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Intervention de Claude Guéant

Réunion du 1er mars 2012 à 15h00
Renforcement de la peine d'interdiction du territoire et répression des délinquants réitérants — Discussion d'une proposition de loi

Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration :

Parce que les faits nous donnent aujourd'hui toutes les raisons d'agir – et je pense que c'est le raisonnement que vous avez suivi, monsieur le rapporteur.

Ces faits sont ceux observés par le ministère de l'intérieur et l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales. Selon l'étude récemment rendue par l'ONDRP, la part des personnes de nationalité étrangère mises en cause pour des atteintes aux biens est passée de 12,8 % à 17,3 % entre 2006 et 2011. Certes, comme cela a été rappelé en commission, ces chiffres ne concernent que les personnes mises en cause et non les personnes finalement condamnées mais l'analyse détaillée confirme une tendance particulièrement marquée en certains domaines.

Ainsi, le nombre de personnes de nationalité étrangère mises en cause dans des cambriolages a augmenté entre 2008 et 2011 de 73,9 % alors que, pour les vols, cette augmentation s'établit à 105,5 %.

Cette surreprésentation des étrangers dans la population pénale a été corroborée par les chiffres du ministère de la justice et des libertés dans le rapport qu'il a rendu en 2011 sur les condamnations prononcées en 2010 par les juridictions pénales françaises : 76 742 personnes majeures de nationalité étrangère ont été condamnées, soit 13,3 % de l'ensemble des personnes condamnées. Pour mémoire, la population étrangère représente, elle, 5,8 % de la population totale. On constate donc une surreprésentation des délinquants de nationalité étrangère.

La nécessité d'agir établie, que propose le texte que nous examinons aujourd'hui ?

Il vise à interdire automatiquement le territoire français à tout étranger présent sur notre territoire depuis moins de trois ans et condamné pour un crime ou un délit puni de cinq ans d'emprisonnement, sauf décision expressément motivée du juge.

L'automaticité du dispositif et l'élargissement de son champ d'application devraient permettre de reconduire hors du territoire national ceux qui se livrent au cambriolage, au vol en réunion ou au vol dans les transports en commun. Ceux qui sont reconnus coupables d'escroquerie, de violences volontaires avec usage d'une arme ou au préjudice de personnes âgées seront également concernés par ce dispositif.

En outre, je veux souligner que la proposition que nous examinons aujourd'hui respecte les principes dégagés par la jurisprudence constitutionnelle, comme l'a montré le rapporteur.

En premier lieu, il n'y a pas de remise en cause de la suppression de la double peine, introduite en 2003, puisque sont intégralement maintenues les dispositions des articles 131-30-1 et 131-30-2 du code pénal, qui tiennent compte de la situation personnelle et familiale de la personne condamnée afin d'empêcher que soit prononcée une peine d'interdiction du territoire français. En confirmant ces dispositions, la proposition de loi qui nous est soumise s'inscrit dans le strict respect des principes dégagés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

De la même façon, je rejoins la volonté du rapporteur d'exclure de l'automaticité de la peine ceux qui résident régulièrement depuis plus de trois ans sur le sol français. Pour eux, nous pouvons présumer une volonté de s'intégrer de manière conforme aux lois de la République.

Le dispositif proposé répond donc à l'exigence de respecter l'équilibre entre protection de l'ordre public et respect de la vie privée et familiale. Il s'inscrit également dans la droite ligne des principes posés par le Conseil constitutionnel dans ses décisions de 2007 et de 2011 qui validaient le mécanisme des peines planchers.

La proposition consacre en effet une juste proportion entre l'infraction et la peine encourue. Seules les infractions objectivement les plus graves, à savoir les crimes et les délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement, sont visées par l'automaticité de l'interdiction du territoire français. En outre, les seuils d'interdiction du territoire tiennent compte de la gravité de l'infraction commise et sont d'autant plus élevés que l'infraction visée est grave. Le principe de nécessité de la peine est donc lui aussi respecté.

Le texte respecte le principe d'individualisation des peines en permettant à la juridiction de jugement de déroger au dispositif, soit en diminuant la durée de l'interdiction du territoire, soit en l'excluant purement et simplement par motivation expresse.

Je me réjouis que vous ayez relevé avec succès le défi de proposer un texte équilibré respectant à la fois la nécessité d'ordre public et les principes posés tant par la Cour européenne des droits de l'homme que par le juge constitutionnel français.

Une deuxième partie de la proposition de loi pose la question de la réitération.

Le schéma proposé par le député Jean-Paul Garraud et soutenu par le Gouvernement est, une fois encore, courageux. La volonté qui le sous-tend d'aligner le régime de la réitération sur celui de la récidive s'inscrit dans un souci de cohérence.

Cohérence, d'abord, des sanctions prononcées puisqu'il est logique de sanctionner plus durement les délinquants d'habitude que ceux qui basculent pour la première fois dans la délinquance.

Cohérence, ensuite, avec la politique que nous menons depuis 2007, puisque cette proposition de loi s'inscrit dans la droite ligne de la logique des peines planchers pour les récidivistes.

Par la loi du 10 août 2007, le législateur a voté le dispositif des peines plancher : il entendait ainsi envoyer un signal à tous ceux qui comparaissent devant les formations pénales en situation de récidive légale. Grâce à la loi du 14 mars 2011 relative à la sécurité intérieure, les peines plancher sont aujourd'hui applicables aux auteurs, même primo-délinquants, de certains délits de violences volontaires aggravées, par exemple ceux qui ont entraîné une infirmité ou une mutilation permanente.

Toutefois, devant l'augmentation du nombre des délinquants qui multiplient les condamnations sans pour autant être récidivistes au sens de la loi, nous avons aujourd'hui la conviction qu'une étape supplémentaire doit être franchie : ils réitèrent mais ne récidivent pas. Leur casier judiciaire révèle leur appétence à s'attaquer aux biens, aux personnes, à la société en général et à ses représentants en particulier, à des personnes chargée d'une mission de service public ; et pourtant ces condamnés à répétition n'encourent pas de peines plancher, précisément parce que leur activité délictuelle est diverse et multiforme.

Il faut donc étendre le mécanisme des peines plancher aux réitérants.

Personne ne comprend plus aujourd'hui pourquoi l'auteur d'un vol encourt un emprisonnement automatique après avoir été condamné pour un autre vol dans les cinq années qui précèdent, alors que ce même individu échappe à cette peine plancher s'il a décidé de changer de registre en se livrant par exemple à l'agression gratuite d'une personne âgée ou au trafic de stupéfiants.

Ce débat n'est pas neutre, puisqu'il résulte de chiffres donnés par le ministère de la justice et des libertés qu'en 2009, 28,4 % des condamnés étaient en situation de réitération et donc exclus des peines plancher.

Là encore, nous devons procéder à ces ajustements dans le respect de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, en validant les lois précitées de 2007 et 2011, a précisé les garanties de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation de la peine devant entourer les peines plancher.

Le texte issu des travaux de la commission consacre là encore le respect de plusieurs grands principes.

Les articles 2 et 3 consacrent une juste proportion entre l'infraction commise et la peine d'emprisonnement automatique encourue. D'abord, cette réforme ne concernera que les délits punis d'une peine supérieure à cinq ans d'emprisonnement ; en fixant ce quantum à cinq ans, vous avez souhaité sanctionner les infractions les plus graves. Le Gouvernement s'associe à cette volonté de rendre le texte juridiquement plus solide. Ensuite, seuls les délits intentionnels, à savoir ceux par lesquels se manifeste un élément moral démontrant la volonté criminelle, la volonté de violer la loi pénale, seront concernés. Là encore, je m'associe à cette limitation : j'estime légitime que l'auteur de blessures involontaires, par exemple, puisse échapper à l'automaticité de la peine d'emprisonnement alors même qu'il serait en situation de réitération.

Seules les infractions objectivement les plus graves entreront donc dans le champ de la réforme. Par ailleurs, les seuils d'emprisonnement proposés tiennent compte de la gravité de l'infraction commise et sont d'autant plus élevés que l'infraction visée est grave. Le principe de nécessité de la peine est donc pleinement respecté.

Le texte est enfin conforme au principe d'individualisation des peines, car il permet à la juridiction de jugement de déroger au dispositif soit en diminuant la durée de la peine d'emprisonnement prononcée, soit en l'excluant, en motivant spécialement la décision.

Il apparaît cependant opportun de ramener de cinq à trois ans le délai séparant la première condamnation de la commission d'une nouvelle infraction en réitération donnant lieu à l'application des peines plancher.

Nous frapperons ainsi ceux qui se livrent avec une fréquence soutenue, et dans un laps de temps plus restreint, à la violation de la loi pénale : nous définissons ainsi une délinquance d'habitude, à laquelle nous entendons apporter une réponse déterminée.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, une nouvelle fois, je veux saluer l'initiative prise par les 138 signataires de cette proposition de loi. Le gouvernement la soutient totalement car elle va clairement dans le sens de l'intérêt de la sécurité des Français.

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