La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à la garde à vue (nos 2855, 3040).
Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de six heures et vingt-trois minutes pour le groupe UMP, dont 77 amendements restent en discussion ; huit heures et dix-neuf minutes pour le groupe SRC, dont 48 amendements restent en discussion ; quatre heures et douze minutes pour le groupe GDR, dont 53 amendements restent en discussion ; trois heures et trente-neuf minutes pour le groupe Nouveau Centre, dont 4 amendements restent en discussion, et trente-quatre minutes pour les non-inscrits.
Cet après-midi, l'Assemblée a commencé l'examen des articles, s'arrêtant aux amendements en discussion commune nos 121, 198, 83 et 21 à l'article 1er.
Cet amendement vise à préciser la fin de l'alinéa 11.
La garde à vue est, depuis 1993, placée sous l'autorité du procureur de la République. Ce contrôle reconnu par le Conseil constitutionnel n'est pas critiqué par le droit conventionnel, qui admet que l'intervention du juge puisse être retardée pour un délai raisonnable.
De même, par une décision du 15 décembre dernier, la Cour de cassation, revenant sur le statut du procureur de la République, confirme la jurisprudence européenne et plus particulièrement l'arrêt Moulin du 23 novembre 2010.
Néanmoins, en raison de la brièveté de la mesure, le contrôle peut tout à fait être exercé par le procureur de la République, ce qui a notamment été rappelé par la Cour de cassation.
Par conséquent, cet amendement vise à rétablir le contrôle de la garde à vue par le procureur de la République.
La parole est à M. Philippe Gosselin, rapporteur, pour donner l'avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
La commission est favorable à l'amendement n° 21 du Gouvernement, et, donc, défavorable aux autres amendements en discussion commune.
La parole est à M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Le Gouvernement propose l'amendement n° 21 et émet un avis défavorable aux trois autres amendements.
La question est envisagée ici de façon assez théorique. Nous avons affirmé le pouvoir de contrôle du juge des libertés et de la détention sans pour autant lui en attribuer les moyens. Le principe est posé, mais il ne trouve pas de traduction pratique.
Nous nous situons ici au coeur des difficultés que présente le texte. Synthétiquement, il serait souhaitable d'adopter la position suivante : le procureur doit être à même d'exercer la direction de la garde à vue et donc d'être à même, au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, de se prononcer sur la prolongation de ladite garde à vue.
J'ai déposé plusieurs amendements visant à faire de cette prolongation la prérogative du juge des libertés et de la détention, cela par précaution, dans l'éventualité d'une évolution de la jurisprudence de la CEDH. Je sais qu'il est en pratique plus facile d'organiser une prolongation via le procureur que par le biais du juge des libertés et de la détention. Les procureurs et les parquets ont su mettre en place une permanence pénale au prix d'efforts très importants. Cette permanence ne parvient pas à assurer un service vingt-quatre heures sur vingt-quatre, mais quinze, voire dix-sept heures par jour, et elle se révèle relativement efficace. Il conviendrait néanmoins de se prémunir de toute difficulté à venir et de confier la prolongation de la garde à vue au juge des libertés et de la détention.
Par ailleurs, il serait raisonnable de donner la possibilité d'écarter la présence de l'avocat pendant douze heures non au procureur – comme le prévoient d'autres dispositions du texte – mais au juge des libertés et de la détention. Indépendamment du statut du procureur, de la question de savoir s'il est ou non une autorité judiciaire, des modalités de sa nomination – je vous fais grâce de l'argumentation que nous avons déjà présentée, et je n'insisterai pas sur la nécessaire évaluation du procureur –, il est une autorité poursuivante. J'ai bien entendu les explications de M. Garraud et bien compris que le procureur est une autorité poursuivante d'un genre un peu particulier. Néanmoins, au regard de sa jurisprudence, cette particularité ne sautera pas aux yeux de la CEDH, si je puis m'exprimer de la sorte.
Par conséquent, si je comprends qu'on veuille conserver cette spécificité de la procédure française, il n'en convient pas moins de se conformer à la décision de la CEDH selon laquelle seul le juge des libertés et de la détention peut porter atteinte aux droits de l'autre partie.
Formulée ainsi, cette idée est certes de nature à blesser la sensibilité des parquetiers, qui s'estiment d'un genre différent des autres parties. Je ne vise pas particulièrement à blesser la sensibilité des parquetiers, mais il faut prendre en compte la difficulté selon laquelle il n'est pas possible d'admettre que l'atteinte portée aux droits de la partie poursuivie peut être le fait de la partie poursuivante. Nous ne pouvons pas envisager les choses d'une autre manière.
Quand bien même il serait possible de prévoir un moratoire et d'envoyer un signe à l'adresse de la CEDH, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation en faisant valoir que nous avons besoin d'un délai pour mettre ce dispositif en place, le juge des libertés et de la détention ne pouvant être opératoire avant trois ou cinq ans, le temps de réunir les fonds nécessaires, il serait opportun de prévoir une saisine spontanée du Conseil constitutionnel de façon à valider le texte. Il est en effet insupportable pour les policiers et pour les procureurs de se demander si la procédure telle qu'ils l'appliquent peut être tout à coup annulée, avec toutes les conséquences qu'une telle annulation aurait sur les procédures en cours, par une décision de la CEDH qui considérerait que, malgré nos efforts, le texte ne serait pas conforme à la Constitution ou à la Convention européenne des droits de l'homme.
Le Gouvernement souhaite rétablir les attributions du procureur de la République dans la direction et la première prolongation de la garde à vue dans les quarante-huit premières heures. Il est bien évident qu'au-delà de ce délai, c'est le juge du siège, le juge des libertés et de la détention, qui devient compétent.
Nous ne contestons pas, monsieur Raimbourg, le fait que, pour la Cour de Strasbourg, le procureur n'est pas, au sens de l'article 5, paragraphe 3, de la Convention, une autorité judiciaire pouvant organiser le contrôle de la mesure privative de liberté au-delà d'une période que la Cour fait varier entre trois et quatre jours. En deçà, le droit interne reprend le dessus et peut organiser comme il l'entend la procédure. Le fait que l'on confie au procureur de la République la direction de la garde à vue pendant cette période constitue une garantie complémentaire à celle accordée par la CEDH. Il s'agit d'une garantie constitutionnelle telle que l'a rappelée le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010, confirmée par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans son arrêt du 15 décembre 2010.
En ce qui concerne le contrôle, nous pouvons tous nous accorder sur quelques idées simples. Ainsi, personne ne conteste que le parquet a autorité sur les quarante-huit premières heures de la garde à vue, y compris pour le renouvellement de vingt-quatre à quarante-huit heures car nous nous trouvons toujours dans les délais estimés convenables par la CEDH. Personne ne conteste non plus que le contrôle juridictionnel – contrôle a posteriori – s'exerce par le juge du siège. C'est évidemment le juge du fond qui va estimer si les critères légaux ont ou non été respectés.
Reste l'affirmation du principe du contrôle par le procureur. J'observe d'ailleurs que M. le garde des sceaux, dans son intervention à l'instant, n'a jamais employé le mot « contrôle », mais a employé le terme de « responsabilité ». J'observe que dans l'exposé sommaire des différents amendements qui nous sont présentés, on emploie le terme d' « autorité », de « responsabilité », et pas celui de « contrôle ».
Ce n'est pas forcément gênant d'employer le terme de « contrôle » si l'on sait ce que l'on met derrière cette notion. Mais en l'occurrence, on le sait, et M. Raimbourg vient de l'expliquer : on y met notamment la possibilité, pour la partie poursuivante, de déterminer le périmètre d'intervention et d'exercice des droits de la défense. Et cela, ce n'est tout simplement pas possible. Il y aura donc forcément un problème.
Je veux bien entendre que la partie poursuivante qu'est le parquet serait une partie poursuivante d'une nature spéciale, quoique je ne sache pas trop ce que cela veut dire. Qui est la partie poursuivante dans un procès pénal ? Si ce n'est pas le parquet, il faut m'expliquer qui c'est. C'est bien le parquet qui exerce l'action publique et qui est la partie poursuivante. C'est d'ailleurs ce que dit expressément l'arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre dernier.
Je comprends que pendant les quarante-huit premières heures, l'intervention du JLD soit de nature à poser un problème pratique insupportable. Je comprends bien qu'il ne s'agit pas de prendre des décisions qui vont aboutir à paralyser l'exercice des gardes à vue. Il ne s'agit pas, certes, de faire n'importe quoi. Mais il ne s'agit pas non plus de dénaturer totalement les principes en prenant le risque que, demain, la Cour de cassation en France, la CEDH un peu plus tard, voire le Conseil constitutionnel dans le cadre des QPC, qui bouleversent un peu l'organisation de notre façon d'exercer la justice, viennent nous dire que la partie poursuivante ne peut pas déterminer le périmètre des droits de la défense. Il y a là un vrai problème.
On peut dire que la disposition proposée s'appliquera à titre temporaire, comme le suggère M. Raimbourg. Je n'en sais rien. Mais ce problème me paraît vraiment constituer un obstacle totalement insurmontable.
Je voudrais revenir sur ces différents termes : direction, contrôle, contrôle juridictionnel. Le vocabulaire de notre langue est riche, mais il arrive toutefois que l'on emploie un même mot dans des sens différents. Cela me donne l'occasion de revenir sur le rôle du procureur. À au moins trois reprises, le Conseil constitutionnel utilise le mot contrôle. C'est ainsi que dans une décision du 11 août 1993, il dit que le procureur « doit être à même d'en assurer effectivement le contrôle », ou encore il parle du « pouvoir de contrôle qu'il lui appartient d'exercer ». Dans une décision de 2004, il rappelle que « le procureur contrôle aussitôt la qualification de la garde à vue ». Il dit, toujours en 2004, que « le déroulement de la garde à vue est placé sous le contrôle du procureur de la République ».
Cela ne signifie pas du tout, monsieur Houillon, que le juge du siège n'ait pas un contrôle juridictionnel sur l'ensemble. Il ne faut pas entendre le mot « contrôle » dans le même sens dans les deux cas.
M. Goasguen, qui me semble dubitatif, est un trop bon connaisseur de l'histoire de notre droit pour ne pas savoir que, parfois, un même mot n'a pas le même sens. Il convient de l'entendre dans le sens qu'il a habituellement dans le contexte dans lequel on l'utilise.
Quand on dit que le procureur « contrôle » la garde à vue, quelle est la différence avec « dirige » ? Il n'y en a pas beaucoup. Le procureur contrôle plusieurs gardes à vue, et l'officier de police judiciaire dirige une garde à vue. Celui-ci est au plus près des choses, il organise la garde à vue en elle-même. Il rendra compte au procureur, lequel contrôlera s'il a bien appliqué le texte. Cela ne veut pas du tout dire que cela exclue le contrôle juridictionnel a posteriori du juge. Il faut entendre les choses comme cela. Habituellement, dans le code comme dans la jurisprudence, on dit que le procureur de la République « contrôle », mais cela ne veut pas dire qu'il exerce le contrôle juridictionnel, lequel appartient naturellement au juge du siège, qui pourra, à la demande des parties, exercer tout le contrôle nécessaire sur la garde à vue.
Je vais voter cet amendement. Mais très franchement, c'est une disposition provisoire. Et vous le savez bien, monsieur le ministre. Je rejoins tout à fait, à cet égard, ce qu'a dit notre collègue socialiste. Je souhaite qu'il soit le plus provisoire possible.
Car, ne vous y trompez pas, vous avez fait analyse sur un arrêt de la Cour européenne in concreto. Vous en avez sorti une phase définitive. Elle n'est absolument pas définitive. Vous savez très bien dans quel sens va aller l'évolution.
Je voudrais vous rappeler une bonne fois pour toutes que cette tendance du droit français à privilégier en permanence la puissance publique n'est pas représentative du procès. Certains, ici, parlent sans cesse de « l'efficacité du procès ». Mais le procès n'est pas un problème de sécurité. C'est un problème de justice et de droit. Que je sache, c'est encore le juge qui dit le droit, et non pas la partie prenante qu'est la puissance publique représentée par le procureur.
Il faut que l'évolution aille vite. Pourquoi ? Parce que si d'aventure il y avait un changement de majorité, ce qui peut toujours arriver, et que nos collègues de l'actuelle opposition transforment un procureur de la République en magistrat indépendant, alors je vous assure que non seulement nous serions confrontés aux difficultés actuelles, mais nous aurions en plus de cela donné naissance à un corporatisme judiciaire encore plus oppressant que celui qui existe actuellement. Ce n'est pas le juge qui dirait le droit, mais un corps à part, un procureur indépendant dirigeant l'enquête proprio motu. Et les avocats seraient encore plus ignorés qu'aujourd'hui.
Je vous le dis, mes chers collègues socialistes, cette tendance du droit moderne va complètement à l'encontre de votre voeu, qui pouvait se comprendre durant les dix dernières années, de donner à la procurature l'indépendance. En réalité, ce serait la pire des catastrophes. C'est le juge qui dit le droit. Ce n'est pas le procureur indépendant, ce n'est pas l'avocat, c'est le juge, qui est situé au milieu, entre la partie qui représente la puissance publique, d'un côté, et la défense de l'autre.
Cet amendement, je vais le voter. Mais, mon Dieu, qu'il soit très rapidement mis à mal par l'évolution d'un droit moderne, avant qu'il ne soit renforcé par des dispositions qui enkysteraient complètement la procédure, et qui aboutiraient à un système dont nous avons eu tellement de mal à sortir. N'oubliez jamais que toutes les révolutions, dans ce pays, se sont faites contre les juges.
L'argumentation du Gouvernement sur cette question ne me paraît pas très honnête. Peut-être me trompé-je, auquel cas vous me reprendrez, monsieur le ministre.
D'abord, le Gouvernement fait mine de confondre la « gestion » de la garde à vue avec le contrôle de la légalité de la procédure. Ainsi, il justifie son amendement de recul en prétendant qu'aucun pays d'Europe n'exige l'intervention d'un juge dès le début de la privation de liberté du suspect. Mais ce n'est pas du tout ce dont il s'agit ici ! Confier le contrôle de la légalité de la procédure de la garde à vue à un juge du siège, ce n'est pas demander son intervention dès le début de la garde à vue. C'est simplement confier à une autorité judiciaire indépendante le contrôle a posteriori de la légalité de la procédure : il s'agit là d'une disposition qui se conforme aux prescriptions de la CEDH. Il ne saurait en effet y avoir de contrôle de la légalité de la garde à vue si celle-ci n'a pas encore eu lieu !
Deuxièmement, il est faux et mensonger de prétendre que l'article 66 de la Constitution « impose » que la garde à vue soit contrôlée par le procureur. L'article 66 impose uniquement qu'elle soit contrôlée par l'autorité judiciaire dès le prononcé de la mesure. Un juge du siège est bien entendu totalement qualifié pour effectuer ce contrôle.
Troisièmement, le Gouvernement prétend que le JLD opère déjà un contrôle à travers « ses prérogatives en matière de prolongation de la mesure si elle dure plus de 48 heures ». Or, il ne s'agit évidemment pas là du « contrôle de légalité », qui consiste en la vérification a posteriori du respect de l'ensemble des règles procédurales régissant la mesure.
Voilà pourquoi on ne peut pas vous suivre, monsieur le ministre, dans les arguments que vous avancez à l'appui de cet amendement n° 21 .
J'irai dans le même sens que ce que viennent de dire mes collègues. Nous sommes en train de discuter d'un point très important : il s'agit de savoir quel peut être le rôle du siège, et donc d'un juge indépendant, à la fois dans l'exécution de la procédure de garde à vue et dans son contrôle de légalité.
Au-delà de cette question, il y a d'ailleurs celle du statut du procureur. Et nous savons ce qui a été dit par la Cour européenne des droits de l'homme : celle-ci ne le considère pas comme un magistrat.
Nous n'allons pas entrer dans les considérations que nous venons d'entendre de la part de notre collègue Goasguen, parce qu'il n'est pas du tout question d'entrer dans cette logique-là, mais seulement de respecter le droit, de respecter le droit européen, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, et de garantir le périmètre de la garde à vue. Ce n'est pas à celui qui poursuit, c'est-à-dire le procureur, de déterminer ce périmètre. C'est en effet à un magistrat du siège de le faire, un magistrat indépendant qui ne peut être que le JLD. Il s'agit à la fois du contrôle de l'exécution de la procédure et de son bon déroulement.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, nous ne pouvons pas entrer dans la confusion que vous avez introduite dans votre réponse à nos différentes interventions. Vous essayez, pardonnez-moi cette expression un peu familière, de « noyer le poisson », afin de sauver ce sur quoi s'arc-boute le Gouvernement, à savoir la protection du procureur, en ne répondant pas aux exigences qui sont formulées, instance après instance, par la Cour européenne des droits de l'homme. Voilà pourquoi nous insistons tout particulièrement sur le rôle du JLD.
Se pose en outre un problème institutionnel, qui devient donc aussi un problème politique. Le Président de la République a réuni les deux chambres à Versailles pour une réforme de la Constitution visant à donner plus de pouvoir au Parlement, à tel point qu'en séance publique, nous n'examinons plus les textes du Gouvernement mais ceux de la commission. Or j'étais présent en commission des lois lorsque nous avons abordé le projet de réforme de la garde à vue. Si j'ai bonne mémoire, il s'est trouvé une majorité, réunissant des collègues de gauche mais aussi de droite, pour dire que c'était au juge des libertés et de la détention d'exercer le contrôle de légalité de la procédure, en même temps que sa bonne marche. Et voilà que le Gouvernement dépose un amendement afin de revenir sur ce qui a été adopté par la commission des lois. Alors, il faudrait savoir : soit l'exécutif agit en conformité avec ce qu'il a fait voter à Versailles par le Congrès et accepte que ce soit le texte de la commission des lois qui l'emporte, celui qui a été voté par une majorité de parlementaires, soit, comme on le dirait dans ma Gironde natale, il s'essuie les pieds sur le Parlement comme s'il s'agissait d'une serpillière, parce qu'il veut sa réforme, qui ne correspond pas à ce que nous souhaitons.
Ce qui est très intéressant dans le débat que nous avons depuis vingt-quatre heures, c'est la détermination de certains de nos collègues de droite, qui sont des députés aguerris mais aussi des juristes, et donc des défenseurs des droits et des libertés, qui croient au juge, au rôle du juge, et qui disent comme nous que ce n'est pas aux parlementaires mais aux juges de dire le droit.
Le procureur n'est ni un juge indépendant ni un magistrat du siège ; ce n'est donc pas à lui de dire le droit dans une telle procédure : c'est au juge des libertés et de la détention d'interpréter et de contrôler.
C'est pourquoi nous allons insister sur ce sujet aussi longtemps que ce sera nécessaire, monsieur le garde des sceaux, parce que nous considérons qu'il s'agit d'une des articulations essentielles de la réforme de la garde à vue. Si nous n'obtenons pas gain de cause, c'est-à-dire si le procureur reste ce qu'il est aujourd'hui, avec les traces encore trop visibles de la culture de l'aveu au détriment de la culture de la preuve et un juge du siège considéré comme subalterne, nous nous battrons pour convaincre une majorité de notre assemblée de nous suivre.
Il faudrait relire le texte prévu, à l'alinéa 11, pour l'article 62-5 (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)¸ car il est indissociable des alinéas 12, 13 et 14 : « Ce magistrat [le juge des libertés] apprécie si le maintien de la personne en garde à vue et, le cas échéant, la prolongation de cette mesure sont nécessaires à l'enquête et proportionnés à la gravité des faits […]. Il assure la sauvegarde des droits reconnus par la loi à la personne gardée à vue. Il peut ordonner à tout moment que la personne gardée à vue soit présentée devant lui ou remise en liberté. »
L'officier de police judiciaire n'est que le bras armé du procureur de la République, puisqu'il l'appelle pour lui demander s'il peut mettre en garde à vue. Par conséquent, il exécute les ordres du procureur de la République. Dès lors, ce dernier est incontestablement à l'initiative de la procédure. Vous voudriez qu'il soit en plus le responsable du suivi de cette procédure, alors qu'il doit, à un moment donné, s'en départir pour que ce ne soit pas la même personne qui autorise la garde à vue et qui soit chargée de porter l'accusation au nom de la société contre le gardé à vue s'il comparaît devant un tribunal correctionnel. C'est le sens de l'arrêt Moulin : il faut que le contrôle de la garde à vue ait un caractère automatique et, s'agissant des caractéristiques du pouvoir du magistrat, il est nécessaire – peu importe qu'il ait été ou non nommé en ligne directe par l'exécutif, c'est un autre débat – que celui-ci n'exerce pas ensuite les poursuites à l'encontre de la personne concernée.
Je termine sur l'image de la balance de la justice : d'un côté, il y a le procureur, qui porte l'accusation au nom de la société ; de l'autre, il y a l'avocat, qui défend – et cela me plaît – l'individu seul contre la collectivité ; tandis qu'au milieu, le magistrat va décider et faire osciller les plateaux de la balance dans un sens ou dans un autre. Cette image est fondamentale. Il faut donc s'en tenir à l'article dans le texte de la commission. C'est ce qui correspond à l'évolution que vous souhaitiez tant à l'instant, monsieur le garde des sceaux : cette réforme de la garde à vue doit être un progrès. Si vous restreignez ce progrès, cela veut dire que vous avez véritablement peur de l'avenir, ce que je regrette profondément.
J'ai apprécié les interventions – j'allais dire les « plaidoiries » – d'un certain nombre de députés qui exercent d'autres fonctions, notamment celle d'avocat,…
…mais je souhaite apporter quelques précisions.
En effet, il ne faut pas tout confondre : nous nous situons au niveau de l'enquête. À ce stade, le procureur de la République doit avoir la responsabilité des investigations de la police judiciaire. C'est lui le responsable, lui qui dirige et qui contrôle parce que c'est sous sa direction que se déroulent les quarante-huit premières heures de garde à vue, pendant lesquelles il va donner des instructions à la police.
C'est d'abord absolument nécessaire d'un point de vue pratique, nous le savons tous. Comment pourrait-on organiser les juges pour qu'ils puissent vraiment répondre, en temps réel, à des demandes d'intervention de la police et contrôler l'enquête sur le terrain ? On ne peut pas saisir les juges par téléphone, de jour comme de nuit ; quand ils reçoivent les parties en présence, ils peuvent mettre l'affaire en délibéré, prendre le temps de décider. Or il est nécessaire pour la police de recevoir très rapidement des directives.
Mais, au-delà du point de vue pratique, il y a l'aspect juridique. Il ne faut pas faire dire à la CEDH ce qu'elle ne dit pas. Certes, le procureur de la République n'est pas un juge. Nous savons tous qu'ils n'ont pas le même rôle : d'un côté, il y a un juge qui prononce un jugement, et, de l'autre, un parquetier qui ne juge pas, même s'il est partie poursuivante au procès.
C'est au niveau du procès qu'il y a égalité des armes. Même si le procureur de la République n'est pas une autorité judiciaire au sens de la CEDH, il n'en demeure pas moins un magistrat. Ce point n'est pas vraiment compris : il est un magistrat au sens de l'article 66 de la Constitution de la Veme République,…
…un magistrat garant des libertés individuelles. Ce dernier point fait l'originalité du système à la française : nous avons la chance d'avoir un magistrat qui dirige les enquêtes de police judiciaire, à la différence d'un certain nombre d'autres pays, pas si lointains d'ailleurs, où la police est livrée à elle-même, le juge n'intervenant que bien après le délai proposé par le projet de loi. La Cour européenne des droits de l'homme indique seulement que le juge doit intervenir au bout de trois ou quatre jours, alors que le projet de loi initial prévoit son intervention obligatoire au terme de quarante-huit heures. Nous allons donc même au-delà de la jurisprudence de la CEDH.
Il faut le dire sans hésitation : le patron de l'enquête de police judiciaire, c'est le procureur de la République, magistrat garant des libertés individuelles au sens de l'article 66 de la constitution française. Vouloir, comme certains collègues, introduire les règles du procès contradictoire au niveau de l'enquête, c'est, de fait, vouloir supprimer les enquêtes. Parce que si on veut absolument que le procès commence dès l'enquête, il n'y aura plus d'enquête. Comment pourrait-on mettre en place les règles du procès contradictoire alors que le dossier n'est même pas constitué, alors que la police est au tout début de l'enquête et que l'on ne sait même pas ce qui va en advenir ?
Quand une affaire démarre, avec malheureusement des personnes qui ont été tuées, comment voulez-vous, une fois sur les lieux, saisir un juge pour savoir ce qu'il faut faire ? À part peut-être un juge d'instruction. Mais c'est un autre débat, que nous aborderons peut-être plus tard.
C'est forcément le procureur de la République qui dirige l'enquête de police judiciaire puisque le dossier n'est pas encore constitué, et ce n'est que quarante-huit heures plus tard que le juge des libertés et de la détention interviendra sur les mesures de garde à vue, notamment de prolongation. Certains ne considèrent pas le procureur de la République comme un magistrat, mais c'est une erreur fondamentale de droit car son statut ne correspond pas à la conception anglo-saxonne, laquelle ne connaît pas le magistrat du parquet. Il est vrai que certaines décisions du CEDH sont quelque peu inspirées du droit anglo-saxon, qui ne comprend pas cette différence heureuse que nous, nous avons en droit français, et qu'il faut absolument conserver.
S'agissant de l'indépendance des procureurs, dont notre collègue Claude Goasguen nous attribue par avance la paternité, quand l'alternance sera venue (Exclamations et sourires sur les bancs du groupe UMP), je rappelle que notre projet n'est pas celui-là : il s'agit de toucher aux règles de nomination pour que celle-ci relève du CSM.
Mais, mon cher collègue, le procureur restera un membre du corps chargé de mettre en oeuvre les directives de politique pénale, qui resteront l'apanage des politiques.
Je tenais à préciser ce point pour qu'il n'y ait pas de mésinterprétations et pour éviter que l'on se dispute inutilement sur des choses qui ne correspondent pas à la réalité. Nous avons suffisamment de motifs de nous disputer sur des divergences réelles ; dissipons les fantasmes.
Monsieur Noël Mamère, vous dites que le Gouvernement ne respecte pas le Parlement, mais vous faites une confusion entre la question de l'audition libre et celle des rôles respectifs du JLD et du procureur de la République. J'ai salué le Gouvernement, qui a respecté le Parlement, s'agissant notamment de l'audition libre : la commission des lois s'est massivement prononcée pour sa suppression, en quelques secondes, tellement nous étions d'accord sur ce point, et nous lui savons gré d'avoir suivi notre vote, dans l'esprit de la réforme constitutionnelle. Il en va complètement différemment s'agissant du rôle du JLD et de celui du procureur de la République dans le cadre de la garde à vue puisque nous avons eu de longs débats en commission, et que l'amendement de notre collègue Philippe Houillon n'a été adopté qu'à la majorité d'une voix, tellement nous étions partagés. Il est donc tout à fait logique que, dans l'hémicycle, nous ayons à nouveau ce débat. Ce n'est pas faire injure au Parlement que de demander à l'ensemble des députés de se prononcer sur un point qui a fait l'objet d'avis si partagés en commission. Je ne peux donc pas, monsieur Mamère, vous laisser dire sans réagir que l'amendement du Gouvernement ne respecte pas le Parlement.
Je voudrais ensuite répondre à notre collègue Philippe Houillon, dans le sens de la très belle démonstration de Jean-Paul Garraud. Il y a en effet deux phases : l'enquête, puis le jugement. Dans le cadre de l'enquête, le procureur de la République n'est en aucun cas une partie poursuivante : il mène ses investigations à charge et à décharge, il est – Jean-Paul Garraud l'a rappelé avec force – le garant des libertés individuelles. C'est toute la différence avec le procureur anglo-saxon, qui, lui, ne mène que des poursuites. Dans la phase de jugement, son rôle est différent car c'est seulement s'il s'est forgé une intime conviction sur la culpabilité de la personne mise en cause qu'il la poursuit.
J'écoute avec beaucoup d'attention les arguments de ceux qui sont favorables à l'amendement du Gouvernement, mais je ne suis pas certain que ces collègues aident à son adoption quand ils disent que certains députés mettraient en avant leur profession d'avocat ou encore que cet amendement n'a été voté qu'à une voix. Je rappelle que la République a été votée à une voix de majorité.
Monsieur le garde des sceaux, votre amendement est un amendement de compromis. Tenant compte par avance d'un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 16 décembre dernier – la commission des lois s'était prononcée la veille –, il précise que le procureur de la République dirige l'enquête et a la main sur les gardes à vue, mais qu'au-delà de quarante-huit heures, le contrôle sera effectué par un magistrat du siège. Cela nous convient parfaitement. Pourquoi ? M. Garraud a raison : si nous en revenions au texte de la commission des lois, comment la mesure serait-elle appliquée sur le plan pratique ?
Monsieur le garde des sceaux, l'intérêt du débat en commission des lois a été de poser le problème du statut des magistrats du parquet et de s'approcher des interrogations de la Cour européenne des droits de l'homme. Votre amendement est un compromis entre nos préoccupations et les précisions apportées par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans son arrêt du 15 décembre.
(Les amendements identiques nos 121 et 198 sont retirés, de même que l'amendement n° 83 .)
(L'amendement n° 21 est adopté.)
En conséquence, l'amendement n° 138 tombe.
(L'article 1er, amendé, est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 76 , portant article additionnel après l'article 1er.
La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
Cet article propose que dès lors qu'une personne fait l'objet d'une arrestation pour des faits prévus à l'article 62-3 du code de procédure pénale et avant toute mesure de garde à vue, il lui est signifié oralement la nature de l'infraction dont elle est suspectée, le droit de se taire et la possibilité de se faire assister d'un avocat.
(L'amendement n° 76 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Sur l'article 2, je suis saisi d'un amendement n° 153 .
La parole est à M. Michel Vaxès.
Cet amendement se borne à requérir pour les cas de gardes à vue qui ne concernent pas des crimes et délits commis en flagrance, que celles-ci soient décidées par le procureur, et non par le seul officier de police judiciaire.
Cet amendement se situe en deçà des préconisations de la CNCDH. En effet, cette instance déplore que le projet de réforme laisse aux officiers de police judiciaire la responsabilité de placer en garde à vue, alors que ceux-ci sont sous tutelle du ministère de l'intérieur et sous la direction du procureur de la République, subordonné lui-même au garde des sceaux.
Dans son avis du 10 juin 2010, la Commission énonce : « Il conviendrait en effet de subordonner, sous réserve que des moyens suffisants soient prévus, le placement en garde à vue ou, a minima, la prolongation de celle-ci à l'autorisation du magistrat du siège. » Or, en l'état actuel du texte, l'autorisation du procureur n'est même pas requise.
Par ailleurs, le plancher retenu implique une qualification en amont de l'infraction par les officiers de police judiciaire, mais sans l'intervention d'un juge. Cette préqualification policière n'est ni réglementée ni mesurée, comme le souligne la CNCDH.
Pour illustrer cet amendement, prenons l'exemple d'un jeune homme de quinze ans, sans casier judiciaire, qui serait conduit en garde à vue pour avoir fait un croc-en-jambe à un camarade à la sortie du collège. Un tel délit de violence volontaire, n'ayant pas entraîné d'incapacité totale de travail, est sanctionné par une contravention de quatrième classe et ne justifie pas une garde à vue, faute de peine de prison encourue.
Cependant, la victime est un mineur de quinze ans et les faits ont eu lieu à proximité d'un établissement d'enseignement. Ce sont deux circonstances aggravantes qui portent la peine encourue à cinq ans de prison. L'officier de police judiciaire, sans intervention d'un juge, peut se sentir fondé à placer le mineur en garde à vue. Cette mesure semble pourtant abusive.
C'est la raison pour laquelle il convient de subordonner le prononcé de la mesure de garde à vue à la requête du procureur de la République. Celui-ci est compétent pour qualifier les faits, déterminer la lourdeur des peines encourues et donc pour demander à l'officier de police judiciaire de placer ou non le suspect en garde à vue.
Cette disposition est d'autant plus réalisable que la commission des lois a séparé la gestion de la garde à vue, confiée au procureur, de son contrôle, confié au juge des libertés et de la détention. L'obstacle selon lequel le procureur ne pouvait à la fois décider de la garde à vue et la contrôler est donc levé.
Enfin, le procureur a autorité pour prolonger la garde à vue ; son autorisation écrite est nécessaire. Pourquoi ne le serait-elle pas également pour autoriser la garde à vue, à l'exception évidemment des cas de flagrants délits prévus par l'amendement ?
Nous avons émis un avis défavorable à cet amendement, au profit de l'amendement n° 22 du Gouvernement qui suit et pour lequel je développerai mon argumentaire.
Défavorable.
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, j'interviens évidemment pour approuver l'amendement proposé par notre collègue Vaxès et le comparer à celui du Gouvernement, évoqué à l'instant par le rapporteur.
En effet, nous considérons que c'est au procureur de la République de décider, et non pas à l'officier de police judiciaire. Votre amendement propose un peu les deux : c'est l'officier de police judiciaire qui, d'office ou sur instruction du procureur de la République, peut placer une personne en garde à vue.
Pour notre part, nous essayons de nous conformer à la jurisprudence de la CNCDH, en indiquant que c'est au procureur plutôt qu'à l'officier de police judiciaire de décider du placement en garde à vue.
C'est pourquoi nous accordons beaucoup d'importance à cet amendement, considérant qu'il constitue une sorte de pilier de l'esprit de la réforme, en ce qui concerne le respect de la jurisprudence de la Cour européenne et cette séparation très nette entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir policier.
D'autre part, nous n'ignorons pas l'existence d'un problème de moyens. Nous ne pouvons pas discuter d'une réforme de cette importance sans évoquer les moyens – nous l'avons fait pendant la discussion générale et nous y reviendrons au cours des débats.
Quand on compare le nombre de procureurs de la République et le nombre d'officiers de police judiciaire, comme diraient mes collègues journalistes, il n'y a pas photo à l'arrivée : environ 2 000 d'un côté et 50 000 de l'autre !
L'amendement que nous défendons vaut dans le principe, il permet d'articuler la réforme sur ces principes de respect de séparation. Cela étant, il s'agirait de donner à la justice les moyens d'exercer ses fonctions régaliennes et d'être un grand service public. Ce n'est plus le cas actuellement, comme le montrent les difficultés que rencontrent des tribunaux.
Monsieur le garde des sceaux, dois-je vous rappeler cette enquête qui a été menée par l'Union syndicale des magistrats, qui n'est pas un syndicat de gauchistes ? À Bobigny ou dans l'une des banlieues de Paris, un juge d'instruction a attendu son greffier pendant six mois ! Voilà qui en dit long sur la grande déshérence de la justice, sur son absence de moyens.
Nous ne pouvons pas voter des lois qui impliquent un renforcement des moyens de la justice et la laisser dans cette espèce de désert qui nuit à la garantie des libertés.
Je partage les propos de mon collègue Noël Mamère, mais, puisque M. le ministre de la justice est présent et qu'il a pris très récemment ses fonctions, je voudrais aborder un sujet un peu annexe en revenant sur l'exemple, particulièrement intéressant, donné par M. Vaxès.
Dans une cour de collège, un jeune homme fait un croche-pied à l'un de ses camarades, mineur. Par le biais des circonstances aggravantes, ce fait mineur devient un délit.
En nous livrant à une définition des violences, nous avons multiplié les circonstances aggravantes. Dans l'article du code qui définit les violences, il existe des circonstances aggravantes tenant à la personnalité de l'auteur, à la personnalité de la victime et au lieu de l'infraction. Le cumul des trois aggravations, par des raisonnements un peu délirants, conduit à créer des délits.
Dans ces conditions, les chiffres de la délinquance dont nous nous servons, que nous nous envoyons régulièrement à la figure, n'ont au fond aucun sens. Nous modifions en permanence la définition même des délits. Cette discussion sur les chiffres de la délinquance n'est absolument pas stabilisée. Nous parlons, d'un côté comme de l'autre, de choses qui sont différentes. Comme nous créons des délits, il est difficile de se référer à la mesure des hausses et des baisses.
Nous gagnerions beaucoup à essayer de stabiliser, de comprendre ce qui se passe vraiment, afin de lutter efficacement contre les phénomènes de violence. Nous gagnerions aussi beaucoup à élaborer des textes permettant de définir précisément les infractions. Le jeu de cumul des circonstances aggravantes ne peut pas fonctionner comme nous le faisons fonctionner en matière de violences.
Mon propos était un peu annexe, mais je crois que cette discussion vaut la peine d'être menée. Ce soir, le climat étant assez calme sur ces questions de droit pénal, j'en ai profité pour faire cette petite observation.
Je ne suis pas favorable à l'amendement de nos collègues socialistes et je préfère celui du Gouvernement.
Si votre amendement était appliqué, un officier de police judiciaire ne pourrait placer en garde à vue que sur instruction du procureur de la République.
Monsieur le garde des sceaux, en conclusion de la discussion générale, vous avez appelé à un équilibre. Déjà, on va demander aux officiers de police judiciaire de revoir la garde à vue avec des garanties pour la personne gardée à vue. Vous proposez de restreindre encore le placement en leur demandant de ne le faire que sur instruction du procureur.
Il ne faut pas donner ce signal. L'amendement du Gouvernement est plus équilibré.
(L'amendement n° 153 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 22 .
La parole est à M. le garde des sceaux.
Il a été défendu.
Une fois n'est pas coutume, nous voulions dire que cet amendement du Gouvernement nous semble tout à fait raisonnable. En effet, c'est le procureur de la République qui doit normalement donner l'impulsion dans ce type de mesures. Par conséquent, cela nous semble être une bonne précision.
Je suis saisi d'un amendement n° 26 .
La parole est à Mme Sandrine Mazetier.
Cet amendement a moins de portée philosophique que le précédent, mais il est très important d'un point de vue pratique.
Il vise à compléter l'alinéa 3 de l'article 2, en insérant, après le mot « moyen », les mots « garantissant l'information réelle et personnelle de ce magistrat ».
Nous visons des situations assez fréquentes où le magistrat est informé par simple fax, en pleine nuit, ce qui entraîne souvent le maintien en garde à vue de personnes qui n'ont à peu près rien à y faire, qui pourraient aller se dégriser ailleurs et revenir répondre des infractions qu'elles ont commises sans être à ce point privées de liberté.
Actuellement, l'imprécision du texte nous semble dommageable pour les personnes privées de liberté mais aussi pour les magistrats eux-mêmes qui, au réveil, trouvent une pile de fax et de mesures à examiner.
Cette disposition très simple et très pratique sera utile à tous, j'en suis sûre.
On peut comprendre la préoccupation exprimée, mais l'adoption de cet amendement imposerait un échange direct. Cela poserait quelques problèmes pratiques et nous paraît difficile à mettre en oeuvre. La commission a donc repoussé cet amendement.
L'amendement ne me semble pas justifié.
Le droit actuellement en vigueur a été fixé par un arrêt de la Cour de cassation du 23 mai 2001, repris notamment par une circulaire du 10 janvier 2002 qui prévoit que l'on peut informer le procureur par tout moyen. L'arrêt de la Cour de cassation validait d'ailleurs l'avis par télécopie la nuit.
Les deux circulaires sur le sujet précisent que le recours à la télécopie n'est possible que dans le cas de procédures ne soulevant pas de difficultés et qu'une information téléphonique doit intervenir dans tous les autres cas. Notre pratique est conforme aux circulaires, et je veux bien prendre l'engagement de les réitérer. C'est pourquoi je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.
Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir reprécisé les moyens et conditions prévus par les circulaires. Ainsi n'est-il possible de prévenir le procureur par fax que dans les cas qui ne posent pas de problèmes. Las, ces derniers sont manifestement nombreux, et c'est ainsi que l'on a atteint le nombre de 800 000 gardes à vue l'an dernier !
Cet amendement vise donc simplement à réduire le nombre de gardes à vue, sans que cela porte préjudice à personne.
(L'amendement n° 26 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 27 .
La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas.
Il s'agit d'un amendement de même facture que l'amendement n° 26 .
Il était assez logique que votre texte, monsieur le ministre, prévoie des contraintes supplémentaires pour les OPJ, maintenant qu'on leur impose la présence d'un avocat. Je disais hier que cette présence changerait en partie leur métier et qu'il faudrait consentir des efforts de formation à la mesure du défi qui leur est ainsi lancé. En effet, le respect de l'égalité des armes, si je puis dire, doit être assuré. Or certains avocats sont susceptibles d'accomplir des prouesses. Les OPJ ont donc besoin d'une formation.
Cependant, nous avions été surpris de constater que votre texte, monsieur le ministre, ne comportait aucun élément visant à alléger les procédures auxquelles sont soumis les OPJ. En rencontrant les OPJ du commissariat de Quimper, mais aussi les gendarmes qui ont cette qualité, j'avoue avoir été surpris par le nombre de papiers qu'ils étaient contraints de remplir pour que la garde à vue soit exempte de tout défaut. Les carences à telle ou telle étape de la procédure sont d'ailleurs sans doute l'une des causes de nullité les plus fréquentes.
Nous avons donc déposé un certain nombre d'amendements qui procèdent de ce constat. Ils ne visent pas à gêner qui que soit, mais ont été suscités par des remarques de bon sens d'OPJ ou de magistrats qui indiquent, çà et là dans la procédure, des allégements possibles.
En l'occurrence, nous proposons que « dès après la notification faite pour l'application de l'article 63-1, l'officier de police judiciaire transmet au procureur de la République par voie télématique ou informatique le procès-verbal de notification portant la qualification des faits validée ou modifiée par ce magistrat ». Il s'agit tout simplement d'une dématérialisation de la procédure qui permettrait au magistrat de continuer à exercer sa capacité de contrôle – j'imagine que personne ne songe à l'en priver – et qui éviterait à l'OPJ d'être absorbé par des tâches administratives au détriment de la conduite de l'enquête. Selon le contrôleur général des lieux de privation de liberté, une garde à vue de vingt-quatre heures ne comporte qu'une heure et demie, deux heures tout au plus, d'audition utile, tout le reste étant paperasse et bureaucratie. Si nous pouvions alléger tout cela en préservant l'efficacité de l'enquête et en donnant aux gardés à vue les nouveaux droits qui vont leur être accordés, nous y gagnerions tous.
J'invite donc le garde des sceaux à comprendre que, quoiqu'il ne soit pas ministre de l'intérieur, les OPJ sont placés sous sa responsabilité et apprécieraient qu'il fît ce geste en leur faveur.
On voit bien l'intérêt d'une transmission immédiate du procès-verbal de notification. Cela dit, de nos jours, c'est une relation de confiance qui s'établit entre l'OPJ et le procureur, et les notifications sont transmises oralement sans que cela pose de difficultés. Dès lors, l'adoption de l'amendement n° 27 alourdirait la procédure.
En outre, elle est quelque peu en contradiction avec l'idée d'un procès-verbal unique défendue par ailleurs.
Je demande donc le rejet de cet amendement, qui a été repoussé par la commission.
Je comprends bien l'intention de M. Urvoas. Il ne s'agit cependant pas d'alourdir la procédure en faxant de multiples rapports et procès-verbaux. La solution ne réside pas dans un amendement de ce type, elle réside dans la mise en oeuvre de la dématérialisation des procédures, dossier tout à fait prioritaire pour le ministère de la justice.
La loi de simplification du 12 mai 2009 a prévu que tous les actes de procédure pourraient être revêtus d'une signature numérique ou électronique afin de permettre la dématérialisation des dossiers. Le décret d'application a été pris le 18 juin 2010 et un arrêté va bientôt être publié pour permettre l'expérimentation de la dématérialisation dans certains ressorts en liaison avec les services d'enquête. Alors, tous les procès-verbaux, et pas seulement ceux notifiant le placement en garde à vue, pourront être adressés au procureur.
Cette question ne relève plus de la loi : l'affaire a été réglée par la loi de 2009. Il s'agit simplement de mettre en oeuvre cette dernière.
Je vous suggère donc de retirer votre amendement, tout à fait satisfait.
Oui, évidemment, monsieur le président.
Je fais confiance, par principe, au garde des sceaux, mais notre pays a tendance à considérer les expérimentations sans jamais envisager leur extension. Je ne vous ferai pas l'injure, monsieur le ministre, de vous rappeler que nous attendons d'ailleurs les conclusions de plusieurs expérimentations menées par votre ministère, y compris des conclusions que j'ai demandées par voie de questions écrites.
(L'amendement n° 27 n'est pas adopté.)
Compte tenu de la gravité de la prolongation de la garde à vue, qu'il convient au contraire de réduire dans le temps le plus possible, il est prudent de donner au JLD compétence pour en décider.
Cet amendement va dans le même sens que celui de Mme Quéré. Surtout, il est conforme à l'esprit qui anime la Cour européenne des droits de l'homme.
Nous abordons là l'un des points essentiels de la réforme de la garde à vue : le rôle du procureur et du juge du siège. Nous demandons, conformément à l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme de 2010, que ce soit le juge des libertés et de la détention, et non le procureur, qui décide de la prolongation éventuelle de la garde à vue. Cette exigence est assez nettement exprimée par les attendus de cet arrêt de la Cour, entre autres, car, chaque fois qu'elle a été saisie, elle s'est prononcée en ce sens. Il y a fort à parier d'ailleurs que, si une question prioritaire de constitutionnalité portait sur cette question, la décision du Conseil constitutionnel irait exactement dans le même sens. Pourquoi donc s'obstiner à vouloir accorder ces prérogatives au procureur alors même que la Cour européenne explique très bien qu'il s'agit d'un représentant du pouvoir exécutif et qu'il est placé sous la dépendance hiérarchique de ce dernier ? Il ne saurait en aucun cas décider de la prolongation de la garde à vue.
Nous en revenons à ce qu'avait expliqué tout à l'heure très brillamment expliqué Philippe Houillon sur le périmètre de la garde à vue et la séparation entre le juge du siège et le procureur, qui n'est pas un magistrat, contrairement à ce que nous expliquait tout à l'heure notre collègue Garraud,…
…du moins pas un magistrat au sens de la Cour européenne des droits de l'homme.
Ce n'est pas à l'autorité poursuivante, c'est à une autorité indépendante qu'il revient de décider de la prolongation de la garde à vue.
Défendant tout à l'heure un précédent amendement, je précisais déjà que la commission consultative des droits de l'homme réclame avec insistance, dans l'avis qu'elle a rendu le 10 juin dernier, que la prolongation de la garde à vue soit autorisée par un juge du siège. Elle précise qu'il s'agit là d'une revendication a minima.
Le procureur ne saurait être à la fois juge et partie, accusateur et partie poursuivante. Il ne peut donc statuer quant à la prolongation de la garde à vue.
J'entends bien ce que dit notre collègue Garraud : oui, le procureur est un magistrat. Mais ce n'est pas un juge ! Il n'est pas normal d'essayer d'introduire la confusion entre magistrat et juge. C'est au juge de décider de la prolongation de la garde à vue, et tel est l'objet de notre amendement. Il ne sert à rien de rappeler sans cesse que le procureur est un magistrat car tout le monde en convient. Sa fonction ne doit pas être confondue avec celle de juge.
Nous en revenons logiquement au débat que nous avons eu en début de séance.
Il me semble qu'il n'existe aujourd'hui aucune exigence conventionnelle. Du reste, le Conseil constitutionnel fait bien référence, dans sa jurisprudence, à l'article 66 de la Constitution. On retrouve donc la même logique.
Évidemment, par cohérence avec tout ce qui précède, la commission émet un avis défavorable à ces amendements.
Même avis !
Pardonnez, chers collègues, mon insistance. Effectivement, le procureur est un magistrat, mais ce n'est pas un juge.
Je regrette cependant qu'un certain nombre de collègues de la majorité ne soutiennent pas ces amendements alors même qu'ils ont, avec nous, demandé que le juge des libertés et de la détention intervienne dans la définition du périmètre de la garde à vue et dans la décision de sa prolongation. Or voici que nous nous retrouvons seuls pour défendre une idée qui va dans le sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et de ce qui devrait être l'esprit de cette réforme !
Nous ne comprenons pas très bien que notre rapporteur s'oppose à ces amendements : ce sont des amendements de bon sens. Nous ne comprenons pas davantage que M. le garde des sceaux s'obstine à refuser au juge des libertés et de la détention le rôle majeur qu'il a joué. Nous aurions aimé que notre collègue Goasguen vienne à notre secours, car, tout à l'heure, il a développé avec brio les qualités du juge contre le procureur.
Je vais expliquer à M. Mamère pourquoi les élus de la majorité ne le soutiennent pas.
Il y a quelques instants, nous avons adopté un amendement gouvernemental selon lequel la prolongation de la garde à vue n'aura lieu que sous le contrôle d'un juge du siège. Nous sommes logiques avec nous-mêmes et tenons compte des précisions du garde des sceaux qui s'appuie sur l'arrêt rendu le 16 décembre dernier, c'est-à-dire après la réunion de la commission des lois, par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
L'arrêt portait sur le placement en garde à vue, pas sur la prolongation de la garde à vue !
Un équilibre a été trouvé. Le placement en garde à vue pour vingt-quatre heures est décidé par le procureur, la prolongation de la garde à vue pour vingt-quatre heures l'est aussi. Au-delà, c'est le juge des libertés et de la détention qui décide. Cela me paraît équilibré, et notre collègue Hunault a raison.
(L'amendement n° 3 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos 141 et 159 .)
Je suis saisi d'un amendement n° 105 .
La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
Cet amendement technique vise à garantir l'information du gardé à vue quant aux éléments motivant une prolongation de son audition.
Défavorable.
Cet amendement a été rejeté par la commission, mais je propose, si son auteur en est d'accord, de rédiger ainsi l'amendement :
« Compléter l'alinéa 5 par la phrase suivante :
« L'officier de police judiciaire donne à la personne connaissance des motifs justifiant la prolongation de la garde à vue. »
Cette formulation vous satisfera sans doute, monsieur Decool.
Sagesse.
Monsieur le rapporteur, je voudrais savoir comment cet amendement se traduira concrètement. En pratique, l'officier de police judiciaire pourra-t-il dire au gardé à vue, par exemple, qu'on lui notifie le fait que sa garde à vue sera prolongée parce qu'il ne répond pas aux questions ? Quels seront les motifs de la prolongation de la garde à vue, si ce n'est le fait que l'audition n'a pas permis d'avancer dans la recherche de la vérité ? Je voudrais comprendre ce que vise cet amendement sur le fond.
Je comprends que le garde des sceaux ait demandé la sagesse. Car, concrètement, quelle sera la conséquence d'une telle disposition dans le cas d'un vice de procédure ? S'agissant des motifs de la prolongation de la garde à vue, il serait nécessaire, comme vient de le faire observer Mme Batho, d'envisager un amendement de précision. Une simple phrase expliquant pourquoi la garde à vue est prolongée est-elle suffisante ? S'agira-t-il d'une vraie motivation ?
Vous le savez, chers collègues, le mieux est l'ennemi du bien et l'équilibre est déjà fragile dans le déroulement de la garde à vue. Je comprends l'amendement de nos collègues qui veulent protéger la personne en lui expliquant les raisons de sa garde à vue. Mais, ensuite, les avocats s'en serviront en arguant que la motivation n'était pas suffisante, et ce sera un élément de nullité.
Je comprends l'objet de l'amendement, et je sais que, en matière criminelle, les délits sont d'une très grande complexité et que la garde à vue est alors une phase très importante dans la recherche de la vérité. Toutefois, je m'interroge sur les conséquences de l'adoption d'un tel amendement.
Notre objectif est d'éviter qu'il n'y ait trop de gardes à vue et, lorsqu'il y en a une, d'éviter qu'elle ne soit prolongée au-delà du délai nécessaire. Il me semble donc intéressant de rechercher la transparence concernant les raisons de la prolongation de la garde à vue. Car une prolongation de vingt-quatre heures sans raison suffisante pourra constituer un argument que les avocats seront en mesure d'utiliser. Je ne vois pas pourquoi nous nous priverions de cet élément de transparence, car l'obligation d'expliquer les raisons d'une prolongation de garde à vue ne porte préjudice à personne.
L'amendement de notre collègue Decool me semble inutile. En effet, le projet de loi précise que la garde à vue peut être prolongée sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République et que cette autorisation ne peut être accordée qu'après présentation de la personne au procureur de la République. Il y a donc bien présentation de la personne qui fait l'objet d'une prolongation de garde à vue au procureur de la République, présentation qui peut être réalisée par le biais d'un moyen de communication audiovisuelle.
Cela n'empêche pas d'expliquer les raisons d'une prolongation de garde à vue !
Par conséquent, la personne présentée au procureur de la République pour une prolongation de garde à vue en connaît forcément les motifs !
Je rejoins ce qui a été dit par Michel Hunault : si nous rajoutons du formalisme, nous nous exposons par la suite à des risques de nullité qui peuvent être gravissimes. Mieux vaut s'en tenir au texte tel qu'il est rédigé, puisque le procureur de la République va forcément indiquer à la personne qui fait l'objet d'une prolongation de garde à vue les raisons de cette prolongation.
Pour parler simplement, il s'agit, en pratique, d'expliquer aux intéressés le « pourquoi du comment ». Vous avez le sentiment que ma proposition pose de vraies difficultés. Ayant entendu vos arguments, j'y renonce.
Ce débat est intéressant ; je comprends que mon amendement pourrait fragiliser le déroulement de la garde à vue. Par conséquent, je le retire.
(L'amendement n° 105 est retiré.)
Je suis saisi d'un amendement n° 122 .
La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
Défavorable.
(L'amendement n° 122 est retiré.)
Nous en arrivons à un amendement n° 160 .
La parole est à M. Michel Vaxès.
Il s'agit d'un amendement de cohérence.
(L'amendement n° 160 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Le texte prévoit la possibilité de substituer à la présentation judiciaire des moyens de communication audiovisuelle. Nous estimons que c'est une manière d'éviter la présentation devant un magistrat pour l'éventuelle prolongation de la garde à vue. En outre, si cet ersatz de présentation se fait par l'intermédiaire d'un moyen de communication audiovisuelle, il sera effectué devant les enquêteurs, c'est-à-dire devant les policiers et les gendarmes, autrement dit dans un contexte où la personne gardée à vue aura le sentiment d'être surveillée, d'autant qu'il s'agit souvent de décrire les conditions mêmes dans lesquelles se passe la garde à vue.
Nous réclamons une vraie présentation, c'est-à-dire à chaque fois devant le magistrat, pour décider de la prolongation de la garde à vue.
Nous proposons, nous aussi, la suppression des deux dernières phrases de l'alinéa 6.
La première dispose en effet que la présentation de la personne gardée à vue au procureur de la République peut se faire par vidéoconférence. Cette dérogation est porteuse de très lourds risques. En effet, les moyens de télécommunication audiovisuelle ne sauraient remplacer la rencontre face à face de la personne gardée à vue et du magistrat. Ce dernier doit pouvoir juger de l'état de santé, mais aussi de l'état psychologique de la personne privée de liberté. Il doit pouvoir vérifier que les conditions de sa privation de liberté sont conformes à la loi et pouvoir attester que la dignité de la personne est respectée.
Si ce dispositif n'était pas supprimé, il est bien évident que la pratique des entretiens par moyens de communication audiovisuelle aurait vocation à se généraliser. Il s'agit, une fois de plus, de remplacer l'intervention humaine par des dispositifs techniques, pour pallier le manque d'effectifs dû probablement à la RGPP et à la politique d'appauvrissement des services publics décidée par le Gouvernement.
Face au manque de moyens de la justice et de la police, les budgets publics ne sont pas utilisés pour recruter des magistrats ou des policiers, mais pour permettre des vidéoconférences entre personnes gardées à vue et procureurs ! À terme, avec ce type d'évolution, c'est l'ensemble du procès pénal qui aura lieu par moyens de télécommunication audiovisuelle.
Mais non !
De cette façon, il y aura besoin de beaucoup moins de policiers, de gendarmes et de magistrats.
La seconde phrase que nous vous proposons de supprimer est celle qui autorise tout simplement l'officier de police judiciaire à prolonger la garde à vue sans même présenter la personne au procureur.
Si le texte précise que cette procédure ne pourra avoir lieu qu'à titre exceptionnel, cette exceptionnalité n'est pas circonscrite et n'a donc pas de valeur juridique. En d'autres termes, rien n'interdit que cette procédure devienne la règle. Il importe donc d'être particulièrement vigilant face à ce type de dérive. Tel est le sens de notre amendement.
Défavorable.
Il ne s'agit pas d'une difficulté liée au manque d'effectifs, mais plutôt d'une facilité. Nous avons intérêt à développer, non à outrance, mais pour des raisons de bon sens, les visioconférences, c'est-à-dire des moyens modernes, contemporains, de travailler. Je l'ai observé dans les commissariats des 12e et 18e arrondissements. Certes, il s'agissait de gardes à vue de mineurs, mais, avec un recul de huit mois dans le 12e et de plus de trois ans dans le 18e, je puis vous assurer que le système fonctionne bien. Je ne dis pas qu'il faut à tout prix le généraliser en le rendant obligatoire. Cela étant, garder cette faculté me paraît essentiel. Nous sommes au XXIe siècle et il faut vivre avec son temps !
Même avis que la commission.
Cet amendement a au moins le mérite de poser la question des lieux de garde à vue.
Si nous voulons maintenir le fait que les brigades territoriales de gendarmerie, par exemple, soient des lieux de garde à vue, il faut voter pour cet amendement. M. Vaxès pose une vraie question et, monsieur le garde des sceaux, je me permets, à ce stade de notre discussion, de vous dire combien il est important de ne pas centraliser les gardes à vue au chef-lieu du département.
Tout à fait !
Nombre de brigades territoriales doivent selon moi rester des lieux potentiels de garde à vue.
En revanche, monsieur le ministre, nos collègues posent une vraie question sur un point précis. L'alinéa 6 concerne les crimes et délits punis d'une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à un an et nous nous demandons si, en matière criminelle, la présentation au procureur de la République ne pourrait pas être maintenue, car il s'agit des infractions les plus lourdes. Pour les délits, en revanche, nous pourrions essayer de trouver un compromis. Il y a certes une contradiction à vouloir maintenir les brigades territoriales comme lieux de garde à vue. Mais il conviendrait selon moi de tenir compte de la gravité des faits incriminés ayant entraîné la garde à vue. En matière criminelle, nous pourrions peut-être faire une exception.
J'aimerais avoir l'avis du rapporteur sur cette proposition de compromis entre les deux points de vue.
Nous sommes d'accord, au groupe SRC, pour utiliser un moyen de communication audiovisuelle. Cela peut régler certains problèmes, parfois même pour le gardé à vue, dont les conditions de déplacement ne sont pas toujours simples.
Si nous pouvons accepter le moyen de communication audiovisuelle, nous devons, en revanche, faire attention à l'écrit transmis par fax. Je ne rappellerai pas un certain nombre de faits que certains d'entre vous ont largement commentés en leur temps.
Je ne sais toutefois pas ce que signifie « à titre exceptionnel ». Personne ici ne peut m'en donner une définition. Pour connaître l'évolution des instructions revues, corrigées et devenues parfois articles de loi, je ne peux que constater que ce qui est décidé « à titre exceptionnel » devient parfois habituel.
Pour suivre l'évolution des moyens, on peut opter pour celui de la communication audiovisuelle, et ce avec prudence – et je sais qu'un certain nombre de nos collègues de la majorité se sont montrés très réticents, s'agissant de l'enregistrement – mais il convient de supprimer les deux dernières phrases de l'alinéa 6.
J'apprécie ce que vient de dire Mme Lebranchu. Il n'est, en effet, pas question de refuser les moyens de communication audiovisuelle. Cela va, bien sûr, dans le sens de l'histoire et du progrès. Il n'y a absolument pas atteinte, en la matière, aux droits des individus.
Je tenais à apaiser son inquiétude quant à la définition du « titre exceptionnel ». Comment peut-on décider du caractère exceptionnel ? Nous savons qu'un contrôle juridictionnel de la garde à vue peut, bien sûr, s'opérer de façon relativement rapide a posteriori. Si aucun caractère exceptionnel n'a été relevé par la juridiction, celle-ci peut alors annuler les procès-verbaux diligentés.
Il est aussi tout à fait évident, monsieur Hunault, qu'en matière criminelle, notamment, alors que les faits sont, par définition, particulièrement graves, tout ce qui peut être effectivement analysé et risqué en termes de procédure fera l'objet d'une attention particulière, car il n'est pas question de compromettre la suite de l'affaire. Nous avons tous en tête des exemples de juridictions qui n'ont pas hésité, en cas de nécessité, à annuler des procès-verbaux et à en tirer toutes les conséquences.
Toutes les conditions sont donc remplies pour que le texte soit voté en l'état.
Je veux tenter de convaincre M. Garraud et peut-être d'autres collègues. Nous évoquons des cas lourds, et vous l'avez dit. Nous connaissons parfaitement les horaires auxquels on peut joindre un procureur pour l'interroger et éventuellement lui demander de passer quelques instants devant sa webcam.
Vous nous avez démontré que, par ces deux derniers alinéas, il sera possible d'annuler des procédures ou des procès-verbaux. Vous reconnaissez vous-même qu'il y aura un contrôle a posteriori du caractère exceptionnel :…
…verglas, neige, panne d'internet, par exemple. J'ai rappelé, hier soir, la clause de la sauvegarde humaine. Vous savez parfaitement que l'on peut toujours laisser aux policiers, en cas d'événements exceptionnels de ce type, la faculté de prendre une décision. Mais, franchement, cette fragilité n'existe pas avec les deux autres moyens. Orientons-nous vers les moyens audiovisuels et abandonnons notre bonne vieille télécopie, dont vous savez, peut-être beaucoup plus que les autres, qu'elle n'a que trop fonctionné !
Je parle sous le contrôle de Philippe Houillon, qui a présidé la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire d'Outreau.
Plusieurs députés du groupe de l'UMP. Non, il était rapporteur !
Un certain nombre d'entre nous y siégeaient. Nous savons donc parfaitement que ce dont on parle peut avoir des conséquences dramatiques. Nous sommes dans une phase fondamentale. Nous ne pouvons tout balayer d'un revers de main. Nous discutons du sujet très concret qu'est la prolongation de la garde à vue en matière criminelle. Nous devons donc écouter les arguments des uns et des autres pour trouver un juste équilibre à la loi que nous sommes en train d'écrire.
Je ne sais pas si, faute d'un amendement précis, nous pouvons reprendre la proposition de Michel Hunault, qui me paraît intéressante. Ainsi, la territorialité de nos brigades est effectivement importante en termes d'équilibre du territoire et également de proximité de la justice. Je ne sais pas si l'on pourra trancher ce soir. Mais peut-être M. le garde des sceaux pourrait-il nous apporter quelques éclairages.
Enfin, il convient de préciser que cette prolongation doit rester relativement rare. Ce n'est pas le droit commun, ce n'est nullement une obligation. Dans tous les cas, il existe évidemment un contrôle juridictionnel. Le problème est donc pesé et soupesé. Elle est peut-être, ici ou là, une cause de nullité supplémentaire, mais elle est aussi une souplesse de plus. Face à cela, nous devons faire le choix de moyens modernes, actuels, de communication, à condition de ne pas les rendre automatiques et obligatoires.
Voilà ce que votre rapporteur souhaitait ajouter.
(Les amendements identiques nos 144 et 162 ne sont pas adoptés.)
Je pense que le Gouvernement va l'accepter puisqu'il rejoint celui du rapporteur. Il est, en effet, particulièrement important de délimiter clairement et explicitement dans le texte de la loi le point de départ du délai de vingt-quatre heures de garde à vue. Il n'est pas possible de laisser aux officiers de police judiciaire la liberté de le fixer. Il convient donc d'inscrire dans la loi que ce délai court dès que la personne a été appréhendée, donc avant son placement en garde à vue. De cette façon, les personnes qui se rendent librement au commissariat et celles qui s'y rendent sur convocation peuvent être mises en garde à vue à leur arrivée s'il y a lieu.
La formule proposée par le rapporteur en commission des lois, et repoussée, prévoyait que le délai pouvait courir dès l'interpellation de la personne ou au début de son audition. Or un laps de temps de plusieurs heures peut intervenir entre l'interpellation et les premières auditions. Une telle disposition reviendrait donc à contourner la durée requise de vingt-quatre heures. Ce contournement serait d'autant plus probable que les policiers interprètent les délais et limitations de durée prévus par le code de procédure pénale de façon « maximaliste ».
Afin de lever toute ambiguïté, nous proposons cet amendement de clarification.
La parole est à Mme Marietta Karamanli, pour soutenir l'amendement n° 61 .
Il convient de prendre en compte l'évolution nécessaire et importante de la procédure pénale. Nous ne devons pas mettre à mal l'institution judiciaire, mais rendre cohérent ce qui a été voté par la commission avec les dispositions du texte.
Je ne vois pas pour quelle raison l'amendement n° 5 tomberait, monsieur le président !
L'audition libre a disparu, mon cher collègue, mais vous avez la parole.
L'amendement n° 5 a pour objet de compléter l'alinéa 7 par la phrase suivante : « Dans ce cas la durée de l'audition libre ne peut dépasser quatre heures. »
Le terme « audition libre » a un double sens. L'audition libre peut être possible après qu'une personne a été amenée sous contrainte au commissariat. Cet aspect a disparu.
Cet amendement concerne, pour sa part, le placement en garde à vue à la suite d'une audition que je qualifierai de « classique ». La personne s'est rendue spontanément au commissariat, elle est entendue et est placée en garde à vue à l'issue de son audition. Nous sommes alors bien d'accord pour que la garde à vue remonte au début de l'audition. En revanche, et un peu sur le mode de l'article 105 du CPP, je propose, par cet amendement, de limiter la durée de cette audition, considérant qu'au bout de quatre heures, il est raisonnable de penser que l'officier de police qui procède à l'audition est en mesure de savoir que des éléments vont à l'encontre de la personne entendue et qu'il peut alors la placer sous le régime protecteur de la garde à vue.
Cet amendement est le premier d'une série de trois visant à renforcer la notification des droits dont bénéficie la personne gardée à vue.
Le présent amendement tend à informer la personne gardée à vue des peines encourues.
Cela me paraît quelque peu délicat et, de ce fait, inopportun. Il peut y avoir, en cours d'audition, des requalifications. La durée de la peine peut évoluer. Cela risque d'être un élément plus perturbateur qu'éclairant.
Vous êtes un perturbateur, monsieur Brard, et mon propos est perturbant ! (Sourires.)
C'est une très belle illustration ! Mais vous avez bien fait de me reprendre ! (Sourires.)
Cet amendement me paraît ajouter plus de trouble que de clarté.
Pour les mêmes raisons que le rapporteur, je crois que cet amendement n'a pas lieu d'être et je vous demande, monsieur Likuvalu, de le retirer. Sinon, j'y serai défavorable.
Je parle sous le contrôle d'éminents juristes, mais il me semble qu'on ne peut pas voter un tel amendement car on serait obligé de déterminer l'incrimination. Et si l'on s'est trompé au départ, monsieur Likuvalu, cela entraînera-t-il une nullité complète de la garde à vue ? Il est juridiquement impossible d'obliger à préciser l'incrimination et la peine encourue puisque, par hypothèse, on est dans une phase de recherche de la vérité. Ce serait déjà considérer qu'il y a culpabilité.
Je suis saisi d'un amendement n° 52 .
La parole est à M. Apeleto Albert Likuvalu.
Je suis saisi d'un amendement n° 53 .
La parole est à M. Apeleto Albert Likuvalu.
Cet amendement vise à faire notifier à la personne gardée à vue qu'elle peut conserver certains objets intimes. La possibilité de conserver certains objets intimes est un droit nouveau introduit en commission des lois. Pour qu'il soit appliqué, il est nécessaire d'en informer la personne gardée à vue lors du début de la procédure.
Nous n'avons pas intérêt à rendre obligatoire la notification de ce droit, ce qui, honnêtement, compliquerait un peu les choses. Je propose que nous en restions là et je suis donc défavorable à cet amendement.
Monsieur le député, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement. Sinon, j'y serai défavorable.
Dans la précipitation, on a un peu escamoté l'amendement qui réclamait le droit au silence. Je sais qu'il est inscrit dans le projet de réforme mais tout dépend du moment auquel on peut le demander. Nous aurons l'occasion d'y revenir à l'occasion d'autres amendements.
Celui-ci est un amendement de bon sens, qui devrait être accepté par l'ensemble de la représentation nationale. Il se justifie par son texte même : « Si la personne ne comprend pas le français etou qu'elle ne sait ni lire ni écrire, le recours au formulaire écrit ne peut avoir lieu que pour son information immédiate en l'absence de disponibilité de l'interprète. Dès l'arrivée de l'interprète, les droits de la personne lui sont à nouveau notifiés par celui-ci afin qu'elle puisse alors demander toute précision sur les dispositions qui ne seraient pas claires pour elle. »
Défavorable car il me semble que cet amendement est déjà satisfait. L'alinéa 9 de l'article 2 prévoit en effet que la personne gardée à vue est informée de ses droits par l'officier de police judiciaire « dans une langue qu'elle comprend, le cas échéant au moyen de formulaires écrits ».
Je crois que votre amendement est satisfait, monsieur Mamère. Je vous demande donc de le retirer. Sinon, j'y suis défavorable.
L'amendement présenté par Noël Mamère ne vise pas seulement à imposer que la notification soit écrite dans une langue comprise par la personne gardée à vue. Les dispositions prévues à l'alinéa 9 s'appliquent en l'absence d'interprète ; mais, dès qu'un interprète arrive, et l'on sait malheureusement que l'on manque cruellement d'interprètes, il est précisé qu'on notifie à nouveau ses droits de manière claire à la personne gardée à vue.
Je vous propose donc, monsieur le rapporteur, d'émettre un avis favorable à ces dispositions, qui viennent non pas contredire l'alinéa 9 mais le compléter de manière très utile.
Mme Mazetier s'est exprimée très clairement en mes lieu et place. Ne vous en déplaise, monsieur le ministre, il ne s'agit pas simplement du formulaire. Dès qu'il arrive, l'interprète doit pouvoir expliquer ce formulaire à la personne car nous savons d'expérience combien il est difficile pour certains étrangers de le comprendre. Franchement, cela ne vous engage pas beaucoup d'accepter cet amendement.
Je vais soutenir cet amendement, et j'envie même M. Mamère car on nous a refusé en application de l'article 40 des amendements qui avaient des conséquences peut-être moins coûteuses…
Monsieur le garde des sceaux, nous sommes en train de garantir des droits, dans le cadre d'un équilibre que vous proposez, mais, si les personnes ne comprennent pas, cela pose une vraie question, qui n'est ni de gauche, ni de droite, ni du centre. Sur le plan pratique, il y a un problème de compréhension. Pour vous, cet amendement est satisfait par le texte mais, très concrètement, je pense qu'on pourrait le voter.
Vous avez bien compris que nous tenions à ce qu'il y ait une réelle présence de l'avocat et des droits effectifs de la défense. Il n'y a pas d'obligation de résultat à avoir un interprète si on n'en a pas un sous la main mais, s'il y en a un qui arrive, je ne vois pas à titre personnel pourquoi on ne pourrait pas adopter la disposition proposée. La commission l'avait rejetée mais elle n'avait pas eu toutes ces explications.
Je suis pour que chacun se comprenne, et que les droits que nous mettons en place soient réels. Si cet amendement doit y concourir, je ne m'y oppose pas.
(L'amendement n° 150 est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 217 .
La parole est à M. le rapporteur.
C'est un amendement de conséquence.
(L'amendement n° 217 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
La jurisprudence actuelle fixe le délai à une heure pour l'accomplissement de cette formalité. Ainsi, si la personne se voit notifier ses droits au bout d'une heure de garde à vue et demande à faire prévenir sa famille, celle-ci pourra n'être avisée qu'après un délai de quatre heures depuis le début de la garde à vue. Il convient donc de prévoir un délai de deux heures maximum pour que cette modification ne se traduise pas par un recul des droits de la personne gardée à vue.
Il s'agit donc de raccourcir le délai entre le moment où la personne est gardée à vue et le moment où on peut prévenir sa famille. Cela nous semble aller dans le sens de la garantie des droits.
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour défendre l'amendement n° 179 .
Si nous considérons qu'il est positif que la personne gardée à vue puisse désormais prévenir et son employeur et un membre de sa famille, nous souhaitons attirer l'attention sur le fait que cet article est également porteur d'un recul.
En effet, dans sa rédaction actuelle, le code de procédure pénale permet qu'un proche ou l'employeur de la personne privée de liberté soit averti dans un délai de trois heures à compter du moment où la personne a été placée en garde à vue. Or, avec cet article, ce même délai de trois heures ne sera ouvert qu'à compter du moment où la personne a formulé la demande.
Cette modification est d'autant moins justifiable et justifiée que le fait de prévenir un membre de la famille et l'employeur ne requiert aucun temps particulier. Cette formalité n'est pas susceptible de grappiller du temps de garde à vue et ne peut entraver le bon déroulement de l'enquête préliminaire. En outre, elle a un coût nul.
Comme nous le savons, il importe de rappeler ses droits à la personne gardée à vue. Sans quoi, dans l'état de stress intense et parfois de détresse psychologique qui est le sien, elle n'aura évidemment pas le réflexe d'en réclamer l'application. Ainsi, la modification subreptice de ce délai risque d'avoir pour conséquence principale l'absence de communication à l'employeur ou à un proche de la mesure de garde à vue.
Monsieur le ministre, qu'en sera-t-il des gardés à vue mineurs ? C'est une question que j'adresse également au président de la commission et au rapporteur. Devront-ils eux aussi avoir la présence d'esprit de réclamer aux officiers de police de pouvoir avertir leurs parents ou leur éventuel employeur ?
Je prends un exemple concret : dans ma bonne ville de Montreuil, un jeune de dix-sept ans a été arrêté pour avoir pris une rue en sens interdit à bicyclette. Il a été gardé presque vingt-quatre heures en garde à vue sans que la famille fût prévenue.
C'est la police nationale, monsieur Goasguen. C'est vrai que Mme Voynet ne fait pas beaucoup de choses (Rires) mais, là, on ne peut pas l'incriminer. Vous êtes injuste avec elle, il faut stigmatiser seulement quand c'est mérité, mais revenons-en au sujet.
C'est une famille d'enseignants, qui n'avait jamais imaginé qu'une telle atteinte à la liberté puisse lui tomber dessus. Pendant près de vingt-quatre heures, elle n'a pas su où était son gamin, tout cela parce qu'il avait pris une rue en sens interdit.
Puisque, visiblement, l'humeur est positive ce soir, monsieur le rapporteur, je pense que nous pourrions, par cette petite mesure, supprimer une zone d'arbitraire et faire mieux reconnaître la légitimité des mesures prises en faisant sauter ce qui est excessif.
Ce n'est pas parce que vous pouvez être parfois perturbateur et mes propos perturbants que je vais donner un avis négatif, mais c'est vraiment à partir de la demande que ce délai a du sens et, là, on perturberait un peu le jeu. J'entends bien vos arguments sur les parents mais telle n'est pas tout à fait la situation. Avis défavorable.
Même avis.
Je ne suis vraiment pas d'accord. Vous imaginez-vous, dans l'exemple que j'ai pris, l'état de prostration dans lequel ce gamin, qui n'avait jamais eu de problème, a dû se retrouver, dans une cellule de garde à vue, contexte pour le moins inhabituel pour lui et de nature à lui causer le plus grand désarroi ! Quand demandera-t-il le bénéfice de la mesure que prévoit la loi ? Il risque de ne pas le demander du tout, car on le met dans un état de culpabilité intériorisée pour un délit qu'il n'a pas commis.
Pendant ce temps, la famille se fait un sang d'encre. Monsieur le garde des sceaux, vous êtes un homme de grande expérience, car à Lyon il s'en passe aussi, n'est-ce pas ? Il se peut très bien que la famille se rende au commissariat sans y recevoir les renseignements qu'elle attend ; cela arrive !
Je vous demande donc, monsieur le rapporteur, de faire preuve de bon sens en acceptant cette mesure extrêmement simple de justice et d'humanité.
Les exemples que vous évoquez, monsieur Brard, visent les mineurs. Or la commission des lois a accepté avant-hier, au titre de l'article 88 du Règlement, un amendement n° 207 de notre collègue M. Vaxès, qui viendra en discussion à l'article 15. Les cas que vous évoquez seront couverts par cet amendement, sur lequel vous savez que l'avis de la commission est positif.
Notre collègue Jean-Pierre Brard a cité pour exemple un mineur, mais son amendement ne vise pas exclusivement les mineurs, il vise l'ensemble des personnes gardées à vue.
Ce que nous proposons est une mesure de bon sens qui doit permettre de lutter contre la tentation de l'arbitraire. Cette réforme a bien pour objectif de renforcer le retour de la justice contre certains arbitraires pratiqués par la police dans la garde à vue. Il ne s'agit pas de stigmatiser la police mais de créer un plus juste équilibre.
Ce gouvernement ne cesse d'ailleurs de nous présenter des projets qui sont, paraît-il, « équilibrés » ; c'est un leitmotiv de son langage politique. Eh bien, introduisez de l'équilibre, de la sagesse et de la protection pour ceux qui sont parfois mis en contact pour la première fois de leur vie avec la justice de cette manière : ce ne sont pas des juges qu'ils rencontrent d'abord mais des policiers, et ce dans des locaux absolument dégradés, quelquefois dans des conditions humiliantes – nous pourrions en donner des exemples pendant toute la nuit, qui serait aussi longue qu'une garde à vue ! Il est important d'accepter cette proposition allant dans le sens de la moralisation de la garde à vue et de sa civilisation.
M. Brard nous explique que la personne placée en garde à vue ne pensera pas forcément à prévenir un proche. Or ce texte introduit quelque chose de très important, qui est la notification des droits. C'est l'article 2, alinéa 13, que nous venons d'adopter.
Ce que la personne retiendra avant tout de cette notification, c'est qu'elle peut prévenir ses proches. Je pense même qu'elle le retiendra avant la possibilité d'être assistée par un avocat, que c'est la première chose à laquelle elle pensera.
Les bras m'en tombent ! Qu'un parlementaire nous explique que l'on est mieux protégé en garde à vue par un policier que par un avocat, c'est assez effrayant. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Avez-vous lu le texte ? Il dispose que la personne a le droit de prévenir sa famille dans un délai de quatre heures maximum. Savez-vous ce que peuvent représenter quatre heures de garde à vue, dans certaines situations, et dans quel état de sujétion, d'humiliation se retrouve la personne au bout de quatre heures ? C'est un état dans lequel elle n'a même plus la force d'appeler sa famille !
Nous proposons de fixer un délai maximum de deux heures, car nous savons que c'est souvent le maximum qui est utilisé plutôt que le minimum. Ce délai nous semble beaucoup plus respectueux des personnes placées en garde à vue.
Le distinguo entre mineurs et majeurs existe bien. Pour les premiers, le problème sera bientôt réglé, avec l'amendement n° 207 . Il se posera toujours le problème des personnes de dix-huit ans et quelques jours, ou même – pourquoi pas ? – de ceux qui, jouant les Tanguy, sont encore chez leurs parents à trente-cinq ans…
Pas du tout, mais vous en connaissez peut-être dans le vôtre ?
Je n'évacue pas le problème d'un revers de main, mais, juridiquement, ce distinguo existe.
Je souhaite appeler votre attention sur un autre point. Le majeur a la possibilité de prévenir la personne de son choix. C'est un droit qui me semble important. En même temps, cette personne peut aussi être un complice qui aurait toute faculté, à partir de ce message, de faire disparaître des preuves. Je soumets cet élément à votre réflexion. Nous proposons de conserver l'équilibre entre le droit de prévenir un proche et les nécessités de l'enquête.
Réduire à deux heures le délai pour prévenir sa famille ne remet pas en cause l'équilibre du texte. Notre collègue M. Brard a cité un exemple très précis.
Le rapporteur affirme que, dans le cas de mineurs, la proposition est satisfaite. Eh bien, autant voter l'amendement de M. Brard !
La dernière explication du rapporteur ne me convient pas du tout. Le temps laissé aux policiers pour prévenir la famille ou appeler un médecin n'est pas du tout lié à l'intérêt de l'enquête. C'était une demande des policiers eux-mêmes, qui souhaitaient être assurés d'avoir suffisamment de temps quand, par exemple, ils reçoivent d'un coup dix personnes pour une garde à vue.
Or le rapporteur nous annonce tout d'un coup que l'esprit de la loi change…
Laissez-moi terminer !
Vous venez d'affirmer que cela permet que la personne en garde à vue ne prévienne pas quelqu'un qui aurait le temps de dissimuler des preuves. Ce n'est pas du tout l'esprit dans lequel ce temps a été accordé ! Il s'agissait d'un raisonnement pragmatique, résultant d'une discussion avec les policiers.
Il me semble qu'une personne en garde à vue pourrait obtenir que sa famille soit prévenue dans un délai de deux heures. Il peut y avoir un enfant gardé chez une assistante maternelle, une personne que l'on devait aller chercher et qui doit être prévenue… Il ne s'agit pas d'une disposition qui vise à empêcher l'enquête, mais d'une simple mesure d'humanité.
Et si, comme cela arrive, l'appel est donné dix ou quinze minutes au-delà du délai, les policiers concernés peuvent justifier ce retard, ce qui n'a jamais posé de problème. Je pense qu'un délai de deux heures est raisonnable.
J'ajoute, à l'appui de cette argumentation, que, sauf erreur de ma part, l'article 63-2 n'est pas modifié et donc qu'est toujours prévue, au profit de l'officier de police, la possibilité de ne pas téléphoner à la famille dans le cas où il estime que cet appel nuirait à l'enquête – s'il pense, par exemple, que la famille est la receleuse des objets volés par la personne en garde à vue.
Si la famille, la concubine, l'employeur ne sont en rien impliqués dans les faits reprochés à la personne gardée à vue, il ne paraît pas impossible de les faire prévenir dans un délai de deux heures. À ma connaissance, cette mesure n'a jamais posé de difficulté majeure, ni quant à la possibilité donnée à l'officier de police de demander au procureur de ne pas faire droit à la demande de prévenir un proche, ni quant au délai, sauf les exceptions que nous a décrites M. Brard.
En ce qui concerne les mineurs, sur lesquels nous reviendrons, j'ai une suggestion toute simple. Il suffit, pour éviter les risques évoqués par le rapporteur, que ce soit l'officier de police qui, en présence du jeune, appelle la famille. Cela éviterait toute dérive.
À présent, il me semble qu'il est temps de voter sur ces amendements puisque l'on nous a promis que la situation des mineurs serait prise en considération.
(Les amendements identiques nos 155 et 179 ne sont pas adoptés.)
(L'article 3 est adopté.)
À l'article 4, je suis saisi d'un amendement n° 79 .
La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
Même avis.
Il s'agit d'un amendement concernant l'aptitude de la personne à être placée en garde à vue, c'est-à-dire son état de santé. Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, la personne doit être apte à se trouver en garde à vue, c'est-à-dire que son état de santé doit être compatible avec une telle situation. C'est pourquoi nous demandions que les constatations du médecin soient versées au dossier de procédure et formulées par écrit. La commission n'a pas accepté cette proposition. C'est pourtant une garantie supplémentaire pour la personne.
Défavorable. La formulation de 1993 ne pose pas de problème particulier. Dès lors que le droit existant ne présente aucune difficulté, je ne vois pas l'intérêt de le modifier.
Je voudrais dire à mon tour que l'amendement ne me semble pas apporter grand-chose du point de vue normatif.
Je suis d'accord avec vous, monsieur Brard, mais comme vous avez voté avec enthousiasme en 1993 la loi Sapin-Vauzelle, laquelle a créé la formulation actuelle qui donne satisfaction depuis ce temps-là, profitez de cette bonne occasion pour retirer cet amendement.
Je ne retire pas cet amendement, car l'expérience et le recul prouvent que l'on a placé en garde à vue des personnes dont la santé n'était pas compatible avec cette situation.
C'est la raison pour laquelle il est important qu'elles puissent arguer d'un certificat médical, établissant qu'il leur est impossible de subir quelques-uns des traitements dont nous avons eu connaissance, et qui étaient totalement incompatibles avec la situation de santé de ces personnes.
(L'amendement n° 156 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 28 .
La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas.
Il s'agit d'un amendement visant à simplifier la procédure, puisqu'il entend organiser la cohérence du rôle du médecin relativement, d'une part, à la garde à vue et, d'autre part, à l'enquête.
En effet, à ce jour, le médecin est requis par l'OPJ à deux titres juridiques distincts, et donc bien souvent pour des actes distincts. Il y a d'une part l'article 63-3 qui concerne la compatibilité de son état avec la garde à vue, et d'autre part l'article 60 qui concerne les autres consultations : il peut être amené à constater des traces de coups, des lésions, ou un état alcoolique, etc.
Dès l'instant où le médecin va traiter indistinctement la compatibilité de la garde à vue et « toutes consultations utiles », il faut préciser quelles sont ces consultations et permettre au médecin de recevoir un ordre, une réquisition unique et délivrer un document qui serait un certificat unique pour la garde à vue et l'enquête proprement dite, quitte à ce que l'OPJ vise à la fois l'article 60 et l'article 63-3 dans la réquisition qu'il établira.
On simplifierait ainsi la procédure. Si l'on ne précise pas ce point, on laissera le médecin introduire des éléments d'enquête aléatoires, dont lui seul apprécierait l'opportunité, dans un acte relatif à la seule garde à vue. Il faut donc que l'OPJ puisse faire de même pour garder la maîtrise de son enquête et que l'intervention du médecin recouvre clairement et simultanément les deux aspects : la garde à vue et l'enquête.
L'avocat introduit ici un élément relatif à l'acte d'enquête, ce sont les réquisitions de l'OPJ. Or, l'article traite ici d'un droit de la personne : le droit de la personne à être examinée par un médecin aux fins de constater une éventuelle inaptitude au maintien en garde à vue. Il y a donc un risque réel de confusion dans l'objet même de l'article 63-3 du code de procédure pénale, et cela me paraît totalement inopportun. Voilà pourquoi la commission a émis un avis défavorable.
(L'amendement n° 28 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)
C'est un amendement qui va dans le même sens que celui que nous avions proposé sur le délai imposé pour prévenir la famille ou les proches. Dans ce cas, il s'agit de prévenir le médecin. Vous avez d'ailleurs vu, monsieur le président, que deux des amendements suivants vont dans le sens des prescriptions de la CNDS, qui malheureusement va être supprimée dans le cadre du Défenseur des droits. En tout cas, ses prérogatives et son rôle vont être singulièrement diminués.
Le Défenseur des droits est un organe constitutionnel, c'est encore mieux !
La CNDS a déjà dit de manière très claire que le certificat médical devait avoir un caractère impératif. Nous avons eu connaissance de cas où des gardes à vue se sont prolongées malgré le certificat médical qui démontrait l'incompatibilité entre la poursuite de la garde à vue et l'état de santé de la personne, je pourrais sortir les dossiers puisque les parlementaires étaient habilités à saisir la CNDS.
Cet amendement reprend les préoccupations qu'exprimait tout à l'heure notre collègue Jean-Pierre Brard. Il importe de ne laisser courir qu'un délai maximal de deux heures entre le moment où la personne gardée à vue réclame un examen médical et la concrétisation de cette demande.
Dans le cas où la personne présente un état de santé défaillant, le délai de trois heures est disproportionné et fait courir un risque non seulement au gardé à vue, mais également aux fonctionnaires de police, dont la responsabilité pourrait être engagée en cas de grave problème de santé dû à l'absence de soins.
Cet examen médical doit être fourni avec diligence. Les personnes placées en garde à vue le sont parfois à la suite d'interpellations musclées. Elles peuvent présenter, du fait de la privation de liberté, un état de stress intense.
Comment ce texte peut-il à la fois chercher à protéger les policiers en cas de suicide d'une personne gardée à vue avec des objets intimes, en instituant une décharge de responsabilité, et augmenter largement le délai d'intervention du médecin de la garde à vue, créant ainsi une source d'insécurité juridique maximale pour les personnels des forces de l'ordre ? D'un côté, une décharge, de l'autre côté, le risque !
Comme dans le cas de la communication à l'employeur ou aux proches, le délai retenu, en effet, ne court plus à partir du moment où débute la garde à vue mais à partir du moment où la personne en fait la demande. Il s'agit d'un recul très important.
Ce délai de trois heures ne saurait se justifier par la nécessité de faire venir un médecin de nuit ou par la rareté des médecins dans certains territoires ruraux, puisque cette impossibilité manifeste est d'ores et déjà prévue comme étant une « circonstance insurmontable ».
Telles sont les motivations de cet amendement que nous proposons à l'approbation de l'Assemblée.
Le délai de trois heures reprend le droit existant, et je m'y tiendrai. J'entends les arguments avancés, qui sont proches du débat qui a précédé. Des éléments d'équilibre me paraissent importants. J'ajouterai, même si ce n'est pas réellement d'ordre juridique, qu'en pratique, les OPJ ne s'amusent pas à retarder indéfiniment le moment auquel ils vont prévenir le médecin. Ils le font le plus vite possible, et je crois qu'il n'est pas souhaitable de raccourcir ce délai qui est un délai d'équilibre.
Même avis.
Vous ne pouvez nous opposer le droit existant, puisque nous essayons justement d'améliorer tout ce qui concerne les conditions de la garde à vue.
Vous savez très bien qu'il y a malheureusement aussi des policiers qui font l'objet de plaintes pour non-assistance à personne en danger. Nous avons tous intérêt à raccourcir ce délai. Deux heures, c'est déjà beaucoup dans certains cas. Nous savons que les policiers font déjà énormément d'effort lorsqu'ils découvrent que la personne est sous insuline, par exemple ; nous avons des témoignages à ce sujet, et leur comportement est généralement intéressant.
Nous avons parlé tout à l'heure de moyens audiovisuels pour accélérer les choses ; vous savez aujourd'hui que l'on peut appeler un médecin et décrire des symptômes s'il ne peut vraiment pas venir jusqu'au commissariat ; il existe beaucoup de moyens pour aller plus vite. Deux heures, c'est un bon délai. Nous avons beaucoup regretté les trois heures en leur temps, nous avons ce soir l'occasion de porter ce délai à deux heures, et j'insiste parce que, y compris pour ce qui pourrait suivre dans la procédure, il serait intéressant de nous entendre sur ce point.
(Les amendements identiques nos 161 et 180 ne sont pas adoptés.)
Je suis saisi d'un amendement n° 78 .
La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
Il est nécessaire ici de rappeler les conditions de mise en oeuvre de l'examen médical.
Afin de respecter la dignité humaine du gardé à vue, il convient, par cet amendement, de prévoir cet examen dans un espace à l'abri du regard et de toute écoute extérieure.
Avis favorable. Cela me semble aller de soi, mais sur un sujet aussi sensible, ce qui va de soi mérite peut-être d'être écrit.
Je comprends parfaitement l'intention de M. Decool, mais je veux simplement rappeler à cet instant de nos discussions qu'il existe des cas, en raison notamment de la dangerosité de la personne placée en garde à vue, dans lesquels il n'est pas très bon de laisser celle-ci sans surveillance durant l'examen médical. C'est la raison pour laquelle je m'en remettrai à la sagesse de l'Assemblée nationale.
Le groupe socialiste est très favorable à cet amendement, ce qui me permet de faire trois observations concernant les gardes à vue.
Tout d'abord, il est important qu'il y ait le plus possible de locaux aménagés permettant des examens médicaux dans de bonnes conditions. Souvent les gardes à vue sont concentrées dans le commissariat de la ville-centre, et plus il sera possible de faire des examens médicaux dans de bonnes conditions, plus ce sera satisfaisant.
En deuxième lieu, j'appelle l'attention sur les difficultés que rencontrent les brigades de gendarmerie pour trouver des médecins disponibles, et je crois que sur ce point, il y a des efforts importants à faire.
Troisième observation, il convient d'attirer l'attention sur l'effort nécessaire pour que les examens médicaux se déroulent le plus souvent possible à l'intérieur des commissariats. Se voir transférer à l'hôpital et y attendre au service des urgences pendant des heures est très difficile à vivre pour quelqu'un qui est menotté. Qu'ils soient coupables ou innocents, il faut se pencher sur le sort des gardés à vue en général sans se soucier de leur culpabilité. Il est difficile de supporter d'être exposé devant tout le monde dans un service d'urgence où s'entassent des gens qui attendent pour être soignés.
Si l'on peut éviter ces transferts, ce sera bénéfique pour tout le monde. Bénéfique pour celui qui est gardé à vue, et bénéfique pour les équipages de police, qui perdent des heures dans les services d'urgence. Je voulais attirer votre attention sur ce sujet en profitant du fait que vous êtes, monsieur le ministre, dans un enthousiasme presque juvénile, puisque vous venez de prendre vos fonctions : si vous pouviez régler un tant soit peu ces questions-là, ce sont des heures de travail policier qui seraient récupérées, et la dignité qui serait mieux garantie pour les personnes gardées à vue.
Je comprends l'enthousiasme général du rapporteur et de tous nos collègues. Mais, monsieur le ministre, je souhaite vous interroger de façon plus générale sur les lieux de garde à vue. Nous avons des commissariats et des gendarmeries qui ne permettront pas, en pratique, de répondre à cette exigence.
Sur les lieux de garde à vue, il me semble que les textes européens indiquent qu'il y a un certain nombre de garanties à apporter, notamment en ce qui concerne l'examen médical. Nous allons voter cet amendement, mais dans la pratique, nous connaissons bien des lieux incapables de répondre aux exigences que nous votons ce soir.
Nous comprenons tous parfaitement les sentiments qui ont animé un certain nombre de nos collègues, dont M. Decool, lors du dépôt de l'amendement.
Je voudrais cependant rappeler quelques évidences. En garde à vue, il peut y avoir des gens particulièrement dangereux. Le médecin, dans l'amendement tel qu'il est rédigé, va se retrouver seul, sans aucune protection, devant un individu qui peut être très dangereux, nous le savons tous.
Malheureusement, certaines personnes sont dangereuses non seulement parce qu'elles ont commis des infractions graves, mais également parce qu'elles présentent des troubles très importants de la personnalité. Certaines pourront être par la suite déclarées irresponsables pénalement parce qu'en état de démence.
Si nous suivions à la lettre cet amendement, nous risquerions de mettre un médecin face à un individu qui peut être irresponsable et susceptible de commettre des actes d'une particulière gravité.
L'enfer peut être pavé de bonnes intentions, mais, franchement, ce serait exposer les médecins à des risques importants pour leur intégrité et risquer également des évasions.
J'ai visité le local de garde à vue du commissariat central de Nantes, prévu pour l'entretien avec l'avocat. La table est boulonnée au sol et les chaises attachées avec une chaîne suffisamment courte, pour qu'elles ne puissent pas servir de projectiles. On peut donc prendre éventuellement ce genre de précautions.
L'amendement de M. Decool énonce simplement un principe, dont l'application requiert un certain discernement. Il est évident que les examens médicaux ne seront pas faits dans un local se prêtant à l'évasion ou permettant à la personne gardée à vue, que l'on connaît peu et qui est souvent sous l'empire de l'alcool, de frapper le médecin.
La situation est d'ailleurs identique dans les services d'urgences, qui reçoivent des gens parfois extrêmement excités. Ces services doivent faire face aussi aux situations d'agitation pathologique de personnes en état de démence. Les médecins, comme les avocats, savent se prémunir contre ce type de risques.
J'ai assisté, lors de l'installation du local de garde à vue, à la discussion entre le barreau et le commissaire de police. Celui-ci estimait qu'un certain nombre de précautions étaient prises pour garantir la confidentialité de l'entretien entre l'avocat et la personne gardée à vue, même si chacun sait que cette dernière peut, dans certains cas, devenir dangereuse pour le médecin, l'avocat et les fonctionnaires de police.
Ces précautions minimales ne vont pas à l'encontre des principes rappelés par notre collègue. Il est important de rappeler qu'il ne faut pas porter atteinte à la dignité humaine et que l'examen médical doit se dérouler dans de bonnes conditions.
Compte tenu de l'urgence – parce qu'il faut parfois gérer un flux important d'entrants en garde à vue –, on ne prend pas suffisamment en compte ces considérations.
Les conditions dans lesquelles doit s'effectuer le contrôle médical répondent à un principe de bon sens. Toutefois, en adoptant l'amendement, je crains que l'annulation complète de la garde à vue puisse être encourue, si l'on parvient à prouver que toutes ces dispositions n'ont pas été respectées ou du moins garanties.
Je crains qu'on puisse ainsi faire annuler l'ensemble d'une garde à vue parce qu'il y a des cas limites, qui peuvent être discutés, où les raisons objectives de faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre sont très ténues. La validité de la garde à vue risquerait alors d'être remise en cause.
Je suis d'accord avec ce que vient de dire M. Huyghe. On peut encourir la nullité du procès-verbal et de tous les autres actes de procédure.
L'examen médical doit être pratiqué « à l'abri du regard ». Cela signifie que l'on ne pourra pas savoir ce qui se passe lors de cet examen. Si l'on prend cette disposition au pied de la lettre, le policier ne pourra même pas regarder l'examen médical en cours de réalisation. Si l'individu en garde à vue est particulièrement dangereux – et cela arrive, je pourrais citer des cas épouvantables –, cela signifie que même le policier ne pourra pas voir ce qui se passe et donc garantir la sécurité du médecin.
Vous voulez voter un texte qui ne donnera aucune garantie de sécurité aux médecins qui se déplaceront pour pratiquer un examen médical sur une personne gardée à vue, laquelle pourra être d'une particulière dangerosité.
Je ne souhaite pas retirer l'amendement, mais apporter des précisions supplémentaires.
L'amendement prévoit : « à l'abri du regard et de toute écoute extérieure » Au cas où le médecin sent un danger, il peut se faire accompagner dans un local fermé par un policier si le comportement est excessif. J'ai bien précisé dans l'amendement : « à l'abri du regard et de l'écoute extérieure ».
Le principe de dignité est important. Il fait partie des recommandations de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation de santé.
Je suis saisi d'un sous-amendement n° 234 .
La parole est à M. Claude Goasguen.
Le principe exposé par notre collègue Decool est incontournable. Il s'agit d'une mesure de bon sens.
Mais il existe une exception à ce principe : la dangerosité. À ce moment-là, le médecin peut s'y opposer. Je propose, par le sous-amendement n° 234 , d'ajouter au début de la phrase : « Sauf décision contraire du médecin, ». Celui-ci peut juger de la dangerosité du gardé à vue et refuser de pratiquer l'examen. C'est quand même sa peau qui est en cause !
Monsieur Garraud, le droit à l'examen médical dans un lieu fermé, à l'abri de tout regard extérieur, existe dans tous les hôpitaux, y compris psychiatriques, sauf si le médecin estime qu'il y a dangerosité.
Pourquoi ? Parce que la clause de sauvegarde humaine ou l'assistance à personne en danger prime sur tout. Je suis favorable au sous-amendement déposé par M. Goasguen, mais cela se passe déjà ainsi dans notre droit.
Je voudrais concilier un certain nombre d'éléments.
Le respect de la dignité me semble essentiel dans cet amendement de notre collègue Decool. Une rédaction telle que : « L'examen médical doit être pratiqué dans un lieu permettant le respect de la dignité et du secret professionnel » permettrait de trouver un consensus, car il n'y a pas d'arrière-pensées sur ce sujet.
Sagesse.
Je suis d'accord avec le sous-amendement de M. Goasguen et favorable à l'amendement.
Cependant, je pense qu'il faut préciser qu'à partir du moment où le médecin a réalisé l'examen médical, cela purge l'ensemble du processus. On ne pourra donc pas invoquer la nullité de la garde à vue si l'on considère, après cela, que les conditions n'ont pas été respectées.
Il ne faudrait pas voter ce dispositif et encourir quand même la nullité de la garde à vue.
Personne ne souhaite que le médecin se retrouve dans la fosse aux lions, car, je le répète, certaines personnes peuvent être très dangereuses.
Le droit pénal est d'interprétation stricte. Il faut donc faire attention à tous les termes. Quand M. Decool dit que son amendement concerne les regards extérieurs, ce n'est pas tout à fait exact. On lit : « à l'abri du regard et de toute écoute extérieure ». Dans le texte actuel, c'est l'écoute est extérieure, et non le regard.
Il faudrait donc corriger ainsi l'amendement n° 78 : « doit être pratiqué à l'abri du regard et de toute écoute extérieurs ». c'est-à-dire ajouter un « s » et supprimer le « e » au mot « extérieure », pour être certain que le regard ne peut être qu'extérieur. Il faut être sûr que l'on parle bien de cela et non du regard du policier qui doit exercer une surveillance, car certaines personnes sont très dangereuses.
Une précision : il n'y a pas de causes de nullité dans ce cas-là, sauf s'il y a poursuite d'une garde à vue, alors qu'un certificat médical d'incompatibilité a été établi
Il ne faut pas prévoir de système de purge des nullités, monsieur Huyghe : a contrario, cela signifierait que les autres nullités ne sont pas purgées. C'est beaucoup plus dangereux pour la sécurité des procédures. Même si cette suggestion relève de bonnes intentions, il ne faut pas recourir à un semblable dispositif.
(Le sous-amendement n° 234 est adopté.)
(L'amendement n° 78 tel qu'il vient d'être rectifié,et modifié par le sous-amendement n° 234 , est adopté.)
La commission nationale de déontologie a recommandé de préciser le caractère impératif de la délivrance du certificat médical d'incompatibilité, sous peine de poursuites et de nullité de la garde à vue, afin que l'on ne se retrouve pas dans la situation où une garde à vue est poursuivie alors même qu'un certificat d'incompatibilité a été délivré par le médecin.
L'amendement n° 163 correspond déjà à la pratique. Une circulaire d'application du code de procédure pénale le prévoit déjà sous l'article 63-3. L'amendement est donc satisfait.
La commission est défavorable à l'amendement.
Je suis saisi d'un amendement n° 80 .
La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
Cet amendement vise à rappeler solennellement la faculté de se faire assister par un avocat. Il prévoit également les cas de renoncement du gardé à vue, qui devra mentionner son choix par déclaration écrite consignée dans un procès-verbal.
M. Decool nous propose d'adopter une pétition de principe, une déclaration enflammée avec un droit « absolu ». La Convention européenne des droits de l'homme elle-même n'utilise pas de tels termes. Ne soyons pas plus royalistes que le roi. Nous sommes arrivés à un équilibre : ne le modifions pas.
Avis défavorable.
Même avis.
Je suis saisi d'un amendement n° 45 .
La parole est à M. Michel Hunault.
L'objet de ce texte est de répondre aux exigences de la Cour européenne des droits de l'homme, et du Conseil constitutionnel saisi dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité.
Nous tentons de trouver un équilibre entre la recherche de la vérité et les droits de la défense. Il est également important de parler des droits de la victime.
La commission des lois a voté une disposition qui prévoit que, dans le cadre d'une confrontation, la victime pourra être représentée et se faire entendre. L'amendement que je défends au nom de mes collègues du Nouveau Centre devrait lui permettre de se faire représenter par un avocat dans le cadre de la garde à vue.
Les députés du Nouveau Centre souhaitent que ce principe vise les victimes de crimes et de délits les plus graves – atteintes aux personnes, crimes sexuels.
Vous prévoyez une confrontation au bout d'un certain délai au cours de laquelle la victime pourra être assistée d'un avocat. Dans le cadre de la garde à vue, nous proposons que la victime puisse bénéficier de cette même faculté.
Je suis sensible aux droits de la victime, monsieur Hunault, d'autant que j'ai, au nom de la commission, proposé un amendement – article 7 bis nouveau – visant, pour des raisons d'équilibre, à permettre à la victime d'être assistée par un avocat si elle est confrontée avec une personne gardée à vue, elle-même assistée d'un avocat.
Dans le cadre de l'audience, cette représentation est prévue. Mais au stade de l'enquête, il me paraît important que l'officier de police judiciaire, que les enquêteurs puissent entendre directement la victime. Un avocat, aussi brillant soit-il, n'est pas forcément à même de faire passer les sentiments et le vécu de la victime.
Pour des raisons pratiques et de fond, retenir votre proposition serait une erreur. Je suis favorable à la présence de l'avocat, mais défavorable à la représentation par un avocat à ce stade.
Je partage l'avis du rapporteur. Il est tout à fait normal que la victime soit assistée d'un avocat en cas de confrontation. C'est une règle d'équilibre entre les parties. La personne mise en garde à vue doit pouvoir bénéficier de l'assistance d'un avocat. La victime – qui peut se sentir seule, démunie – doit donc elle aussi pouvoir se faire assister d'un avocat. Quant à la représentation, c'est tout autre chose. Il ne semble pas que l'on puisse aller jusque-là car cela serait contraire aux exigences constitutionnelles et conventionnelles d'équilibre des procédures.
Je vous demande donc, monsieur Hunault, de bien vouloir retirer votre amendement.
(L'amendement n° 45 est retiré.)
Si l'avocat désigné est indisponible, la responsabilité d'organiser son remplacement et de lui transmettre l'information doit incomber au bâtonnier, déchargeant ainsi l'OPJ de toute responsabilité dans ce domaine.
L'idée est intéressante. Cela dit, votre amendement est satisfait par l'article 7. Le délai de carence des deux heures court à partir de la demande d'assistance de l'officier de police judiciaire au bâtonnier.
C'est à la profession de s'organiser. Il ne nous revient pas de nous immiscer dans leur organisation.
Cela pourrait nous être reproché, le sujet étant sensible.
L'article 7 satisfait cet amendement, qui a été repoussé par la commission.
(L'amendement n° 29 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Cet amendement vise à régler des conflits d'intérêts.
Dans les affaires mettant en cause plusieurs personnes, il est nécessaire d'éviter que des personnes dont les intérêts seraient en conflit soient assistées par le même avocat.
L'article 7 du décret du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat prévoit déjà que « L'avocat ne peut être ni le conseil ni le représentant ou le défenseur de plus d'un client dans une même affaire s'il y a conflit entre les intérêts de ses clients ou, sauf accord des parties, s'il existe un risque sérieux d'un tel conflit ». Cependant, compte tenu des nouvelles prérogatives de l'avocat dans le cadre de la garde à vue – consultation des PV d'audition, présence aux auditions, possibilité de poser des questions –, il paraît nécessaire d'élever cette règle de déontologie au niveau législatif ainsi que, dans un souci de bonne administration de la justice, de prévoir un mécanisme de prévention de ces conflits.
C'est pourquoi le présent amendement prévoit la possibilité pour l'OPJ, qui estimerait qu'il existe un risque de conflit entre les intérêts de plusieurs personnes placées en garde à vue dans une enquête et pour lesquelles a été désigné le même défenseur, de saisir le procureur de la République afin que celui-ci informe le bâtonnier de cette situation.
C'est alors au bâtonnier qu'il reviendra d'apprécier si un tel conflit ou risque sérieux de conflit entre les intérêts des personnes placées en garde à vue existe effectivement. Dans ce cas, il en informera le procureur de la République. La personne placée en garde à vue ayant demandé en deuxième lieu l'assistance de l'avocat devra alors désigner un autre avocat pour l'assister au cours de la mesure ou, si elle n'est pas en mesure d'en désigner un ou si l'avocat choisi ne peut être contacté, demander qu'il lui en soit commis un d'office par le bâtonnier.
C'est une règle de déontologie qui existe aujourd'hui. Il s'agit de l'élever au plan législatif pour traiter la question des conflits d'intérêts, qui est primordiale.
Avis favorable à l'amendement 95 du rapporteur.
J'ai du mal, monsieur le rapporteur, à comprendre la logique de votre raisonnement. Vous venez de répondre à M. Urvoas qu'il faut laisser aux barreaux la liberté de s'organiser. Et dès l'amendement suivant, vous proposez que l'officier de police judiciaire appelle le bâtonnier afin qu'il désigne non un, mais plusieurs avocats, s'il estime qu'il y a risque de conflit…
Cette réforme nécessitera des moyens importants, M. le garde des sceaux l'a reconnu. Elle posera des questions d'organisation aux barreaux. La sagesse voudrait que l'on laisse les barreaux s'organiser. Faisons-leur confiance. Lorsque vous serez à plus d'une heure du chef-lieu d'arrondissement – n'oubliez pas que nous avons voté une carte judiciaire avec des barreaux souvent concentrés dans le chef-lieu du département –, vous aurez déjà bien du mal à trouver, parfois en pleine nuit, un avocat qui se déplacera pour assurer une présence au moment de la garde à vue. Et en cas de conflits d'intérêts, il faudrait alors trouver deux ou trois avocats !
Je comprends le souci du rapporteur, mais j'aurais tendance à dire – et nous sommes un certain nombre à bien connaître cette profession – qu'il faut laisser les barreaux s'organiser. Nous risquons avec un tel amendement de créer une usine à gaz.
Nous ne sommes pas dans la situation de l'amendement précédent, mais dans le cas d'un conflit d'intérêts, sujet particulièrement grave.
On risque d'ouvrir une boîte de Pandore, concernant les conflits d'intérêts... (Sourires )
Nous avons fait un tour d'Europe pour voir ce qui se passe ailleurs : dans vingt-deux pays, les règles de prévention des conflits d'intérêts sont fixées, et pas uniquement par le code de déontologie.
Le code de déontologie fixe certes un certain nombre de règles. Il existe également un code de déontologie des barreaux européens qui précise que l'avocat ne doit être ni le conseil ni le représentant ou le défenseur de plus d'un client dans une même affaire s'il y a conflit entre les intérêts de ces clients ou un risque sérieux d'un tel conflit. Mais il me semble que nous avons intérêt à élever cette règle au niveau législatif afin que les choses soient claires.
Il n'est pas question de brimer quiconque, ni de casser quoi que ce soit. Puisque la règle est évidente et qu'elle doit déjà être appliquée, élevons-la au niveau législatif pour éviter tout malentendu.
M. Goasguen et M. Hunault ont parlé d'« usine à gaz ». Je partage plutôt cette appréciation.
Au demeurant, je pense que cet amendement est totalement inutile pour les raisons mêmes que le rapporteur vient d'exposer.
Il y a un code de déontologie, c'est vrai. Je lui rappelle que ce code résulte de la loi.
C'est la loi qui fixe les règles. Elle est complétée par des règlements intérieurs et par une jurisprudence des cours d'appel qui statuent sur un certain nombre d'affaires ayant trait à la déontologie. Mais il est certain que la question des contradictions d'intérêts doit être laissée à l'appréciation de l'avocat qui intervient et qui appréciera l'application des règles de déontologie, lesquelles sont sanctionnées par des règles existantes.
J'ajoute qu'une fois encore vous transférez – on le verra avec les articles suivants – sur la partie poursuivante le soin d'apprécier s'il y a ou non contradiction d'intérêts. Cela, ce n'est pas possible.
Ce n'est pas au procureur de la République d'apprécier s'il y a, oui ou non, contradiction d'intérêts et de dire s'il faut en tirer les conséquences. C'est impossible et totalement inutile.
En revanche, ce que souhaite probablement le rapporteur, c'est une information pratique. Au moment où l'OPJ saisira soit l'avocat choisi, soit le bâtonnier afin qu'il désigne un avocat, il connaîtra le dossier, ou du moins son début, ce qui ne sera pas le cas du bâtonnier ou de l'avocat. Dès lors, une information peut être transmise de manière totalement informelle : « Attention, il me semble qu'il faut peut-être prévoir plusieurs avocats », etc.
Mais ne légiférons pas sur un dispositif déjà en vigueur, ne bousculons pas les équilibres existants. Il ne peut s'agir, je le répète, que de fournir une information pratique, ce qui est pertinent à condition que cela se fasse de manière informelle.
Afin d'éviter toute ambiguïté, et pour que l'on ne se méprenne pas quant au dispositif, je renvoie à l'alinéa 3 de l'article 63-2 tel que rédigé ici : c'est au bâtonnier, certes saisi par le procureur, …
… d'estimer s'il y a ou non conflit d'intérêts. Nous sommes tout à fait dans le cadre habituel du travail ordinal,…
… à ceci près que le procureur saisit le bâtonnier ; mais, je le répète, c'est à celui-ci qu'il appartient ensuite d'estimer s'il y a conflit d'intérêts.
Monsieur le rapporteur, je partage le point de vue de M. Houillon.
J'y ajouterai une observation. Nous introduisons de nombreux changements dans le déroulement de la garde à vue ; nous devons veiller à ce que le dispositif que nous allons voter soit praticable. Or, ici, on complique la situation : on veut faire jouer à l'OPJ et au parquet un rôle qui, à mon avis, n'est pas le leur ; on introduit une confusion des rôles.
On crée ainsi un dispositif très hybride, dont je ne comprends pas la logique. Puisque nous donnons aux gardés à vue un droit nouveau, à eux de l'exercer le mieux possible.
J'ajoute que l'alinéa 3, que vous venez d'évoquer, est impraticable. Par définition, le bâtonnier ne connaît pas l'affaire, puisque l'on est au début de l'enquête. Que voulez-vous qu'il dise d'un éventuel conflit entre les intérêts des personnes en cause ?
Il arrive ce que je craignais : alors que notre position était à l'origine plutôt tranchée, nous sommes maintenant hésitants.
Il me semble qu'il faut raisonner de manière pragmatique. Sans faire injure à la profession d'avocat, que je connais bien et que je suis enclin à défendre, comme vous le savez, reconnaissons que les conflits d'intérêts représentent une difficulté : on a toujours, pour sa part, l'intime conviction de ne pas y être exposé et de pouvoir défendre un, plus un, plus deux clients !
Une autorité déontologique est donc nécessaire, et vous avez rappelé les principes qui s'appliquent en la matière, lesquels nous interdisent d'accepter plusieurs dossiers si cela risque de nous exposer à un conflit d'intérêts.
Pour en revenir à l'amendement, il y a une hiérarchie : mon collègue Houillon vient de le dire, l'OPJ, qui connaît le dossier, s'aperçoit qu'il risque d'y avoir un problème ; il en informe le procureur, lequel en informe le bâtonnier. On respecte ainsi le principe déontologique comme les règles ordinales de notre profession, et il revient au bâtonnier…
… non de trancher le litige, qui n'existe pas encore, mais de le prévenir.
Le bâtonnier devra donc, en effet, connaître un peu le dossier, et il déterminera s'il existe un risque de conflit d'intérêts, auquel cas il désignera plusieurs avocats.
Ce pragmatisme me convient. En définitive, on laisse la profession résoudre elle-même le conflit à venir.
Alors qu'il s'agit d'affaires déjà complexes, vous êtes en train de créer des complications incroyables.
Détaillons la situation. Il y a plusieurs prévenus ou suspects. L'OPJ pense qu'il va y avoir un conflit d'intérêts. Voilà qui est intéressant : c'est l'OPJ qui le pense.
On n'a pas demandé au suspect ce qu'il en pensait ; or c'est tout de même lui, la principale victime du conflit d'intérêts éventuel !
Il n'acceptera pas facilement de se retrouver dans la nasse si son petit camarade décide de lui faire porter le chapeau…
… ou si l'avocat de son petit camarade, qui est aussi le sien, décide de lui faire porter le chapeau – sauf exception, s'il est masochiste, ou bien s'il est mafieux, ce qui n'est pas impossible !
À Montreuil aussi : demandez à votre copine Mme Voynet ! (Sourires.)
Dans ces conditions, donc, le suspect lui-même va réagir. Vous, vous laissez l'OPJ dire, dans un premier temps, qu'il ne sent pas bien l'affaire, qu'il pense qu'il va y avoir un conflit d'intérêts. Il appelle alors au téléphone le procureur – qui est débordé, et tout cela se passe au milieu de la nuit – et lui dit : « Monsieur le procureur, je sens qu'il va y avoir un conflit d'intérêts. » Le procureur ne sait pas trop sur quoi, d'ailleurs, car tout cela se passe par téléphone et l'OPJ lui résume l'affaire de manière un peu elliptique. (Sourires.)
Après quoi le procureur, qui a entendu une version un peu elliptique du dossier, appelle le bâtonnier – en pleine nuit : il va être ravi, le bâtonnier ! (Sourires.)
Et il lui donne une version encore plus elliptique, lui expliquant qu'il est possible qu'il y ait un conflit d'intérêts dans cette affaire qu'il ne connaît pas très bien, car l'OPJ a été assez rapide, et qu'il lui demande donc de dire qu'il y a conflit d'intérêts.
Et le bâtonnier, qui ne sait pas exactement de quelle affaire il s'agit, va prendre le risque d'appeler l'avocat pour lui dire : « Mon cher ami, il y a un conflit d'intérêts, dégagez la piste ! » (Rires.) Je peux vous dire qu'il va faire très chaud dans le barreau le lendemain matin !
Vous remettez en cause la définition même du barreau comme auxiliaire de justice. Car l'avocat, ne l'oublions pas, est bien un auxiliaire de justice ; on a dit que le procureur défendait les libertés, mais c'est aussi le cas de l'avocat. Vous passez en outre sous silence le fait qu'il faut donner la priorité au suspect.
En somme, vous êtes en train de créer une situation impensable. Tout cela est déjà suffisamment complexe ; je vous en prie, essayez de faire confiance au bon sens et à la régularité de la procédure ! Mieux vaut réfléchir encore et peut-être, cher rapporteur, retirer cet amendement qui ne fait que compliquer la situation.
Je souhaite appeler l'attention sur un aspect du problème qui peut être très lourd de conséquences.
Il me semble en effet qu'il y a un véritable vide juridique dans le cas, très fréquent, que je vais évoquer. Ma question est très simple : sans même aller jusqu'au conflit d'intérêts, que fait-on lorsque quatre, cinq ou six personnes placées simultanément en garde à vue – par exemple dans une affaire de trafic de stupéfiants – demandent le même avocat ?
Exactement !
Comment, avec le même avocat, procédera-t-on aux auditions ? C'est impossible !
Il faudra attendre qu'une première audition soit terminée pour commencer la deuxième, avec le même avocat, et ainsi de suite jusqu'à la sixième audition. Mais alors il n'y aura plus de garde à vue, tout sera terminé !
La garde à vue se résumera donc à quatre ou cinq auditions, et il n'y aura aucune manifestation de la vérité, …
Tout à fait !
Je vous avertis : en l'état, le cas des auditions simultanées n'est pas prévu par le texte. Sans même aller jusqu'au conflit d'intérêts, il faudra donc trouver une solution permettant d'entendre simultanément plusieurs suspects. Et ce n'est pas une hypothèse d'école.
S'il y a conflit d'intérêts, c'est autre chose. Personnellement, je pense qu'il faut effectivement demander alors au bâtonnier de désigner d'autres avocats afin de sortir de ce conflit. Mais, je le répète, c'est un autre problème.
Encore une fois, j'appelle l'attention sur le vide juridique qui prévaut dans le cas des auditions simultanées.
Si l'on réduit les gardes à vue à une succession d'auditions sans aucune autre investigation, il n'y a plus d'enquête, et l'on ne contribuera pas à la manifestation de la vérité. C'est un véritable problème, un problème important, monsieur le ministre.
J'avais justement demandé la parole pour évoquer l'hypothèse dont M. Garraud vient de faire état.
Deux questions se posent,…
… très différentes, et qui ne peuvent pas nécessairement être résolues de la même manière.
D'abord, la question des conflits d'intérêts, à laquelle le rapporteur apporte une solution que l'on peut discuter – et c'est ce qui se passe.
Ensuite, l'hypothèse selon laquelle plusieurs personnes placées en garde à vue choisissent le même avocat. Cela peut, à l'évidence, poser plusieurs problèmes. Ainsi, l'avocat qui aura assisté à l'audition de la première saura donc ce qu'elle a dit au moment où l'on interrogera la deuxième, dont il sera également le conseil. D'autres problèmes pourront se poser lors de la confrontation.
Je ne suis pas certain que nous puissions résoudre cette affaire ce soir, car cela suppose sans doute un travail technique. Ainsi, on pourrait dire, de manière simpliste, qu'il doit y avoir un avocat par personne placée en garde à vue ; mais on remettrait alors en cause un autre principe, celui du libre choix de l'avocat. J'en ai parfaitement conscience.
Si j'évoque ces questions devant vous, c'est parce qu'il s'agit de véritables problèmes, que nous ne sommes peut-être pas en mesure de résoudre immédiatement. C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles je n'ai pas demandé que l'on engage la procédure accélérée, en sorte qu'il y ait une lecture au Sénat, une seconde lecture à l'Assemblée et une autre au Sénat, avant une éventuelle CMP.
Ce problème est différent de celui du conflit d'intérêts. Mais il n'en s'agit pas moins d'un véritable problème, que l'on ne peut laisser en suspens.
Je le répète, peut-être n'avons-nous pas les moyens techniques de le résoudre ce soir. Nous aurons à y travailler au cours des multiples navettes qui sont prévues. Mais je tenais à saisir l'Assemblée nationale de cette question.
Je rejoins l'argumentation de M. Garraud.
Je reconnais que notre collègue Goasguen a fait preuve d'un grand talent en narrant de manière rocambolesque la façon dont les choses pourraient se passer. (Sourires.) Mais, à l'argument selon lequel le bâtonnier ne connaît pas l'affaire, je répondrai que rien ne l'empêche de prendre contact avec l'avocat…
… pour lui demander des éclaircissements sur sa situation exacte et vérifier avec lui s'il y a ou non conflit d'intérêts.
En définitive, on laisse la balle dans le camp des avocats : à eux de faire ce choix.
Cet amendement me paraît donc équilibré. Peut-être mérite-t-il d'être amélioré dans le cadre de la navette parlementaire. Mais je suggère que nous le votions, puisqu'il pose véritablement le problème.
Je juge moi aussi l'amendement équilibré. Les arguments de M. Garraud m'ont convaincu.
La déontologie était adaptée à une période caractérisée par une certaine lenteur, à une époque où l'on avait du temps. Les problèmes de déontologie étaient résolus devant le juge d'instruction ; en cas de difficultés, celui-ci renvoyait l'affaire et l'on avait le temps de résoudre le conflit d'intérêts ou de trouver plusieurs avocats.
Ici, nous sommes confrontés à deux problèmes qui, effectivement, ne sont pas exactement semblables : l'audition simultanée, d'une part ; le conflit d'intérêts, de l'autre.
Si nous n'adoptons pas le dispositif proposé par le rapporteur – qui est sans doute perfectible –, on considérera systématiquement que, s'il y a plusieurs personnes mises en cause, il faut plusieurs avocats. Or, dans certains cas, on aura beaucoup de mal à les trouver.
Adoptons donc un système qui permet de résoudre en partie le problème ; un système un peu souple, qui, certes, redonne du pouvoir à l'OPJ au détriment de la profession, mais constitue peut-être le moins mauvais des systèmes. Dans le cas contraire, les barreaux seront obligés de fournir autant d'avocats que de personnes mises en cause ; or ils ne le pourront pas,…
… si bien que toute la procédure sera paralysée.
J'ai bien conscience des imperfections du système et du fait qu'il heurte quelque peu la tradition professionnelle des avocats. Mais si nous ne l'adoptons pas, nous nous exposons à des conséquences beaucoup plus brutales et beaucoup plus difficiles à supporter.
Pour compléter les propos de Sébastien Huyghe, je dirai que nous avons tous bien compris que le règlement des conflits d'intérêts constituait une difficulté. Je ne fais là aucun procès d'intention. Je rappelle que nos voisins européens ont trouvé des solutions, et ce ne sont pas des pays moins démocratiques que le nôtre : l'Allemagne a recours à une règle de portée générale qui figure à la section 146 du code de procédure criminelle, donc d'ordre législatif ; la loi et uniquement la loi prévoit ces cas en Autriche et en Hongrie, la loi et les règles de déontologie en Norvège. Nous avons d'autres exemples où il en va de même.
Pour traiter de ce point important, nous avons du temps devant nous. Nous pouvons voter cet amendement en l'état. Le Sénat pourra ensuite améliorer sa rédaction. Il pointe une difficulté. Peut-être la réponse doit-elle être adaptée, je ne cherche pas à m'entêter. Cela nous permettra en tout cas de travailler sur ce sujet.
Plusieurs orateurs, dont certains se sont déjà exprimés, demandent la parole. Essayons tout de même ne pas trop tourner en rond, mes chers collègues.
Monsieur le président, je vais m'efforcer, comme vous nous y invitez, de ne pas tourner en rond.
Le débat sur l'amendement n° 95 nous a donné l'occasion d'aborder des sujets différents. Initialement, notre débat portait sur les conflits d'intérêts. M. Garraud a ensuite fait une judicieuse intervention sur la simultanéité des auditions et le libre choix des avocats, à laquelle vous venez de répondre, monsieur le garde des sceaux. Il s'agit de questions très importantes.
Je vous proposerai, dans l'esprit de ce que j'ai dit tout à l'heure, de laisser les barreaux s'organiser pour atteindre des objectifs que nous, législateurs, pourrions leur fixer comme la nécessité pour l'avocat de prendre en compte la simultanéité des auditions – c'est un cas fréquent – et d'éviter les conflits d'intérêts.
Vous parlez, monsieur le garde des sceaux, du libre choix des avocats. Mais concrètement, comme les choses se passent-elles ? Les grands barreaux organisent des permanences pour assurer la présence des avocats lors des gardes à vue. De fait, la personne placée en garde à vue ne dispose pas d'une liberté de choix. Le bâtonnier met en place un tour de garde, pratique qui va être confortée par le fait que la présence de l'avocat sera désormais obligatoire dès la première heure.
Pour bien légiférer, nous aurions intérêt à ne pas voter cet amendement plutôt que de le voir repoussé par le Sénat.
En revanche, si le rapporteur l'acceptait, nous pourrions nous accorder ce soir pour dire que la présence de l'avocat devra être organisée par les barreaux de manière à assurer la simultanéité des auditions et éviter les conflits d'intérêts.
Vouloir par un amendement répondre par avance à ces problèmes d'organisation, c'est s'immiscer dans les conflits d'intérêts que les avocats pourraient connaître. Nous-mêmes, législateurs, avons créé une commission sous l'autorité du président de notre assemblée pour améliorer notre fonctionnement interne. N'allons pas dire aux avocats comment s'organiser pour éviter les conflits d'intérêts.
La prudence incite à ne pas voter cet amendement.
Monsieur le président, ne confondons pas les deux sujets, celui abordé dans l'amendement de M. le rapporteur et celui abordé par M. Garraud, qui ne manque d'ailleurs pas de pertinence.
Ensuite, s'agissant du principe du libre choix de l'avocat, comme M. le garde des sceaux l'a rappelé, toute personne a le droit de choisir l'avocat qu'elle souhaite et, à défaut, de recevoir l'assistance d'un avocat commis d'office. Nous ne pouvons balayer ce principe d'un revers de main.
Enfin, nous avons une législation, que vous qualifiez à juste titre de déontologique, qui interdit à un avocat d'intervenir en cas de conflit d'intérêts.
Toutefois, c'est l'avocat qui en est juge. Il ne va pas appeler le bâtonnier pour savoir s'il peut ou non agir. Le bâtonnier, quant à lui, intervient soit pour sanctionner, au cas où les règles professionnelles de déontologie n'ont pas été respectées, soit pour donner un conseil s'il est sollicité. Voilà, concrètement, comme les choses se passent.
On ne peut confier à quelqu'un d'autre le soin d'apprécier l'existence ou non d'un conflit d'intérêts. Je rejoins M. Hunault sur ce point. À partir du moment où le rapporteur lui-même dit que la rédaction de son amendement n'est pas parfaite et que la navette donnera l'occasion d'y retravailler,…
…ne votons pas cet amendement et revenons-y.
La question des auditions simultanées devra elle aussi être traitée. On ne peut certainement pas la résoudre ce soir parce qu'elle est compliquée.
J'irai dans le même sens. Demain matin, alors que nous reviendrons sur ce sujet, nous pourrions avoir une proposition, monsieur le ministre, sur la simultanéité des auditions, qui pose un véritable problème.
Il est tout de même clair qu'il n'est pas possible d'interroger en même temps quatre suspects. Une solution doit être trouvée.
De manière générale, attention à l'article 5 ! Ce que le rapporteur propose à travers l'amendement n° 95 est catastrophique. D'abord, il est inapplicable. Ensuite, il laisse croire que les avocats vont s'amuser, en toute conscience, à se rendre coupable d'un conflit d'intérêt et que les magistrats ne s'apercevront de rien. Quelle confiance vous leur faites ! Le travail d'un magistrat ne consiste-t-il pas entre autres à prendre rapidement conscience du fait qu'un avocat est soumis à un conflit d'intérêts ? L'avocat pourrait être non seulement condamné par le bâtonnier mais risquerait aussi de mettre toute la procédure par terre.
En outre, monsieur le rapporteur, même si je n'ai pas pu le vérifier, j'affirme de manière formelle qu'il n'y a nulle part dans le droit européen de régulation opérée par un officier de police judiciaire en matière de choix de l'avocat. J'ai assisté à plusieurs congrès européens des barreaux, jamais je n'ai entendu dire que les avocats se soumettaient au choix édicté par les officiers de police judiciaire. C'est impensable dans quelque pays européen que ce soit, Belgique mise à part. Une telle mesure serait en effet incompatible avec les fonctions mêmes d'avocat.
Je vous demande donc de ne pas voter cet amendement.
Je prends acte ce soir du fait que le problème des auditions simultanées n'est pas réglé. Le texte, en l'état, n'apporte pas de solution à cette question, qui est essentielle car il ne s'agit pas d'une hypothèse d'école mais d'une situation très fréquente.
On ne pourra sortir de ces difficultés qu'en désignant, d'une façon qu'il reste à définir, un avocat différent pour chacune des personnes gardées à vue. Sinon, la garde à vue se résumera à une succession d'auditions qui n'auront aucun d'intérêt et qui épuiseront le délai de garde à vue, ce qui empêchera de parvenir à la manifestation de la vérité.
Cela dit, je compte sur la navette pour que nous trouvions une solution qui, en l'état actuel des choses, n'est pas facile à établir. Elle impose à mon sens un avocat différent pour chacune des personnes.
Un deuxième problème se pose, celui du conflit d'intérêts. L'amendement du rapporteur ne concerne du reste que le conflit d'intérêts.
Très juste.
Il ne pose pas la question du problème des auditions simultanées.
De plus, la rédaction de son dernier paragraphe est assez lourde et compliquée. Je préfère la rédaction de l'amendement n° 85 qui a le mérite de régler à la fois le problème des auditions simultanées et celui du conflit d'intérêts : « Si l'avocat désigné assiste déjà une autre personne concomitamment gardée à vue dans la même enquête et que cette situation est susceptible de nuire au bon déroulement des investigations ou de rendre impossible l'audition simultanée de plusieurs suspects, le procureur de la République, d'office ou saisi par l'officier de police judiciaire ou l'agent de police judiciaire, peut demander au bâtonnier de désigner un autre défenseur ».
J'estime que cet amendement n° 85 est de meilleure facture que l'amendement présenté par le rapporteur, dont la rédaction est un peu lourde et qui ne concerne que le conflit d'intérêts.
Je me rallie volontiers à amendement n° 85 , qui permettra d'ouvrir la question du conflit d'intérêts.
À ce moment de notre débat, je voudrais essayer de bien préciser les choses.
Il va être difficile de faire la clarté à cette heure avancée de la nuit !
C'est pour cette raison qu'il nous faut être attentifs si nous voulons que la vérité se manifeste, comme on dit.
M. Brard est devenu un peu malheureux à Montreuil et il se sent faible le soir. Nous comprenons sa situation, qui est digne de compassion. (Sourires.)
Revenons aux trois amendements en discussion commune : le premier, qui émane du rapporteur, concerne uniquement les conflits d'intérêts ; le deuxième, signé par M. Ciotti et d'autres membres du groupe UMP mais qui n'a pas été défendu, traite et du conflit d'intérêts et des audiences simultanées ; le troisième, défendu par M. Bodin, traite uniquement de la simultanéité des audiences et des problèmes que cela peut poser aux avocats.
Pourquoi le Gouvernement ne proposerait-il pas un amendement demain matin ?
Parce que nous sommes ce soir ! (Rires sur tous les bancs.) Il faut avancer, monsieur Goasguen, et prendre les choses les unes après les autres.
Ce soir, compte tenu du point où nous en sommes arrivés dans ce débat passionnant, je suis prêt, pour marquer une étape qui nous permettra de faire des avancées au Sénat et en deuxième lecture ici, à me rallier aux propositions contenues dans l'amendement n° 85 .
Je ne partage pas ce qui a été dit sur l'absence de conflit d'intérêts en cas d'audition simultanée de différents mis en cause. À quel titre l'avocat choisirait-il d'assister l'un des mis en cause plutôt qu'un autre ? Pour moi, il y a là un véritable conflit d'intérêts.
Quant à l'amendement n° 85 , il pose tout de même un petit problème, car le bâtonnier est tenu de désigner un autre défenseur. L'idéal serait de mixer les amendements nos 95 et 85 de façon à pouvoir saisir le bâtonnier, qui agirait s'il estime qu'il y a conflit d'intérêts.
Prochaine séance, jeudi 20 janvier à neuf heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi relatif à la garde à vue.
La séance est levée.
(La séance est levée, le jeudi 20 janvier 2011, à une heure.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma