La question est envisagée ici de façon assez théorique. Nous avons affirmé le pouvoir de contrôle du juge des libertés et de la détention sans pour autant lui en attribuer les moyens. Le principe est posé, mais il ne trouve pas de traduction pratique.
Nous nous situons ici au coeur des difficultés que présente le texte. Synthétiquement, il serait souhaitable d'adopter la position suivante : le procureur doit être à même d'exercer la direction de la garde à vue et donc d'être à même, au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, de se prononcer sur la prolongation de ladite garde à vue.
J'ai déposé plusieurs amendements visant à faire de cette prolongation la prérogative du juge des libertés et de la détention, cela par précaution, dans l'éventualité d'une évolution de la jurisprudence de la CEDH. Je sais qu'il est en pratique plus facile d'organiser une prolongation via le procureur que par le biais du juge des libertés et de la détention. Les procureurs et les parquets ont su mettre en place une permanence pénale au prix d'efforts très importants. Cette permanence ne parvient pas à assurer un service vingt-quatre heures sur vingt-quatre, mais quinze, voire dix-sept heures par jour, et elle se révèle relativement efficace. Il conviendrait néanmoins de se prémunir de toute difficulté à venir et de confier la prolongation de la garde à vue au juge des libertés et de la détention.
Par ailleurs, il serait raisonnable de donner la possibilité d'écarter la présence de l'avocat pendant douze heures non au procureur – comme le prévoient d'autres dispositions du texte – mais au juge des libertés et de la détention. Indépendamment du statut du procureur, de la question de savoir s'il est ou non une autorité judiciaire, des modalités de sa nomination – je vous fais grâce de l'argumentation que nous avons déjà présentée, et je n'insisterai pas sur la nécessaire évaluation du procureur –, il est une autorité poursuivante. J'ai bien entendu les explications de M. Garraud et bien compris que le procureur est une autorité poursuivante d'un genre un peu particulier. Néanmoins, au regard de sa jurisprudence, cette particularité ne sautera pas aux yeux de la CEDH, si je puis m'exprimer de la sorte.
Par conséquent, si je comprends qu'on veuille conserver cette spécificité de la procédure française, il n'en convient pas moins de se conformer à la décision de la CEDH selon laquelle seul le juge des libertés et de la détention peut porter atteinte aux droits de l'autre partie.
Formulée ainsi, cette idée est certes de nature à blesser la sensibilité des parquetiers, qui s'estiment d'un genre différent des autres parties. Je ne vise pas particulièrement à blesser la sensibilité des parquetiers, mais il faut prendre en compte la difficulté selon laquelle il n'est pas possible d'admettre que l'atteinte portée aux droits de la partie poursuivie peut être le fait de la partie poursuivante. Nous ne pouvons pas envisager les choses d'une autre manière.
Quand bien même il serait possible de prévoir un moratoire et d'envoyer un signe à l'adresse de la CEDH, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation en faisant valoir que nous avons besoin d'un délai pour mettre ce dispositif en place, le juge des libertés et de la détention ne pouvant être opératoire avant trois ou cinq ans, le temps de réunir les fonds nécessaires, il serait opportun de prévoir une saisine spontanée du Conseil constitutionnel de façon à valider le texte. Il est en effet insupportable pour les policiers et pour les procureurs de se demander si la procédure telle qu'ils l'appliquent peut être tout à coup annulée, avec toutes les conséquences qu'une telle annulation aurait sur les procédures en cours, par une décision de la CEDH qui considérerait que, malgré nos efforts, le texte ne serait pas conforme à la Constitution ou à la Convention européenne des droits de l'homme.