Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir accepté que je supplée Pierre Gosnat, qui, empêché par un imprévu, m'a chargé de prononcer l'intervention qu'il avait préparée pour ce débat.
Monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je consacrerai l'essentiel de cette intervention au projet de loi relatif aux archives, soumis en deuxième lecture à notre assemblée. En effet, le texte relatif aux archives du Conseil constitutionnel bénéficie d'un large consensus, traduit notamment par son adoption à l'unanimité sur les bancs du Sénat Je tenais cependant à relayer ici la remarque de Robert Badinter qui, lors de son intervention, regrettait la faiblesse de la recherche historique sur le Conseil constitutionnel. Ce constat, nous le partageons tous. La recherche historique française connaît des difficultés considérables, liées pour l'essentiel à un manque de moyens.
Le projet de loi relatif aux archives est, quant à lui, beaucoup moins consensuel. En effet, souvenons-nous de la levée de boucliers qu'avait entraînée la modification par le Sénat du projet de loi initial. Vincent Duclert, professeur à l'École des hautes études en sciences sociales, avait publié un article dans Le Monde. Il y faisait part des très vives inquiétudes de la communauté scientifique et dénonçait ce qu'il nommait « la nuit des archives ». Les usagers s'étaient, eux aussi, mobilisés pour s'opposer au passage à la moulinette sénatoriale d'un projet présenté à l'origine comme un texte d'ouverture et de modernisation.
Force est de constater qu'à l'exception de rares nuances, l'Assemblée nationale et le Sénat ont fait fi des revendications des scientifiques et des usagers. Les amendements de l'opposition ont été balayés et les modifications proposées par le rapporteur et adoptées par les députés manquent d'ambition. Nous nous retrouvons donc face à un texte hybride contenant d'indéniables avancées, comme le principe de communicabilité immédiate, mais recelant aussi bon nombre d'écueils.
J'en retiendrai trois : l'incommunicabilité de certaines archives, les régimes d'exception, la balkanisation et la privatisation des Archives nationales. À ces trois obstacles, que les députés du groupe GDR avaient dénoncés lors de la première lecture du texte, j'en ajouterai un quatrième : l'adoption, à la dernière minute, d'un amendement offrant la possibilité au Gouvernement de légiférer par ordonnance. L'incommunicabilité des archives publiques dont la « communication serait susceptible d'entraîner la diffusion d'informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, biologiques, chimiques » est en contradiction manifeste avec les recommandations du Conseil de l'Europe qui précisent que « toute restriction doit être limitée dans le temps ».
Pour seule réponse à l'amendement de suppression que mon collègue Pierre Gosnat avait défendu en première lecture, vous aviez répondu, monsieur le rapporteur, qu'une arme nucléaire serait tout aussi dangereuse demain qu'aujourd'hui. Déjà, à l'époque, nous avions trouvé cela un peu court ! Car l'article 11 ne concerne pas uniquement les armes nucléaires, il prévoit aussi d'interdire l'accès à tout document relatif au contenu d'armes chimiques et biologiques comme, par exemple, le gaz moutarde de la Grande guerre ou l'agent orange – et vous savez tous par qui il est fabriqué… La recherche historique permet parfois de mettre les États face à leur passé, notamment concernant les pages douloureuses de leur histoire. Qu'en sera-t-il si nous freinons par la loi ce nécessaire inventaire ? De plus, l'amalgame entre historiens et poseurs de bombes est quelque peu malvenu et trop réactif à la conjoncture actuelle dominée par la peur du terrorisme.
Concernant les régimes d'exception, il est vrai que les amendements du rapporteur ont permis à notre assemblée de revenir sur quelques dispositions sénatoriales. Mais le lobbying des notaires a bien fonctionné, et le délai de soixante-quinze ans pour les minutes notariales a été maintenu, tout comme celui de cent ans pour les documents portant atteinte à la sécurité des personnes. Encore une fois, nous sommes en plein recul par rapport aux intentions affichées par le ministère. Je ne reviendrai pas sur les enjeux d'une recherche historique ambitieuse ; je constate simplement que vous entravez le nécessaire travail des historiens avec cette loi qui méconnaît leurs revendications.
Ce texte consacre aussi le recours à des entreprises privées pour la gestion des archives courantes. Vous dites, monsieur le secrétaire d'État, qu'il s'agit de reconnaître dans la loi une pratique de plus en plus répandue. Vous abandonnez donc le préarchivage par la direction des archives de France pour le déléguer à chaque administration et aux collectivités locales, lesquelles pourront avoir recours à des entreprises privées. Cette disposition aura pour corollaire la multiplication des lieux d'archivages. Cette « balkanisation des archives » redoutée par Guy Braibant ne facilitera pas la tache des chercheurs.
Des entreprises privées pourront gérer et stocker des archives courantes et intermédiaires,…