La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi sur l'enfance délaissée et l'adoption (nos 3739 rectifié, 4330).
Ce matin, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.
La parole est à Mme Véronique Besse.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'État chargée de la famille, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord saluer le travail qui a été réalisé par la commission spéciale sous la houlette de Michèle Tabarot et Jean-Marc Roubaud et souligner la qualité des auditions auxquelles il a été procédé.
L'adoption est un enjeu majeur qui demande un réel investissement de la part des parents adoptants mais aussi des services sociaux et de la justice. L'adoption touche à deux réalités à la fois fragiles et essentielles : l'enfance et la famille.
La famille est trop souvent reléguée au seul domaine privé, personnel, individuel. Pourtant, elle n'implique pas seulement quelques individualités. Elle engage, sur la durée, les parents, les enfants et la société tout entière. Ce rappel est important car nous devons garder à l'esprit que le sens de l'adoption, c'est de donner à des enfants les parents dont ils ont besoin et non l'inverse.
Ne nous trompons pas, la question centrale de l'adoption, c'est celle de la place de l'enfant et de ses droits. Ce qui doit primer, ce sont les droits et l'intérêt de l'enfant, plutôt qu'un supposé droit à l'enfant. Droit de l'enfant à être élevé dans une famille, si possible la sienne, droit de se voir offrir l'équilibre et les repères nécessaires pour lui assurer son avenir.
Il est encore moins question, ici, de répondre à des revendications communautaristes. Notre objectif est d'assurer la stabilité des familles et l'équilibre des enfants qui ont besoin pour cela de la complémentarité d'un père et d'une mère. Trop souvent délaissée au profit d'enjeux immédiats, la famille constitue pourtant le socle de notre société, elle doit être au coeur de nos priorités.
Le texte que nous examinons aujourd'hui s'adresse en particulier aux ménages qui sont souvent confrontés à des problèmes de stérilité et pour lesquels l'adoption représente le projet de toute une vie. Il s'adresse aussi à des parents, souvent en situation morale et sociale très délicate, qui éprouvent des difficultés à s'occuper et à éduquer leurs enfants.
Nous devons d'abord faire un constat : les demandes d'agrément sont de plus en plus nombreuses alors que le nombre d'enfants adoptables en France est de moins en moins élevé et, dans le même temps, le nombre d'enfants placés est de plus en plus grand.
La raison de ceci est simple.
D'abord, tout est fait, depuis la loi de 2007, pour que les familles naturelles ne soient pas séparées. C'est une très bonne chose. Il ne doit pas exister de présupposé laissant entendre que les parents seraient des dangers pour leurs enfants, bien évidemment. À ce titre, tout est mis en oeuvre pour accompagner les parents afin que les enfants ne leur soient pas retirés à chaque obstacle.
Ensuite, la simplification des procédures que nous examinons aujourd'hui doit permettre d'éviter aux enfants les placements sans solution de foyer en foyer, de famille d'accueil en famille d'accueil, sans jamais trouver d'équilibre. Sur le papier, tout paraît simple ; dans la réalité, c'est souvent très complexe. En ce sens, diminuer les délais d'adoption et surtout les délais judiciaires est une nécessité.
Parallèlement, nous devons répondre plus efficacement à l'attente légitime des parents adoptants, à leur désir de transmettre, à leur désir de construire une famille et d'avancer. La meilleure information et la meilleure formation des parents qui sont prévues dans cette proposition de loi sont, à ce titre, essentielles. Il est en effet nécessaire que leur projet soit mûri, réfléchi, définitif. Nous voyons encore trop de cas de parents qui ne sont pas prêts, ou qui se sont fait une fausse idée de l'enfant qu'ils attendent et peuvent renoncer à leur projet une fois l'enfant arrivé. Les conséquences, nous le savons, sont dramatiques pour l'enfant.
Dans l'intérêt de l'enfant, si certains délais doivent être réduits, l'accompagnement des parents doit être plus efficace. Ceux-ci doivent être mieux préparés à accueillir un enfant qui a souvent un caractère propre et parfois un passé douloureux. Ils doivent être mieux préparés à accueillir un enfant qui va bouleverser leur vie quotidienne. Notre proposition de loi répond parfaitement à cet objectif. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la rapporteure, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons marquera un progrès certain dans la procédure existante en matière d'adoption pour beaucoup d'enfants. Elle facilitera les procédures et je me plais à saluer la méthode qui a été utilisée pour son examen, méthode qui a associé plusieurs commissions et donné lieu à des débats de qualité.
Pour beaucoup de familles, la quête d'un enfant demeure une épreuve longue et aléatoire. Des parents attendent durant des années l'arrivée d'un enfant, et vivent dans l'angoisse en fonction de l'évolution des réglementations dans les pays d'origine. Ainsi pour Haïti, des parents ont vécu des situations dramatiques : ils connaissaient les enfants qui leur avaient été attribués et ceux-ci restaient dans un pays dévasté par le séisme et le choléra.
Pour moderniser totalement notre procédure et répondre aux souhaits de nombreux candidats à l'adoption, il reste cependant quelques points à régler, qui ne le sont pas encore dans ce texte :
D'abord, vous le savez, nos procédures et surtout les enquêtes font le tri entre les candidats à l'adoption et souvent récusent certains en fonction de leur orientation sexuelle, notamment s'ils vivent en couple avec une personne du même sexe. Certes, nous savons que le nombre d'enfants adoptables est inférieur à celui des familles qui souhaitent adopter. Nous comprenons donc bien que les services sociaux sélectionnent les candidats. Mais l'orientation sexuelle du candidat est-elle le bon critère pour savoir qui peut ou non s'occuper d'un enfant ? Cette discrimination ne figure pas dans la loi. Il faut donc faire en sorte que la possibilité de devenir parent et d'élever un enfant ne soit plus tributaire de la plus ou moins grande franchise du candidat quant à ses choix de vie.
Un collègue UMP disait ce matin qu'il ne fallait pas que l'avenir et l'intérêt de l'enfant dépendent du comportement affiché, lequel devrait rester de l'ordre de l'intimité. Sur ce point, il a tort : il n'est pas nécessaire de se cacher pour pouvoir être un bon parent. A contrario, qui ne se souvient de ces familles où le vieux garçon ou la vieille fille qui servait d'oncle, de tante, de référent très aimé par les enfants, se révélait être homosexuel ?
À un moment où les schémas familiaux sont bouleversés, où les familles recomposées de toute sorte se sont multipliées, il serait bon que nous nous disions que l'intérêt de l'enfant exige que soient privilégiés l'amour et les capacités d'encadrement des personnes qui veulent s'occuper de lui. Il n'y a plus un seul type de famille qui puisse lui assurer la sécurité et la stabilité dont il a besoin.
Nous devrions régler un autre problème à l'occasion de cette proposition de loi, le cas des enfants qui sont recueillis dans le cadre de la tradition musulmane de la kafala. Nous en avons beaucoup parlé. Nous sommes tous conscients du fait qu'il n'est pas raisonnable que les gens qui se retrouvent à adopter ou à recueillir des enfants de leur famille, parce que le parent est décédé ou parce qu'il y a un problème dans la famille d'origine, se heurtent à une course d'obstacles insupportable.
Il y a déjà des difficultés pour obtenir l'enquête sociale puisque, bien évidemment, le juge marocain ou algérien demande des références de la famille et certains services ne se sentent pas habilités à faire des enquêtes alors qu'il n'y a pas véritablement procédure d'adoption.
Il y a des problèmes insolubles sur les visas de long séjour parce que notre gouvernement a l'air de considérer qu'on recueille un enfant pour détourner les lois sur l'immigration familiale.
Il y a ensuite cette difficulté majeure du statut de l'enfant et enfin la difficulté concernant sa nationalité.
Il n'est plus raisonnable de continuer de la sorte.
On nous oppose le fait que l'on ne peut régulariser la situation de ces enfants parce que leur loi personnelle ne reconnaît pas l'adoption. Pour avoir pratiqué assez longtemps au barreau de Paris, je sais que l'on n'applique pas dans les divorces la loi personnelle des époux, faute de quoi, dans de nombreux cas, le divorce serait prononcé aux torts de la femme parce qu'elle a refusé d'accueillir la seconde épouse du mari. Nous considérons, en règle générale, que l'ordre public français est supérieur à la loi personnelle. En l'espèce, nous sommes signataires de conventions internationales demandant la protection des enfants et je crois que l'intérêt de l'enfant devrait l'emporter sur le fait de respecter une loi personnelle. D'ailleurs, je pense que les pays d'origine ne tiennent pas absolument à ce que nous nous opposions à la régularisation de ces enfants au motif de la loi personnelle.
Il nous est possible d'avancer, même sans revenir sur le fait qu'il ne s'agit pas là d'adoption. Nous pouvons déjà autoriser les enquêtes, autoriser les visas de long séjour et faciliter le regroupement familial quand quelqu'un se voit confier un enfant par kafala alors qu'aujourd'hui, c'est vraiment un parcours d'obstacles.
Cette proposition de loi effleure enfin un dernier sujet, qui me semble pourtant majeur et sur lequel j'espère que la discussion nous permettra d'avancer. L'adoption, c'est très bien pour l'enfant, c'est merveilleux pour la famille française qui l'adopte. Mais nous devrions prendre en considération le sort de ces enfants qui ne sont pas adoptés. Il faudrait que notre pays soit beaucoup plus présent dans l'aide à l'enfance délaissée dans les pays du tiers-monde car, là encore, c'est une grande majorité qui souffre et qui a besoin qu'on la prenne en considération. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Pardon, madame Pau-Langevin, mais, je rebondis sur vos propos, l'adoption ne vise pas à donner aux parents un enfant, cela n'a jamais été la volonté première.
La volonté première, c'est de donner à un enfant la possibilité, la chance de grandir dans une famille. Nous ne devons pas partir du fait que tel ou tel individu dans notre société a droit à un enfant, quel que soit son mode de vie.
Peut-être, mais lorsque vous remettez sur le tapis la possibilité pour un certain nombre de nos compatriotes qui ont des modes de vie différents de pouvoir adopter, vous nous faites entrer dans le droit à l'enfant, et cela, je pense que ce n'est pas l'objectif de cette proposition de loi, lequel est de permettre à un maximum d'enfants de pouvoir s'épanouir dans une famille.
L'adoption est un sujet sensible. C'est aussi un sujet particulièrement évolutif puisque les vérités de 2005 ne sont pas les vérités d'aujourd'hui.
Le texte que nous examinons, et qui sera, je l'espère, adopté à l'unanimité de notre assemblée, était attendu depuis longtemps, madame la secrétaire d'État, depuis trois si ce n'est quatre années. Nous sommes heureux qu'il puisse être adopté aujourd'hui, même si c'est en fin de législature, car il est de nature à marquer l'évolution de l'adoption dans notre pays.
Ce texte fait suite à un autre texte, que Michèle Tabarot et moi-même avions défendu en 2005, et qui nous a permis d'adapter notre droit et nos outils pour faciliter autant que faire se peut l'adoption. Il était attendu aussi par beaucoup de familles parce qu'il va ouvrir plusieurs portes, dont une importante.
Nous allons d'abord parler des enfants français qui sont soumis à une séparation de leurs parents biologiques. Nous souhaitons leur donner le maximum de chances de pouvoir se reconstruire dans une nouvelle famille. Pour cela, nous allons permettre à la déclaration judiciaire d'abandon de pouvoir se faire plus fréquemment et dans de meilleures conditions. Je crois que cette proposition de loi répond à l'attente que nous avions formulée les uns et les autres.
D'autres dispositions visent la formation préalable à l'agrément, avec des expérimentations, une formation obligatoire. Nous en avions débattu en 2002 mais nous n'avions pas voulu trancher et rendre ces formations obligatoires. Aujourd'hui, parce que les temps ont changé, parce que les esprits sont mûrs, nous avançons sur cette question.
Cette proposition de loi propose également de mieux encadrer le délai légal de neuf mois, qui avait, lui aussi, fait l'objet de premières dispositions en 2005. Elle va nous permettre, là encore, de mieux faire comprendre à celles et ceux qui s'engagent dans ce parcours qu'ils peuvent bénéficier d'un agrément dans un délai qui soit vraiment cadré.
Un autre élément important est la possibilité de proroger la durée de l'agrément lorsqu'un projet d'adoption est en cours ; ce sera utile pour un certain nombre de dossiers.
Le seul point de divergence entre la rapporteure et quelques-uns d'entre nous concerne l'adoption simple. Je suis en effet d'accord pour renforcer l'adoption simple, mais sans pour autant décourager le recours à cette procédure ; nous aurons tout à l'heure un débat sur le sujet.
Concernant enfin l'adoption internationale, qui est aujourd'hui la principale source pour les familles dans notre pays, cette proposition de loi satisfait une demande récurrente de l'Agence française de l'adoption, en lui permettant d'une part d'être agréée dans l'ensemble des pays où elle souhaite opérer et, d'autre part, de pouvoir mieux sélectionner les dossiers.
Enfin, grâce à la volonté de plusieurs d'entre nous ainsi qu'à l'ouverture d'esprit de la rapporteure, nous allons également, je l'espère, ouvrir enfin le débat sur la kafala dans notre loi, ce qui est une avancée puisque l'on parle de ce sujet depuis plus de vingt ans. On nous répétait sans cesse qu'il était trop tôt ; je pense aujourd'hui que le temps est venu, que les esprits mûrissent.
Ce seul point devrait nous permettre – et je me tourne en disant cela vers nos collègues socialistes – de voter ce texte à l'unanimité.
Les travaux de notre commission ont été animés avec talent par son président ; la rapporteure a produit un travail remarquable, et nous avons pris le temps – ce qui est rare en commission – d'examiner au fond les amendements. Je pense donc que nous pouvons adopter ce texte à l'unanimité. Personne ne doit s'abstenir, mais chacun doit voter pour ce texte qui transcende les courants politiques.
Saisissons cette chance ! Les enfants qui auront demain de nouvelles familles nous en seront reconnaissants. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission spéciale, mes chers collègues, il y a six ans, le vote de la loi réformant l'adoption a marqué une étape importante. Cette loi a facilité la procédure d'agrément et a créé l'Agence française de l'adoption. Depuis, de nombreux rapports aidant, il est apparu nécessaire de faire des progrès supplémentaires pour faciliter l'adoption et lutter contre l'enfance délaissée dans notre pays.
Ainsi cette proposition de loi a vu le jour, issue des nombreuses auditions et des travaux de grande qualité menés par la commission spéciale. Elle a pour mérite principal de placer l'intérêt de l'enfant au coeur du dispositif. En effet, nombreux sont encore les enfants qui demeurent en danger dans notre pays, et ce alors que le nombre de déclarations judiciaires d'abandon reste très faible – seulement 250 en 2011.
La raison vient du fait que la déclaration judiciaire d'abandon intervient trop rarement ou trop tardivement. Il faut donc assouplir les conditions permettant de caractériser « le désintérêt manifeste », notion plus large que celle de « délaissement parental », afin de rendre plus rapide et plus souple, au cas par cas, la décision judiciaire d'abandon, en prenant mieux en compte les critères de relations de l'enfant avec ses parents et en donnant notamment la possibilité au ministère public de saisir d'office le juge, pour en faire la demande. Ceci ira dans l'intérêt de l'enfant, qui deviendra pupille de l'État.
Quant à l'irrévocabilité de l'adoption simple, j'ai sur ce sujet une réserve, même si je peux parfaitement comprendre qu'il s'agisse de préserver la stabilité de l'enfant. En effet, on peut craindre que, dans les faits, l'application de cette disposition pose certaines difficultés. Qu'adviendra-t-il si l'adoption se passe mal, sans pour autant que l'enfant courre un danger physique ? Comment pourra-t-on alors justifier l'irrévocabilité ?
Concernant le suivi des placements, il est prévu qu'un rapport soit élaboré au terme des six premiers mois, pour l'enfant de moins de deux ans, permettant ainsi un suivi plus régulier.
Cette proposition de loi offre, par ailleurs, plus de facilités aux adoptants. En effet, ces derniers ne sont pas toujours suffisamment informés en amont sur les réalités de l'adoption et sur la spécificité de la parentalité adoptive. Ce texte leur permettra de suivre, avant la délivrance de l'agrément, une formation que les conseils généraux mettront en place, formation qui ne devrait pas être mise en oeuvre, comme le préconise ce texte, à titre expérimental dans quelques départements volontaires mais sur l'ensemble du territoire – à la condition que l'on donne les moyens de cette mission aux conseil généraux.
Par ailleurs, si les adoptions nationales sont faibles, ce n'est pas parce que le nombre de familles candidates à l'adoption diminue mais parce que les procédures sont souvent lourdes et lentes. Elles rendent difficile l'adoption à cause de l'intervention d'un grand nombre d'acteurs, administratifs et judiciaires, et de la complexité des circuits de décision. Ainsi l'attente moyenne est-elle de quatre ans !
Cette proposition de loi aidera les adoptants, en réduisant le délai de délivrance de l'agrément à neuf mois, à compter de la demande faite au président du conseil général et non plus à compter de la confirmation de cette demande. Elle leur permettra aussi de proroger d'une année l'agrément pour les procédures les plus avancées. En effet, lorsqu'une proposition d'enfant existe alors que la validité de l'agrément est près d'expirer, l'adoption doit pouvoir être menée à son terme.
De même, ce texte de loi clarifiera les conditions de caducité et de retrait de l'agrément. En effet, le retrait est parfois sévère, puisqu'il interdit de déposer une nouvelle demande pendant trente mois, alors que la caducité apparaît plus juste, permettant de refaire une demande immédiatement, par exemple en cas de divorce.
Enfin, cette proposition de loi développera l'implantation de l'Agence française de l'adoption dans les pays d'origine, notamment en renforçant le contrôle des conditions d'adoption et en lui permettant de mener des actions de coopération humanitaire au profit d'institutions accueillant des enfants. Mais c'est peut-être vers la création d'un espace européen de l'adoption internationale que nous devons aussi nous tourner, comme le préconisait le rapport Colombani sur l'adoption, en 2008.
Si cette proposition de loi permet quelques avancées, elle s'annonce malheureusement bien insuffisante face aux discriminations empêchant l'adoption. Ainsi, selon notre code civil, l'adoption d'un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle interdit cette institution. Par conséquent, les enfants recueillis en France, par exemple par kafala, connaissent un statut juridique précaire, à la différence des autres enfants potentiellement adoptables. C'est absolument discriminant tant à leur égard qu'à celui de leur famille adoptive. Il est donc nécessaire de supprimer la condition de résidence de cinq ans pour ces enfants qui souhaitent devenir français. Il est surtout nécessaire de leur permettre de bénéficier d'une adoption simple ou plénière.
Enfin, cette proposition de loi ne résout pas le problème de l'interdiction d'adopter pour un couple homosexuel, pacsé, concubin ou vivant en union libre, pas plus qu'elle ne résout le problème de l'adoption par une personne homosexuelle, et ce alors qu'une décision de la Cour européenne des droits de l'homme de 2008 autorise l'adoption d'un enfant par un célibataire, en interdisant que l'orientation sexuelle de l'adoptant puisse rentrer en compte dans les critères d'attribution d'un agrément d'adoption. Notre société a évolué, et le droit doit l'accompagner. Il faut donc accorder le droit d'adopter aux personnes de même sexe, célibataires, en couple, pacsés ou concubins.
En conclusion, le vote des députés radicaux de gauche dépendra du sort réservé aux amendements déposés par notre groupe. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le président de la commission spéciale, madame la rapporteure, chers collègues, nous examinons aujourd'hui une proposition de loi extrêmement importante puisqu'elle vise à ce qu'il n'y ait plus, ou le moins possible, d'enfants sans famille, ces orphelins sanitaires et affectifs, pour lesquels la possibilité d'être adopté deviendra plus rapide. Il faut donc ce réjouir du travail ayant abouti à ce texte, auquel je voudrais néanmoins apporter quelques compléments.
Il faudra tout d'abord que nous précisions les critères définissant le délaissement. Je pense à ces mères déprimées, à ces parents en grande difficulté dont on ne serait pas sûr qu'ils aient reçu un soutien à la parentalité et aient été incités à interagir avec l'enfant. Dans ce cas, ce dernier serait déclaré délaissé dans des conditions contestables. Il est essentiel dans ces cas, avant de statuer sur le délaissement, que figure dans le rapport transmis au juge les informations concernant l'aide à la parentalité et le soutien psychologique apportés à la famille de naissance ; c'est ce que propose l'un de nos amendements.
Je remercie par ailleurs la commission d'avoir adopté à l'unanimité mon amendement proposant un rapport sur la situation particulière des collectivités d'outre-mer. Alors que l'adoption en France métropolitaine est difficile et que l'adoption internationale est en baisse, des mères vont déposer leurs bébés à Mayotte puis sont renvoyées chez elles. Il n'existe aucun chiffre sur ces enfants, voués à traîner dans les rues, sans famille pour les soutenir, mais ils sont sûrement des centaines. Leur avenir est très incertain. Si quelques-uns sont scolarisés vaille que vaille, sans que l'on sache trop comment, la plupart sont livrés à eux-mêmes, vivant seuls dans de petites maisonnettes. Un rapport sur tous les enfants délaissés vivant sur notre territoire est donc indispensable, notamment sur les enfants de Mayotte, cette île qui nous a fait l'honneur de vouloir rester française. Nos bras doivent se tendre vers eux ; encore faut-il pour cela pouvoir les repérer et les recenser. D'où l'amendement que je vous ai proposé sur l'enfance délaissée à Mayotte et dans les collectivités d'outre-mer.
Pour ce qui concerne la révocation de l'adoption simple, je voudrais répondre aux arguments développés ce matin par Mme Adam. Cette révocation peut aujourd'hui être demandée par la famille biologique ou la famille adoptante mais elle n'est pas forcément synonyme de précarité pour l'enfant dans la mesure où seul le juge peut la décréter. Il faut en outre penser à tous ces enfants adoptés par le nouveau compagnon de leur mère, qui, ensuite, la quitte : dans ces cas douloureux, les enfants ne souhaitent pas toujours que l'adoption perdure. Voilà pourquoi le code doit rester en l'état.
Enfin, je m'associe à mon collègue Bernard Gérard, qui demande que soit rendue obligatoire l'inscription en deuxième prénom sur l'état civil du prénom donné à la naissance et porté par l'enfant pendant ses premiers mois. Il est en effet terrible de priver un enfant des premières sonorités avec lesquelles il a grandi.
Nous souhaitons tous ne pas couper l'enfant de ses origines, et l'inscription de ce prénom sur l'état civil constituerait donc un geste permettant que le fil de son histoire ne soit pas complètement rompu.
Je rejoins également ma collègue Brigitte Barèges sur la levée de l'anonymat pour les enfants nés sous X. Je vous parle d'expérience : beaucoup trop d'enfants, vers dix ou onze ans, à l'adolescence ou à la fin de la puberté, se demandent quelle était l'histoire de leur mère de naissance. Dans l'ignorance, ils nourrissent les pires pensées, les plus douloureuses. Lever cet anonymat lorsque l'enfant atteint sa majorité me semble un devoir.
Je vous remercie en tout cas pour ce travail absolument extraordinaire. Grâce à vous, je pense qu'il y aura beaucoup moins d'enfants sans famille. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Tout comme mes collègues, je me réjouis que nous examinions aujourd'hui la proposition de loi sur l'enfance délaissée et l'adoption.
Six ans après la promulgation de la loi 2005-744 portant réforme de l'adoption, il me semble en effet opportun, voire essentiel, de l'adapter aux nouvelles réalités de l'adoption qui tiennent à la baisse du nombre des enfants adoptables, à leur âge plus élevé, à l'existence de fratries et d'enfants aux besoins plus sensibles.
Membre de la commission spéciale chargée d'examiner cette proposition de loi et toute nouvelle présidente de l'agence française de l'adoption – AFA –, vous comprendrez que j'ai étudié ce texte avec toute l'attention qu'il mérite.
À ce dernier titre, je peux d'ores et déjà vous informer que l'AFA est favorable au texte dans son ensemble. Il appelle cependant certaines observations.
Les deux dispositions de l'article 1er, relatives à la redéfinition du délaissement parental et à la saisine d'office du juge d'une demande de déclaration judiciaire d'abandon par le ministère public, représentent une avancée réelle et nécessaire.
S'agissant de la procédure d'adoption de la kafala, abordé après l'article 2, la commission a longuement discuté de ce sujet éminemment sensible avec la volonté de trouver un consensus.
Sujet évoqué depuis plus de vingt ans, comme l'a précisé notre éminent collègue, ancien président de l'AFA, M. Yves Nicolin, nous devons lui trouver une issue favorable dans notre législation tout en gardant à l'esprit les répercussions possibles en matière de relations internationales.
J'attends beaucoup des discussions que nous aurons à ce propos lors de l'examen des articles.
Les amendements retenus à l'article 3 sont de nature à mieux encadrer le régime de l'agrément mais j'attire votre attention sur le dispositif de caducité en cas de modification de la situation matrimoniale, laquelle entraîne un tel changement des conditions d'accueil de l'enfant qu'il paraît difficile d'envisager systématiquement une poursuite de l'apparentement en cas de séparation du couple. Le caractère conflictuel d'une telle situation ne serait pas favorable à l'accueil de l'enfant. Cela étant, je suis favorable à la poursuite de la procédure en cas de veuvage si l'adoptant survivant le désire.
Pour ce qui est de la formation des candidats préalable à la délivrance de l'agrément, prévue à l'article 4, je me réjouis de la proposition du rapporteur de réduire le délai d'expérimentation de trois ans à dix-huit mois, qui donneront un recul suffisant. Le délai de trois ans, trop long, présentait le risque de casser la dynamique de l'expérimentation.
Quant à la disposition sur l'écart d'âge, je regrette qu'elle n'ait pas été retenue. Un écart d'âge de quarante-cinq ans paraissait tout à fait raisonnable et conforme à la réalité des apparentements.
Regardons la réalité en face : les candidats agréés les plus âgés – et même à partir de quarante-deux ou quarante-trois ans – ne sont, pour ainsi dire, jamais retenus pour l'adoption d'enfants français.
Les conseils de famille invitent les demandeurs à se tourner vers l'international mais généralement, les pays d'origine des enfants ne souhaitent pas recevoir de candidatures de personnes trop âgées et imposent souvent une règle stricte en matière d'écart d'âge.
De surcroît, nous devons nous soucier de l'intérêt de l'enfant et limiter les difficultés qui pourraient naître de l'âge avancé des parents.
Je suis par ailleurs totalement opposée aux dispositions de l'article 5 qui limitent les cas d'ouverture de révocation de l'adoption simple et j'ai proposé un amendement de suppression de cet article.
Quant à l'article 6 relatif à l'optimisation du cadre juridique et à la stratégie de déploiement de l'AFA, je tiens tout d'abord à rassurer mes collègues de l'opposition.
L'orientation prioritaire des candidats vers les pays qui répondent le mieux à leur projet est une évidence.
Par ailleurs, son caractère public oblige l'AFA à exercer ses compétences dans le plus strict respect d'égalité et de neutralité. La rédaction initiale de l'amendement que j'ai proposé ne satisfaisant pas l'ensemble des commissaires, je soumettrai à votre approbation une nouvelle formulation.
Enfin, la proposition de notre rapporteur d'élargir la coopération à l'ensemble des actions de protection de l'enfance me convient.
Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous avons tous bien compris l'enjeu de cette proposition de loi que je vous demanderai d'adopter après les améliorations que nous pourrons y apporter. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Aujourd'hui, de nombreuses familles demandent à adopter un enfant. Sur environ 3 000 adoptions internationales en 2008, 700 enfants ont été adoptés dans notre pays. L'adoption nationale est de plus en plus difficile comme en témoignent ces chiffres : en 1987, 1 424 pupilles de l'État étaient placées en vue de leur adoption alors que ce chiffre n'était plus en 2008 que de 726, parmi lesquels presque 600 enfants étaient abandonnés, nés sous X ou orphelins. Or, ce chiffre est stable d'année en année.
Cette baisse des adoptions nationales s'explique donc par la réduction du nombre d'enfants « en danger » adoptés. Or, pour 132 enfants adoptés en 2008, 265 000 étaient pris en charge par les services de protection de l'enfance. Il est par conséquent difficile de considérer que les politiques de prévention ont été un franc succès.
L'itinéraire juridico-administratif des enfants dits « en danger » est très complexe : éclatement de la compétence judiciaire entre le procureur, le juge des enfants, le juge des tutelles, le tribunal de grande instance, et lenteur du processus car ce n'est en moyenne qu'après cinq ou six ans de suivi que l'enfant en souffrance peut accéder au statut de pupille de l'État.
Il est urgent de simplifier les structures administratives et judiciaires de prise en charge des enfants en danger, d'harmoniser leur fonctionnement et d'accélérer les procédures. Je veux saluer le travail de la commission spéciale qui débouche sur ces propositions portées par Mme Tabarot. Cet état d'urgence a également été souligné par l'Académie de médecine et plus particulièrement par le professeur Jean-Marie Mantz qui a, comme d'autres, formulé des recommandations pour « faciliter l'adoption nationale ».
Il est tout d'abord primordial de redonner aux acteurs de terrain les moyens de dépister les enfants en danger pour qu'ils soient pris en charge. Médecins de PMI, puéricultrices, assistantes sociales sont à même de coopérer efficacement pour repérer et dénoncer des situations d'enfant en souffrance tout en respectant le cadre légal de levée du secret professionnel. Doit-on aller jusqu'à obliger le médecin à signaler tout comportement suspect et non plus simplement l'« autoriser » à dénoncer les parents auteurs de sévices ?
Par ailleurs, les services médico-scolaires semblent inadaptés. La surcharge des effectifs confiés au médecin scolaire ne lui permet pas de remplir ses tâches qui consistent à recevoir chaque année tous les écoliers dont il a la charge et à visiter chaque semaine les établissements dont il est responsable.
En cas de maltraitance avérée, le retrait immédiat des droits parentaux permettrait que l'enfant soit rapidement adopté et qu'un nouveau départ lui soit offert. Malheureusement, ce retrait des droits parentaux sans condamnation pénale n'est quasiment jamais demandé par le juge des enfants qui en a pourtant la possibilité, peut-être par manque d'expérience sur le terrain. Pourquoi ne pas lever certains freins juridiques et sociaux ?
Lorsque l'on sait que 30 % des sans domicile fixe sont d'anciens enfants placés, il relève de l'intérêt général de donner à l'enfant en souffrance une famille attentive et chaleureuse.
Les enfants placés souffrent plus souvent qu'on ne l'imagine d'un désintérêt parental, lequel peut aboutir à une déclaration judiciaire d'abandon au bout d'un an selon des critères liés aux contacts noués entre l'enfant et ses parents. Il faut réduire ce délai à six mois pour permettre une adoption plus rapide. En effet, l'enfant déclaré abandonné judiciairement devient pupille de l'État et peut être adopté.
Cependant, selon un rapport de 2010 de l'Observatoire national de l'enfance en danger, le nombre de pupilles de l'État aurait baissé de 70 % entre 1989 et 2008, les juges préférant à ce statut celui de délégation de l'autorité parentale à l'État, sous forme de tutelle. Ce statut peu protecteur représente un réel obstacle à l'adoption et l'on peut s'interroger sur la pertinence d'un tel choix.
De surcroît, pourquoi ne pas instaurer un système de familles d'accueil bénévoles, choisies parmi les familles candidates à l'adoption agréées, qui coexisterait parallèlement au dispositif des familles d'accueil ordinaires et rémunérées ? Cette mesure permettrait aux candidats de montrer la priorité qu'ils accordent au bonheur de l'enfant et donnerait à l'adoption son véritable sens : offrir une famille à l'enfant et non l'inverse.
Plus tôt l'enfant sort de la maltraitance, plus grandes seront ses chances de vivre une vie normale. Ne sous-estimons pas les conséquences d'une vie dans une famille maltraitante sur l'enfant, notamment sur le développement de sa personnalité.
Je ne puis donc qu'être sensible à vos propositions, chère Michèle Tabarot, qui sont de bon sens et vont dans le bon sens. Avec vous, je souhaite de tout coeur que nous puissions donner davantage de chances à ces trop nombreux enfants victimes de leurs propres parents et qui en payent un prix encore trop lourd. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
J'appelle maintenant dans le texte de la commission spéciale les articles de la proposition de loi.
La parole est à Mme Brigitte Barèges, pour soutenir l'amendement n° 8 .
« Je m'appelle Pascal, j'ai trente ans. Je suis un enfant du secret, né sous X, adopté à l'âge de quatre mois. Depuis deux ans, je piste mes parents de naissance à la recherche de mes origines et de mon histoire. Je ne traque aucun coupable, il n'y en a pas, mais je voudrais savoir à qui je ressemble. Ce visage, qui me fait passer pour un Italien à Rome, un Turc à Istanbul, un Corse à Bonifacio, d'où vient-il ? Ai-je les yeux de ma mère ou ceux de mon père ? Comment se sont-ils connus, aimés ? Mon père sait-il que j'existe ?
Il y a trente ans, une femme s'est rendue à la maternité pour accoucher. Elle était seule. Elle a dit à la sage-femme qu'elle ne souhaitait pas garder l'enfant, qu'il fallait le remettre à un organisme en vue de son adoption. On ne lui a rien fait remplir, aucun formulaire. À ce moment-là, elle a eu le choix de me voir ou de ne pas me voir, j'ignore ce qu'elle a décidé. D'elle, je sais aujourd'hui deux choses : sa date de naissance et le fait qu'elle soit originaire du Québec. Je connais aussi les trois prénoms qu'elle m'a donnés : Sébastien, Alexandre, Yannick » – il s'appelle aujourd'hui Pascal. « C'est tout et c'est peu. Mon histoire commence là avec ses lambeaux d'identité. Que puis-je transmettre à mon fils dont la naissance a accompagné l'écriture de ce livre ? Que puis-je lui dire sur son père, sur ses grands-parents, sur sa lignée familiale dans laquelle, à ma suite, il s'inscrit secrètement ? Mes origines sont aussi les siennes. Incomplètes, amputées, elles lui compliquent la vie. Par exemple, que répondre au médecin qui, tout naturellement, demande si dans la famille, il y a des antécédents de diabète ou d'hypertension ? Au cours de mon métier de scénariste, j'ai appris que pour être cohérente, une histoire doit obéir à un certain nombre de règles narratives. Voici l'une d'elles : lorsqu'au début de l'histoire, vous créez un secret, il faut qu'à la fin, vous le dévoiliez. Si vous ne le faites pas, l'histoire et les personnages ne servent plus à rien, ils n'ont plus de raison d'être. Supprimez dans Secrets et mensonges la séquence finale où chaque personnage dévoile aux autres le secret qu'il détient et ce film, palme d'or à Cannes en 1996, devient absurde. La France est le pays du secret. Partout ailleurs dans le monde, l'accouchement établit un lien de filiation avec la mère. Or, en France, chaque année, des centaines d'enfants naissent sous X. Mais en France, le scénariste ne connaît pas son métier. Il refuse obstinément de lever le secret qu'il a créé de toute pièce sous le régime de Vichy, il y a soixante-dix ans. En apparence, les raisons invoquées, protéger la mère de naissance et son bébé, rassurer les parents adoptifs, sont louables. En réalité, elles ne tiennent pas compte du désir que peuvent un jour exprimer les parents de naissance de retrouver leur enfant – parce qu'il y a des mères, ayant accouché dans ces conditions, qui n'ont jamais retrouvé leur enfant quand elles ont voulu le faire – ou un enfant né sous X de retrouver ses parents de naissance. Avec Georgina Souty, qui fut une enfant abandonnée, nous les avons rencontrés, ces mères, ces pères, ces enfants, en butte au secret, de l'abandon aux retrouvailles, quand par bonheur elles ont eu lieu, ils témoignent de leur quête. Écoutez-les, malgré leur désespoir, malgré leur peine, ils parlent d'amour et de mémoire, ils parlent de vie ».
Voilà, chers collègues, ce témoignage, cette quête. C'est une requête, c'est une supplique.
Par cet amendement, je vous propose de transformer très légèrement la loi de 2002 en maintenant le principe de l'accouchement dans le secret pour protéger les mères mais en offrant la possibilité, plus tard, à l'enfant qui est né sou X, de retrouver ses origines, en vertu de ce droit consacré par la convention internationale des droits de l'enfant et que la France a ratifiée. Tout simplement, la mère, comme en Grande-Bretagne, comme partout ailleurs en Europe, laisserait son identité dans un pli totalement fermé, qui ne serait ouvert par personne, sauf par l'enfant, à sa majorité, s'il en fait la demande.
La parole est à Michèle Tabarot, rapporteure de la commission spéciale chargée d'examiner la proposition de loi sur l'enfance délaissée et l'adoption, pour donner l'avis de la commission.
Vous évoquez, chère collègue, un sujet très sensible, qui ne peut pas nous laisser indifférents. Chacun d'entre nous connaît des situations de ce type, ou des situations symétriques. Toute la difficulté est, pour notre assemblée, de se prononcer sur ce sujet aussi sensible.
Je veux, tout d'abord, vous rendre hommage. Vous avez beaucoup travaillé sur cette question. Ainsi avez-vous présenté à Mme la ministre de la santé Roselyne Bachelot un rapport pour l'alerter. Vous avez également déposé, avec un certain nombre de collègues, une proposition de loi. C'est donc un sujet qui vous tient à coeur. Cependant, comme vous l'indiquez vous-même dans votre rapport, en rappelant combien la question est délicate, il n'y a pas de consensus.
Aujourd'hui, comme nous l'avons dit en commission, nous estimons avoir trouvé, avec la loi de 2002 relative à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'État, un équilibre. Nous ne souhaitons pas y toucher à l'occasion de l'examen de la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui.
Même si nous rendons hommage à votre travail, et tout en indiquant que nous comprenons combien la question est délicate, nous estimons que ce n'est pas avec un amendement à ce texte qu'il faut aborder la question. Elle appelle véritablement à une réflexion beaucoup plus large.
La commission spéciale a donc émis un avis défavorable sur votre amendement.
J'ai bien entendu, madame la députée, ce que vous avez dit. Les éléments sur lesquels vous vous appuyez sont tout à fait recevables. Ils touchent évidemment à l'intime, à l'affect, à l'individu.
Cela étant, il ne faut pas oublier – je rejoins sur ce point l'avis de Mme la rapporteure – que nous nous trouvons présentement dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale et que les décisions que nous prenons ici ont évidemment des conséquences. Vous proposez d'inscrire, dans le code civil, un droit absolu pour l'enfant, devenu majeur, à connaître ses origines. Cette disposition, madame la députée, remet vraiment en cause le secret dont bénéficient les femmes qui accouchent anonymement. J'ai bien entendu ce que vous avez dit, qui apparaît tout à fait légitime si on se tourne vers l'enfant, mais cela aurait de lourdes conséquences.
Pour les femmes, le secret est important, et vous le remettez en cause, puisqu'il ne serait plus préservé que le temps de la minorité de l'enfant. La disposition que votre amendement tend à introduire bouleverserait l'équilibre de la loi du 22 janvier 2002 relative à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'État, qui était parvenue à concilier les intérêts légitimes que sont la protection du secret de la mère et le droit de l'enfant à connaître ses origines dans le respect d'un certain nombre de conditions.
Le dispositif français de l'accouchement sous X est parfaitement conforme aux instruments internationaux. Il a d'ailleurs été jugé conforme à la convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales. En revanche, l'adoption d'un tel amendement ne serait pas sans risque pour les femmes concernées, une recrudescence des accouchements hors des circuits sanitaires, avec, potentiellement, des infanticides ne pouvant être exclu.
Voilà pourquoi je suis du même avis que Mme la rapporteure.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
Bien évidemment, madame Barèges, nous sommes, les uns et les autres, très sensibles à cette question. Nous pourrions les uns et les autres, comme l'a dit Mme la rapporteure, comme l'a dit Mme la secrétaire d'État, trouver des cas qui nous émeuvent et qui devraient nous inciter à vous suivre. Je pourrais cependant évoquer aussi d'autres cas, qui nous incitent à ne pas vous suivre.
Vous avez tout à l'heure cité le témoignage d'un homme né sous X. Sa situation est sûrement un drame pour lui, une douleur insurmontable, mais, cette douleur, s'il n'avait pas existé, s'il n'était pas né, où serait-elle ? Si sa mère n'avait pas eu la garantie qu'elle disparaîtrait à jamais de sa vie, serait-elle allée au terme de sa grossesse ? Voilà la vraie question. Si nous voulons garantir à des femmes qui se retrouvent dans une situation particulière, qui ne veulent pas, justement, aller vers l'avortement, qui veulent, au contraire, aller au bout de leur démarche, et peut-être donner à un enfant la chance d'avoir une autre famille, qui ne pourra pas être sa famille biologique, il faut qu'il y ait le secret.
Avec cette épée de Damoclès, ce secret qui, le jour de la majorité de l'enfant, n'en serait plus un, l'enfant, c'est un risque, ne verrait pas forcément le jour.
Vous avez donné d'autres arguments qui m'ont un peu plus choqué. Vous dites que l'enfant né sous X ne peut pas, par exemple, savoir s'il a des antécédents diabétiques, mais c'est le cas de l'immense majorité des enfants adoptés ! Je suis père de trois enfants adoptés et, pour deux d'entre eux, nous ne savons rien de leurs origines ou de la problématique médicale qui pourra éventuellement être la leur. Et alors ? C'est la vie ! Malheureusement, elle n'est pas un chemin tracé à l'avance et éclairé de projecteurs jusqu'à son terme. La vie est faite d'imprévus, elle est faite de malheurs, elle est faite de joies, et l'adoption est une véritable joie, avec sa part de secret et d'ignorance que nous ne pourrons complètement dissiper. Bien évidemment, tel enfant adopté aimera savoir pourquoi il est infertile, tel autre pourquoi il est atteint d'une maladie précise, et on ne le saura pas ; cela fait partie de la vie.
Par ailleurs, comme l'a dit Mme la rapporteure, nous avons très souvent et très longuement débattu de ce problème de l'accouchement sous X. Jusqu'à présent, même si la France est l'un des rares pays qui soient dotés d'une telle législation, nous avons trouvé un certain équilibre. Le remettre en cause, en raison d'un cas particulier, ne me paraît pas de nature à permettre un progrès. Peut-être règlerions-nous le problème de l'enfant que vous avez cité, mais nous risquerions d'en créer beaucoup d'autres à côté.
Je suis donc défavorable à votre amendement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe SRC.)
Je n'ai pas grand-chose à ajouter à l'excellente démonstration de notre collègue Nicolin.
Nous sommes confrontés à un conflit de valeurs, un conflit entre le droit au secret des femmes et le droit de chacun à connaître le plus possible de ses origines, qui est d'ailleurs inscrit dans la loi. Il nous faut un équilibre, et je pensais qu'avec la création du conseil national d'accès aux origines personnelles, le CNAOP, et les éléments identifiants nous y étions parvenus.
Vous avez, madame Barèges, cité le cas d'un jeune homme qui ressent une vraie souffrance et recherche ses origines. Cependant, d'après les statistiques et études du CNAOP que nous avons lues, la plupart des demandes faites par des jeunes à partir de la majorité ne sont jamais suivies d'effet. Il est important que le CNAOP existe et se tienne à la disposition de ces jeunes mais sachez bien que les démarches vont rarement au-delà de cette demande des éléments identifiants et de l'identité de la mère – on parle très rarement du père. Il s'agit donc de quelque chose très complexe, sur le plan psychologique. C'est cela, le sens de la création du CNAOP. Dans un moment marqué par la complexité et les conflits de l'adolescence, puisqu'il s'agit souvent de jeunes de dix-huit, dix-neuf ou vingt ans, ils peuvent être écoutés et accueillis sans que l'on soit pour autant dans la transparence la plus totale.
En outre, il faut préserver, même si, je le sais, c'est difficile, car c'est souvent en opposition avec le droit de l'enfant, le droit des femmes au secret et à l'intime. M. Nicolin nous le rappelait : on ne sait pas non plus quelle est l'hérédité génétique des enfants adoptés et dans quelle mesure ils sont prédisposés à contracter certaines maladies.
Pensez-vous cependant qu'il soit utile de publier les statistiques, que nous avons tous, du moins dans les milieux médicaux et hospitaliers, sur le nombre d'enfants dont, à l'occasion d'une recherche ADN, on découvre, y compris à la maternité, qu'ils ne sont pas les enfants de leurs parents ? Je peux d'ailleurs vous dire que cette proportion croît avec le rang familial : elle est faible pour le premier enfant, plus importante pour le troisième. Si nous nous lançons dans cette entreprise de transparence absolue, les demandes vont fuser dans tous les sens, et nous serons plus qu'embarrassés. Nous aurons fait du mauvais travail.
Je ne répèterai pas les excellents propos des précédents orateurs ; j'y souscris complètement. J'ajouterai simplement quelques éléments.
Nous avons travaillé sur ce sujet pendant trois mois, et nous sommes parvenus à un accord. Cette commission spéciale a été créée pour cela. Je pense qu'il serait raisonnable de respecter le fruit de ses travaux.
En outre, vous avez raison, tous les enfants adoptés, à un moment ou à un autre de leur vie, se posent cette question. Nous avons répondu en créant le CNAOP, et nous disposons des chiffres relatifs à sa fréquentation et à la possibilité offerte à certains, ils sont nombreux, d'aller jusqu'au bout de leur démarche, c'est-à-dire de connaître l'identité de la femme qui les a mis au monde.
D »e toute façon, la solution que vous proposez, madame Barèges, n'est pas appropriée. Que dit aujourd'hui la loi ? Une femme peut accoucher sous X. Il y en a des émissions, sur les accouchements sous X, de belles histoires, qui se terminent toujours très bien. On sait pourtant que, dans la plupart des cas, elles ne se terminent pas bien, et la découverte de l'identité de la mère n'est pas toujours ce que l'on aurait voulu pour l'enfant devenu adulte.
Je connais les chiffres. Les conseils généraux et le CNAOP voient des femmes donner leur identité quinze ans, vingt ans, trente ans après la naissance – peu importe combien de temps. C'est tout à leur honneur. Le CNAOP, offre donc à la fois la possibilité pour les enfants d'accéder aux origines, si on en a connaissance, et la possibilité, pour ces femmes, de révéler leur identité si elles le souhaitent. Elles sont de plus en plus nombreuses à le faire. Laissons donc se faire cette évolution, d'autant que nous savons, comme l'ont dit Mme la ministre, Mme la rapporteure et M. Nicolin, que l'accouchement sous X n'est pas un choix facile et que c'est toujours un moment particulièrement douloureux. En revanche, il faut accompagner les femmes à ce moment et les inciter à laisser leur nom et un certain nombre d'éléments qui pourront, notamment, permettre à l'enfant, même avant 18 ans, de mieux grandir.
Les propos que vient de tenir notre collègue Patricia Adam sont empreints de sagesse. Comme souvent sur les questions sociétales, les clivages ne sont pas ceux auxquels nous sommes habitués dans cette enceinte, car chacun se détermine en réalité par rapport à des convictions profondes qui méritent, de toute façon, le respect.
Quand il s'agit de questions sociétales, il faut certainement se garder de légiférer sur tout ou, du moins, se garder de légiférer dans la hâte. Qu'en sera-t-il dans vingt ans ? Personne ne le sait mais la préservation de la liberté de la mère qui, à un moment, a été amenée par les circonstances de la vie à accoucher sous X, de sa liberté de donner ou non son identité est extrêmement importante. Gardons-nous de légiférer sous l'emprise de l'émotion. La lecture d'un texte bien écrit ne remplace pas la confrontation rationnelle, et nous devons, nous qui sommes ici pour légiférer, prendre du recul et rester objectifs, même si – cela ne fait pas de doute – nous ne sommes pas dans le champ de la science exacte.
La transparence absolue, à laquelle vous semblez aspirer, chère collègue, parce qu'elle supprimerait, peut-être, la souffrance de ceux qui sont en recherche de leur filiation, c'est aussi la création, peut-être, de beaucoup de nouvelles souffrances, quand la réalité découverte n'est pas conforme à la filiation qui a pu être fantasmée. C'est aussi le réel, et nous connaissons tous de telles histoires, qui ne peuvent qu'inciter à la prudence.
Si, comme le disait Saint-Just, le bonheur reste une idée neuve en Europe, veillons à ce que la quête du bonheur ne devienne pas impossible dans des cas particuliers, dans l'intimité familiale, du fait de mesures que nous prendrions, nous, et qui ne préserveraient pas le plus important, ce secret de l'intimité, chaque fois que c'est nécessaire.
Il me semble que le législateur doit se garder de porter son regard partout.
Monsieur Blisko, vous dites que beaucoup d'enfants ont, sans le savoir, un autre père que celui qui est officiellement le leur. On estime aujourd'hui que 3 % des naissances sont concernées – encore s'agit-il d'un chiffre en diminution
Cela dit, quand on ne sait rien, ce n'est pas la même chose. La situation n'est pas du tout la même pour la personne concernée que si elle se fait un roman des circonstances de sa naissance, et cela n'a rien à voir avec ce qui devient une quête durant toute une vie. On n'est pas alors perpétuellement en train de se poser les mêmes questions : « De qui suis-je l'enfant, de quel événement ? Que s'est-il passé pour que ma mère, la femme qui m'a porté pendant neuf mois, n'ait pas pu me garder ? » Cette question est lancinante pour tous les enfants concernés qui grandissent avec elle ; ils la ressassent encore et encore. Pourtant, souvent, ils s'interdisent de la poser à leurs parents adoptants par peur de les blesser.
J'entends dire que ces enfants peuvent ne pas avoir envie de savoir. C'est vrai, l'accès aux origines n'est pas une obligation. Il est même possible de s'arrêter à mi-parcours de la démarche et de décider de ne pas savoir. Il ne s'agit pas de rendre l'accès aux origines obligatoire, mais seulement de créer une possibilité.
Il n'y a pas plus d'infanticides dans les pays qui ne connaissent pas l'accouchement sous X.
Si je pense qu'il faut encore maintenir la possibilité d'accoucher sous X, j'estime qu'à la majorité de l'enfant, il doit être possible de lever l'anonymat de la mère – je parle bien de l'anonymat et non du secret qui doit demeurer si la mère le souhaite. Il faut qu'une rencontre entre l'enfant et la mère soit possible ; il faut que l'on puisse expliquer son histoire à l'enfant. Alors les enfants concernés, même les plus petits pourront se dire : « Un jour, je saurai. On ne me ment pas. Je ne suis pas dans ce secret. On ne m'interdit pas quelque chose. » Nous parlons d'enfants qui grandissent en s'empêchant de se poser la question. Pour ma part, je dis aux parents adoptants qu'ils n'ont absolument rien à perdre à partager la recherche et le questionnement des enfants.
Je reconnais que le sujet est très délicat, mais je veux envoyer un message aux parents adoptants : être en quête de sa mère de naissance, ce n'est pas renier ses parents.
Il s'agit d'un sujet difficile qu'il faut aborder avec beaucoup de délicatesse et d'objectivité. Je remercie tous les intervenants, d'autant plus qu'il est difficile de s'exprimer sur un sujet lorsque l'on est concerné de près ou de loin.
Madame la rapporteure, je vous rappelle que le secrétaire d'État à la famille m'avait confié une mission en 2010 afin d'envisager une évolution de la loi du 22 janvier 2002 relative à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'État. Il ne s'agissait pas de lever le secret. Nous faisons une confusion dans nos débats entre le secret et l'anonymat. Le secret est éminemment respectable ; les femmes peuvent vouloir abandonner leur enfant pour des raisons que nous avons déjà invoquées, des raisons économiques, familiales, ou en cas de viol. Il faut maintenir et respecter le secret. Mon amendement ne touche pas au secret, il concerne l'anonymat.
L'anonymat est une serrure inviolable qui enferme le secret de manière définitive. Il empêche celui qui le désire de jamais retrouver ce qui a été le premier maillon de sa vie. On se place toujours du côté des femmes – Dieu sait qu'il faut les soutenir dans le moment de désarroi extrême qu'elles traversent ! –, mais vingt ou trente après, quand les enfants nés sous X deviennent parents et qu'ils cherchent souvent à savoir la vérité, la situation est différente. J'ai recueilli des témoignages de mères qui avaient abandonné leur enfant dans l'anonymat à une époque ou le statut de fille-mère relevait encore de l'interdit social. Elles n'ont pas pu le retrouver lorsqu'elles l'ont voulu à cause du verrou de l'anonymat.
Mais aujourd'hui, en se signalant au CNAOP, toutes les mères peuvent retrouver leur enfant !
Je m'exprime sans passion car je ne suis pas directement concernée – je n'ai pas adopté d'enfant, je n'ai pas accouché sous X, je ne suis pas une mère de l'ombre. J'ai tout de même entendu une souffrance que j'essaie de vous dire.
J'estime qu'en 2012, on peut voir les choses différemment qu'en 1940 : soixante-dix ans ont passé. Aujourd'hui, 600 à 1 000 enfants sont abandonnés tous les ans et seules 26 % des femmes demandent l'anonymat.
Ce chiffre provient d'un rapport de l'INED. Je le cite dans mon propre rapport pour lequel j'ai travaillé avec l'aide des services de l'État.
L'anonymat ne protège donc qu'une infime minorité de femmes. S'agit-il d'ailleurs seulement d'une protection ? Ces femmes qui demandent aujourd'hui l'anonymat lors de l'accouchement le regretteront peut-être dans vingt ou trente ans. Elles porteront toute leur vie ce poids au fond d'elles-mêmes.
Elles ne retrouveront peut-être pas leur enfant : l'anonymat est un verrou dans les deux sens.
(L'amendement n° 8 n'est pas adopté.)
La parole est à Mme Brigitte Barèges pour soutenir l'amendement n° 13 .
Avis défavorable.
Cet amendement vise à exclure du champ de la déclaration judiciaire d'abandon les situations de délaissement liées à un « cas de force majeure » ou à « un événement de caractère transitoire ».
Je rappelle qu'un événement extérieur ou transitoire n'est pas suffisant pour motiver une déclaration judiciaire d'abandon. Les travailleurs sociaux et le juge veillent à ce que l'ensemble des éléments soit pris en compte pour décider si, oui ou non, il faut considérer qu'un enfant est délaissé.
La précision apportée par l'amendement risque de créer une confusion.
Défavorable.
(L'amendement n° 13 n'est pas adopté.)
Défavorable.
Cet amendement a pour objet de qualifier le développement de l'enfant qui peut être « physique, psychologique, social ou éducatif ». J'estime qu'il faut être très vigilant en la matière. L'article 375 du code civil caractérise déjà le développement « physique, affectif, intellectuel et social ». Il ne me paraît pas opportun d'introduire les éléments proposés par l'amendement qui feraient courir un risque en termes d'interprétation, ce qui n'irait pas dans le bon sens.
(L'amendement n° 12 n'est pas adopté.)
(L'article 1er est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 7 , portant article additionnel après l'article 1er.
La parole est à Mme Brigitte Barèges.
L'article 7 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant reconnaît à l'enfant « dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents ». Mes chers collègues, cette « mesure du possible » dépend de vous : vous lui donnerez une pleine traduction en adoptant cet amendement.
La quasi-totalité des pays européens reconnaît l'accès aux origines et la levée de l'anonymat. Une fois encore, nous sommes les derniers de la classe. En France dans 70 % des cas, l'identité de la mère qui a été retrouvée par le Conseil national d'accès aux origines personnelles a pu être communiquée à la personne à la recherche de ses origines. Par ailleurs, selon une étude de l'INED, seulement 26 % des femmes ayant accouché dans l'anonymat n'ont laissé ni identité ni informations plus ou moins identifiantes à l'intention de l'enfant.
Je demande seulement que nous nous rapprochions de nos partenaires européens qui ne connaissent pas l'accouchement sous X, spécificité instaurée par le régime de Vichy, j'insiste une nouvelle fois sur ce point.
Il m'arrive très rarement d'être en accord avec mon collègue Jean-Pierre Brard. (Sourires.) J'ai bien écouté son intervention et, exceptionnellement, j'adhère à ses propos relatifs au premier amendement dont nous avons débattu.
Je suis toutefois assez sensible à l'amendement que vient de présenter Brigitte Barèges.
On ne peut pas faire fi du besoin que peut ressentir un être humain, à un moment ou un autre de sa vie, de connaître ses origines et d'en savoir plus sur le moment singulier de sa naissance.
Toutefois, la rapporteure a fort justement dit qu'il était probablement trop complexe de légiférer sur un tel sujet au détour d'un amendement. Pour autant, il faut poursuivre la réflexion afin d'être en mesure de la faire aboutir dans quelque temps, dans un délai indéterminé.
Serge Blisko nous parlait des jeunes abandonnant leurs recherches après avoir engagé une démarche. Mon cher collègue, je ne peux vous suivre sur ce terrain. Vous connaissez mieux que moi sans doute le mur auquel on est confronté lorsque l'on cherche à connaître ses origines.
L'abandon des recherches est bien souvent lié aux difficultés rencontrées plus qu'à un véritable revirement quant au désir d'en savoir plus. Le contexte psychologique et administratif est tellement difficile qu'il pousse parfois à renoncer. Il ne s'agit donc pas systématiquement d'un choix réel et spontané.
Madame Barèges, le sujet est complexe, mais vous pourriez faire l'économie de certains arguments. Quand vous dites qu'une loi est mauvaise parce qu'elle est issue du régime de Vichy, j'approuve vos propos, sur un plan très général. Mais si vous vouliez être cohérente, vous devriez remettre en cause toute la législation héritée de ce régime. Pour ma part, je vous suivrais sur ce terrain. Madame Antier, je suis certain que vous êtes d'accord pour supprimer l'ordre des médecins ! (Sourires.)
Madame Barèges, vous ne pouvez pas tirer argument du fait que les autres ne font pas comme nous. Depuis quand le mimétisme est-il un principe en politique ? Nous, Français, avons souvent su être seuls parce que nous avions la conviction d'avoir raison. Qui avait raison à Valmy, les Prussiens ou les Français ? Qui avait raison le 18 juin 1940, le général de Gaulle, malgré sa solitude, ou les autres ?
Non, nous ne sommes pas les derniers de la classe parce que nous sommes seuls à défendre un point de vue. Heureusement, notre nation a souvent été anticipatrice. Ne vous asseyez pas sur cet héritage de l'histoire qui fait honneur à notre pays !
Madame Barèges, le CNAOP n'interdit rien. Aujourd'hui, tout enfant qui recherche ses origines peut le faire dans d'excellentes conditions.
Il y a seulement 26 % des femmes qui demandent l'anonymat. Dont acte ! Mais ces femmes évoluent souvent dans leur réflexion. Elles sont nombreuses à se faire connaître par la suite.
Il s'agit d'une possibilité qui reste totalement ouverte. Ces femmes savent très bien où elles ont accouché. Elles peuvent se signaler au conseil général ou au CNAOP. Il n'y a aucun problème : elles peuvent faire marche arrière.
Il est essentiel d'apporter ces précisions car certaines de ces femmes vont nous écouter, nous entendre et nous lire.
Nous avons travaillé pendant trois mois sur l'enfance délaissée et l'adoption. Certes, la question de l'accès aux origines des enfants adoptées n'est pas étrangère à ce sujet important. Toutefois, je regrette qu'aux cours de nos travaux, nous n'ayons pas rencontré un certain nombre des acteurs concernés pour l'évoquer, alors que nous avons offert la possibilité aux députés qui le souhaitaient de se pencher, par exemple, sur la kafala.
Ces amendements ne me paraissent pas avoir leur place dans cette proposition de loi, mais ils soulèvent un problème qui mérite de faire l'objet d'un travail de fond ; j'espère que la prochaine assemblée s'en saisira.
Madame Barèges, je rejoins l'avis de Mme la rapporteure. Par ailleurs, vous proposez que la femme laisse son identité sous pli fermé sans qu'aucune pièce d'identité ne soit exigée. Or, je crains que l'on ne donne ainsi à l'enfant un espoir qui serait réduit à néant s'il découvrait que l'enveloppe ne contient pas l'identité de sa mère ou qu'aucune vérification n'est possible. Outre le risque que la mère mentionne une fausse identité – ce qui, selon moi, n'est pas un problème important –, je ne voudrais pas que l'espoir des enfants qui solliciteraient l'accès à leurs origines puisse être déçu. Mme la rapporteure a raison : il faut que nous étudiions ce problème avec sérénité, en prenant en compte l'ensemble des interrogations légitimes qu'il soulève.
(L'amendement n° 7 n'est pas adopté.)
Je tiens à saluer, au nom de mon groupe, l'introduction dans la proposition de loi de l'article 1er bis, qui traite d'un sujet auquel j'ai souhaité sensibiliser notre commission : l'enfance abandonnée à Mayotte. Qu'il s'agisse de l'ancien président du conseil général de Mayotte, M. Saïd Omar Oili, qui avait alerté le Président de la République, de la défenseure des enfants ou de notre collègue sénatrice, Mme Debré, tous ont insisté sur la gravité de ce problème. Les membres du groupe d'amitié France-Comores, qui a mené dans ce pays ami une mission à laquelle je participais, ont du reste fait le même constat lorsqu'ils se sont rendus à Mayotte à cette occasion.
Madame la secrétaire d'État, un rapport sur ce sujet serait, certes, utile, mais il est surtout nécessaire que l'exécutif agisse. Il ne s'agit pas de stigmatiser les départements d'outre-mer, en particulier Mayotte, dont nous nous réjouissons tous qu'elle soit devenue le 101e département de la République. Dans ce département, l'enfance délaissée est le fruit de notre propre politique migratoire. Parce que nous sommes en partie responsables de ce phénomène qui concerne environ 4 000 enfants, nous avons le devoir d'agir et d'organiser une concertation entre le gouvernement français et celui de l'Union des Comores, afin de trouver une solution à ce grave problème.
N'oublions jamais qu'un enfant devient un adolescent, puis un jeune adulte. Or, nous avons pu constater, lors des derniers mouvements sociaux à Mayotte, le rôle que pouvaient jouer dans ces événements de jeunes adultes qui, pour nombre d'entre eux, ont été des enfants abandonnés.
Je me réjouis donc que cette disposition ait été adoptée à l'unanimité par la commission. Néanmoins, madame la secrétaire d'État, permettez-moi de vous dire que le service civique ne pourra, hélas ! à lui seul, apporter une solution à ce problème. Nous devons tous nous mobiliser pour nous occuper de ces enfants. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Je vous remercie, cher collègue, d'avoir souligné l'importance de ce problème et je remercie Mme la rapporteure et Mme la secrétaire d'État d'avoir répondu favorablement à notre demande. C'est un honneur pour la République que de se voir confier des enfants et nous devons nous pencher sur la situation de ceux de Mayotte, en respectant les différentes sensibilités – celle des Mahorais, celle des migrants – qui cohabitent sur cette île et en veillant à préserver les équilibres. Je sais que le problème est complexe, mais les enfants ne doivent pas être pris en otage.
(L'article 1er bis est adopté.)
Madame la secrétaire d'État, madame la rapporteure, je souhaiterais que, dans le rapport sur la situation des enfants placés qu'ils doivent présenter chaque année, les services de l'aide sociale à l'enfance rendent également compte des mesures prises par les services compétents pour soutenir et accompagner les familles concernées. C'est la raison pour laquelle je propose de compléter l'alinéa 5 de l'article 2 par la phrase suivante : « Il [le rapport] décrit également les mesures de soutien et d'accompagnement dont ont pu bénéficier les parents de l'enfant. »
Par ailleurs, madame la secrétaire d'État, je souhaite attirer votre attention sur les critères qui sont actuellement appliqués par les commissions qui rendent un avis au président du conseil général sur la capacité des parents à adopter des enfants. Je suis en effet stupéfait que mon département, les Yvelines, soit si souvent épinglé pour être l'un de ceux où les avis favorables à l'adoption sont les moins nombreux. La question que je vous pose est donc la suivante : comment harmoniser les critères utilisés par ces commissions afin que les écarts soient moins importants d'un département à l'autre ?
Favorable. Il est important, pour que les magistrats se prononcent, qu'ils disposent de tous les éléments concernant l'aide à la parentalité.
Monsieur le député, j'ai bien entendu vos arguments. Il est vrai qu'il existe une réelle disparité entre les départements. Le Gouvernement est favorable à votre amendement.
(L'amendement n° 24 est adopté.)
(L'article 2, amendé, est adopté.)
La parole est à Mme la rapporteure, pour défendre l'amendement n° 26 rectifié portant article additionnel après l'article 2.
J'ai souhaité déposer deux amendements, nos 26 rectifié et 25 rectifié , concernant le Système d'information pour l'adoption des pupilles de l'État, le SIAPE.
Le SIAPE permet en effet de diffuser au niveau national des informations relatives aux enfants adoptables qui ont des besoins spécifiques et aux candidats à l'adoption capables de veiller à leur bien-être. Hélas ! Le SIAPE est largement méconnu par les acteurs concernés et son mauvais fonctionnement a un impact direct sur les chances d'adoption des enfants à besoins spécifiques. Ces enfants sont malades, âgés ou handicapés et il faut favoriser leur mise en relation avec des familles prêtes à les adopter.
Ainsi, l'amendement n° 26 rectifié a pour objet de susciter une dynamique nouvelle en prévoyant que seront inscrits au SIAPE les enfants pour lesquels aucun projet d'adoption n'est formalisé dans les six mois qui suivent leur admission en qualité de pupilles de l'État.
Cet amendement vise à inscrire dans la loi le Système d'information pour l'adoption des pupilles de l'État et à rendre obligatoire l'inscription dans ce fichier des enfants pupilles de l'État, notamment en raison de leurs besoins spécifiques, sans projet d'adoption six mois après leur entrée dans ce statut. Si le Gouvernement partage l'objectif de mieux faire connaître cet outil et d'en améliorer l'efficacité, cette proposition présente quelques difficultés, tant en termes d'opportunité – une inscription systématique de ces enfants ne semble pas pertinente, dès lors qu'elle n'est pas forcément adaptée à la situation de l'enfant – qu'en termes juridiques : l'inscription dans la loi d'un outil de gestion qui possède une base réglementaire ne relève pas en soi du domaine législatif et ne constitue pas un moyen adapté de le rendre visible.
C'est uniquement pour ces raisons que le Gouvernement émet un avis défavorable.
Si j'ai souhaité déposer les amendements nos 26 rectifié et 25 rectifié , c'est parce que le SIAPE est véritablement au point mort. Les quelque 2 000 enfants qui y sont inscrits sont en attente d'adoption ; or, de nombreux couples désireux d'adopter ne connaissent pas l'existence de ce système d'information. Je maintiens donc l'amendement.
Je souhaite, en tant que spécialiste de ces questions, soutenir l'amendement de Mme Tabarot. Ce fichier est en effet sous-utilisé, car – vous le savez sans doute, madame la secrétaire d'État – la plupart des services des conseils généraux refusent d'y recourir. Quand la pratique fait obstacle à la volonté des gouvernements successifs, seul le législateur peut intervenir, en l'espèce pour imposer une obligation. Il est peut-être dommage d'en arriver là, mais la simple connaissance de ce fichier permettrait à des familles de se porter candidates pour adopter ces enfants.
Si je souscris aux propos de Mme Adam, je me demande en quoi l'amendement tel qu'il est rédigé permettra de régler le problème qu'elle soulève, puisqu'il n'impose pas d'utiliser le fichier concerné. En effet, il est proposé que « les enfants pour lesquels aucun projet d'adoption n'est formé ou susceptible d'être formé plus de six mois après leur admission en qualité de pupille de l'État, notamment en raison de besoins spécifiques liés à leur âge, à leur santé ou à leur appartenance à une fratrie, sont inscrits au fichier dédié du système d'information pour l'aide à l'adoption des pupilles de l'État. »
Encore une fois, je ne conteste pas l'objectif affiché par Mme la rapporteure, mais je me demande en quoi cette disposition nous garantit que le fichier sera mieux utilisé demain.
C'est une question de volonté politique. J'espère que l'on profitera de l'inscription du SIAPE dans la loi pour dynamiser cette action ; il en va du sort de plus de 2000 enfants.
Pour compléter ce que vient de dire Mme la rapporteure, je veux insister sur le fait que le fichier existe, mais n'est pas alimenté. La simple connaissance de l'existence d'enfants susceptibles d'être adoptés – des enfants ayant des besoins spécifiques, comme le dit l'amendement – peut permettre aux familles ainsi qu'à des organismes tels qu'Enfance & Familles d'adoption d'avoir une vision plus globale, sur l'ensemble de la France, donc d'avoir plus de chances de proposer une famille aux enfants concernés. L'existence du fichier est importante dans le sens où elle constitue la seule forme de centralisation de ces cas très particuliers.
Je rejoins l'avis de M. Berdoati : la loi ne va pas obliger à changer les choses – pour cela, des dispositions réglementaires seraient plus appropriées. Il me paraît souhaitable de privilégier l'efficacité, à savoir l'information, le référentiel, la formation des professionnels. Le ministère de la solidarité et de la cohésion sociale, qui est aussi le ministère de la famille, s'attache actuellement à travailler en ce sens. J'espère qu'il pourra développer son action en 2012, en partenariat avec les services déconcentrés de l'État, les conseils généraux, les conseils de famille, les professionnels et le secteur associatif.
Nous sommes bien d'accord sur le fait que le fichier est largement sous-utilisé, mais la loi ne pourra pas changer les choses sur ce point : j'estime qu'il faut simplement organiser, informer, activer ce qui existe déjà. Le SIAPE est réservé aux pupilles pour lesquels un projet d'adoption est envisageable, ce qui n'est pas le cas de tous les pupilles. Le Gouvernement travaille donc sur la base nationale d'agrément qui pourrait s'y substituer.
Alors que nous sommes dans une dynamique de changement, la loi risque de cristalliser les choses, c'est pourquoi le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 26 rectifié .
Ma collègue Patricia Adam est sans doute plus experte que moi dans ce domaine, mais il me semble qu'il pourrait être intéressant de sous-amender l'amendement n° 26 rectifié , auquel il ne manque qu'un élément de contrainte pour être efficace. Le fait que les enfants soient inscrits dans un fichier dédié n'est pas suffisant pour atteindre l'objectif déclaré de cet amendement. J'insiste sur le fait que je ne suis pas opposé à la disposition proposée : je m'efforce simplement de réfléchir à la meilleure façon de le rendre efficace.
(L'amendement n° 26 n'est pas adopté.)
Avec l'amendement n° 19 , nous abordons un sujet important, celui de la kafala, et je me félicite que la commission spéciale ait organisé une table ronde sur ce thème, afin de nous permettre d'en discuter.
Par l'effet de la kafala judiciaire, une procédure bien distincte de l'adoption, des centaines d'enfants en provenance du Maghreb – essentiellement le Maroc et l'Algérie – se trouvent placés dans des familles françaises. La situation juridique de ces enfants est très instable : la France ne reconnaissant pas ce mécanisme d'adoption particulier, ils ne peuvent être adoptés avant un délai relativement long, en l'occurrence cinq ans de résidence en France. Durant toute cette période, les enfants concernés sont exposés à un sentiment de différence, voire d'exclusion, par exemple quand une sortie scolaire est organisée à l'étranger.
Sans doute le contexte parlementaire actuel se prête-t-il mal à ce que nous nous lancions dans un travail de fond sur le thème de la kafala. Il me semble cependant que nous pourrions faire en sorte que les enfants concernés ne se trouvent pas pénalisés par le fait d'être arrivés en France par l'effet de cette procédure particulière.
Notre amendement n° 19 propose donc de supprimer la condition de résidence de cinq ans pour les enfants recueillis selon une décision de kafala judiciaire : comme tous les enfants arrivés en France par le biais de l'adoption, ils doivent pouvoir acquérir la nationalité française dès l'accomplissement des démarches nécessaires.
L'amendement n° 19 a mobilisé l'attention de la commission spéciale, du fait de son sujet touchant de nombreux parlementaires s'intéressant à l'adoption, à savoir la kafala. La commission n'a pas de réponse précise à apporter à la série d'amendements présentés sur ce thème par le groupe socialiste. Nous avons conclu, à l'issue de nos travaux, que j'effectuerai une démarche auprès du Gouvernement afin de tenter de trouver une solution harmonieuse, de nature à répondre à l'ensemble des situations posées – car plusieurs pays de droit coranique sont concernés.
Je propose donc à nos collègues du groupe SRC de retirer leurs amendements et d'adopter celui que j'aurai le plaisir de présenter dans quelques instants – sur lequel le Gouvernement proposera un sous-amendement.
Je salue la pertinence et la sagesse de ce que vient de dire Mme la rapporteure. L'amendement présenté par M. Blisko…
Avec tous mes collègues socialistes, madame la ministre ! L'opposition est unie ! (Sourires.)
…aurait des conséquences importantes. Premièrement, il permettrait l'adoption d'un enfant, sans tenir compte du fait que la loi personnelle s'appliquant à cet enfant s'y oppose. Deuxièmement, il conduirait la France à méconnaître ses engagements internationaux. L'adoption internationale est en effet régie par la convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale, laquelle a été ratifiée par la France le 30 juin 1998. Au terme de l'article 4 de cette convention, une adoption ne peut avoir lieu que si les autorités compétentes de l'État d'origine ont établi que l'enfant est adoptable. Or, cette condition ne peut être satisfaite lorsque la loi personnelle de l'enfant ne connaît pas l'adoption, quelle qu'en soit la forme.
Par ailleurs, je précise que cette disposition a une portée générale obligeant la France à l'appliquer, même à l'égard des États non contractants. C'est aussi le cas de l'accord franco-marocain du 19 octobre 1996, qui refuse la reconnaissance de toute décision d'adoption.
L'alinéa 2 de l'article 370-3 du code civil, adopté à l'unanimité en 2001, transpose en droit français cet article 4 de la convention de La Haye. L'adoption reste cependant possible si l'enfant est né et réside habituellement en France. Supprimer cet alinéa n'est pas de nature à remettre en cause nos engagements internationaux, qui s'imposent à notre ordre juridique et aux juridictions appliquant le droit positif – à moins que la France ne dénonce la convention de La Haye, ce qui ne me paraît pas envisageable, ou qu'elle renégocie, avec chacun des États concernés, les accords bilatéraux par lesquels elle leur est liée. En l'état actuel, les tribunaux français ne pourront donc que continuer à refuser de prononcer des adoptions dans le cadre dont il est question, au regard des textes conventionnels précités.
Vous expliquez, monsieur le député, que tous les enfants arrivant en France selon une décision de kafala judiciaire devraient pouvoir bénéficier de l'adoption au bout d'un an. Je rappelle que tous les enfants arrivant en France ont la nationalité française au bout de cinq ans, d'où qu'ils viennent. Réserver un sort particulier aux enfants placés en vertu d'une kafala générerait une discrimination à l'égard des enfants provenant d'autres pays que ceux pratiquant la kafala, ainsi qu'à l'égard des enfants nés en France de parents étrangers.
Le Gouvernement est donc défavorable à l'amendement n° 19 . Cependant, Mme la rapporteure et moi-même avons travaillé main dans la main sur ce thème, et je pense que nous serons à même de vous proposer une solution nous permettant d'avancer dans le bon sens, tout en respectant nos engagements.
Depuis plusieurs dizaines d'années, nous essayons d'alerter les pouvoirs publics sur les difficultés que rencontrent un certain nombre de nos compatriotes, pour la plupart binationaux, résidant parfois en Algérie ou au Maroc. En vertu du droit coranique, on ne peut avoir qu'un seul père. Quand un enfant originaire de l'un des pays que j'ai cités perd ses parents, il ne peut donc être adopté, mais seulement confié, au moyen d'une kafala, notamment judiciaire – qui n'est pas assimilable, sur un plan juridique, à l'adoption au sens où nous l'entendons.
Au sein d'une même famille peuvent cohabiter des enfants biologiques et des enfants placés en vertu d'une kafala, ce qui n'est pas sans poser certains problèmes aux familles concernées. Ainsi, il n'est pas rare que les parents effectuent, notamment pour des raisons professionnelles, de fréquents allers-retours entre la France et leur pays d'origine. À l'aéroport, les enfants biologiques se trouveront avec leurs parents dans la file des passeports français, tandis que les enfants confiés en vertu d'une kafala se trouveront à part, dans la file des passeports étrangers. Deux enfants vivant dans une même famille n'auront donc pas les mêmes droits.
Autre exemple, les enfants biologiques scolarisés en Algérie ou au Maroc fréquenteront un collège ou un lycée français, tandis que l'enfant placé sous kafala n'aura pas la possibilité d'intégrer l'un de ces établissements, ou ne pourra le faire qu'à la condition de régler un tarif plus important. Comme on le voit, les enfants placés en vertu d'une kafala font l'objet de vraies discriminations.
Depuis des années, nous nous efforçons de pousser les autorités françaises à avancer sur ce sujet. Les familles françaises ne sont pas les seules en Europe à accueillir des enfants selon une kafala : de nombreuses familles belges, italiennes, espagnoles, scandinaves ou allemandes se trouvent dans le même cas – si ce n'est que la législation de ces pays a évolué afin de permettre aux enfants concernés de bénéficier d'un régime quasi équivalent à celui de l'adoption. Nous souhaitons que la législation française évolue, elle aussi, sur ce point.
Des amendements ont été proposés en ce sens – en l'occurrence par nos collègues du groupe SRC –, auxquels je souscris à titre personnel. La rapporteure a, pour sa part, souhaité emprunter une autre voie, et nous proposera dans un instant un amendement de nature à permettre de contourner l'article du code civil qui proscrit l'adoption d'enfants dont le droit personnel ne reconnaît pas l'adoption – sauf dans le cas où un accord bilatéral a été conclu.
Le fait d'adopter cet amendement ne résoudra pas tous les problèmes. Certes, nous aurons fait un grand pas en ce qui concerne la kafala, mais il restera encore à obtenir la preuve de la volonté du Gouvernement français d'engager immédiatement des discussions avec les pays concernés. Je sais par expérience, pour m'y être rendu et avoir discuté avec les autorités, en particulier au Maroc, que les États en question sont très ouverts. Ils sont disposés à accepter pour la France, avec laquelle ils entretiennent des rapports particuliers, pour des raisons historiques, ce qu'ils acceptent déjà pour d'autres pays européens comme la Belgique.
Je souscris donc à l'amendement que va proposer Mme Tabarot, auquel je souhaite que nos collègues socialistes se rallient également. Cependant, j'insiste auprès du Gouvernement sur le fait que notre démarche ne doit pas s'arrêter là : nous devons continuer à avancer sur cette question.
Je sais bien qu'il existe des traités et des conventions internationales, notamment celle de La Haye. Mais celle-ci ne proscrit pas ce que nous voulons faire, c'est-à-dire proposer qu'il y ait, à l'avenir, une convention bilatérale entre la France et l'Algérie ou le Maroc.
Même si l'on peut effectivement aller dans ce sens, cela ne sera pas suffisant, madame la secrétaire d'État. Je souhaiterais donc, pour ma part, que vous preniez l'attache du ministre des affaires étrangères, qui, je le sais, est ouvert sur cette question, pour que l'on règle certains problèmes quotidiens qui se posent aux familles : il faut ouvrir les collèges et les lycées français aux enfants sous kafala au même tarif que les autres ; il faut mettre en place pour eux un système de visas avec entrées et sorties multiples. Bref, il faut améliorer le quotidien de ces enfants et de leurs parents, parce qu'il y a vraiment urgence. Cette situation n'a que trop duré : cela fait plus de vingt ans que l'on en parle !
Certainement pas, monsieur le président !
Je remercie d'abord M. Nicolin et je salue sa connaissance de ces problèmes. Comme il l'a précisé, nous en avons d'ailleurs souvent débattu. Nous avons, les uns et les autres, progressé sur la question de la kafala.
Je ne retirerai pas cet amendement et je vais expliquer pourquoi. Je tiens à dire à Michèle Tabarot le respect que j'ai pour elle. Je sais qu'elle a accompli, sur ce sujet particulièrement difficile actuellement, un travail important avec les ministères – je dis bien avec les ministères et non pas avec le Gouvernement, madame la secrétaire d'État.
Vous avez dit tout à l'heure qu'il s'agissait d'un problème de souveraineté. Pas du tout ! L'amendement n° 19 ne vise pas à demander une adoption simple ou une adoption plénière. Il s'agit simplement d'accorder la nationalité française aux enfants accueillis par des familles françaises sous le régime de la kafala judiciaire – car il n'est pas question ici de la kafala notariale, nous sommes bien d'accord sur ce point.
Il n'y a donc pas là de problème de souveraineté et de diplomatie entre notre pays et le Maroc ou l'Algérie. C'est bien à nous de décider si nous souhaitons donner la nationalité française à ces enfants qui, de toute façon, deviendront français, mais au bout de cinq ans selon les textes aujourd'hui en vigueur. Nous demandons simplement que l'on n'attende pas autant.
Rendez-vous compte, en effet, de ce que cela représente ! Je pourrais, de même, peut-être, que d'autres personnes dans cet hémicycle, citer de nombreux exemples tirés des témoignages que j'ai recueillis. Un enfant arrivé en France à l'âge sept ans par la kafala judiciaire devra attendre cinq ans pour obtenir la nationalité française. Il aura donc treize ans ! Ce n'est qu'au bout de cinq ans…
Ce n'est pas le seul, madame Adam ! Il y a même eu une commission spéciale.
Justement ! Ce n'est qu'au bout de cinq ans, disais-je, que cet enfant pourra demander à être adopté par sa famille.
Je le dis donc très clairement : nous maintenons cet amendement et c'est la condition – je suis désolée de le dire –,…
Ah non ! pas de chantage, s'il vous plaît !
Ce n'est pas du chantage ; c'est une condition que nous posons. Nous avons eu de nombreux débats sur le sujet. Cela fait dix ans que l'on en parle et le Gouvernement n'a jamais rien fait sur ce dossier.
Ce n'est pas vrai ! Vous ne pouvez pas dire cela !
Puisque je n'ai pas le temps de m'exprimer, monsieur le président, je demande, au nom de mon groupe, une suspension de séance.
Après l'article 2
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à seize heures cinquante-cinq.)
Je voudrais, très calmement, reprendre nos arguments.
Nous sommes tout à fait d'accord pour voter l'amendement de Michèle Tabarot, que nous n'avons pas encore abordé. Il ne pose absolument aucun problème et constitue même un progrès – je le dis clairement.
En revanche, cet amendement nous ramène à un débat que nous avons depuis dix ans. Malheureusement, pendant tout ce temps, les choses n'ont pas avancé. On sait très bien que, dans un an, dans trois ans, peut-être dans cinq ans, il y aura un texte sur cette question. C'est trop long ! Nous proposons donc, tout simplement, de permettre dès maintenant aux enfants qui sont confiés – je ne dis pas adoptés – à des familles françaises sous le régime de la kafala judiciaire, et non notariale, de bénéficier de la nationalité française.
Si vous acceptez cet amendement, ainsi que celui de Mme Tabarot, il n'y aura, sur ce texte, aucun problème entre nous et la majorité. Je tenais à faire cette précision. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Nous sommes confrontés à un problème très particulier. Dans les faits, madame la secrétaire d'État, il s'agit d'une adoption : cette situation en a toutes les caractéristiques, même si l'acte juridique qui en est à l'origine, ne relevant pas de notre législation, ne peut être ainsi qualifié.
Mais, encore une fois, dans les faits, les enfants qui sont confiés à une famille française respectent tous les critères de l'adoption et n'ont plus de rapports familiaux avec leur terre d'origine.
Je ne suis pas juriste, madame la secrétaire d'État, mais nous faisons ici la loi pour la France…
Nous sommes bien d'accord !
…et nous n'avons pas à nous déterminer par rapport à un droit d'essence religieuse. La France est un pays où la laïcité a valeur constitutionnelle. Il faut donc en tirer toutes les conclusions.
Bien sûr qu'il faut respecter les accords internationaux, à condition qu'ils ne soient pas contraires à notre droit. Dans les faits, les enfants dont il est question sont discriminés puisque, pour franchir la frontière, ils doivent avoir un visa. Ce n'est pas acceptable : ils sont dans une famille française, de fait « adoptés » – même si, dans notre esprit, les guillemets sont fantasmatiques – par une famille française. On ne peut pas accepter qu'un enfant de facto français soit soumis au régime des visas !
C'est pourquoi l'amendement de nos collègues est parfaitement légitime. Il s'agit de réparer une injustice dont les enfants sont victimes parce qu'un accord international est susceptible d'interprétations diverses. Pour moi, il n'y a pas trente-six interprétations possibles dans la mesure où ce qui pourrait nous retenir est un principe dont l'origine n'est pas conforme à nos principes de laïcité.
Contrairement au début de la discussion, nous avons ici un point de désaccord. Si j'en crois les textes, la kafala, quel que soit son statut, n'est pas reconnue par le droit français.
Je n'en tirerai pas les mêmes conclusions que vous, monsieur Brard.
Nous devons assumer nos responsabilités. Il convient de rejeter cet amendement non parce qu'il est présenté par des collègues de l'opposition, mais parce que, implicitement, en l'adoptant, on reconnaîtrait le principe de la kafala dans notre droit puisque, comme l'a rappelé M. Brard, c'est ici que nous faisons le droit. La kafala, quel que soit son statut, je le répète, n'est pas reconnue par le droit français et, dès lors, nous n'avons pas à introduire cette notion dans les lois françaises. Il est essentiel de nous en tenir à la problématique qui nous occupe depuis ce matin.
Le groupe UMP est donc évidemment défavorable à l'amendement.
La parole est à M. Yves Nicolin qui s'est déjà exprimé sur l'amendement.
C'est l'intervention de M. Berdoati qui me pousse à reprendre la parole.
Haïti ne donne pas au mot « adoption » le même sens que nous. En Haïti, il n'y a pas de rupture irrévocable du lien de filiation.
Pourtant, nous reconnaissons dans notre droit l'adoption d'enfants haïtiens.
Si !
En effet, le processus par lequel Haïti confie des enfants à des parents français est transformé dans le droit français en adoption. C'est exactement ce qui est proposé avec la kafala.
La kafala judiciaire est un processus utilisé par les Marocains et les Algériens, qui confie une sorte de tutelle d'enfant à des parents. Nous proposons que ces enfants, comme leurs frères et soeurs, deviennent les enfants de ces parents sous forme d'adoption.
Ainsi, même si je me range aux arguments de Michèle Tabarot, ceux développés par Mme Adam m'intéressent. Il faut savoir que des parents français auxquels ont été confiés des enfants par le biais de la kafala judiciaire, demandent pour ceux-ci la naturalisation, au bout de cinq ans, et l'obtiennent. Ils vont ensuite devant les tribunaux et les adoptent.
Vous voulez donc maintenir des enfants dans l'insécurité juridique pendant cinq ans : ils ne pourront pas être adoptés immédiatement puisque issus de pays qui ne reconnaissent pas l'adoption.
Imaginez que les deux parents se tuent en avion : eh bien, c'est le retour à la case Maroc ou à la case Algérie.
Aussi, dans l'intérêt supérieur de l'enfant, pourrions-nous avancer en la matière.
Si je suis favorable à l'accord trouvé entre la rapporteure et le Gouvernement, je reste, à titre personnel, favorable à l'amendement afin de garantir l'avancée du débat sur un problème qui n'a que trop duré. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. Goasguen, qui est juriste, va dire des choses intelligentes ! (Sourires.)
Le début de l'intervention de M. Brard était intéressant. Mais j'appelle votre attention sur le fait que le droit civil des personnes est un tout. On ne légifère pas par petits morceaux en intégrant des concepts dont la généralisation est probable.
J'y viens, madame Adam.
L'adoption est un concept de droit civil des personnes. Par conséquent, quand vous intégrez au dispositif de l'adoption un système juridique très valable mais de droit musulman…
Si, madame Adam, il s'agit d'un système de droit musulman – la kafala. En adoptant cet amendement, nous ouvririons une brèche dans le droit français qui peut prêter à de nombreuses applications ultérieures.
Ensuite, pour avoir plaidé devant des tribunaux marocains et algériens, je sais vraiment ce qu'est la kafala judiciaire dans les pays de droit musulman. Je vous invite à examiner avec une grande attention l'application qui en est faite. C'est pourquoi je me permets d'affirmer qu'en toute prudence il vaut mieux que l'accord international soit signé avant le vote de la loi plutôt qu'après.
Ainsi, nos plénipotentiaires vérifieront la véracité, la crédibilité des kafala. Il ne s'agit pas d'une accusation mais tout le monde sait que devant les tribunaux marocains et devant les tribunaux algériens prévaut une conception du droit et de la sentence judiciaire qui quelquefois peut prêter à confusion. Je demande donc que l'on donne à nos plénipotentiaires la possibilité de vérifier que les kafala judiciaires soient réellement des kafala judiciaires et non le fruit de discussions entre magistrats et particuliers.
Enfin, il faut faire très attention : nous avons des problèmes d'une bien plus grande ampleur avec les pays de droit musulman, notamment en ce qui concerne la nationalité, puisque vous en parlez.
Il faut bien comprendre que les pays de droit musulman sont des pays d'allégeance perpétuelle. En toute hypothèse, même si vous adoptez et naturalisez par le biais de la kafala, il est bien évident que l'enfant conservera sa nationalité algérienne ou bien sa nationalité marocaine.
Oui madame, parce que le Maroc comme l'Algérie ne connaissent pas la révocation de la nationalité. Je vous demande donc de faire très attention : ce sujet est éminemment sensible. Laissez les diplomates discuter avec les Algériens et avec les Marocains et nous verrons après. Mais n'intégrez pas dans le droit civil des personnes un concept qui pourrait conduire à des abus qui nous entraîneraient fort loin. Le mieux est l'ennemi du bien.
Pour la première fois après plus de dix ans, nous parvenons malgré tout à obtenir une avancée avec le Gouvernement sur ce sujet. Des ministres ont pris des engagements, des groupes se sont réunis. Comme les choses n'avançaient pas, les députés, au vu de situations qui ne pouvaient pas les laisser indifférents, se sont mobilisés quelle que soit leur appartenance.
Or, aujourd'hui, le Gouvernement a pris l'engagement d'accepter l'amendement n° 27 visant à entamer un dialogue à ce sujet avec les autorités marocaines et les autorités algériennes. Je propose que le Gouvernement rende compte à l'Assemblée de l'état des négociations avec ces pays.
Cette avancée me paraît importante même si elle n'est pas suffisante et ne correspond pas exactement à ce que nous aurions souhaité. Il faut donc accepter le principe de l'amendement n° 27 sur lequel le Gouvernement s'est engagé. Il s'agit, dans l'esprit des discussions que nous avons eues, de faire un pas, concernant la kafala, en direction des familles en difficulté.
(L'amendement n° 19 n'est pas adopté.)
La parole est à Mme George Pau-Langevin, pour soutenir l'amendement n° 20 .
Nous sommes satisfaits des progrès qui se manifestent, mais nous sommes encore très loin du compte. Comme vous savez, il existe un accord avec l'Algérie sur la kafala. Et nul n'oserait avancer qu'il n'y a pas de problème pour les familles qui recueillent des enfants suivant cette procédure. Aussi les propos que nous avons entendus nous laissent-ils sans voix.
Au fond, cela nous est totalement égal que cette institution soit inspirée par la religion musulmane. Nous évoquons des situations résultant de décisions prises par les tribunaux. Et je ne vois pas de quel droit on vient considérer ces décisions avec une sorte de condescendance, estimant qu'elles ont été prises dans des pays dont le système judiciaire n'est pas du niveau du nôtre.
Ces tribunaux, marocains et algériens, existent et je ne vois pas de quel droit nous nous permettons de considérer que leurs décisions ne méritent pas d'être respectées.
On nous parle de souveraineté nationale mais, en l'espèce, en allant dans cette direction, on porte atteinte au respect dû aux tribunaux d'autres pays. À propos, comment expliquez-vous que l'on ne tienne pas compte de décisions prises par des tribunaux marocains et algériens au nom de la souveraineté de ces pays ?
Mais c'est complètement fou d'entendre cela ! Selon vous, il nous faudrait alors prévoir la peine de mort pour les Américains en France !
S'ils décident de confier des enfants à des familles qui vivent en France, il est évident que c'est parce qu'ils considèrent que ces enfants doivent vivre avec les familles qui les recueillent pour vivre dans des conditions dignes.
Or que se passe-t-il le plus souvent ? Ces enfants ont été confiés par des tribunaux à des familles qui vivent en France sans être à même, avant de longs mois, de les rejoindre. Cette situation crée des difficultés sans nom, comme l'ont montré les auditions des responsables des ministères concernés.
Nous avons appris qu'on ne leur accordait pas de visas. Cet amendement poursuit donc un objectif très simple : il s'agit de respecter plus facilement la kafala, même s'il n'y a pas reconnaissance par les pays en question de l'adoption en tant que telle parce que la loi personnelle de l'enfant s'y oppose.
Nous ne ferions que simplifier la vie de tas de gens qui ne comprennent pas les obstacles juridiques que nous leur opposons, rendant leur situation humainement impossible.
(L'amendement n° 20 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Il s'agit d'obtenir le plus large accord de l'Assemblée. Madame la rapporteure, votre amendement vise à autoriser l'adoption au profit d'un enfant dont la loi personnelle prohibe cette institution sous réserve d'une convention négociée avec l'État d'origine de l'enfant.
Le Gouvernement partage votre souhait d'autoriser sous certaines conditions une telle adoption. Il paraît en effet important de rappeler la nécessité préalable d'une convention bilatérale avec le pays d'origine des enfants. Néanmoins, afin d'éviter tout risque d'interprétation, le Gouvernement propose ce sous-amendement visant à rédiger ainsi le deuxième alinéa de l'article 370-3 du code civil, après la première occurrence du mot « par » : « ou sauf stipulations contraires d'un accord conclu avec l'État dont le mineur a la nationalité, régulièrement ratifié ou approuvé et publié ».
Tel est le sous-amendement que le Gouvernement propose à l'Assemblée nationale de voter.
La commission n'a pas étudié ce sous-amendement mais, à titre personnel, je donne un avis favorable.
J'ai cru comprendre, monsieur le président, que vous vouliez très vite terminer ce débat. Nous en sommes pourtant au coeur. Je reprends la parole, puisque notre amendement concernant des enfants confiés à des familles françaises sous le régime de droit de la kafala judiciaire, au Maroc ou en Algérie, n'a pas été voté.
Je précise que la kafala judiciaire est reconnue par la convention internationale des droits de l'enfant comme une procédure d'adoption spécifique.
Nous voterons l'amendement de Mme Tabarot, même sous-amendé par le Gouvernement. Par contre, nous réserverons notre vote sur l'ensemble de la proposition de loi.
C'est bien de respecter les décisions judiciaires des tribunaux étrangers mais dois-je vous rappeler des exemples typiques de cas où les tribunaux français les refusent ? Avec de tels principes, on pourrait reconnaître n'importe quelle condamnation à la peine de mort par les États-unis, puisque les tribunaux n'y sont prétendument pas suspects.
Il veut bien admettre des conceptions étrangères à condition que les diplomates aient négocié préalablement et vérifié la véracité des choses. Et là, la négociation sera extrêmement difficile.
C'est ici qu'on fait le droit ! Nous ne sommes pas dans un amphi mais dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale.
Je n'ai pas de leçon à recevoir de vous. Si vous aviez été quelquefois dans des amphis, vous ne parleriez pas comme cela.
Que vous y retourniez me ferait très plaisir, car, alors, vous ne m'interrompriez pas. Moi, je n'interromps personne…
M. Brard me donne quitus, c'est donc que je ne le fais jamais. (Sourires.)
Les autres pays européens n'ont pas eu les mêmes difficultés pour des raisons très simples : nous avons avec les pays du Maghreb des relations complètement différentes. Ne comparez pas des choses qui ne sont pas comparables !
Les Allemands, par exemple, ont des problèmes avec les Turcs, mais ceux-ci ne sont pas régis par le droit musulman. Il n'y a donc pas de kafala en Allemagne. En France, la kafala pose des problèmes qui vont bien au-delà de l'adoption.
Sur ce sujet, extrêmement important dans le droit des personnes, laissez agir nos diplomates. « Dans l'intérêt supérieur de l'enfant, il peut être dérogé à ce principe de prohibition … », que vont-ils bien pouvoir faire avec un tel article ? Ils iront à Marrakech peut-être pour manger, ce qui est certes agréable, mais sûrement pas pour discuter de la crédibilité des kafalas judiciaires. Car là est le problème : la crédibilité des kafalas judiciaire dans les pays maghrébins doit être vérifiée, après quoi nous pourrons éventuellement voter une loi sur le fondement du rapport du ministre des affaires étrangères, mais pas l'inverse.
M. Goasguen a assez bien résumé ce que je souhaitais dire, aussi n'en rajouterai-je pas.
Tout à l'heure, une de nos collègues s'est émue de ce que Mme Barèges prenait un cas précis pour essayer de justifier une thèse. C'est l'arroseur arrosé ! Comme la kafala suscite certains problèmes, il faudrait changer notre droit, nous dit-on. Moi, je reste sur la position que la kafala n'est pas reconnue par le droit français et que, étant d'origine religieuse, elle n'a, pour l'instant, pas à y entrer. Je maintiens qu'il faut voter défavorablement.
(Le sous-amendement n° 30 est adopté.)
(L'amendement n° 27 , sous-amendé, est adopté.)
La parole est àMme George Pau-Langevin, pour soutenir l'amendement n° 23 .
Nous avons eu un débat approfondi sur les questions de souveraineté et de statut personnel de l'enfant. Ici, ce n'est pas l'existence d'accords internationaux qui est déterminante mais l'octroi d'un visa. Par conséquent, la décision appartient uniquement aux autorités françaises.
Nous voulons répondre aux difficultés de nombreuses familles auxquelles une décision de kafala judiciaire a confié un enfant et qui ont toutes les peines du monde à obtenir un visa pour le faire entrer en France. Il ne tient qu'à nous de décider que ces enfants peuvent venir rejoindre leurs parents dans notre pays.
Je connais même des familles étrangères en situation tout à fait régulière dans lesquelles la mère, ne pouvant pas obtenir le visa, a été obligée de rester six mois, voire davantage, en Algérie, perdant de ce fait son emploi et son insertion. Pour quelles raisons ne peut-on pas accorder un visa à un enfant confié judiciairement à sa famille qui entre régulièrement sur notre territoire ?
J'ajoute que l'allégeance perpétuelle n'est pas du tout une caractéristique des pays musulmans.
Les Haïtiens, par exemple, ne peuvent pas perdre leur nationalité haïtienne. Nous avons beaucoup parlé de tout cela au sein de la mission sur la nationalité, mais il ne faut pas faire une fixation sur le droit musulman. Certes, les problématiques liées à la nationalité sont compliquées mais il n'y a pas de raison d'adopter une attitude particulièrement sévère vis-à-vis des gens qui viennent de pays musulmans.
On reconnaîtra le droit canonique dans le droit français, alors !
(L'amendement n° 23 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 11 .
La parole est à Mme Brigitte Barèges.
Depuis le début, nous disons que ce texte est fait dans l'intérêt des enfants, des familles adoptantes aussi. La notion d'« intérêt supérieur de l'enfant » étant communément admise dans les droits français et étrangers, il me semble opportun de l'introduire dans le texte. Pardon de faire du droit.
Défavorable. Sur le fond, nous sommes tous d'accord. Depuis le début, nous disons que nous travaillons dans l'intérêt supérieur de l'enfant, et celui-ci est pris en considération dans la totalité des articles relatifs à la protection de l'enfant. S'il est tout à fait légitime de considérer que, dans la hiérarchie des intérêts, celui de l'enfant est supérieur, l'inscrire dans la loi obligerait à réécrire tous les textes qui font aujourd'hui référence à « l'intérêt de l'enfant ». C'est la raison pour laquelle le Gouvernement est défavorable.
(L'amendement n° 11 n'est pas adopté.)
La parole est à Mme la rapporteure, pour présenter l'amendement n° 25 rectifié .
Amendement de cohérence, à propos du SIAPE.
(L'amendement n° 25 rectifié , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
La parole est à Mme George Pau-Langevin, pour présenter l'amendement n° 16 rectifié .
Certains candidats à l'adoption voient leur dossier refusé au motif de leur orientation sexuelle. Cette discrimination n'a pas lieu d'être ; elle a été condamnée par les instances européennes. Il est temps, aujourd'hui, d'affirmer explicitement dans notre pays qu'on ne peut pas refuser un agrément en raison de l'orientation sexuelle de la personne qui le demande.
Actuellement, les tribunaux agissent et progressent assez rapidement. Mieux vaudrait cependant que notre législation même soit claire sur le sujet.
Défavorable. L'arsenal juridique existant rend inutile d'apporter cette précision.
Je rejoins tout à fait l'avis de Mme la rapporteure : avis défavorable.
(L'amendement n° 16 rectifié n'est pas adopté.)
(L'article 3, amendé, est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 15 portant article additionnel après l'article 3.
La parole est à Mme Patricia Adam.
En commission, ce sujet a été renvoyé à la campagne présidentielle. Devançant l'élection, nous demandons que l'agrément puisse être délivré aux couples ayant conclu un PACS ou vivant en concubinage reconnu.
S'agissant de l'adoption, certains collègues de la majorité ont préféré que la possibilité en soit réservée aux couples mariés. La commission a pris la décision de renvoyer le sujet à l'élection présidentielle. (Exclamations sur quelques bancs du groupe SRC.)
Cette décision est cohérente. La démarche de notre texte « Enfance délaissée et adoption » est d'essayer de protéger des enfants placés qui sont en difficulté et d'améliorer l'agrément. Pour le reste, chacun a ses convictions, que ce soit sur l'accouchement sous X, l'homoparentalité ou l'adoption par les célibataires, contre laquelle se sont exprimés certains collègues. Dans quelques semaines, auront lieu l'élection du Président de la République et les élections législatives desquelles se dégagera une majorité. Ces parlementaires souhaiteront certainement se prononcer sur ces sujets, aussi nous semble-t-il plus judicieux de les laisser les traiter.
C'est la raison pour laquelle l'avis de la commission est défavorable.
Le Gouvernement suit l'avis de Mme la rapporteure et de la commission : avis défavorable.
(L'amendement n° 15 n'est pas adopté.)
La parole est à Mme Françoise Hostalier pour défendre l'amendement n° 5 .
Il est défendu.
(L'amendement n° 5 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Cet amendement vise à maintenir l'article 370 du code civil relatif à la révocation de l'adoption simple dans sa rédaction actuelle. En effet, il n'apparaît pas opportun de modifier l'équilibre qui existe aujourd'hui entre l'adoption simple et l'adoption plénière.
Pour nos concitoyens, la distinction entre l'une et l'autre est déjà compliquée ; modifier cet équilibre ne ferait qu'aggraver les choses.
La possibilité de révocation qui existe aujourd'hui est spécifique à l'adoption simple ; elle est impossible pour l'adoption plénière. Encore est-elle encadrée par la loi, puisqu'elle ne peut être prononcée – par le tribunal de grande instance statuant en formation collégiale composée de trois juges – que pour des motifs graves, et cette notion est appréciée strictement par les juges au regard de la situation de l'enfant.
Si les révocations sont rares, elles peuvent néanmoins être opportunes, et justifiées par une situation familiale particulière, y compris lorsque l'adopté est mineur, notamment en l'absence de toute relation effective entre l'adoptant et l'adopté.
C'est parfois le cas dans les familles recomposées. Dans l'hypothèse où le nouveau conjoint ou la nouvelle conjointe se libérerait de son engagement et où l'enfant aurait obtenu une adoption simple, il serait pieds et poings liés : c'est exactement ce que nous ne voulons pas.
En 2010, sur cinquante-six demandes, seules dix-sept ont donné lieu à révocation. Outre les cas où des faits graves se produiraient entre l'adoptant et l'adopté mineur, ce sera aussi le cas lorsque le conjoint de la mère aura adopté l'enfant sans pour autant l'élever, suite à la séparation du couple. Si l'article 5 est adopté, la mère ne pourra plus demander la révocation, alors même que le lien juridique créateur de droits et de devoirs entre son ex-compagnon et l'enfant ne produit plus aucun effet dans la vie de celui-ci.
C'est sur ce point qu'il faut s'attarder : l'intérêt de l'enfant commande de ne pas restreindre au seul ministère public la possibilité de solliciter la révocation. Certains motifs graves, en effet, ne relèvent pas de son appréciation. C'est pourquoi il ne pourra, sauf cas de maltraitance, faire état de l'évolution de la vie affective d'une famille. Empêcher la famille biologique de saisir le juge m'apparaît donc contraire à l'intérêt de l'enfant.
Je tiens à souligner que la seule volonté des parents biologiques de récupérer leur enfant ne constitue pas un motif grave. C'est ce que l'on a expliqué tout à l'heure : cette épée de Damoclès qui pourrait sembler suspendue par les parents biologiques au-dessus des parents adoptants n'existe pas, puisqu'il faut un motif grave pour révoquer l'adoption de ces enfants.
Enfin, madame la rapporteure, je sais que vous êtes comme moi favorable à l'augmentation du nombre d'adoptions simples. J'ai constaté sur le terrain combien il est utile que l'adoption simple se développe. Cependant, je crains que l'article 5, dans la version que vous proposez, conduise des familles biologiques à ne plus consentir à l'adoption de leur enfant, du fait qu'il leur serait ensuite impossible de saisir directement le juge lorsque l'adoption de leur enfant se passe mal. Le risque que le ministère public ne saisisse pas le juge, quand bien même la famille biologique invoquerait des motifs graves, ne peut être écarté.
Notre devoir est d'envisager toutes les solutions, sans rien écarter, et ce dans l'intérêt supérieur de l'enfant. L'article 5 constituerait sans aucun doute un nouveau frein au développement de l'adoption simple ; c'est pourquoi le Gouvernement propose sa suppression.
Je vais m'arrêter quelques instants sur ces amendements, car je tiens à l'article 5 et je sais que le Gouvernement a oeuvré pour convaincre nos collègues de voter ces amendements de suppression.
Je voudrais rappeler la philosophie de cet article, et j'espère que mes collègues vont m'entendre. Il s'agit de rendre plus difficile la révocation de l'adoption simple durant la minorité de l'adopté. Aujourd'hui, la famille biologique, jusqu'aux cousins au deuxième degré, peut demander cette révocation.
Nous mesurons le problème que cela pose : dans ces conditions, l'adoption simple n'offre pas un cadre suffisamment stable, et ce sentiment de précarité nuit à l'intégration de l'enfant dans sa famille adoptive.
Cher Éric Berdoati, cher Claude Goasguen, vous allez voter sur cet amendement, je serais donc ravie que vous tendiez l'oreille un instant !
L'Académie de médecine et l'IGAS se sont prononcés sur ce point. Mme la ministre nous a dit tout à l'heure que M. Colombani n'avait pas évoqué le sujet ; je me permets de lui citer ce qu'il écrit à la page 78 de son rapport : « Le caractère révocable de l'adoption simple semble constituer un obstacle majeur pour les familles adoptantes. »
Il s'agit donc d'un problème important, et nous souhaitons y remédier aujourd'hui. Comme un certain nombre de mes collègues, je suis régulièrement en contact avec des parents adoptifs qui vivent mal le fait d'apprendre que l'adoption qu'ils ont réalisée sera une adoption simple.
Yves Nicolin évoquait tout à l'heure la situation d'Haïti. Aujourd'hui, les enfants qui ont été adoptés en Haïti sont dans ce cas. Les modifications proposées par l'article 5 sont donc inspirées par le vécu des parents adoptifs ainsi que par de nombreux rapports. Je souhaite rendre l'adoption simple non pas irrévocable, mais plus difficilement révocable. Seul le procureur pourra la demander. Je pense qu'il faut plus de sécurité pour les enfants comme pour les parents, et c'est pourquoi je vous demande de rejeter l'amendement du Gouvernement ainsi que les amendements identiques présentés par nos collègues Raymond Lancelin et Isabelle Vasseur.
Je rappelle que notre commission a adopté l'article 5, et a donc soutenu ce principe.
Ceci est assez contradictoire avec la proposition de loi dans son ensemble, qui instaure la notion d'enfant délaissé. Au bout d'un an, si aucun intérêt éducatif ou sanitaire n'est manifesté pour un enfant par ses parents, il peut être décrété adoptable.
Or, en cas d'adoption simple, qui sera souvent le fait du nouveau compagnon de la mère, que se passera-t-il s'il ne manifeste pas d'intérêt pour cet enfant ? Dans les familles recomposées, où les situations sont souvent labiles, que se passera-t-il si le couple formé avec ce nouveau compagnon ne s'intéresse pas à l'enfant ? Dans ce cas-là, n'y aura-t-il pas de délaissement possible ? Cela me semble complètement contradictoire.
Il faut absolument pouvoir révoquer l'adoption simple. Vous rendez révocable la parentalité naturelle de naissance en instaurant le statut d'enfant délaissé, je ne vois pas pourquoi il faudrait rendre plus difficile la révocabilité de l'adoption simple.
J'entends ce que vient de dire Mme Antier, et il est vrai que ce sont des cas qui se présentent plus fréquemment qu'auparavant.
Cependant, l'article 370 du code civil, que l'article 5 de la proposition de loi tend à modifier, dispose que : « La demande de révocation faite par l'adoptant n'est recevable que si l'adopté est âgé de plus de quinze ans. » Mme Tabarot propose de remplacer les mots « plus de quinze ans » par « majeur » : cela ne produira donc d'effet qu'entre quinze et dix-huit ans, et ne correspond donc pas à l'exemple que vient de donner Mme Antier. Si l'enfant a sept ans, dix ans ou douze ans, l'adoption simple ne pourra pas être révoquée.
En d'autres termes, la disposition porte uniquement sur la période la plus difficile pour un jeune, celle de l'adolescence, entre quinze et dix-huit ans, au cours de laquelle on se pose beaucoup de questions. C'est une période suffisamment compliquée et difficile, tant pour les enfants que pour les parents, pour que nous ne la rendions pas plus compliquée encore par une procédure judiciaire.
Pour compléter ce que vient de dire notre collègue Patricia Adam, je rappelle qu'actuellement la révocation de l'adoption simple peut être demandée pour motif grave par le procureur, ou par l'adoptant si l'adopté a plus de quinze ans, ou par la famille biologique jusqu'aux cousins à tout moment.
Avec l'article 5 tel qu'il figure dans la proposition de loi, la révocation de l'adoption simple ne pourra plus être demandée durant la minorité que par le procureur de la République, pour motifs graves.
Madame Adam, si je vous comprends bien, vous voulez supprimer également l'alinéa 3 de l'article 370 qui permettrait à la famille biologique de demander la révocation.
Je suis d'accord avec Mme Antier : c'est totalement contre-productif. D'un côté on tire, de l'autre côté on pousse, mais où est l'intérêt de l'enfant ? Que l'enfant ait quinze ans ou sept ans, son intérêt est le même. À quinze ans, les difficultés existent aussi, et l'adolescence est aussi un moment difficile qui doit être pris en compte.
À vous suivre, il n'y aurait aucune possibilité, lorsqu'un enfant de quinze ans rencontre des difficultés avec sa nouvelle famille, de faire révoquer l'adoption. Pour moi, l'enfant doit être protégé jusqu'à sa majorité.
Ne pas supprimer cet article serait détruire ce que nous avons construit et rompre avec ce que nous voulons, à savoir la protection de l'intérêt supérieur de l'enfant. Il faut prendre l'enfant dans sa totalité, de la petite enfance jusqu'à sa majorité.
Protéger l'enfant jusqu'à sa majorité, c'est justement le sens de l'article 5.
Il s'agit de compléter l'avant-dernier alinéa de l'article L. 225-15 du cde de l'action sociale et des familles par les mots : « et en conformité avec les exigences des pays d'origine ainsi qu'avec le profil des enfants adoptables », conformément à la rédaction retenue dans la nouvelle convention constitutive de l'Agence française de l'adoption.
La parole est à Mme la rapporteure, pour présenter le sous-amendement n° 29 et donner l'avis de la commission sur l'amendement.
Je suis favorable à l'amendement, sous réserve de l'adoption du sous-amendement, qui tend à supprimer la référence au profil des enfants adoptables. Si l'AFA doit respecter les exigences des pays d'origine, il ne faut surtout pas donner le sentiment qu'elle pourrait opérer une sélection des dossiers sur des critères subjectifs.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement et le sous-amendement ?
La parole est à Mme Brigitte Barèges, pour défendre l'amendement n° 6 à l'article 6 bis.
Dans le cadre de la mission parlementaire qui m'avait été confiée par le secrétaire d'État à la famille de l'époque, j'avais procédé à une évaluation du Conseil national d'accès aux origines personnelles.
L'ensemble des associations auditionnées étaient favorables au maintien du CNAOP mais souhaitaient un réel équilibre entre les représentants de l'État, majoritaires, et les associations y siégeant.
Cet amendement propose donc de modifier la composition du Conseil en la portant à dix-huit membres, de façon à ce que soient intégrés une association d'organisation de l'adoption, un représentant d'une association de mères ayant accouché dans l'anonymat ainsi qu'un représentant des pères de naissance, qui, eux aussi, revendiquent la recherche de leur enfant. La nouvelle composition serait ainsi paritaire.
Dans le même esprit, et comme tout à l'heure, je rappelle que le CNAOP n'a pas été consulté sur cette proposition. Si sa composition devait être ainsi modifiée, les associations de défense du droit à la connaissance de ses origines, au nombre de trois, seraient surreprésentées parmi les neuf membres associatifs.
Comme la rapporteure, je suis défavorable, le CNAOP n'ayant pas été consulté.
Contrairement à ce qui vient d'être dit, j'ai auditionné à plusieurs reprises les représentants du CNAOP.
Auditionner est une chose ; obtenir confirmation de l'accord du CNAOP pour la modification de sa composition en est une autre. Cela nous ramène à la discussion que nous avons eue sur l'accouchement sous X : si cette question devait venir en débat, ce serait alors l'occasion de repenser la composition du CNAOP.
Le CNAOP n'a peut-être pas envie de se réformer. La question est de savoir si sa composition peut légèrement évoluer, afin que la représentation des associations et de l'État soit paritaire et que les associations des pères et des mères de l'ombre, ainsi qu'un organisme d'adoption, soit intégrés. Je ne pense pas que cela entraîne un grand bouleversement.
(L'amendement n°6 n'est pas adopté.)
(L'article 6 bis est adopté.)
Au titre des explications de vote, la parole est à Mme Patricia Adam pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
En cette fin de législature, je veux remercier Michèle Tabarot pour son travail et pour la qualité du texte qu'elle vient de nous soumettre. J'aurais voulu que certaines de ses propositions, qui allaient plus loin, soient adoptées, mais le soutien de son groupe lui a manqué. Je le regrette, car il s'agissait de propositions mûrement réfléchies, formulées par des parlementaires qui connaissent bien et de logue date la question. Il aurait été tout à l'honneur de notre assemblée que le texte qu'il nous est proposé de voter les intègre.
Je souhaiterais revenir sur le problème de la kafala. Je ne souhaite pas reprendre les débats, qui nous ont déjà largement occupés. Comme je l'ai dit dans la discussion générale, notre groupe entendait voter ce texte. Nous avons d'ailleurs voté la plupart des amendements proposés par la rapporteure, de même que les articles, mais...
…mais la position adoptée sur la kafala judiciaire fait que cela nous est désormais impossible. Je proposerai donc à mon groupe de voter contre ce texte.
Après dix ans d'un travail entrepris par quelques parlementaires particulièrement compétents, après les nombreuses avancées, propositions, discussions que nous avons pu avoir, rien ne s'est passé au sein des ministères concernés, et ce malgré les engagements pris par les différents ministres, que ce soit des affaires étrangères ou de la famille – vous ne faisiez pas encore partie du Gouvernement, madame la secrétaire d'État. Les ministères ont disposé de suffisamment de temps pour engager les discussions avec l'Algérie et avec le Maroc. Ils ne l'ont pas fait.
Nous laisserons le Sénat, dans sa sagesse, amender le texte. Peut-être trouverons-nous un accord en CMP ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Éric Berdoati, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Je veux tout d'abord m'associer aux félicitations qui ont été adressées à Michèle Tabarot, présidente de la commission des affaires culturelles et de l'éducation et rapporteure de ce texte.
Je voudrais demander à nos collègues du groupe SRC de bien vouloir souffrir que, s'agissant des principes, nos avis divergent, ce qui ne signifie pas pour autant qu'ils n'ont pas la même valeur. Que des députés aient travaillé depuis dix ans sans que rien ne se passe n'est pas un argument. Oui, nous sommes contre le principe d'inscrire dans le droit civil une pratique d'essence religieuse. Il n'existe ni droit canonique ni droit coranique dans le droit civil français. C'est un principe, que nous défendons avec fermeté.
Je me suis expliqué ce matin sur la difficulté de légiférer sur un sujet aussi sensible, je n'y reviendrai pas. Je veux encore souligner la qualité du travail de notre rapporteure, même si, le fait est assez rare, il nous est arrivé de temps en temps de ne pas avoir le même avis. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(L'ensemble de la proposition de loi est adopté.)
Je tiens à saluer le travail accompli par Michèle Tabarot. Contrairement à Mme Adam, j'ai une vision très positive de ce qui a été fait avec ce texte : nous avons travaillé,…
…tout le monde a oeuvré et le Gouvernement y est sensible. Attachée à l'intérêt de l'enfant, je suis convaincue que nous devons amplifier le phénomène de l'adoption. Nous pouvons être fiers d'avoir fait voter la notion si importante de délaissement parental. Sur ce point précis, je veux encore remercier Michèle Tabarot et l'ensemble des députés. Je veux aussi féliciter la présidente de l'AFA, Isabelle Vasseur, qui poursuit cet objectif : faire de l'intérêt de l'enfant notre priorité.
Avoir parlé de la kafala au sein de cet hémicycle fera avancer les choses, dans le respect des accords. Le ministère des affaires étrangères, madame Adam, est sensibilisé à cette question et n'ignore pas les difficultés qui existent. Il contribue au travail transversal, effectué dans le cadre interministériel. J'y suis en tout cas très attentive.
Je suis heureuse que le secrétariat d'État à la famille ait pu aussi bien collaborer avec la rapporteure et avec vous tous. Je veux vous féliciter et vous remercier pour le travail accompli, comme toujours, dans l'intérêt de l'enfant. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Je dirai juste un mot pour remercier l'ensemble de nos collègues qui ont participé à cette commission spéciale, créée au mois de septembre. Les nombreuses réunions qu'elle a tenues nous ont permis d'aborder tous les sujets relatifs à l'intérêt supérieur de l'enfant.
Entre ce qui s'est passé au sein de cette commission, toutes tendances politiques confondues, et les débats au sein de l'hémicycle, le décalage a été net, et je regrette de n'avoir pas retrouvé aujourd'hui l'esprit qui avait présidé aux réunions de la commission spéciale. Nous avons la chance, avec les nombreux parlementaires qui suivent depuis longtemps le dossier de l'adoption, de faire avancer ces sujets de façon intelligente. Je remercie les membres de la commission spéciale et, au nom de son président, Jean-Marc Roubaud, les administrateurs qui nous ont accompagnés pendant ces quelques mois. (Applaudissements.)
Vote sur l'ensemble
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures cinq.)
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean-Paul Garraud tendant à renforcer l'effectivité de la peine complémentaire d'interdiction du territoire français et visant à réprimer les délinquants réitérants (n°s 4168, 4396).
La parole est à M. Jean-Paul Garraud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Monsieur le président, monsieur le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, mes chers collègues, notre assemblée est aujourd'hui saisie, en première lecture, d'une proposition de loi que j'ai déposée avec cent trente-sept de mes collègues et dont l'objet est d'adapter la réponse pénale aux actes commis par les délinquants de nationalité étrangère, d'une part, et par les auteurs d'infractions multiples, d'autre part.
Je commencerai la présentation de la proposition de loi par ses articles 2 et 3 concernant les réitérants.
Ces deux articles partent d'un constat simple : en 2009, 38 % des condamnés pour délit avaient déjà été condamnés définitivement par le passé et se trouvaient soit en situation de récidive – 10 % du total des condamnés – soit en situation de réitération – 28 % du total des condamnés. En outre, les auteurs de crimes ont très fréquemment déjà été condamnés pour des délits d'une nature similaire : les auteurs de vols criminels sont près de 60 % à avoir déjà été condamnés pour une atteinte aux biens, les auteurs d'homicide ou de violences criminelles sont 18,2 % à avoir déjà commis des délits violents, et les auteurs de viol sont 12,4 % à avoir été condamnés précédemment pour une atteinte sexuelle.
Or, si notre droit, depuis la loi du 10 août 2007 sur la récidive, appréhende désormais correctement la situation particulière des récidivistes soumis au doublement de la peine maximale et à des peines minimales d'emprisonnement, la situation des réitérants, trois fois plus nombreux, n'est, quant à elle, pas suffisamment prise en compte par notre droit pénal.
Depuis la loi du 12 décembre 2005, les réitérants sont définis comme des personnes déjà condamnées définitivement pour un crime ou un délit qui commettent un nouveau crime ou délit, mais sans remplir les conditions de la récidive légale.
L'effet de la situation de réitération est très limité, puisque cette situation a pour seul effet d'empêcher la confusion des peines prononcées. Cet effet est insuffisant pour dissuader les personnes déjà condamnées de commettre de nouvelles infractions, et particulièrement des infractions plus graves. Par exemple, l'auteur d'une agression sexuelle délictuelle pour laquelle il a été condamné définitivement ne risque aucune aggravation de sa peine s'il commet ensuite un viol, alors même que sa situation est objectivement différente de celle de l'auteur d'un viol jamais condamné par le passé, en raison du premier avertissement solennel que lui avait adressé la justice.
Il en va de même lorsqu'une personne condamnée pour des violences délictuelles commet ensuite un meurtre, ou lorsque l'auteur d'un vol correctionnel commet ensuite un braquage de nature criminelle.
Cette situation ; pour le moins paradoxale, est choquante ! Pour y remédier, la présente proposition de loi tend donc à instaurer des peines minimales pour les personnes commettant un crime ou un délit en situation de réitération.
Les différents seuils de peine minimale sont compris entre un cinquième et un sixième de la peine maximale encourue, c'est-à-dire le même niveau que ceux prévus en cas de récidive, compte tenu du doublement de la peine encourue.
Le principe constitutionnel de nécessité des peines est ainsi pleinement respecté.
Les articles 2 et 3 respectent aussi parfaitement le principe constitutionnel d'individualisation des peines, puisqu'il est prévu la possibilité pour la juridiction saisie de déroger à la peine minimale prévue, cette décision devant être spécialement motivée en matière correctionnelle.
Il serait donc totalement faux de prétendre que cette proposition de loi instaure des peines automatiques : il n'y a aucune automaticité, mais seulement un principe de peines minimales, auxquelles le juge peut déroger en motivant sa décision, ce qui est le propre de la fonction de juge ! On a souvent parlé de peines automatiques pour les peines plancher, cela est faux. Dans leur liberté souveraine d'appréciation, les juges peuvent aller en dessous des seuils de peines comme la présente proposition de loi le prévoit pour les réitérants.
Le dispositif ainsi proposé permet d'adapter la réponse pénale apportée aux personnes qui font le choix de défier sciemment les règles de vie en société en commettant des infractions répétées, même si elles ne remplissent pas les strictes conditions de la récidive légale.
J'en viens maintenant à la présentation de l'article 1er relatif aux délinquants de nationalité étrangère et à la peine complémentaire d'interdiction du territoire français – ITF. Sur ce sujet, j'espère que nous aurons un débat serein. En tout état de cause, ma présentation sera tout à fait objective.
En effet, personne ne peut nier que, lorsque quelqu'un commet un crime ou un délit, le fait qu'il soit étranger est une situation particulière dont la loi pénale et la justice doivent tenir compte. Un étranger n'a pas vocation à rester sur le territoire de la République lorsqu'il commet des actes graves en infraction à la loi de la République.
Ce fait a toujours été admis, et la peine d'interdiction du territoire français en est la meilleure preuve : cette peine, qui existe depuis 1970, n'a jamais été supprimée par la gauche, qui a même étendu son champ d'application en 1991.
Il est donc tout à fait légitime que la loi pénale prenne en compte la nationalité des auteurs d'infractions et il est, de la même façon, tout aussi légitime que les statistiques judiciaires et policières s'intéressent à la nationalité des délinquants. Sinon à quoi servent les statistiques ?
D'ailleurs les statistiques par nationalité existent depuis fort longtemps. Voici, par exemple, quelques extraits d'une étude publiée en janvier 2002 sous la responsabilité de Mme Marylise Lebranchu, alors garde des sceaux, intitulée « Les condamnations en 1999 et 2000 » :
« La proportion d'étrangers dans les condamnés varie selon le type d'infraction. Les étrangers sont deux fois moins nombreux en matière de circulation routière. Ils représentent en revanche 15 % des condamnés en matière de stupéfiants.
« Les nationalités les plus fréquentes sont, par ordre d'importance décroissante, les Algériens – 17,8 % –, les Marocains – 16,3 % –, les Portugais – 8,3 % –, les Turcs – 6 % – les Tunisiens – 5,7 % –, les Italiens – 3,5 % – et les Zaïrois – 2,9 %. (...) Les Maghrébins sont très fréquemment condamnés pour vols et recels, ainsi que pour violences volontaires à personne. » (Protestations sur les bancs du groupe GDR.) Les Portugais apparaissent davantage dans les infractions de circulation routière, mais assez peu en matière de stupéfiants.
J'en viens maintenant au dispositif de la proposition de loi. Sur quels constats se fonde-t-elle ? Sur deux constats, très simples et indiscutables.
Le premier est que les statistiques judiciaires et policières mettent en évidence une forte surreprésentation des étrangers parmi les délinquants par rapport à leur importance dans la population vivant en France : les personnes de nationalité étrangère représentent 5,8 % de la population vivant en France, mais 12,1 % des personnes condamnées pour crimes et délits en 2010.
En outre, les étrangers sont particulièrement impliqués dans certains types de délinquance, notamment en matière de vols avec violence ou effraction.
Enfin, les infractions commises par les personnes de certaines nationalités sont en forte hausse sur une période récente : entre 2008 et 2010, le nombre de vols commis par des ressortissants roumains a ainsi augmenté de 50 % et le nombre de ceux commis par des ressortissants d'États de l'ex-Yougoslavie, de 60 %.
J'en arrive à mon second constat : la peine d'interdiction du territoire français est très peu prononcée. En 2010, elle n'a été prononcée que pour 3 750 des 13 500 condamnations pour lesquelles elle était encourue, soit 28 % des cas où elle était possible, alors que ce taux atteignait 49 % en 2003.
Cette situation, dont nul ne saurait se satisfaire, s'explique par le fait que la protection accrue dont certaines catégories d'étrangers sont l'objet en raison de leurs liens avec la France – notamment depuis la loi du 26 novembre 2003 – a entraîné une baisse progressive du nombre des peines d'interdiction du territoire français prononcées.
Si la réforme de 2003 a permis, à juste titre, de mieux prendre en compte des situations humaines particulières et parfois choquantes – je pense à certains parents d'enfants français –, elle a sans doute empêché le prononcé de cette peine pour des infractions pourtant graves. Dans ces conditions, si cette réforme de 2003 – que la proposition de loi ne remet nullement en cause, j'insiste sur ce point – reste justifiée, le texte que nous examinons se donne pour objectif de redonner toute son effectivité au prononcé de la peine d'interdiction du territoire français.
Elle instaure, à ce titre, le principe d'un prononcé obligatoire de cette peine complémentaire, qui ne pourra pas être inférieure à des seuils tenant compte de la gravité de l'infraction commise.
Le texte initial de la proposition de loi prévoyait d'appliquer le prononcé obligatoire de l'interdiction du territoire français aux crimes ou délits punis d'une peine d'emprisonnement de trois ans ou plus. Cependant, dans le souci de renforcer le respect des exigences constitutionnelles de nécessité des peines, la commission des lois a, à mon initiative, relevé l'exigence de gravité tenant à l'infraction commise en ne rendant obligatoire le prononcé de l'interdiction du territoire français que pour les crimes ou délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement.
Pour renforcer encore l'effectivité de la peine d'interdiction du territoire français, je vous proposerai, au cours de la discussion, un amendement étendant le champ d'application de la peine d'interdiction du territoire afin que celle-ci soit, en plus des cas où elle est aujourd'hui spécialement prévue par un texte d'incrimination, également encourue de plein droit en cas de condamnation d'une personne de nationalité étrangère pour tout crime ou délit intentionnel puni d'une peine d'une durée égale ou supérieure à cinq ans.
En effet, nos travaux en commission ont clairement montré que rendre obligatoire le prononcé de la peine d'interdiction du territoire français pour les seules infractions pour lesquelles elle est aujourd'hui prévue par la loi limitait fortement la portée du dispositif, qui ne serait ainsi pas applicable aux auteurs de cambriolages ou de vols correctionnels punis de cinq ou sept ans d'emprisonnement, par exemple.
Cette limite du texte, qui a été soulevée par des membres de la majorité comme de l'opposition, ne m'a pas échappé. Je vous proposerai en conséquence d'y remédier.
Comme en matière de peines minimales, la juridiction aura la possibilité de prononcer une peine d'interdiction du territoire français inférieure au seuil prévu, voire d'écarter totalement cette peine. Là encore, toute critique sur le prétendu caractère automatique de la proposition de loi serait sans aucun fondement.
Et naturellement, comme je l'ai déjà indiqué, le dispositif de la proposition de loi ne modifie en rien les règles de protection relative et absolue dont bénéficient certains étrangers en raison de leurs liens avec la France.
En prévoyant que la peine d'interdiction du territoire français devra en principe être prononcée par la juridiction mais que celle-ci pourra toutefois l'écarter si elle l'estime non justifiée, la proposition de loi conduira les magistrats à se demander de manière systématique s'il faut ou non, compte tenu de la gravité de l'infraction et de la personnalité de son auteur, prévoir une mesure d'éloignement du territoire.
En définitive, dans la continuité de la réforme de 2003, s'agissant du renforcement de l'effectivité de la peine d'interdiction du territoire français et de la loi de 2007 sur la récidive s'agissant des peines minimales pour les réitérants, la proposition de loi que nous examinons a pour objectif, dans le respect des principes constitutionnels, d'adapter la réponse pénale aux évolutions de la délinquance, dont une trop large part est aujourd'hui imputable aux étrangers et aux réitérants.
Je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Je tiens ensuite à remercier Jean-Paul Garraud pour l'initiative lucide et courageuse qui l'a conduit à déposer cette proposition de loi, préparée avec Éric Ciotti et Philippe Goujon et cosignée par cent trente-sept autres parlementaires de la majorité.
Je me réjouis, pour nos concitoyens, du grand nombre de députés signataires : vous leur montrez, mesdames et messieurs les députés, votre implication forte dans leurs préoccupations quotidiennes. Vous leur montrez que vous savez réagir rapidement aux évolutions de la délinquance pour adapter notre droit aux besoins de notre société. Vous leur administrez la preuve qu'une société n'est solidaire que si tous, nous savons agir pour protéger les plus vulnérables d'entre nous de l'insécurité.
On le sent bien : des délits graves, dangereux pour l'équilibre et la cohésion de notre société, sont de plus en plus le fait de groupes étrangers professionnels de la délinquance, qui slaloment entre les lois pour commettre divers méfaits.
Il faut leur donner un coup d'arrêt.
Votre proposition de loi, monsieur le député, s'avère particulièrement pertinente alors que des rapports récents viennent nous révéler d'importantes dérives. Elle est aussi courageuse.
Courageuse, car elle se départit des préjugés et des positions de principe stériles pour considérer les faits, en tirer les conséquences et répondre ainsi aux attentes de nos concitoyens comme d'ailleurs à celles des étrangers qui veulent s'intégrer à notre communauté et que chacun respecte.
Ne pas contrer de façon cohérente et efficace la délinquance d'origine étrangère en éloignant ceux qui ont délibérément choisi de violer nos lois, c'est prendre le risque que les étrangers qui veulent vivre en paix sur le sol français et qui ont fait le choix de l'intégration par l'adhésion à nos valeurs républicaines soient injustement stigmatisés.
Courageuse, cette proposition de loi l'est aussi car elle ose différencier notre tradition républicaine d'accueil des hommes et des femmes persécutés à travers le monde pour leur identité, leur religion ou leurs opinions politiques, du détournement que font de cette tradition certains individus sans scrupule.
Non, mesdames et messieurs les députés, il n'est pas antirépublicain d'affirmer que notre sol doit être interdit aux individus qui y sont entrés pour se livrer, de façon déterminée, à des activités délictueuses. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
C'est tenir le discours inverse qui est antirépublicain. C'est tenir le discours inverse qui est un contresens. C'est tenir le discours inverse qui est irresponsable.
Le fondement de notre République, le fondement de notre État de droit, c'est le respect de la loi. Vivre en France ouvre des droits mais impose aussi des devoirs. Refuser de respecter les personnes et les biens, notre droit, c'est refuser l'intégration. Il faut alors en tirer les conséquences.
La France est un pays généreux et ouvert, et elle le restera. Mais pour qu'elle reste ce pays généreux et ouvert dans lequel ses citoyens peuvent vivre en sécurité et en harmonie, il faut adapter notre réponse pénale, être intransigeants vis-à-vis de ceux qui demandent à être accueillis et violent ensuite la loi pénale.
En proposant d'interdire notre territoire aux hommes et aux femmes de nationalité étrangère qui se livrent à la délinquance, c'est-à-dire à des individus qui refusent l'intégration, le texte que nous examinons aujourd'hui ne fait que tirer les conséquences de cette position républicaine.
Pourquoi, me direz-vous, avoir attendu jusqu'ici pour inscrire cette proposition dans notre droit ?
Parce que les faits nous donnent aujourd'hui toutes les raisons d'agir – et je pense que c'est le raisonnement que vous avez suivi, monsieur le rapporteur.
Ces faits sont ceux observés par le ministère de l'intérieur et l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales. Selon l'étude récemment rendue par l'ONDRP, la part des personnes de nationalité étrangère mises en cause pour des atteintes aux biens est passée de 12,8 % à 17,3 % entre 2006 et 2011. Certes, comme cela a été rappelé en commission, ces chiffres ne concernent que les personnes mises en cause et non les personnes finalement condamnées mais l'analyse détaillée confirme une tendance particulièrement marquée en certains domaines.
Ainsi, le nombre de personnes de nationalité étrangère mises en cause dans des cambriolages a augmenté entre 2008 et 2011 de 73,9 % alors que, pour les vols, cette augmentation s'établit à 105,5 %.
Cette surreprésentation des étrangers dans la population pénale a été corroborée par les chiffres du ministère de la justice et des libertés dans le rapport qu'il a rendu en 2011 sur les condamnations prononcées en 2010 par les juridictions pénales françaises : 76 742 personnes majeures de nationalité étrangère ont été condamnées, soit 13,3 % de l'ensemble des personnes condamnées. Pour mémoire, la population étrangère représente, elle, 5,8 % de la population totale. On constate donc une surreprésentation des délinquants de nationalité étrangère.
La nécessité d'agir établie, que propose le texte que nous examinons aujourd'hui ?
Il vise à interdire automatiquement le territoire français à tout étranger présent sur notre territoire depuis moins de trois ans et condamné pour un crime ou un délit puni de cinq ans d'emprisonnement, sauf décision expressément motivée du juge.
L'automaticité du dispositif et l'élargissement de son champ d'application devraient permettre de reconduire hors du territoire national ceux qui se livrent au cambriolage, au vol en réunion ou au vol dans les transports en commun. Ceux qui sont reconnus coupables d'escroquerie, de violences volontaires avec usage d'une arme ou au préjudice de personnes âgées seront également concernés par ce dispositif.
En outre, je veux souligner que la proposition que nous examinons aujourd'hui respecte les principes dégagés par la jurisprudence constitutionnelle, comme l'a montré le rapporteur.
En premier lieu, il n'y a pas de remise en cause de la suppression de la double peine, introduite en 2003, puisque sont intégralement maintenues les dispositions des articles 131-30-1 et 131-30-2 du code pénal, qui tiennent compte de la situation personnelle et familiale de la personne condamnée afin d'empêcher que soit prononcée une peine d'interdiction du territoire français. En confirmant ces dispositions, la proposition de loi qui nous est soumise s'inscrit dans le strict respect des principes dégagés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
De la même façon, je rejoins la volonté du rapporteur d'exclure de l'automaticité de la peine ceux qui résident régulièrement depuis plus de trois ans sur le sol français. Pour eux, nous pouvons présumer une volonté de s'intégrer de manière conforme aux lois de la République.
Le dispositif proposé répond donc à l'exigence de respecter l'équilibre entre protection de l'ordre public et respect de la vie privée et familiale. Il s'inscrit également dans la droite ligne des principes posés par le Conseil constitutionnel dans ses décisions de 2007 et de 2011 qui validaient le mécanisme des peines planchers.
La proposition consacre en effet une juste proportion entre l'infraction et la peine encourue. Seules les infractions objectivement les plus graves, à savoir les crimes et les délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement, sont visées par l'automaticité de l'interdiction du territoire français. En outre, les seuils d'interdiction du territoire tiennent compte de la gravité de l'infraction commise et sont d'autant plus élevés que l'infraction visée est grave. Le principe de nécessité de la peine est donc lui aussi respecté.
Le texte respecte le principe d'individualisation des peines en permettant à la juridiction de jugement de déroger au dispositif, soit en diminuant la durée de l'interdiction du territoire, soit en l'excluant purement et simplement par motivation expresse.
Je me réjouis que vous ayez relevé avec succès le défi de proposer un texte équilibré respectant à la fois la nécessité d'ordre public et les principes posés tant par la Cour européenne des droits de l'homme que par le juge constitutionnel français.
Une deuxième partie de la proposition de loi pose la question de la réitération.
Le schéma proposé par le député Jean-Paul Garraud et soutenu par le Gouvernement est, une fois encore, courageux. La volonté qui le sous-tend d'aligner le régime de la réitération sur celui de la récidive s'inscrit dans un souci de cohérence.
Cohérence, d'abord, des sanctions prononcées puisqu'il est logique de sanctionner plus durement les délinquants d'habitude que ceux qui basculent pour la première fois dans la délinquance.
Cohérence, ensuite, avec la politique que nous menons depuis 2007, puisque cette proposition de loi s'inscrit dans la droite ligne de la logique des peines planchers pour les récidivistes.
Par la loi du 10 août 2007, le législateur a voté le dispositif des peines plancher : il entendait ainsi envoyer un signal à tous ceux qui comparaissent devant les formations pénales en situation de récidive légale. Grâce à la loi du 14 mars 2011 relative à la sécurité intérieure, les peines plancher sont aujourd'hui applicables aux auteurs, même primo-délinquants, de certains délits de violences volontaires aggravées, par exemple ceux qui ont entraîné une infirmité ou une mutilation permanente.
Toutefois, devant l'augmentation du nombre des délinquants qui multiplient les condamnations sans pour autant être récidivistes au sens de la loi, nous avons aujourd'hui la conviction qu'une étape supplémentaire doit être franchie : ils réitèrent mais ne récidivent pas. Leur casier judiciaire révèle leur appétence à s'attaquer aux biens, aux personnes, à la société en général et à ses représentants en particulier, à des personnes chargée d'une mission de service public ; et pourtant ces condamnés à répétition n'encourent pas de peines plancher, précisément parce que leur activité délictuelle est diverse et multiforme.
Il faut donc étendre le mécanisme des peines plancher aux réitérants.
Personne ne comprend plus aujourd'hui pourquoi l'auteur d'un vol encourt un emprisonnement automatique après avoir été condamné pour un autre vol dans les cinq années qui précèdent, alors que ce même individu échappe à cette peine plancher s'il a décidé de changer de registre en se livrant par exemple à l'agression gratuite d'une personne âgée ou au trafic de stupéfiants.
Ce débat n'est pas neutre, puisqu'il résulte de chiffres donnés par le ministère de la justice et des libertés qu'en 2009, 28,4 % des condamnés étaient en situation de réitération et donc exclus des peines plancher.
Là encore, nous devons procéder à ces ajustements dans le respect de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, en validant les lois précitées de 2007 et 2011, a précisé les garanties de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation de la peine devant entourer les peines plancher.
Le texte issu des travaux de la commission consacre là encore le respect de plusieurs grands principes.
Les articles 2 et 3 consacrent une juste proportion entre l'infraction commise et la peine d'emprisonnement automatique encourue. D'abord, cette réforme ne concernera que les délits punis d'une peine supérieure à cinq ans d'emprisonnement ; en fixant ce quantum à cinq ans, vous avez souhaité sanctionner les infractions les plus graves. Le Gouvernement s'associe à cette volonté de rendre le texte juridiquement plus solide. Ensuite, seuls les délits intentionnels, à savoir ceux par lesquels se manifeste un élément moral démontrant la volonté criminelle, la volonté de violer la loi pénale, seront concernés. Là encore, je m'associe à cette limitation : j'estime légitime que l'auteur de blessures involontaires, par exemple, puisse échapper à l'automaticité de la peine d'emprisonnement alors même qu'il serait en situation de réitération.
Seules les infractions objectivement les plus graves entreront donc dans le champ de la réforme. Par ailleurs, les seuils d'emprisonnement proposés tiennent compte de la gravité de l'infraction commise et sont d'autant plus élevés que l'infraction visée est grave. Le principe de nécessité de la peine est donc pleinement respecté.
Le texte est enfin conforme au principe d'individualisation des peines, car il permet à la juridiction de jugement de déroger au dispositif soit en diminuant la durée de la peine d'emprisonnement prononcée, soit en l'excluant, en motivant spécialement la décision.
Il apparaît cependant opportun de ramener de cinq à trois ans le délai séparant la première condamnation de la commission d'une nouvelle infraction en réitération donnant lieu à l'application des peines plancher.
Nous frapperons ainsi ceux qui se livrent avec une fréquence soutenue, et dans un laps de temps plus restreint, à la violation de la loi pénale : nous définissons ainsi une délinquance d'habitude, à laquelle nous entendons apporter une réponse déterminée.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, une nouvelle fois, je veux saluer l'initiative prise par les 138 signataires de cette proposition de loi. Le gouvernement la soutient totalement car elle va clairement dans le sens de l'intérêt de la sécurité des Français.
Je suis certain que la discussion en séance permettra d'apporter encore des améliorations à cette proposition de loi ; elle s'inscrit dans la politique du Gouvernement, qui veut lutter efficacement contre la délinquance et contre tous ceux qui démontrent, par leur comportement, leur volonté de s'extraire du contrat social auquel ils avaient pourtant souscrit. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Dominique Raimbourg.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes le 1er mars 2012, et l'année 2012 est une année bissextile. Elle comportera donc 366 jours.
Il est toujours bon de commencer un discours par des éléments consensuels. (Sourires.) Exceptionnellement, l'année 2012 comportera donc 8 784 heures, et 527 040 minutes. Le budget de l'Assemblée nationale est de 520 millions d'euros : chaque heure que nous passons cette année vaut 59 198 euros, et chaque minute 986 euros.
Ce n'est pas la question ; ce chiffre correspond au coût du fonctionnement général. Ces notions sont importantes, car ce que nous faisons en ce moment – indépendamment du jugement que nous portons sur le texte – est parfaitement inutile.
Cette inutilité nous coûte très cher. Nous sommes aujourd'hui le 1er mars, je l'ai déjà dit et il me semble qu'il y a consensus sur ce point, sur tous les bancs de l'Assemblée ; or la session s'arrêtera le 6 mars, c'est-à-dire le jour où nous allons procéder au vote final de ce texte. Celui-ci ne se transformera donc jamais en loi. Nous sommes des législateurs ; nous coûtons de l'argent pour faire la loi ; et aujourd'hui nous coûtons de l'argent pour ne rien faire du tout.
Peut-être, mais cela suppose que beaucoup de conditions soient remplies : il y a donc là quelque chose d'assez extraordinaire, et je voulais appeler votre attention sur l'inutilité de nos débats, au-delà de l'intérêt, bien sûr, d'être entre nous et du plaisir que nous avons à nous rencontrer, à échanger des idées et à débattre de choses et d'autres. Sur le fond, nous faisons pas notre travail.
Si les sénateurs votent le texte, il pourra être promulgué rapidement !
Il serait très étonnant que les sénateurs votent ce texte dans les mêmes termes que l'Assemblée… (Sourires.)
Au-delà de cette difficulté de calendrier, au-delà de l'inutilité de notre travail malgré le plaisir que nous avons à travailler ensemble, le texte en lui-même est tout simplement mauvais.
Il est mauvais d'abord parce que sont invoqués, à l'appui de ce texte à double visée, les chiffres de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales. Mais, dans les conclusions qu'il tire, cet organisme est beaucoup plus prudent que vous : il rappelle qu'il est très difficile d'utiliser un chiffre unique.
Cela fait dix ans que nous entendons un chiffre unique statistiquement vrai, mais qui ne reflète pas la réalité. Lorsque vous expliquez que la délinquance a augmenté de 17 % sous le gouvernement de Lionel Jospin et qu'elle a diminué de 17 % depuis 2002, c'est statistiquement vrai, mais cela ne reflète pas la réalité.
La police de proximité a pu avoir pour effet un accroissement de l'enregistrement des plaintes ; il a pu y avoir ensuite une décrue.
J'ajoute que certaines augmentations sont à l'inverse bienvenues : une augmentation du nombre d'affaires de stupéfiants n'est pas forcément l'indice que les affaires de stupéfiants se multiplient dans notre pays : cela peut être l'indice d'une plus grande efficacité des services de police. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Qu'il y ait une augmentation des violences n'est pas forcément atterrant, s'il y a par exemple une réaction sociale plus forte vis-à-vis des violences et que les victimes portent plainte beaucoup plus facilement. Ainsi, la réaction des femmes qui ne subissent aujourd'hui plus les violences conjugales sans réagir contribue à une augmentation du nombre des violences.
Autrement dit, l'appréhension de la délinquance par un chiffre unique est une erreur, et à force de l'utiliser, nous nous privons d'un débat serein. Cela a été très efficace politiquement en 2002, mais cela nuit à la qualité du débat public.
J'en reviens à la proposition de loi. Ce n'est pas la délinquance étrangère qui pose problème : c'est une délinquance très particulière, et si j'ai bien compris, empiriquement, on peut dire que la délinquance qui pose problème est d'une part roumaine, et d'autre part celle de bandes venues d'Europe de l'Est.
On peut attribuer la délinquance roumaine, en général, aux Roms qui séjournent en France ; quant à la délinquance de l'Est, c'est une délinquance itinérante, très professionnelle semble-t-il, de bandes qui se déplacent pour venir commettre des cambriolages.
Il était inutile, dans une période où un parti xénophobe rassemble 16 % des intentions de vote, de stigmatiser une délinquance « étrangère », quand ce texte ne débouchera de toute façon pas sur une loi.
La loi n'est d'ailleurs pas le seul moyen de répondre à la délinquance. Les Roumains et les Bulgares sont dans une situation très particulière : la France a décidé d'appliquer une période de transition – nous étions libres de le faire ou de ne pas le faire, et certains pays ne l'ont pas fait. Durant cette période, les citoyens roumains et bulgares ont la particularité de pouvoir venir s'installer dans notre pays, sans pouvoir y travailler. Dans un premier temps, 150 métiers leur étaient ouverts ; aujourd'hui, cette liste ne comprend plus que 75 métiers. De plus, l'employeur qui les embauche en contrat à durée déterminée doit payer une taxe de 750 euros à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
J'ai personnellement essayé de caser un certain nombre de Roms qui séjournent dans ma circonscription chez des viticulteurs qui, ayant du mal à trouver de la main-d'oeuvre, sont demandeurs : à l'évidence, quand on leur annonce qu'il faut payer plus de 700 euros pour embaucher quelqu'un qui parle pas français, il y a quelques difficultés !
Lorsque le contrat dure moins de trois mois, on arrive à trouver quelques petits boulots.
Ainsi, on laisse des gens – par exemple les Roms – venir chez nous, ce qui est en un sens normal puisqu'ils sont citoyens européens, mais on leur interdit de travailler : on les condamne donc au mieux à la mendicité, au pire à la délinquance, une petite délinquance de survie. Il serait, je crois, utile que nous revenions sur cette position.
Quant aux mineurs isolés roumains, nous avons fait capoter une convention, parce qu'elle était mal faite. Préparée avec le gouvernement roumain, elle prévoyait l'organisation du retour des mineurs isolés roumains mais réservait au procureur de la République la possibilité d'ordonner ce retour ; cela allait à l'encontre de nos principes, selon lesquels seul le juge des enfants doit ordonner ce retour. La convention a donc été mise à mal par le Conseil constitutionnel, et nous n'avons pas fait le nécessaire pour nous doter de l'outil juridique qui permettrait de répondre à la situation de ces mineurs isolés roumains qui sont, certes, délinquants, mais qui sont par ailleurs dans des situations souvent abominables.
Même dans l'opposition, il faut savoir reconnaître les avancées, et j'en vois une.
La seule bonne chose qui ait été faite, à ma connaissance, a été l'installation à Paris de policiers roumains qui aident à traquer la délinquance. Ils sont, je crois, au nombre de quarante – j'avance ce chiffre avec prudence.
En ce qui concerne la délinquance itinérante, la précipitation avec laquelle cette proposition de loi a été présentée ne nous a pas permis de procéder à l'audition de l'Office central de lutte contre la délinquance itinérante et de recueillir ainsi des éléments d'information.
Nous débattons donc de ce texte dans la précipitation, à quelques jours de la suspension des travaux de l'Assemblée. La précipitation est même telle qu'à mon avis, les dispositions qui concernent l'interdiction du territoire français ne trouveront pas application : en effet, elles sont créées dans la partie du code pénal qui concerne l'interdiction du territoire français en général ; or, les délits n'ont pas été repris un par un pour préciser que cette interdiction s'appliquera à tel ou tel délit. J'ai donc le sentiment – peut-être me trompé-je – qu'en vertu de la règle jurisprudentielle selon laquelle la disposition spéciale l'emporte sur la disposition générale, le juge saisi de ces cas-là estimera que la limite des cinq ans inscrite dans la disposition générale ne s'applique pas en matière de vol, ou autrement dit qu'en matière de vol, l'interdiction du territoire français ne s'applique que pour les vols punis au minimum d'une peine de dix ans d'emprisonnement.
Le texte présente là une faiblesse juridique, que j'avais soulignée en commission ; mon avis était partagé, et je ne suis pas sûr que l'amendement qui nous sera présenté aujourd'hui permette de la rectifier.
Je ne dis pas cela avec l'idée qu'il faille absolument adopter cette mesure. (Sourires.) Je veux seulement souligner l'impréparation et la précipitation avec lesquelles vous agissez, quand bien même M. le rapporteur a des compétences tout à fait remarquables en la matière. La vitesse n'a pas permis d'aller jusqu'au bout de la rédaction du texte.
Je ferai quelques observations sur la réitération – elles seront rapides, car je ne sais pas si ma parole est d'or, mais en tout cas ces mots coûtent de l'argent. (Sourires.)
D'abord, il n'y a jamais eu d'évaluation de la loi de 2007 sur les peines plancher en matière de récidive, et nous allons les étendre à la réitération.
Par ailleurs, aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la loi ne doit édicter que des peines strictement et évidemment nécessaires. Il y a une démonstration juridique de la nécessité, mais la question, c'est la démonstration pratique. Manquons-nous d'outils pour condamner les réitérants ? La fréquentation des tribunaux apprend que, dès l'instant où quelqu'un arrive avec un casier judiciaire, sa situation est bien moins bonne que celle d'un primo-délinquant et que les tribunaux tiennent systématiquement compte de l'existence d'un casier judiciaire. Créer une situation de réitération en matière de crimes quand on connaît les peines encourues me paraît totalement inutile, comme en matière de délits.
La réalité, ce n'est pas que la loi pénale n'est pas assez sévère, c'est que la chaîne pénale ne fonctionne pas rapidement et efficacement, de l'arrestation à la condamnation, jusqu'à l'exécution des peines. C'est à ce problème qu'il faut remédier. Ce n'est pas en durcissant à l'infini la réponse pénale que nous améliorerons la situation en matière de délinquance.
Vous allez donc voter à l'unanimité cette motion de rejet, certains parce que le texte est mauvais et les autres parce que, le texte étant inutile, il convient de faire des économies. Je vous propose donc, en dépit de tout le respect que j'ai pour les orateurs qui me suivent, de supprimer la discussion générale qui doit durer cinquante minutes. À mille euros la minute, cela fera une économie de 50 000 euros. Je suis certain que c'est avec enthousiasme que vous allez voter cette économie qui s'impose en ces temps de disette. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Contrairement à ce que vous avez dit, monsieur Raimbourg, ce texte est important.
Il est important d'abord parce qu'il tire un certain nombre de conclusions de l'évolution de la délinquance, ce qui relève bien de notre responsabilité de législateurs.
Grâce à tous les efforts que nous avons réalisés dans la lutte contre l'insécurité, nous constatons heureusement une diminution notable des infractions dans un certain nombre de domaines. Par contre, pour les faits commis par des étrangers, nous constatons une augmentation sensible de certains types de délinquance. Cela a été relevé par l'Observatoire national de la délinquance, et on le voit aussi en examinant les condamnations, mon rapport étant davantage fondé sur celles-ci que sur les mises en cause.
Ensuite, il serait selon vous inutile de débattre aujourd'hui parce que nous n'irons pas jusqu'au terme du processus législatif. Je ne veux pas être trop cruel, monsieur Raimbourg, mais le Sénat, avec sa nouvelle majorité, s'est empressé de ressortir un texte, voté sous le gouvernement Jospin par une autre assemblée, sur le droit de vote des étrangers.
C'était une manière d'agir tout à fait particulière, que nous avons dénoncée. Rien ne nous empêchera de réexaminer le présent texte en nouvelle lecture,…
Notre réponse n'est pas le tout-répressif, le tout-enfermement.
L'interdiction du territoire français est une peine complémentaire qui existe dans le droit pénal français depuis 1970. Je lirai peut-être plus tard d'autres passages de textes écrits par des membres de l'opposition. Des majorités de gauche ont étendu cette peine complémentaire. Michel Sapin, alors ministre délégué à la justice, Alain Vidalies ou encore Jérôme Lambert, rapporteur d'un texte en 1991, ont dit très clairement qu'il fallait étendre le champ d'application de l'interdiction du territoire français.
Constatant une augmentation de la délinquance des étrangers, je cherche à en étendre le champ d'application, tout en simplifiant la procédure, en laissant évidemment aux juges la possibilité d'y déroger s'ils l'estiment utile, et sans remettre en cause, bien entendu, les droits des délinquants étrangers spécialement protégés en application de la loi de 2003.
J'en viens aux réitérants. Dans l'opinion des gens, le récidiviste, c'est celui qui recommence à commettre des infractions alors qu'il a déjà été condamné une ou plusieurs fois, sauf que ce n'est pas la définition légale. La récidive légale, c'est beaucoup plus compliqué, et les réitérants sont trois fois plus nombreux que les récidivistes.
Le système de peines plancher que nous avons mis en place en 2007 ne s'applique pas à toute une catégorie de délinquants auteurs d'infractions multiples, qui, sont peut-être d'ailleurs plus dangereux que les récidivistes puisque leur champ d'intervention dans la délinquance est plus large que celui du récidiviste, qui recommence toujours le même type d'infractions.
S'il faut naturellement des peines plancher pour les récidivistes, il en faut aussi pour les réitérants, tout en tenant compte, bien entendu, du principe d'individualisation des peines. Un juge, et je suis le premier à le comprendre, doit pouvoir déroger à cette obligation quand il l'estime nécessaire, à condition de le motiver, et il n'y a d'ailleurs rien de plus normal pour un juge que de motiver ses décisions. Celles-ci pourront éventuellement faire l'objet d'un recours, mais tout sera conforme au droit.
Telles sont les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, je vous invite à rejeter la motion présentée par l'opposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Au titre des explications de vote, la parole est à M. Éric Ciotti, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Le groupe UMP rejettera naturellement cette motion de rejet préalable. M. le rapporteur vient d'en indiquer les raisons essentielles. C'est un texte important qui s'attaque à deux problèmes majeurs qui expliquent l'augmentation de la délinquance : la délinquance d'origine étrangère et la réitération. Il apporte des réponses précises, pragmatiques et concrètes.
Un mot sur la forme, monsieur Raimbourg, qui êtes abonné à la défense des motions de rejet en cette fin de session... (Sourires.) Vous évoquiez la dernière fois votre goût pour la fantaisie. Vous l'avez exprimé à nouveau ce soir, mais le sujet mérite peut-être un peu plus de sérieux. La démocratie a un coût mais elle n'a pas de prix, et ces calculs d'apothicaire traduisent une conception particulière de la démocratie. C'est peut-être celle du parti socialiste, qui, associé aux indépendantistes basques, a organisé cet après-midi à Bayonne des manifestations scandaleuses pour empêcher le Président de la République de faire campagne. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Plusieurs députés du groupe UMP. Scandaleux !
Soucieuse de l'efficacité de la dépense publique, monsieur le président, je vais faire économiser 1 900 euros à l'Assemblée en disant simplement que nous sommes naturellement favorables à cette motion de rejet.
(La motion de rejet préalable n'est pas adoptée.)
Monsieur le président, mes chers collègues, le ministre se demandait tout à l'heure pourquoi cette proposition de loi était déposée maintenant. Bonne question, pour une majorité au pouvoir depuis dix ans et en fin de mandat ! En réalité, cette proposition de loi instaurant l'expulsion des personnes étrangères condamnées à au moins cinq ans de prison est un hameçon lancé aux électeurs du Front national (Protestations sur les bancs du groupe UMP) pour les conduire à voter pour Nicolas Sarkozy.
Faites attention en ce moment avec les bateaux !
Comme l'a rappelé M. Raimbourg, compte tenu de la fin prochaine des travaux de notre assemblée, cette proposition de loi ne pourra pas aller au bout de son parcours parlementaire.
Il y a même quelque chose de méprisant envers le Parlement à nous faire débattre en urgence d'un texte dont chacun sait pertinemment qu'il n'a pas vocation à être appliqué. À une poignée de semaines des élections, nous assistons, il faut bien le dire, à une manoeuvre grotesque.
Vous vous targuez d'ailleurs, mesdames, messieurs de l'UMP, du fait que cette proposition ait été signée par plus de 140 députés de votre groupe, mais cela veut dire qu'il en manque beaucoup. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Cette proposition de loi répond, semble-t-il, à une demande de M. Guéant, qui avait souhaité fin 2011 des mesures spécifiques contre la délinquance étrangère.
Celle-ci serait en constante augmentation, a-t-il été répété. À en croire l'exposé des motifs, le nombre des ressortissants étrangers mis en cause pour des cambriolages ou des vols avec violence aurait fortement augmenté, mais, comme le souligne l'Union syndicale des magistrats, syndicat majoritaire, ces statistiques sont mensongères. Il convient de rétablir la vérité : le nombre d'étrangers mis en cause pour des crimes et délits hors infraction à la législation des étrangers a augmenté de 4,07 % entre 2005 et 2010, quand le nombre de Français augmentait de 8,40 %.
Selon l'Union syndicale des magistrats, la hausse de la part des étrangers au sein des mis en cause depuis deux ans est due principalement aux variations du nombre d'étrangers mis en cause pour vols sans violence et, en tout état de cause, la part de la délinquance des étrangers dans la délinquance générale reste stable.
Force est de constater que le diagnostic posé est erroné. Il reprend la propagande agitée par l'extrême droite selon laquelle il existerait un péril étranger, une délinquance spécifique aux non-Français. Vous jouez sur certains préjugés au mépris de la réalité, alors même que nous disposons des outils statistiques nécessaires à la connaissance impartiale de la situation.
Vous faites un usage étonnant des statistiques. Tantôt elles vous servent à vous tresser des lauriers en matière de sécurité, et dans ce cas vous n'hésitez pas à brandir des pourcentages de baisse de tel ou tel délit. Tantôt, elles vous servent à stigmatiser et à légitimer une nouvelle accentuation de la répression, et ce sont dès lors des augmentations vertigineuses qui nous sont présentées. Où est la vérité, monsieur le ministre ?
Par ailleurs, l'USM note qu'avant de renforcer la législation sur les interdictions judiciaires du territoire, il faudrait rechercher si les juridictions en ont prononcé davantage dans la période récente. Or ces chiffres n'existent pas.
Diagnostic erroné, chiffres tronqués, absence d'étude d'impact, procédure d'urgence, calendrier non validé, cela fait beaucoup de malfaçons pour un seul texte de loi.
Sur le strict plan de la forme, l'ensemble des griefs que je viens de soulever suffiraient amplement à justifier un vote négatif.
Sur le fond, cette proposition de loi vise à étendre le recours à la procédure d'expulsion du territoire aux auteurs non français de faits passibles de cinq ans d'emprisonnement ou plus.
Tout d'abord, redisons-le, la double peine existe toujours, contrairement à ce que prétend Nicolas Sarkozy depuis dix ans. L'actuel Président se fait fort de l'avoir supprimée lorsqu'il était ministre de l'intérieur. C'est un mensonge, un mensonge de plus. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
À ce jour, l'interdiction du territoire français peut être prononcée pour près de 300 crimes et délits. Quant à l'expulsion, elle peut toujours être prononcée comme conséquence indirecte d'une condamnation pénale.
Pourquoi les députés du Front de gauche, que je représente, se battent-ils contre la double peine ? Parce qu'il s'agit d'une peine infâme, où le condamné, s'il n'a pas la nationalité française, est envoyé dans un pays où il ne vit pas, ne travaille pas et n'a, bien souvent, aucune attache. Contraire au principe élémentaire de réinsertion des condamnés, la double peine est archaïque, criminogène et inégalitaire.
Du reste, le caractère grossier de ce dispositif n'a pas échappé à grand monde, puisque même un certain nombre de nos collègues de l'UMP, je le relevais à l'instant, ont déposé des amendements contre son extension. Voici ce qu'ils affirment : « N'oublions jamais que, derrière un acte de délinquance, il y a un homme, que derrière chaque homme il y a une famille qu'il s'agit de ne pas séparer en éloignant du territoire français l'un des siens, quand bien même ce dernier a été condamné. »
J'ajoute que la mesure est manifestement contraire à la Constitution. En conférant à la peine d'interdiction du territoire français un caractère automatique et en lui fixant une durée minimale, le texte contrevient aux principes constitutionnels d'individualisation et de nécessité de la peine.
Cette proposition de loi comporte un deuxième volet tout aussi outrancier que le premier. Il s'agit d'une extension des peines plancher aux actes commis non seulement en situation de récidive légale mais aussi en situation de simple réitération. Cela signifie qu'une deuxième condamnation, même si elle porte sur des faits n'ayant rien à voir avec la première, entraîne automatiquement une peine artificiellement alourdie.
Parce que votre proposition fait l'unanimité contre elle, permettez-moi de citer l'autre organisation représentative des personnels judiciaires, à savoir le Syndicat de la magistrature.
Vous êtes bien méprisant.
« Le dispositif confine ici à la négation de la loi pénale par la loi pénale elle-même puisqu'elle ignore la hiérarchie légale des infractions pour faire de la répétition de l'acte de délinquance quel qu'il soit, et quelle que soit la personnalité de son auteur, l'alpha et l'oméga de la punition », écrit le Syndicat de la magistrature.
Le Conseil constitutionnel n'avait validé les peines plancher que dans la mesure où elles ne concernaient que certaines infractions d'une particulière gravité, spécialement désignées.
Dans la proposition de loi que nous examinons, ce sont, au contraire, tous les crimes passibles de cinq ans ou plus d'emprisonnement qui sont visés, sans même qu'il soit besoin de caractériser l'état de récidive légale ni la moindre circonstance aggravante. Le critère fixé par les « Sages » n'est donc pas respecté.
L'unique réponse que vous vous proposez d'apporter à la délinquance, c'est l'augmentation des quantums à travers le distributeur automatique que sont les peines plancher.
Ce leitmotiv appelle plusieurs remarques de notre part. D'une part, aucun bilan n'a été tiré de l'instauration des peines plancher en 2007. Pourtant, sur le plan statistique, on constate qu'elles n'ont en rien fait chuter la récidive, ce qui était pourtant leur objectif. D'autre part, les études récentes montrent que l'augmentation de la durée des peines de prison n'a pas l'effet dissuasif que vous lui imputez.
Nous pensons, pour notre part, que la réponse à la délinquance est à chercher ailleurs que dans l'incarcération criminogène. Plutôt que de continuer à surcharger notre justice, alors même que les budgets s'effondrent, il faut augmenter les effectifs et allouer les moyens techniques, humains et financiers nécessaires à l'accomplissement de ses missions.
Cette ambition, qui fait si cruellement défaut à droite, est portée par le Front de gauche. Loin des plans de rigueur et de l'appauvrissement organisé du service public de la justice, nous défendons une justice indépendante de l'exécutif et capable d'exercer enfin ses missions.
Pour toutes les raisons que j'ai évoquées, les députés communistes, républicains, citoyens et du parti de gauche voteront contre ce texte.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je me félicite naturellement de l'examen de cette proposition de loi qui permet de répondre efficacement à deux problèmes majeurs qui nourrissent aujourd'hui la délinquance dans notre pays. Il s'agit, d'abord, d'apporter une réponse pénale appropriée aux actes commis par les délinquants de nationalité étrangère dont la part dans l'ensemble de la délinquance ne cesse de croître – contrairement à ce qui vient d'être dit, toutes les études le démontrent de façon irréfutable. Il s'agit, ensuite, de mieux prévenir la délinquance commise par les auteurs d'infractions multiples.
En ce qui concerne la part croissante d'étrangers dans la délinquance générale, le texte que nous examinons aujourd'hui part d'un constat simple et irréfutable. En 2010, près de 80 000 condamnations prononcées concernaient des personnes de nationalité étrangère, soit environ 13 % de l'ensemble des condamnations selon les statistiques du ministère de la justice relatives aux condamnations prononcées dans notre pays. Ce chiffre est à rapprocher de la proportion des étrangers figurant dans la population française, qui ne dépasse pas, selon l'INSEE, environ 5 %. En matière d'atteintes aux biens, les étrangers représentent plus de 17 % des mis en cause selon une récente étude fournie par l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales. Force est de constater qu'il y a une considérable surreprésentation des étrangers dans la population des personnes condamnées.
Je tiens également à souligner que, depuis trois ans, la proportion d'étrangers mis en cause pour certains délits a particulièrement progressé, le ministre l'a souligné tout à l'heure : vols à l'étalage, plus 40 % ; cambriolages, plus 74 % ; vols à la tire, plus 130 %.
Ces faits montrent clairement la nécessité d'apporter une réponse mieux adaptée à ce problème de la délinquance des étrangers dans notre pays. D'où notre volonté, avec Jean-Paul Garraud, Philippe Goujon et plus de cent trente de nos collègues, de mettre en place un dispositif dissuasif qui inviterait les magistrats à prononcer pour les étrangers présents en France depuis moins de trois ans, lorsqu'ils commettent un délit passible d'une condamnation de plus de cinq ans ferme, une peine complémentaire sous la forme d'une interdiction de territoire français, graduée en fonction de la peine encourue.
Nier cette réalité serait totalement irresponsable car cela reviendrait ni plus ni moins qu'à passer à côté d'un phénomène qui continuera de s'aggraver dans les prochaines années si nous n'y apportons pas des solutions concrètes et fortes.
Cette proposition de loi constitue un texte majeur et équilibré (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), un texte qui tient compte des situations particulières des personnes condamnées et qui ne concerne que les étrangers en situation irrégulière.
Le principe constitutionnel permettant au magistrat de ne pas appliquer cette peine complémentaire est préservé, mais il faudra alors que le magistrat motive expressément sa décision. Il n'y a donc pas d'automaticité de la sanction, sanction qui sera graduée selon qu'elle se rattache à un délit ou un crime mais qui ne pourra être inférieure à certains seuils, fixés de un à dix ans.
La France est un pays accueillant, digne de sa tradition humaniste et solidaire, et nous voulons défendre cette tradition. Ce n'est pas une raison cependant pour que des étrangers viennent s'installer illégalement en France ou pour qu'ils viennent y commettre des crimes et des délits. Cela relève simplement du bon sens.
Affirmer le contraire serait faire preuve d'irresponsabilité et de démagogie.
Je constate que vous continuez à persister avec une certaine constance dans cette voie de l'irresponsabilité et de la démagogie.
Ainsi, ce texte aura naturellement des fonctions dissuasives.
Sur le deuxième volet concernant les actes de délinquance commis en situation de réitération – là encore le ministre a rappelé l'importance de ces faits –, cette proposition de loi part d'un autre constat très simple : la délinquance se concentre principalement dans une frange de la population qui n'a plus peur de la loi pénale. En effet, les actes de délinquance sont très concentrés : 19 000 personnes ont plus de cinquante mentions dans le fichier du système de traitement des infractions constatées. Ce matin, la presse se faisait l'écho de l'interpellation par les services de la préfecture de police de Paris, hier soir, de trois cambrioleurs qui cumulaient, à eux trois, 226 inscriptions au STIC.
La police agit, avec une efficacité qui a quasiment doublé depuis que vous avez quitté les responsabilités du pouvoir. La police fait son travail et elle le fait bien, sous l'autorité du ministre de l'intérieur, dont je tiens à saluer l'efficacité.
Autre chiffre très parlant : 50 % des actes de délinquance sont commis par seulement 5 % des délinquants.
Depuis la loi du 10 août 2007 instaurant les peines plancher, notre droit appréhende correctement la situation particulière des récidivistes, soumis au doublement de la peine maximale et à des peines minimales d'emprisonnement.
Toutefois, il faut bien le reconnaître, la situation des réitérants n'est, quant à elle, pas suffisamment prise en compte par notre droit pénal et c'est un problème qu'a légitimement soulevé à plusieurs reprises M. le ministre de l'intérieur. En effet, aujourd'hui, les peines plancher ne sont applicables qu'aux délinquants ou criminels en état de récidive légale, c'est-à-dire à ceux qui ont commis un délit ou un crime identique au précédent. Les peines plancher constituent un dispositif efficace qui a fait ses preuves depuis 2007 : 30 000 peines plancher ont déjà été prononcées.
Il serait donc conforme à la justice et au bon sens que les réitérants puissent se voir appliquer les peines plancher, au même titre que les récidivistes au sens légal.
Cependant, dénotant une attitude totalement irresponsable, le Sénat a souhaité, il y a quelques jours, supprimer dans le projet de loi de programmation sur l'exécution des peines, les peines plancher. Nous en avons débattu hier soir, M. Raimbourg défendait avec la même énergie le texte qui supprime les peines plancher, qui instaure un numerus clausus dans les prisons, qui instaure une automaticité, voire une obligation de l'aménagement des peines. Il faut que tout cela soit diffusé pour éclairer les Français. En cela, les votes du Sénat ont un profond mérite.
Mes chers collègues, ce texte est important, il s'attaque de façon très concrète, très pragmatique…
…et très judicieuse à deux problèmes majeurs. Naturellement, le groupe UMP lui apportera son soutien sans réserve. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui tendant à renforcer l'effectivité de la peine d'interdiction du territoire français et visant à réprimer les délinquants réitérants, a connu un destin exceptionnel. Déposée le 17 janvier dernier, elle est immédiatement examinée. C'est même probablement la proposition de loi la plus rapide de la législature. Même la proposition relative à l'enfance délaissée et à l'adoption, qui vient d'être examinée dans l'hémicycle, et dont l'auteure et rapporteure est Michèle Tabarot, pourtant présidente de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, n'a pas eu cet honneur. Mme Tabarot a dû attendre sept mois. Et votre collègue du groupe UMP Sauveur Gandolfi-Scheit, a dû, lui, attendre plus de deux ans pour que sa proposition tendant à favoriser le rapprochement des détenus de leur famille, puissant facteur de prévention du suicide mais également des récidives, soit inscrite à l'ordre du jour.
C'est donc un texte tout à fait particulier sur lequel nous nous exprimons aujourd'hui d'autant que, la session s'achevant la semaine prochaine, ce texte ne sera pas examiné au Sénat durant la législature.
Cette vaine précipitation avant scrutin trahit deux choses. D'une part, le caractère strictement publicitaire de ce texte. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Il s'agit d'afficher une détermination toujours plus tapageuse à réprimer, pour mieux masquer l'échec accablant de ce gouvernement et de sa majorité dans la lutte contre la délinquance et la grande criminalité.
Les jeunes disent : « Faites du bruit », et la droite autoproclamée « populaire » est toujours là pour en faire.
Il n'est que de regarder les signataires de ce texte, parmi lesquels on retrouve la liste quasi complète de cette fraction à laquelle, monsieur le rapporteur, vous appartenez, au même titre que le désormais tristement célèbre Christian Vanneste. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Néanmoins, comme le soulignait Pierre Gosnat, c'est moins de la moitié des membres du groupe UMP et apparentés qui sont signataires de ce texte.
La seconde chose que cette vaine précipitation trahit, c'est la forme de panique qui vous saisit à la lecture des sondages, à moins de soixante jours du premier tour de l'élection présidentielle. (Même mouvement.)
De ce point de vue, on peut vous reconnaître un certain talent, l'orchestration est parfaite : le 10 janvier, monsieur le ministre, vous faites des déclarations fracassantes sur RMC à propos de la délinquance des étrangers, « deux à trois fois supérieure à la moyenne » ; le 17 janvier, une semaine plus tard, monsieur le rapporteur, vous déposez avec vos collègues cette proposition de loi.
Pour vous, monsieur le ministre, il n'y a que des avantages à utiliser le véhicule d'une proposition de loi, c'est-à-dire d'une initiative parlementaire : vous faites ainsi l'économie d'un avis du Conseil d'État, dont il est peu probable qu'il aurait été très positif sur ce texte bâclé et approximatif.
Vous évitez surtout une étude d'impact qui aurait démontré sa portée bien limitée, si toutefois il passait l'épreuve de la censure du Conseil constitutionnel, ce dont nous doutons fortement. Ce texte est en fait effet manifestement contraire aux principes constitutionnels d'individualisation et de nécessité de la peine.
Pour le défendre, le rapporteur s'appuie sur les chiffres du dernier rapport de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, pourtant publié un mois après le dépôt de la proposition de loi !
Cette initiative parlementaire se fonde en effet sur une augmentation des actes de délinquance commis par les ressortissants étrangers. Or, vous entretenez à dessein la confusion entre condamnations et mises en cause. En effet, les chiffres de l'Observatoire ne concernent que les mises en cause qui, comme le précise son rapport, sont un concept statistique ne pouvant en aucun cas être confondu avec la notion de culpabilité. Être mis en cause ne veut pas dire être coupable, cela vaut pour les ressortissants français comme pour les étrangers. Mais amalgame et hypertrophie sont les deux mamelles de la droite populaire !
L'Observatoire national de la délinquance conclut par ailleurs son étude en estimant qu'il est impossible de déterminer dans quelle mesure la part des étrangers au sein des auteurs de vol a augmenté depuis 2008, mais cela vous gênerait de le signaler… Il déclare donc lui-même que ses chiffres ne doivent pas être considérés comme des certitudes.
Comme l'a rappelé Jean-Jacques Urvoas en commission, vous faites largement l'impasse, monsieur le rapporteur, sur les chiffres de la Chancellerie, qui portent non sur les infractions constatées mais sur les condamnations pénales prononcées par les autorités judiciaires – ce qui exclut les infractions concernant les sans-papiers, lesquelles relèvent de la juridiction administrative.
Si vous utilisez fort parcimonieusement ces chiffres, c'est parce qu'ils démentent la vision apocalyptique que vous nous présentez : sur les trente dernières années, la part des étrangers condamnés par la justice, tous types de délits confondus, est restée stable, comprise entre 12 et 14 %. On est donc très loin, monsieur le ministre, de votre déclaration à l'emporte-pièce sur RMC. Mais il est vrai que l'on peut faire dire aux chiffres et aux pourcentages ce que l'on veut.
Je répète ce que j'ai dit en commission : 96 % de la population carcérale est masculine, quand ce taux tombe à moins de 50 % pour la population française, ce qui dénote une surdélinquance masculine.
Il faudrait donc faire deux droits distincts et mettre en place deux dispositifs de prévention et de répression, l'un pour les femmes, l'autre pour les hommes…
Vous voyez sur quels rivages vous pourriez nous entraîner, avec vos interprétations erronées, des chiffres, des pourcentages et des statistiques !
S'il vous plaît, chacun, dans cette enceinte, doit apprendre à se respecter, les auditeurs comme l'orateur.
L'article 1er vise donc les étrangers. Là non plus, vous n'hésitez pas à tout mélanger. Cet article concerne en effet à la fois les étrangers en situation irrégulière et ceux qui vivent en situation régulière, mais depuis moins de trois ans. À quoi correspond cette durée de trois ans ? Vous n'avez pas répondu en commission. Pourquoi ne pas avoir choisi un an – durée de validité du premier titre de séjour –, cinq ans – délai à partir duquel on peut demander une carte de résident –, ou n'importe quelle autre durée, puisque votre imagination n'est pas en reste dans ce domaine ?
En commission, monsieur le rapporteur, vous n'avez d'ailleurs pas réussi à convaincre ceux de vos collègues de l'UMP qui ont vu dans votre texte un retour en arrière insupportable par rapport à la double peine, et qui, comme nous, ont déposé un amendement de suppression de l'article 1er ; je veux parler d'Étienne Pinte, Nicole Ameline, Michel Heinrich, Michel Piron et Éric Straumann. La première ligne de l'exposé sommaire de leur amendement rappelle la réforme de la double peine de 2003, et le dernier paragraphe de ce même exposé des motifs mérite d'être lu à cette tribune : « Emmanuelle Mignon, dans Le Figaro du 5 décembre 2009, à la question “Quels combats vous ont le plus marquée aux côtés de Nicolas Sarkozy ?” a répondu : “La suppression de la double peine a été un beau combat, inattendu. C'était une mesure de progrès et révélatrice de cette capacité de Nicolas Sarkozy à ne pas être enfermé dans les dogmatismes.” »
Il faut croire que, de rupture en rupture, Nicolas Sarkozy ne cesse de changer. Il est décidément bien polymorphe !
Quant à l'article 2, vous l'avez reconnu, les délinquants « réitérants » sont une notion juridique récente, puisqu'elle date du 12 décembre 2005. Il s'agit d'une catégorie fourre-tout, créée pour contourner la notion de récidiviste que d'aucun considéraient déjà, à l'époque, comme trop restrictive. Il convient donc de la manier avec la plus grande prudence.
Vous aviez tellement aimé les peines plancher en 2007 que vous les étendez aux réitérants ! Vous arguez de leur efficacité mais, à ma connaissance, celle-ci n'a été établie par aucune étude à ce jour. Seul existe le rapport présenté le 9 décembre 2008 par nos collègues Guy Geoffroy et Christophe Caresche au nom de la commission des lois, rapport qui restait extrêmement prudent sur ce point et concluait même à l'inadaptation du dispositif au regard de ses objectifs. Le fait est que la délinquance, notamment la plus violente, de continué à progresser sous cette législature, en dépit de ces peines plancher, pourtant censées être dissuasives.
Pensez-vous vraiment que ce texte soit compatible avec les principes constitutionnels d'individualisation et de nécessité des peines ? Quoi qu'il en soit, nous nous opposons à l'ensemble des articles de cette proposition de loi, car nous estimons, nous, qu'elle est non constitutionnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on l'a bien compris, la gauche ne veut pas qu'il soit répondu à deux enjeux majeurs de sécurité publique : l'augmentation, parfaitement avérée, de la délinquance étrangère dans notre pays et la difficulté à prendre en compte la réitération pour mieux la maîtriser.
Cette situation nous imposait pourtant d'adapter une fois encore notre arsenal législatif. Il est en effet indispensable, comme ce fut le cas à juste titre tout au long du quinquennat, de répondre, chaque fois que nécessaire, aux menaces qui surgissent.
Aussi, je salue ce texte, à l'élaboration duquel Éric Ciotti et moi-même avons oeuvré, et qui va permettre de riposter à deux niveaux. Cette proposition de loi permettra d'une part que la peine complémentaire d'interdiction du territoire français soit prononcée par principe vis-à-vis des étrangers accueillis depuis peu sur notre territoire et se livrant à des actes de délinquance grave. C'est bien le moins que l'on puisse envisager pour ceux qui refusent toute insertion, violant nos lois sans vergogne.
L'augmentation globale des étrangers mis en cause est de 40 % depuis 2008.
Selon l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, l'an dernier, ce sont plus de 17 % des 306 000 mis en cause pour des atteintes aux biens qui étaient étrangers, contre 11,5 % en 2008. À Paris, exploitée par des réseaux criminels pour la plupart originaires d'Europe de l'Est, la délinquance des mineurs s'est accrue de 13 % en 2011, un chiffre à mettre en regard du doublement du nombre de jeunes étrangers arrivés à Paris, qui a augmenté de 110 %. Les arrestations d'étrangers pour crimes et délits ont augmenté de 42 %, contre 31 % en 2010, ce taux montant à 78 % pour les seuls Roumains – ils étaient 8 245, dont une moitié de mineurs. Il a fallu d'ailleurs affecter – et nous devons en féliciter le ministre de l'intérieur –, près d'une cinquantaine de policiers roumains à Paris pour démanteler des réseaux criminels et mafieux très structurés, mais il faudrait aller jusqu'à saisir les avoirs criminels en Roumanie même.
Mais cela ne suffit pas, et une loi est indispensable. Le dispositif des peines plancher, introduit pour les récidivistes, s'appliquera désormais aux réitérants, trois fois plus nombreux que les récidivistes. Cette notion juridique, difficile à appréhender, permettra, associée à la loi du 10 août 2007, d'atteindre le noyau dur de la délinquance, c'est-à-dire les 5 % de délinquants qui commettent 50 % de la délinquance.
La réitération constitue en effet un véritable enjeu de sécurité publique : on compte ainsi un bon millier de réitérants dans la capitale intra muros, qui ont commis chacun entre cinquante et cent faits délictueux, et 19 000 personnes sont citées plus de cinquante fois dans le STIC. À cause de cette différence tenant à la nature de l'infraction commise, ces délinquants échappent hélas largement, en l'état actuel du droit, aux peines plancher, dispositif dont le succès est pourtant avéré, avec 30 000 prononcés depuis 2007. Aussi est-il nécessaire d'aller plus loin pour qu'ils soient également concernés par cette mesure aussi efficace que dissuasive, en en élargissant d'ailleurs encore l'application, grâce à l'amendement gouvernemental qui ramène de cinq à trois ans le délai séparant la première condamnation d'une nouvelle infraction.
D'ailleurs, même si j'en comprends les raisons, je m'interroge vraiment, au vu de l'ampleur de ces deux problèmes de sécurité publique, sur la pertinence de l'allongement du seuil de peines de trois à cinq ans pour qu'un délinquant se trouve concerné par ces mesures, car cela exclut plusieurs délits courants.
Parce que la délinquance évolue sans cesse, le mérite de ce Gouvernement et de sa majorité est d'adapter en permanence les outils à la disposition de la police et de la justice pour y répondre, et je m'alarme de leur démantèlement programmé par une gauche, qui n'a de surcroît voté quasiment aucun des textes améliorant la sécurité des Français adoptés sous ce quinquennat, voire depuis dix ans. En effet, non contente de proposer, au détriment des victimes, la suppression des peines plancher et de la rétention de sûreté, la gauche envisage également de supprimer 20 000 places de prison, alors qu'il en manque déjà !
En tout cas, il est plus qu'indispensable de profiter es quelques jours de session encore disponibles pour adopter cette proposition de loi, dont nos concitoyens n'imaginent même pas qu'elle ne soit pas déjà mise en oeuvre, tant elle relève du simple bon sens. On voit bien en tout cas, une nouvelle fois dans cet hémicycle, qui se préoccupe réellement de la sécurité des Français, et qui continue à faire preuve d'une naïveté coupable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici donc face à la dernière salve de la « droite populaire » dans sa lutte acharnée pour éradiquer notre modèle de justice à la française, avec des juges chargés de prononcer des peines proportionnées prenant en considération les caractéristiques de l'affaire et la personnalité du délinquant. Manifestement, ce type de justice ne vous convient pas, et vous ne souhaitez pas que les magistrats continuent à jouir de la latitude d'individualiser les peines.
Une nouvelle fois, vous tentez de les brider en élargissant le champ d'application des peines plancher que vous aviez instaurées pour la récidive. Et, au cas où certains magistrats en auraient encore douté, les voici aujourd'hui fixés avec cette nouvelle expression de la défiance du pouvoir actuel à leur égard.
En fixant des peines planchers pour les délinquants réitérants, vous signifiez aux magistrats, comme vous l'avez fait en introduisant des jurys populaires en correctionnelle, que vous les jugez trop laxistes. L'expérience prouvera que les présupposés desquels vous étiez partis sont faux. L'idée est toujours la même – reconnaissons à M. Garraud le mérite de la constance.
Vous ne proposez qu'une seule solution : allonger les peines, allonger les peines, allonger les peines !
Ce texte me dérange par ailleurs en ce qu'il semble inspiré par les préoccupations de M. Guéant, lequel s'est donné pour tâche de mener la croisade contre l'étranger qui vit à nos dépens et suce notre sang. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
L'on nous explique, tableaux à l'appui pour démontrer la justesse du raisonnement, qu'il faut réprimer plus efficacement la délinquance des étrangers en renforçant l'effectivité de la peine complémentaire d'interdiction du territoire français pour les délinquants réitérants. À les regarder de près cependant, on a beaucoup de mal à comprendre vos explications, même en faisant preuve de bonne volonté.
Vous prétendez d'un côté que votre lutte contre la délinquance est si efficace que vous avez terrorisé les voyous, tout en voulant nous persuader de l'autre que la délinquance ne cesse d'augmenter d'année en année ! Et les chiffres de vos tableaux de nous montrer que la part des étrangers, entre 2006 et 2011 est passée de 13,1 % à 13,9 %, soit une augmentation de 0,8 point ! Il y avait vraiment là une bonne raison de nous convoquer en urgence pour réagir au plus vite à ce phénomène d'une extrême gravité !
Selon les tableaux du rapport Garraud, que j'ai étudiés avec intérêt, la part des étrangers parmi les personnes condamnées, qui diffère de celle des étrangers mis en cause, est passée, tenez-vous bien, de 11,6 % en 2001 – année épouvantable où ce laxiste de Jospin était au pouvoir – à 12,1 % en 2010, ce qui représente une hausse de 0,5 point en dix ans ! De qui se moque-t-on ? Si 12 % des condamnés sont des étrangers, cela signifie bien que 88 % sont de nationalité française ! Ce n'est donc pas en nous en prenant particulièrement aux délinquants étrangers que nous règlerons le problème de la délinquance.
Vous comparez par ailleurs ces 12 % d'étrangers condamnés aux 5 % d'étrangers que compte notre pays. Je ne voudrais pas faire l'injure à mon collègue Garraud, qui est un juriste émérite,…
…de lui rappeler que l'on ne doit comparer que ce qui est comparable. Sandrine Mazetier l'a souligné, il est évident que l'on ne peut obtenir les mêmes chiffres selon que l'on compare des populations qui comprennent les femmes et les personnes âgées ou des populations principalement masculines – car, vous le savez, ce sont essentiellement les hommes qui commettent les délits,…
…et même, plus particulièrement, les hommes jeunes et pauvres. Si vous comparez toute une population avec une population qui comprend surtout des hommes jeunes et pauvres, vous n'obtiendrez pas les mêmes chiffres ! Ce sont des choses que l'on apprend en première année de droit et je ne comprends pas que vous en reveniez à des comparaisons globales qui ne veulent rien dire.
Mais si ! Regardez qui est en prison ! Des hommes jeunes et pauvres !
Selon l'Union syndicale des magistrats, le nombre d'étrangers condamnés en France, toutes effractions confondues, n'a pas augmenté entre 2008 et 2010. Au contraire, il aurait même baissé. Or, ces magistrats sont tout de même au courant du problème, puisque ce sont eux qui condamnent ! Et n'allez pas prétendre que ce sont des gauchistes suspects de livrer de faux chiffres. Je ne vous parle pas du Syndicat de la magistrature, mais de l'USM, qui regroupe des magistrats très pondérés. Si eux-mêmes vous disent que vous vous trompez, je ne vois pas pourquoi vous seriez mieux à même de continuer à proclamer que la délinquance augmente ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Vous nous expliquez aujourd'hui que les mesures que vous avez prises pour lutter contre la récidive ont donné de si bons résultats que vous allez appliquer à présent le dispositif des peines plancher aux délinquants réitérants. Je constate cependant qu'à chaque fois que vous nous faites voter une nouvelle loi, vous vous gardez bien de nous dresser le bilan des précédentes. Où sont les évaluations qui nous démontreraient que tout va mieux depuis que les magistrats peuvent condamner à des peines plancher les délinquants récidivistes ? Vous vous gardez bien de nous donner des chiffres ! C'est sans doute pour cette raison, d'ailleurs, que vous avez fait déposer une proposition de loi, car un projet de loi vous aurait imposé de nous fournir une étude d'impact.
Vous nous dites que les simples réitérants, souvent, ne sont pas condamnés ! Il faut vraiment n'avoir jamais fréquenté une audience correctionnelle pour croire qu'un magistrat devant qui se présente un homme déjà condamné à cinq ou six reprises pour des motifs divers, même s'il n'est pas récidiviste au sens légal du terme, ne sera pas plus sévère que s'il avait en face de lui quelqu'un au casier judiciaire vierge. Là encore, vous avez une opinion singulière des magistrats, car chacun sait bien qu'ils tiennent largement compte, pour évaluer une situation, des antécédents et donc des délits antérieurs, même s'il y a simplement réitération.
J'ajouterai, s'agissant des chiffres dont vous faites état sur la délinquance des étrangers, que des enquêtes très sérieuses menées par des organismes internationaux ont révélé que les personnes qui ressemblent à des étrangers sont beaucoup plus contrôlées que les autres. Or, c'est en multipliant les contrôles que vous augmentez vos chances de constater des délits.
Il y a vingt ans – c'est vous dire si le débat dure depuis des années –, un commissaire, M. Poirson, avait mené une étude sur la délinquance à Oyonnax. Il s'étonnait déjà que les personnes arrêtées pour ébriété sur la voie publique dans cette ville soient essentiellement des étrangers alors que les étrangers, ajoutait-il, étaient loin d'être les seuls à fréquenter les bars ! Il y a parfois des résultats qui ne sont pas explicables par la seule sur-délinquance des étrangers.
Votre projet brasse de grands principes mais en vérité, vous voulez cibler ce que vous ne parvenez pas à régler, à savoir le problème de la délinquance des populations originaires d'Europe de l'Est, en particulier de Roumanie. Pour vivre dans des quartiers populaires, nous connaissons bien cette population, misérable parmi les misérables, qui fouille dans nos poubelles, mendie devant les boulangeries et commet de petits larcins. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Les mesures que vous proposez ne règleront pas les problèmes si facilement.
N'aurait-il pas fallu, au moment où nous avons élargi l'Europe, s'interroger sur les conséquences de l'application du principe de la libre circulation des personnes à des populations dont le niveau de vie était tellement inférieur au nôtre qu'arrivant chez nous, elles ne pouvaient se croire qu'au pays de Cocagne.
N'aurait-il pas fallu prendre et mettre en oeuvre des mesures d'accompagnement beaucoup plus efficaces que celles qui ont été prises ? Qu'en est-il, justement, de celles décidées par l'Europe pour favoriser l'insertion des populations de Roumanie et de l'ex-Yougoslavie ? Où en est l'application des dispositions et des crédits votés par l'Europe pour l'insertion de ces populations ?
Aujourd'hui, si nous avions réfléchi à de telles dispositions, si même, dans notre pays, nous appliquions les recommandations européennes, peut-être la situation des populations de l'ex-Yougoslavie et de la Roumanie ne serait pas ce qu'elle est et ne poserait pas autant de problèmes aux habitants de nos quartiers populaires qui, eux, doivent en supporter la misère et les inconvénients.
Là encore, nous avons bien la preuve que la droite nous propose tout et son contraire. Pendant des années, vous avez prétendu avoir mis un terme à la double peine et aujourd'hui vous faites le contraire. Vous ne cessez de manipuler les chiffres de la délinquance sans chercher à en régler le problème.
Je n'envisageais pas d'intervenir dans la discussion générale, jusqu'à ce que notre collègue Ciotti déclare que ceux qui s'opposent à ce texte, ou du moins à une partie de ce texte, sont des irresponsables.
J'en déduis que je suis, avec ceux qui ont cosigné l'amendement de suppression de l'article 1er, considéré à ses yeux comme un irresponsable.
Non, monsieur Ciotti, lorsqu'en 2003, à l'unanimité, nous avons voté la réforme de la double peine, nous n'étions pas des irresponsables.
Si !
Non, monsieur Ciotti, le ministre de l'époque, M. Nicolas Sarkozy, n'était pas un irresponsable quand, après réflexion et un long dialogue avec tous ceux qui étaient concernés par les conséquences de la double peine, appuyé par un certain nombre de nos collègues et d'associations, il avait finalement soutenu ladite réforme.
D'une durée minimale d'un an, mais qui peut être définitive, l'interdiction du territoire français est une mesure judiciaire existante. C'est une sanction pénale prise par le juge. Parce qu'elle existe déjà, il n'y a pas lieu d'en modifier l'application.
Les personnes étrangères condamnées à une peine de prison peuvent déjà, aujourd'hui, se voir infliger une seconde peine par le juge. En 2004, 5 000 mesures d'interdiction du territoire français avaient déjà été prononcées, la moitié d'entre elles ont alors été exécutées. En 2010, 1 693 mesures d'interdictions du territoire français ont été prononcées, 1 201 ont été exécutées. La mesure d'interdiction du territoire français existe et est déjà prise par les magistrats.
La réforme de 2003 a également introduit une disposition importante sur les catégories d'étrangers protégés. À cet égard, l'article 1er qui nous est présenté aujourd'hui pose un problème. Un étranger peut certes se trouver en situation irrégulière mais vivre en France depuis longtemps, avoir fondé une famille avec des enfants. Il peut par ailleurs avoir déposé un dossier en vue d'obtenir un titre de séjour. Quant aux étrangers en situation régulière depuis moins de trois ans, eux aussi peuvent avoir vécu longtemps en France avant que leur soit délivré leur premier titre de séjour. Par ailleurs, les étrangers ne sont pas souvent en mesure de faire valoir les mesures de protection. C'est notamment le cas de ceux qui sont jugés en comparution immédiate et qui n'ont pas toujours le temps de rassembler les preuves nécessaires.
N'oublions jamais, comme l'a rappelé M. Gosnat tout à l'heure, que derrière chaque acte de délinquance se trouve un homme, que derrière chaque homme se trouve une famille qu'il s'agit de ne pas séparer en éloignant du territoire français l'un des siens quand bien même il aurait été condamné. Tel était l'esprit de la loi de 2003.
C'est pour cette raison que je tenais à intervenir dans la discussion générale de façon à ce que l'on ne se méprenne pas sur tous ceux qui n'ont pas cosigné cette proposition de loi mais qui n'en pensent pas moins. J'y reviendrai tout à l'heure lorsque je défendrai l'amendement sur la suppression de l'article 1er avec des arguments juridiques supplémentaires.
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
Je salue cette proposition de loi de bon sens, qui réhabilite la peine complémentaire pour des délinquants étrangers présents sur le territoire français depuis moins de trois ans et qui encourent une peine de trois ans d'emprisonnement.
Cette proposition a une double utilité.
Tout d'abord, il est tout à fait logique, cohérent et responsable de demander à des délinquants étrangers qui commettent un certain nombre de délits de quitter notre territoire. C'est conforme au droit international général, c'est conforme à la pratique de tous les États, et je ne vois pas pourquoi ce serait frappé d'indignité en France.
Au-delà de sa réalité pour ainsi dire technique, que vient de rappeler, fort bien, le rapporteur Jean-Paul Garraud, je suis convaincu que cette proposition de loi est un outil de paix civile. Ne pas expulser les délinquants étrangers, c'est faire monter la colère de nos compatriotes, qui ne supportent plus, j'y insiste, que des délinquants étrangers puissent rester quasiment ad vitam æternam sur notre sol, alors qu'ils sont soit récidivistes soit réitérants d'un certain nombre de délits.
En votant cette proposition de loi, nous votons avec raison contre la xénophobie et la montée de l'extrémisme. Celles et ceux qui prétendent le contraire, celles et ceux qui brocardent à l'envi cette droite populaire que nous représentons avec force, car nous sommes des gens responsables, devraient y regarder à deux fois car ils font le lit de l'extrémisme et de la xénophobie.
C'est sans doute ce qui les arrange, c'est sans doute leur fond de commerce,…
…qui leur permet de prospérer et de livrer les autres à la vindicte pour cacher leurs propres turpitudes et leur irresponsabilité.
Il est donc clair que nous devons voter cette proposition de loi.
Je reviens, pour terminer, sur un point qui a été évoqué par notre collègue socialiste en des termes presque illogiques. Pourquoi ? Il reste Schengen. Il reste un traité qui, pour 90 %, était bon, et qui, pour 10 %, est totalement romantique et illusoire. Je suis intimement convaincu qu'il va falloir reprendre ce traité et que notre responsabilité est de le demander rapidement au niveau bruxellois. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Le mécanisme prévu à l'article 1er est, en lui-même, un mécanisme pervers. L'idée que l'interdiction de séjour sur le territoire français soit acquise à moins d'une décision contraire spécialement motivée contrevient totalement à notre tradition selon laquelle c'est la mesure coercitive qui doit être motivée, tandis que l'indulgence n'a pas à l'être.
En outre, compte tenu des cadences et de la charge de travail des tribunaux, les jugements sont aujourd'hui motivés de manière extrêmement succincte, voire, parfois, pas motivés du tout. Ce n'est pas normal, mais telle est la pratique. L'obligation de motiver va donc en réalité à l'encontre de l'efficacité de la justice.
Je crois qu'il y a, dans ce mécanisme, quelque chose de tout à fait pervers, indépendamment même de la discussion de fond que l'on peut avoir sur l'interdiction de séjour sur le territoire français.
Selon l'article 1er du texte de la commission, la peine d'interdiction du territoire français est obligatoirement prononcée par le juge pour un certain quantum de peine. C'est le principe retenu. Or, cela a été rappelé, il ne peut y avoir d'automaticité des peines.
Toutefois, l'article 1er dispose que le juge a la possibilité d'écarter l'interdiction du territoire français par une décision motivée. On pourrait croire, naïvement, à la lumière de l'expérience qui est la nôtre, que le principe d'individualisation des peines est préservé. Las, il n'en est rien.
Il est effectivement à craindre que les juges, dont la charge de travail, cela vient d'être rappelé et nous en sommes tous conscients, est très lourde, ne pourront rendre ces décisions motivées en vue d'écarter le prononcé de peines d'interdiction du territoire français. Cela vaut particulièrement dans le cas de comparutions immédiates.
Par ailleurs, l'article 1er écarte de son champ d'application les étrangers qui justifient d'un séjour régulier en France depuis au moins trois ans. D'où vient donc, je me le demande, ce délai de trois ans ? Une durée réduite de présence en France ne préjuge nullement, en effet, de l'intensité des liens. Ainsi, la durée de séjour d'une personne arrivée récemment par le biais du regroupement familial est, de fait, courte, alors que ses attaches familiales peuvent être fortes.
Enfin, je le dis et le redis, il n'est pas acceptable de revenir sur une réforme adoptée à l'unanimité en 2003 et soutenue par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur. Celui-ci avait même précisé que le texte adopté était un texte équilibré et qu'il ne fallait pas y toucher.
Avec la proposition de loi que nous examinons, vous contrevenez aux souhaits du ministre de l'intérieur de l'époque, devenu depuis lors Président de la République. C'est pourquoi je ne puis accepter cet article 1er, même si je suis d'accord avec les articles suivants.
Ces amendements tendent à supprimer l'article 1er. On renoncerait donc, en les adoptant, à accroître l'efficacité et l'effectivité de la peine complémentaire d'interdiction du territoire français.
Je reviens simplement sur quelques points, de façon à la fois générale et détaillée.
Finalement, la loi qui aura considérablement étendu l'effectivité de cette peine complémentaire d'interdiction du territoire français, c'est la loi du 31 décembre 1991 relative à la lutte contre le travail clandestin et contre l'organisation de l'entrée et du séjour irréguliers d'étrangers en France, loi adoptée sous une autre majorité.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, un certain nombre députés de l'époque, qui sont toujours députés, d'ailleurs, s'étaient exprimés, comme Alain Vidalies et Jérôme Lambert, rapporteurs, de même que le ministre délégué à la justice de l'époque, Michel Sapin. Citons M. Sapin : « Depuis cinq ans, le nombre de mesures de reconduite à la frontière a considérablement augmenté. Force est de constater que le rapport entre les mesures prononcées et les mesures exécutées a diminué sensiblement. » Il explique ensuite les raisons de cette évolution : « Trop souvent, en effet, ces étrangers font délibérément obstacle à la mise en oeuvre des mesures de reconduite, en déclarant ne pas avoir de papiers ou en refusant de décliner une quelconque identité. C'est pour pallier cet inconvénient que le Gouvernement propose, etc. » M. Sapin s'exprimait donc très clairement.
Il continue : « Chacun doit prendre conscience qu'il est nécessaire, pour faire face à des attitudes nouvelles dont le nombre ne cesse de croître, de disposer de mécanismes juridiques très dissuasifs afin qu'ils soient portés à la connaissance des étrangers et ramènent chacun à davantage de raison. » C'est un ministre socialiste qui s'exprimait ainsi et qui a donc étendu le champ d'application de l'interdiction du territoire français.
Je rappelle également que, à cette époque-là, on ne parlait pas de double peine. Ce n'est pas une double peine, parce qu'effectivement c'est une mesure judiciaire, parce qu'effectivement le juge peut y déroger, parce qu'effectivement il est du devoir du juge – c'est d'ailleurs son travail – d'identifier précisément chaque cas. C'est une étude au cas par cas. Cette peine complémentaire ne présente donc aucun caractère d'automaticité, aucun caractère systématique.
Ensuite, comme j'ai entendu beaucoup de choses, je veux vous donner, à titre d'information, quelques éléments de droit comparé. Après tout, pourquoi ne pas regarder ce qui se passe à l'étranger, dans des pays proches, en matière de peines complémentaires d'interdiction du territoire ? Ce qui se passe dans des pays comme le Danemark, la Belgique, la Grande-Bretagne ou la Suisse, des pays qui – nous en conviendrons tous – ne sont pas des dictatures, m'a beaucoup intéressé.
Au Danemark, pays nordique, pays progressiste, le parlement a adopté à une écrasante majorité, le 24 juin 2011 – je dis bien : 2011 –, une loi disposant que tout étranger condamné à une peine d'emprisonnement sera désormais expulsé à sa sortie de prison, point final. Le parlement danois ne fait pas dans le détail comme nous.
Je pourrais également vous citer les exemples de la Belgique et de la Suisse, mais je ne veux pas être trop long.
Je dirai juste un mot de la Grande-Bretagne, pays de l'habeas corpus, dont nous savons évidemment tous les mérites. Quel dommage que Mme Mazetier ne soit plus parmi nous !
J'aurais aimé lui rappeler quelques faits. Le gouvernement travailliste de M. Gordon Brown, du même parti, donc, que l'actuel chef de l'opposition de Sa Majesté, que M. François Hollande a salué voici peu et avec qui il aurait pu avoir cette discussion, a institué un dispositif automatique de deportation – c'est le terme anglais, qui ne se traduit pas par « déportation », mais par « expulsion ». Pour tout étranger ayant commis un délit et condamné à ce titre à une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure ou égale à un an, le prononcé de l'expulsion est obligatoire,…
…sous réserve de quelques exceptions, comme la loi française de 2003 en prévoit, pour des étrangers protégés. Je répète d'ailleurs que ces étrangers ne sont pas visés, bien au contraire, par la présente proposition de loi.
Ces éléments de droit comparé, pris, vous en conviendrez, dans des pays qui ne sont guère des dictatures, me paraissent de nature à montrer qu'il est nécessaire de voter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Le Gouvernement est défavorable à ces amendements.
Je ne reviens pas sur les énormités proférées par certains au cours de la discussion générale. Je suis toujours très surpris d'entendre de tels dénis de réalité, de telles manipulations de chiffres. Quand l'INSEE donne des chiffres, quand le ministère de la justice donne des chiffres, je ne vois pas pourquoi on leur fait dire le contraire de ce qu'ils disent.
Je m'attacherai davantage à répondre aux arguments avancés par M. Étienne Pinte. Il a eu raison de rappeler le beau débat qui s'est tenu dans cet hémicycle, en 2003, sur une initiative du ministre de l'intérieur de l'époque, à propos de la double peine. Le gouvernement actuel est fier du texte qui a été adopté alors, et il y est resté fidèle.
Je veux simplement appeler son attention, comme je l'ai déjà fait dans mon propos introductif, sur ce point : aucune des dispositions qui tendaient à supprimer la double peine ne se trouve modifiée. Il y a des dispositions précises qui tiennent en particulier à la situation familiale, à la durée du séjour, à la combinaison des deux, et rien de tout cela, absolument rien, n'est modifié.
J'appelle également son attention sur le fait que le dispositif proposé ne s'applique qu'à des personnes qui séjournent dans notre pays depuis moins de trois ans. En outre, dans tous les cas, le juge peut tenir compte de situations familiales qui appellent une protection particulière.
Le Gouvernement est donc défavorable à ces amendements.
Je ferai trois très brèves observations.
Premièrement, la citation de M. Sapin démontre que nous ne sommes pas des irresponsables.
Deuxièmement, la discussion porte non pas sur le principe de l'interdiction du territoire, mais sur son caractère quasi automatique. Je dis « quasi automatique » pour ne pas froisser le rapporteur ; en fait, c'est automatique, sauf motivation contraire.
Troisièmement, dès lors que l'interdiction présente un caractère quasi automatique, nous revenons quand même sur les dispositions qui avaient eu pour objet de supprimer la double peine.
La parole est à M. le rapporteur pour soutenir l'amendement n° 13 rectifié .
L'amendement a pour objet d'étendre le champ d'application de la peine d'interdiction du territoire à tout crime ou délit intentionnel puni d'une peine d'une durée égale ou supérieure à cinq ans.
En fait, nous avons constaté, au cours des travaux en commission, qu'une formulation plus générale était nécessaire ; c'est ce que je propose par cet amendement. Un certain nombre de problèmes risquaient effectivement de se poser pour des faits assez graves ; par exemple, le dispositif n'eût pas été applicable aux auteurs de cambriolages ou de vols correctionnels punis de cinq ou sept ans d'emprisonnement.
(L'amendement n° 13 rectifié , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
Défavorable.
La parole est à M. Dominique Raimbourg pour soutenir l'amendement n° 4 tendant à supprimer l'article 2.
Il est défendu.
(L'amendement n° 4 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Il semble opportun de ramener de cinq à trois ans le délai séparant la première condamnation de la commission d'une nouvelle infraction en réitération.
Seront ainsi concernés ceux qui se livrent avec une fréquence soutenue, et dans un laps de temps plus restreint, à la violation de la loi pénale caractérisant ainsi une délinquance d'habitude qui se manifeste dans des délais brefs.
(L'amendement n° 17 , accepté par la commission, est adopté.)
(L'article 2, amendé, est adopté.)
La parole est à M. Dominique Raimbourg pour soutenir l'amendement n° 5 tendant à la suppression de l'article 5.
Il est défendu.
(L'amendement n° 5 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Mes arguments sont les mêmes que ceux que je viens d'exposer en défense du précédent.
(L'amendement n° 16 , accepté par la commission, est adopté.)
Même avis.
La parole est à M. Dominique Raimbourg pour soutenir l'amendement n° 6 visant à supprimer l'article 4.
Il est défendu.
(L'amendement n° 6 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Il s'agit d'un amendement de coordination.
(L'amendement n° 18 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
(L'article 4, amendé, est adopté.)
La parole est à M. Dominique Raimbourg pour soutenir l'amendement n° 7 tendant à supprimer l'article 5.
Il est défendu.
(L'amendement n° 7 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
(L'article 5 est adopté.)
Nous avons achevé l'examen des articles.
Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble de la proposition de loi, auront lieu le mardi 6 mars, après les questions au Gouvernement.
Pour ma part, j'occupe ce fauteuil pour la dernière fois d'une législature durant laquelle j'aurai siégé 791 heures au « perchoir ». (Applaudissements.)
Prochaine séance, lundi 5 mars à vingt et une heures trente :
Commission mixte paritaire ou nouvelle lecture du projet de loi relatif à la majoration des droits à construire.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Nicolas Véron