela m'a demandé des efforts très importants !
Heureusement que vous les avez faits !
Le Gouvernement a, dans un premier temps, proposé la présence de trois magistrats et de deux jurés citoyens dans une cour d'assises optionnelle pour les faits punis de moins de vingt ans de réclusion – en clair, les viols, d'un côté, et les vols à main armée, de l'autre. Le projet est examiné par le Sénat qui met tout par terre : plus de cour d'assises simplifiée, on revient à six jurés en première instance et à neuf en appel. Notre assemblée se saisit à son tour de ce projet et M. le rapporteur nous suggère de revenir à la cour d'assises simplifiée et à la présence de trois magistrats et de trois jurés citoyens. Le Gouvernement, enfin, revient à la charge en reprenant à son compte la proposition du Sénat ! Je ne vois pas en quoi passer de neuf à six jurés en première instance et de douze à neuf jurés en appel aurait des conséquences sur le phénomène de la correctionnalisation. Comme l'a précédemment souligné Mme Pau-Langevin, c'est du fait de l'ensemble de la procédure, que la cour d'assises ne peut « produire » à hauteur de la totalité des crimes – dont par ailleurs nous ne connaissons pas le nombre.
Nous nous abstiendrons, par conséquent, sur cette question, laissant le soin à la majorité de trancher ce problème qui lui est interne. Nous souhaitons que les articles relatifs à la cour d'assises soient retirés et que nous approfondissions notre travail en la matière…
…sachant que cela a plus de conséquences pour les accusés que pour les victimes, toujours d'accord avec la correctionnalisation : non seulement c'est plus rapide et moins cher, mais la charge émotionnelle devant un tribunal correctionnel est moins lourde qu'en assises où il faut expliquer ce qui s'est passé, détailler son préjudice et son ressenti. L'injustice est aujourd'hui essentiellement du côté des accusés, puisque la correctionnalisation varie d'un département à l'autre.
Il y a incontestablement urgence à trancher la question : voilà trente ans que nous débattons de la correctionnalisation et de la création d'un tribunal criminel départemental et nous ne sommes pas encore parvenus à trancher la question. Penchons-nous sérieusement sur ce sujet et terminons-en avec une juridiction qui, je le répète, a une dimension symbolique et politique très lourde. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Je ne relancerai pas le débat, mais nous avons l'occasion de mettre en place une cour d'assises simplifiée pour lutter efficacement contre la correctionnalisation. Saisissons cette chance qui va dans le sens de ce qu'a inscrit le Gouvernement dans son texte initial. J'invite en conséquence mes collègues à repousser la suppression du dispositif que votre commission des lois a retenu, après un débat approfondi.
La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
La commission des lois, réunie au titre de l'article 88, a apporté son soutien au Gouvernement. Chacun constate que cette matière est complexe et qu'il est difficile de prendre une position au détour d'un amendement. Voilà pourquoi, même si je comprends le problème soulevé par la correctionnalisation, il me semble plus sage de ne pas ouvrir ce débat et de ne pas risquer, sur une partie essentielle de ce projet de loi, une éventuelle censure du Conseil constitutionnel. La sagesse devrait conduire la majorité à suivre le Gouvernement sur ce sujet.
En dépit du respect que je porte au rapporteur qui a fourni un énorme travail sur ce dossier, nous soutiendrons le Gouvernement en la matière, laissant ainsi la prépondérance au peuple dans les jurys ainsi constitués. Nous ne ferons donc pas droit à sa proposition.
(L'amendement n° 83 est adopté.)
J'aurais aimé reprendre l'amendement n° 87 qui tend à revenir sur la possibilité de déroger à la règle du huis clos dans les cours d'assises lorsque l'accusé, mineur lors de la commission des faits, est devenu majeur. En fait, les alinéas 26 à 28 ne font que reprendre un amendement de MM. Baroin et Lang qui visait une situation très particulière : celle de cet horrible assassinat, l'affaire Fofana, du nom de l'accusé, à la personnalité très particulière et, pardonnez-moi le terme, particulièrement antipathique, qui non seulement revendiquait son crime mais avait tenu, en prime, des propos racistes et antisémites. La famille de la victime avait regretté que l'audience ne soit pas publique. Pour répondre à ce cas unique, il avait été demandé de déroger au huis clos alors que les faits avaient été commis par un mineur. Il fallait revenir à la situation antérieure et cet amendement n° 87 était particulièrement bienvenu.
Je vous ai laissé vous exprimer sur cet important sujet, mon cher collègue, mais comme vous n'êtes pas signataire de l'amendement, il ne vous est pas possible de le reprendre.
(L'article 8, amendé, est adopté.)
Je demande tout d'abord à mes collègues de ne pas tenir compte de l'exposé sommaire : du fait d'un bug informatique, il n'a rien à voir avec le contenu de mon amendement.
L'article 9 est relatif à la participation des citoyens assesseurs à certaines décisions en matière d'application des peines. En effet, il prévoit la participation de deux assesseurs au tribunal d'application des peines et à la chambre de l'application des peines pour les décisions portant sur le relèvement de la période de sûreté, la libération conditionnelle ou la suspension de peine pour les personnes condamnées à une peine privative de liberté de plus de cinq ans.
Nous avons, pour notre part, quelque difficulté à saisir l'intérêt d'une telle disposition, puisque l'association des citoyens existe déjà en matière d'application des peines. L'article 712-13 du code de procédure pénale prévoit que, pour le jugement en appel des décisions du tribunal de l'application des peines portant sur le relèvement de période de sûreté, la libération conditionnelle et la suspension de peine, « la chambre de l'application des peines de la cour d'appel est composée, outre le président et les deux conseillers assesseurs, d'un responsable d'une association de réinsertion des condamnés et d'un responsable d'une association d'aide aux victimes ». La société civile est donc déjà représentée à la chambre de l'application des peines en appel.
Quel est alors l'intérêt d'introduire en première instance et en appel, deux citoyens peu formés – c'est le moins qu'on puisse dire – en la matière pour les décisions les plus lourdes que ces juridictions seront amenées à prendre ? Nous ne le comprenons d'autant moins que la pratique de l'application des peines est une matière très complexe qui suppose des compétences techniques et un suivi de la personne détenue. À la différence de la détermination de la lourdeur d'une peine, la décision de libération conditionnelle s'appuie nécessairement sur des savoirs criminologiques, juridiques, sociologiques, médicaux et psychiatriques. Il nous paraît tout à fait illusoire de penser que deux citoyens assesseurs, quelle que soit leur bonne volonté, recrutés dix jours par an par le tribunal ou la chambre de l'application des peines, auront les moyens de maîtriser ne serait-ce que les rudiments de ce contentieux.
La parole est à Mme George Pau-Langevin, pour soutenir l'amendement n° 97 .
Là encore, nous voyons bien comment ce projet s'attaque à des sujets sérieux mais nous propose de fausses solutions.
L'application des peines est une question complexe. Nous avons voté il n'y a pas si longtemps une loi pénitentiaire où nous l'avons abordée très en détail en mettant en place un certain nombre de procédés, notamment, pour les libérations, les bracelets électroniques ; ce n'est pas en changeant chaque année les modalités d'exécution des peines que l'on fera faire progresser les choses.
Nous avons un système qui fonctionne avec la participation de citoyens, qui ont de surcroît le mérite de s'intéresser au sujet et de le connaître puisqu'ils sont souvent membres d'associations travaillant sur le sujet. Comme ils viennent régulièrement, leurs avis ont un certain poids. Voilà qu'on nous propose de le remplacer pour faire participer des citoyens choisis au hasard, qui ne connaîtront pas le sujet… Et quand ils commenceront à comprendre quelque chose, on en tirera d'autres au sort !
Certes, dans la vie, faire et défaire, c'est toujours agir, mais cela donne tout de même l'impression d'une activité brouillonne et cela ne contribue pas à améliorer le fonctionnement de la justice.
Nos concitoyens sont souvent très perplexes devant la manière dont on applique les peines ; mais je ne crois pas que ce soit en changeant systématiquement le système, et de manière incompréhensible déjà pour nous, que nous arriverons à faire progresser les choses.
C'est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de cet article en souhaitant plutôt que l'on fasse une évaluation des mesures que nous avons votées l'année dernière.
Défavorable.
Nous avons déjà eu ce débat à l'occasion de l'article 1er, je n'y reviens pas. De la même manière que nous permettons aux citoyens assesseurs de participer au prononcé de la peine, il faut leur permettre de participer aux décisions concernant l'application de la peine. Il y a là une vraie logique, du début à la fin.
Défavorable.
Contrairement à ce qui se passe au tribunal, c'est justement une étape où les citoyens sont présents. Ils sont associés, conscients et donc utiles. Nous ne voyons donc pas l'intérêt de les remplacer par des citoyens qui ne connaissent pas le sujet et qui seront beaucoup moins utiles pour apprécier les décisions rendues.
(Les amendements identiques nos 33 et 97 ne sont pas adoptés.)
(L'article 9 est adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 23 portant article additionnel après l'article 9.
La parole est à M. Marc Le Fur.
Je souscris tout à fait à la logique de l'article 9, qui introduit le citoyen dans l'application de la peine. À partir du moment où le citoyen a sa place, il me paraît tout à fait logique que la victime, qui n'en est pas moins citoyenne, ait également la sienne. C'est la raison pour laquelle j'ai déposé cet amendement qui entend donner une plus grande place aux victimes au stade de l'application de la peine. Elle doit être présente, ou représentée, en première instance et en appel.
L'introduction de citoyens assesseurs démontre que ce ne doit plus être l'affaire que de spécialistes. La victime doit donc elle aussi avoir sa place dans les débats contradictoires.
Ajoutons que ce dispositif permettrait de revenir sur la suppression malencontreuse, en 2009, des dispositions issues de la loi Clément de 2005 qui permettaient à l'avocat de la victime de faire valoir son point de vue sur les décisions d'allégement et d'aménagement des peines relevant du tribunal d'application des peines. Entre 2005 et 2009, la législation était plus favorable à la victime.
Nous retrouverions une cohérence et je suis convaincu que tous ceux qui militaient hier contre la possibilité pour la victime de faire appel des décisions de justice lui permettront tout de même de s'exprimer et d'être défendue. L'application du jugement la concerne également. C'est toute la logique de l'amendement que j'ai l'honneur de défendre devant vous.
Défavorable.
Nous avons déjà eu hier un débat long et instructif sur le rôle de la victime dans le procès pénal. Nous n'avons pas accordé à la victime le droit de faire appel en cas d'acquittement dans un procès d'assises. Lui permettre d'intervenir sur l'application de la peine procède de la même philosophie et demande une réflexion globale sur son rôle dans le procès pénal et sur la nature même de notre procédure pénale. Je vous demande, mon cher collègue, de bien vouloir retirer votre amendement afin que nous ayons cette réflexion approfondie à l'occasion d'un autre texte.
J'entends que le débat n'est pas clos mais qu'il ne peut être tranché aujourd'hui, ce que je peux admettre.
Je rappelle seulement qu'il s'agissait de permettre à la victime non pas de faire appel, mais simplement d'être présente ou représentée et de s'exprimer devant les instances chargées de l'application des peines.
Cela dit, au vu des différents éléments, je comprends parfaitement que c'est un débat qui a une cohérence. Or nous sommes soucieux de la cohérence, comme de la défense des victimes. Nous ne sommes pas encore dans cette logique, mais je veux croire que l'on chemine. Je retire donc mon amendement.
(L'amendement n° 23 est retiré.)
Je suis saisie d'un amendement n° 231 .
La parole est à M. Bernard Gérard.
Notre amendement n° 231 a pour objet de supprimer les réductions de peines dites « automatiques ».
Ces réductions de peine, qui s'élèvent à trois mois la première année et à deux mois les années suivantes, choquent profondément nos concitoyens parce qu'il n'est nullement tenu compte, pour en bénéficier, de la bonne conduite du condamné : elles sont accordées de droit et ne sont retirées qu'en cas de mauvaise conduite caractérisée.
Ces réductions de peines sont d'autant plus inutiles que les aménagements de peine, accessibles à mi-peine, et les réductions de peine supplémentaires, de trois mois par an, permettent déjà d'encourager les détenus à bien se conduire, à suivre un traitement ou à indemniser leurs victimes.
La France est d'ailleurs un des rares pays au monde à cumuler deux systèmes de libération anticipée : les réductions de peine et les aménagements de peine.
Même si, c'est vrai, aucune d'entre elles n'est accordée vraiment automatiquement, force est de constater que les réductions de peine sont largement octroyées. Ce caractère quasi-automatique leur fait perdre toute utilité et constitue incontestablement une atteinte au principe même de justice. Une personne entre à peine en prison qu'on lui indique déjà à quel moment elle va en sortir, revenant en réalité sur un jugement rendu au nom du peuple français.
En 2010, 78 389 personnes écrouées ont bénéficié d'un crédit de réduction de peine avec une durée moyenne de quatre-vingt-deux jours. La réduction de peine, qui était hier l'exception, est devenue la règle dans notre système pénitentiaire, ce qui me paraît difficilement acceptable, à plus forte raison dans un projet de loi qui entend rapprocher la justice des citoyens. Les gens ne peuvent pas comprendre une telle mesure. C'est pourquoi cet amendement tend à supprimer les crédits de réduction de peine.
Cet amendement a été rejeté par la commission.
Le régime de crédits de réduction de peine, CRP, et les réductions de peine supplémentaires, RPS, sont issus de la loi Perben 2 du 9 mars 2004. C'est un système équilibré et utile, qui met en oeuvre la logique de la carotte et du bâton, si je puis dire. Le bâton, c'est le risque de se voir retirer les CRP en cas de mauvaise conduite en détention ; la carotte, c'est la perspective pour un condamné de bénéficier de RPS s'il fait des efforts particuliers comme indemniser la victime, se former ou suivre une thérapie destinée à prévenir les risques de récidive.
Il y aurait un double inconvénient à supprimer les crédits de réduction de peine : premièrement, on ne dissuaderait plus les condamnés d'avoir de mauvais comportements en détention ; deuxièmement, il ne serait plus possible de surveiller une personne en la plaçant sous le régime de la surveillance judiciaire, régime qui s'applique après la sortie uniquement pendant la durée des réductions de peine.
En fin de peine, le condamné est en situation de « sortie sèche », sans accompagnement. Si vous supprimez les crédits de réduction de peine, vous favoriserez les sorties sèches et l'on ne pourra plus suivre les condamnés qui sortent.
Cet amendement ouvre un vrai débat, mais votre assemblée a déjà eu l'occasion d'en traiter à de nombreuses reprises.
Les réductions de peine constituent pour nous un outil indispensable pour prévenir la récidive. Contrairement à ce que vous avez indiqué au début de votre intervention, en corrigeant ensuite un peu cette affirmation, elles ne sont pas automatiques. Vous avez d'ailleurs mis ce mot entre guillemets dans l'exposé sommaire de votre amendement. En 2009, un peu plus de 24 000 détenus ont bénéficié de crédits de peine, mais un peu plus de 5 000 d'entre eux, qui avaient refusé par exemple de suivre des traitements anti-libido, n'y ont pas eu droit. Les réductions de peine sont limitées pour les récidivistes et peuvent être retirées après l'exécution de la peine si le condamné commet une nouvelle infraction.
Les réductions de peine, comme l'a fort bien expliqué le rapporteur, permettent d'assurer le suivi des condamnés après leur détention, soit dans le cadre d'une mesure de surveillance judiciaire, la durée de cette mesure étant égale à la durée des réductions, soit dans le cadre des crédits de réduction de peine conditionnelle prévus par l'article 721-2 du code de procédure pénale, qui permet au juge de l'application des peines d'imposer au condamné après sa libération et pendant la durée des réductions de peine octroyées un certain nombre d'obligations. Elles permettent de gérer des situations individuelles complexes, de mieux préparer la sortie et d'améliorer la réinsertion.
Il est vrai que ce n'est pas ainsi qu'elles sont perçues par l'opinion publique. Quand on parle de réduction de peine automatique, ce qui n'est pas la réalité, on a l'impression que, tous les deux jours, une machine réduit les peines. Tel n'est pas du tout le cas.
Si vous n'étiez pas convaincu par ce que le rapporteur et moi-même vous avons répondu, monsieur Gérard, écoutez ce que déclarait ici même M. Garraud, rapporteur de la loi du 10 mars 2010 : « Si nous devions supprimer les remises de peine, cela nous amènerait à rendre inapplicables la surveillance judiciaire et les mesures de contrôle de l'individu et, si nous votions les mesures que vous proposez sur les réductions de peine, c'est-à-dire leur suppression, nous ferions s'effondrer le système, nous irions à l'échec. »
Pour toutes ces raisons, et notamment ce dernier argument, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement. À défaut, je serais obligé de demander à l'Assemblée nationale de ne pas le voter.
Les réductions de peine, qu'elles soient octroyées sous forme de réductions acquises ou, depuis 2004, sous forme de crédits, sont un des éléments essentiels qui rendent possible ce avec quoi nos concitoyens sont profondément d'accord, à savoir que les personnes sortant de prison soient suivies.
Si le dispositif présente aujourd'hui des failles, il n'en reste pas moins nécessaire, car il faut toujours garder à l'esprit cette idée peut-être un peu simpliste mais bien réelle : tous les gens qui entrent en prison finissent par en sortir un jour. Notre intérêt commun est qu'ils soient suivis à leur sortie. Un tel suivi n'est possible, pour les personnes n'ayant pas bénéficié de libération conditionnelle ou d'aménagement de peine, que si une mesure de remise ou de crédit de peine est prévue.
Que des améliorations soient indispensables, que le suivi doive être plus serré, que l'on gagnerait à ce que la police y soit associée, que le manque de moyens soit criant, tout cela est vrai, mais il ne faut pas toucher à ce dispositif essentiel à la survie de notre système pénal.
Je ne suis pas du tout un expert sur le sujet mais, pour des raisons familiales, mon grand-père ayant mené une carrière de directeur de prison, j'ai passé beaucoup de temps dans ces établissements pendant mes vacances scolaires. Cela peut paraître étonnant mais j'allais en vacances en prison. (Sourires.)
Ce n'est pas tant la réduction de peine et le suivi qui sont importants pour la capacité de l'individu incarcéré à se réhabiliter, que les conditions dans lesquelles il exécute sa peine, au sein de la prison.
Pour le citoyen qui ne connaît pas le milieu carcéral, la réduction de peine est parfois peu compréhensible. Nous gagnerions beaucoup, dans les problématiques de rapprochement des citoyens et de la justice, à mener une politique plus efficace en termes non pas tant de moyens que de projets : que faisons-nous des hommes et des femmes incarcérés pendant qu'ils se trouvent dans cette situation ? Avec une politique de projets, nous préparerions bien plus efficacement la sortie de prison. Si rien n'est fait pendant le temps de l'incarcération, le suivi peut être éventuellement palliatif mais il reste extrêmement compliqué.
J'ai conscience que je m'écarte un peu du sujet mais je tenais à souligner ce point. Il faut attacher une importance toute particulière aux projets que nous menons pour ces personnes qui, à un moment, sont incarcérées.
C'est un débat noble et important. Il y a de l'humain derrière tout cela et j'ai conscience que la personne incarcérée doit se voir ouvrir des perspectives. Dans le cadre de la mission qui m'a été confiée ainsi qu'à Éric Ciotti, sur l'exécution et l'aménagement des peines, je me suis rendu dans des établissements pénitentiaires, et j'ai bien vu que le personnel avait besoin d'outils pour maintenir la population carcérale dans l'espoir.
J'aurais toutefois tendance à dire que réduction de peine sur réduction de peine ne vaut. Je ne sais si cela peut constituer un principe juridique. En tout cas, il est incompréhensible qu'à côté des aménagements et des réductions de peine complémentaires, il existe des réductions « automatiques », entre guillemets, oui, monsieur le garde des sceaux. Si je comprends que des difficultés se posent, j'espère qu'un débat aura lieu ultérieurement sur ce sujet, afin de clarifier notre discours aujourd'hui totalement inaudible pour la population.
Les chants désespérés étant les plus beaux, je maintiens mon amendement. (Sourires.)
Notre collègue qui a passé ses vacances en prison (Sourires) a posé la vraie question. Le problème est bien de savoir comment peut être utilisé ce temps passé en prison pour redonner aux détenus des bases et leur apporter les soins psychologiques qui souvent leur manquent.
Il faut bien comprendre que la perspective de l'allégement de peine est aussi une manière de maintenir un minimum d'ordre dans les prisons. Il suffit de visiter des établissements, notamment en région parisienne, pour s'en rendre compte : le métier de surveillant de prison est extrêmement difficile. Il recrute péniblement. Si vous ôtez aux détenus tout espoir de sortir plus tôt en cas de bonne conduite, vous allez rendre la vie dans les établissements pénitentiaires encore plus difficiles. En considérant que ces allégements doivent être maintenus, nous ne pensons pas seulement, comme vous pouvez le croire, aux personnes détenues, mais aussi à ceux qui ont la charge délicate de les surveiller.
(L'amendement n° 231 n'est pas adopté.)
À l'article 9 bis, je suis saisie de deux amendements identiques de suppression, nos 34 et 98.
La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l'amendement n° 34 .
L'article 9 bis étend à toute personne condamnée à une peine d'emprisonnement ou de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans les évaluations pluridisciplinaires de dangerosité préalables à la libération, ainsi qu'aux personnes condamnées à une peine égale ou supérieure à dix ans pour une infraction pour laquelle le placement en rétention de sûreté serait possible.
Ces évaluations sont actuellement prévues pour les seules personnes condamnées à perpétuité dans le cadre de leur placement en rétention de sûreté. Avec le dispositif proposé par la commission des lois, le Centre national d'évaluation, établissement spécialisé dans lequel les détenus sont évalués pour que leur libération fasse l'objet d'un avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, verra son activité passer, selon le rapport, de trente-six évaluations en 2010 à 600, sans compter les évaluations qui s'avéreraient nécessaires même si la loi ne les prévoit pas à titre obligatoire.
Comment permettre au Centre national d'évaluation de passer de trente-six dossiers annuels à plus de 600, même en tenant compte de l'ouverture prochaine d'un second centre ? Le risque est de voir l'engorgement des dossiers retarder massivement les libérations conditionnelles, ce qui, pour nous, ne serait pas acceptable, en particulier dans le contexte actuel de record historique de la surpopulation carcérale.
J'ajoute que cet avis n'aura pas de valeur intrinsèque et ne saurait s'imposer au tribunal d'application des peines, comme l'a indiqué le Conseil constitutionnel, en 2008, au sujet de la loi sur la rétention de sûreté.
La parole est à Mme George Pau-Langevin, pour soutenir l'amendement n° 98 .
À trop élargir une mesure, l'évaluation de dangerosité avant libération, qui dans son principe est intéressante, on risque de la priver d'efficacité. Cette mesure concerne certains types de détenus, et tout le monde s'accorde à dire que le centre d'évaluation de Fresnes fonctionne aujourd'hui plutôt bien. En voulant élargir ses attributions, on risque de le priver d'efficacité, de l'engorger. Il ne sera pas possible de procéder à cette évaluation sur tout le monde ; il vaut mieux la réserver à certains cas bien définis, au risque, autrement, de mettre en difficulté les personnels concernés et donc de priver le dispositif d'efficacité et de sens.
Défavorable. L'article 9 bis redéfinit les conditions de libération conditionnelle des criminels dangereux. Cela passe, tout d'abord, par l'extension du champ des décisions devant être prises collégialement, devant le tribunal d'application des peines.
Cela passe ensuite par l'élargissement du champ de l'évaluation de dangerosité préalable obligatoire, que nous avons toutefois un peu réduit par rapport à ce que proposait le Sénat, de manière que le nombre de cas à étudier ne soit pas trop important : cette évaluation doit rester une réalité, nous ne voulons pas d'abattage. Un centre national fonctionne déjà à Fresnes, un autre ouvrira à Réau à la fin de l'année 2011.
Et un autre à Lille !
M. le garde des sceaux m'indique qu'un autre ouvrira également à Lille, ce qui est une bonne chose.
La commission des lois, en restreignant la proposition du Sénat, a trouvé le bon équilibre.
Enfin, cette redéfinition passe par une progressivité accrue du retour à la liberté avec l'instauration du sas obligatoire que constituent le placement sous surveillance électronique, mobile ou non, ainsi que la semi-liberté avant l'octroi de la libération conditionnelle.
Pour toutes ces raisons, il faut absolument que l'article 9 bis soit maintenu.
Le Gouvernement partage pleinement l'avis de la commission. L'évaluation des détenus est essentielle. C'est quelque chose de nouveau et de scientifique qui a vocation à devenir un véritable instrument de lutte contre la récidive.
(Les amendements identiques nos 34 et 98 ne sont pas adoptés.)
(L'article 9 bis est adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 232 portant article additionnel après l'article 9 bis.
La parole est à M. André Flajolet.
Il s'agit d'un amendement de cohérence et de précaution : cohérence entre les textes et précaution vis-à-vis du risque que peuvent représenter certains détenus.
La commission a repoussé cet amendement, qui ferait courir au texte un risque d'inconstitutionnalité. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision de février 2008 validant le dispositif de la rétention de sûreté, a souligné : « Eu égard à l'extrême gravité des crimes visés et l'importance de la peine prononcée par la cour d'assises, le champ d'application de la rétention de sûreté apparaît en adéquation avec sa finalité. » L'abaissement du seuil de la peine prononcée risque d'amener le Conseil constitutionnel à considérer que le critère de l'« extrême gravité » a été ignoré et donc à prononcer une censure.
Ajoutons que personne n'a encore été placé en rétention de sûreté. Seules cinq personnes ont été placées sous surveillance de sûreté, ce qui n'est pas le même dispositif. Est-il pertinent d'étendre le champ d'application d'une mesure que l'on a à peine commencé d'appliquer ? Laissons d'abord la chance au dispositif de fonctionner ; nous verrons ensuite s'il est nécessaire d'y apporter des correctifs.
Je partage le point de vue du rapporteur et je pense que M. Flajolet devrait retirer son amendement.
C'est demandé avec une telle gentillesse que je ne puis que m'incliner. (Sourires.)
(L'amendement n° 232 est retiré.)
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Suite de la discussion du projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs.
La séance est levée.
(La séance est levée à midi trente.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma