La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet (nos 1831, 1841).
Madame la ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, monsieur le ministre de la culture et de la communication, mes chers collègues, avant d'entrer dans le vif du sujet, j'accueille en votre nom à tous Mme Edwige Antier, députée de la quatrième circonscription de Paris, qui siège pour la première fois, en remplacement de notre ancien collègue M. Pierre Lellouche, qui est entré au Gouvernement. (Applaudissements.)
Je suis saisi de six amendements identiques, nos 17 rectifié , 169 , 172 , 174 , 176 et 845 .
La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l'amendement n° 17 rectifié .
Monsieur le président, madame et monsieur les ministres, madame la présidente de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, mes chers collègues, nous avons rappelé ce matin combien il est techniquement difficile de sécuriser un accès à internet. Dès lors, comment imposer à des particuliers et, à défaut, les menacer de sanction, une opération qu'ils ne sont pas tous capables de faire, pas plus que nous ne le sommes nous-mêmes ?
S'il fallait maintenir une obligation de sécurisation, celle-ci devrait incomber au FAI, obligé de garantir, en même temps que l'accès, une sécurisation contre le piratage ou tout autre détournement, ce qui, dans le cas du logiciel libre, ne constituerait cependant pas une solution idéale.
L'article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle limite l'obligation de sécurisation à la seule protection de la propriété intellectuelle. Pourquoi s'arrêter ainsi en chemin ? Pour être pertinente, la sécurisation devrait s'étendre, au-delà du téléchargement illégal, à tous les cas de figure.
Quoi qu'il en soit, une telle décision ne peut être prise sans concertation, au détour d'un amendement. C'est pourquoi je lance le débat. Il serait injuste à mes yeux que l'obligation de sécurisation incombe à l'abonné, qui risque d'agir mal à propos, en acquerrant par exemple des logiciels coûteux mais inefficaces.
Par cet amendement, nous prenons au mot M. le rapporteur, qui nous a expliqué que, grâce à la loi HADOPI 2, la France allait faire un bon en avant en matière de sécurisation de l'accès des entreprises à internet. Mais je rejoins M. Tardy : pourquoi une telle contrainte s'exercerait-elle uniquement en vue de la protection, si légitime qu'elle soit, du droit moral et patrimonial des auteurs ?
Notre but reste que la loi respecte deux principes constitutionnels : l'égalité devant la loi et la présomption d'innocence, que le Conseil constitutionnel a réaffirmée dans sa décision historique du 10 juin 2009.
Puisque le Gouvernement n'a pas souhaité garantir la gratuité et l'interopérabilité des moyens de sécurisation et de connexion à internet, la difficulté technique que pose cette opération nous impose d'abroger l'article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle, qui fait obligation à chaque abonné de sécuriser son accès à internet pour éviter qu'on ne puisse l'utiliser de manière illicite.
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour soutenir l'amendement n° 172 .
Étant donné la difficulté, sinon l'impossibilité, de sécuriser complètement un accès à internet, il sera bien difficile de ne pas considérer que les abonnés sont de bonne foi si leur accès est piraté. C'est ce qui rend inacceptable la présomption de culpabilité qu'instaure le texte.
Montrez-vous raisonnables, chers collègues : nous nageons en pleine utopie technologique. Mieux vaudrait abroger l'article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle, qui mène à une impasse pénale, et pose des difficultés économiques insolubles, puisque ni les personnes physiques ni les personnes morales ne seront protégées. Pour la dernière fois peut-être avant la fin de notre débat, nous vous engageons à prendre en compte la réalité, au lieu de durcir systématiquement la législation en aggravant les sanctions, ce qui vous éloigne de plus en plus de votre préoccupation première, qui était de prévoir une juste rémunération des artistes.
La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour soutenir l'amendement n° 174 .
Permettez-moi de citer les explications que donne Eolas, sur le site Journal d'un avocat, à propos de l'avis du Conseil constitutionnel : « La loi HADOPI met en cause la responsabilité de l'abonné par la simple constatation du piratage, qui suffit à mettre en branle la machine à débrancher, sauf à ce que l'abonné démontre que le piratage est dû à la fraude d'un tiers (je laisse de côté la force majeure, qui exonère de toute responsabilité sans qu'il soit besoin de le prévoir dans la loi, et l'installation du logiciel mouchard, qui au contraire interdit de facto à l'abonné d'invoquer la fraude d'un tiers). Preuve impossible à rapporter. Ce renversement de la charge de la preuve aboutit à faire de l'abonné mis en cause un coupable jusqu'à ce qu'il prouve son innocence. C'est prévu par le code pénal nord coréen, mais pas par le nôtre. Le législateur a imaginé ce mécanisme anticonstitutionnellement. » Les événements des dernières semaines ne donnent-ils pas raison à l'auteur de ces lignes ?
M. le rapporteur bâille. On comprend qu'il soit fatigué. Pour lui éviter la peine d'une nouvelle sanction du Conseil constitutionnel, je lui suggère d'émettre un avis favorable à l'amendement n° 174 , qui propose d'abroger l'article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle.
Qu'a voulu dire Mme Lemorton ? Le rapporteur bâille-t-il, ouvrant involontairement la bouche, ou baye-t-il aux corneilles, le regard perdu, ou cherche-t-il à nous donner quelque chose, au sens où l'on disait autrefois : « Baillez-moi votre avis » ? Il serait opportun que notre collègue précise en quel sens elle a utilisé ce verbe. (Sourires.)
L'amendement n° 176 vise à remplacer l'article 3 ter, dont nous avons dit tout le mal qu'il faut en penser, par une disposition plus opportune. Nous sommes au coeur du débat entre la présomption d'innocence, constitutionnelle, ou la présomption de culpabilité réservée au délit de négligence caractérisée. En réalité, pour simplifier le système dans lequel le Gouvernement s'est enferré, pourquoi ne pas imposer que l'accès à internet soit sécurisé dès lors qu'il est fourni ? Cela semble aller de soi !
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l'amendement n° 845 .
La sécurisation de l'accès à internet, pierre angulaire de l'efficacité de la HADOPI, est une illusion. Je suis sûr que le rapporteur commence à le comprendre. En informatique ou ailleurs, la sécurité n'est jamais absolue et les règles ne sont pas transposables.
Penser que la HADOPI, qui dépend du ministère de la culture, pourra édicter des règles de sécurité informatique convenant aussi bien à M. et Mme Michu, à une famille nombreuse, à un cybercafé qu'à une entreprise employant des milliers de salariés est tout simplement aberrant sur le plan technique.
Monsieur le ministre, je vois que vous consultez M. le souffleur. Vous avez tort : celui-ci est de très mauvais conseil, puisqu'il a entraîné la chute de Mme Albanel !
Revenez à vos papiers, monsieur Brard !
Je parle pour votre bien, monsieur Mitterrand !
Mais voyez là une remarque amicale, et presque affectueuse.
Par ailleurs, on se met en sécurité pour se prémunir contre des attaques, contre des menaces. Or vous souhaitez mettre en oeuvre des moyens dits de sécurisation pour empêcher des usages répandus chez nos concitoyens et même majoritaires chez les jeunes. Il ne s'agit plus de sécurisation, mais de contrôle.
Repousser cet amendement, ce serait en quelque sorte accepter une société orwellienne dans laquelle le ministère de la culture imposerait le contrôle des usages privés.
Pourquoi en voulez-vous comme cela à mon pauvre conseiller ? Ce n'est pas bien.
L'obligation de surveillance par l'internaute de son propre accès internet existe depuis 2006 et n'a fait l'objet d'aucune censure de la part du Conseil constitutionnel – là, je corrige même mon conseiller. Il s'agit d'une mesure opportune de responsabilisation des internautes. En revanche, le défaut de surveillance de l'accès internet ne permet pas en lui-même de fonder une sanction. Avis défavorable.
Par ailleurs, je n'ai rien à ajouter sur ce que vous avez appelé… camps pour internautes ?
Je me perds en conjectures. Je v ais consulter mon conseiller pour savoir ce que je dois en penser. (Sourires.)
Pendant que le ministre consulte, je donne la parole à M. Brard pour répondre. (Sourires.)
Monsieur le ministre, c'est tout à votre honneur de corriger votre conseiller. C'est l'éminence de la fonction politique, à laquelle vous contribuez à donner ses lettres de noblesse. Vous pourriez d'ailleurs donner quelques conseils à certains de vos collègues du Gouvernement.
Ou à l'opposition.
Nous ne sommes pas ministres, et c'est dommage. La France irait mieux.
Monsieur le ministre, si j'avais à ma disposition la boule de cristal grâce à laquelle Mme Lagarde nous a habitués à prévoir la situation économique du mois qui suit, j'y verrais ce que vous ferez quand vous ne serez plus ministre – pas tout de suite, bien sûr, vous venez d'arriver. Vous ferez une nouvelle version de l'oeuvre d'Orwell pour décrire, et de façon autocritique, ce que vous avez fait.
(Les amendements identiques nos 17 rectifié , 169 , 172 , 174 , 176 et 845 ne sont pas adoptés.)
Je suis saisi d'un amendement n° 838 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard. Défendrez-vous en même temps les nos 836 et 837 ?
Je les défendrai l'un après l'autre, monsieur le président. Procédons avec méthode ! En bon marxiste, j'examine les choses l'une après l'autre. Mais ce serait trop long à vous expliquer aujourd'hui. Restons-en à l'amendement n° 838 .
Il prévoit une exonération de responsabilité pour une personne qui n'aurait pas, suite à l'obligation qui lui en serait faite par la HADOPI, installé un logiciel de sécurisation en raison de leur inadaptation à son système d'exploitation. Je regrette que Lionel Tardy n'ait pas été mieux entendu, malgré la pertinence de son propos tout à l'heure. Mais je n'en dis pas plus, car je sens que je vais lui nuire.
Nous retrouvons ici la question que j'ai posée à plusieurs reprises : pouvez-vous nous assurer que les logiciels de sécurisation seront interopérables ou qu'ils seront en nombre suffisant pour répondre à toutes les configurations ? C'est toujours le même problème d'inégalité des citoyens devant la loi et de l'insécurité juridique qui en découle, en raison du risque de sanctions qui, comme une épée de Damoclès, serait au-dessus de la tête de tous les internautes qui auraient l'outrecuidance d'utiliser des systèmes d'exploitation différents de celui développé par l'ogre Microsoft.
Quant aux centres de rétention, monsieur le ministre, malgré mes répétitions vous n'avez pas bien saisi ce que j'ai dit, tandis que Mme Alliot-Marie, elle, connaît le sujet par coeur. Ce sont des centres où l'on met des honnêtes gens qui n'ont pas fait de mal, ce sont des honnêtes travailleurs dont le seul défaut est de ne pas avoir les bons papiers. D'une certaine manière, vous allez cantonner des internautes dans deux camps différents. Il y aura les privilégiés et les autres, mais on ne connaît pas le critère qui fait la différence.
Avis défavorable. Ce sera au juge de décider, en fonction des circonstances dans chaque cas.
Avis défavorable. M. le rapporteur a expliqué pourquoi.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Oui, il est pour !
Je suis saisi d'un amendement n° 836 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
C'est un débat que nous avons eu ce matin avec Mme Alliot-Marie. Nous avons tous deux un point de vue de classe, mais nous ne représentons pas la même.
Nous ne sommes pas du même côté. C'est aussi la gloire de la politique d'organiser la confrontation entre les deux. Vous avez été très claire ce matin en disant que ceux qui proposaient la gratuité étaient en quelque sorte des démagogues. J'ai la faiblesse de penser qu'il y a des droits fondamentaux, à la communication, à la santé, à l'éducation. En tant que membre d'un gouvernement qui éborgne le droit à la santé, qui réduit les moyens de l'éducation nationale, vous traitez internet comme le reste. S'il y a une critique qu'on ne peut pas vous adresser, c'est de faire preuve d'incohérence.
Monsieur Brard, puisque vous parlez de classe, permettez-moi de vous dire qu'avec vous, on passe parfois de la grande classe à la classe touriste. Avis défavorable.
Pas « exceptionnellement ». Je ne vous ai jamais refusé la parole. Un orateur peut s'exprimer contre l'amendement et éventuellement un orateur peut répondre au Gouvernement et à la commission.
Vous avez la parole, monsieur Bloche.
Que le rapporteur et le ministre se contentent de dire « défavorable » aux deux amendements présentés par M. Brard me semble un peu court. Certes, nous sommes en fin de débat. Mais à partir du moment où vous imposez aux internautes – c'est la nouveauté de HADOPI 2 par rapport à HADOPI 1 – d'acquérir, installer et activer des moyens de sécurisation sous peine de responsabilité pénale, on ne peut répondre seulement « défavorable » à ces deux amendements qui rejoignent deux amendements que nous avons présentés plus tôt dans la discussion et qui visaient à ce que ces moyens de sécurisation soient gratuits…
… afin que chaque citoyen soit à égalité devant la loi, quel que soit son niveau de revenu.
Le second amendement est tout aussi important : si vous ne voulez pas faire supporter à la collectivité le coût de ces moyens de sécurisation, il faut au moins qu'ils soient interopérables. Pour que la loi s'applique, vous devez tenir compte des configurations techniques, de l'ancienneté du matériel dont disposent les utilisateurs et du fait que nombre d'entre nous ont développé les logiciels libres – l'Assemblée nationale en est le meilleur exemple. Cette interopérabilité était déjà un élément central du débat sur la loi DADVSI en 2005-2006. Il faut l'assurer. C'est pourquoi je trouve la réponse un peu courte.
Monsieur Bloche, je conçois très bien que le fait de faire un peu d'humour avec M. Brard qui en a beaucoup puisse vous sembler un peu désagréable. Soit. Mais il est impossible de nier que, sur le fond, nous avons déjà répondu de façon sérieuse par la voix du ministre d'État. Il n'est peut-être pas indispensable d'y revenir une fois de plus, même si nous avons tous très bien compris que la répétition est une méthode pédagogique qui mérite considération.
(L'amendement n° 836 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 837 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Je vous prie de m'excuser madame la ministre, si je me répète en boucle depuis ce matin, mais je n'ai pas encore obtenu la réponse. Les moyens de sécurisation sont-ils interopérables ? J'ai essayé de raisonner par analogie, en montrant que le système français était bien placé dans le domaine bancaire. Ce n'est pas de même nature, mais pour les utilisateurs, l'interopérabilité est une question clé. Nous avons besoin de connaître l'avis du Gouvernement à ce sujet et surtout, nous souhaitons que cela figure dans la loi.
Avis défavorable. Les fournisseurs d'accès internet qui proposeront des moyens de sécurisation pourront se référer aux travaux de la HADOPI qui labellisera des spécifications pour sécuriser le mieux possible les accès internet. Comme c'était le cas précédemment pour l'ARMT, une de ses missions, est de tout faire pour que ces systèmes soient interopérables.
Il serait abusif d'exonérer de toute responsabilité un internaute au motif qu'aucun moyen de sécurisation interopérable n'est disponible.
Pas du tout, écoutez la suite. Il appartient à la Haute Autorité de veiller à l'évaluation et à la labellisation des moyens de sécurisation qui pourront permettre aux internautes de se prémunir contre tout manquement. Je ne dis pas du tout le contraire, je complète.
Ce que disent le rapporteur et le ministre est très intéressant. Je poursuis mon analogie avec les banques. Pourquoi n'y a-t-il pas interopérabilité aux États-Unis ? C'est parce que chaque banque veut préserver son pré carré au détriment des détenteurs de comptes. Vous faites la même chose pour l'internet : vous nous mettez au même niveau de ringardise que les Américains dans le domaine bancaire. Nous proposons au contraire d'introduire de la fluidité, de faire tomber les barrières, les frontières, de faire tomber les murs. Au contraire, pour préserver les intérêts égoïstes des uns et des autres, vous mettez des obstacles à la libre communication des internautes.
Non, je suis désolé. Vous êtes contre l'amendement ? Vous n'aviez qu'à dire « contre ».
Non, vous avez levé la main, cela ne veut pas dire contre. Vous savez très bien qu'il y a une seule réponse au gouvernement et à la commission. Je n'ai pas entendu que vous vouliez parler contre, vous n'avez pas de micro. Je passe au vote.
(L'amendement n° 837 n'est pas adopté.)
(L'article 3 ter est adopté.)
Plusieurs orateurs sont inscrits sur l'article 4. La parole est à M. Jean Mallot.
L'article 4 vise à sanctionner la violation par l'abonné condamné de l'interdiction qui lui est faite de souscrire un nouvel abonnement pendant la durée de la suspension qui lui a été imposée. Par les glissements auxquels le Gouvernement nous a habitués depuis le début de la discussion de ce texte, le projet de loi renvoie à l'article L. 434-1 du code pénal, qui réprime les atteintes à l'autorité de la justice pénale lorsque celles-ci prennent la forme d'un non-respect de peines telles que la suspension du permis de conduire, l'interdiction de paraître dans certains lieux ou de rencontrer certaines personnes, l'obligation d'accomplir un stage, et l'interdiction de détenir un animal, d'émettre des chèques ou d'utiliser des cartes de paiement.
L'amalgame qui en résulte nous paraît inapproprié. Je me suis permis d'imaginer la situation suivante : en cas de suspension du permis de conduire du propriétaire d'un chien dangereux, il n'y a pas lieu de lui interdire de paraître dans des lieux éloignés de son domicile, puisqu'il n'a plus de permis de conduire, à moins qu'il n'ait l'obligation d'accomplir un stage. Il n'y a pas lieu de lui interdire d'utiliser son chéquier ou sa carte bleue afin d'acheter de la nourriture pour son chien, sauf à le rendre passible d'une condamnation pour mauvais traitement à animal. Dans une telle situation, il ne serait pas logique de suspendre son accès à internet ; il en a vraiment besoin pour ne pas sombrer dans la déprime. (Sourires.)
Cette petite histoire montre assez bien la confusion dans laquelle vous vous enlisez. Vous cultivez l'amalgame à partir d'éléments qui ne sont pas comparables. C'est inacceptable !
Ainsi, la suspension du permis de conduire résulte d'une décision administrative, alors que nous savons que la suspension de l'accès à internet relève des droits fondamentaux de la personne, comme l'a affirmé le Conseil constitutionnel.
Nous sommes opposés à l'article 4, et je développerai dans un instant, sur un ton différent, les raisons pour lesquelles nous pensons qu'il faut le supprimer.
Monsieur le ministre de la culture, il m'arrive d'avoir de l'humour, mais lorsque nous écrivons la loi, lorsque nous traitons de la responsabilité pénale des internautes et de la nécessité de mettre en place des moyens de sécurisation, lorsque nous plaidons pour que ces derniers soient gratuits et interopérables, la matière ne m'amène pas spontanément à plaisanter.
L'article 4, c'est « toujours plus ». En effet, il nous paraît insensé de prévoir une peine de deux ans de prison et de 30 000 euros d'amende en cas de souscription d'un nouveau contrat d'abonnement après une condamnation pour contrefaçon. Je ne fais pas d'amalgame, et je concède que la négligence caractérisée n'est pas concernée, mais je rappelle que, de manière abusive, en matière de contrefaçon, vous n'avez pas voulu discerner entre les internautes qui téléchargent illégalement dans une logique de partage, et ceux qui le font pour en tirer des revenus financiers.
Je sais que vous prônez la dissuasion, mais, en termes de pédagogie, la disproportion entre l'infraction et la peine prévue…
Monsieur Bloche, votre temps de parole est écoulé.
Nous en arrivons aux amendements à l'article 4.
Je suis saisi de cinq amendements identiques, nos 327 , 330 , 332 , 334 et 841 , tendant à supprimer l'article 4.
Je donne, à nouveau, la parole à M. Patrick Bloche, pour soutenir l'amendement de suppression n° 327.
Monsieur le président, vous voyez qu'il était inutile de l'interrompre !
J'ai repris mon souffle, monsieur le président. Cela dit, vous avez peut-être constaté que, depuis mardi matin, neuf heures trente, je ne l'ai guère perdu.
Madame la garde des sceaux, je me permets de m'adresser à vous. Vous avez exprimé dans ce débat une conviction forte que nous partageons, à droite et à gauche de cet hémicycle : des règles existent, et quand on ne les respecte pas, on doit être sanctionné. Toutefois, l'essentiel est de savoir quelles sanctions appliquer.
Si l'on veut que la loi soit comprise et qu'elle ait une vertu pédagogique, donc aussi dissuasive, il faut que la sanction soit proportionnée à l'infraction. Or trop souvent, dans ce projet de loi, il y a disproportion entre l'infraction commise et la peine correspondante. Que l'internaute qui a téléchargé illégalement risque deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende s'il souscrit un nouvel amendement, c'est presque ridicule ! D'autant plus que le rapporteur nous a confirmé que l'on n'était pas en mesure de connaître l'identité de ceux qui se réabonnaient, et qu'il y aurait donc ceux qui se feraient prendre, et les autres !
Dans ce texte, que vous voulez pédagogique, la disproportion entre l'infraction et la sanction est telle que nous atteignons un nouveau niveau d'incohérence.
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour soutenir l'amendement n° 330 .
Nous devons avoir déjà discuté au moins une centaine d'heures sur les différents projets de loi HADOPI.
On a commencé par nous expliquer que la loi DADVSI n'avait pas été efficace en raison de l'excès de pénalisation prévue ; HADOPI devait tout régler, dans un souci pédagogique, grâce à la riposte graduée qui était censée se limiter, pour l'essentiel, à la privation de l'accès à internet.
Aujourd'hui, nous avons le sentiment d'être embarqués sur un bateau ivre, sans pilote. Des mesures répressives, dont on ne sait pas où elles ont été imaginées, se sont superposées et, désormais, sur ce plan, la rupture est consommée entre HADOPI 1 et HADOPI 2. Pourtant, je ne pense pas que la censure du Conseil constitutionnel ait eu pour objet de durcir le texte ; le Conseil demandait seulement que le juge suspende lui-même la connexion internet, au nom du droit imprescriptible de tout citoyen à bénéficier de celle-ci.
S'il a déjà été condamné pour contrefaçon – parfois pour avoir téléchargé sans aucune visée commerciale et sans chercher à s'enrichir –, l'internaute qui souscrirait un nouveau contrat d'abonnement est passible d'une peine de deux ans de prison et de 30 000 euros d'amende ! Cette sanction est exorbitante, ubuesque !
On aurait pu comprendre que l'on fasse une différence entre le quidam éventuellement négligent et les professionnels de la contrefaçon qui s'enrichissent par ce moyen. Mais, avec ce texte, vous êtes retombés dans les travers de la loi DADVSI, et ce projet de loi ne sera pas plus efficace que ne l'a été la loi sur le droit d'auteur et les droits voisins.
La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour défendre l'amendement n° 332 .
Madame la ministre vous disiez tout à l'heure à M. Brard que son amendement était mal écrit – ce n'était pas mon avis, mon cher collègue –, vous devriez plutôt vous intéresser à la façon dont est rédigé votre projet de loi ; on voit d'ailleurs ce que le Conseil constitutionnel a fait de votre première version !
Monsieur le ministre, vous vous interrogiez sur la rétention. La rétention de sûreté, je l'ai déjà dit, permet d'enfermer des individus pour des faits dont ils pourraient être les auteurs dans le futur. Les mesures que nous examinons sont sans commune mesure, mais il s'agit, une fois encore, d'un dispositif très répressif.
Je veux bien que vous soyez chargé d'envoyer des signes aux amis de l'exécutif, à une poignée de personnes qui attendent le versement de leurs droits d'auteurs, mais tout saute tellement aux yeux, c'est tellement gros, que cela devient très suspect.
Effectivement, et cela nous rappelle un projet de loi tout récent !
Il est toujours aisé à une personne de mauvaise foi de contourner l'interdiction de souscrire un nouvel abonnement, d'autant que celle-ci peut avoir ouvert plusieurs abonnements préalablement à sa condamnation, y compris sous des pseudonymes et des noms d'emprunt. Comment vérifierez-vous ? En fait, il y aura un traitement inégal de nos concitoyens, entre, d'une part, ceux qui ont les moyens de disposer de plusieurs abonnements ou qui savent contourner les règles parce qu'ils sont experts et, d'autre part, ceux qui n'ont pas les moyens, qui ne sont pas des experts, et qui seront les premiers touchés.
Monsieur le président, nous devons bien prendre conscience de ce que propose l'article 4.
Selon un article du code pénal, déjà en vigueur : « Est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende la violation, par le condamné, des obligations ou interdictions résultant des peines de suspension ou d'annulation du permis de conduire, d'interdiction de conduire certains véhicules terrestres à moteur, d'interdiction de paraître dans certains lieux ou de rencontrer certaines personnes, d'obligation d'accomplir un stage, d'interdiction de détenir ou de porter une arme, de retrait du permis de chasser, d'interdiction de détenir un animal, d'interdiction d'émettre des chèques ou d'utiliser des cartes de paiement, de fermeture d'établissement ou d'exclusion des marchés publics […]. »
Madame la garde des sceaux, vous proposez d'ajouter à cette liste l'interdiction de souscrire un nouveau contrat d'abonnement à un service de communication au public en ligne. Certes, votre dispositif se limite à la contrefaçon et il exclut désormais la peine contraventionnelle pour négligence caractérisée. Mais, tout de même, vous imposez deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amendes, alors que nous sommes bien rendu compte, depuis plusieurs jours, que personne n'est en mesure de prouver grand-chose et que, en fin de compte, l'on s'en remet au juge ! C'est un peu comme dans la scène du poumon du Malade imaginaire de Molière : « Le juge, vous dis-je ! Le juge ! » Autant écrire : « En cas de problème s'adresser au juge ». En plus, vous compliquez la tâche de ce dernier, il va se perdre dans votre tuyauterie : tantôt il y a un dispositif de sécurisation, tantôt il n'y en a pas. Si ce dispositif n'est pas interopérable, et s'il n'est pas gratuit, l'internaute va plaider que cela est coûteux… Les tribunaux sont déjà engorgés ; au moins fournissez-vous un argument supplémentaire à ceux qui voudraient que vous rétablissiez les tribunaux que vous avez supprimés.
Madame Lemorton, je n'y suis pour rien ; c'est la faute du temps qui passe.
Il faut savoir respecter le temps qui nous est imparti aux uns et aux autres : c'est le règlement de l'Assemblée nationale. Toutefois, je suis certain que vous avez entendu M. Mallot, même après que j'ai coupé le micro : il a une voix qui porte.
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, qui a également une voix qui porte, pour soutenir l'amendement n° 841 .
« Le temps s'en va, le temps s'en va, Madame
« Las le temps ! non, mais nous nous en allons,
Et tôt serons étendus sous la lame. »
Ronsard a raison, et vous faites une erreur d'interprétation, monsieur le président.
Madame la ministre, les sanctions que vous prévoyiez sont invraisemblablement lourdes et violentes.
Je voudrais raisonner par analogie. Le nationalisme était interdit dans l'ancienne Yougoslavie : quiconque se laissait aller à un propos de cette nature était emprisonné. Cela s'est terminé avec 300 000 morts parce que l'on interdisait, on sanctionnait, mais on n'éduquait pas !
Dans l'ex-RDA, le racisme était interdit et passible de lourdes peines de prisons. Dès la chute du régime, on assistait à d'incroyables agressions contre des étrangers, tout simplement parce que l'on avait interdit, on avait réprimé, mais l'on n'avait pas éduqué.
Voilà ce que vous êtes en train de faire : en soi cela serait suffisant pour que votre texte soit rejeté.
Défavorable, pour les mêmes raisons que celles que j'ai exprimées tout à l'heure.
Je partage l'avis du rapporteur et je vais rappeler les raisons qui nous motivent. (« Ah ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur Mallot, il faut éviter les amalgames. Vous devriez être totalement en accord avec nous.
Vous rappeliez, à juste titre, que le code pénal prévoit déjà une peine spécifique pour les personnes qui ne respectent pas la condamnation dont elles font l'objet. La situation est exactement la même.
Il s'agit bien également, ici, de sanctionner le non-respect de sa condamnation judiciaire par celui qui a été condamné, et la peine de deux ans d'emprisonnement est précisément celle à laquelle vous faisiez allusion.
Non, car je rappelle qu'il s'agit d'un maximum : le juge adaptera la peine.
En tout état de cause, l'internaute, qui se trouve dans l'illégalité – éventuellement en ayant agi à des fins commerciales, ce qui n'est pas du tout exclu, au contraire – ne respecte pas non plus sa condamnation, se moquant ainsi à la fois de la loi qui est faite dans l'hémicycle et de la justice, doit savoir qu'il risque une peine sévère. (M. le rapporteur applaudit.)
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très bien !
N'applaudissez pas !
Madame la garde des sceaux, je vous remercie de nous avoir répondu et d'avoir précisé que le délit de contrefaçon couvrait uniformément le contrefacteur et l'internaute qui télécharge illégalement dans une logique de partage et d'échange de fichiers.
Illégalement !
Personne ne le conteste, madame la ministre. Seulement, il partage des fichiers pour avoir accès à des contenus culturels plus nombreux.
Cela s'appelle l'accès à la culture pour tous, qui est l'un des deux piliers sur lesquels devrait reposer l'action de M. le ministre de la culture. Car la politique culturelle consiste à soutenir l'offre culturelle et à permettre l'accès à la culture du plus grand nombre.
Toujours est-il que, pour des raisons financières, parce que les usages se sont développés ainsi, parce que l'offre légale était trop limitée, que de grandes maisons de production n'ont pas libéré leurs catalogues suffisamment tôt et ont voulu profiter le plus longtemps possible du veau d'or qu'a été le CD – puisque nous avons été amenés à remplacer nos microsillons par ce nouveau support en rachetant les mêmes oeuvres, souvent interprétés par les mêmes artistes –, les internautes partagent et échangent des fichiers pour avoir accès à un plus grand nombre de contenus. C'est ce que, dans les discours officiels, on désigne par les termes un peu connotés de « démocratisation culturelle ».
Or vous mettez ces internautes sur le même plan que les contrefacteurs, qui, seuls, du reste, méritent le nom de pirates et qui – pour le dire vite, car mon temps de parole expire dans trois secondes – téléchargent illégalement pour se faire du fric.
(Les amendements identiques nos 327 , 330 , 332 , 334 et 841 ne sont pas adoptés.)
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l'amendement n° 840 .
Est-il défendu, monsieur Brard ?
…alors que nous faisons des efforts évidents, qui, hélas ! ne sont pas récompensés par nos interlocuteurs. Monsieur Riester, quand quelqu'un qui a de la curiosité intellectuelle ne comprend pas quelque chose, il se demande pourquoi, afin de dépasser ses propres blocages et d'accéder au royaume lumineux de la connaissance.
Mais venons-en à l'amendement n° 840 . En coupant l'accès à internet, vous couperez également l'accès aux services de communication électronique. Or ces derniers sont indispensables à la participation à la vie de la cité. Je vous rappelle que le Conseil constitutionnel a reconnu que le droit de communiquer était un droit fondamental. Les services de communication électroniques sont en effet essentiels à l'exercice de la citoyenneté, à la liberté d'expression et à la protection de la vie privée.
Monsieur le ministre, comment pouvez-vous justifier qu'une personne privée d'accès à internet ne puisse au moins se réabonner à un simple service de communication électronique ? Cela lui permettrait de maintenir un minimum de lien social avec le monde, durant la peine qu'il purgera – comme vous avez des problèmes avec l'expression « centre de rétention », je vais en utiliser une autre, qui vous parlera davantage – dans le goulag numérique que vous instaurez. Des dispositions ont été acceptées par les banquiers, qui ne sont pas vraiment des philanthropes ni des gens tendres. Or vous refusez d'en faire bénéficier des internautes qui auraient été imprudents. Un peu d'humanité, que diable ! Sortez de l'âge de la barbarie numérique !
Avis favorable. Je voudrais exprimer toute ma gratitude à M. Tardy, mais aussi à l'honorable député, pour les progrès qu'il me fait faire dans la sémantique : après « les mouchards espions permanents », « le goulag numérique ». C'est formidable ! (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)
Je suis heureux d'entendre M. le ministre de la culture s'adresser aux « honorables députés », car j'ai lu récemment qu'il avait refusé de participer à la commission Copé sur l'audiovisuel public parce qu'elle était composée de parlementaires.
Manifestement, nous sommes devenus plus fréquentables, et nous nous en réjouissons.
Cela appelle une précision de votre part, monsieur le ministre.
Vous avez la parole.
Je regrette beaucoup que votre secrétariat ne soit pas aussi bien tenu qu'il devrait l'être, car je vous avais contacté pour que vous participiez à cette commission. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Nous sommes sortis de la « barbarie numérique », monsieur Brard ! (Sourires.)
Il suffisait de bien qualifier le mal !
(L'article 4, amendé, est adopté.)
Si, si.
Vous faites bien référence à la commission Copé sur l'audiovisuel public ?
Celle qui l'a précédée !
D'accord. J'avais été contacté à cette occasion directement par le secrétariat d'un conseiller du Président de la République. Or vous n'étiez pas conseiller du Président, à cette époque, n'est-ce pas ?
C'est moi qui vous avais contacté directement !
Il y a erreur. Je dispose d'un très bon secrétariat et j'aurais sans aucun doute retenu que vous m'aviez appelé. Mais peu importe ! Nous sommes devenus fréquentables : c'est ce que je voulais relever avant tout.
En effet, monsieur le président. Honorables, comme on dit chez nos amis québécois.
Venons-en à l'article 4 bis. Certes, il s'agit d'un article de coordination ; mais celui-ci ne me paraît guère lisible pour le citoyen. Madame la garde des sceaux, puisque vous avez souvent répondu à nos interrogations, et nous y avons été sensibles, puis-je me permettre de vous poser deux questions supplémentaires ?
Tout d'abord, pourriez-vous nous dire que les moyens de sécurisation ne seront pas protégés par la protection juridique des mesures techniques ? Car s'ils le sont, vous aggraverez la loi DADVSI, que, contrairement à ce que nous souhaitions, le Gouvernement n'avait pas voulu abroger dans le projet HADOPI 1.
Par ailleurs, pouvez-nous indiquer le coût du dispositif ? Qui paiera les 70 millions d'euros que vont vous réclamer les FAI ? Comment allez-vous assurer le financement des sept millions d'euros que va coûter le fonctionnement de la HADOPI ? Comment allez-vous trouver des crédits supplémentaires pour la justice, puisque cette loi va accroître considérablement le travail des magistrats ?
Je suis saisi d'un amendement n° 842 de suppression de l'article 4 bis.
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Nous avons proposé la suppression de l'article 1er, de l'article 1er bis, de l'article 1er ter, de l'article 1er quater, de l'article 1er quinquies, de l'article 2, de l'article 3, de l'article 3 bis, de l'article 3 ter et de l'article 4. La cohérence exige donc que nous proposions également celle de l'article 4 bis.
Non, mais, si vous y tenez, nous pouvons reprendre l'ensemble des débats. (Sourires.)
(L'amendement n° 842 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
(L'article 4 bis est adopté.)
Habituellement, on ne s'inscrit pas sur le dernier article d'un texte. Mais l'article 5 suscite une interrogation. En effet, il dispose que « la présente loi est applicable sur l'ensemble du territoire de la République, à l'exception de la Polynésie française. »
Est-ce à dire, madame la ministre, monsieur le rapporteur, qu'il faudra désormais se rendre en Polynésie française pour éviter d'être assimilé à un contrefacteur lorsque l'on télécharge illégalement ou d'être accusé de négligence caractérisée lorsqu'on aura insuffisamment protégé son accès à internet ? La Polynésie française sera-t-elle le seul territoire de la République où les abonnements à internet ne seront pas suspendus jusqu'à un an pour contrefaçon et jusqu'à un mois pour négligence caractérisée ? Les juges n'auront-ils pas à y assumer les charges supplémentaires que leur impose ce texte, charges qui ne se limiteront pas à la stricte application de la loi, puisqu'ils devront également l'interpréter tant ce projet de loi imprécis laisse d'éléments à leur appréciation ?
Nous avons examiné, il y a quelques jours, une proposition de loi généralisant le travail dominical et, au cours de cette discussion, nous avons longuement débattu de l'applicabilité du texte en Alsace-Moselle au regard du droit local. Nous nous sommes ainsi trouvés dans une situation assez extraordinaire puisque, après s'être assurés, en défendant des amendements en ce sens, que la proposition de loi ne s'appliquerait jamais chez eux, la plupart des députés de la région lyonnaise et d'Alsace-Moselle se sont empressés de la voter pour qu'elle s'applique chez les autres.
Il y a là une question qui mérite d'être examinée. Est-il logique que des parlementaires se prononcent sur des textes qui ne s'appliqueront pas chez eux ? J'ajoute que nous discutons, en l'espèce, d'un texte qui a trait aux relations interpersonnelles, puisqu'il s'agit des communications internet. Se pose donc la question des frontières de l'application de la loi et de la légitimité de décider de ce qui se passera chez les autres.
J'adhère aux propos que vient de tenir notre collègue Jean Mallot. Cependant, la rédaction de l'article 5 – « la présente loi est applicable sur l'ensemble du territoire de la République, à l'exception de la Polynésie française » – semble manquer de cohérence. Pourquoi exclure uniquement la Polynésie française ? Il aurait déjà été plus logique que l'exclusion concerne l'ensemble des territoires français du Pacifique.
Une explication m'est venue à l'esprit et j'aimerais vous demander si j'ai vu juste, madame la ministre. J'ai remarqué, tout à l'heure, que notre collègue Dionis du Séjour, du Nouveau Centre, n'avait pas pris la parole.
Certes, mais ce n'est pas que ça. Comme vous le savez, le Nouveau Centre n'existe pas en tant que parti, sa nature est évanescente. Il a toutefois un port de rattachement qui est un parti polynésien.
Je voudrais donc savoir, madame la ministre, si l'exclusion de la Polynésie française résulte d'un compromis que vous auriez fait avec le Nouveau Centre, ce qui expliquerait l'absence de notre collègue Dionis du Séjour, mais aussi le fait que la Nouvelle-Calédonie ne soit pas concernée. Voyez-vous, je suis cartésien, j'ai besoin de savoir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Je ne sais pas si je dois prendre vos propos comme une mise en cause de la présidence, monsieur Brard, ou simplement comme une invitation à vous faire une démonstration de tamouré (Sourires), mais je donne la parole à Mme la ministre d'État, qui va vous répondre.
L'explication que vous me demandez est très simple, monsieur Brard : nous passons là du droit pénal au droit constitutionnel. Si la Polynésie est exclue, c'est tout simplement parce que son statut et ses compétences spécifiques ne permettent pas que la loi dont nous discutons lui soit appliquée.
Cela n'aurait donc rien à voir avec M. Dionis du Séjour ?
(L'article 5 est adopté.)
En comptant les articles additionnels créés au Sénat et à l'Assemblée nationale, ce projet de loi compte désormais douze articles. Étant donné les conditions d'échange et de débat qui ont été les nôtres et l'historique de cette loi qui constitue un feuilleton interminable – après HADOPI 1, rejetée le 9 avril par la majorité de notre assemblée et censurée par le Conseil constitutionnel le 10 juin, nous en sommes à discuter, le 24 juillet, la loi HADOPI 2, avec un vote prévu pour le mois de septembre –, il nous semble plus que nécessaire qu'un rapport d'évaluation de la présente loi soit remis chaque année au Parlement.
C'est d'autant plus important que nous pensons qu'HADOPI 2 va subir le même sort que la DADVSI, c'est-à-dire qu'elle ne sera jamais appliquée. Comme l'a rappelé M. Vanneste lors du débat sur HADOPI 1, nous avions voté une disposition visant à ce que DADVSI fasse l'objet d'une évaluation dix-huit mois après sa promulgation. Or, cela n'a jamais eu lieu, alors que ce rapport aurait été très utile : il aurait au moins évité à la majorité de faire des bêtises avec HADOPI 1 et HADOPI 2. Il serait donc sage de voter cet amendement visant à ce qu'un rapport d'évaluation de la présente loi soit remis chaque année au Parlement. Ce serait, à nos yeux, le minimum syndical.
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour soutenir l'amendement n° 339 .
…je constate que nous n'avons jamais évoqué l'analogie avec le chemin de fer. Pour filer la métaphore, je dirai que j'ai souvent eu l'impression, au cours de ces longues heures de débat, que nous nous trouvions à bord d'un train lancé à toute allure avec M. Riester aux commandes…
Certes, d'autant que dans cette aventure, il est sanglé sur son siège et se trouve dans l'impossibilité de freiner. Le train file sur ses rails et personne ne viendra actionner les aiguillages pour nous permettre de nous écarter de la direction fixée à l'avance par l'Élysée. Évidemment, tôt ou tard, notre train va terminer sa course en se fracassant contre les butoirs : vous ne nous avez jamais écoutés, vous n'avez jamais voulu retirer un seul article, et vous avez complètement dénaturé ce qui constituait l'esprit d'HADOPI 1 – un projet de loi avec lequel nous n'étions, certes, pas d'accord, mais avions écouté avec attention vos explications au sujet des vertus prétendument pédagogiques de la riposte graduée, même si celle-ci occasionnait beaucoup de dégâts collatéraux.
Aujourd'hui, il paraît pour le moins nécessaire de savoir ce qui va se passer une fois que la loi sera mise en oeuvre. Nous sommes à peu près persuadés qu'elle ne le sera pas de sitôt, car elle va devoir franchir la censure du Conseil constitutionnel. Nous risquons donc de nous revoir dans cet hémicycle pendant encore de longues heures : ce sera, à n'en pas douter, le serpent de mer de toute la législature. En tout état de cause, nous estimons nécessaire de disposer, si cette loi vient à être mise en oeuvre, d'un rapport d'évaluation sur tous les effets désastreux qu'elle ne manquera pas de produire.
La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour soutenir l'amendement n° 341 .
L'évaluation et le contrôle des lois votées dans cet hémicycle s'inscrivent tout à fait dans l'esprit du nouveau règlement de notre assemblée. En l'espèce, cela paraît d'autant plus justifié que cette loi touche directement à la vie de nos concitoyens.
Je veux évoquer l'un des aspects de cette loi, à savoir les peines d'emprisonnement susceptibles d'être prononcées, et l'état actuel de nos prisons. Comment ne pas être atterrés à l'idée que cette loi pourrait avoir pour effet d'envoyer des personnes en prison, alors que les établissements français sont déjà surpeuplés – 63 000 détenus pour 50 000 places – et que divers mouvements s'y produisent actuellement, tant du côté des détenus que des surveillants ? Le problème de la surpopulation carcérale en France a amené des institutions internationales à pointer du doigt, chaque année, les manquements de notre pays aux engagements qu'il a pris dans ce domaine.
Madame la garde des sceaux, vous qui êtes au coeur du problème, trouvez-vous normal que l'on entasse encore plus de monde dans des prisons déjà surpeuplées ? Vous allez devoir vous préparer à trouver des solutions consistant en des peines alternatives afin de désengorger nos prisons – à moins d'en construire de nouvelles, mais je ne pense pas que ce soit vraiment la solution. En général, lorsqu'on met quelqu'un en prison, il a une dette envers la société ; on l'enferme pour le protéger contre lui-même et pour protéger autrui.
Les peines d'emprisonnement prévues par ce projet de loi n'ont rien à voir avec les infractions qu'elles sanctionnent ! Dans le cadre de mon mandat, je visite des prisons et j'y vois des détenus qui purgent une peine de deux ans d'emprisonnement pour violences conjugales, coups et blessures sur leur compagne. Est-il normal, madame la garde des sceaux, qu'un internaute ayant enfreint la loi se voie infliger la même peine de prison ? Pour ma part, je ne trouve pas que ce soit raisonnable.
Voulez-vous que nous parlions du suicide en prison, monsieur le rapporteur ?
Nous souhaitons qu'un rapport d'évaluation de la présente loi soit remis chaque année au Parlement, pour au moins trois raisons.
Premièrement, lors des échanges que nous avons eus avec le Gouvernement et sa majorité, nous avons soutenu que cette loi était inapplicable. Il s'agit en effet d'une usine à gaz – dont vous n'avez d'ailleurs jamais réussi à prendre le contrôle – qui aboutira à un engorgement des procédures et des tribunaux. Il nous paraît nécessaire de prendre la mesure des conséquences qu'aura cette loi si elle est mise en application.
Deuxièmement, M. le ministre de la culture et de la communication a pris des engagements, à plusieurs reprises, au sujet de la deuxième étape. À demi-mot, M. le ministre nous dit : « Je suis embarqué dans une affaire où je pense la même chose que vous, mais dont je ne puis m'extirper. Aidez-moi à m'en sortir en votant mon volet répressif, et je vous promets qu'il y aura un deuxième volet où je m'occuperai de la rémunération des artistes en vous associant à la réflexion. » Il sera intéressant de faire le point, le moment venu, sur ces déclarations d'intention.
Troisièmement, monsieur le président, nous avons instauré dans cette assemblée un comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques, censé évaluer les sujets transversaux, c'est-à-dire portant sur les domaines de compétence de plusieurs commissions. Les travaux d'évaluation de nos commissions mériteraient d'être mieux connus et utilisés davantage. Quel meilleur moyen de procéder à l'évaluation d'une mesure que de demander au Gouvernement de procéder à la rédaction d'un rapport, remis au Parlement chaque année ?
Quel est l'avis de la commission sur ces quatre amendements identiques ?
Défavorable. HADOPI doit remettre chaque année au Parlement un rapport sur ses nombreuses missions. Le règlement de l'Assemblée nationale prévoit que le rapporteur et un autre député – de l'opposition – rédigent un rapport sur la mise en application de la loi six mois après la promulgation de celle-ci. Il est donc inutile de faire figurer dans la loi qu'un rapport sera établi.
Défavorable, pour la même raison que celle exposée par M. le rapporteur : la HADOPI fera un rapport, M. le rapporteur en fera un également. Quant à moi, j'espère faire plus et mieux qu'un rapport…
…puisque j'ai l'intention de faire des propositions concrètes – que vous lirez, j'espère…
Nous en venons maintenant au titre du projet de loi et aux amendements dont il fait l'objet.
Je suis saisi d'un amendement n° 36 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir cet amendement dit de clarification.
L'amendement n° 36 est effectivement un amendement de clarification et de pédagogie. Nul n'est censé ignorer la loi, mais encore faut-il qu'elle soit compréhensible. Or, si certains de nos collègues n'en étaient pas convaincus à l'origine, je suis certain qu'au terme de notre discussion, chacun a bien compris qu'il s'agit d'un texte de répression, visant à contrôler l'usage d'internet afin d'éviter que des piécettes puissent échapper aux majors et que, grâce au contrôle mis en place sur internet, les comptes soient tenus d'une façon rigoureuse.
Si l'on veut être compris de tous, il faut que les mots utilisés pour définir le texte destiné à s'appliquer à tous soient extrêmement clairs. Ce n'est pas le cas de votre texte, puisqu'il est intitulé, par antiphrase : « protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet ». Or, il ne s'agit pas de protection, mais bien de répression des internautes ! Et pour les réprimer, vous avez besoin de contrôler l'usage d'internet. Nous proposons donc un titre supprimant donc tout ce qui, dans votre texte, relève de la langue de bois, pour le remplacer par des mots exprimant avec précision et clarté l'objectif poursuivi par le Gouvernement.
Défavorable.
Dès que l'on appuie là où ça fait mal, il n'y a plus d'abonné au numéro que l'on a composé !
Mais non !
Répondez par une critique constructive. « Projet de loi tendant à instaurer un contrôle de l'internet » : il s'agit bien d'un projet de loi et d'un contrôle. Mais nous nous sommes montrés très prudents en utilisant la formule « tendant à instaurer ». Elle résulte de l'impossibilité concrète que vous aurez à exercer ce contrôle pour toutes les raisons qui ont été dites au cours du débat.
Donc, lorsque vous dites « défavorable », vous faites surtout la démonstration que vous n'êtes pas en mesure d'assumer votre volonté de contrôler. Et vous ne trouvez même plus pour le dire les mots adéquats.
(L'amendement n° 36 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 345 .
La parole est à M. Patrick Bloche.
Le texte dont nous débattons s'intitule « Protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet ». De ce fait, on protège pénalement les auteurs, les artistes, bref, tous ceux qui bénéficient de ce droit d'auteur, droit moral et patrimonial. Il s'agit, bien sûr, de rémunérer la culture. Mais, compte tenu de la réalité que recouvre ce projet de loi, compte tenu du fait que HADOPI 2, au contraire de HADOPI 1, est un projet de loi clairement répressif, de pénalisation – le code pénal et le code de procédure pénale ont beaucoup plus importé dans nos débats que le code de la propriété intellectuelle –, nous vous proposons de dire clairement les choses à nos concitoyens, surtout si vous vous inscrivez dans une démarche qui se veut pédagogique.
Des règles sont établies, si l'on veut qu'ils les respectent, si l'on veut donner le moins possible de travail au juge, il faut annoncer la couleur. C'est d'autant plus nécessaire que vous faites sur ce texte le même pari que sur DADVSI : une fois ce projet voté, les internautes, terrorisés, vont, selon vous, se précipiter sur les sites de téléchargement commerciaux, notamment ceux qui n'ont pas les moyens de s'acheter la musique en ligne, qui reste à un prix exorbitant.
Notre groupe a donc souhaité aider le Gouvernement et sa majorité à travers cet amendement, qui vise tout simplement, et de la manière la plus directe qui soit, à intituler ce texte : « Projet de loi relatif à la pénalisation des internautes ». On ne peut pas être plus clair.
(L'amendement n° 345 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 357 .
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire.
La volonté de pénaliser les rapports entre les internautes et le monde de la culture est très claire. On a donc parlé abusivement de HADOPI 2 : il aurait fallu parler de DADVSI 2 puisque toutes les dispositions dont nous avons débattu depuis mardi vont dans le droit-fil de DADVSI et non de HADOPI 1.
Je note qu'au cours de nos longues discussions, aucun artiste n'est venu nous rendre visite, contrairement à ce qui s'était produit lors de l'examen de HADOPI 1. C'est le signe qu'ils ont compris où vous vouliez en venir. Ils ont compris que vous n'aviez nullement l'intention de trouver des moyens supplémentaires pour la création artistique. Ils ont compris que la pénalisation que vous alliez instaurer ne portait pas son nom. Il faut à présent assumer cette réalité. Les artistes qui ont pu être abusés à l'occasion du premier débat sont fixés aujourd'hui sur vos intentions et sur l'aspect tout répressif de cette loi. Afin que les choses soient claires pour tout le monde, cet amendement vise donc à rédiger ainsi le titre du projet de loi : « Projet de loi relatif à la poursuite pénale des internautes ». Cela participerait de la pédagogie que vous souhaitiez tant instaurer.
(L'amendement n° 357 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 731 rectifié .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
À défaut d'avoir pu faire adopter les amendements précédents, nous proposons une nouvelle formulation qui a également le mérite de la clarté : « Projet de loi relatif à la répression pénale des partageurs d'oeuvres artistiques et littéraires sur internet ». Si avec les mesures que vous proposez on ne peut pas parler de répression, je ne sais plus quelle est la valeur des mots. C'est dans un souci de pédagogie que nous vous invitons à adopter cet amendement. Les personnes censées connaître la loi seront ainsi en mesure de comprendre le sens du texte que nous adoptons. Elles seront alertées sur les dangers qu'elles courent à la fois pour leur liberté, puisqu'elles peuvent être mises en prison, et pour leur compte à la Caisse d'épargne puisqu'elles peuvent avoir une amende.
Défavorable, tout en saluant le retour d'une grande littérature propre à celle du XIXe.
(L'amendement n° 731 rectifié n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 730 rectifié .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Monsieur le ministre, dans les cendres du passé demeurent des braises ardentes. Dans le XIXe sont les braises qui allumeront le XXIe, qui en a bien besoin, vous le reconnaîtrez avec moi. Où sont les Victor Hugo ou les Marguerite Yourcenar d'aujourd'hui ? Même avec le compteur Geiger, on a du mal à les trouver. Certes, certains ont le mérite de figurer dans votre liste des 10 000, mais ils ne sont dignes ni du Goncourt ni du Nobel.
L'amendement n° 730 rectifié est un amendement de repli. Pour tenter d'obtenir votre accord, nous avons limité la formulation en évoquant la répression pénale des partageurs d'oeuvres artistiques littéraires.
(L'amendement n° 730 rectifié , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 438 .
La parole est à Mme Catherine Génisson.
Cet amendement tend à rédiger ainsi le titre du projet de loi : « Projet de loi visant à instaurer une justice expéditive ». C'est en quelque sorte la traduction de l'expression populaire : appelons un chat un chat. En effet, ce texte obéit à la logique du tout-répressif alors que nous souhaitons, les uns et les autres, nous inscrire dans une démarche pédagogique et non pas expéditive.
S'agissant de la rencontre entre l'art, les artistes et nos concitoyens, le sujet ne devrait pas être source de conflit, bien au contraire. Je n'ouvrirai pas ici à nouveau tout le débat sur l'importance de l'action publique dans l'accompagnement de nos politiques aux arts, aux artistes et à la culture. L'opposition ne devrait être que de façade à propos des difficultés techniques que suscite la nécessité de respecter à la fois le droit d'auteur, la création artistique et, par ailleurs, la liberté d'accès à internet pour chacun de nos compatriotes.
Au lieu de chercher des voies constructives permettant aux uns et aux autres de trouver leur content, vous avez choisi des solutions répressives et restrictives, considérant que les internautes, dans leur ensemble, étaient des fraudeurs en puissance et des malandrins.
L'intitulé que nous proposons « Projet de loi visant à instaurer une justice expéditive » traduit donc parfaitement l'option que vous avez prise.
(L'amendement n° 438 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Après avoir construit le dispositif, je devrais dire l'usine à gaz, il faut lui donner un nom. Nous proposons de l'intituler « Projet de loi visant à aller jusqu'au bout en instaurant une justice TGV ».
Le 22 juin dernier, le Président de la République a annoncé devant les parlementaires réunis en Congrès à Versailles qu'en matière de défense du droit d'auteur, il irait « jusqu'au bout ». C'est conforme à son habitude, jusqu'au bout dans le mur. Le résultat est un projet de loi bâclé, inefficace, inapplicable et qui ne se traduira par aucun revenu supplémentaire pour les artistes et ayants droit. C'est tellement vrai que le ministre nous promet une deuxième étape.
Du fait de la censure du Conseil constitutionnel du 10 juin 2009, toute suspension de l'accès à internet en tant que sanction ne peut résulter que d'une décision de justice. Le choix fait par ce projet de loi est celui d'un recours au juge a minima : les agents de la commission de protection des droits de la HADOPI se voient conférer des pouvoirs de police judiciaire, l'essentiel des affaires seront traitées par ordonnance pénale – procédure écrite et non contradictoire – et en toutes circonstances l'examen se fera par un juge unique. Bref, c'est une justice qui se veut expéditive. Cet amendement renomme le présent projet de loi en mettant en avant ces éléments.
C'est par bienveillance à votre égard que nous avons proposé d'utiliser les termes « justice TGV ». En effet, en faisant allusion à ce moyen de transport moderne et écologique, conforme aux dispositions prises dans le Grenelle de l'environnement, nous vous aidons à donner une image positive de ce projet de loi indéfendable.
Défavorable. Le Président de la République a eu raison d'aller jusqu'au bout sur ce projet de loi. Il est urgent en effet de défendre les droits d'auteur dans notre pays (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), de continuer à défendre les modes de financement de la création. Ce dispositif dit de riposte graduée nous semble très adapté pour faire de la pédagogie et expliquer aux Français que la loi doit être respectée, y compris sur internet. Il s'agit aussi de faire comprendre qu'il faut télécharger légalement parce que c'est ainsi qu'on finance la création. Tout cela va dans le sens de ce qu'on peut souhaiter pour les créateurs de notre pays. À partir du moment où le Conseil constitutionnel a décidé que la sanction devrait être prononcée par une juridiction, il est logique que nous nous soyons retrouvés pour voter ce texte qui donne les moyens au juge de prononcer la suspension de l'accès à internet.
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très bien !
(L'amendement n° 433 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 363 .
La parole est à M. Patrick Bloche.
Il faut pouvoir dire sans rire, comme le rapporteur : il y a urgence et c'est la raison pour laquelle, et comme l'a dit si martialement à Versailles le Président de la République, il faut aller « jusqu'au bout ».
Monsieur Riester, de qui vous moquez-vous ? Vous-même et votre majorité êtes en responsabilité depuis maintenant sept ans. Vous avez attendu fin 2005 pour présenter le projet de loi DADVSI, qui n'était que la transposition d'une directive européenne que la France avait signée en 2000 ou 2001. Surtout, vous en avez fait un monstre juridique. La discussion de DADVSI a eu lieu en 2005-2006. À l'arrivée, la loi a été promulguée, certes, après une censure partielle du Conseil constitutionnel, mais elle n'a jamais été appliquée.
HADOPI 1, c'est la traduction législative des accords de l'Élysée, qui ont été signés en novembre 2007. Or nous sommes en juillet 2009. Bravo pour l'urgence, pour la rapidité !
Pas de nous ! Le projet de loi est venu en discussion au Sénat au mois d'octobre 2008 alors que les accords de l'Élysée dataient de novembre 2007. L'inscription à l'Assemblée nationale s'est faite au mois de mars 2009, et non par notre faute puisque nous ne sommes pas maîtres de l'ordre du jour. Le temps qu'on a perdu entre mars et juillet est donc très court par rapport aux sept années au cours desquelles il y avait urgence. Mais vous avez attendu aujourd'hui pour bouleverser par la loi, à contretemps, les habitudes de trente millions de nos concitoyens. Nous vous le répétons donc une fois encore : vous faites fausse route !
(L'amendement n° 363 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 447 .
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire.
Nous avons un devoir de clarté envers tous ceux qui auront à interpréter cette loi, mais aussi envers nos collègues de l'UMP, qui sont un peu les intermittents du travail législatif, puisque ceux qui ont été présents dans l'hémicycle lors de nos discussions n'étaient jamais les mêmes. J'ai donc le sentiment que la plupart d'entre eux n'ont pas suivi le débat, qu'il faudra d'ailleurs sans doute recommencer, suite à la prochaine censure du Conseil constitutionnel. Si l'on excepte le rapporteur et les ministres, avec nous depuis le début, les représentants de l'UMP ont surtout fait acte de présence à tour de rôle, sans s'intéresser au texte, et ce malgré nos sollicitations.
Il faudrait pourtant, mes chers collègues, que vous sachiez ce que vous allez voter. Il s'agit d'un projet de loi visant à instaurer le « tout-répressif », et il faut que vous l'assumiez comme tel et en portiez la responsabilité devant les artistes, que vous avez largement abusés mais qui ont fini par comprendre la vraie nature de ce texte et ne se sont pas précipités pour assister à nos débats.
À l'inverse, les internautes se sont, eux, massivement intéressés à nos discussions. Saluons ceux qui en ont rendu compte sur internet – c'est encore autorisé, heureusement ! – pour exposer la vraie nature de ce projet de loi.
Les titres que nous proposons doivent servir à éclairer tous ceux qui s'intéressent à ces questions, ainsi que tous nos collègues de l'UMP qui voteront le 15 septembre sans avoir participé à nos débats.
(L'amendement n° 447 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 37 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Notre rapporteur nous parle beaucoup de pédagogie, mais je ne peux m'empêcher de penser que Franck Riester est à la pédagogie ce que les rebouteux sont aux docteurs en médecine. (Sourires.) Et je suis certain que s'il avait à choisir, il n'imposerait pas à ses enfants cette pédagogie-là !
On connaît le rapporteur, on sait bien qu'il est en service commandé. Comme c'est un jeune député qui a de son avenir une opinion optimiste, il sait que, dans le régime impérial dans lequel nous vivons, il ne faut pas déplaire au prince pour avoir quelque chance de briller au firmament, au moins pendant que la comète est là !
Mais revenons à la pédagogie. En bon instituteur, je vais reprendre avec vous le titre que nous vous proposons pour ce projet de loi : « Projet de loi » – tout le monde comprend – « tendant à instaurer un arsenal » – même sans être à la commission de la défense, on comprend aussi – « répressif – c'est clair également – « pour lutter contre les délits de contrefaçon sur internet. » Vous avez refusé tous nos amendements précédents, qui n'étaient sans doute pas assez pédagogiques à votre goût, mais je ne vois pas ce qui pourrait vous empêcher de retenir ce titre-ci, infiniment plus honnête que celui que vous proposez.
(L'amendement n° 37 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 38 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Mes chers collègues, votre inertie est décourageante, et il faut toute notre persévérance et tout notre enthousiasme pour poursuivre.
Nous vous proposons une nouvelle correction de votre titre : « Projet de loi tendant à adapter les dispositions réprimant le partage d'oeuvres culturelles sur internet censurées par le Conseil constitutionnel. » C'est une formulation au plus près des faits, construite à partir de l'examen concret de la réalité concrète, selon la méthode philosophique prônée par Marx – non pas Groucho, auquel le ministre est tant attaché, mais le mien, c'est-à-dire Karl.
Qui peut nier en effet qu'il s'agit d'aller au-delà des mesures censurées par le Conseil constitutionnel ? Et, sans entrer dans les affaires de famille de Bernard Debré, si vous rejetez cet amendement, madame et monsieur les ministres, je vous mets en garde : vous risquez de voir l'actuel président du Conseil constitutionnel mal disposé à votre égard. Ne serait-ce donc que par prudence et même si vous n'êtes pas convaincus, adoptez notre titre, qui a le mérite d'être clair et de correspondre exactement à la réalité.
(L'amendement n° 38 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 375 .
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire.
Nous cherchons des biais afin de qualifier le plus exactement possible cette loi, et nous nous excusons d'être persévérants à cette heure-là de la journée, car certains sont pressés de rentrer dans leur circonscription. Quoi qu'il en soit, nous avons beaucoup de plaisir à être ensemble ; cela nous a permis de mieux nous connaître et de faire connaissance avec le nouveau ministre de la culture.
Nous proposons donc ce nouvel intitulé : « Projet de loi visant à amplifier et aggraver les erreurs de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet. »
Il faut assumer, monsieur Riester ! Vous avez connu plusieurs échecs et, pour les dépasser, vous souhaitez aggraver et dénaturer l'intention de départ. Quant à vous, monsieur le ministre de la culture, vous avez un peu trop écouté le rapporteur, qui s'est beaucoup, voire systématiquement trompé au cours de ces débats ; vous auriez dû nous écouter, nous, qui avons eu raison à plusieurs reprises, comme l'a confirmé le Conseil constitutionnel. J'espère donc que notre amendement sera adopté.
(L'amendement n° 375 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 39 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Nous ne savons plus quoi inventer pour vous satisfaire, et on en arrive à dépouiller l'intitulé pour n'en conserver que l'essence.
Si nous sommes ici réunis en session extraordinaire autour de ce texte, c'est à cause de la censure du Conseil constitutionnel, un Conseil constitutionnel très républicain qui a renvoyé le Gouvernement à ses études, un Conseil aussi à la composition exceptionnelle puisque, pour la première fois depuis les débuts de la Ve République, deux anciens présidents de la République y siègent aux côtés des neuf « sages ».
Nous vous proposons donc le titre suivant : « Projet de loi » – vous ne pouvez qu'être d'accord – « visant » – c'est un objectif, et vous n'avez donc pas d'obligation de résultat, ce qui serait illusoire – « à contourner » – c'est indéniablement ce que vous faites – « la décision » – on aurait pu ajouter « historique » – « n° 2009-580 DC du 10 juin 2009. » Et, monsieur le rapporteur, je souhaite ici entendre vos arguments, plutôt qu'un « Défavorable » qui exprimerait votre impuissance !
Quand M. Brard me demande quelque chose, je m'exécute. Ce n'est pas pour contourner la décision du Conseil constitutionnel que nous faisons cette loi, mais pour en tenir compte. Vous faites donc un contresens historique ! L'avis de la commission est défavorable.
Monsieur le rapporteur, faites attention à ne pas toujours vous exécuter, car M. Brard pourrait y prendre goût…
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Je propose donc de reprendre la formule du rapporteur et suggère : « Projet de loi visant à mettre en oeuvre la décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009. »
(L'amendement n° 39 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Nous proposons d'intituler ce projet de loi : « Projet de loi visant à exclure toute adaptation du droit d'auteur à l'ère numérique. » Mais on aurait aussi bien pu l'appeler « Projet de loi du double évitement », puisqu'il vise, d'une part, à contourner la décision du Conseil constitutionnel, que vous n'éviterez pourtant pas une seconde fois, et qu'il évite, d'autre part, le sujet majeur, à savoir la juste rémunération des artistes.
Au lieu de cela, vous avez procédé à la rédaction d'un texte qui accumule les peines – quatre, cinq, six, sept, voire huit…
C'est Guantanamo !
Un Guantanamo virtuel en effet, où l'internaute est traqué jusque dans les derniers recoins, comme disait Poutine à propos des Tchétchènes.
En réalité, si vous agissez ainsi, c'est parce que le Président de la République a dit qu'il voulait aller jusqu'au bout. Vous êtes donc contraints et forcés, mais vous ne croyez à ce texte ni les uns ni les autres, si l'on excepte les 5 % de députés de l'UMP pour qui « le chef a dit ! »
Nous avons eu beau retourner votre texte dans tous les sens, nous n'avons rien trouvé qui produira un centime d'euro supplémentaire pour les créateurs et les artistes. De notre côté, nous proposions la contribution créative, que vous avez dédaignée ; nous y reviendrons et aurons l'occasion de développer cette proposition d'un prélèvement de deux euros par mois et par abonnement qui dégagerait, lui, des ressources pour les artistes.
(L'amendement n° 406 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 408 .
La parole est à M. Patrick Bloche.
Ce sera ma dernière intervention aujourd'hui pour défendre un amendement. Puisque notre débat touche à sa fin, je voulais dire à M. le ministre de la culture, qui évoquait, lors de son intervention de mardi matin, le Seigneur des anneaux…
Non, c'est Harry Potter que j'ai évoqué !
… qu'il devait craindre d'apparaître, à la fin de ce débat, comme le Saigneur des internautes. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Bravo !
Votre projet de loi mériterait le titre que nous proposons par cet amendement n° 408 : « Projet de loi visant à tout essayer » – et Dieu sait si vous n'avez pas ménagé votre peine – « sauf à créer une nouvelle rémunération de la création à l'ère numérique. »
Ce qu'il y a de plus extraordinaire, c'est que vous avez construit une usine à gaz, un monstre juridique – et qui plus est, à caractère pénal – pour saigner les internautes, mais que vous avez totalement oublié les artistes, et leur rémunération !
Comme lors de la loi DADVSI, vous n'avez pas prévu un seul euro supplémentaire pour la création : une fois la loi votée, tout continuera comme avant, parce que vous avez choisi de ne pas réguler.
Vous êtes des dérégulateurs : ce qui va se passer, c'est que la licence collective étendue – que vous avez refusée, en rejetant notre idée de contribution créative – sera faite, mais ce sera chacun dans son coin. Les plus gros négocieront des licences globales privées, et c'est ainsi que de l'argent rentrera dans leurs caisses…
…mais que rien n'ira ni aux auteurs, ni aux artistes.
(L'amendement n° 408 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 420 .
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire.
Nous aurons, je crois, tout essayé pour vous faire prendre conscience de vos erreurs répétitives. La véritable pédagogie, ce n'est pas la répétition, c'est cela : aider à faire prendre conscience de ses erreurs.
Manifestement, vous n'entrez pas dans ce type de raisonnement.
Monsieur le ministre, je n'ai pas entendu, venant de la majorité, de proposition susceptible de se substituer aux vôtres et permettant de rémunérer correctement les artistes. Je crains que vous n'en soyez réduit à reprendre nos propositions sur la contribution créative et sur la licence globale, qui permettront effectivement cette rémunération.
On n'insistera jamais assez sur la supercherie qui a consisté à laisser croire, au mois de novembre 2007, que les accords de l'Élysée allaient constituer une solution pour les artistes. Ce n'est pas vrai !
Au fil des mois, au fil des débats, vous vous êtes enferrés dans votre volonté de pénaliser les internautes qui sont, pour la plupart, d'honnêtes gens.
Nous condamnons, comme vous, ceux qui font commerce du téléchargement des oeuvres d'artistes. Mais une immense majorité de nos concitoyens sont honnêtes ; ils ne font pas cela pour nuire aux artistes, mais parce qu'ils veulent accéder, dans des conditions correctes, à de nouvelles oeuvres qu'on ne peut acheter ou télécharger légalement.
Avec cette loi, nous assistons à une fuite en avant qui vise à ignorer la nécessité de créer un nouvel modèle économique de soutien à la création.
(L'amendement n° 420 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 40 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Nous en arrivons à la fin du texte. Celui-ci est l'un des trois derniers amendements qui me restent.
Je m'adresse aux internautes. En effet, s'adresser à nos collègues de l'UMP, c'est vraiment peine perdue ; et s'adresser à vous, madame la ministre d'État – même si notre dialogue n'a pas été dépourvu de courtoisie – ou à vous, monsieur le ministre – même si nos échanges n'ont pas été dépourvus d'humour – n'a pas, reconnaissons-le, débouché sur grand-chose.
Je voudrais donc dire aux internautes que nous savions que nous allions être battus à l'arrivée. Mais nous avons mené la bataille sans fléchir un instant, parce que ce sont des valeurs essentielles qui sont en cause : c'est la liberté de communiquer ; c'est la liberté d'accéder au partage des oeuvres culturelles.
Je dis aux internautes : sachez que la bataille n'est pas terminée ; sachez qu'avec vous, nous allons la continuer. Nous comptons beaucoup sur les Assises de la création et de l'internet que vous avez décidé de tenir à l'automne. Avec tous nos collègues de l'opposition, ceux que vous avez affectueusement surnommés « les mousquetaires », seront à vos côtés pour définir un nouveau modèle qui permettra de rémunérer la création.
Ces trois derniers amendements ont du sens, car ils touchent au coeur de la politique gouvernementale. Le nouveau titre que nous proposons par celui-ci est : « Projet de loi visant à réprimer les foyers modestes pour préserver les rentes de situation des détenteurs de patrimoine ». Cette formulation est, je l'avoue, très crue pour le Gouvernement ; mais elle est très objective.
J'entends déjà le rapporteur dire : « Défavorable ».
Vous aviez raison, monsieur Brard. (Sourires.)
(L'amendement n° 40 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 41 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Monsieur le président, je dois remercier le rapporteur : il répète mon texte, comme je le lui avais suggéré.
Cela prouve que, comme je l'ai déjà dit, il est programmé, formaté. Nous essayons, pour notre part, d'innover ; mais M. Riester, et les membres du Gouvernement, défendent des intérêts : ils n'ont pas de capacité d'initiative ; ils ne peuvent pas inventer.
De là où nous sommes, nous pouvons anticiper. Mon avant-dernière proposition, encore une fois, touche au coeur de la politique gouvernementale. Celle-ci ne s'applique à l'évidence pas uniquement à internet ; elle est encore plus visible dans le domaine économique – je pense au fameux bouclier fiscal : mettant les riches à l'abri pour qu'ils puissent se remplir les poches, il est supporté par ceux qui travaillent et dont les fins de mois sont impossibles.
Je propose donc le titre suivant : « Projet de loi visant à instaurer une procédure d'exception favorable aux firmes multinationales de l'industrie culturelle ». Je ne les énumère pas, mais on pense par exemple à Universal.
(L'amendement n° 41 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 384 .
La parole est à Mme Catherine Génisson.
Nous proposons le titre suivant, auquel M. le ministre de la culture sera, je pense, sensible : « Projet de loi oubliant le financement de la création. »
En effet, nous l'avons dit tout au long de la discussion, l'unique motivation qui a conduit le Gouvernement à présenter ce texte, c'est la volonté de pénaliser les internautes qui ne respecteraient pas la loi.
Or quel est le vrai sujet ? C'est, d'une part, le soutien à la création artistique – à la création artistique dans son ensemble, même si nous avons surtout cité ici les artistes qui peuvent utiliser internet : le sujet est beaucoup plus vaste, et nous attendons avec impatience les Assises de la création. Et c'est, d'autre part, la défense du droit fondamental d'accéder à internet.
Or, ce texte n'a traité que de la pénalisation des actions que vous appelez « déviantes » des internautes, mais en aucun cas du financement de la création : à l'évidence, les peines subies par les internautes ne contribueront pas à ce financement.
Nous devons la vérité à nos citoyens : il est clair, je pense, que le titre le mieux adapté à ce projet est « Projet de loi oubliant le financement de la création ».
C'est très convaincant.
(L'amendement n° 384 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Pauvre M. Riester, il vient de se faire doubler par Frédéric Lefebvre – par la grâce de M. Santini, mais ce n'était pas prévisible. Tous ces efforts, et ne pas être du remaniement ! C'est dur !
Nous avons passé beaucoup de temps – quoique trop peu à notre goût – à examiner ce texte. Compte tenu de son caractère étrange, un peu absurde et fortement décalé, Alexandre Vialatte l'aurait, je crois, intitulé : « Et c'est ainsi qu'Allah est grand. » (Rires.)
Plus modestement, nous proposons de l'intituler : « Projet de loi visant à ne pas traiter de la rémunération des artistes et des ayants droit. »
J'ai parlé tout à l'heure d'évitement. On pourrait aussi revenir sur la notion de rémunération : étant totalement orienté vers la répression, votre texte ne se préoccupe pas de la rémunération des ayants droit. Vous renvoyez le problème à plus tard – un peu comme Pierre Villepreux, autrefois, faisait des touches longues à cinq mètres de la ligne de but adverse : vous bottez très loin devant, pour éviter l'équipe d'en face et attendre avant de traiter le vrai problème.
Il y a tout de même une rémunération dont vous traitez, implicitement : c'est celle des fournisseurs d'accès à internet. C'est vrai, l'abonnement sera suspendu, mais l'internaute sanctionné continuera de le payer. Plusieurs autres exemples dans ce texte montrent que vous veillez soigneusement à la préservation des intérêts de ces belles entreprises.
Nous aurons l'occasion, dans les nombreux groupes de travail que vous allez mettre en place, monsieur le ministre de la culture et de la communication, d'y revenir. Mais, pour notre part, nous avons avancé l'idée d'une contribution créative, qui aura le mérite, d'une part, de rémunérer les artistes, et d'autre part, de compenser partiellement la baisse des ventes de disques.
Je serai très bref. Nous en arrivons au dernier amendement présenté, et notre débat s'achève, d'ailleurs un peu brutalement – ce n'est pas de notre fait – alors qu'il est habituel, avec ou sans vote solennel, qu'aient lieu des explications de vote.
Ce sera en septembre !
Oui, monsieur le ministre, rassurez-vous : vous allez passer des vacances sereines, et vous attendrez tranquillement le vote solennel du mois de septembre ; il y aura ensuite une commission mixte paritaire, puisque nous ne voterons pas le même texte que celui du Sénat.
Depuis mardi matin, nous avons passé quarante heures dans cet hémicycle.
Si l'on pense aux accusations d'obstruction dont notre groupe, et le groupe GDR, ont fait l'objet, avouez que passer quarante heures dans l'hémicycle, compte tenu des conséquences, notamment pénales, de ce texte, c'est presque un minimum !
Nous terminons ce débat avec une immense tristesse : en effet, il eût été possible, avec un autre texte, d'adapter enfin le droit d'auteur à l'ère numérique. Il eût été possible de rassembler enfin les créateurs et les internautes, c'est-à-dire les artistes et leur public, pour construire effectivement le droit d'auteur de demain, pour permettre l'accès du plus grand nombre à la culture et la rémunération des auteurs et des créateurs. Oui, il eût été possible d'adapter le droit d'auteur et de lui permettre de relever le nouveau défi de l'évolution technologique auquel il est confronté aujourd'hui avec internet.
Vous n'avez pas fait ce choix. Vous le regretterez.
(L'amendement n° 397 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 42 .
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
C'est la dernière touche à notre oeuvre pédagogique sur ce texte, pour que les gens qui nous regardent comprennent bien les enjeux et ce qui a motivé nos collègues de droite, à l'exception des quelques-uns qui se sont engagés pour défendre les internautes et les artistes. Vous l'avez vu, seuls ou presque seuls les députés de gauche sont intervenus.
Les députés de l'UMP ont été réquisitionnés pour faire, en dépit du talent de nombre d'entre eux, de la figuration puisqu'ils n'ont pas été autorisés à faire autre chose.
Des gens aussi talentueux, et pas seulement dans le domaine de la médecine, que Bernard Debré, n'ont pas pu s'exprimer.
Nous, nous sommes battus pied à pied, pour défendre les droits de la création, pour défendre les internautes face aux intérêts mesquins, égoïstes, mercantiles des possédants.
Je vous propose, madame la ministre d'État, monsieur le ministre, de terminer en apothéose avec ce nouveau titre qui a le mérite d'être explicite : « Projet de loi tendant à préserver le patrimoine – jusque-là, je suis sûr que vous pouvez adhérer – des artistes – à partir de là, nos chemins vont certainement diverger – redevables de l'impôt de solidarité sur la fortune et à leur faciliter l'accumulation du capital. »
C'est clair !
(L'amendement n° 42 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Monsieur le président, alors que s'achève cette phase de nos travaux, je voudrais me permettre trois observations.
La première pour dire, en tant que citoyen néophyte dans cette assemblée, à quel point je trouve que les travaux tels qu'ils se sont déroulés, avec l'expression d'opinions divergentes et des résultats qui peut-être ne plaisent pas à tout le monde, ont été malgré tout d'une très grande tenue. Et je pense que les citoyens qui ont pu suivre ces travaux sur leur écran de télévision ont également été persuadés de cette qualité.
La deuxième observation, peut-être un peu plus humoristique, pour souligner, en tant que partisan du partage des droits d'auteurs, à quel point j'ai admiré la qualité des titres fantaisistes qui ont été proposés durant ces derniers instants.
En dernier lieu, en tant que ministre de la culture et de la communication, je veux remercier de la manière la plus chaleureuse Mme le ministre d'État qui m'a accompagné dans ces travaux d'une manière extrêmement efficace, M. le rapporteur Franck Riester pour le travail remarquable qu'il a accompli, Mme la présidente de la commission des affaires culturelles, bien évidemment les membres de la majorité qui, en cette période avancée de l'été, ont bien voulu suivre ces travaux, y participer et assurer par leurs votes successifs le bon cheminement de ce texte, ainsi que les parlementaires de l'opposition dont nous avons d'ailleurs retenu un certain nombre d'amendements et qui, par la vivacité de leurs propos, l'intelligence et la qualité de leurs observations et leur remarquable travail, ont effectivement beaucoup éclairé nos débats.
Voilà : en tant que citoyen qui aime s'amuser, en tant que citoyen qui aime admirer et en tant que ministre de la culture et de la communication, je dois dire que je suis très heureux d'avoir passé avec vous ces quarante heures. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Nous avons achevé l'examen des articles du projet de loi.
Je rappelle que les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet, auront lieu à une date qui sera fixée par la conférence des présidents.
Je veux à mon tour remercier les ministres, leurs collaborateurs, la présidente de la commission, le rapporteur mais également l'ensemble des personnels de l'Assemblée nationale qui, jusqu'à ce 24 juillet, ont donné le meilleur d'eux-mêmes pour que ces débats se passent dans d'excellentes conditions. Je veux également saluer la courtoisie qui a régné entre nous malgré les divergences sur ce texte, et qui a permis au débat de se dérouler dans des conditions relativement sereines, à l'honneur de notre Parlement.
M. le président a reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le Président de la République, en date du 24 juillet 2009, portant clôture de la session extraordinaire.
En conséquence, il est pris acte de la clôture de la session extraordinaire.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-sept heures cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma