La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures trente.)
Je rappelle qu'au cours de la deuxième séance du mardi 24 juin, il a été donné connaissance à l'Assemblée nationale du décret de M. le Président de la République portant convocation du Parlement en session extraordinaire. Ce décret a été publié au Journal officiel du 25 juin 2008.
En application de l'article 29 de la Constitution, je déclare ouverte la session extraordinaire de 2007-2008.
L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif aux archives et du projet de loi organique relatif aux archives du Conseil constitutionnel (nos 897, 896, 995).
La Conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.
La parole est à M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, monsieur le rapporteur, les projets de loi relatifs aux archives, que j'ai l'honneur de vous présenter au nom du Gouvernement et tout particulièrement de ma collègue Christine Albanel, visent à adapter la conservation et la communication de la mémoire de la nation aux exigences de notre temps.
Les délais actuels de communicabilité des archives ont été fixés il y a près de trente ans, par la loi du 3 janvier 1979. À l'époque, ces dispositions représentaient une avancée notable, mais aujourd'hui plusieurs d'entre elles paraissent inadaptées aux besoins des archivistes, des chercheurs, des généalogistes comme du grand public.
Ces deux projets de loi – organique, pour les archives du Conseil constitutionnel, et ordinaire – qui sont soumis pour la deuxième fois à votre examen, visent deux objectifs : ils facilitent et accélèrent l'accès de tous aux archives publiques, un sujet que beaucoup d'entre nous connaissent bien en tant que maires et élus locaux ; ils protègent les intérêts légitimes des citoyens, et notamment leur vie privée. En outre, ils renforcent les sanctions qui punissent les atteintes aux archives et, plus généralement, à tous les biens culturels.
S'agissant de la volonté d'ouverture des archives, le projet de loi ordinaire – dont le projet de loi organique transpose les principes aux archives du Conseil constitutionnel – répond à un souci de plus grande transparence. Il établit le principe de la libre communicabilité des archives publiques. Il supprime le délai minimum de communication qui, dans la loi de 1979, avait été fixé à trente ans. Désormais, chaque Français pourra consulter librement et immédiatement les archives publiques. Ce renversement de logique – la communication immédiate est le principe, la communication différée est l'exception – constitue un progrès considérable et, j'ose dire, historique.
De plus, le projet de loi réduit de façon très sensible les délais de communication des documents qui mettent en cause les secrets protégés par la loi. Ces dispositions, qui font l'objet de l'article 11 du projet de loi, ont été adoptées par le Sénat en seconde lecture dans des termes conformes à ceux que vous aviez vous-même approuvés. Elles constituent le coeur du projet et ont donné lieu à des échanges très constructifs – je dirai même exemplaires – entre le Gouvernement et les deux chambres du Parlement. J'en rappellerai brièvement les quatre principaux points.
Le premier concerne les archives dont la communication est susceptible de porter atteinte à la vie privée de nos concitoyens. Le texte adopté en seconde lecture par le Sénat, à l'issue des précédents échanges avec l'Assemblée nationale, ramène le délai de soixante à cinquante ans.
Le deuxième porte sur les archives dont la communication est susceptible de mettre en cause la sécurité des personnes. Le projet du Gouvernement envisageait, vous le savez, leur incommunicabilité perpétuelle. Il visait alors un objectif précis : protéger la sécurité physique des agents des services spéciaux et de leurs descendants. Cependant, la notion de « sécurité des personnes » pouvait donner lieu à une interprétation trop large, et le principe même d'une incommunicabilité de certaines archives ne peut être envisagé que de la façon la plus restrictive, lorsqu'elle se révèle absolument nécessaire.
De ce double point de vue, la solution que vous avez proposée lors de votre première lecture du texte – un délai de cent ans et une définition plus explicite des archives concernées – se révèle un compromis équilibré auquel le Gouvernement, puis le Sénat en seconde lecture, se sont pleinement ralliés. Ne seront donc incommunicables que les seules archives dont la divulgation pourrait permettre de concevoir, de fabriquer, d'utiliser ou de localiser des armes de destruction massive – nucléaires, biologiques, chimiques ou bactériologiques.
En troisième lieu, le Sénat avait d'abord fixé à soixante-quinze ans le délai applicable aux enquêtes statistiques qui ont trait aux faits et comportements d'ordre privé, et à cent ans le délai applicable aux recensements de la population. Je rappelle que le délai actuellement en vigueur est uniformément de cent ans pour toutes les statistiques qui se rapportent aux comportements privés – recensements compris –, sans dérogation possible. Le Gouvernement envisageait, pour sa part, de ramener ce délai à cinquante ans.
Vous avez, en première lecture, dégagé une solution de compromis, avec un délai unique de soixante-quinze ans applicable à toutes les enquêtes statistiques sur les comportements privés. Le Gouvernement s'y est rallié, ainsi que le Sénat en seconde lecture. Pour les statistiques en général, c'est-à-dire celles qui ne se rapportent pas aux comportements privés, c'est le délai le plus court prévu par le projet de loi, c'est-à-dire vingt-cinq ans, qui sera applicable.
Le quatrième et dernier point concerne les registres d'état civil. Le Gouvernement proposait de substituer une graduation au délai unique de cent ans actuellement en vigueur, en fixant pour les différents actes des délais distincts, proportionnés à l'atteinte susceptible d'être portée à la vie privée : cent ans pour les actes de naissance, cinquante ans pour les mariages, et une communication immédiate pour les décès.
En première lecture, le Sénat avait mis en avant des considérations de simplification du droit pour réunifier ces trois délais, à hauteur de soixante-quinze ans. Vous ne vous étiez écartés de cette approche que pour les actes de décès en proposant – comme dans le projet du Gouvernement – de les rendre immédiatement communicables. Là encore, le Gouvernement et le Sénat se sont ralliés à l'approche équilibrée que vous aviez dégagée.
Je tiens toutefois à préciser que, bien entendu, le délai de soixante-quinze ans prévu pour la communication des registres n'entraîne aucune conséquence s'agissant du versement de ces registres aux services d'archives. Ceux-ci resteront détenus par les services de l'état civil dans les mêmes conditions que précédemment. Ainsi, le raccourcissement des délais de communication ne se traduira pas, pour le citoyen, par l'apparition d'un nouveau facteur de complexité dans l'accès aux registres.
Autre but de ce texte : mieux protéger les archives publiques. Sur la question de la protection des archives, le texte comprend, comme vous le savez, deux séries principales de dispositions. La première concerne les archives des responsables politiques, dont le caractère public est réaffirmé. La seconde l'externalisation des archives courantes et intermédiaires.
Je ne reviendrai pas sur le détail de ces dispositions, que vous avez adoptées en première lecture dans des termes identiques à ceux du Sénat. Je ne reviendrai pas non plus en détail sur le renforcement des sanctions pénales. Vous avez adopté, dans les mêmes termes que le Sénat, le projet du Gouvernement de réprimer plus sévèrement le vol, le trafic, la destruction et la dégradation des archives, et plus généralement des biens culturels.
Au passage, je salue l'initiative prise par le Parlement de fixer, pour la première fois, des règles destinées à assurer la bonne conservation des archives des groupements de collectivités territoriales, et notamment des établissements publics de coopération intercommunale.
En conclusion, mesdames, messieurs les députés, les projets de loi sur les archives qui vous sont soumis aujourd'hui représentent un réel progrès en matière de transparence et de libertés publiques. Ce sont des textes équilibrés, qui modernisent en profondeur la gestion et la communication de notre mémoire nationale, tout en garantissant la nécessaire protection des intérêts relatifs à la vie privée des personnes et à la sûreté de l'État.
Il était temps d'offrir aux historiens, aux chercheurs, mais aussi aux millions de Français qui se passionnent pour la généalogie, ainsi qu'à tous nos concitoyens plus généralement, un dispositif digne d'un grand État, aussi soucieux de la transparence et du dynamisme de la recherche historique que de la protection de la vie privée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
La parole est à M. François Calvet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'Assemblée nationale est saisie, en deuxième lecture, du projet de loi relatif aux archives, et du projet de loi organique relatif aux archives du Conseil constitutionnel, qui ont été adoptés par le Sénat le 15 mai dernier.
L'examen en deuxième lecture au Sénat a fait apparaître de très nombreux points de convergence entre les deux assemblées. Ainsi ne restent en discussion que deux des trente-sept articles du projet de loi, et un article du projet de loi organique.
Le Sénat s'est notamment rallié à la position de notre assemblée en matière de délais de communication des archives. En première lecture, il avait souhaité soumettre tous les documents concernant la vie privée des personnes à un délai de communication de soixante-quinze ans, très protecteur de la vie privée. Certains des documents visés sont aujourd'hui soumis à un délai de communication de cent ans, comme les registres d'état civil, les documents juridictionnels ou les actes des notaires, mais d'autres sont soumis à un délai de soixante ans. L'Assemblée nationale n'a pas souhaité que le délai de consultation de ces derniers documents soit allongé. Elle a donc prévu qu'ils seraient librement consultables à l'issue d'un délai de cinquante ans.
L'Assemblée a aussi réduit le délai de communication des documents relatifs aux recensements de la population, que le Sénat avait souhaité maintenir à cent ans. Elle a préféré aligner ce délai sur celui de soixante-quinze ans applicable aux autres documents comprenant des données relatives à la vie privée des personnes.
Enfin, l'Assemblée est revenue sur le principe d'incommunicabilité des documents de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes, c'est-à-dire, en pratique, les documents concernant les agents des services spéciaux de l'État. L'Assemblée a fixé leur délai de consultation à cent ans et défini plus strictement les documents concernés, en précisant qu'il s'agissait de documents ayant été couverts par le secret de la défense nationale.
En deuxième lecture, le Sénat a adopté en termes conformes les articles relatifs aux délais de consultation.
Il a également adopté sans modification les dispositions relatives à la gestion des archives communales et intercommunales. Notre assemblée, je le rappelle, avait prévu que les communes et les établissements publics de coopération intercommunale pourraient mutualiser leurs services d'archives en confiant leur gestion soit à l'EPCI, soit à l'une des communes membres.
Les deux articles du projet de loi restant en discussion ont été insérés par l'Assemblée nationale. Il s'agit en premier lieu d'un article résultant d'un amendement du Gouvernement, qui permet de modifier par voie d'ordonnance les dispositions de la loi du 17 juillet 1978 en matière de communication de documents administratifs, afin d'harmoniser le régime des documents administratifs et des archives publiques. Le Sénat a apporté des modifications formelles. Il a notamment défini les délais dans lesquels l'ordonnance devait être publiée et le projet de loi de ratification déposé.
L'autre article inséré par notre assemblée l'a été par un amendement de notre collègue Marietta Karamanli. Il prévoit que le Gouvernement remettra un rapport au Parlement sur les mesures destinées à assurer la pérennité des archives numériques. Le Sénat a souhaité étendre le champ de ce rapport à la collecte, au classement, à la conservation et à la communication de toutes les archives, y compris sous format papier. Il a par ailleurs précisé que ce rapport devrait être remis tous les trois ans.
Quant au projet de loi organique, les sénateurs ont seulement changé la date d'entrée en vigueur. Alors que l'Assemblée avait fixé un délai de cinq mois à compter de la publication de la loi organique, le Sénat a préféré retenir une date fixe : le 1er janvier 2009.
Les modifications apportées par le Sénat ne remettent donc pas en cause les orientations de l'Assemblée nationale en première lecture. Comme le projet de loi relatif aux archives est très attendu par les usagers, puisqu'il va faciliter l'accès à de nombreux documents publics, il serait souhaitable qu'il entre en vigueur rapidement. Par conséquent, la commission des lois n'a adopté aucun amendement et vous propose d'adopter ces deux textes sans modification. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement. (« Manoeuvre dilatoire ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
La parole est à Mme Marietta Karamanli.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi relatif aux archives adopté en première lecture par l'Assemblée nationale dans une version améliorée par rapport à ce qui avait été délibéré par le Sénat revient donc devant nous.
Le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche s'oppose à ce texte de loi. S'il aurait pu et dû constituer un progrès, celui-ci n'est pas considérable et encore moins historique : permettez-moi, monsieur le secrétaire d'État, de ne pas partager votre sentiment sur ce point. En effet, plusieurs dispositions du texte sont potentiellement dangereuses pour l'accès aux archives, la libre recherche, la juste connaissance des faits et des événements du passé donc, in fine, pour la liberté d'informer et pour les libertés publiques en général.
Ce projet de loi appelle, parmi d'autres points, trois observations de principe de notre part. La première concerne la conciliation du droit d'accès avec la préservation de la vie privée. L'article 11, modifié par l'Assemblée nationale et objet des principales critiques de notre groupe lors de la première lecture, a été adopté conforme par le Sénat en deuxième lecture. Cet article prévoit notamment que le délai de communicabilité est de cinquante ans à compter de la date du document – ou du document le plus récent inclus dans le dossier – pour tout document dont la communication porte atteinte au secret de la défense nationale, aux intérêts fondamentaux de l'État dans la conduite de la politique extérieure, à la sûreté de l'État, à la sécurité publique ou à la protection de la vie privée. Le même délai s'applique aux documents qui portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique nommément désignée ou facilement identifiable, ou qui font apparaître le comportement d'une personne dans des conditions susceptibles de lui porter préjudice.
Dans sa rédaction actuelle, cet article prévoit donc que les documents dont la communication porte atteinte, entre autres, à la protection de la vie privée, pourront être communicables au terme d'un délai de cinquante ans. Ce même délai s'applique également aux documents qui portent « une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique nommément désignée ou facilement identifiable ». Cette mention, suffisamment vague et imprécise, risque de faire entrer dans la catégorie des archives communicables au bout de cinquante ans des archives qui devraient être communicables sans délai.
Nous aurions pu en rester ou, mieux, en revenir à une définition plus classique et plus large de la vie privée, entendue comme vie personnelle et familiale incluant, d'une manière plus générale, les faits et les comportements d'ordre privé. Tel n'a malheureusement pas été le cas.
De plus, l'article 11 du projet de loi modifie le régime des dérogations, c'est à dire des communications avant expiration des délais. Il précise justement que « l'autorisation de consultation de documents d'archives publiques avant l'expiration des délais fixés au I de l'article L. 213-2 peut être accordée aux personnes qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation de ces documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger ».
De façon à limiter toute interprétation restrictive du régime des autorisations, nous demandions, et demandons encore, qu'aux termes « peut être accordée » soient substitués les mots : « est accordée ». Au final, la notion de vie privée risque d'être interprétée de façon discrétionnaire et les dérogations accordées de façon arbitraire. Dans les deux cas, l'imprécision des règles applicables et leur renvoi à l'autorité administrative sont non seulement regrettables mais, selon nous, de nature à remettre en cause une liberté publique.
En effet, la définition précise des exceptions au principe de liberté devrait figurer dans la loi elle-même, conformément à l'article 34 de la Constitution. Notre Constitution prévoit en effet que c'est la loi qui fixe les règles dans le domaine des libertés publiques. Elle s'inscrit en cela dans la tradition républicaine, laquelle réserve certaines matières au législateur.
Dans les deux cas, une définition vague de la vie privée et l'existence de dérogations laissées à l'appréciation variable et donc aléatoire de l'autorité administrative nous conduisent à juger que notre assemblée n'exerce pas complètement les compétences qui lui sont reconnues. Dans le premier cas, celui de la définition de la vie privée, elle ne fixe pas les garanties qu'il incombe au législateur d'apporter. Dans le second cas, celui des dérogations traditionnellement accordées, elle renvoie de façon trop large à des mesures administratives d'exécution.
S'agissant de la liberté d'informer, liberté fondamentale d'autant plus précieuse que son exercice est l'une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés, la loi ne peut en réglementer l'exercice qu'en vue de la rendre plus effective. En refusant de donner des précisions suffisantes, le dispositif nous paraît porter atteinte à un droit qui était antérieurement mieux reconnu, ce qui est un comble s'agissant d'un texte dont l'objet initial était, pour une large part, de diminuer globalement les délais d'accès aux documents.
Deuxième observation : l'institution de certains délais est si excessive que l'on peut presque dire que l'incommunicabilité reste la règle. Le même article 11 prévoit que le délai de communication est de vingt-cinq ans à compter de la date du décès de l'intéressé pour les documents dont la communication porte atteinte au secret médical. Si la date du décès n'est pas connue, le délai est de cent vingt ans à compter de la date de naissance de la personne en cause.
Chez la plupart de nos voisins européens, les délais de libre communicabilité sont plus brefs : dix ans après la mort ou quatre-vingt dix ans après la naissance en Allemagne et soixante-quinze ans au maximum aux Pays-Bas. Parallèlement, le II du même article 11 prévoit que « ne peuvent être consultées les archives publiques dont la communication est susceptible d'entraîner la diffusion d'informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, biologiques, chimiques ou toutes autres armes ayant des effets directs ou indirects de destruction d'un niveau analogue ».
Si les motifs de la protection sont justifiés au fond, le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche est contre le principe d'une interdiction complète. Nous sommes favorables à un délai dérogatoire de cent ans révisable pour les documents relatifs à la sécurité collective. Ce point du texte est par ailleurs en contradiction totale avec la volonté d'ouvrir les archives et avec les recommandations du Conseil de l'Europe. Sur ces deux questions, notre pays, qui devrait être une référence pour les libertés publiques et la transparence, reste là encore en retrait.
Notre troisième observation porte sur le refus d'une délégation législative : furtive à l'origine, celle-ci est devenue une simple convenance. L'article 29, qui est nouveau, prévoit que, « dans les conditions prévues par l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à modifier et à compléter, par ordonnance, les dispositions du titre Ier du livre II du code du patrimoine, celles de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 précitée, ainsi que les autres dispositions législatives portant sur l'accès aux documents administratifs ou aux archives publiques, afin d'harmoniser les règles » des différents régimes d'accès aux archives et aux documents administratifs applicables aux documents et aux demandeurs.
Lors de la discussion devant notre assemblée, notre groupe avait dénoncé cette habilitation furtive faite en fin de discussion de façon hâtive et mal préparée. Le Sénat a adopté un amendement tendant, d'une part à améliorer la rédaction de l'habilitation, et d'autre part à réparer une double omission : le Gouvernement n'a en effet pas précisé, en dépit des exigences posées par l'article 38 de la Constitution, le délai pendant lequel il pouvait prendre l'ordonnance et celui avant lequel un projet de loi de ratification devrait être déposé devant le Parlement. Ainsi, l'ordonnance sera prise au plus tard le dernier jour du neuvième mois suivant la promulgation du présent texte. Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l'ordonnance.
Il n'en reste pas moins que c'est là un très mauvais exemple d'externalisation forte de l'élaboration de la norme vers le Gouvernement et ses services. La représentation nationale en est une victime consentante, mais une victime quand même ! L'ensemble de ces raisons nous conduit à ne pas voter un texte qui, je le répète, aurait dû être un texte de progrès, mais qui, soumis à des mouvements contradictoires, trahit la difficulté de la majorité à défendre de façon cohérente la liberté d'accès aux archives publiques et donc à l'information. (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
En refusant de mieux garantir la liberté d'accéder aux archives, et donc d'accéder à une information utile à la connaissance de tous, permettant le contrôle des citoyens sur les décisions les concernant, le texte s'éloigne de ce que le candidat élu à la Présidence de la République paraissait promettre aux Français il y a plus d'un an, à savoir un État plus transparent et plus accessible aux citoyens.
Le résultat n'y est pas, mes chers collègues. Je note qu'entre les deux lectures du texte par notre assemblée, la presse française et européenne s'est fait l'écho de deux manifestations de la vérité, à travers des mesures permettant un accès élargi aux archives : en Espagne, où certains documents relatifs à la guerre civile ont été maintenus trop longtemps au secret, et en Italie, avec les pièces de l'affaire Moro. Au moment où de nombreux pays – les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Suède – font en sorte de ne pas limiter l'accès aux archives, voire le libéralisent, notre pays, au motif de mieux garantir la vie privée – par ailleurs très bien défendue par un dispositif légal efficace – s'apprête à limiter une autre liberté, tout aussi fondamentale.
Toutes ces raisons nous conduisent, mes chers collègues, à vous demander de voter cette exception d'irrecevabilité, afin de lever le secret qui, à travers ce texte, va peser sur l'histoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Nous en venons aux explications de vote.
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Encore une fois, madame, vous invoquez les grands ancêtres, les textes liberticides, l'atteinte à la tradition républicaine, la chape de plomb… Permettez-moi de m'en étonner.
Ce texte est équilibré. Que de critiques n'avons-nous pas entendues ! Déjà, en avril dernier, le professeur Duclert avait évoqué la « nuit des archives » ! Mais comme tout ce qui est excessif, cela a peu de signification.
Comme lors de la première lecture, j'ai l'impression que nos collègues du groupe SRC cherchent une posture pour masquer un certain embarras,…
…n'ayant rien trouvé de mieux pour s'opposer à un texte qui représente une véritable valeur ajoutée pour nos archives.
Il suffit pour s'en convaincre d'examiner les délais proposés, qui sont une véritable avancée par rapport à ce qui existe aujourd'hui, l'extension du dispositif aux collectivités locales, le volet relatif aux biens culturels,…
…bref, ces deux textes sont l'avancée que nous attendions depuis trente ans, et je m'étonne de cette posture. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Monsieur Gremetz, inutile de vous en mêler : chacun s'exprimera à son tour !
Merci, monsieur le président.
Je m'étonne donc de cette posture, s'agissant de textes qui constituent de vraies avancées. C'est la première fois, depuis la loi de 1979 sur les archives, que nous abordons la problématique des archives dans un esprit de transparence et d'ouverture. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Vos procès d'intention m'étonnent. Pour ces raisons, vous comprendrez que le groupe UMP s'oppose à cette motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
La parole est à M. Patrick Bloche, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Il est dommage que l'orateur de l'UMP n'ait pas été plus attentif à la défense de l'exception d'irrecevabilité par notre collègue, Mme Karamanli. S'il l'a été, il est dommage qu'il n'ait pas répondu sur le fond aux arguments particulièrement pertinents que nous avions défendus en première lecture dans cette assemblée. Au cours de ce débat, nous avions participé à un travail collectif en vue de corriger un texte du Sénat dont l'écriture était particulièrement contestable, tant sur le fond que sur la forme.
Nous avons travaillé en accord, les uns et les autres. Ce qui nous gêne dans cette affaire, c'est qu'on ne légifère pas sur l'accès aux archives tous les trois ou quatre matins. La dernière loi date de 1979, il y a donc presque trente ans, et depuis seize ans, date de parution du rapport Braibant, nous sommes la risée de nos voisins de l'Union européenne, qui nous considèrent à juste titre comme la lanterne rouge de l'Europe en ce domaine.
Ce texte est attendu depuis plusieurs années par les chercheurs et les historiens, qui ont besoin d'un libre accès aux archives et de la communicabilité pour pouvoir étudier et nous restituer des pages encore obscures ou ignorées de notre histoire collective. Comme eux, nous attendions beaucoup de ce projet de loi.
Ce que nous ressentons, au début de cette seconde lecture, c'est que le Gouvernement et la majorité sont restés au milieu du gué, et nous avons l'impression d'une occasion ratée. Nous en sommes d'autant plus convaincus que trop souvent vous préférez, sous divers prétextes, ne pas aller jusqu'au bout ou fixer des délais tels qu'ils seront autant d'obstacles à l'accès aux archives, même si l'espérance de vie est de plus en plus longue aujourd'hui.
Certaines archives resteront incommunicables à tout jamais, sous prétexte de sécurité nationale face à la menace terroriste.
Plutôt que d'évoquer les grands maux, il eût été plus prudent, en matière de sécurité nationale face à la menace terroriste, de prévoir la possibilité de lever, à un moment donné, cette non-communicabilité.
Le prétexte de la protection de la vie privée est sans doute encore plus condamnable, car la loi, sur cette question, souffre d'une écriture de mauvaise qualité : elle s'appuie sur des notions à ce point vagues et imprécises qu'elle risque, de notre point de vue, de nourrir bien des contentieux et de faire naître une jurisprudence abondante.
De surcroît, l'administration – donc l'autorité politique qui se trouve au-dessus d'elle – garde un pouvoir largement discrétionnaire sur l'attribution des dérogations. Il eût été souhaitable que le législateur, en la matière, soit maître de la façon dont seront attribuées les dérogations permettant à celles et ceux qui s'intéressent aux archives d'en avoir communication.
Nous aurions souhaité, en effet, que ce texte prenne plus en compte les recommandations du Conseil de l'Europe ; nous aurions également souhaité, sur certains sujets faisant consensus entre nous et non contestables, que les délais soient plus courts…
…et que, sous de nombreux prétextes, vous ne repreniez pas d'une main ce que vous êtes censés donner de l'autre.
Enfin, et je terminerai là mon propos pour respecter le temps imparti aux explications de vote, l'article 29, que Mme Karamanli a évoqué à l'instant, nous gêne. Il est en effet toujours gênant, lorsque l'on discute d'un projet de loi, d'être amenés à donner une habilitation au Gouvernement pour légiférer à notre place ; car qu'est-ce qu'une ordonnance si ce n'est le Gouvernement qui légifère à la place du Parlement ?
À la veille d'examiner en seconde lecture le texte portant sur la modification de nos institutions, et éventuellement de parvenir à un accord – tout au moins de donner des droits nouveaux au Parlement – nous déplorons que ce texte, à travers l'article 29, permette au Gouvernement, sans garantie quant au moment où nous serons amenés à ratifier les dispositions d'ordre législatif, de s'arroger ce droit d'un autre âge, et que la matière dont nous traitons aujourd'hui ne justifiait en aucune façon.
Pour toutes ces raisons, nous avons déposé cette exception d'irrecevabilité, qui a été défendue avec talent, et que, naturellement, nous voterons. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Monsieur Gremetz , vous connaissez le règlement aussi bien que moi, sinon mieux : vous auriez dû vous inscrire dans les explications de vote.
Les autres groupes m'ont communiqué le nom de l'orateur. Le vôtre aurait pu en faire autant et ainsi ne pas déroger à la règle.
De grâce, monsieur le président, n'en faites pas un martyr ! (Sourires.)
Allons ! Je vais vous donner la parole pour expliquer le vote de votre groupe.
Excusez-moi, monsieur le président, mais il n'est pas obligatoire de déposer une demande pour les explications de vote sur une motion de procédure. Je n'ai jamais vu cela au Parlement ! Les choses se durcissent !
La question des archives n'est pas nouvelle : nous attendons depuis plusieurs dizaines d'années qu'elles soient plus facilement accessibles.
Monsieur le député de l'UMP, vous avez montré que vous étiez en contradiction majeure avec le président de l'Assemblée nationale, qui a estimé utile de créer une commission sur les questions de mémoire. Depuis plusieurs semaines, cette commission auditionne des historiens de diverses tendances, qui s'expriment sur la façon dont il convient de traiter et d'étudier notre propre histoire, en particulier des pages importantes qui n'ont pas encore fait l'objet d'explications historiques. Ils ont tous indiqué à quel point le fait de ne pas pouvoir consulter les archives les gêne dans leur travail.
Si les historiens écrivent chacun à leur manière l'histoire de notre pays, sans consulter les archives et les documents contradictoires, comment peuvent-ils en donner une bonne analyse, aussi nécessaire pour nous que pour les générations futures ?
Ce débat, me semble-t-il, ne devrait être ni politicien ni politique... (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
N'étant le lobbyiste de personne, ni des historiens ni de M. Accoyer, président de cette commission, je n'ai aucun problème, mais je pense que la transparence, la connaissance et l'histoire de l'Europe et du monde méritent que les archives nationales puissent être étudiées pour ce qu'elles sont…
…et pour qu'il n'y ait plus dix hypothèses sur telle ou telle question, selon l'école de l'historien. Cette exception d'irrecevabilité est donc parfaitement justifiée, et le groupe communiste la soutient.
Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Relisez les archives ! (Rires.)
Je vous en prie, vous avez la parole, monsieur Folliot. Le cas de M. Gremetz ayant fait jurisprudence, vous êtes inscrit d'office ! (Rires.)
Je vais donc bénéficier de la jurisprudence Gremetz ! (Sourires.)
Nous avons écouté avec attention l'intervention de notre collègue qui a défendu l'exception d'irrecevabilité, mais, au groupe Nouveau Centre, elle ne nous a pas convaincus.
Ce qui caractérise ce texte, c'est, à bien des égards, la volonté de trouver un équilibre. Tout le monde est d'accord sur un point : la situation actuelle n'est pas satisfaisante, et il était nécessaire de la faire évoluer pour tenir compte d'exigences parfois contradictoires, la volonté des historiens de travailler dans de meilleures conditions s'opposant à la protection de la vie privée, au regard notamment de l'allongement de la durée de la vie. Mais il y a un point sur lequel nous devrions être tous d'accord, c'est la nécessité de faire évoluer l'actuelle législation.
On peut toujours discuter de la problématique du verre à moitié vide ou à moitié plein. En tout état de cause, ce texte crée des avancées significatives. Notre rapporteur, que je salue, a réalisé un travail remarquable.
Pour toutes ces raisons, nous pensons, au groupe Nouveau Centre, qu'il importe de passer à l'examen des articles. Nous ne voterons donc pas cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Je constate qu'en ce jour d'ouverture de la session extraordinaire, tout le monde est en pleine forme ! C'est de bon augure !
Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.
(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)
Je remercie l'Assemblée d'avoir rejeté cette exception d'irrecevabilité. Avant le passage à l'examen des articles, je souhaite donner quelques éléments de réponse aux députés qui se sont exprimés : Mme Karamanli, M. Gosselin, M. Bloche, M. Gremetz et M. Folliot.
Le projet de loi concilie les nécessités de la transparence et de la protection des secrets légitimes – dans le domaine de la vie privée, par exemple. La notion de protection de la vie privée est balisée par la jurisprudence. Il n'y a donc pas de risque d'interprétation abusive. Les modalités d'octroi des dérogations ne peuvent poser une obligation de délivrance, faute de quoi cette notion perdrait tout son sens. Les dérogations sont encadrées par le juge, car une décision de refus peut être contestée devant la CADA et devant le juge administratif. Aujourd'hui, d'ailleurs, 98 % des dérogations demandées sont accordées aux chercheurs. L'échelle des délais prévus se situe dans la moyenne européenne.
L'interdiction de communiquer les archives relatives aux armes de destruction massive se comprend aisément. En effet, la recette d'une arme chimique ou bactériologique, par exemple, n'est jamais périmée. L'habilitation du Gouvernement – autre argument développé – se justifie par le caractère technique des dispositions en cause et le Parlement assurera pleinement son contrôle lors de l'examen de la loi de ratification.
Vous avez également évoqué l'exemple de guerres civiles, de conflits ou de guerres qui ont concerné des pays européens. Le passage du délai de soixante à cinquante ans, par exemple, permettrait sans délai l'ouverture de certaines archives – je pense notamment à celles concernant la guerre d'Algérie.
La loi, monsieur Bloche, affirme bien un renversement complet de perspective. Le Gouvernement n'est donc pas, comme vous le prétendez, resté au milieu du gué. Les délais de précaution pour protéger certains secrets ne sont pas des simulacres, mais une garantie pour les libertés fondamentales. C'est au contraire une transparence sans limites ni respect de la vie privée qui traduirait une méconnaissance de notre Constitution.
Tels sont les éléments de réponse que je voulais apporter, mais ils seront repris lors de l'examen des articles. Je n'ai fait en cela que compléter ce qu'ont fort bien dit tout à l'heure M. le rapporteur, M. Gosselin et M. Folliot.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. Patrick Bloche.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le texte qui revient aujourd'hui devant notre assemblée est sans doute un moindre mal…
…si l'on se remémore les dispositions qui nous avaient été transmises par le Sénat pour notre débat en première lecture. Nos travaux n'auront sans doute pas été vains, même si le texte adopté par notre assemblée en première lecture n'était pas satisfaisant à nos yeux, et d'abord au regard de l'attente qu'il a suscitée et à laquelle il n'a toujours pas été répondu.
En effet, depuis le rapport de Guy Braibant, qui avait permis d'élaborer, dans un large consensus, des propositions dès 1992, les années ont passé sans que rien ne vienne. Pourtant, au regard des législations de nombreux autres pays européens, la France était considérée en la matière comme la lanterne rouge de l'Union. Monsieur le secrétaire d'État, vous venez de dire que nous nous situons maintenant, avec ce texte, dans la moyenne européenne. Il eût été agréable de pouvoir se dire qu'avec ce texte, La France était pionnière dans l'Union européenne. Mais ce ne sera pas le cas. Nous nous situerons dans une banale moyenne…
Dès lors, l'annonce d'un projet de loi ayant vocation à assouplir l'accès aux dossiers, notamment en substituant à la période de trente ans en vigueur un principe de libre communicabilité des archives et en raccourcissant les délais pour nombre de catégories d'archives, avait suscité un réel engouement, notamment chez les chercheurs et les historiens, mais plus largement chez nos concitoyens. Nous reconnaissons à ce texte que le principe de libre communicabilité permettra, en dehors de toute demande, aux administrations qui le souhaitent, de mettre à la disposition du public, notamment par le biais d'Internet, le patrimoine public que peuvent constituer les archives.
Mais s'agissant d'autres dispositions, nous restons très inquiets. Voilà pourquoi j'ai dit que nous étions restés au milieu du gué. Vous posez certes le principe de la libre communicabilité, mais vous trouvez des prétextes pour en restreindre la portée.
Ainsi, la création, dès la version initiale de ce projet de loi, d'une catégorie d'archives non communicables nous interpelle toujours. Rappelons à nouveau que cette disposition est en contradiction avec les recommandations du Conseil de l'Europe sur l'accès aux documents publics visant à limiter dans le temps toute restriction d'accès. L'extension de cette catégorie aux archives publiques dont la communication est de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes nous avait fortement mobilisés en première lecture. Certes, le texte présenté aujourd'hui a fait sortir de cette catégorie d'archives incommunicables celles concernant les agents secrets et les indicateurs de la police pour les soumettre à un délai de cent ans. Nous en prenons acte, mais ce délai nous semble encore trop long. Le champ de cette catégorie se trouve donc désormais restreint aux armes de destruction massive. Il reste que la notion même d'archives incommunicables nous pose toujours question.
En effet, au prétexte de la sécurité nationale face à la menace terroriste – belle cause s'il en est –, le droit inaliénable d'accès aux archives des citoyens demeure écarté. Il eût été possible et compréhensible de protéger cette catégorie d'archives par des délais de consultation très longs qui auraient pu être révisables en fonction des documents. Ce choix n'a pas été fait, et nous le regrettons. Le recours à une nouvelle catégorie d'archives fermées, je le répète, pour l'éternité, demeure donc et nous gêne de par sa seule existence.
Parallèlement, les documents «dont la communication porte atteinte à la protection de la vie privée » ou ceux qui « portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique nommément désignée ou facilement identifiable » ne seront plus communicables avant cinquante ans. Nous redoutons que ces critères, énoncés en deuxième lecture, de manière toujours aussi vague et imprécise, nous amènent à courir le risque qu'un nombre indéterminé de documents puisse devenir inaccessible durant un demi-siècle. Les chercheurs et les historiens s'inquiètent aujourd'hui, non sans raison, de l'interprétation de la loi que pourront faire les autorités versantes. Car cette définition extensive de la vie privée nous fait craindre une restriction des autorisations de dérogation sur des critères qui restent encore très flous. Comment écarter tous les documents faisant mention d'un jugement de valeur ? Aucun cadre précis n'est déterminé dans la loi. Le pouvoir discrétionnaire sur les dérogations se trouvera ainsi paradoxalement renforcé par ce texte. En effet, alors que les mémoires des acteurs politiques, par exemple, fourmillent de longue date d'appréciations sur leurs contemporains, celles-ci pourront-elles être considérées à l'avenir comme ne respectant pas l'honorabilité des personnes ?
Veuillez conclure, monsieur Bloche, car votre temps de parole est écoulé !
Nous craignons aujourd'hui une augmentation substantielle des recours en contestation des refus de dérogation fondés sur la notion extensive de la vie privée contenue dans ce texte. Nous craignons de renvoyer à la jurisprudence le soin d'éclairer nos concitoyens sur un texte mal rédigé.
Je ne reviendrai pas sur l'article 29, dont j'ai déjà parlé dans mon explication de vote.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous regrettons d'être passés d'un projet de loi présenté comme un texte d'ouverture visant à libéraliser la loi de 1979 en permettant aux citoyens d'accéder avec plus de facilité aux sources de leur histoire…
…à un texte qui reste aujourd'hui très en deçà des espérances des chercheurs, des universitaires et des usagers des archives. Il s'agit véritablement d'une occasion manquée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir accepté que je supplée Pierre Gosnat, qui, empêché par un imprévu, m'a chargé de prononcer l'intervention qu'il avait préparée pour ce débat.
Monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je consacrerai l'essentiel de cette intervention au projet de loi relatif aux archives, soumis en deuxième lecture à notre assemblée. En effet, le texte relatif aux archives du Conseil constitutionnel bénéficie d'un large consensus, traduit notamment par son adoption à l'unanimité sur les bancs du Sénat Je tenais cependant à relayer ici la remarque de Robert Badinter qui, lors de son intervention, regrettait la faiblesse de la recherche historique sur le Conseil constitutionnel. Ce constat, nous le partageons tous. La recherche historique française connaît des difficultés considérables, liées pour l'essentiel à un manque de moyens.
Le projet de loi relatif aux archives est, quant à lui, beaucoup moins consensuel. En effet, souvenons-nous de la levée de boucliers qu'avait entraînée la modification par le Sénat du projet de loi initial. Vincent Duclert, professeur à l'École des hautes études en sciences sociales, avait publié un article dans Le Monde. Il y faisait part des très vives inquiétudes de la communauté scientifique et dénonçait ce qu'il nommait « la nuit des archives ». Les usagers s'étaient, eux aussi, mobilisés pour s'opposer au passage à la moulinette sénatoriale d'un projet présenté à l'origine comme un texte d'ouverture et de modernisation.
Force est de constater qu'à l'exception de rares nuances, l'Assemblée nationale et le Sénat ont fait fi des revendications des scientifiques et des usagers. Les amendements de l'opposition ont été balayés et les modifications proposées par le rapporteur et adoptées par les députés manquent d'ambition. Nous nous retrouvons donc face à un texte hybride contenant d'indéniables avancées, comme le principe de communicabilité immédiate, mais recelant aussi bon nombre d'écueils.
J'en retiendrai trois : l'incommunicabilité de certaines archives, les régimes d'exception, la balkanisation et la privatisation des Archives nationales. À ces trois obstacles, que les députés du groupe GDR avaient dénoncés lors de la première lecture du texte, j'en ajouterai un quatrième : l'adoption, à la dernière minute, d'un amendement offrant la possibilité au Gouvernement de légiférer par ordonnance. L'incommunicabilité des archives publiques dont la « communication serait susceptible d'entraîner la diffusion d'informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, biologiques, chimiques » est en contradiction manifeste avec les recommandations du Conseil de l'Europe qui précisent que « toute restriction doit être limitée dans le temps ».
Pour seule réponse à l'amendement de suppression que mon collègue Pierre Gosnat avait défendu en première lecture, vous aviez répondu, monsieur le rapporteur, qu'une arme nucléaire serait tout aussi dangereuse demain qu'aujourd'hui. Déjà, à l'époque, nous avions trouvé cela un peu court ! Car l'article 11 ne concerne pas uniquement les armes nucléaires, il prévoit aussi d'interdire l'accès à tout document relatif au contenu d'armes chimiques et biologiques comme, par exemple, le gaz moutarde de la Grande guerre ou l'agent orange – et vous savez tous par qui il est fabriqué… La recherche historique permet parfois de mettre les États face à leur passé, notamment concernant les pages douloureuses de leur histoire. Qu'en sera-t-il si nous freinons par la loi ce nécessaire inventaire ? De plus, l'amalgame entre historiens et poseurs de bombes est quelque peu malvenu et trop réactif à la conjoncture actuelle dominée par la peur du terrorisme.
Concernant les régimes d'exception, il est vrai que les amendements du rapporteur ont permis à notre assemblée de revenir sur quelques dispositions sénatoriales. Mais le lobbying des notaires a bien fonctionné, et le délai de soixante-quinze ans pour les minutes notariales a été maintenu, tout comme celui de cent ans pour les documents portant atteinte à la sécurité des personnes. Encore une fois, nous sommes en plein recul par rapport aux intentions affichées par le ministère. Je ne reviendrai pas sur les enjeux d'une recherche historique ambitieuse ; je constate simplement que vous entravez le nécessaire travail des historiens avec cette loi qui méconnaît leurs revendications.
Ce texte consacre aussi le recours à des entreprises privées pour la gestion des archives courantes. Vous dites, monsieur le secrétaire d'État, qu'il s'agit de reconnaître dans la loi une pratique de plus en plus répandue. Vous abandonnez donc le préarchivage par la direction des archives de France pour le déléguer à chaque administration et aux collectivités locales, lesquelles pourront avoir recours à des entreprises privées. Cette disposition aura pour corollaire la multiplication des lieux d'archivages. Cette « balkanisation des archives » redoutée par Guy Braibant ne facilitera pas la tache des chercheurs.
Des entreprises privées pourront gérer et stocker des archives courantes et intermédiaires,…
…vouées pour quelques-unes à devenir des archives définitives. Nous assistons aux prémices d'une privatisation des Archives de France – mais est-ce étonnant ?
En parallèle de ce projet de loi, un appel a été lancé pour « sauver les archives ». L'intégration de la direction des archives de France dans une direction générale des patrimoines de France, regroupant l'architecture, les archives, les musées ainsi que le patrimoine monumental et archéologique, fait craindre à bon nombre de salariés une réduction drastique des moyens alloués aux Archives de France. La remise en cause de la création de soixante postes pour le site de Pierrefitte semble malheureusement confirmer leurs craintes, sans compter le non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux.
Vous oubliez les postes créés par les conseils généraux pour gérer les archives départementales, par exemple !
Il est facile de tout renvoyer aux conseils généraux !
C'est tout l'édifice du réseau des archives qui est remis en cause, et ce au moment même où nous votons une loi sur les archives.
Enfin, l'adoption, à la dernière minute, d'un amendement visant à conférer au Gouvernement la possibilité d'agir par ordonnance n'est pas acceptable.
Les députés communistes et républicains sont, par principe, opposés aux ordonnances, …
…qui dessaisissent le Parlement de son pouvoir de légiférer. Il est aussi contestable de donner un champ d'action considérable au Gouvernement pour « harmoniser les conditions de communication des documents administratifs et des archives publiques ». Une fois encore, nous sommes en pleine contradiction : d'un côté, avec de grands effets de manche, le Gouvernement annonce qu'il souhaite renforcer les prérogatives du Parlement, et, de l'autre, un amendement gouvernemental en réduit tranquillement le rôle – du moins pour le sujet que nous traitons aujourd'hui.
C'est pourquoi les députés communistes et républicains voteront contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, nous voilà donc au terme de l'examen de ces textes relatifs à ce beau patrimoine que constituent les archives de France. On peut se réjouir qu'ils aient été adoptés presque de manière conforme par la Haute assemblée. D'autres projets nous donnent davantage de souci…
En ce qui concerne le projet de loi organique, le Sénat a préféré fixer au 1er janvier 2009 la date l'entrée en vigueur, ce qui ne pose évidemment aucune difficulté.
S'agissant du projet de loi ordinaire, deux éléments restent en discussion. Le premier est l'amendement du Gouvernement prévoyant une modification par ordonnance de la loi du 17 juillet 1978 afin d'harmoniser le régime de communication des documents administratifs et des archives publiques. Si l'on peut souhaiter, en effet, qu'il soit fait un usage limité des ordonnances, il n'y a pas, me semble-t-il, matière à crier au loup sur un tel sujet. En tout cas, je ne vois pas pour quelle raison le Gouvernement élaborerait un texte liberticide.
Le deuxième point en discussion est l'extension de la portée de l'amendement – excellent, du reste – de notre collègue Karamanli prévoyant la remise au Parlement d'un rapport sur les mesures destinées à assurer la pérennité des archives numériques. L'importance de cette question a été fort justement soulignée.
Il résulte de tout cela que les éléments votés en première lecture par notre assemblée n'ont pas été remis en cause par le Sénat, et c'est heureux.
Je n'ignore pas, en effet, qu'un certain nombre d'inquiétudes avaient été soulevées ici ou là, notamment en ce qui concerne les délais. Le vote conforme de nos collègues sénateurs sur la plupart des dispositions adoptées par l'Assemblée règle un certain nombre de difficultés. On peut par ailleurs se féliciter des échanges autour de ces textes entre le Gouvernement et le Parlement. Très sincèrement, il me semble que nous avons atteint un bon équilibre entre des intérêts divergents. Nous répondons aux attentes légitimes des spécialistes et des chercheurs, que je n'oublie pas, ainsi qu'à celles du grand public – et je salue au passage la foule nombreuse des généalogistes du dimanche ou des historiens locaux, qui mettent en valeur notre patrimoine. Mais nous assurons aussi la nécessaire protection des intérêts de la vie privée – car il ne s'agit pas de tout donner en pâture –, sans oublier celle de la sécurité et la sûreté de l'État.
C'est la première fois que le principe de communicabilité est affirmé dans la loi, la seule exception – une seule : la transparence est donc bien réelle ! – visant précisément à concilier ces intérêts contradictoires. Des documents jusqu'alors communicables au bout de cent ans – je pense aux recensements de l'INSEE, aux registres de mariage de l'état civil – ne le seront qu'au bout de soixante-quinze ans, soit une génération de moins. Pour certains documents, on passera de soixante à cinquante ans. C'est le cas, notamment, des documents couverts par le secret défense ou de ceux relatifs à la sûreté de l'État. Le progrès est donc réel.
On peut enfin se réjouir du volet relatif aux biens culturels, qui vise à protéger notre patrimoine.
En conclusion, nous assistons aujourd'hui à une réelle libéralisation de la loi du 3 janvier 1979, dont nous allons bientôt fêter les trente ans. Les archives font partie de notre patrimoine ; elles sont la mémoire d'un peuple, d'un territoire. Cessons donc, je le répète, les procès d'intention et les postures politiciennes sur ce thème. L'attention portée à ces archives depuis la première loi adoptée sous la Révolution, sans parler de l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, est une constante de nos différents régimes ; il existe, sur ce point, une véritable continuité historique. Aujourd'hui, en nous préparant à adopter ces textes, nous témoignons de l'attachement viscéral des Français à ce bien commun dont la disparition est vécue comme un drame.
Au fil de ses quarante propositions, Guy Braibant avait tenté d'articuler au mieux les dispositions relatives aux archives. Avec un peu de retard, il est vrai – même si la gauche aurait pu, elle aussi, s'en préoccuper depuis 1992 –, mais de façon sûre, l'adoption de ces deux textes rendra nos archives « plus riches, plus ouvertes et mieux gérées », comme il le souhaitait. C'est en tout cas leur ambition, et le groupe UMP y est donc tout à fait favorable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ma collègue Marietta Karamanli l'a très justement relevé lors de la défense de sa motion de procédure : ce projet de loi aggrave les conditions actuelles d'accès aux archives, porte atteinte aux droits des citoyens et soulève toujours de graves interrogations quant à ses incidences et aux moyens mobilisés pour mettre en oeuvre cette politique publique.
Depuis quelques mois, la large mobilisation des historiens – relayée par le comité de vigilance face aux usages publics de l'histoire – et les nombreuses prises de position individuelles et collectives des chercheurs ont permis d'installer le débat dans l'espace public.
Les amendements avaient été adoptés avant par la commission ! Ne falsifiez pas les faits !
Ainsi, les historiens, sociologues, philosophes, généalogistes ou simples usagers qui travaillent sur l'histoire de France restent très mobilisés contre un texte qui, selon eux, renoue avec le culte du secret…
…en s'abritant derrière une interprétation abusive de la notion de vie privée, et va à l'encontre des recommandations du Conseil de l'Europe et des pratiques et législations en vigueur dans d'autres pays européens.
Toutes ces restrictions à la communicabilité des archives semblent traduire une véritable défiance du Gouvernement envers les chercheurs et les historiens, à rapprocher de celle qu'il exprime à l'égard des journalistes, notamment de ceux des chaînes de télévision publiques. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Comment ne pas regretter le double langage pratiqué par le Gouvernement en la matière : d'un côté, l'exhortation au devoir de mémoire et, de l'autre, une restriction significative de l'accès aux archives ayant trait à l'histoire récente.
Il me semble avoir entendu le Président de la République réclamer plus de programmes consacrés à l'histoire sur les chaînes de la télévision publique.
Mais se limiteront-ils aux Rois maudits, ou aurons-nous accès à l'histoire récente – la guerre d'Algérie, par exemple, ou la période de Vichy ?
etM. Philippe Gosselin. En votant ces textes, vous permettrez l'accès à ces archives !
L'extension des délais risque de faire basculer des pans entiers de cette histoire du côté de l'incommunicabilité.
On peut certes se féliciter que nos collègues sénateurs n'aient pas cherché à réintroduire nombre de dispositions inacceptables qu'ils avaient adoptées en première lecture. Toutefois, ce texte amendé par l'Assemblée nationale le 29 avril et adopté le 15 mai par le Sénat demeure très en deçà des espérances des milieux universitaires, mais aussi de celles des usagers et des chercheurs étrangers. Quelle différence avec la vision ouverte et confiante des États-Unis, du Royaume-Uni, de l'Allemagne, de la Suède ou des autres pays scandinaves ! Je sais, monsieur le secrétaire d'État, que vous êtes un libéral dans l'âme : pourquoi n'avez-vous pas retrouvé cet esprit libéral qui soufflait sur la loi de 1979, même s'il s'est perdu dans les décrets d'application ?
Ce sont au contraire la défiance et la fermeture qui caractérisent ce texte.
S'agissant de la loi organique, les sénateurs se sont limités à une modification de nature rédactionnelle portant sur la date d'entrée en vigueur. Je n'y reviens donc pas.
Concernant le projet de loi ordinaire, ils ont adopté en termes conformes quinze des dix-sept articles modifiés par l'Assemblée nationale. Cela a pour fâcheuse conséquence de nous priver d'une occasion de revenir sur les points les plus contestés et les plus contestables du texte, …
…comme 1'incommunicabilité absolue de certaines archives ou encore la notion extensive de vie privée.
Pour l'essentiel, les sénateurs ont modifié l'article 29, qui habilite le Gouvernement à harmoniser, par ordonnance, les règles législatives relatives aux archives publiques et à la communication des documents administratifs. Sur ce point, je ne suis pas d'accord avec vous, monsieur Gosselin : la question de la communicabilité des archives historiques est suffisamment importante pour qu'on ne l'abandonne pas au Gouvernement ; il faut donc laisser notre assemblée s'en saisir.
Ils ont aussi modifié l'article 30 qui prévoit la remise d'un rapport relatif aux conditions de conservation des archives numériques sur des supports pérennes, suite à l'adoption par l'ensemble des députés présents sur ces bancs de l'un de nos amendements en première lecture.
Nous avons fait preuve de sagesse !
Le Sénat a souhaité que ce rapport soit remis au Parlement tous les trois ans et qu'il fasse plus largement état des conditions de collecte, de classement, de conservation et de communication des archives en France, aussi bien numériques qu'en format papier. Notre amendement disposait cependant que ce rapport devait également indiquer le coût de gestion induit par ces mesures de conservation, pour l'État comme pour les collectivités territoriales. J'aurai l'occasion de revenir sur le sujet lors de l'examen de notre amendement à l'article 30.
Concernant l'article 29, je m'interroge sur la volonté de renvoyer à des ordonnances. Ce n'est pas une disposition purement technique, elle est essentielle pour les usagers. Je ne conteste évidemment pas la nécessité d'une meilleure articulation des deux textes de 1978 et 1979 face aux incohérences constatées. On peut toutefois affirmer que ce projet est inabouti, bien qu'il ait été déposé sur le bureau du Sénat le 28 août 2006, donc voici près de deux ans.
Ce nouveau projet de loi relatif aux archives reste un handicap pour l'écriture de l'histoire contemporaine. Si le champ des archives incommunicables se trouve réduit aux armes de destruction massives, le principe demeure inacceptable. L'introduction de longs délais de communicabilité révisables paraissait pourtant un bien meilleur compromis. Cette solution, proposée par les juristes du ministère de la défense, a été ignorée par la majorité. « Est-ce à dire qu'on interdira l'accès aux documents relatifs aux essais nucléaires dans le Sahara français dans les années soixante ? », s'interroge l'Association des usagers du service public des archives nationales.
Cela priverait de toute possibilité de recherches sur les maladies contractées à l'époque par certains soldats et par une partie de la population. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Les historiens, les épidémiologistes, les environnementalistes et tous ceux qui travaillent sur ce sujet se verront-ils fermer « pour l'éternité » ce sujet de recherche, comme l'a dit Mme Albanel au Sénat le 15 mai ?
En préférant un délai de communication de cent ans au principe d'incommunicabilité des archives dont le contenu est susceptible de porter atteinte à la sécurité des personnes, c'est-à-dire des archives concernant les agents des services spéciaux de l'État, la majorité a certes infléchi le texte initial dans le bon sens, mais ce délai nous apparaît toujours excessif.
Autre motif d'inquiétude : les dispositions portant sur les documents relatifs à la vie privée des personnes, finalement accessibles après un délai de cinquante ans et non de soixante-quinze ans, comme le voulaient les sénateurs, risquent, par une définition extensive de la notion de vie privée, de rendre à terme plus difficile l'obtention des dérogations. On peut effectivement déplorer la réintroduction de la référence à l'honneur des personnes, dans le cadre de ce texte, alors que cette notion relève du code pénal, qui sanctionne la diffamation et la dénonciation calomnieuse dont un individu peut faire l'objet. De plus, et cela a déjà été souligné dans le débat, les archives notariales, les documents statistiques officiels, les enquêtes de police judiciaire et les dossiers personnels des fonctionnaires seront finalement communicables dans un délai moyen de soixante-quinze ans, alors que le projet de loi initial prévoyait un délai moyen de cinquante ans. Cet allongement très dommageable a pour principale conséquence de reporter d'une génération la libre consultation de ces archives. Sur ce point, la France se doterait d'une des législations les plus restrictives d'Europe sous la pression, comme l'a rappelé mon collègue Chassaigne, du lobby notarial. Là encore, l'Association des usagers du service public des archives nationales s'interroge. Est-il normal de ne pas pouvoir consulter librement les dossiers de justice concernant l'association d'extrême droite La Cagoule au temps du Front populaire ? Est-il admissible de ne pas avoir accès aux minutes notariales concernant la spoliation des juifs et l'aryanisation des biens sous le régime de Vichy ? Ces documents, ayant dépassé le délai de cinquante ans, seraient devenus librement accessibles dès la promulgation de ce texte si le délai proposé par le Gouvernement avait été respecté par les parlementaires de la majorité ; or ils ne pourront être consultés qu'à partir de 2019.
Ce projet de loi ne parvient pas à assurer, comme il le proposait pourtant, un juste équilibre entre les exigences de la recherche contemporaine, la nécessité d'ouvrir les archives à la collectivité et l'impératif de protection des données individuelles et personnelles. En l'état, il entrave le travail des chercheurs et porte atteinte au droit inaliénable de tout citoyen d'accéder à l'instrument de connaissance et de mémoire partagées que représentent les archives publiques dans une démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
La discussion générale commune est close.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
Je répondrai en quelques mots aux orateurs.
Je vous remercie, monsieur Philippe Gosselin, de la pertinence de vos arguments.
Monsieur Patrick Bloche, ce que vous appelez des « prétextes pour limiter l'accès aux archives » sont des libertés fondamentales : la vie privée, la sécurité nationale, la sécurité des citoyens. De plus, rien ne fonde vos craintes d'un refus systématique des administrations de communiquer des archives aux chercheurs. Les termes employés ont été pesés par le législateur voici trente ans et il n'y a aucune incertitude sur la portée de la protection de la vie privée. Trente ans de jurisprudence de la CADA et du Conseil d'État le prouvent. De plus, pourquoi les dérogations accordées à 98 % seraient-elles brusquement refusées ? Cette crainte est excessive, voire imaginaire.
Monsieur André Chassaigne, vous contestez la possibilité de confier des archives non définitives à des sociétés spécialisées dans leur gestion. Or ce recours à des prestataires extérieurs est nécessaire. Les administrations ne disposent pas d'une place suffisante. L'objet du texte est précisément d'encadrer cette pratique, dont on sait de toute façon que c'est une réalité, pour la placer sous le contrôle de la direction des archives de France. La crainte que vous exprimez sur ce point n'est donc pas justifiée.
Madame Aurélie Filippetti, c'est un texte très libéral, au meilleur sens du terme, et responsable. Il n'aggrave pas les conditions de l'accès aux archives. Il est vrai que l'on aurait pu aller encore plus loin, mais nous avons voulu prendre en compte, dans un esprit de responsabilité, un certain nombre d'exigences rappelées tout à l'heure. Les exemples que vous avez cités ne me paraissent pas pertinents : la loi rend possible l'accès aux archives concernant le régime de Vichy. S'agissant de la fin de la guerre d'Algérie, le nouveau délai de cinquante ans nous permettra d'accéder très rapidement à l'ensemble de ces archives.
Je ne m'étendrai pas sur la conservation des archives publiques puisque nous examinerons tout à l'heure votre amendement portant sur ce sujet. Je crois avoir répondu à vos arguments.
Avec le président de la commission et le rapporteur, je pense que ce texte constitue la meilleure avancée dans un esprit de responsabilité.
Vous ne pouvez pas le nier, puisque vous l'avez vous-même laissé entendre.
J'appelle, en premier lieu, dans le texte du Sénat, les articles du projet de loi relatif aux archives sur lesquels les deux assemblées du Parlement n'ont pu parvenir à un texte identique.
Cet article concerne l'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance. Nous trouvons cette mesure tout à fait exagérée, s'agissant de la communicabilité des archives historiques. Nous regrettons que le Parlement se dessaisisse ainsi lui-même de ses prérogatives.
Sur l'article 30, je suis saisi d'un amendement n° 1 .
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour le soutenir.
Cet amendement a été adopté en première lecture. Il tend à assurer la pérennité de la conservation par les administrations de tous les documents sur support numérique, notamment les documents administratifs tels que les fichiers fiscaux.
Nous proposons donc de compléter l'article 30, tel qu'il a été modifié par le Sénat, en ajoutant la phrase suivante : « Il présente le coût de gestion induit pour l'État et les collectivités territoriales de ces mesures conservatoires. »
Les technologies – logiciels et matériels informatiques – évoluent. L'Assemblée souhaiterait donc s'assurer que les moyens mis en oeuvre sont suffisants quant à la conservation des archives publiques, notamment celles stockées sur des supports exclusivement numériques dont la durée de vie est fragilisée par la volatilité des outils informatiques utilisés.
La mise à jour régulière des supports numériques de conservation des archives permettrait d'éviter la perte de cette mémoire, mais il convient d'étudier combien coûterait pour l'État et les collectivités territoriales la charge matérielle résultant de la mise à jour régulière de ces matériels.
Le Sénat a prévu que le rapport remis au Parlement devrait présenter notamment les conditions de conservation des archives publiques. Cette notion nous est apparue très large puisqu'elle englobe le coût de cette conservation. La commission des lois a donc jugé que cet amendement était satisfait par la rédaction actuelle et a donné un avis défavorable.
Le rapport sur les archives comportera, bien évidemment, une section sur les coûts afférents à la conservation et au traitement des archives, qu'il s'agisse des archives sur support papier ou des archives originellement numériques. Ces coûts se décomposent selon la chaîne de traitement de l'archive : coût lié à la collecte et à la communication, stockage pérenne. Il est vrai que le numérique induit des coûts spécifiques liés aux opérations de stockage proprement dites, aux opérations de migration des supports et des formats, aux opérations de surveillance de ces supports. Ces tâches seront précisées dans le rapport. Il n'apparaît donc pas utile, dans ces conditions, comme l'a fort bien dit le rapporteur, de modifier le texte de l'article 30.
Nous ne relevons, dans ce texte, qu'une amélioration : le délai ramené à cinquante ans. Nous avions soutenu l'amendement présenté sur ce point par le rapporteur. C'est un moindre mal. Nous restons pour le reste sur notre faim. Les dispositions aujourd'hui élargies aux documents qui portent des appréciations ou jugements de valeur sur une personne physique nommément désignée et facilement identifiable sont regrettables. Ce texte aurait pu être une occasion historique de progresser et d'améliorer la loi de 1979, qui devait vraiment être révisée. Nous nous inquiétons également de l'absence de précisions concernant les règles applicables. Leur renvoi à l'autorité administrative met en cause les libertés publiques.
Ce texte demeure en deçà de nos espérances et des attentes de nos concitoyens pour accéder à l'histoire. C'est dommage lorsque l'on pense à l'excellent rapport de M. Braibant, dont nous avons d'ailleurs salué le travail en première lecture.
Alors que notre pays devrait être une référence en matière de libertés publiques, ce sont aujourd'hui la défiance et le repli qui l'emportent.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Je vous rappelle, monsieur Gremetz, que, si vous voulez faire une explication de vote, vous pouvez demander à un huissier de prévenir la présidence. Vous n'êtes pas obligé d'interpeller en permanence. Il y a un certain nombre de règles de bienséance dans cet hémicycle qui s'appliquent à tout le monde, y compris à vous. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Vous avez la parole pour l'explication de vote du groupe GDR.
Franchement, avec la présidence que nous avons aujourd'hui, c'est une véritable régression. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Ça ne m'étonne pas d'ailleurs. Auparavant, pour faire une explication de vote, il suffisait de lever le bras. On n'était pas obligé de s'inscrire.
En dépit d'une avancée : la communicabilité de certains éléments, on peut, avec les chercheurs, les historiens mais aussi les citoyens, craindre le pire. Il y a en effet des dérogations à demander, des régimes d'exception. Et, surtout, monsieur le secrétaire d'État, quand vous osez nous dire qu'il faut passer par des entreprises privées pour stocker les archives, je me demande franchement où on en est si la nation française n'est plus capable d'assurer elle-même le stockage et la gestion de ses archives.
Je ne dirai pas comme le Premier ministre que les caisses sont vides, mais tout fout le camp, alors que, par ailleurs, pour essayer de combler un peu le déficit public, l'État vend une grande partie de son patrimoine immobilier. J'avoue que je suis très surpris. Quand on parle de tentative de privatisation, oui. Que se passera-t-il demain ? Vous n'en savez rien, moi non plus.
Le Gouvernement réaffirme sa volonté d'ouvrir plus vite et mieux toutes les archives qui, évidemment, ne portent pas atteinte à la sécurité. C'est ce que lui demandent tous les historiens et tous les chercheurs que nous voyons chaque semaine et qui veulent pouvoir travailler et exercer leur métier. Il y a de nombreuses discussions sur le fait de savoir comment appréhender, étudier, enseigner l'histoire, qui est notre passé.
Cette volonté affirmée n'est pas respectée, loin s'en faut. C'est pourquoi le groupe communiste et républicain…
Je vais le dire autrement, monsieur le président, pour que ce soit bien clair. C'est pourquoi les dix-huit députés communistes et les quatre républicains voteront contre ce texte.
Je comprends l'embarras de nos collègues de l'opposition, qui doivent trouver quelques arguments pour ne pas voter un texte dont on a rappelé les uns et les autres les mérites.
C'est un texte relativement équilibré, même s'il n'est peut-être pas parfait. J'ai entendu ce qui a été dit tout à l'heure sur le devoir de mémoire, sur la mission d'information sur les questions mémorielles. Ne tirez pas de conclusions avant même que la mission n'ait terminé ses travaux, monsieur Gremetz, et, s'il fallait revenir sur quelques éléments, je ne doute pas que nous réussirions à le faire.
On a donc un texte équilibré, qui améliore de façon très substantielle la communicabilité, qui en fait même un principe, qui réduit de plusieurs dizaines d'années dans certains cas les délais d'accès aux archives. Franchement, je n'y vois que de la grande lisibilité.
Quand j'entends parler d'atteinte aux libertés publiques ou à la tradition républicaine (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), j'ai envie de dire, comme l'un de nos collègues qui intervient de temps en temps, « et gnagnagna et gnagnagna ». Nous avons un texte qui, trente ans après l'adoption de la loi de 1979, traduit un vrai souci de conservation de nos archives et de communicabilité, tant à l'égard des chercheurs qu'à l'égard du grand public. Le reste n'est que procès d'intention.
Les autres arguments, vous les cherchez plutôt, et cette remarque vient de le démontrer.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera les deux textes en discussion. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(L'ensemble du projet de loi est adopté.)
Je suggère que, comme l'a fait Mme Albanel en première lecture, nous rendions tous hommage au grand juriste que fut Guy Braibant, qui a été l'inspirateur de ce texte et qui est décédé il y a quelques semaines.
J'appelle maintenant, dans le texte du Sénat, l'article du projet de loi organique relatif aux archives du Conseil constitutionnel sur lequel les deux assemblées du Parlement n'ont pu parvenir à un texte identique.
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi organique.
(L'ensemble du projet de loi organique est adopté.)
Vote sur l'ensemble
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures quinze, sous la présidence de M. Bernard Accoyer.)
L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (n°s 969 rectifié, 992, 999).
La parole est à M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, aujourd'hui, un délégué syndical qui ne s'est jamais présenté aux élections et qui appartient à un syndicat dont les effectifs sont faibles peut signer un accord qui engage la totalité des salariés ; une entreprise, de papeterie par exemple, qui n'a pas de délégué syndical, n'a aucune solution pour négocier un accord collectif avec ses salariés ; le salarié d'une branche comme la chocolaterie, qui souhaite faire plus de 130 heures supplémentaires, ne le peut pas si son entreprise n'a pas demandé d'autorisation administrative ; un cadre en forfait-jours qui veut racheter ses jours de repos ne peut pas le faire au-delà de l'année 2009. Le projet de loi qui vous est présenté aujourd'hui apportera une réponse précise et concrète à toutes ces situations.
Ce texte marque une étape sans précédent dans les relations collectives de travail.
Grâce à ce projet de loi, les acteurs du dialogue social verront leur légitimité renforcée, et la négociation collective disposera de plus d'espace pour s'exprimer, notamment au niveau de l'entreprise, là où l'attente d'une régulation négociée des rapports sociaux est la plus forte.
Avant de vous présenter les grandes lignes de ce projet, je souhaiterais rappeler le contexte et l'esprit dans lequel il a été élaboré.
Depuis la dernière guerre, notre pays vit une situation paradoxale : d'un côté, la quasi-totalité des salariés du secteur privé sont couverts par des conventions collectives, ce qui place la France en tête des pays européens en ce domaine ; de l'autre, nous sommes au dernier rang des pays d'Europe par notre taux de syndicalisation, puisque seuls 5 % des salariés du secteur privé sont syndiqués en France. Il nous faut changer cela.
Le projet de loi que je vous présente aujourd'hui s'inscrit, comme la loi de modernisation du marché du travail du 25 juin 2008, dans le cadre de la loi de modernisation du dialogue social du 31 janvier 2007. Dès le 18 juin 2007, le Gouvernement a transmis aux partenaires sociaux un document d'orientation les invitant à négocier sur la démocratie sociale. Lors de la conférence sociale du 19 décembre dernier, le Président de la République a renouvelé son souhait de voir aboutir les négociations sur ces questions. À cette occasion, il a également réaffirmé son engagement de rompre avec l'organisation du travail trop rigide induite par les 35 heures imposées. C'est très clair : nous voulons tenir les engagements que nous avons pris devant les Français pendant la campagne présidentielle. Et pour s'affranchir de ce carcan des 35 heures imposées, il n'y a pas de meilleure solution que de donner aux salariés et aux entreprises la possibilité, qui existe déjà dans de grandes démocraties européennes, de déterminer ensemble, par la négociation collective, l'organisation du travail la mieux adaptée au développement de l'entreprise comme aux attentes des salariés.
C'est la raison pour laquelle, le 26 décembre dernier, le Premier ministre a envoyé un document d'orientation additionnel aux partenaires sociaux leur demandant d'élargir leurs négociations à la question du temps de travail. Ce document posait des questions précises : quel doit être le domaine impérativement réservé à la loi ? Quel doit être le domaine réservé aux accords collectifs, et au sein de ces accords, quelle articulation trouver entre le niveau de la branche et le niveau de l'entreprise ? La loi a-t-elle vocation à fixer des règles en matière de contingent et de repos compensateur ? Toutes ces questions étaient sur la table dès le 26 décembre.
Le 10 avril dernier, les partenaires sociaux ont abouti à une position commune, signée par le Mouvement des entreprises de France, MEDEF, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, CGPME, la Confédération générale du travail, CGT et la Confédération française démocratique du travail, CFDT, l'Union professionnelle artisanale, UPA, la Confédération française des travailleurs chrétiens, CFTC, Force ouvrière et la Confédération générale des cadres, CGC, ayant pour leur part refusé de signer cette position commune.
Aujourd'hui, le projet de loi qui vous est présenté vise à donner force obligatoire à la position commune en matière de représentativité des syndicats et de financement des organisations de salariés et d'employeurs. En revanche, le projet de loi va au-delà de l'article 17 de cette position commune, sur la question du temps de travail.
Nous assumons nos divergences avec certains signataires de la position commune à ce sujet, car nous pensons que la question des rigidités induites par les 35 heures est trop importante pour retarder encore la solution de ce problème.
Comme je viens de le dire, les choses étaient claires depuis le début. Les salariés comme les entreprises ne peuvent pas attendre plus longtemps des solutions. En effet, le besoin de faire des heures supplémentaires sans être bloqué par certaines limites existe dès à présent, et c'est tout de suite qu'il faut y répondre.
La loi du 31 janvier 2007 a instauré un mode de fonctionnement nouveau en matière de relations entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux. Il nous appartient de réaffirmer dans ce cadre la légitimité et l'autonomie de tous les acteurs, en respectant les responsabilités de chacun. L'application des critères de représentativité permettra d'instaurer une nouvelle donne en conférant une légitimité supplémentaire aux partenaires sociaux. Mais la démocratie politique est aussi légitime dans le champ social que dans les autres champs, et nous devrons trouver les moyens d'articuler le plus efficacement possible l'intervention des pouvoirs publics et celle des partenaires sociaux.
Dans cette perspective, permettez-moi de saluer le remarquable travail des rapporteurs, Jean-Frédéric Poisson et Jean-Paul Anciaux, qui ont eu le souci d'améliorer encore ce texte. (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) J'aurai l'occasion d'y revenir. Je tiens également à saluer l'initiative du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et de son président, qui a reçu les signataires de la position commune pour bénéficier de leur éclairage.
Le projet de loi comporte deux parties : la première est consacrée à la rénovation des règles de la démocratie sociale, la seconde à une réforme du temps de travail qui simplifie les règles et donne plus d'espace à la négociation d'entreprise dans l'organisation du temps de travail.
La première partie refonde donc les règles de représentativité des syndicats, qui, dans notre pays, n'avaient pas changé depuis la dernière guerre. En démocratie, la légitimité s'acquiert par le vote. Nous allons appliquer ce principe de base, conformément au souhait des signataires de la position commune. Ce sont donc les salariés qui choisiront demain qui pourra négocier en leur nom à tous les niveaux et qui décideront si un accord collectif peut ou non s'appliquer dans leur entreprise. Il s'agit d'une réforme historique, par laquelle la France, après l'Espagne, fondera la représentativité des syndicats sur l'élection.
La représentativité des organisations syndicales ne sera plus acquise d'en haut, avant de redescendre jusqu'au terrain : elle s'acquerra désormais dans l'entreprise, là où les relations sociales s'expriment le plus directement, au plus près du terrain, pour remonter ensuite au niveau national. Pour être représentatives, les organisations syndicales devront désormais respecter les principes républicains ; avoir une ancienneté de plus de deux ans ; être indépendantes, rassembler des adhérents et recevoir des cotisations ; garantir la transparence financière et exercer une influence. Elles devront également bénéficier d'une audience électorale appréciée selon des seuils à partir des résultats aux élections professionnelles. Pour être représentatif, un syndicat devra avoir obtenu 10 % des suffrages aux élections professionnelles dans l'entreprise et 8 % au niveau des branches et au niveau interprofessionnel.
Ce syndicat pourra être catégoriel s'il est affilié à une confédération syndicale nationale catégorielle interprofessionnelle et s'il a mesuré sa représentativité sur un ou plusieurs collèges électoraux.
Seuls les syndicats représentatifs pourront désigner un délégué syndical, et celui-ci devra lui-même avoir obtenu 10 % des suffrages exprimés. C'est là un autre point capital de la réforme : à l'avenir, le délégué tirera sa légitimité, non seulement de son appartenance à un syndicat représentatif, mais aussi de son résultat personnel aux élections professionnelles.
Le premier tour des élections dans l'entreprise sera ouvert à tous les syndicats légalement constitués depuis au moins deux ans, indépendants et républicains. Là aussi, c'est la règle démocratique qui veut qu'on permette à tous de se présenter aux suffrages des salariés. Avant de devenir représentatif, si les salariés le souhaitent, chaque syndicat existant depuis au moins deux ans pourra nommer un représentant syndical dans l'établissement, qui aura les mêmes attributions que le délégué syndical, sauf bien sûr le pouvoir de signer des accords collectifs, pouvoir qui ne sera acquis qu'avec la représentativité.
Cette réforme entrera en vigueur immédiatement dans les entreprises, dès les premières élections professionnelles, c'est-à-dire potentiellement dès 2008. Pour les branches et le niveau interprofessionnel, elle entrera en vigueur dans cinq ans au plus tard.
Enfin, pour établir les résultats électoraux au niveau national, il faudra mettre en place un instrument de collecte incontestable et exhaustif, qu'il va nous falloir bâtir rapidement et dans la plus grande transparence.
Réformer la démocratie sociale, cela implique aussi de rendre les accords plus légitimes et plus accessibles.
Désormais, tous les accords devront répondre à une double légitimité : d'une part, l'adhésion de syndicats représentatifs ayant recueilli au moins 30 % des suffrages ; d'autre part, l'absence d'opposition de la part de syndicats représentatifs ayant recueilli au moins 50 % des voix.
Les possibilités de négocier seront également élargies, y compris pour les dix millions de salariés travaillant dans des entreprises dépourvues de délégués syndicaux. Mais avant d'ouvrir plus largement cette possibilité de négocier, le projet de loi accorde un délai d'un an pendant lequel de nouveaux accords de branche pourront venir s'ajouter aux seize accords de branche existants, pour encadrer la négociation avec des élus du personnel ou des salariés mandatés par un syndicat. C'est une avancée très importante, qui permettra aux entreprises dépourvues de délégués syndicaux d'accéder à la négociation collective.
Mais nous devons résoudre plus globalement la question des quatre millions de salariés qui travaillent dans des entreprises de moins de onze salariés. La position commune a prévu qu'un groupe de travail serait consacré à ces questions, et j'ai bien noté l'intention des signataires de le réunir sans attendre. Il me semble indispensable, autant qu'à vous, j'en suis certain – et le projet de loi le prévoit – qu'une négociation nationale interprofessionnelle trouve très rapidement des solutions à l'ensemble des questions relatives au développement du dialogue social dans les très petites entreprises, les TPE. Comment mesurer l'audience dans les branches où la majorité des salariés travaillent dans des très petites entreprises où il n'y a pas d'élections ? Comment assurer la représentation de ces salariés ? Il faut répondre à ces interrogations pour que la réforme soit opérationnelle partout et pour tous. Je sais que ce sujet vous préoccupe également, mesdames, messieurs les députés, notamment votre rapporteur. Soyez assurés que le Gouvernement sera attentif à vos propositions sur ce point
Ce projet de loi vise également à garantir au financement des organisations syndicales et des organisations professionnelles une meilleure transparence et une plus grande sécurité juridique
Un des critères de la représentativité sera désormais la transparence financière. Les ressources et les dépenses des organisations syndicales et professionnelles devront avoir un lien avec leur objet et être retracées dans des comptes annuels.
Ces comptes devront être certifiés dès lors que les ressources dépasseront 153 000 euros par an. Par ailleurs, le projet de loi sécurise les mises à disposition de salariés syndiqués prévues par accord collectif d'entreprise au bénéfice des organisations syndicales de salariés ou d'employeurs.
Enfin, le projet de loi comporte une disposition encadrant les accords qui prévoient un financement du dialogue social à travers une contribution des entreprises. Il ne s'agit en rien de créer une nouvelle taxe ou une nouvelle obligation puisque ces accords existent déjà : trente branches, couvrant plus de deux millions de salariés, ont en effet signé des accords de ce type depuis les années 1990 et 2000.
Les accords déclinant l'accord de décembre 2001 sur le financement du dialogue social dans l'artisanat, signé par l'UPA et l'ensemble des organisations syndicales, ont déjà largement été étendus et appliqués depuis leur signature, à l'exception de deux d'entre eux, dans le bâtiment notamment. Ayant entendu les critiques dont ils faisaient l'objet, j'ai attendu la fin du processus judiciaire, qui a conduit la Cour de cassation à les déclarer légaux en octobre 2007.
C'est la raison pour laquelle le projet de loi fixe un cadre et certaines limites : il s'agit de ne financer que le dialogue social, en évitant de payer deux fois lorsqu'on dispose déjà de représentants du personnel. Ces accords ont vocation à être étendus dans ces nouvelles limites légales au cours de l'année 2009. Les commissions des affaires sociales et des affaires économiques ont fait sur ce sujet des propositions intéressantes, que nous aurons l'occasion d'examiner.
J'en viens maintenant à la deuxième partie du projet de loi qui concerne le temps de travail. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Il s'agit de donner plus d'espace à la négociation d'entreprise ou de branche pour parler du temps de travail dans les entreprises. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Renforcer l'efficacité de notre démocratie sociale suppose de repenser l'articulation des rôles entre la loi et l'accord collectif, en élargissant le champ de la négociation collective.
Il faut en effet permettre aux accords d'entreprise de déterminer, au plus près du niveau où les décisions s'appliquent dans les entreprises, l'organisation du travail la mieux adaptée au développement de l'entreprise comme aux attentes des salariés, en matière de pouvoir d'achat et de gestion du temps de travail.
La loi a ainsi vocation à définir les règles nécessaires à la protection de la santé et de la sécurité des salariés, et la négociation collective peut voir ses prérogatives étendues, notamment en matière de contingent et de repos compensateur.
L'article 17 de la position commune visait à permettre à des accords d'entreprise recueillant l'adhésion de syndicats représentant 50 % au moins des salariés de déroger, de manière expérimentale, aux contingents conventionnels d'heures supplémentaires fixés par des accords de branche signés avant la loi du 4 mai 2004. Alors que la position commune fixe partout le seuil à 30 %, il était de 50 % dans l'article 17 !
Cinquante pour cent, c'était la garantie du statu quo !
Nous ne reprenons pas la réponse spécifique et expérimentale apportée par l'article 17, mais nous nous inscrivons dans la même logique : donner plus d'espace à la négociation d'entreprise, sur le sujet du contingent comme, plus généralement, sur l'aménagement du temps de travail, tout en maintenant dans la loi les principes fondamentaux du droit de la durée du travail (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Rien ne change en matière de repos et de durée maximale du travail.
La durée maximale hebdomadaire de travail reste inchangée.
La durée maximale hebdomadaire moyenne de travail sur douze semaines reste inchangée.
La durée maximale quotidienne de travail, la durée minimale de repos quotidien, tout comme la durée minimale de repos hebdomadaire restent inchangées.
Toutes ces normes sans exception restent inchangées ; elles seront même renforcées du fait du recentrage de la loi sur ces dispositions fondamentales.
Rien ne change non plus en matière de durée légale du travail, qui reste à 35 heures. Cette durée constitue le seuil de déclenchement des heures supplémentaires et de leur taux de majoration, garantissant ainsi l'amélioration du pouvoir d'achat des salariés.
Avec ce projet de loi, nous arrêtons enfin la « machine à compliquer » qui s'est mise en marche depuis si longtemps dans notre pays. Nous avions pris l'habitude de répondre à chaque situation particulière par une nouvelle règle légale, aboutissant ainsi à un ensemble juridique d'une complexité sans nom, que peu d'entreprises en France peuvent réellement connaître et maîtriser intégralement. Pour une fois, un projet de loi relatif au droit du travail simplifie et clarifie vraiment. En allégeant les règles, nous les rendons plus efficaces et donnons plus de marges aux négociateurs. Le nombre d'articles du code du travail consacrés au temps de travail passe de 73 à 34.
C'est clair et concret. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Le projet pose ainsi des règles simples. Il sera possible, par accord d'entreprise, de fixer toutes les règles en matière de contingent et de repos compensateur. Il sera possible de dépasser le contingent en consultant les institutions représentatives du personnel, et il sera plus facile de faire faire des heures supplémentaires.
Prenons l'exemple d'une entreprise ayant des difficultés de recrutement et des besoins de main-d'oeuvre à des périodes précises, et dont le contingent d'heures supplémentaires fixé par l'accord de branche du secteur est de 130 heures. Pour dépasser ce contingent, cette entreprise doit aujourd'hui engager un véritable parcours du combattant, et notamment solliciter une autorisation administrative. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Ceux qui connaissent le monde de l'entreprise savent que c'est la réalité. (Approbation sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Nous voulons mettre un terme à ce parcours du combattant. Dès l'entrée en vigueur du texte, cette entreprise pourra dépasser le contingent sans demander d'autorisation administrative. C'est pratique, simple et efficace. Voilà ce qui nous est demandé dans les entreprises,…
…et pas seulement par les entrepreneurs, mais aussi par les salariés.
Sur les forfaits annuels, le projet de loi pose des balises. Ces forfaits devront toujours être mis en place par accords collectifs et leur utilisation sera réservée à certains types de salariés cadres et autonomes dans la gestion de leur emploi du temps, aussi bien pour les forfaits annuels en jours que pour les forfaits annuels en heures.
Les salariés en forfait-jours pourront faire des jours supplémentaires majorés d'au moins 10 %, et augmenteront donc leur pouvoir d'achat.
Les débats qui ont eu lieu en commission et qui vont se poursuivre en séance publique permettront d'ailleurs d'apporter les garanties nécessaires pour que ces modes d'aménagement du temps de travail répondent pleinement aux besoins de chacun.
Enfin et surtout, le projet simplifie significativement la réglementation sur le temps de travail, en créant un nouveau mode unique d'aménagement négocié du temps de travail, qui se substitue aux quatre modes précédents, et offre des règles beaucoup plus souples.
Grâce à ce nouveau cadre, on n'aura plus besoin de programmer pour l'ensemble des entreprises d'une branche les durées des semaines de travail pour toute l'année à venir. Aujourd'hui, un salarié à temps partiel n'a pas accès aux JRTT et peut encore moins les racheter. Avec ce texte, ce sera enfin possible.
L'accord devra également fixer un délai de prévenance en cas de changement de durée ou d'horaires de travail, qui, sauf stipulation contraire, sera d'au moins sept jours.
Vous voyez bien la philosophie générale de ce projet. Il y a eu longtemps la loi qui imposait d'en haut ;…
…nous avons fait le choix d'une loi qui apporte des garanties et donne une plus grande liberté de choix sur le terrain dans les entreprises. Voilà donc la philosophie générale de ce projet. Il s'agit de permettre aux entreprises et aux salariés, ensemble, au plus près du terrain, de trouver les solutions les plus adaptées, dans le dialogue.
C'est bien parce que les représentants des salariés auront une légitimité renforcée dans les entreprises qu'ils pourront se saisir des nouveaux espaces que nous ouvrons à la négociation collective – je dis bien collective, car il ne s'agit en aucune manière de renvoyer les salariés à un face-à-face avec leur employeur. Notre choix est celui de la négociation collective, de la participation de chacun à la détermination des règles qui le concernent. Ce n'est ni la même règle pour tous qui tombe d'en haut, ni l'individualisation sans règles.
Mesdames, messieurs les députés, cette réforme est ambitieuse. Comme tout changement fondamental, elle ne manque pas de susciter des remarques et des commentaires.
Rappelez-vous, cependant, certains commentaires que nous entendions en novembre dernier. Nous avions présenté durant l'été un texte sur le service minimum et chacun pensait que c'en était fait du dialogue social dans notre pays. Nous avons connu ensuite, lors de la réforme des régimes spéciaux, neuf jours de grève, qui ont fait dire aux mêmes commentateurs que c'en était définitivement fini des chances du dialogue social. Un mois et demi plus tard, un accord historique sur le contrat de travail était signé par l'ensemble des partenaires sociaux !
Le dialogue social n'est pas destiné à faire plaisir au Gouvernement ou à tel ou tel des partenaires sociaux, mais à nous permettre d'avancer sur de nombreux sujets, que ce soit sur la représentativité ou sur la formation professionnelle, ou demain sur la pénibilité, sujet enlisé depuis des années.
C'est par le dialogue social que nous trouverons les solutions.
Ce projet de loi réforme en profondeur les règles de la démocratie sociale et offre de nouveaux espaces à la négociation d'entreprise en matière de temps de travail. Avec lui, la place et la légitimité de la négociation collective se trouvent confortées comme jamais auparavant dans notre système de relations professionnelles. Il a vocation à produire des effets dès l'automne. Cette réforme historique, ce sont les acteurs de l'entreprise qui lui donneront toute sa portée ; c'est vous, mesdames, messieurs les députés, qui lui donnerez force obligatoire et force législative ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
Monsieur le ministre, vous venez de retracer l'histoire du projet de loi que vous présentez aujourd'hui devant notre assemblée, et je n'y reviendrai pas. La posture qu'a adoptée le Gouvernement en joignant les deux parties du texte est à mes yeux légitime. Tout à la fois l'urgence à réformer la représentation syndicale, le besoin de souplesse dans la réponse à la demande de travail que connaissent les entreprises, la nécessité d'organiser la réponse à cette demande dans un souci de respect des salariés et des contraintes qui se présentent à eux justifient que les deux titres du projet de loi soient ici présentés dans un seul et même texte.
De fait, la commission des affaires sociales a approuvé votre projet de loi, avec des amendements sur lesquels les débats nous permettront de revenir amplement. Je veux toutefois signaler – pour le remercier – le travail conjoint réalisé avec notre collègue Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Je souhaite enfin saluer, monsieur le ministre, la disponibilité de vos équipes – dont certaines ne sont pas loin de nous ce soir – et leur qualité d'écoute, qui a grandement facilité le souhait manifesté par notre groupe d'entrer dans une mécanique presque systématique de coproduction avec le Gouvernement.
Je présenterai dans un premier temps les principales modifications apportées par les travaux en commission, avant de conclure par quelques considérations sur la notion de démocratie sociale. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Ce texte représente une véritable révolution, presque au sens strict.
En faisant en sorte que la représentativité syndicale s'effectue par une mesure ascendante de l'audience, le projet de loi rompt avec la logique descendante qui a prévalu jusqu'ici. En modifiant de manière radicale les critères de la représentativité et en ajoutant à ces critères celui de l'audience, le projet de loi place les organisations syndicales devant le défi de leur propre impact démocratique.
Une fois cette loi votée, les salariés, et eux seuls, désigneront leurs représentants – ceux d'entre eux qui de ce fait seront appelés à négocier et signer les accords portant sur leurs conditions de travail. Cette révolution ne peut s'accomplir pleinement sans de profonds réaménagements de notre code du travail, comme la modification des critères de représentativité, le renversement de l'architecture actuelle des normes par la priorité donnée à l'entreprise, la définition de seuils de représentativité par les résultats des élections dans les entreprises – 10 % dans les branches professionnelles, 8 % sur le plan national et interprofessionnel –, avec des conséquences prévisibles sur la refonte du paysage syndical et, enfin, le double cliquet de 30 % d'accord nécessaire et de 50 % d'absence de refus pour que les accords soient validés.
Ces quatre éléments sont les piliers du titre Ier de ce texte, dont les autres dispositions sont en fait des aménagements ou des conséquences, comme nous le montrera certainement la discussion des amendements. Sur ce sujet, la commission a respectueusement tenu compte de la position commune adoptée par les trois signataires, et s'est attachée à préciser le texte ou à l'équilibrer chaque fois qu'elle a considéré devoir le faire. Les amendements adoptés par la commission n'ont d'autre fin que celle des partenaires sociaux : faciliter et rendre effective la signature des accords à tous niveaux par les partenaires sociaux qui auront acquis la représentativité nécessaire.
Restent cependant, dans ce premier titre, deux questions difficiles : l'organisation du dialogue social dans les petites entreprises et le financement du dialogue social.
Ces deux questions ont fait l'objet de réelles discussions lors des négociations entre les partenaires sociaux, qui n'ont toutefois pas conclu. Les signataires de la position commune ont cependant manifesté une réelle volonté de se remettre au travail dans un délai bref et de fixer des règles dans ces matières, dont le règlement est indispensable au bon fonctionnement et à l'équilibre général de la représentativité syndicale. Cette nécessité a conduit la commission à adopter deux types d'amendements.
Sur le premier point, il vous sera proposé de fixer au 30 juin 2009 la date à laquelle les partenaires sociaux devront avoir défini les règles du dialogue social dans les entreprises de moins de onze salariés.
Sur le second point, deux dispositions ont été ajoutées par la commission aux articles du projet de loi. À l'article 8, tout d'abord, il est proposé de fixer également au 30 juin 2009 la prise d'effet de l'article concernant le financement du dialogue social par les entreprises, en laissant dans l'intervalle toute possibilité aux partenaires sociaux de déterminer au mieux et ensemble les modalités de mise en oeuvre de ce financement. À l'article 14, ensuite, il est proposé que l'obligation faite aux organisations syndicales de se conformer aux exigences de la certification comptable prenne effet dans deux ans pour les organisations nationales et confédérales, dans trois ans pour les organisations régionales et départementales et dans quatre ans pour les organisations départementales et locales.
Au total, les travaux de votre commission ont permis d'atteindre les deux objectifs fixés tant par le texte que par le contexte : maintenir les fondements du projet de loi et apporter au texte gouvernemental, dans le respect de la position commune, les améliorations et les précisions qui ressortissent par essence au travail législatif.
Sur le titre II du texte, portant réforme du temps de travail, la commission a adopté une attitude semblable. La réforme du temps de travail avancée par cette partie du projet de loi vise principalement à permettre une négociation des contingents d'heures supplémentaires au niveau de l'entreprise, et non plus au niveau des branches comme c'est le cas actuellement En fait, le titre II est l'application pure et simple du titre Ier à la réforme du temps de travail.
Certains considèrent que cette manière de voir ne saurait justifier le rattachement des deux parties du texte, ce que nous entendrons sans doute à plusieurs reprises dans le cours du débat. À défaut de trouver dans cette application la justification d'une décision purement politique – et parfaitement assumée par le Gouvernement et par la majorité –, on peut au moins souligner l'effort de cohérence dont le projet de loi est le signe.
Cela étant, soucieuse de préserver un juste équilibre entre ces nouvelles possibilités et le maintien des droits des salariés, la commission a adopté une série d'amendements visant à donner à ces derniers les assurances nécessaires.
Il s'agit d'abord du plafonnement du nombre de jours travaillés dans l'année dans le cadre d'un forfait-jours – souhait partagé par la commission des affaires économiques et son rapporteur Jean-Paul Anciaux –, qui fera l'objet d'un débat entre les propositions des deux commissions. Il s'agit, ensuite, de la nécessité d'un accord préalable du salarié et de la consignation dans un accord écrit de son régime d'heures supplémentaires. Il s'agit enfin de la précision apportée à la notion de « salarié autonome », acquise dans la rédaction du projet de loi à propos des forfaits en jours, mais pas des forfaits en heures.
Les garanties offertes, à titre supplétif, par les accords de branche ou le décret en cas de besoin cadrent ces dispositifs dans des limites qui nous semblent acceptables.
Je formulerai deux remarques pour finir sur ce deuxième titre et corriger des propos que j'ai entendus lors des débats dans les deux commissions des affaires sociales et des affaires économiques.
Tout d'abord, contrairement à une idée apparemment répandue, la durée légale du travail n'est pas modifiée par ce texte.
Le seuil de 35 heures demeure la limite à partir de laquelle s'opère le déclenchement des heures supplémentaires. Le régime actuel des entreprises dans lesquelles les salariés sont encore à 39 heures n'est pas modifié davantage. Par conséquent, ce projet de loi ne modifie en rien la durée légale du travail.
Ensuite, contrairement à une autre idée reçue, le repos compensateur n'est pas non plus supprimé, ni modifié dans son principe. Il demeure obligatoire, même si son aménagement est désormais l'objet d'une négociation.
Voici donc quelles sont les grandes lignes de ce projet de loi, et le sens dans lequel votre commission a souhaité aller.
Reste la question de la démocratie sociale. Pour la deuxième fois en quelques mois, le Parlement est chargé de légiférer sur un texte dont l'origine est syndicale. La fois précédente, un accord national interprofessionnel portant sur la modernisation du marché du travail avait été soumis, également par l'intermédiaire d'un projet de loi, à notre assemblée.
À cette occasion, la discussion générale du projet de loi avait donné lieu à de nombreuses réflexions sur une question centrale : quel peut être le rôle du législateur en matière sociale, dès lors que s'applique la loi qu'il a lui-même adoptée en janvier 2007 à l'initiative de Gérard Larcher – votre prédécesseur, monsieur le ministre, que vous me permettrez de saluer ici. Cette loi dispose qu'aucun sujet dont les partenaires sociaux doivent légitimement être saisis ne peut être traité dans cette enceinte sans qu'ils aient été préalablement sollicités pour, à tout le moins, dire leur avis, voire pour trouver une position partagée sur le sujet.
Cette fois encore, la question de savoir ce qu'est le réel pouvoir du législateur se pose, ce qui n'est d'ailleurs pas sans me surprendre, pour deux raisons. La première est que personne n'a sérieusement demandé au législateur de légiférer en amputant sa liberté en matière sociale dès lors que les partenaires sociaux auraient manifesté une volonté partagée.
On ne peut sérieusement demander au législateur de se brider en ces matières, faute de quoi il faudrait revoir la législation en vigueur sur le mandat impératif, interdit dans nos textes sans aucune exception. Le principe même de notre travail consiste donc à ce que nous transformions en toute liberté les textes qui nous sont proposés, sinon la réalité même du pouvoir législatif serait atteinte.
La seconde raison est qu'avec ce texte entre formellement dans notre droit la notion de démocratie sociale, pour l'heure réservée aux commentaires. « Démocratie sociale » est en effet le titre porté par ce projet, et cette entrée en fanfare dans la loi doit faire réfléchir le législateur. D'autant que les prochains textes sur lesquels nous serons amenés à travailler, relatifs à la formation professionnelle, à la pénibilité au travail chère à M. Juanico, à l'emploi des seniors ou à la médecine du travail, en plus des dispositions que nous nous apprêtons à renvoyer à la négociation entre les partenaires sociaux, nous replaceront dans une situation comparable.
J'ajoute que la situation des branches professionnelles devra nous permettre de traiter tous ces sujets selon cette modalité et que, sauf exception, les discussions se tiendront avec les syndicats actuellement représentatifs. Aussi serons-nous confrontés à un mode de procéder identique à celui que nous connaissons aujourd'hui. La question est donc posée à nouveau : jusqu'à quel point le Parlement est-il tenu par les accords conclus entre les partenaires sociaux ?
Premièrement, tous ces débats prennent place dans un mouvement lent et continu de rééquilibrage, dans le code du travail, entre la part législative et la part contractuelle, rééquilibrage dont les lois Auroux, en 1982, ont été un moment important. Les positions communes et les accords nationaux interprofessionnels doivent être reconnus pour ce qu'ils sont : pour les premières, des déclarations d'intention fermes, et, pour les seconds, de véritables textes d'application immédiate qui sont même parfois, d'après les analyses de certains experts, des quasi-règlements.
Deuxièmement, le rapprochement entre la démocratie politique et la démocratie sociale a été maintes fois signalé, la plupart du temps pour en préciser les limites – je pense notamment aux analyses de l'Institut supérieur du travail,…
…ou à la note récente du Centre d'analyse stratégique. Ce rapprochement est réel. Il se mesure, en particulier dans ce texte, par deux biais : l'instauration de la logique électorale comme fondement irremplaçable de la représentativité et l'exigence de transparence financière bientôt applicable aux organisations syndicales comme elle l'est actuellement aux partis politiques.
Ce rapprochement est souhaitable pour renforcer la légitimité des organisations syndicales.
Mais il ne doit pas aller jusqu'à ce que démocratie politique et démocratie sociale soient considérées comme identiques, ou que la seconde se substitue à la première ; faute de quoi la définition de la norme sociale passerait entièrement dans la sphère contractuelle, ce qui ne semble souhaitable à personne.
De ce fait, je conclurai que la seule dimension acceptable consisterait à ce que le Parlement soit en général tenu par l'esprit des accords et par leurs intentions,…
…et par leur contenu – pour autant que celui-ci respecte les exigences de la loi et de sa pratique –, mais certainement pas par leur forme. Il est impératif en effet que le Parlement conserve, quoi qu'il arrive, le droit absolu d'amender, de rectifier, de compléter, de préciser,…
…et ce « contrat » doit être clair avec les partenaires sociaux. C'est en tout cas l'esprit dans lequel votre rapporteur s'est efforcé de travailler sur ce texte, et il formule le souhait que les prochaines échéances sociales présentées à notre assemblée suivent clairement la même voie. Monsieur le ministre, la commission a adopté votre texte, et je le voterai bien entendu avec enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
(M. Rudy Salles remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)
La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « nous avons besoin d'un système de négociation collective renforcé et efficace aux niveaux interprofessionnel, des branches et des entreprises, permettant d'apporter des solutions négociées aux problèmes des salariés comme des entreprises. » Ce constat, sur lequel nous nous accordons tous, a été formulé, le 19 décembre 2007, par le Président de la République. En interpellant les partenaires sociaux et en fixant avec eux un agenda social ambitieux pour l'année 2008, le Président a fixé une feuille de route très claire dont l'application permettra d'apporter des solutions concrètes aux deux objectifs majeurs que le Gouvernement s'est fixés en matière sociale : l'emploi et le pouvoir d'achat, d'une part, la rénovation de notre système de relations sociales, d'autre part.
Ces deux sujets sont en effet intimement liés. On a tous entendu des objections et des protestations, émanant de tous bords, à l'occasion du dépôt du présent projet de loi parce qu'il traite indistinctement de ces deux matières : on peut penser que ceux qui les ont exprimées étaient dans leur rôle, mais je n'éprouve aucune gêne à vous dire, mes chers collègues, que nous sommes bien, nous aussi, dans le nôtre aujourd'hui.
Le fait que les partenaires sociaux se saisissent de tel ou tel sujet n'exclut absolument pas que le Gouvernement propose au Parlement de légiférer sur les thèmes qu'ils ont abordés. À cet égard, la position commune du 9 avril 2008 n'aborde pas, ou très peu, la question du temps de travail.
Dont acte. Le Gouvernement reprend donc la main, et le Parlement légifère. Je ne vois pas ce qu'il y a là d'anormal ou de désobligeant à l'égard de qui que ce soit. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
En outre, nous légiférons sur un projet de loi qui, à mes yeux, fera date dans l'histoire des relations sociales de notre pays. C'est en effet le premier texte qui aura fait évoluer les règles de la représentativité syndicale, figées depuis 1966, voire 1950.
L'adoption du texte permettra de développer la négociation collective dans les entreprises. Ce projet de loi contribue en effet à approfondir la réforme du dialogue social, à l'oeuvre depuis 2002, en redonnant une nouvelle légitimité aux acteurs sociaux, légitimité fondée démocratiquement car reposant avant tout sur l'expression des salariés. C'est d'ailleurs du lieu même de l'expression des salariés, de leur entreprise, que procédera désormais cette nouvelle légitimité. Elle aura avant tout vocation à s'appliquer dans les entreprises, poursuivant dans la voie tracée par la loi du 4 mai 2004 qui a permis aux accords d'entreprise de déroger aux accords de branche. (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Ce projet de loi bouleverse l'ordre établi depuis des décennies en donnant directement aux salariés et aux employeurs la clef de la négociation.
Ce projet de loi constitue également une avancée majeure dans le renforcement de la participation effective des salariés au devenir de leur entreprise, en les associant davantage par le dialogue social et la négociation à sa bonne marche, et finalement à son destin. En cela, il répond parfaitement aux aspirations des Français, qui réclament d'être plus et mieux impliqués dans les décisions qui les concernent au niveau de leur entreprise. Les Français ont compris que le sort de l'emploi et de la compétitivité de notre pays était intimement lié à la bonne santé des entreprises,…
…et ils souhaitent vivement contribuer à leur réussite. Contrairement à ce que certains voudraient nous faire croire, la valeur travail est loin d'avoir perdu son sens,…
…et je crois que le succès, désormais indéniable, du dispositif des heures supplémentaires mis en oeuvre dans le cadre de la loi TEPA, tend à prouver que les intérêts des salariés et des entreprises se rejoignent davantage qu'ils ne s'opposent.
Monsieur Gremetz, recouvrez votre calme et laissez s'exprimer M. le rapporteur pour avis.
Je suis très calme, monsieur le président, mais je ne supporte pas le mensonge.
Il est logique que le Gouvernement ait souhaité aller au bout de sa démarche en ne se contentant pas des avancées proposées dans le cadre de la position commune du 9 avril 2008 sur le temps de travail.
Je le disais en introduction de mon propos : rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, ces deux sujets sont liés. Le Président de la République l'avait déjà affirmé avec force dans son discours du 19 décembre : « Si on veut donner plus de place au dialogue social, il faut que chacun prenne ses responsabilités [...] dans le domaine particulier du temps de travail, […] qu'on le fasse en confiance avec les salariés et les partenaires sociaux pour qu'ils aient plus de choix en la matière ». C'est exactement l'ambition que porte ce projet de loi : redonner aux acteurs du dialogue social une nouvelle légitimité et rendre à la négociation collective son rôle premier en matière de régulation sociale. Il faut donner aux entreprises les moyens de négocier et leur ouvrir des champs de négociation : telle est la méthode de ce projet de loi qui, logiquement, après avoir donné aux entreprises les moyens de développer le dialogue social en leur sein, leur offre un sujet majeur de négociation : l'organisation du temps de travail.
La seconde partie du projet de loi découle donc intrinsèquement de la première, puisqu'elle constitue une déclinaison de cette nouvelle liberté donnée aux acteurs sociaux de négocier dans l'entreprise. (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Le thème de négociation n'a pas été choisi au hasard : après l'expérience hasardeuse des 35 heures, il était en effet temps de redonner du champ à la négociation collective dans le domaine du temps de travail. C'est aujourd'hui, mes chers collègues, une nécessité économique : la mission d'information commune sur l'évaluation des conséquences économiques et sociales de la législation sur le temps de travail, que présidait Patrick Ollier, et dont le rapporteur était Hervé Novelli, avait, dès 2004, dressé un constat très précis des conséquences négatives de la réduction du temps de travail. (Protestations sur les bancs du groupe de la gauche démocrate et républicaine.) Les travaux récents du Conseil d'analyse économique confirment l'urgence d'une simplification du droit de la durée du travail, notamment en matière de durées maximales du travail et d'heures supplémentaires, qui sont, je cite les auteurs du rapport, d'une « complexité inouïe » et « ne se justifient ni par un objectif de protection de la santé des travailleurs, ni par le souci d'empêcher leur surexploitation ». À cet égard, les Français sont lucides : tout en plébiscitant les 35 heures comme une avancée sociale, ils considèrent néanmoins qu'elles ont représenté un frein à la compétitivité des entreprises et à la hausse des salaires.
Le projet de loi répond ainsi aux besoins des entreprises et des salariés en leur permettant de travailler plus,…
…afin, pour les unes, d'accroître leur compétitivité, et, pour les autres, de gagner plus, et donc d'augmenter leur pouvoir d'achat. Il prévoit en effet de réformer et de simplifier drastiquement les dispositions du code du travail relatives aux heures supplémentaires, aux conventions de forfait et à l'aménagement du temps de travail.
Le projet de loi, je le rappelle très fortement, ne remet pas en cause la durée légale du travail effectif, qui est inchangée (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)…
…et qui reste la référence pour le déclenchement des heures supplémentaires, et donc des majorations qui leur sont applicables.
En revanche, il place l'entreprise au coeuvre des différentes formes de flexibilité introduites dans le droit de la durée du travail depuis les lois Aubry.
Pour toutes ces raisons, la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire a émis un avis favorable à l'adoption du projet portant rénovation du dialogue social et réforme du temps de travail, lors de sa réunion du 25 juin 2008, sous réserve de l'adoption de quelques amendements tendant aux modifications suivantes : à l'article 1er, fixation d'un délai de trois ans pour la conclusion d'accords sur la représentativité des organisations d'employeurs ; à l'article 2, appréciation de la représentativité des syndicats au niveau du groupe par addition de l'ensemble des suffrages obtenus dans les entreprises ou établissements concernés, et, au même article, élargissement de la composition du Haut conseil du dialogue social à deux parlementaires – un par assemblée.
En outre, à l'article 3, un amendement préconise d'intégrer les salariés mis à disposition dans le décompte des effectifs de l'entreprise dans laquelle ils travaillent, sous condition d'une présence physique effective d'une durée minimale d'un an au moment du décompte pour être électeur et de vingt-quatre mois pour être éligible. Aux articles 5 et 7, il s'agit de deux amendements de précision. À l'article 8, il est proposé une reformulation des dispositions relatives au financement du dialogue social afin de laisser plus de place à la négociation pour définir la forme que doit prendre la contribution financière des entreprises, ainsi qu'une précision sur les informations à apporter aux salariés en matière de mise à disposition. À l'article 14, il est suggéré la mise en place de dates d'entrée en vigueur différenciées pour les dispositions relatives à la transparence financière des organisations syndicales, avec une mise en oeuvre dès 2009 des obligations concernant la tenue de comptes. Après l'article 15, il est demandé le versement obligatoire, au cours du mois, de la rémunération versée par l'employeur au titre du congé de formation syndicale. À l'article 16, il est préconisé des dispositions sur l'information et la consultation des institutions représentatives du personnel en matière d'heures supplémentaires. À l'article 17, il s'agit d'un amendement de précision sur la rémunération des salariés en forfait en heures sur la semaine ou sur le mois. Enfin, il est suggéré d'instaurer un plafond annuel applicable, à défaut d'accord, dans le cadre des forfaits en jours.
En conclusion, j'ai la conviction que nous nous situons à un tournant historique des relations sociales dans notre pays. (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Grâce à ce projet de loi, les lignes vont bouger et notre modèle social va enfin évoluer, car la société évolue : les conditions de travail évoluent, les relations au sein de l'entreprise évoluent, le syndicalisme évolue,…
…passant d'une culture de conflit et d'avantages sociaux acquis par la lutte à une logique de négociation et du donnant-donnant. Nous ne pouvons que nous en réjouir et apporter notre soutien à ces évolutions. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le débat sera long, donc je serai bref et m'abstiendrai de répéter ce qui vient d'être exposé. Mais je tiens à remercier les deux rapporteurs pour la qualité de leur travail.
Il y a quelques mois, j'étais, avec entre autres Gilles Carrez, en Suède. Nous avons mené des travaux pour préparer un certain nombre de textes. Je me souviens de ce que nous ont dit les représentants des organisations syndicales représentatives suédoises : ils ont du mal à comprendre que les Français préfèrent le débat d'idées à l'épreuve des faits.
Les faits qui constituent l'actualité d'aujourd'hui ne sont pas ceux d'il y a dix ans.
Les tensions sur le pouvoir d'achat, surtout pour les jeunes salariés, et celles qui naissent en outre de la difficulté de trouver de la main-d'oeuvre dans certains secteurs de l'industrie, de l'hôtellerie ou de la restauration, invitent à poser le problème de façon différente d'il y a dix ans. Nous devons l'admettre. Voilà ce que j'appelle « l'épreuve des faits ».
Moi aussi, je suis allé sur le terrain avant ce débat. J'ai ressenti autant d'attente de la part des salariés que de la part des entreprises. Il me semble que ce texte est essentiel pour les salariés, pour les organisations syndicales et leur représentativité, pour la compétitivité de l'économie française,…
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Cela n'a rien à voir !
Enfin, chers amis, il est essentiel pour mettre fin à l'extraordinaire complexité du droit du travail, qui rend la législation actuelle parfaitement insécurisante pour de nombreuses entreprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
C'est la raison pour laquelle, je pense qu'il faut l'aborder avec beaucoup de pragmatisme, en cherchant à rendre aux uns et aux autres une capacité d'adaptation.
J'ai dit que ce texte était essentiel pour les salariés. Ceux-ci souhaitent en effet un vrai débat dans leur entreprise, plus que dans la branche.
Aujourd'hui, les situations peuvent être extraordinairement différentes.
Voilà un an, lorsque nous avons voté la loi TEPA, j'avais déposé avec Gilles Carrez un amendement visant à donner davantage de souplesse à des entreprises dont le contingent d'heures supplémentaires était limité, dans certains cas, à quarante heures.
Dans certains secteurs de l'agroalimentaire, par exemple, les contingents étaient réduits. Et j'ai constaté que les négociations menées à l'époque avec les organisations syndicales ne permettaient pas beaucoup de souplesse, celles-ci ayant tendance à vouloir maintenir le pouvoir à l'échelle des branches, au lieu de déléguer au niveau des entreprises.
Aujourd'hui, un aller-retour est nécessaire entre les unes et les autres. Les salariés souhaitent un débat dans les entreprises. Ils veulent choisir leurs délégués. Leurs besoins sont différents. Or j'entends l'opposition tenir des propos caricaturaux sur la santé.
Le nombre des verrous est beaucoup plus important en France que dans la quasi-totalité des autres pays européens.
La règle des 30 %, celle des 50 % et le mandatement syndical sont des frontières autrement plus difficiles à franchir chez nous, que dans d'autres pays.
Vous comparez la France avec des pays où il est obligatoire de se syndiquer !
Monsieur Muzeau, je connais votre capacité d'écoute ; mais, moi aussi, j'ai écouté les salariés. Je puis vous assurer que certains d'entre eux attendent beaucoup de ce texte, dès lors que des verrous existent.
Enfin, je l'ai dit, le projet de loi est essentiel pour la compétitivité des entreprises. J'ai rencontré les représentants de certaines d'entre elles, ainsi que leurs délégués syndicaux. Je peux citer le cas d'une entreprise de machinisme agricole, secteur en pleine expansion compte tenu de l'évolution des prix alimentaires et agricoles. Si ses marchés ont pu augmenter de 35 %, c'est parce qu'elle avait la possibilité de dégager 220 heures supplémentaires afin de répondre immédiatement au marché. Une entreprise agroalimentaire était, elle, limitée à un contingent de 70 heures.
Elle a dû demander à un inspecteur du travail, au mois de juin, la permission de s'adapter aux besoins du marché, qui peuvent varier en fonction du climat. Y a-t-il un seul pays d'Europe, où il faille demander une telle autorisation à l'inspection du travail ? Je n'en connais aucun ! Ne soyez donc pas excessifs, quand vous parlez de la santé. Il me semble qu'il existe suffisamment de verrous aujourd'hui.
Quant à l'amélioration du pouvoir d'achat, je n'y reviendrai pas : on ne peut pas être vice-champion des pays de l'OCDE pour le faible nombre d'heures travaillées dans une vie, et maintenir en même temps un haut niveau de protection sociale et de pouvoir d'achat. Ayons l'honnêteté et la lucidité de le reconnaître ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
C'est la raison pour laquelle j'exprime la conviction que ce texte est essentiel pour les salariés, pour le pouvoir d'achat,…
…pour la compétitivité et pour simplifier le code du travail.
Je conclurai en citant le propos du ministre à la commission, il y a quelques jours : « Si vous voulez rester aux 35 heures, vous pourrez le faire ; si vous voulez faire des heures supplémentaires, vous pourrez négocier dans l'entreprise. »
C'est ainsi que l'on redonnera à la démocratie sociale en France une capacité de développement qu'elle n'avait pas durant ces dernières années. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
La parole est à M. Alain Vidalies.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous devions débattre aujourd'hui d'un projet de loi sur la démocratie sociale, qui aurait pu nous rassembler. Au contraire, nous allons débattre d'un projet de loi qui marquera d'une pierre noire l'histoire de notre droit social, tant vous avez fait le choix, monsieur le ministre, d'une déréglementation sans précédent des conditions de travail et de la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs.
Le Gouvernement avait invité les partenaires sociaux à négocier sur la représentativité des organisations syndicales de salariés et sur le temps de travail. Dès le début, les organisations syndicales vous ont fait savoir que les deux sujets n'avaient aucun lien particulier. Elles ont néanmoins accepté, à l'article 17 de la déclaration commune, d'inscrire, à titre expérimental, la possibilité de déroger, par accord d'entreprise majoritaire, au contingent annuel d'heures supplémentaires. Les syndicats signataires et le MEDEF ont ainsi déterminé leur priorité en termes d'aménagement du temps de travail dans l'entreprise.
Je veux bien admettre, monsieur le président de la commission, que vous défendiez mieux qu'elles-mêmes les intérêts des entreprises, mais la réponse des partenaires sociaux vous a été donnée dans cet accord, à l'article 17 de la déclaration commune.
Nous étions favorables au respect de cet accord et à sa transcription dans la loi. Mais le Président de la République, l'UMP et le Gouvernement ont décidé de profiter de la situation pour proposer un texte dont la radicalité marque une rupture brutale…
…avec tous les discours qui avaient été tenus sur la place de la négociation sociale et sur la protection de notre contrat social.
Ceux qui, pendant la campagne présidentielle, n'hésitaient pas à invoquer Blum ou Jaurès se présentent aujourd'hui comme de vieux adeptes d'Adam Smith. Ainsi, au moment où, face aux dégâts de la financiarisation de l'économie, la régulation s'impose partout dans le débat public, la droite française est encore dans les vieilles lunes libérales de la déréglementation et de l'individualisation des relations sociales. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. – Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Seule une vision idéologiquement réactionnaire, voire un peu ringarde, peut expliquer l'aventure que votre projet de loi propose à la France, et dont les victimes désignées d'avance sont des millions de salariés.
Vous saviez parfaitement que les organisations syndicales de salariés étaient divisées sur la définition des critères de représentativité. Alors, dès que cette division attendue s'est concrétisée, vous vous êtes délibérément engouffrés dans la brèche, en ajoutant au texte sur la représentativité des dispositions relatives aux conditions de travail, dont vous saviez qu'elles seraient unanimement rejetées et susceptibles, en d'autres circonstances, de provoquer un mouvement social de grande ampleur.
Je conçois la jubilation que vous inspire ce bon coup, mais vous auriez tort de vous réjouir trop vite car, demain, face à la réalité, vous récolterez la sanction légitime…
…d'une démarche dont la médiocrité sur la forme n'a d'égal que la dangerosité sur le fond. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et sur quelques bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
La première victime sera naturellement la négociation sociale. Mais la trahison des partenaires sociaux est un fusil à un coup, et vous avez utilisé toutes vos cartouches.
Comment ceux que vous trahissez aujourd'hui, pourraient-ils, demain, vous faire confiance ? Votre parole n'a désormais plus de valeur que dans le carcan des intérêts et de l'idéologie de l'UMP.
Vous nous expliquez sans rire, monsieur le ministre, que vous avez été contraint de prendre cette initiative, parce que le résultat de la négociation ne correspondait pas à votre attente. Mais à quoi sert-il de négocier, si le résultat est fixé d'avance ? À quoi sert-il de négocier, si la seule issue possible est le bon vouloir du Gouvernement et de l'UMP ?
Vous avez une conception pour le moins singulière du rôle des partenaires sociaux ! Au bout de trois mois, vous décidez que la négociation sur le temps de travail a assez duré. Mais l'enlisement, pendant trois ans, de celle qui concerne la pénibilité du travail vous laisse sans réaction. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
C'est faux ! Mettez vos fiches à jour !
À présent, nous connaissons votre approche du rôle de la négociation sociale, et les syndicats sont désormais prévenus. Signer un accord sur un sujet soumis à la négociation par le Gouvernement, c'est comme signer un chèque en blanc, dont le Gouvernement et l'UMP décideront ensuite, seuls, du montant. Voilà pourquoi nous vous demandons aujourd'hui de respecter la déclaration commune et de retirer de votre projet de loi les articles 16, 17, 18 et 19,…
…qui dénaturent totalement l'objectif et le résultat de la négociation.
Votre initiative de faire un coup politique sur ce texte est d'autant plus intempestive que nous aurions pu débattre, dans un certain consensus, du résultat de la négociation sur la représentativité et de la valeur des accords collectifs.
Depuis plusieurs années, le parti socialiste a rendu publiques sa conception et ses propositions pour rénover en profondeur notre démocratie sociale. Nous avons dénoncé depuis longtemps l'archaïsme d'un système de représentativité octroyé par décret, et de l'existence d'accords minoritaires aux pouvoirs normatifs pour l'ensemble des salariés, alors que, à l'évidence, la représentativité syndicale ne peut résulter que du vote des salariés – de tous les salariés.
C'est pourquoi, sans rien ignorer du débat légitime entre les organisations syndicales, nous avions évoqué le choix du scrutin prud'homal, qui avait l'avantage de permettre à tous les salariés, y compris à ceux des petites entreprises, d'exprimer leur choix et, au surplus, le même jour.
L'argument d'un vote et d'une représentativité mesurée dans l'entreprise, c'est-à-dire au plus près de l'action syndicale, conserve toute sa force. C'est le choix fait par les signataires de la déclaration commune, et nous le respectons.
La liberté de candidature au premier tour des élections dans l'entreprise s'impose logiquement, dès lors que celles-ci serviront de référence pour mesurer la représentativité. Nous nous sommes clairement exprimés sur le choix de l'accord majoritaire à tous les niveaux pour toute validation. Les signataires de la déclaration commune ont avancé dans cette voie, retenant le principe d'une validation des accords par des syndicats représentant 30 % des salariés et en l'absence d'opposition majoritaire.
Nous respectons cette disposition, même si l'objectif de l'engagement majoritaire doit rester dans le débat, comme la question de la représentation des salariés dans les petites entreprises. Les partenaires sociaux ont choisi de poursuivre la négociation sur ce point. Nous espérons qu'elle aboutira réellement et que le Gouvernement n'en profitera pas pour faire à nouveau un mauvais coup. Il est en effet urgent, dans notre pays, de ne plus laisser 4 millions de salariés hors de toute représentation.
Le texte adopté par le Gouvernement en conseil des ministres respectait le contenu de la déclaration commune, et nous n'avions pas d'observations particulières à formuler sur le fond. Toutefois, le rapporteur et la majorité UMP de la commission des affaires culturelles ont décidé qu'il n'en serait pas ainsi, car manifestement, selon eux, tous les coups sont permis !
Le texte du Gouvernement était-il si mal rédigé que, sur la seule première partie du texte, le dépôt de près de 70 amendements puisse se justifier ?
Pourquoi réorganiser l'ordre des critères de la représentativité, et notamment rétrograder celui de l'influence, en contradiction avec le résultat même de la négociation ?
Au mieux cela ne sert à rien ; au pire, c'est une violation de l'accord.
Est-il vraiment opportun, dans un texte consacré à la démocratie sociale, de restreindre la prise en compte des salariés non permanents dans le calcul des effectifs pour la mise en place des institutions représentatives du personnel ? Voilà qui est tout de même extraordinaire !
N'est-il pas incohérent de souhaiter une avancée sur la représentation des salariés dans les petites entreprises et, insidieusement, de renvoyer par voie d'amendement l'application de l'accord conclu par l'Union professionnelle artisanale, l'UPA, à des horizons lointains ?
Il s'agit d'ailleurs d'une constante de la politique de l'UMP. Alors que toutes les organisations syndicales et les employeurs, représentant 800 000 entreprises artisanales, se sont mis d'accord sur le financement du dialogue social, n'est-il pas extraordinaire que, sept ans plus tard, nous en soyons toujours à nous demander à partir de quelle date cet accord sera appliqué ?
Cet exemple aurait dû alerter depuis longtemps l'opinion publique sur votre conception à géométrie variable du respect de la démocratie sociale.
Nous nous interrogeons sur de nombreux amendements du rapporteur et de la commission. Nous attendons d'être éclairés quant à leur portée au cours du très long débat qui s'annonce. Mais, à l'issue de cette discussion – pour l'essentiel, ce sont les amendements que la majorité a déposés sur le texte du Gouvernement qui la rendent nécessaire –, nous entrerons dans un autre monde, celui de la déréglementation des conditions de travail. Et nous aurons alors adopté un texte d'un autre temps.
Cette déréglementation massive s'organise autour de la suppression du contrôle et de la consultation de l'inspection du travail, de la primauté de l'accord d'entreprise sur l'accord de branche, du développement des conventions de gré à gré entre le salarié…
…et l'employeur, et de la suppression de normes réglementaires, notamment pour la protection de la santé des travailleurs.
Le repos compensateur n'est pas une mesure d'aménagement du temps de travail mais une disposition de protection de la santé des salariés ; il n'est pas issu de la loi sur les 35 heures.
Vous voulez sortir du « carcan » des 35 heures, mais le repos compensateur n'a rien à voir avec cette durée. Si nous débattions de ce sujet et que l'horaire légal était toujours fixé à 39 ou 40 heures, la question du repos compensateur se poserait dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui, puisque son institution remonte à une loi adoptée à la fin des années 70. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Vous dites que vous ne changez rien, mais vous supprimez purement et simplement le repos compensateur obligatoire au-delà de la quarante et unième heure dans les entreprises de plus de vingt salariés. Je n'invente rien, cette disposition se trouve bien dans le projet de loi ! Le concept même de repos compensateur disparaîtra alors de la loi au profit de la notion de contrepartie obligatoire en repos, dont le contenu et les modalités sont renvoyés à la négociation d'entreprise. Il n'existera plus aucun minimum fixé par la loi et le dépassement du contingent annuel des heures supplémentaires ne sera plus soumis à l'accord de l'inspecteur du travail ou à la consultation préalable des représentants du personnel.
Rien n'empêche alors, puisqu'il n'y aura plus aucune règle, de fixer cette contrepartie obligatoire en repos à quelques minutes ! Aucun garde-fou n'existe plus ! La loi de la jungle s'appliquera pour chaque négociation et vous devinez dans quelles conditions elles se dérouleront !
Si nous adoptons ce projet de loi, la seule protection dont bénéficieront encore les salariés sera la limitation de la durée du travail à 44 heures, en moyenne, sur douze semaines consécutives. Il s'agit d'ailleurs du seul exemple que vous ayez trouvé, monsieur le ministre, et pour cause : c'est la seule limite qui subsiste. Dès lors, rien n'empêche qu'un accord d'entreprise fixe au maximum – soit 417 heures dans l'année – le plafond des heures supplémentaires.
Je rappelle que le plafond des heures supplémentaires est aujourd'hui de 220 heures. Or seulement 38 % des salariés font des heures supplémentaires et la moyenne des heures effectuées est de 55 heures. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Vous nous proposez pourtant d'augmenter ce plafond comme s'il s'agissait de la question majeure qui se pose aujourd'hui aux entreprises.
Ce texte ne correspond donc à aucune réalité économique, il est purement idéologique !
Sa mise en oeuvre se fera à marche forcée puisque vous avez décidé que tous les accords de branche et d'entreprise seront caducs dès le 1er janvier 2010 et qu'une renégociation obligatoire – c'est cela votre respect des partenaires sociaux ! – sur le contingent d'heures supplémentaires devra intervenir dans ce nouveau cadre législatif, c'est-à-dire uniquement au niveau de l'entreprise et pratiquement sans aucune limite.
Après la remise en cause du repos compensateur et la fixation d'un plafond d'heures supplémentaires qui les rend quasiment illimitées, vous poursuivez votre oeuvre en modifiant considérablement le champ d'application du forfait heures et du forfait jours.
Pour le forfait jours, le projet de loi propose, tout simplement, de donner à l'employeur la possibilité de fixer unilatéralement le nombre maximal de jours travaillés. En l'état du texte que vous avez osé nous présenter, on passerait ainsi de 218 à 282 jours, puisque la seule limite est constituée des 52 dimanches et 30 jours ouvrables de congés payés annuels, auxquels s'ajoute le 1er mai.
Le dispositif proposé permet à un employeur de faire travailler des salariés soumis au forfait jours 282 jours par an avec une moyenne hebdomadaire pouvant aller jusqu'à 80 heures ! Vous savez pourtant parfaitement qu'à plusieurs reprises le Conseil de l'Europe a retenu que le dispositif de la loi française sur les forfaits jours était contraire à la Charte sociale européenne en raison de la durée excessive du travail hebdomadaire. Avec cette nouvelle législation, nous nous mettrons carrément au ban de l'Europe pour le respect des conditions de travail et de la Charte sociale, que nous avons pourtant signée.
Il est notable que vous ayez choisi ce 1er juillet, premier jour de la présidence française l'Union européenne, pour nous présenter un texte dont la principale caractéristique est de violer délibérément la Charte sociale européenne ! Les Européens apprécieront ce signe fort ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Pour le forfait annuel en heures, des millions de salariés vont être confrontés à cette déréglementation puisque, désormais, elle sera applicable à tous les salariés qui disposent d'une réelle autonomie dans leur emploi du temps. Avec une définition aussi vague, la porte est grande ouverte à l'utilisation massive de cette formule. Je rappelle que la notion même de contingent d'heures supplémentaires n'est pas applicable au forfait annuel en heures et que, par voie de conséquence, les salariés pourront effectuer en pratique 417 heures supplémentaires sans aucun repos compensateur.
Vous nous proposez ensuite de remplacer les quatre modèles actuels de modulation du temps de travail par un seul système qui, sous les apparences de la simplification, se révèle, une fois encore, un véritable démantèlement des droits des salariés.
Je ne prendrai que l'exemple des entreprises qui travaillent en continu. Le nouvel article L. 3122-3 donnerait le pouvoir unilatéral à l'employeur d'organiser le temps de travail sur plusieurs semaines. Que se passera-t-il si l'employeur, par une décision unilatérale, fixe, comme il en a le droit, la limite haute à 48 heures hebdomadaires ? Le résultat sera très simple. Il n'y aura jamais d'heures supplémentaires possibles pour les salariés.
Outre la déréglementation à tout va, le fil rouge de votre réforme est la priorité donnée à l'accord d'entreprise. Les accords de branche deviennent supplétifs, en l'absence d'accords d'entreprise. Le principe de faveur qui permettait aux salariés de bénéficier des dispositions plus favorables d'un accord de branche est abandonné au profit de l'application obligatoire de l'accord d'entreprise, même moins favorable, pour tout ce qui concerne le contingent d'heures supplémentaires, le repos compensateur, les modalités d'organisation du temps de travail. Il ne sera même plus possible pour l'accord de branche de prévoir lui-même son application obligatoire au niveau inférieur puisque votre projet de loi ne prévoit plus sa prise en compte qu'à défaut de signature d'un accord d'entreprise.
Ce projet de loi inverse la hiérarchie des normes puisque, pour la première fois, est affirmée la supériorité de l'accord d'entreprise. Or vous êtes parfaitement conscient de la conséquence immédiate de ce bouleversement, à savoir l'émiettement, l'atomisation des règles d'organisation du temps de travail. Les règles sociales vont ainsi devenir un élément de concurrence entre les entreprises d'une même branche.
Que pourront faire les salariés d'une entreprise soumis au chantage d'un alignement par le bas sur un accord accepté dans une entreprise voisine ? Il n'y aura alors guère de négociation possible puisque c'est leur emploi qui sera en cause. Avec votre projet, le dumping social sera au rendez-vous et la négociation d'entreprise s'effectuera toujours sous la contrainte des accords socialement les plus défavorables. On peut facilement imaginer comment vont se dérouler de telles négociations.
Nous avons sur ce point une vraie divergence politique de fond dans nos approches respectives.
Nous pensons, au contraire de vous, que l'accord de branche doit retrouver toute sa place. Sa supériorité sur l'accord d'entreprise doit être affirmée dans le respect du principe de faveur, pour le cas où l'accord d'entreprise apporte une amélioration par rapport à l'accord de branche.
Votre choix de privilégier l'accord d'entreprise est d'autant plus contestable qu'il constitue une prise de risque majeure au regard des décisions récentes de la Cour de justice européenne : les arrêts Viking, Laval et Rüffert. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Dans les deux premiers, la Cour a donné raison à des entreprises qui protestaient contre des mouvements de grève de travailleurs finlandais et suédois, lesquels s'opposaient au non-respect de leurs conventions d'entreprise par des entreprises d'origine estonienne et lettonne. Elle a sanctionné ces mouvements sociaux au nom de la libre prestation de service.
L'affaire Rüffert concerne une entreprise de construction allemande ayant sous-traité, sur le sol allemand, une partie de son activité à une société polonaise. Or cette dernière avait versé à ses salariés moins de la moitié du salaire prévu par la convention collective allemande. La Cour de justice européenne a légalisé cette pratique en vertu de la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs.
Cet arrêt est particulièrement intéressant parce que la Cour de justice écarte la convention collective allemande au seul motif qu'elle n'était pas d'application générale. En d'autres termes, si des minima salariaux avaient été prévus par une loi ou par une convention collective d'application générale, le prestataire de services polonais aurait été contraint d'appliquer ces minima à ses salariés.
Tous les commentaires publiés par les professeurs de droit du travail relèvent que, heureusement, les salariés français sont protégés par les conventions collectives d'application générale, au sens de l'arrêt de la Cour de justice européenne.
Or c'est justement le moment que vous choisissez pour affirmer la prééminence de l'accord d'entreprise qui, faute d'application générale, ne permettra plus aux salariés français de disposer d'aucune protection contre le dumping sur les conditions de travail éventuellement pratiqué par les entreprises étrangères.
Vous porterez l'entière responsabilité de ces errements. Il est vrai que vous les assumez, dès lors que, dans le même temps, vous avez accepté la nouvelle directive européenne sur le temps de travail, laquelle légalise notamment l'opt out qui, dans certains pays, permet, par une convention de gré à gré, de faire travailler les salariés jusqu'à 60 heures par semaine. Il s'agit néanmoins d'une véritable volte-face du gouvernement français. Il semble en effet déjà loin le temps où Gérard Larcher, alors ministre du travail, affirmait, en 2006, devant notre assemblée : « La France refuse cette dérive. Il y va de la crédibilité du modèle social européen et de la protection de la santé des travailleurs. »
Déréglementation en Europe et acceptation en France, avec ce projet de loi, des conséquences prévisibles de la jurisprudence de la Cour de justice européenne : votre oeuvre est complète. Vous préparez aux salariés français un avenir placé sous la contrainte de la concurrence et de l'alignement permanent par le bas de nos règles sociales.
Par ailleurs, votre projet de loi porte atteinte à la Constitution, puisque vous abandonnez à la négociation d'entreprise la définition du repos compensateur, rebaptisé pour les besoins de la cause « contrepartie obligatoire en repos ». Dans sa décision du 29 avril 2004 sur la loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, le Conseil constitutionnel a en effet indiqué : « Considérant qu'aux termes du onzième alinéa du préambule de la Constitution, la Nation garantit à tous la protection de la santé, qu'il est loisible au législateur statuant dans le domaine qui lui est réservé par l'article 34 de la Constitution d'adopter des modalités nouvelles dont il lui appartenait d'apprécier l'opportunité, que cependant l'exercice de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel… »
J'ajoute que, à l'époque, dans sa réponse au Conseil constitutionnel, le Gouvernement lui-même observait que « la loi déférée n'a nullement pour objet de permettre aux accords collectifs de déroger aux dispositions impératives résultant de la loi ou du règlement, notamment en matière de santé et de sécurité au travail ».
Or, aujourd'hui, vous faites disparaître le repos compensateur du code du travail pour confier, sans prescription particulière, aux accords d'entreprise le soin d'édicter des règles qui relèvent par nature de la responsabilité du législateur, au sens de l'article 34 de la Constitution. Il s'agit donc d'un cas manifeste d'incompétence négative, qui viole délibérément les dispositions du onzième alinéa du préambule de la Constitution.
Le Gouvernement et l'UMP ont affirmé vouloir sortir, avec ce projet de loi, du « carcan des 35 heures ».
Je sais bien que c'est un thème obligé pour vous faire acclamer à la fin des banquets de l'UMP, mais vous ne nous empêcherez pas de vous rappeler quelques réalités.
Que cela vous plaise ou non, les statistiques d'Eurostat révèlent que c'est entre 1998 et 2002 que l'emploi salarié a le plus progressé en France et que 350 000 emplois ont été créés entre 1999 et 2001.
Votre discours ordinaire consiste à rendre les 35 heures responsables d'un taux de chômage supérieur en France à ce qu'il est dans certains pays voisins européens. Or la réalité est bien différente, car c'est surtout le recours au travail à temps partiel qui explique ces statistiques flatteuses. Évidemment, si vous portez le nombre de salariés à temps partiel à 23 %, comme en Grande-Bretagne, vous aurez mécaniquement 700 000 chômeurs de moins, mais vous aurez aussi créé 700 000 travailleurs pauvres supplémentaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
C'est bien l'un des mérites essentiels de la loi sur les 35 heures que d'avoir freiné cette dérive. Du reste, c'est cette analyse qui prévaut dans une note d'octobre 2007 du Conseil d'analyse économique auprès du Premier ministre, puisqu'on lit dans ce document que « la forte baisse de la durée moyenne annuelle du travail en France se caractérise par une réduction de la durée moyenne du travail des salariés à temps plein alors que, dans les autres pays, cette baisse est imputable au développement du temps partiel ». Voilà pourquoi, nous avons une durée moyenne du travail au total assez proche de celle de nos voisins, tout en étant préservés de la précarisation que constitue le développement massif du temps partiel subi.
Vous avez inscrit votre projet de loi dans la perspective d'une sortie du « carcan des 35 heures ». En vérité, vous remettez en cause l'organisation même des conditions de travail, ce qui aura des conséquences prévisibles sur la santé et les conditions de vie, notamment la vie de famille, de millions de salariés.
De la flexisécurité, vous ne retenez que la flexibilité à outrance. Vous avez fait le choix de la fuite en avant dans le moins-disant social. Ce n'est pas du « carcan des 35 heures » que vous nous proposez de sortir, mais du « carcan » de pans entiers du code du travail, du « carcan » du contrat social qui faisait encore la spécificité de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Face à cette agression sans précédent, le groupe socialiste radical et citoyen vous demande, mes chers collègues, de voter l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Dans les explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité, la parole est à M. Bernard Perrut, pour le groupe UMP.
M. Vidalies, dont nous avons écouté attentivement l'intervention, a estimé que ce texte marquerait d'une pierre noire l'histoire de notre droit social. Quel excès, quand il s'agit d'une avancée sans précédent de la démocratie sociale !
Il a également évoqué une « rupture », une « vision réactionnaire ». Quel excès, là encore, quand on connaît les réalités de l'entreprise, les attentes des salariés, leur besoin de pouvoir d'achat et la volonté de nos concitoyens de travailler plus pour gagner plus !
Vous êtes même allé, monsieur Vidalies, jusqu'à dire que nous violions la Charte sociale européenne (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Faisiez-vous référence à l'article 1er sur le droit au travail, à l'article 5 sur le droit syndical et à l'article 26 sur le droit à la dignité au travail ? Toujours est-il que vous avez oublié de mentionner que la Charte sociale européenne, que nous avons adoptée, affirme quelques grands principes : « tous les travailleurs et employeurs ont le droit de négocier collectivement » et toute personne doit avoir la possibilité « de gagner sa vie par un travail librement entrepris ». Ce texte ne viole aucunement ces grands principes européens.
Il ne porte pas davantage atteinte à la Constitution, car les garanties légales, qui sont celles du droit du travail, sont bien maintenues. Nous ne remettons pas en cause les règles applicables en matière de santé et de sécurité.
Que faites-vous du droit au repos compensateur ? Savez-vous seulement ce que c'est ?
Nous voulons sortir d'un carcan et simplifier un certain nombre de dispositions.
Par ailleurs, ce texte s'inscrit dans le droit fil du dispositif mis en oeuvre par le projet de loi de modernisation du dialogue social, que nous avons adopté à la fin de la précédente législature et dont j'étais le rapporteur. Le Gouvernement a respecté les principes édictés dans cette loi en incitant les acteurs de la démocratie sociale à engager un dialogue.
Rénovation, légitimation et simplification : tels sont, comme l'a rappelé notre excellent rapporteur, les maîtres mots de ce texte essentiel. Il est en effet indispensable que nous puissions revoir les critères de la représentativité des syndicats et nous pencher sur la question de leur financement. Nous avons également souhaité que des négociations soient ouvertes sur le temps de travail et, dans ce domaine, nous prenons nos responsabilités, puisque le texte recentre sur l'entreprise de nombreux éléments de l'organisation du temps de travail.
Ne fallait-il pas en finir avec le carcan et le labyrinthe législatif issu des lois sur les 35 heures,…
…quand on sait la complexité considérable qu'elles imposent aux entreprises ?
Et les partenaires sociaux ne sont-ils pas les mieux placés pour en décider dans un cadre adapté aux besoins des entreprises et aux attentes des salariés ?
Le groupe UMP rejettera l'exception d'irrecevabilité, parce qu'elle est sans fondement et parce que ce texte est bon pour le droit du travail, pour l'économie et pour la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
La parole est à M. Roland Muzeau, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Lorsque nous avons constaté que le premier texte inscrit à l'ordre du jour de la session extraordinaire portait sur la position commune signée par la CGT, la CFDT et deux grandes organisations patronales, nous avons pensé qu'il pourrait donner lieu à un débat intéressant, qui permettrait d'aborder enfin des questions que les partenaires sociaux nous demandent de traiter depuis des décennies.
Vous étiez contre !
Ne soyez pas si pressé, monsieur Bertrand : je vous dirai plus tard tout le mal que je pense de certaines dispositions.
Nous considérions, disais-je, que ces avancées en matière de dialogue social pouvaient donner lieu à un débat constructif, en commission et en séance publique. Mais il y a eu cette bataille intestine au sein de l'UMP (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)…
N'avez-vous donc pas suivi l'actualité ? Je vais vous rappeler la chronologie des événements. Le président de l'UMP, M. Devedjian, a d'abord exigé la fin des 35 heures. Puis M. Raffarin l'a contredit, en tenant des propos plus modérés. Enfin, M. Bertrand a été chargé de réaliser la synthèse – ce à quoi il n'est pas habitué – et de satisfaire, quoi qu'il en dise, les appétits du patronat en matière de temps de travail et de protection des salariés, dans leur vie professionnelle comme dans leur vie privée et familiale.
Vous savez que la quasi-totalité de nos débats portera sur les dispositions des articles 16, 17, 18 et 19. Vous connaissez également notre opposition totale à ces dispositions inacceptables, contre lesquelles l'ensemble des organisations représentatives des salariés, notamment les deux syndicats signataires, la CFDT et la CGT, sont vent debout.
Certaines dispositions ne peuvent pas, en effet, laisser indifférents les représentants de la nation, les législateurs, que nous sommes. Vous vous apprêtez ainsi à remettre en cause un principe essentiel du droit du travail français en inversant la hiérarchie des normes, puisque l'accord de branche deviendrait subsidiaire de l'accord d'entreprise. Votre texte dénonce également tous les accords précédents sur la durée du travail au 31 décembre 2009 ; or ceux-ci obéissaient la plupart du temps, vous l'oubliez trop facilement, à la règle majoritaire. Il donne aux employeurs la possibilité de se passer d'un accord avec les syndicats et de déréglementer le temps de travail soit par décision unilatérale, soit par convention de gré à gré : c'est l'opt out à la française. Quant aux forfaits-jours des cadres et salariés itinérants, ils ne seraient plus soumis au maximum de 218 jours par an : en l'absence d'accord d'entreprise ou de branche, ils pourraient être imposés par convention individuelle modifiant le contrat de travail. La France torpillerait ainsi les accords internationaux, notamment européens.
Vous dites, monsieur le ministre, vouloir bâtir une politique fondée sur la parole donnée et la retranscription intégrale des documents émanant d'une position commune ou d'un accord interprofessionnel – et à ce titre, vous avez maintes fois souligné, à l'Assemblée comme au Sénat, à quel point il était important pour le Parlement de ne pas toucher à la moindre virgule du texte issu de l'un de ces accords. Mais aujourd'hui, alors qu'une position commune a été signée par deux syndicats de salariés représentant la majorité des salariés à toutes les élections professionnelles et prud'homales, vous prenez fait et cause pour une position dictée par le dogmatisme et l'idéologie, que nous combattrons durant le débat à venir.
Il va sans dire que nous partageons le point de vue défendu par notre collègue Alain Vidalies et que nous voterons sans hésiter la motion qu'il a présentée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Sur le vote de l'exception d'irrecevabilité, je suis saisi par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Pour le groupe Nouveau centre, la parole est à M. Francis Vercamer.
J'ai écouté avec intérêt la motion brillamment défendue par M. Vidalies, en qui chacun reconnaît un fin connaisseur du code du travail. Son exposé était, j'en conviens, très complet et irréprochable quant à la forme.
Le problème, c'est la position de fond : il faut savoir si l'on veut que l'État régisse tout ou que le dialogue social gère les relations du travail. Certes, la position commune ne prévoyait pas, dans son article 17, ce qui est inscrit dans la loi. Mais ne perdons pas de vue qu'elle n'a été signée que par deux syndicats sur cinq,…
…alors que la loi de 2004 prévoit au moins trois signataires, ce qui pourrait conduire à contester l'ensemble de la position commune, donc l'ensemble du projet de loi. Or M. Vidalies a choisi de ne contester que la deuxième partie, au motif qu'elle a été modifiée par le Gouvernement, ce qui ne me paraît pas justifié.
Le groupe socialiste, qui s'érige facilement en donneur de leçons, a tendance à avoir une vision des choses à géométrie variable. Il semble qu'il ait déjà oublié, par exemple, que la loi Aubry a été votée sans aucune consultation des partenaires sociaux ! Cela étant, je partage son approche sur un certain nombre de points et je présenterai des amendements, notamment sur les seuils – puisque le texte n'en prévoit pas – et sur le rôle que les branches ont vocation à jouer.
Ce texte est basé sur un principe de flexisécurité (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), c'est-à-dire de flexibilité dans l'entreprise, nécessaire pour que les entreprises puissent, dans un cadre défini, se battre contre la délocalisation, contre la mondialisation et contre les entreprises de l'étranger qui ne respectent pas forcément les mêmes règles que leurs concurrentes françaises – je pense au dumping social, essentiellement pratiqué dans les pays d'Asie.
Enfin, j'ai entendu M. Vidalies regretter que le Gouvernement soit resté silencieux sur le chapitre de la pénibilité. Mais il me semble que deux textes sur le droit du travail à examiner durant le mois de juillet, c'est déjà bien suffisant, et que nous pouvons attendre que les partenaires sociaux aient trouvé un accord avant que le Gouvernement ne propose un texte sur ce thème. Le groupe Nouveau centre ne votera donc pas l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, la parole est à M. Régis Juanico.
Je ne vais pas répéter ce qu'a déjà très bien dit Alain Vidalies en défendant notre exception d'irrecevabilité, mais je souhaite insister sur deux points.
Premièrement, monsieur le ministre, nous condamnons votre singulière conception du dialogue social. Car, dans cette affaire, le dialogue social a été bafoué, les partenaires sociaux ont été trahis et, si cette expression n'avait pas été galvaudée par le passé, je dirais qu'ils ont été bernés. Votre conception du dialogue social est à géométrie variable : d'un côté, vous transposez les accords qui vous agréent – par exemple le volet flexibilité de l'accord sur la modernisation du marché du travail –, de l'autre, vous vous montrez moins empressé, notamment lorsqu'il s'agit de transposer l'accord UPA, celui sur les mécanismes de compensation de la pénibilité au travail ou encore ceux portant sur la question des golden parachutes des dirigeants d'entreprise. Enfin, vous piétinez la volonté des partenaires sociaux quand leurs conclusions ne correspondent pas à vos points de vue. C'est le cas avec le fameux titre II de ce projet de loi qui, en dynamitant le code du travail dont il ne modifie pas moins de 60 articles, va enclencher un dangereux renversement de la hiérarchie des normes sociales.
La deuxième raison pour laquelle nous voterons l'exception d'irrecevabilité, c'est que ce projet de loi constitue un recul sans précédent pour les droits des salariés – en France, mais aussi sur le plan européen. Le repos compensateur et toutes les garanties collectives constituant des protections élémentaires – que vous qualifiez de « rigidités » – sont appelés à disparaître purement et simplement du code du travail. Monsieur le ministre, les salariés n'ont pas à faire les frais, au prix de leur santé, de vos prises de position tactiques vis-à-vis de M. Copé ou de M. Devedjian !
Je conclurai en disant que ce projet de loi est un formidable aveu d'échec et une fuite en avant. Vous nous proposez finalement de poursuivre et aggraver une politique qui ne marche pas – ce que vous devriez commencer à comprendre, après vous être tant acharnés : en six ans, vous avez imposé sept modifications de la législation sur la durée du travail ! Aujourd'hui, 20 % seulement des salariés utilisent le contingent d'heures supplémentaires mis en place en 2004, les heures supplémentaires prévues par la loi TEPA sont un échec, tout comme le rachat des RTT ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche – Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur le ministre, vous avez dit en introduction du débat que cette loi serait sans doute historique. Historique, elle le sera, mais dans le sens d'une formidable régression pour des millions de salariés ! C'est la raison pour laquelle notre groupe votera l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Nous allons maintenant procéder au scrutin public, précédemment annoncé, sur l'exception d'irrecevabilité.
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 342
Majorité absolue 172
Pour l'adoption 145
Contre 197
L'exception d'irrecevabilité est rejetée.
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
La parole est à M. Christophe Sirugue.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen de ce projet de loi ne sera pas aisé et sa complexité technique n'est pas seule en cause. Ce qu'il induit comme modèle de société mérite que les Français en soient largement informés.
Au fil de l'examen du texte, plus son bien-fondé nous semblait contestable, plus la réalité de ce qui vous motive réellement, monsieur le ministre, apparaissait au grand jour. « Historique » : voici le terme que vous utilisiez il y a peu devant la commission des affaires sociales pour qualifier votre projet de loi. Au risque de vous surprendre, je partage ce sentiment, mais pour des raisons bien différentes : j'estime pour ma part qu'il restera dans les mémoires comme l'exemple d'un vrai-faux effort pour la démocratie sociale.
Officiellement, vous nous présentez ce texte comme l'emblème d'une démocratie sociale renouvelée. Depuis l'arrivée de M. Sarkozy à la Présidence de la République et votre nomination comme ministre du travail, les déclarations n'ont pas manqué pour tenter d'expliquer qu'une nouvelle ère des relations sociales s'ouvrait dans ce pays et que la concertation devenait pour vous un élément incontournable de la gouvernance. En 2007, vous alliez jusqu'à faire voter un texte imposant de soumettre systématiquement à la concertation des partenaires sociaux toute réforme touchant au code du travail. Fin 2007, vous demandiez vous-même aux partenaires sociaux de négocier sur les règles de la démocratie sociale, ce qu'ils firent pour aboutir à la signature de la position commune entre la CGT et la CFDT d'un côté, le MEDEF et la CGPME de l'autre, accord que le Président de la République s'était engagé à respecter et à transcrire dans la loi.
En réalité, vous avez joué de ruse pour arriver à vos fins. Tous les partenaires sociaux, MEDEF en tête, ont très clairement dit dès le début de leurs travaux qu'ils souhaitaient travailler à la redéfinition de la représentativité mais ne voulaient pas engager le débat sur la durée du temps de travail. Vos menaces de légiférer sur la durée du travail dans l'hypothèse où les partenaires sociaux n'aborderaient pas cette question les ont conduits à s'entendre sur les termes d'une expérimentation. Celle-ci, incluse dans l'article 17 de la position commune, ouvrait la porte à des conditions d'accomplissement des heures supplémentaires au-delà du contingent annuel, qui pourraient être négociées directement dans les entreprises à condition de relever d'un accord signé par des organisations syndicales représentant au moins 50 % des salariés de l'entreprise.
Ces deux critères – l'aspect expérimental et l'adhésion majoritaire – constituent deux garde-fous indispensables. Mais vous avez rejeté ces avancées réelles, optant pour une transcription définie selon votre goût de l'accord conclu le 9 avril 2008, au mépris des principes fondamentaux du respect des partenaires sociaux et du dialogue social.
Pourtant, la démocratie sociale et sa modernisation nécessitent qu'un climat de confiance puisse s'établir durablement entre les organisations syndicales et patronales et le Gouvernement, pour que cette transcription d'accords sociaux dans le cadre de la loi soit le plus souvent possible la règle. Vous avez choisi de transgresser ce principe, déclenchant le début d'une nouvelle ère certes, mais pas celle que vous annonciez : une ère où la parole de l'État n'a plus de sens.
Agir ainsi me semble inopportun et contraire à l'évolution de la démocratie sociale, nécessaire pour que le progrès soit bénéfique aux salariés comme aux entreprises, alors que nous traversons une période d'incertitude économique forte, que traduisent les chiffres de la croissance.
On entend également dire que ce texte serait historique quant à la question des 35 heures. Constitue-t-il effectivement une remise en cause des 35 heures, ce qu'affirment certains membres de l'UMP, mais que le ministre dément régulièrement ? Il va falloir vous mettre d'accord.
Je suis désolé, mais la question posée au travers de ce texte n'est pas celle de la fin des 35 heures ; elle nous serait posée de la même manière si nous en étions à 39, 40 ou, demain, 45 heures avec vos nouvelles mesures. En fait, vous proposez une déréglementation totale du travail, ce que, bien sûr, nous contestons dans la forme comme sur le fond.
La réduction du temps de travail est une orientation de société que nous revendiquons. Loin des positions caricaturales, personne ne peut nier que les négociations autour des 35 heures ont été un formidable révélateur. Elles nous ont d'abord appris que nous pouvions changer. On dit beaucoup que la société française est incapable d'évoluer, qu'elle est sclérosée, enfermée dans ses privilèges et ses habitudes, bonnes et moins bonnes. Eh bien, la réduction du temps de travail a montré que c'était inexact. La société française peut changer, et, en l'espèce, elle l'a fait de manière significative. En l'espace de quelques mois, les entreprises, petites, moyennes et grandes, ont modifié leurs règles de fonctionnement sur un point clef : les horaires de leurs personnels. Non seulement, elles ont changé leurs règles, leur organisation, mais elles ont obtenu de leurs salariés qu'ils changent leurs habitudes. Ce n'était certainement pas gagné d'avance !
Les 35 heures nous ont également révélé beaucoup de choses sur les pratiques des entreprises, car nous avons souvent observé un écart important entre les règles, le droit du travail, et les pratiques réelles. Dans nombre d'entreprises, le plus difficile a été, non pas de négocier la réduction du temps de travail, mais d'organiser le retour au respect du droit du travail.
Beaucoup se sont lancés dans une tentative de bilan et les positions sont aujourd'hui si tranchées qu'on a parfois l'impression que les 35 heures sont à l'origine de toutes nos difficultés. Si tel était le cas, je ne comprends pas, qu'alors que vous êtes au pouvoir depuis 2002, vous n'ayez pas engagé leur suppression plus promptement.
À ne vouloir regarder que ce qui plaide votre cause, vous en oubliez de reconnaître ce qui fait consensus. Avec la réduction du temps de travail, de nombreuses entreprises ont recruté du personnel : de 300 000 à 400 000 personnes, selon les sources. Mieux encore, selon l'organisme statistique européen, Eurostat, le taux de création d'emplois entre 1999 et 2001 a été de 50 % plus élevé en France que dans les autres pays européens. En définitive, la période 1998-2002 est celle au cours de laquelle l'emploi salarié a le plus progressé dans notre pays.
Deuxième enseignement : les 35 heures n'ont nullement bridé la croissance. C'est même entre 1998 et 2002 que le taux de croissance a été le plus important avec 2,7 % en moyenne annuelle, à comparer à la prévision de 1,6 % annoncée par l'INSEE pour 2008. Ni la productivité ni l'attractivité du territoire n'ont été en cause. On estime ainsi que la productivité horaire française est de 5 % supérieure à celle des États-Unis, dont on sait pourtant qu'ils ont réalisé d'importants gains de productivité. Ces remarquables progrès ont été obtenus, en France, grâce à l'intensification du travail mais également à des investissements en capital et à des efforts d'organisation. Les entreprises, confrontées au défi de produire autant avec une main-d'oeuvre réduite, ont investi dans des matériels nouveaux et rationalisé leur organisation. Cela a probablement contribué au recul du chômage puisque, on le sait, l'économie française a, pendant cette période, créé 2 millions d'emplois.
Votre réforme est surtout « historique » parce qu'elle menace plus que toute autre les droits des salariés. Regroupant en un même texte ce qui n'aurait pas dû l'être, vous nous proposez un projet de loi qui est à la fois la transcription de l'accord passé entre les partenaires sociaux dans le titre Ier – même si les amendements déposés par le rapporteur en commission ne manquent pas de nous interroger sur vos intentions réelles – et le développement d'une position idéologique issue de vos seules réflexions dans le titre II.
Cet amalgame a d'ailleurs été au coeur des interrogations des députés qui se sont exprimés dans les deux commissions : tous ont distingué ce qui relève de la représentativité et ce qui concerne la question du temps de travail.
Nous considérons que la première partie est conforme à ce qui a été négocié par les partenaires sociaux.
La prise en compte du vote des salariés est pour nous un préalable fort à la définition de la représentativité, même si la position du parti socialiste nous pousserait plutôt à considérer que le bon niveau repose sur les élections prud'homales, dont le nombre d'électeurs potentiels est plus vaste que celui finalement retenu.
S'agissant toujours de la représentativité, je note que les solutions proposées dans le cadre de ce texte valent pour les organisations syndicales de salariés. Mais qu'en est-il des organisations patronales ? Qu'est-ce qui définit leur représentativité ? Il n'en est nullement question dans le projet.
Par ailleurs, je ne peux m'empêcher de vous interroger, monsieur le ministre, sur la distorsion que l'on perçoit entre le texte du Gouvernement et les amendements proposés par M. le rapporteur. Ces quelque 70 amendements, rien que sur la première partie, méritent des explications. D'autant que certains amendements dits rédactionnels ne le sont à l'évidence pas.
À l'article 1er, il est ainsi proposé de bouleverser l'ordre des critères permettant de définir la représentativité des organisations syndicales en faisant passer de la première à la dernière place le critère du nombre d'adhérents et des cotisations. Il en est de même à l'article 2 où un amendement du rapporteur propose, ni plus ni moins, de remettre en cause la priorité du critère du résultat pour la représentativité syndicale au niveau de l'entreprise en réintroduisant une notion d'influence bien plus floue.
Sans parler de la révision du calcul des effectifs, notamment en ce qui concerne les mises à disposition que M. le rapporteur ne souhaite comptabiliser qu'à partir d'un an de présence, modifiant ainsi fortement la mise en oeuvre des institutions représentatives.
J'arrête là l'évocation des amendements, que nous aurons l'occasion d'examiner un peu plus tard. Je me suis prêté à cet exercice pour mieux souligner la méthode que vous utilisez ici, comme dans la seconde partie : les partenaires sociaux travaillent, font des propositions et, dans leur dos, vous avancez votre projet sans aucun scrupule. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Cette seconde partie est funeste pour le droit du travail et n'est en rien la déclinaison de l'article 17 figurant dans la position commune actée par la CGT, la CFDT, le MEDEF et la CGPME. Il s'agit au contraire d'une remise en cause sans précédent – « historique », diriez-vous, monsieur le ministre – de piliers du droit du travail.
La primauté donnée à l'accord d'entreprise, qui s'appliquerait même s'il existe un accord de branche plus favorable, remet profondément en cause les principes de la hiérarchie des normes et d'application de la norme la plus favorable.
De même, l'absence de planchers fixés par la loi en deçà desquels les accords collectifs ne pourraient pas descendre porte atteinte au fondement même de la loi républicaine en droit social, qui est d'assurer des garanties minimales à l'ensemble des salariés, celles-ci ne pouvant être qu'améliorées.
Le problème ainsi soulevé est celui de la prise en compte des difficultés et limites de la négociation d'entreprise, en particulier dans les PME. Les accords de branche étendus sont essentiels pour couvrir les TPE, pour éviter des formes de concurrence entraînant des flexibilités outrancières et des conditions de travail dégradées. Votre choix ne va pas servir le cercle vertueux de la concurrence, qui passe par des gains de productivité, des efforts de formation ou la place faite à l'innovation. Il va au contraire enclencher le cercle vicieux du dumping social entre des entreprises appartenant à la même branche professionnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
S'il est adopté, ce projet de loi permettra également de dépasser largement le contingent d'heures supplémentaires jusqu'alors fixé à 220 heures maximum. Il gommera toute référence dans la loi à un repos compensateur obligatoire en cas de dépassement de ce contingent. Et au-delà de la 41e heure, il se traduira par une baisse immédiate du coût des heures supplémentaires pour les employeurs, obtenue par la disparition d'une contrepartie pour le salarié. J'attire votre attention sur la gravité de ce dispositif : la question n'est plus exclusivement celle du travail, c'est aussi celle de la santé au travail. Je regrette de devoir faire observer au président de notre commission que c'est là un point majeur du texte.
Le débat de fond est certes celui de l'organisation du monde du travail, mais ce dernier ne peut pas se structurer exclusivement autour de la valeur travail en oubliant la valeur humaine, à moins d'imaginer que nous puissions revenir des dizaines d'années en arrière, au temps où des femmes et des hommes n'avaient pour exister que leur force de travail, qu'ils vendaient parfois jusqu'à l'épuisement. Est-ce là la portée « historique » que vous revendiquez ? J'en doute.
Cette seconde partie du projet de loi, c'est aussi la généralisation et la déréglementation des conventions de forfait en heures comme en jours, et donc l'extension à l'ensemble des salariés de mesures qui avaient pour objectif, dans les lois Aubry, de correspondre spécifiquement aux cadres et à quelques professions soumises à des horaires particuliers. Ce choix conduit à développer le gré à gré et l'individualisation des durées du travail. Il offre souplesse et coudées franches à l'employeur tout en privant les salariés du pouvoir de prévision sur l'organisation de leur activité. Vous m'accorderez que l'action gouvernementale ainsi exposée conduit d'abord à fragiliser un peu plus les salariés dans une période où ils sont déjà largement les variables d'ajustement d'un système économique qui broie les plus faibles.
Mais surtout, où est la cohérence avec vos déclarations devant cette assemblée, il y a seulement quelques semaines, quand sur le projet de modernisation du marché du travail vous nous disiez que la sécurité liée à la flexisécurité se renforcerait. C'est l'inverse que vous organisez, dès le texte suivant. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Ce projet n'est donc pas opportun dans le contexte économique et son bien-fondé nous paraît contestable. S'il y a bien un problème de pouvoir d'achat, peut-être faut-il d'abord l'examiner en partant des salaires. Mais alors, qu'est ce qui vous pousse à inscrire ce texte à l'ordre du jour en déclarant l'urgence, à la faveur de la période estivale, propice – chacun le sait – à tous les mauvais coups, sinon une posture idéologique visant d'abord à ressouder une majorité bien malmenée et qui n'a pas manqué de le signifier depuis plusieurs mois ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Pour panser vos plaies internes, vous organisez une pseudo-revanche de la bataille sur la réduction du temps de travail qui reste, et nous en sommes fiers, un identifiant fort de ce qui fait la différence entre la gauche et la droite. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Vous pensez qu'elle est un frein à la croissance et à la dynamique du monde de l'entreprise ; nous considérons qu'elle est une chance et un progrès bénéfique pour les salariés comme pour les employeurs.
Ce sont ces acquis que vous avez choisi de remettre en cause, mais au bénéfice de quelles autres mesures ? Celles que vous avez prises depuis un an, depuis le début de cette législature ? Parlons-en ! Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elles ont toutes subi un échec cuisant !
La loi TEPA, et notamment la défiscalisation des heures supplémentaires et le rachat des jours de RTT n'ont pas produit les effets annoncés. Pire, les allégements de cotisations sur les heures supplémentaires font courir un risque d'accentuation des déséquilibres des comptes de la protection sociale, avec un déficit qui devrait atteindre 9 milliards d'euros en 2008. Le coût global des exonérations d'impôt sur le revenu et de cotisations sociales est estimé entre 5 et 6 milliards d'euros, ce qui accentuera considérablement le déficit public.
Cette loi aurait dû également relancer le pouvoir d'achat mais, selon la DARES, les heures supplémentaires ne concernent qu'un tiers des salariés à temps complet. Les gains de revenu issus de ces exonérations sont donc bien limités, d'autant que ces mêmes salariés ne font en moyenne que 55 heures supplémentaires par an, bien loin des 220 autorisées. Alors à quoi bon vouloir les démultiplier ?
L'autre grand volet de votre loi reposait sur le rachat des jours de RTT. Nouvel échec ! En effet, 7 % seulement des entreprises ont proposé cette option à leurs salariés en 2007 et moins d'une entreprise sur cinq se déclare prête à le faire pour 2008. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Surtout, contrairement à vos engagements lors de la campagne présidentielle, vos choix nuisent à l'emploi puisqu'en facilitant le recours aux heures supplémentaires, vous incitez les entreprises à substituer des heures de travail à des embauches. Dans un tel cadre, on aura beau travailler plus, on ne gagnera rien de plus ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Alors quelle est votre réelle motivation, sinon d'obéir à cette idéologie qui s'est déjà exprimée dans des pays voisins et dont on voit encore aujourd'hui les stigmates ? Car je vous reconnais une indéniable cohérence dans le projet de société que vous êtes en train de construire et qui s'affirme dans la succession des textes que vous faites adopter.
Il s'agissait d'abord, avec la loi TEPA, de redistribuer en priorité les richesses aux catégories sociales les plus privilégiées. Je rappelle les 15 milliards d'euros de cadeaux fiscaux que vous avez immédiatement octroyés, comme pour remercier les vôtres, et seulement les vôtres, de leur soutien lors des scrutins récents. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Ce fut ensuite la loi sur le développement de la concurrence votée fin 2007, puis celle dite de la modernisation de l'économie, encourageant les groupes financiers de la grande distribution et oubliant l'ensemble des commerçants et artisans à qui, pourtant, le Président de la République avait beaucoup promis au cours de la campagne électorale.
Et voici maintenant, avec ce projet de loi, le dumping social, que vous érigez comme modèle de relations entre les entreprises.
Vous êtes, nous dites-vous régulièrement, les tenants de la modernité et de la liberté. Ce qui nous oppose fondamentalement, c'est que nous croyons, nous, que cette liberté mérite parfois d'être organisée.
Henri-Dominique Lacordaire, journaliste et homme politique français du xixe siècle, originaire comme moi de Bourgogne, écrivait : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) C'est au nom de cette vision de la société que les députés du groupe socialiste, radical et citoyen vous demandent d'adopter la question préalable et de rejeter ainsi ce texte qui risque bien, en effet, d'être historique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles.
Je crois beaucoup à la qualité de ce débat, et j'ai écouté avec attention M. Vidalies et M. Sirugue.
À supposer au pire – ce qui n'est pas ma conviction – que l'entreprise soit l'empire du mal…
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Nous n'avons jamais dit cela !
J'ai bien dit « à supposer » que l'entreprise soit l'empire du mal, je voudrais revenir sur cinq points. (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Vous vous êtes exprimés dans le calme : je vous demande d'écouter le président de la commission.
Je voudrais donc reprendre très tranquillement cinq points.
En premier lieu, parler de « dumping social », c'est faire peu de cas de l'intelligence des salariés dans l'entreprise. Je rappelle en effet qu'il existe des verrous, y compris syndicaux, comme l'obligation, pour qu'un accord soit valable, qu'il soit approuvé par au moins 30 % des représentants des syndicats – ou pour son rejet, qu'il soit repoussé par au moins 50 % d'entre eux. À supposer que la CFDT et la CGT représentent 70 % des salariés de l'entreprise, je ne vois pas pourquoi nous ne ferions pas confiance à ces salariés pour éviter certains risques de dumping social.
Deuxièmement, certains ont parlé de flexibilité à outrance et de centaines d'heures supplémentaires. Là, c'est faire peu de cas de l'intelligence et de l'intérêt de l'entreprise. N'oublions pas en effet que les heures supplémentaires peuvent induire une majoration de 25 à 50 % du coût salarial. Une entreprise peut avoir pendant deux mois un besoin exceptionnel d'heures supplémentaires pour répondre à un marché mais, à plus long terme, il est hors de question pour elle d'avoir recours en permanence à 250, voire 400 heures supplémentaires par salarié, compte tenu de leur coût.
Troisièmement, monsieur Vidalies, si, à l'époque où le taux de chômage était de 11 ou 12 %, le partage du travail pouvait être une réponse partielle,…
…je sais, pour être élu dans un bassin industriel, qu'aujourd'hui le nombre d'entreprises qui cherchent sans succès des salariés n'est pas mince. Penser, dans ces conditions, qu'il y a une arithmétique des emplois et qu'on peut faire occuper 350 000 postes vacants par 350 000 demandeurs d'emploi ne correspond guère, hélas, à la vérité des quinze dernières années.
Quatrièmement, vous parlez, monsieur Sirugue, des attentes des salariés en matière de salaires. Mais nous sommes dans un monde ouvert et, pour se limiter à l'Europe occidentale, nous y occupons la troisième place pour le coût horaire du travail et la dixième pour le salaire net. Si l'on compare l'évolution de notre balance commerciale à celle de nos voisins allemands, on comprend combien ce coût pèse sur le pouvoir d'achat.
Pas dans de nombreux secteurs industriels, monsieur Vidalies. Résoudre la question du pouvoir d'achat en jouant sur les salaires n'est donc pas aussi facile que vous pouvez l'imaginer.
Enfin, croyez bien que, sur la question des 35 heures, il n'y a aucune idéologie de notre côté. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) L'idéologie était plutôt du côté des 35 heures, et je me souviens avoir entendu dire à l'époque que nombre de nos voisins européens nous suivraient… Nous sommes restés bien seuls. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur Vidalies, acceptez la diversité des situations. Il y a des entreprises et des salariés. Si vous aviez accepté l'amendement à la loi TEPA permettant aux entreprises d'aller, avec plus de souplesse, jusqu'à 220 heures – et j'avais oeuvré en ce sens à la commission des affaires sociales, je suis sûr que Mme Billard s'en souvient –, peut-être aurions-nous gagné du temps. Car, je le répète, en matière de dumping social, je crois à l'intelligence des salariés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Nous en venons aux explications de vote sur la question préalable.
Pour le groupe UMP, la parole est à M. Bruno Le Maire.
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, tous ici nous avons écouté avec attention la question préalable posée au nom du groupe socialiste par M. Sirugue.
Tous ici, nous avons compris ce que demandait le groupe socialiste : rester immobile dans un monde qui change.
Vous n'êtes pas immobiles, vous reculez ! Vous ne connaissez que la marche arrière !
Pourtant, nous le savons, la France ne peut plus reculer devant la rénovation nécessaire de son modèle social. Tout ce que nous ne faisons pas maintenant, nous devrons le faire avec plus de difficulté encore demain.
Alors oui, vous avez raison, le changement doit se faire dans le dialogue et dans la concertation. C'est tout le sens de la loi de janvier 2007 sur le dialogue social – votée, je le rappelle par notre majorité – qui impose une négociation préalable entre les partenaires sociaux et le Gouvernement avant tout examen d'un texte portant sur les domaines de leur compétence.
Ce texte, nous en avons fait bon usage. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Il nous a permis de mettre en place avec les partenaires sociaux un nouveau contrat de travail fondé sur le principe de la rupture négociée ; le sens des responsabilités dont ont fait preuve à cette occasion les partenaires sociaux a donné aux salariés comme aux entreprises de notre pays un nouvel atout pour réussir dans la mondialisation.
Il va également nous permettre de modifier les règles de représentativité, qui étaient les mêmes depuis soixante ans. Ces règles obsolètes – nous le savons tous – ne protégeaient pas les syndicats : elles les affaiblissaient en les privant de la légitimité nécessaire. Elles n'étaient pas au service des salariés, elles étaient au service d'une conception dépassée des rapports sociaux. Une fois encore, la loi sur la modernisation du dialogue social va nous permettre de les modifier dans les meilleures conditions.
Reste le temps de travail : c'est une question essentielle sur laquelle il faut éviter aussi bien l'angélisme que les procès d'intention. Car ce qui est en jeu, ce sont les conditions de travail de tous les salariés et notre capacité à offrir davantage d'activité et de croissance à notre pays.
Sur la forme, je tiens à rappeler que les partenaires sociaux, comme le prévoit la loi de janvier 2007, avaient été saisis par le Premier ministre et par Xavier Bertrand de la nécessité d'ouvrir les négociations à ce sujet. Elles n'ont pas abouti, ou plutôt elles ont abouti a minima : les critères de représentativité définis en la matière au sein de l'entreprise s'écartaient en effet des critères plus généraux fixés à 50 et 30 %. Pourquoi, sur le temps de travail, les règles de négociation au sein de l'entreprise devraient-elles être plus rigoureuses que sur n'importe quel sujet ? Pourquoi rendre plus difficile la négociation sur ce qui est sans doute le plus important pour le pouvoir d'achat des salariés comme pour la vie des entreprises ?
Sur le fond, chacun sait que les entreprises, notamment les PME et les TPE, ont impérativement besoin de davantage de souplesse et de simplicité dans la gestion de leurs horaires. Chacun sait aussi que le niveau de protection sociale que nous pourrons accorder dans les années à venir dépendra du nombre global d'heures travaillées, qui est un des plus faibles de l'OCDE.
Monsieur Sirugue, quand vous dites que la réduction du temps de travail est le seul progrès possible pour notre pays, je vous réponds non ! C'est l'augmentation de l'offre de travail qui constitue un progrès pour notre pays, un travail pour tous !
Les salariés aspirent eux-mêmes à des modifications de leur temps de travail, soit pour gagner davantage, soit pour avoir accès aux RTT, notamment les salariés à temps partiel. Ces aspirations, le texte que nous examinons aujourd'hui nous permettra d'y répondre.
Fallait-il attendre ? Fallait-il dissocier les deux parties du texte et renvoyer à la négociation celle concernant le temps de travail, comme le suggère M. Sirugue ?
Toutes les raisons évoquées précédemment devraient suffire à nous convaincre que non, nous ne pouvons pas attendre pour libérer la croissance, le travail et l'emploi.
J'y ajoute une dernière raison : sommes-nous vraiment convaincus que les partenaires sociaux dans leur ensemble souhaitaient négocier sur cette question ? Vous me direz qu'il existe des branches pour négocier : mais quelles sont les branches qui négocient réellement à ce sujet ? Où en sommes nous de ces négociations ? Au point mort. Je crois par conséquent qu'il est plus sage de mettre cette question derrière nous pour avancer vers d'autres sujets sur lesquels nous avons déjà trop temporisé, comme la pénibilité au travail, la formation professionnelle ou l'emploi des seniors. Les Français attendent de nous des discussions, mais aussi des résultats. Ils veulent un débat, mais aussi de l'action.
Vous le voyez, les parlementaires mesurent l'importance du dialogue et des discussions approfondies avec les partenaires sociaux, qu'ils ont déjà rencontrés et qu'ils sont prêts à rencontrer à nouveau dans les semaines à venir.
Mais ils mesurent aussi l'impatience des Français et la responsabilité qui est la leur face aux défis économiques. Nous avons été élus, nous, députés de la majorité, sur un mandat et des engagements, clairs. Nous tiendrons ces engagements, et nous les tiendrons dans les délais voulus. C'est pourquoi le groupe UMP rejettera la question préalable du groupe socialiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Dans ce texte, un certain nombre de points m'apparaissent essentiels, et j'attends avec impatience le débat sur les articles et les amendements. Quelle doit être la place du dialogue social dans notre société, celle la loi, celle de la convention collective et celle de la négociation dans l'entreprise ? Voilà autant de questions primordiales qui méritent que la représentation nationale s'y intéresse.
Par ailleurs, sommes-nous pour une simplification de la loi ? La loi sur les 35 heures, c'est aujourd'hui soixante-quinze articles environ. Réduire leur nombre à trente-cinq est une bonne chose si cela rend la loi plus compréhensible par les salariés et les entreprises et si cela donne plus de place aux négociations d'entreprise, dans les branches ou au niveau interprofessionnel, au lieu que la loi fixe tous les seuils et toutes les normes à la place de ceux qui les appliquent. Car le dialogue social est l'affaire des partenaires sociaux : des employeurs et des salariés concernés par ces règles.
Faisons-nous confiance aux partenaires sociaux pour négocier dans l'entreprise ? Vont-ils par exemple accepter du dumping social ? Je ne le crois pas. Vous avez tout à fait raison, monsieur le président de la commission : la CGT et la CFDT n'ont aucune envie de faire du dumping social. Le risque vient plutôt des entreprises implantées à l'étranger. Il faut laisser aux nôtres la possibilité de réagir grâce à un peu de liberté, de souplesse. Fixons ensemble le cadre général permettant cette souplesse, avec des seuils, pour éviter tout dérapage.
Vous l'avez compris : le Nouveau Centre ne votera pas non plus la question préalable. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Je terminerai en posant une question : croyez-vous que le Gouvernement et la majorité aient fait des 35 heures une question de principe ? N'est-ce pas plutôt le PS qui les avait utilisées comme argument de campagne en 1997 ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Faut-il légiférer sur la représentativité syndicale ? Oui, tout le monde en est d'accord. Au reste, s'il n'y avait eu que cette partie, nous aurions – peut-être – voté le texte à l'unanimité. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Seulement, vous n'avez pas pu vous empêcher de rajouter autre chose !
Vous nous dites qu'après trois mois de négociations sur le temps de travail, les partenaires sociaux n'ont abouti à rien. Les négociations sur la pénibilité ont, elles, duré cinq ans, mais le MEDEF ne veut pas d'accord. Pour vous, cinq ans sont supportables quand il s'agit de la pénibilité, mais quand il s'agit du temps de travail, trois mois, c'est trop ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Pourquoi n'est-il pas besoin de légiférer sur le temps de travail ? Tout simplement parce qu'il y a déjà tout ce qu'il faut dans la loi ! Aujourd'hui, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, rien n'empêche les branches de renégocier les contingents d'heures supplémentaires. Dans l'exemple que vous citez toujours, vous oubliez de préciser qu'il s'agit d'une branche qui avait opté pour les accords de modulation. C'est seulement en cas de modulation du temps de travail sur l'année – ce qui signifie que certaines semaines peuvent aller jusqu'à 44 heures – que le contingent autorisé d'heures supplémentaires est inférieur.
Aujourd'hui donc, rien ne fait obstacle à la renégociation des contingents conventionnels. Mais cela ne vous suffit pas : vous voulez aller beaucoup plus loin et proposez de supprimer le repos compensateur obligatoire quand il y a dépassement du contingent. Or un salarié ne peut pas refuser des heures supplémentaires, ce refus constituant un motif de licenciement. Cette précision aussi, vous oubliez de la donner. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Vous tapez comme des sourds sur les 35 heures depuis six ans !
Il ne s'agit pas d'une simple remise en cause, sinon vous proposeriez le retour aux 39 heures ou aux 40 heures. Ce que vous voulez, c'est supprimer toute limite de référence, c'est l'alignement sur les durées maximales du droit européen, soit 48 heures (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) – heureusement que nous avons l'Union européenne ! –, ou du droit français, soit 44 heures sur douze semaines d'affilée. Voilà ce que permet votre texte.
Avec vos forfaits jours, vous n'avez même pas besoin de l'opt out, monsieur le ministre, car ils permettent de travailler 78 heures par semaine, l'opt out n'autorisant qu'un maximum de 65 heures. La France ne va pas quand même pas proposer d'intégrer l'opt out dans le droit français, elle y perdrait !
Méfiez-vous cependant, car de la même manière que vous avez perdu sur le CNE face à l'OIT, vous perdrez sur les forfaits jours au regard de l'Europe, car ils sont contraires au droit social européen – et pourtant, Dieu sait si le droit social européen est insuffisant.
Oui, la loi est utile car elle protège les plus faibles, à savoir les salariés des petites entreprises qui ne comptent pas de syndicat. Jusqu'à présent, lorsque des salariés de grosses entreprises obtenaient des avancées, celles-ci se répercutaient dans l'ensemble de la branche et profitaient à ceux des petites entreprises.
Vous remettez en cause cette possibilité, et même celle des accords de branche étendus. Subrepticement, à l'article 16, l'accord de branche disparaît. Cela signifie que les entreprises qui ne seront pas adhérentes d'un syndicat patronal n'auront plus l'obligation d'appliquer les accords de branche. Grande première que vous vous gardez bien de mettre en avant ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Voilà la souplesse que vous proposez ! La souplesse, c'est le retour à 1919 (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.), à la convention internationale sur les 48 heures ! Monsieur le ministre, vous resterez dans l'histoire de ce pays non pas comme l'artisan de la révolution sur le temps de travail, mais comme celui de la contre-révolution et du retour au début du XXe siècle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. –Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Vous n'aimez pas vous entendre dire que vos propositions mettent en danger la santé des travailleurs ; c'est pourtant la réalité ! Pourquoi croyez-vous que les travailleurs se sont battus pendant un siècle pour obtenir la journée de 8 heures et la semaine de 40 heures ?
Ils l'ont fait pour leur santé, pour pouvoir arriver à l'âge de la retraite et en profiter, pour avoir une vie de famille,…pour pratiquer des activités en dehors du travail. (Interruptions sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Vous remettez tout cela en cause et c'est pourquoi nous voterons la question préalable défendue par le groupe socialiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Sur le vote de la question préalable, je suis saisi par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Michel Liebgott.
Je ne sais si cette séance est historique, mais ce que retiendra l'histoire, monsieur le ministre, c'est que depuis six ans que la droite gouverne ce pays, jamais autant de lois n'auront été votées pour détricoter le code du travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Jamais les salariés n'auront autant vu leur pouvoir d'achat stagner, et même se dégrader. (Interruptions sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Jamais le nombre des plus défavorisés n'aura autant augmenté.
Plus qu'historiques, ces lois resteront dans nos mémoires comme des textes sinistres. Déjà, l'année dernière, avec la loi TEPA, vous recomposiez le tissu social en donnant aux plus favorisés…
…ce que vous n'aviez pas : ces 15 milliards qui nous manquent aujourd'hui. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) À présent, constatant que les caisses sont vides, vous ne trouvez pas d'autre solution que de supprimer les quelques protections qui subsistent pour les salariés. Drôle d'époque que nous vivons, en ce mois de juillet 2008, où nous allons examiner en même temps que la modernisation des institutions un texte qui va faire reculer la loi dans le domaine essentiel qui nous concerne tous : le travail. Car sans travail, pas de vie ; sans travail, pas de dignité.
Vous allez faire adopter un texte qui va plus que jamais affaiblir la loi et donner tout le pouvoir aux entreprises, à ceux qui détiennent le pouvoir économique, qui va retirer au pouvoir politique les quelques contraintes et réglementations qui donnaient un peu de sens à notre mission.
Vous êtes même allés jusqu'à remettre en cause un accord passé entre les syndicats et le MEDEF. C'est dire que vous ne respectez plus rien ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Nous pensions que l'unanimité était au moins acquise sur la première partie du texte. Mais en commission, à la faveur d'amendements rédactionnels tendant à corriger quelques fautes, où peu vous importait en réalité l'écriture, c'est le fond que vous avez cru devoir modifier en allant très au-delà de cet accord entre les syndicats et le MEDEF concernant la représentativité. Mais nous serons vigilants sur ce premier point, tout en sachant que le pire est à venir avec le second.
Sur la représentativité, vous avez déjà perdu la confiance de tous, y compris du patronat, mais surtout des syndicats qui ne voudront sans doute plus passer aucun accord avec votre gouvernement.
Sur le second point, essentiel, de ce texte : le droit du travail, vous avez proposé il y a quelques mois une recodification qui a fait disparaître toute un pan de législation au profit d'une réglementation permettant à n'importe quel gouvernement de changer, par un simple décret, et donc en ne passant plus devant le Parlement, des dispositions favorables aux salariés. Alors à quoi servons-nous ? Aurons-nous encore, les uns et les autres, la confiance des salariés si nous nous dessaisissons de plus en plus de nos pouvoirs ? Au-delà des luttes, qui ont fait progresser le droit social comme Mme Billard l'a dit, qui peut encore protéger les salariés de ce pays si ce n'est le Parlement, l'Assemblée nationale, les représentants du peuple ? C'est nous qui sommes, au quotidien, en relation avec les salariés, et pas seulement avec les chefs d'entreprise.
Oui, ce texte amorce une révolution définitive. Sans doute n'aurons-nous plus besoin de revenir dans cette enceinte pour discuter du code du travail, que vous allez purement et simplement supprimer par une révision drastique de la hiérarchie des normes ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Oui, les accords nationaux de branche sont morts. Désormais, c'est l'entreprise qui décidera de la limite jusqu'à laquelle le salarié devra travailler. Les mêmes à qui vous avez enlevé du pouvoir d'achat ne seront même plus en position de négocier favorablement au sein de l'entreprise puisque les accords de branche passeront au second plan.
Et toutes ces personnes défavorisées se retrouveront demandeurs d'emploi à cause du texte à venir sur « l'offre raisonnable d'emploi », puis Rmistes à la charge des départements !
Les Français, vous le savez, travaillent plus que les Anglais, et même deux heures trente de plus que les Allemands. (« C'est faux ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Monsieur le président Méhaignerie, s'il y a un problème, c'est bien celui de la formation professionnelle et non celui de la durée de travail, car jamais les salariés français n'auront autant travaillé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Nous allons maintenant procéder au scrutin public, précédemment annoncé, sur la question préalable.
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 309
Nombre de suffrages exprimés 309
Majorité absolue 155
Pour l'adoption 124
Contre 185
La question préalable est rejetée.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite du projet de loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma