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Intervention de Sylvia Pinel

Réunion du 1er mars 2012 à 15h00
Enfance délaissée et adoption — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSylvia Pinel :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission spéciale, mes chers collègues, il y a six ans, le vote de la loi réformant l'adoption a marqué une étape importante. Cette loi a facilité la procédure d'agrément et a créé l'Agence française de l'adoption. Depuis, de nombreux rapports aidant, il est apparu nécessaire de faire des progrès supplémentaires pour faciliter l'adoption et lutter contre l'enfance délaissée dans notre pays.

Ainsi cette proposition de loi a vu le jour, issue des nombreuses auditions et des travaux de grande qualité menés par la commission spéciale. Elle a pour mérite principal de placer l'intérêt de l'enfant au coeur du dispositif. En effet, nombreux sont encore les enfants qui demeurent en danger dans notre pays, et ce alors que le nombre de déclarations judiciaires d'abandon reste très faible – seulement 250 en 2011.

La raison vient du fait que la déclaration judiciaire d'abandon intervient trop rarement ou trop tardivement. Il faut donc assouplir les conditions permettant de caractériser « le désintérêt manifeste », notion plus large que celle de « délaissement parental », afin de rendre plus rapide et plus souple, au cas par cas, la décision judiciaire d'abandon, en prenant mieux en compte les critères de relations de l'enfant avec ses parents et en donnant notamment la possibilité au ministère public de saisir d'office le juge, pour en faire la demande. Ceci ira dans l'intérêt de l'enfant, qui deviendra pupille de l'État.

Quant à l'irrévocabilité de l'adoption simple, j'ai sur ce sujet une réserve, même si je peux parfaitement comprendre qu'il s'agisse de préserver la stabilité de l'enfant. En effet, on peut craindre que, dans les faits, l'application de cette disposition pose certaines difficultés. Qu'adviendra-t-il si l'adoption se passe mal, sans pour autant que l'enfant courre un danger physique ? Comment pourra-t-on alors justifier l'irrévocabilité ?

Concernant le suivi des placements, il est prévu qu'un rapport soit élaboré au terme des six premiers mois, pour l'enfant de moins de deux ans, permettant ainsi un suivi plus régulier.

Cette proposition de loi offre, par ailleurs, plus de facilités aux adoptants. En effet, ces derniers ne sont pas toujours suffisamment informés en amont sur les réalités de l'adoption et sur la spécificité de la parentalité adoptive. Ce texte leur permettra de suivre, avant la délivrance de l'agrément, une formation que les conseils généraux mettront en place, formation qui ne devrait pas être mise en oeuvre, comme le préconise ce texte, à titre expérimental dans quelques départements volontaires mais sur l'ensemble du territoire – à la condition que l'on donne les moyens de cette mission aux conseil généraux.

Par ailleurs, si les adoptions nationales sont faibles, ce n'est pas parce que le nombre de familles candidates à l'adoption diminue mais parce que les procédures sont souvent lourdes et lentes. Elles rendent difficile l'adoption à cause de l'intervention d'un grand nombre d'acteurs, administratifs et judiciaires, et de la complexité des circuits de décision. Ainsi l'attente moyenne est-elle de quatre ans !

Cette proposition de loi aidera les adoptants, en réduisant le délai de délivrance de l'agrément à neuf mois, à compter de la demande faite au président du conseil général et non plus à compter de la confirmation de cette demande. Elle leur permettra aussi de proroger d'une année l'agrément pour les procédures les plus avancées. En effet, lorsqu'une proposition d'enfant existe alors que la validité de l'agrément est près d'expirer, l'adoption doit pouvoir être menée à son terme.

De même, ce texte de loi clarifiera les conditions de caducité et de retrait de l'agrément. En effet, le retrait est parfois sévère, puisqu'il interdit de déposer une nouvelle demande pendant trente mois, alors que la caducité apparaît plus juste, permettant de refaire une demande immédiatement, par exemple en cas de divorce.

Enfin, cette proposition de loi développera l'implantation de l'Agence française de l'adoption dans les pays d'origine, notamment en renforçant le contrôle des conditions d'adoption et en lui permettant de mener des actions de coopération humanitaire au profit d'institutions accueillant des enfants. Mais c'est peut-être vers la création d'un espace européen de l'adoption internationale que nous devons aussi nous tourner, comme le préconisait le rapport Colombani sur l'adoption, en 2008.

Si cette proposition de loi permet quelques avancées, elle s'annonce malheureusement bien insuffisante face aux discriminations empêchant l'adoption. Ainsi, selon notre code civil, l'adoption d'un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle interdit cette institution. Par conséquent, les enfants recueillis en France, par exemple par kafala, connaissent un statut juridique précaire, à la différence des autres enfants potentiellement adoptables. C'est absolument discriminant tant à leur égard qu'à celui de leur famille adoptive. Il est donc nécessaire de supprimer la condition de résidence de cinq ans pour ces enfants qui souhaitent devenir français. Il est surtout nécessaire de leur permettre de bénéficier d'une adoption simple ou plénière.

Enfin, cette proposition de loi ne résout pas le problème de l'interdiction d'adopter pour un couple homosexuel, pacsé, concubin ou vivant en union libre, pas plus qu'elle ne résout le problème de l'adoption par une personne homosexuelle, et ce alors qu'une décision de la Cour européenne des droits de l'homme de 2008 autorise l'adoption d'un enfant par un célibataire, en interdisant que l'orientation sexuelle de l'adoptant puisse rentrer en compte dans les critères d'attribution d'un agrément d'adoption. Notre société a évolué, et le droit doit l'accompagner. Il faut donc accorder le droit d'adopter aux personnes de même sexe, célibataires, en couple, pacsés ou concubins.

En conclusion, le vote des députés radicaux de gauche dépendra du sort réservé aux amendements déposés par notre groupe. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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