La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures quarante-cinq.)
L'ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à la rémunération pour copie privée.
La parole est à M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.
Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, cher Christian Kert, madame la rapporteure, chère Marie-Hélène Thoraval, mesdames et messieurs les députés, sous une apparence technique, le présent projet de loi répond à un enjeu simple dont nous saisissons cependant tous à quel point il est impérieux : le financement d'une part capitale de la création artistique française, assuré depuis plus de vingt-cinq ans par la rémunération pour copie privée, instituée par la loi Lang du 3 juillet 1985. Je tiens donc à remercier Mme la rapporteure pour le travail si précis et si approfondi qu'elle a effectué malgré l'urgence qui nous contraint.
Depuis les années 1980, la démocratisation des moyens techniques de reproduction des oeuvres culturelles – les lecteurs-enregistreurs de cassettes audio et vidéo hier, les CD-ROM, DVD, clés USB, baladeurs numériques tels les ipods, téléphones multimédia et autres tablettes numériques comme les ipads aujourd'hui – a rendu impossible le contrôle du nombre de copies réalisées par les particuliers pour leur propre usage, dites copies privées, et accru le manque à gagner des auteurs et des autres ayants droit.
C'est la raison pour laquelle la loi du 3 juillet 1985, adoptée à l'unanimité, a instauré une rémunération juste et équitable visant à compenser financièrement le manque à gagner subi par les auteurs et les titulaires de droits voisins au titre des copies d'oeuvres réalisées sans leur autorisation préalable. Le dispositif, qui n'est ni une taxe ni la compensation d'un préjudice au sens du droit civil mais une modalité particulière d'exploitation et de rémunération des droits d'auteur à travers un paiement forfaitaire se substituant au paiement à l'acte, s'est diffusé depuis lors dans vingt et un pays de l'Union européenne et a été intégré au droit communautaire par la directive sur les droits d'auteur de 2001.
La rémunération pour copie privée constitue, en France, une part essentielle des droits d'auteur, donc du financement de la création. Elle représente plus de 180 millions d'euros par an, répartis par la société de perception et de répartition Copie France entre les auteurs, artistes interprètes, producteurs de la musique, du cinéma, de l'audiovisuel, de l'image fixe et de l'écrit. Si 75 % des sommes collectées sont directement reversés aux créateurs, le reste, soit 25 % de la rémunération pour copie privée, est obligatoirement dédié, en application de la loi de 1985, à des actions d'aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à la formation des artistes. En s'acquittant de la rémunération, le public participe donc directement au financement de près de 5000 manifestations culturelles dans une grande diversité de genres et de répertoires – grands et petits festivals, pièces de théâtre, concerts, spectacles de rue ou de marionnettes, courts-métrages, documentaires de création.
Cette institution remarquable, qui a su s'adapter au numérique, est aujourd'hui menacée, à la suite d'un arrêt rendu le 21 octobre 2010 par la Cour de justice de l'Union européenne que le Conseil d'État a été tenu d'appliquer dans une décision du 17 juin dernier.
Jugeant que les supports acquis pour un usage professionnel devaient être exemptés du paiement de la rémunération pour copie privée, le Conseil d'État a condamné le système mis en place par la commission copie privée qui, pour des raisons de simplicité et de prévention de la fraude, consistait à appliquer la rémunération pour copie aux supports susceptibles de servir tout à la fois pour un usage professionnel et pour un usage de copie privée – CD-ROM, la plupart des DVD, téléphones multimédia, clés USB et autres –, moyennant un abattement reflétant la part des usages professionnels.
Cette décision, en elle-même parfaitement légitime, emporte des effets collatéraux très graves, privant notamment de fondement juridique, à compter du 22 décembre prochain – c'est très proche –, l'essentiel des barèmes de perception de la copie privée. Elle fait ainsi peser une menace immédiate sur la perception des 180 millions d'euros.
Par ailleurs, la décision du Conseil d'État entraîne un effet d'aubaine pour les redevables de la rémunération pour copie privée qui avaient engagé une action judiciaire avant le 17 juin 2011 : ils pourraient réclamer le remboursement de l'intégralité des sommes versées, soit près de 60 millions d'euros, alors même que l'essentiel de ces sommes était effectivement dû lorsque n'étaient pas en cause des supports acquis à des fins professionnelles et que la copie privée a été répercutée sur le prix acquitté par les consommateurs.
Le principal objet du projet de loi est donc de remédier au risque d'une interruption ou d'une remise en cause de la rémunération pour copie privée, lorsqu'elle est effectivement due, en neutralisant les effets collatéraux de la décision du Conseil d'État d'une part, par le maintien, au-delà du 22 décembre prochain, des barèmes de la rémunération pour copie privée ; d'autre part, en procédant à une validation ciblée des rémunérations antérieures au 17 juin 2011 qui font l'objet d'une action contentieuse.
Cette réponse, j'y insiste, est conforme à la Constitution et au droit européen et a donc été approuvée par le Conseil d'État lorsqu'il a examiné le projet de loi. En particulier, conçue de manière à respecter la chose jugée, elle n'empêche pas les personnes ayant acquis un support pour un usage professionnel de faire valoir leurs droits.
J'ajoute que le projet de loi, qui répond à d'évidents motifs d'intérêt général en matière de soutien à la création et à la diversité culturelle, est en réalité indispensable pour se conformer à nos obligations juridiques au regard du droit communautaire, la Cour de justice de l'Union européenne ayant, en effet, consacré le principe d'une obligation de compensation effective du manque à gagner lié aux actes de copie privée.
Afin de mettre en oeuvre la décision du Conseil d'État, le projet de loi organise parallèlement l'exemption des supports acquis pour un usage professionnel du paiement de la rémunération pour copie privée selon deux modalités inspirées directement de la pratique actuelle de la commission concernant certains supports déjà exemptés de la rémunération : soit sur le fondement d'une convention passée entre Copie France et les professionnels, qui permettra à ceux-ci d'être exonérés de la rémunération pour copie privée lors de l'acquisition des supports, notamment dans des circuits de distribution spécialisés ; soit par une demande de remboursement présentée auprès de Copie France et assortie de justificatifs.
Le projet de loi comporte d'autres dispositions, de portée plus limitée, consacrant la pratique de la commission de la copie privée en matière d'enquête d'usage ou tirant les conséquences de la jurisprudence récente qui a écarté de l'assiette de la copie privée les copies de source illicite, effectuées à partir de fichiers piratés.
Le projet de loi prévoit, par ailleurs, l'information de l'acquéreur d'un support d'enregistrement sur le montant de la rémunération pour copie privée auquel il est assujetti, ce qui représente une avancée intéressante pour la compréhension par chacun du mécanisme de la copie privée et de ses enjeux.
Mesdames et messieurs les députés, vous l'avez compris, ce projet de loi, justifié par une situation d'extrême urgence, a un objet circonscrit : il s'agit, d'ici au 22 décembre prochain, d'éviter un effondrement du système de la copie privée, qui constitue un mode de rémunération important des ayants droit mais aussi une source essentielle du financement de la création.
Le projet de loi privilégie, pour ce faire, une réponse pragmatique, immédiatement applicable et respectueuse, qui plus est, des jurisprudences du Conseil d'État et de la Cour de justice de l'Union européenne.
Par-delà cette réponse de court terme, mon ministère poursuit parallèlement une réflexion plus globale, plus ambitieuse, sur l'incidence des évolutions technologiques sur le mécanisme de la copie privée. Cette réflexion nous permettra d'aborder l'ensemble des questions, souvent légitimes, que suscite l'avenir de ce mode de rémunération de la création. Cette réflexion est conduite dans le cadre d'une commission spécialisée du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, présidé par Sylvie Hubac, qui a été notamment chargée d'étudier l'incidence du cloud computing sur la rémunération pour copie privée.
Ce projet de loi est une réponse indispensable du Gouvernement à une situation d'urgence ; c'est aussi le signe de notre engagement commun pour la défense de ceux qui inventent, de ceux qui composent, de ceux qui prennent le risque de la création. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme Marie-Hélène Thoraval, rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l'éducation.
Le projet de loi relatif à la rémunération pour copie privée revêt une importance majeure pour la diversité culturelle dans notre pays. À travers ce texte, il nous est, en effet, proposé de pérenniser un système qui est actuellement menacé. Cette pérennisation est nécessaire, car sans la rémunération pour copie privée nos artistes ne disposeront plus des financements nécessaires à l'organisation de leurs spectacles et les ayants droit ne recevront plus de rétribution pour le droit de copie privée qu'ils cèdent aux acquéreurs. Artistes et ayants droit se trouveraient ainsi bridés dans leur création, ce que nous ne pourrions que regretter.
Le système de rémunération pour copie privée repose sur deux grands principes.
Le premier est issu de la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique, qui a réservé à l'auteur d'une oeuvre protégée la faculté d'autoriser sa reproduction. Cette loi a introduit plusieurs exceptions dont la plus importante porte sur la possibilité de réaliser des copies réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective. C'est ce que l'on appelle l'exception de copie privée.
Toutefois, le développement des technologies, notamment numériques, a bouleversé l'équilibre entre les intérêts des titulaires de droits et ceux des consommateurs.
Dans les années 1970-1980, la multiplication des copies permises par les lecteurs de cassette puis par les magnétoscopes a accru considérablement le manque à gagner des auteurs et des ayants droit.
Cette tendance s'est poursuivie avec le développement du numérique qui permet aux fabricants de proposer une gamme étendue d'appareils et de supports numériques que nous connaissons tous aujourd'hui tels que les baladeurs MP3, les tablettes numériques ou encore les téléphones multimédia. C'est la raison pour laquelle le législateur a introduit par la loi du 3 juillet 1985 un second principe : la création d'une rémunération forfaitaire des titulaires de droits d'auteurs, dite rémunération pour copie privée.
Cette dernière est assise sur les supports d'enregistrement utilisables à des fins de copie privée. Elle est fixée, pour chaque catégorie de support, par une commission dite de la copie privée. Elle est acquittée par les fabricants ou les importateurs, qui en répercutent ensuite le montant dans leur prix de vente. Elle est collectée par une société de perception et de répartition des droits : Copie France.
Ces deux grands principes : exception de copie privée d'une part et rémunération pour copie privée d'autre part ont démontré leur pertinence puisqu'ils sont désormais appliqués dans 25 des 27 pays de l'Union européenne, à l'exception de l'Irlande et du Royaume-Uni. Ils ont été consacrés par la directive européenne du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information.
Ce système permet d'assurer aux ayants droit une juste rémunération ; il facilite la diffusion de leurs oeuvres ; il élargit l'accès du public à la culture ; il stimule parallèlement la vente de supports d'enregistrement qui permettent de fixer de telles oeuvres.
Le code de la propriété intellectuelle a prévu que 25 % des sommes perçues au titre de la rémunération pour copie privée sont destinées à financer des actions d'aide à la création, de soutien au spectacle vivant et d'aide à la formation des artistes. Plus de 5000 manifestations sont ainsi soutenues chaque année. Les plus connues sont sans doute, le Festival d'Avignon et les Francofolies de La Rochelle, mais sont aussi concernés des festivals que nous connaissons tous et qui font la richesse de notre patrimoine culturel partout en France. Je veux citer le Festival de jazz au Palais idéal du facteur Cheval à Hauterives, le festival de jazz de Crest, ou encore le Festival d'un Jour de Bourg-les-Valence, charmante ville de la Drôme, que je vous invite à visiter.
rapporteure. Mais le système de rémunération pour copie privée, qui a été pensé en 1957, puis en 1985, est aujourd'hui fragilisé : à court terme, du fait des conséquences d'arrêts de la Cour de Justice de l'Union européenne et du Conseil d'État et à long terme, du fait d'évolutions technologiques et juridiques de fonds.
Les discussions que nous avons eues en commission sur ce projet de loi ont été souvent techniques, toujours passionnantes et, cela mérite d'être souligné, relativement consensuelles : ainsi, c'est à l'unanimité que notre commission a adopté le présent projet de loi. Nous sommes en effet tous conscients de la nécessité d'agir vite pour éviter un effondrement du système.
Le projet de loi à deux principaux objectifs.
Tout d'abord, il comporte un certain nombre de dispositions destinées à introduire dans le code de la propriété intellectuelle des principes dégagés par les juridictions ou des modifications suggérées par exemple par le plan France numérique 2012.
L'article 1er dispose que la rémunération pour copie privée ne concerne que les copies réalisées à partir de sources licites. Il consacre une pratique de la commission de la copie privée observée depuis qu'un arrêt du Conseil d'État du 11 juillet 2008 a rappelé la nécessité d'exclure les copies réalisées à partir de sources illicites.
L'article 2 dispose que le montant de la rémunération doit être fixé en fonction des usages à des fins de copie privée, qui devront être appréciés grâce à des enquêtes d'usages obligatoires. Il conforte également la pratique de la commission consistant, dans certains cas, à fixer des barèmes provisoires.
L'article 4 tire les conséquences des arrêts Padawan de la Cour de justice de l'Union européenne et Canal Plus distribution du Conseil d'État.
Notre système actuel de prise en compte des usages professionnels, qui repose sur une mutualisation entre acquéreurs privés et professionnels et l'application d'un abattement, a été jugé contraire au droit communautaire.
Le nouveau système prévu par le projet de loi repose quant à lui sur des conventions d'exonération avec Copie France et, à défaut, des demandes de remboursement assorties de pièces justificatives.
Aux termes de l'article 6, ces demandes de remboursement seront recevables pour autant qu'elles concerneront des supports acquis postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi.
Le projet de loi a également pour objet d'éviter au système de rémunération pour copie privée de tomber dans l'impasse à compter du 22 décembre 2011. En effet, le Conseil d'État, dans son arrêt Canal Plus distribution du 17 juin dernier, a annulé la dernière décision, n° 11, de la commission de la copie privée, qui fixait les barèmes de rémunération pour plus d'une dizaine de supports.
Le Conseil d'État a toutefois précisé que cette annulation ne prendrait effet qu'au 22 décembre 2011. Dans le même temps, il a considéré que les barèmes de rémunération devaient systématiquement être précédés d'études d'usage.
La commission se trouve donc dans l'obligation de faire réaliser plus d'une dizaine d'études et d'en examiner les résultats, ce qui ne lui permet pas de délibérer dans les délais requis.
Le I de l'article 5 du projet de loi vise en conséquence à proroger les barèmes de la décision n° 11 en excluant toutefois les usages professionnels.
En outre, le Conseil d'État a précisé que sa décision d'annulation présentait un caractère rétroactif pour les instances en cours au 18 juin 2011.
Si le motif d'annulation de la décision n° 11 ne concernait que la non-prise en compte des usages professionnels, c'est bien l'ensemble de la décision qui a été annulé. Les actions destinées à contester les paiements effectués sur le fondement de la décision n° 11 pourraient donc permettre à leurs auteurs de se voir rembourser la totalité des sommes versées, y compris celles correspondant à des usages à des fins de copie privée.
Le II de l'article 5 a ainsi pour objet de valider les paiements effectués pour des supports destinés à un usage de copie privée. Les requérants conservent, le cas échéant, la faculté de se voir rembourser les versements correspondant à des usages professionnels.
Outre des amendements rédactionnels ou de coordination, la commission a apporté quatre modifications au texte présenté par le Gouvernement : la première à l'initiative de M. Lionel Tardy, les trois suivantes à l'initiative de votre rapporteure.
Le premier amendement a introduit dans le code de la propriété intellectuelle l'obligation de transmission aux commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat du rapport sur l'utilisation des sommes perçues au titre de la rémunération pour copie privée et destinées à des actions culturelles. Ce rapport était jusqu'alors seulement transmis par les sociétés de perception et de répartition de droits au ministère de la culture.
Le deuxième amendement ajoute la possibilité de déterminer le montant de la rémunération pour copie privée sur la base de la capacité d'enregistrement du support. Cette notion est plus adaptée aux supports numériques. Il n'était fait mention dans le code de la propriété intellectuelle que de durée d'enregistrement.
Le troisième amendement réduit de vingt-quatre à douze mois le délai imparti à la commission de la copie privée pour prendre une nouvelle décision Nous étions, en effet, tous d'accord sur la nécessité d'adresser aux membres de la commission un signal montrant notre souhait de les voir aboutir rapidement et de ne pas s'enliser dans d'interminables querelles à propos des barèmes.
Enfin, le quatrième amendement concerne la notice explicative fournie avec le support afin d'informer l'acquéreur sur la rémunération pour copie privée. Suite au débat en commission, le texte prévoit que cette notice explicative puisse être intégrée au support lui-même sous la forme dématérialisée, si les industriels le souhaitent.
Afin que les professionnels soient informés de la possibilité d'obtenir le remboursement des rémunérations versées sur les supports acquis à des fins professionnelles, je vous proposerai en outre d'adopter un de mes amendements. Nous y reviendrons.
Lors de nos débats en commission, une très large majorité des commissaires a estimé que l'urgence dans laquelle nous examinions ce projet ne laissait pas assez de temps pour une refonte du système.
Les membres de la commission se sont également retrouvés sur les défis de trois ordres auxquels le système de la rémunération fait face aujourd'hui.
Ces défis sont d'abord d'ordre technologique, avec le développement du numérique et du cloud computing qui consiste à déporter sur des serveurs distants des traitements informatiques, traditionnellement localisés sur des serveurs locaux ou sur le poste client de l'utilisateur. Le cloud computing remet en cause les fondements de la rémunération pour copie privée sur deux points essentiels. Il prive la rémunération pour copie privée de son assiette puisque les fichiers copiés ne sont plus stockés sur des supports physiques, mais à distance par le biais de services comme iMusic, iCIoud ou Google Music. Le cloud computing rend en outre inopérante la notion d'usage à des fins privées puisque les contenus – livres, musique, vidéos, logiciels – sont accessibles sur tous les écrans connectés qui entourent l'utilisateur, où qu'il soit dans le monde.
Les défis à relever sont également d'ordre juridique, car les sources communautaires du droit d'auteur vont en s'affirmant, ce qui peut occasionner des conflits avec notre droit national. La mise en conformité de notre droit n'est pas toujours simple et peut appeler des évolutions en chaîne afin de pouvoir conserver un système cohérent.
Enfin, ce système a vu croître les tensions entre fabricants, consommateurs et ayants droit. La commission de la copie privée ne parvient plus à réguler ces tensions en interne, ce qui se traduit par des recours systématiques au juge.
Nous sommes tous d'accord pour dire que vingt-cinq ans après l'adoption de la loi qui a instauré la rémunération pour copie privée, une réflexion de fond s'impose pour accompagner l'émergence d'un nouveau système. Nous ne le ferons pas d'ici le 22 décembre, ou alors nous le ferions très mal. Ces défis méritent une attention toute particulière et vous pouvez compter sur moi, monsieur le ministre, pour suivre avec la plus grande attention les travaux qui s'engagent.
Ce projet de loi d'urgence revêt une importance majeure pour nos artistes. L'inaction du législateur aurait eu des conséquences dramatiques sur le financement de la culture française. Avec le vote de ce projet de loi, nous pérennisons l'une des sources de financement de l'exception culturelle française. Cette exception qui participe, au-delà des frontières, au rayonnement de notre pays dans le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Dans la discussion générale, la parole est à M. Christian Kert, pour le groupe UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, je voudrais remercier, au nom de la commission des affaires culturelles, notre rapporteure pour la qualité du travail accompli à l'occasion de son tout premier rapport.
Sans doute voulez-vous dire que certains auraient pu égaler la qualité de ce travail. Certes. (Sourires.)
Mes chers collègues, quel avenir existe-t-il pour la copie privée ? C'est à cette question que nous devons répondre à travers l'étude de ce texte.
Si nous nous retrouvons aujourd'hui, un peu dans l'urgence, c'est bien parce que le principe même de la rémunération dont il est ici question subit des attaques continuelles de la part des industriels et des fabricants de matériels. Nous y répondons en apportant par ce texte de nécessaires précisions jurisprudentielles au code de la propriété intellectuelle.
Mais notre réflexion doit aussi perdurer. Nous sommes à l'ère du numérique et les habitudes des consommateurs ont prodigieusement changé. La rémunération pour copie privée doit elle aussi évoluer et nous devons chercher de nouveaux mécanismes afin que le monde du numérique contribue d'une manière juste et équitable à la création. Cela pourrait faire l'objet d'un second volet.
Mais j'en viens à ce premier volet. Comme l'a parfaitement rappelé notre rapporteure, la loi de 1985 a instauré le mécanisme de rémunération sur copie privée. Depuis les années quatre-vingts la démocratisation des moyens techniques de reproduction des oeuvres culturelles – les lecteurs-enregistreurs de cassettes audio et vidéo hier, les CD-ROM, DVD, clés et tablettes numériques aujourd'hui – a rendu impossible le contrôle du nombre de copies réalisées par les particuliers pour leur propre usage – dites copies privées – et accru le manque à gagner des auteurs et des autres ayants droit.
C'est la raison pour laquelle la loi du 3 juillet 1985 a instauré la rémunération pour copie privée, qui n'est ni une taxe ni la compensation d'un préjudice au sens du droit civil, mais bien une modalité particulière d'exploitation et de rémunération des droits d'auteur. C'est une sorte de droit d'abandon de l'autorisation de l'artiste sur la copie de son oeuvre. Si l'assujettissement est supporté par les fabricants ou importateurs de supports d'enregistrement – ils sont multiples aujourd'hui –, le consommateur, est au final, le véritable financeur de la rémunération. C'est lui, en effet, qui acquitte indirectement sur tout achat de supports assujettis le montant de la rémunération pour copie privée qui est répercutée systématiquement par le fabricant ou l'importateur. En 2010, les revenus générés par la redevance copie privée se sont élevés à près de 178 millions d'euros, vous le rappeliez, madame la rapporteure. Ce montant a sensiblement augmenté depuis dix ans sous l'effet des évolutions technologiques qui ont multiplié la capacité de stockage des supports numériques, donc les possibilités de copie privée.
La loi a prévu que 25 % des sommes collectées sont redistribuées collectivement sous forme d'aides à la création et je tiens à préciser qu'il n'a jamais été question de toucher à ce fameux quart. En s'acquittant de cette rémunération, le public participe directement au financement de près de 5000 manifestations et projets culturels dans une grande diversité de genres et de répertoires – grands et petits festivals, pièces de théâtre, concerts… C'est d'ailleurs l'une des bases du pacte public-artistes à l'origine de la redevance pour copie privée.
Aussi, le projet de loi répond de façon circonscrite aux conséquences juridiques importantes liées à différentes décisions récentes du Conseil d'État et tout particulièrement celle qui a annulé, à compter du 22 décembre prochain, la décision n° 11 de la commission de la copie privée, qui concerne l'essentiel des supports assujettis à cette rémunération. Cette dernière décision du Conseil d'État fait peser une menace immédiate sur la perception de l'essentiel de la recette annuelle de la rémunération pour copie privée, qui risque, si nous ne votons pas ce texte, de se trouver privée de tout fondement juridique à compter de cette date prochaine.
De plus, la décision du Conseil d'État entraîne un effet d'aubaine pour les redevables de la rémunération pour copie privée qui avaient engagé une action judiciaire avant le 17 juin 2011 : ils pourront réclamer le remboursement des sommes versées, soit un montant de près de 60 millions d'euros, alors même que l'essentiel de ces sommes étaient effectivement dues et que, par ailleurs, la copie privée a été répercutée sur le prix acquitté par les consommateurs. Ce point est essentiel car nous devons éviter la suspension des versements, qui serait comme on vient de le voir, tout à fait injuste, mais aussi parce que la rémunération pour copie privée reste une obligation communautaire. Les effets collatéraux de ces décisions sont très dangereux et je pense que nous devons être satisfaits, même si nous travaillons dans l'urgence, de l'existence de ce texte de validation législative.
Sur la question plus ciblée des professionnels et du mécanisme de remboursement de la rémunération pour copie privée, il convient de rester sur la ligne du Gouvernement : l'arrêt du Conseil d'État prévoit de ne pas assujettir les professionnels à la rémunération pour copie privée plutôt que de les rembourser. Force est de constater que cette solution risque d'accroître les possibilités de fraudes. Ce sujet reste central et devra faire l'objet d'une concertation et d'une réflexion plus aboutie, nous vous avons fait part de ce souhait, monsieur le ministre, lors des travaux en commission.
En attendant, le projet de loi prévoit l'exemption des supports acquis pour un usage professionnel du paiement de la rémunération pour copie privée, selon deux modalités : soit sur le fondement d'une convention passée entre Copie France et les professionnels, qui permettra à ceux-ci d'être exonérés de la rémunération pour copie privée lors de l'acquisition des supports dans des circuits de distribution dédiés ; soit par une demande de remboursement présentée auprès de Copie France et assortie de justificatifs.
En ce qui concerne les moyens, le projet de loi répond à une situation d'urgence et à une volonté de réforme profonde du dispositif mis en cause. Certains de nos collègues se sont saisis de l'opportunité de ce texte pour s'interroger notamment sur la gouvernance de la commission de la copie privée. Il est vrai que les décisions de cette commission sont systématiquement contestées devant les tribunaux. Il nous faut y réfléchir afin d'y instaurer un climat plus consensuel.
Mais la question essentielle, évoquée par tous en commission, est de savoir comment intégrer dans le périmètre de la rémunération pour copie privée ce qu'on appelle aujourd'hui le cloud computing et le changement de comportement des consommateurs qui versent de plus en plus vers le streaming ou le stockage à distance des données. Vous l'avez dit en commission, monsieur le ministre, une réflexion à plus long terme s'est déjà engagée avec la commission spécialisée du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. Il nous faut absolument mesurer les incidences des évolutions technologiques et comportementales. Nous devons trouver une nouvelle manière d'obtenir de la part de ces prestataires de services nouveaux, une rémunération des ayants droit. Le compte à rebours est déjà lancé et des préconisations doivent être rapidement présentées.
En attendant, il nous faut adopter ce projet de loi, qui a un objet circonscrit mais justifié par une situation d'urgence. Il faut espérer que nous nous retrouverons bientôt pour voter une loi Lang 2, formule dont vous êtes, monsieur le ministre, l'ayant droit. Cette exigence, nous la devons à tous les créateurs.
Monsieur le président, voilà très exactement dix minutes que je m'exprime. (Sourires.)
Je tiens à vous féliciter et je souhaite que les autres orateurs inscrits fassent comme vous...
Pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, la parole est à M. Patrick Bloche.
Si nous somme réunis pour débattre ce soir de la copie privée, c'est qu'il y a urgence. En effet, comme vient de nous le rappeler justement Mme la Rapporteure, après M. le ministre, il s'agit de mettre notre droit interne en conformité d'une part avec le droit communautaire suite à l'arrêt Padawan rendu par la Cour de justice de l'Union européenne le 21 octobre 2010, d'autre part, avec la décision du Conseil d'État du 17 juin dernier qui en découle et qui remet en cause la décision n° 11 de la commission de la copie privée.
Pourquoi cette urgence ? Nous devons éviter que, le 22 décembre prochain, il n'y ait plus de base juridique à la perception des 190 millions d'euros annuels de la rémunération pour copie privée. L'enjeu est donc important. Et c'est en ayant cette préoccupation à l'esprit, que notre groupe aborde ce débat. Nous avons entendu les appels à soutenir ce texte au nom du risque encouru. Nous répondons toujours présents dans cet hémicycle quand il s'agit de soutenir le financement de la création et nous devons collectivement parer au plus pressé.
En conséquence, nous avons fait le choix de ne pas déposer d'amendement sur ce projet de loi, dans l'attente d'un réel débat nécessairement plus global sur la rémunération de la création à l'ère numérique.
Car nous considérons, j'y reviendrai, qu'il est urgent de mettre l'ouvrage sur le métier.
À ce stade, il apparaît nécessaire de rappeler ce qu'est la copie privée et d'où vient cette rémunération particulière. En 1985, conscient des usages de nos concitoyens qui effectuaient des copies d'oeuvres qu'ils avaient acquises pour leur usage privé, le législateur qui nous a précédé a pris acte de l'impossibilité technique de contrôler chaque acte de copie réalisé par les consommateurs. Il a, dès lors, décidé d'instituer un système permettant de concilier à la fois la possibilité pour le consommateur de réaliser des copies privées, mais aussi la rémunération de l'activité créatrice de l'auteur.
À cette exception au droit d'auteur dite « exception pour copie privée » correspond donc une rémunération pour copie privée affectée aux auteurs. Le dispositif ne constitue ni une taxe ni la compensation d'un préjudice au sens que lui donne le droit civil, mais une modalité particulière d'exploitation et de rémunération du droit d'auteur, à travers un paiement forfaitaire se substituant au paiement à l'acte. Cette rémunération contribue également au dynamisme culturel et au développement de l'activité créatrice en France.
En effet, je tiens à rappeler que ce système peut être considéré comme vertueux puisque 25 % des montants perçus au titre de cette rémunération sont dédiés à des actions d'intérêt culturel. Ainsi, l'an dernier, près de 50 millions d'euros en provenance de cette rémunération ont pu être consacrés à environ 5000 manifestations culturelles sur l'ensemble du territoire pour soutenir des initiatives mettant en valeur la création et la diffusion des oeuvres. Je citerai, en écho aux propos de Mme la rapporteure, le festival Onze bouge, la Chaise et l'écran, les Estivales musicales du XIème et le festival Bastille quartier libre.
Je rappelle avec force, à l'occasion de ce débat, l'intérêt de la loi Lang de 1985, d'ailleurs votée à l'unanimité du Parlement. Cette loi intelligente par excellence car ayant su, à l'époque, prendre en compte l'usage fait par nos concitoyens des modes de reproduction des oeuvres pour accéder à la culture, reposait sur la compensation d'un manque à gagner par l'ouverture d'un droit à rémunération « juste et équitable » et ne cherchait pas à modifier ou à empêcher l'usage des modes de reproduction offerts. C'est toute la différence avec la loi dite HADOPI,…
…qui, en mettant en place un dispositif répressif, avait la folle ambition de dicter leurs comportements aux consommateurs.
Non, ça ne marche pas !
La loi de 1985 constitue donc une dérogation au droit d'auteur, droit patrimonial mais aussi moral puisqu'il permet à son titulaire d'autoriser ou de refuser la diffusion de ses oeuvres. Elle déroge également au principe du paiement à l'acte en permettant un versement forfaitaire, comparable à la licence légale pratiquée en radiodiffusion, tout le contraire, là encore, de la philosophie de la loi HADOPI, qui entend maintenir le paiement à l'acte là où une rémunération forfaitaire serait davantage adaptée aux usages numériques d'aujourd'hui.
Il ne s'agit pas pour autant de revenir ce soir sur le système de la rémunération pour copie privée. Il nous faut seulement assurer la survie – pour combien de temps ? nul ne le sait – d'un dispositif essentiel pour la diffusion du spectacle vivant, pour l'aide à la création et pour la formation des artistes, trois domaines financés par 25 % des sommes collectées au titre de la rémunération pour copie privée. C'est en grande partie la raison pour laquelle nous voterons ce projet. Et nous le faisons en dépit de ceux qui aimeraient récupérer ces ressources pour financer un éventuel Centre national de la musique.
Cela dit, chers collègues, c'est sans doute la musique de Titanic qu'il faudrait faire jouer pour évoquer le CNM,…
…compte tenu du sort que la commission des finances, à l'initiative de son rapporteur général, Gilles Carrez, vient de réserver aujourd'hui aux 2,5 millions prévus par le projet de loi de finances rectificative pour 2011 pour financer sa mission de préfiguration. Avec une subvention réduite comme une peau de chagrin – 500 000 euros –, on peut dire que ce centre a du plomb dans l'aile.
Nous sommes inquiets, mes chers collègues, des diverses propositions qui circulent sans être ni confirmées, ni infirmées, sur les modalités du financement de la culture dans notre pays. Déshabiller Pierre pour habiller Paul n'est jamais de bonne politique en ce domaine et les annonces précipitées lancées par l'exécutif, avec les arrière-pensées électorales que l'on devine, sont en règle générale de bien mauvaises pistes de travail.
Le système doit évoluer, nous sommes un certain nombre dans cet hémicycle à le souhaiter. Car, si personne ne conteste désormais le principe d'une rémunération de la copie privée, le fonctionnement du dispositif tel que nous le connaissons depuis plus de vingt-cinq ans est, lui, régulièrement mis en cause. J'en veux pour preuve le fait que les cinq dernières décisions adoptées par la commission de la copie privée ont fait l'objet de recours devant la juridiction administrative.
La tâche à venir pour le législateur est donc aussi lourde que passionnante, au moment même où le commissaire européen au marché intérieur, Michel Barnier, vient de nommer un médiateur chargé de relancer le dialogue, au début de l'année 2012, en vue d'une éventuelle réforme de la rémunération pour copie privée au niveau communautaire.
Dans cette attente, nous veillerons aujourd'hui à préserver, pour un temps donné, une part des modalités de cette rémunération tout en nous mettant en conformité avec les décisions de différentes juridictions. Ce projet de loi, dans le respect de l'autorité de la chose jugée, aboutit ainsi à une exemption des supports acquis pour des usages professionnels tout en permettant de maintenir les barèmes provisoires fixés par la commission de la copie privée, dans l'attente des études d'usages appropriées.
Le texte issu de la commission repose, à cet égard, sur un bon équilibre. Il comprend désormais une disposition tendant à rendre la commission des affaires culturelles et de l'éducation destinataire du rapport rendu par les sociétés de perception et de répartition des droits d'auteurs et voisins sur l'utilisation faite des sommes consacrées à l'aide à la création. C'est une bonne chose dans la mesure où cette transmission permettra, dans la transparence, de lever les éventuelles interrogations qui ont pu naître ici ou là.
Ce texte poursuit également un objectif d'information du consommateur en assurant un travail de communication sur chaque support acheté.
Enfin, le passage du délai de vingt-quatre mois supplémentaires initialement prévu par le projet de loi à un délai de douze mois répond à la nécessité de prendre le temps de réaliser la douzaine d'études d'usage nécessaires, avant la fixation de barèmes définitifs, consensuels et, si possible, incontestables, mais aussi au souhait du législateur de ne pas faire inutilement traîner les choses.
Globalement ce texte sécurise juridiquement le dispositif et, de fait, protège le financement de la création artistique.
Il reste, monsieur le ministre, que nous ne pouvons une nouvelle fois que regretter que le vrai débat ne soit jamais lancé. Les lois de retardement et de colmatage des brèches ne peuvent cacher la réalité : nous devons nous doter d'un système de rémunération du droit d'auteur qui soit adapté à la réalité des usages à l'ère numérique.
Or – hormis ce soir, profitons de cet instant –, vous vous obstinez, au nom du Gouvernement et du Président de la République à proposer des lois aussi inutiles qu'inefficaces et qui, surtout, ne rapportent pas un euro de plus à la création.
À cet égard, lors du sommet consacré aux droits d'auteur et à la propriété intellectuelle sur internet qui a réuni en Avignon les ministres de la culture des pays du G8 et du G20 et des représentants d'organisations internationales, le Président de la République a, une nouvelle fois, manqué l'occasion de faire un grand discours sur la culture et le numérique. Inlassablement, le chef de l'État préfère nous replonger dans le passé, en tentant de maintenir l'illusion que la HADOPI pourrait avoir une quelconque utilité, à tel point que la Corée du Sud envisagerait de nous suivre dans cette voie. Quel succès !
Le nouveau cheval de bataille du Gouvernement serait donc désormais le streaming. Rappelons que dès la discussion du projet de loi dit « HADOPI 1 », les députés de l'opposition, avec certains députés de la majorité, avaient longuement – et inutilement hélas ! – expliqué au Gouvernement que se focaliser sur le peer to peer sans prendre en compte le développement du streaming était ridicule. Le Président de la République a annoncé un HADOPI 3. Vous dites, monsieur le ministre, que ce ne sera pas le cas. Éric Besson réfléchirait de son côté à des solutions. Bref, on ne sait plus quoi penser.
Il est plus que temps qu'une nouvelle majorité apporte de nouvelles solutions, comme nous avons su le faire en 1985, avec le même esprit de recherche de consensus, en associant tous les acteurs du secteur concerné : il s'agit de prendre à bras-le-corps l'immense chantier de la création à l'ère numérique. Mais, après tout, peut-on rêver perspective plus exaltante ?
Ce projet de loi tire les conséquences de deux arrêts. L'arrêt Padawan contre SGAE rendu en octobre 2010 par la Cour de justice de l'Union européenne, rappelait que la directive européenne de 2001 relative à l'harmonisation du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information ne saurait aboutir à assujettir les équipements, appareils et supports de reproduction numériques réservés à des usages autres que privés. Pour sa part, le Conseil d'État a annulé en juin dernier la décision n° 11 de la commission de la copie privée, au motif que cette décision omettait d'exclure de l'assujettissement à la redevance pour copie privée les supports acquis à des fins professionnelles dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage de copie privée. Le Conseil d'État, en vertu du principe de sécurité juridique, laissait six mois à la commission pour prendre une nouvelle décision tenant compte des motifs d'annulation.
Eu égard aux délais, et en dépit du travail amorcé par la commission, nous comprenons, monsieur le ministre, votre intervention législative qui vise à garantir la compensation financière des actes de copie privée afin de ne pas mettre en difficulté les ayants droit.
Il n'en reste pas moins que ce pansement législatif, qui vient après dix ans de législations rétrogrades, est symptomatique de votre incapacité à adapter vos politiques culturelles à l'explosion de la création corrélative des nouveaux modes de diffusion de la culture et à la dimension profondément démocratique de ces nouveaux usages. Il devient quelque peu acrobatique de fonder le financement d'actions culturelles sur des supports physiques dont l'usage est appelé à péricliter du fait de l'apparition d'autres moyens d'accès à la culture, musicale ou autre.
À cet égard, l'analyse des débats sur la culture qui ont eu lieu dans cet hémicycle depuis 2002, montre que vous êtes constamment en retard sur la compréhension des nouveaux modes de diffusion. Dans la loi HADOPI, vous vous attaquiez au peer to peer ; aujourd'hui, il semble que le streaming soit votre nouvelle cible. Autrement dit, vous mélangez constamment les outils et leur utilisation. Dans ces conditions, il vous est difficile d'avancer de manière constructive en matière de défense des droits d'auteur et d'accès de masse à la culture.
En réalité, dans le domaine de la création artistique et de la diffusion de la culture, vous persistez, sous la pression des majors et des sociétés de perception et de répartition des droits, à porter à bout de bras un modèle obsolète qui ne permet pas de garantir un revenu décent aux créateurs de notre pays, si ce n'est aux têtes d'affiche d'une culture massifiée.
L'étude d'impact qui accompagne ce projet de loi est à cet égard instructive. Elle justifie l'intervention du législateur par une sorte d'intérêt général d'ordre culturel : il s'agirait de préserver le mécanisme de rémunération pour copie privée qui constituerait « un soutien essentiel à l'économie de la création et à la diversité culturelle ». Il est vrai que l'évolution du financement direct de la création a fondu de près de 10 % en autorisations d'engagement entre les PLF 2008 et 2012.
Vous justifiez également ce projet au regard de l'intérêt général en insistant sur le fait qu'il contribuerait à écarter le risque pesant sur la trésorerie des sociétés de perception et sur les ayants droit. Faut-il rappeler que la majorité des artistes ne vit pas de ce mode de gestion collective de leurs droits, alors même que certains directeurs de ces sociétés émargent à plus de 600 000 euros de salaire annuel ?
Le huitième rapport de la commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits décrit un système qui est au service non pas des artistes et des consommateurs mais seulement de lui-même.
Les sommes prélevées par les SPRD pour rémunérer la création sont loin d'être anecdotiques : elles ont progressé de 35 % entre 2000 et 2008 et avoisinent 1,5 milliard d'euros en 2010. Les créateurs qui s'efforcent de vivre de leur art profiteraient peut-être davantage de cette progression si le système des SPRD n'était pas aussi complexe, opaque et inefficace. Certaines entités n'existent que sur le papier, se réduisant fréquemment à un conseil d'administration dans lequel siègent des administrateurs d'autres sociétés de perception, qui touchent souvent une double indemnité et les conflits d'intérêts sont légion – on connaît le cas d'administrateurs qui examinent eux-mêmes leurs propres demandes de subventions.
Le vrai problème reste sans nul doute la multiplication des sociétés intermédiaires, qui fait exploser le coût de la collecte. Il arrive ainsi que 50 % des droits d'auteur se volatilisent en frais de perception.
Une telle situation dans une association ou une ONG susciterait de nombreuses d'interrogations et conduirait immédiatement à enquêter sur les raisons de frais de gestion aussi élevés et sur l'articulation avec l'intérêt général des adhérents de l'association. Nous ne pouvons donc que nous étonner que cette situation perdure et que la réforme de ce système soit toujours reportée.
Votre majorité, monsieur le ministre, est au pouvoir depuis plus de neuf ans. Vous nous dites qu'une commission travaille actuellement à ces questions mais sans doute aurait-il été possible d'avancer un peu plus vite.
Face à l'emprise croissante des industries hautement capitalistiques du secteur de la culture, qui jouent la concentration, la consommation et la répression contre le partage démocratique, nous réaffirmons, pour notre part, l'existence d'un lien étroit entre le soutien à la création et l'appropriation sociale et citoyenne des oeuvres et des pratiques culturelles et artistiques. Nous réaffirmons la nécessité de faire prévaloir en toutes circonstances l'intérêt public, afin d'affranchir notre économie de la culture de la soumission à l'argent. Nous réaffirmons la centralité du travail artistique et culturel au sein des politiques publiques en termes d'emploi, de droits sociaux, de statuts et de rémunération. Nous réaffirmons la nécessité de prendre enfin en considération les nouvelles pratiques de diffusion de la création et de garantir le respect des droits, moraux et des droits à rémunération des artistes, auteurs et interprètes.
Ce texte est un texte bancal, un texte d'urgence, un texte qui, une fois de plus, ne règle pas les questions au fond.
Pour le groupe Nouveau Centre, la parole est à M. Jean Dionis du Séjour.
Je commencerai par une petite diversion sur le thème de la copie. Dans son étude de 1935, L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, Walter Benjamin développe le thème de l'aura introduit dans son essai de 1931, Petite histoire de la photographie, pour caractériser la spécificité de l'oeuvre : l'oeuvre est unique, liée à un lieu déterminé et s'inscrit dans l'histoire.
« L'aura » d'une oeuvre est « l'unique apparition d'un lointain, quelle que soit sa proximité », nous dit Benjamin : par quel mystère quelque chose peut-il être à la fois proche et lointain ? N'est-ce pas une contradiction ? Walter Benjamin infirme cette idée. Prenons l'exemple du portrait ou de la peinture. Le tableau est toujours unique, et unique apparition d'un lointain, par opposition à la photographie, qui est reproductible : il suffit de faire un autre tirage, dit Walter Benjamin. Cette reproductibilité est accentuée pour le cinéma, qui est par essence reproductible.
La conséquence de la reproductibilité technique, c'est une perte de l'aura : la copie acquiert une autonomie vis-à-vis de l'original, et l'oeuvre est placée dans de nouveaux contextes. La copie va vers l'observateur, elle devient accessible dans des situations nouvelles et elle s'abstrait de tout contexte historique et spatial. C'est ainsi, nous dit Benjamin – en 1936 ! –, que l'oeuvre reproductible devient un objet commercial à diffuser en masse. Benjamin, visionnaire, ne le regrette pas.
Soixante-dix ans plus tard, la révolution numérique rend possible la dématérialisation de l'oeuvre devenue objet commercial ; elle rend possible la copie à l'infini pour un coût marginal quasi nul, elle donne aux oeuvres une fluidité qui déborde les canaux existants et apporte une nouvelle dimension à leur diffusion et à leur commercialisation.
Soixante-dix ans plus tard, la révolution numérique bouleverse le concept même de propriété d'une oeuvre ; les derniers chiffres de l'économie de la culture démontrent que l'usage en flux se substitue de plus en plus à celui du support physique. Écoutez ces chiffres : pour la vidéo, pour la première fois, en 2011, la montée en puissance de la video on demand permet de compenser le recul du marché de la vente de DVD. On parle bien ici d'économie marchande. Pour la musique, les plates-formes numériques ont permis une compensation croissante des pertes subies par le support CD. Sur les six premiers mois de 2011, le taux de substitution a dépassé les 40 % par rapport à 2010.
Les services en flux – Deezer, Spotify, et les autres – représentent de très loin le segment le plus dynamique du marché, notamment par les accords conclus avec les fournisseurs d'accès à internet ; leur chiffre d'affaires a plus que doublé au premier semestre 2011.
Ainsi, après une phase de destruction de valeur qui a caractérisé la décennie 2000, nous pouvons être optimistes quant à la capacité de l'écosystème numérique à faire émerger de nouveaux modèles marchands vertueux.
Et pourtant, aujourd'hui, soixante-dix ans après l'article célèbre de Walter Benjamin, nous sommes dans cet hémicycle pour reprendre une fois encore le débat sur le financement de la culture à l'heure du numérique, avec un projet de loi portant sur la rémunération pour copie privée. Comment en est-on arrivé là ?
Commençons par quelques éléments de contexte. Ce projet de loi vise à tirer les conséquences de plusieurs décisions récentes du Conseil d'État sur le mécanisme de rémunération pour copie privée.
Si la loi de 1957 a réservé à l'auteur d'une oeuvre le droit d'en autoriser la reproduction, plusieurs exceptions ont été introduites. Or, la révolution numérique a bouleversé l'équilibre entre les intérêts des titulaires de droits et ceux des consommateurs.
La loi Lang de 1985 a instauré une rémunération pour copie privée, visant à compenser financièrement le préjudice subi par les auteurs et les titulaires de droits voisins. Ce prélèvement n'est pas une taxe : le Conseil d'État a jugé, dans une décision Simavelec du 11 juillet 2008, qu'il s'agissait d'une modalité particulière d'exploitation des droits d'auteur. La rémunération est la contrepartie de l'exploitation d'une oeuvre réalisée sans autorisation préalable de l'auteur ou du titulaire des droits.
Nous devons également rappeler que la répartition de la rémunération entre les différentes catégories d'ayants droit est opérée après un prélèvement de 25 % sur la recette brute, destiné à des actions d'aide à la création. Cette ressource, dont le montant s'élevait en 2010 à environ 47 millions d'euros, pour un montant total de la rémunération pour copie privée de 189 millions d'euros, représente une part non négligeable du financement de la création française.
À l'occasion de recours engagés à l'encontre de certaines décisions de la commission de la copie privée, le Conseil d'État est venu apporter des précisions importantes concernant le champ d'application de la rémunération pour copie privée. D'abord, celle-ci ne peut servir à compenser que les « copies réalisées à partir d'une source acquise licitement ». Ensuite, les supports acquis dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage de ces matériels à des fins de copie privée, c'est-à-dire notamment les supports acquis à des fins professionnelles, doivent être exclus du champ de la rémunération pour copie privée.
Dans ce contexte, nous vous sommes sincèrement reconnaissants, monsieur le ministre, de la modestie avec laquelle vous avez présenté ce projet de loi. Vous avez d'ailleurs repris le mot « rustine » employé par notre collègue Lionel Tardy pour qualifier ce texte, et vous avez parlé d'un mécanisme d'urgence destiné à sauver le système actuel de rémunération pour copie privée. C'est, je crois, une bonne façon d'aborder ce sujet. Vous avez également appelé de vos voeux une remise à plat de ce système, qu'il faut dépoussiérer.
Je veux aussi, dans ce contexte difficile, et très particulier, saluer la compétence de notre rapporteure, qui a démontré sa connaissance fine de ce sujet malgré le peu de temps dont elle disposait pour en maîtriser toutes les composantes.
À l'instar de M. le ministre et de Mme la rapporteure, nous avons collectivement un devoir d'humilité dans l'exercice qui nous est demandé ce soir. L'expérience nous incite à la modestie dans le processus législatif : Patrick Bloche a rappelé le parcours chaotique de la HADOPI.
Monsieur le ministre, nous voulons sincèrement vous aider. Mais nous devons formuler quelques critiques de fond sur un système anachronique. Oui, le système de la rémunération pour copie privée, instauré en 1985, est périmé, à bout de souffle. Que devient, ainsi, l'usage « au sein du cercle de famille » à l'époque des réseaux sociaux ?
Il faut aussi insister sur le faible rendement du système français. Nous avons cherché à reconstituer l'utilisation des 189 millions d'euros prélevés : même en intégrant les 47 millions d'euros qui correspondent aux 25 % réservés à l'aide à la création, après prélèvement par les sociétés de répartition, à peine 100 millions d'euros vont aux ayants droit. Oui, la pompe de la copie privée a un rendement modeste.
Les revenus collectés sont pourtant quatre fois supérieurs à la moyenne européenne. Est-ce normal ? La France est le premier pays européen pour les revenus issus de la rémunération pour copie privée : celle-ci représente par exemple 73 % du prix d'un DVD vierge.
Enfin, le système de gouvernance de la rémunération pour copie privée doit être réformé. Ses méthodes sont opaques ; le système tout entier est en lambeaux. La commission de la copie privée ne fonctionne pas : les industriels, qui en sont partie prenante, s'estiment marginalisés, et ont fait le choix de soumettre systématiquement à la justice les décisions de la commission. La vraie commission de la copie privée, c'est maintenant, de facto, le Conseil d'État.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, votre approche, qui est estimable, d'un texte « rustine » est-elle la bonne ?
Si le texte demeure en l'état, nous craignons que la réponse ne soit négative. Cette loi sera portée par les industriels devant le Conseil constitutionnel, devant la Cour de justice de l'Union européenne. La pratique d'appel systématique à la justice pour contrer les décisions de la commission de la copie privée va se poursuivre.
Si quelques amendements de raison, notamment les amendements centristes, pouvaient être adoptés, alors peut-être un chemin pourrait-il être trouvé. C'est tout le bonheur que nous souhaitons à ce texte, monsieur le ministre.
Merci. (Sourires.)
Le texte que nous examinons aujourd'hui est nécessaire et urgent. Nous sommes devant un mur : au-delà de la date butoir du 22 décembre, le système de la rémunération pour copie privée risque d'être gravement désorganisé, ce qui toucherait par ricochet une partie du système de financement de la création. Cela a été rappelé par les orateurs précédents.
Ce texte est donc nécessaire, mais il est loin d'être suffisant. Vous l'avez d'ailleurs dit, monsieur le ministre, et nous vous en sommes reconnaissants.
Le dispositif de la copie privée mis en place en 1985 est à bout de souffle, j'en suis bien d'accord, monsieur Dionis du Séjour. Le prolonger encore ne rend service à personne, et certainement pas aux artistes et à la création. Comme plusieurs de nos collègues, je pense qu'il faut reconstruire complètement le dispositif. Et c'est bien normal : même si cela nous rappelle de bons souvenirs de jeunesse, nous ne sommes plus au temps de la radio-cassette ou même du baladeur CD ! (Sourires.)
Mais il ne faut pas toucher aux fondations sur lesquelles repose ce système : la propriété intellectuelle et le droit d'auteur sont des éléments essentiels de notre politique et la création doit continuer à être aidée. La France a fait de longue date le choix engagé de soutenir la création culturelle et de la faire rayonner dans le monde entier. Il est hors de question de remettre en cause l'exception culturelle, à laquelle je suis attachée, à laquelle nous sommes tous attachés, quels que soit les bancs sur lesquels nous siégeons.
Reste maintenant à voir comment s'organiser au mieux pour atteindre ces buts, et c'est pour cela que j'aurais aimé que vous nous présentiez un texte plus réformateur.
En effet, les dispositifs actuels ne sont plus adaptés, à mon avis, aux technologies du numérique et ils reposent sur une organisation et des choix de politiques publiques qui doivent être rediscutés.
Prenons l'exemple d'une personne qui dispose d'un ordinateur, d'un disque dur externe de sauvegarde, d'un téléphone portable : c'est une situation classique de nos jours. Admettons que cette personne n'ait qu'une seule bibliothèque musicale ; mais elle l'a sur son PC, sur son mobile et en conserve une sauvegarde sur son disque dur : situation encore assez classique. Avec le système actuel, il me semble que cette personne paye trois fois ce qui n'est finalement, en termes d'usage, qu'une seule copie. Avouons-le-nous : ce n'était pas la logique au moment de l'adoption du texte en 1985 – et pour cause !
Et maintenant se commercialisent, Mme la rapporteure l'a noté, des offres de cloud computing. Imagine-t-on sérieusement pouvoir appliquer le système de la copie privée au cloud computing ? C'est, vous le savez, un secteur prometteur, que le Gouvernement a décidé de soutenir par le biais d'un appel à projet dans le cadre des investissements d'avenir, et je salue cette décision : nous pensons que ce peut être une filière d'excellence française, génératrice de croissance et d'emplois.
Serait-il pensable d'infliger à ce secteur à peine émergent une redevance franco-française, alors que les services de cloud computing peuvent aisément – vous le savez – être installés à l'étranger ? C'est un sujet majeur, qui nous obligera à revoir le système de la copie privée.
Du point de vue de l'organisation, beaucoup de choses, trop de choses à mon avis, transitent par des sociétés privées, les sociétés de perception et de répartition des droits. Initialement chargées de collecter les droits et de les redistribuer, elles ont vu leur champ d'action s'étendre : elles s'occupent maintenant de soutien à la création, dans des proportions non négligeables, mais aussi de formation professionnelle des créateurs et des artistes. Est-ce vraiment leur rôle ? J'aurais tendance à penser que non, mais on peut en discuter.
Se pose aussi, plusieurs orateurs l'ont dit, la question de leur fonctionnement et de leur organisation, qui fait l'objet de critiques récurrentes de la part de la commission chargée de leur contrôle.
Enfin, comment ne pas voir qu'il y a un problème entre le collège des ayants droit d'un côté, et celui des industriels et des consommateurs de l'autre côté, au sein de la commission de la copie privée ? Les décisions sont prises avec les seules voix des ayants droit et d'un ou deux membres des autres collèges. Elles sont quasi systématiquement déférées devant la justice, et très régulièrement annulées. L'ambiance est exécrable et les ponts sont rompus depuis longtemps. Il n'est pas souhaitable de continuer comme cela.
Monsieur le ministre, nous savons que le dispositif mis en place en 1985 est maintenant obsolète – il aura tenu plus de vingt-cinq ans.
Au moment où nous examinons ce projet de loi, je souhaite que vous nous apportiez des éclairages sur le nouveau dispositif que vous envisagez – dans le cadre de la commission que vous avez mise en place et qui réfléchit à ce sujet – pour nous permettre de rester dans le cadre fixé par la directive européenne et de respecter les arrêts du conseil d'État. Ce dispositif devra surtout être pérenne, afin de protéger l'exception culturelle française. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
« Il n'y a pas de création sans épreuve », disait l'écrivain Fernand Ouellette. C'est bien de cela qu'il s'agit, car c'est en effet une épreuve qui nous rassemble aujourd'hui.
Notre tâche est d'éviter l'effondrement de notre système de rémunération de la création face à des attaques répétées ; d'assurer l'avenir de la culture lorsqu'elle subit un environnement réglementaire incertain et des coups de butoirs successifs. Je pense au plafonnement des taxes pour un certain nombre d'organismes culturels, au contentieux engagé à Bruxelles et à la fiscalité alourdie sur les biens culturels.
C'est l'occasion de rappeler l'attachement du groupe socialiste au soutien à la création. Dès 1984, le ministre de la culture, Jack Lang, posait les jalons de cette approche. « Le jour est venu, disait-il, d'établir des règles qui permettent aux créateurs d'affronter le défi des nouvelles technologies et de les faire servir au développement de la création. »
La loi du 3 juillet 1985 relative aux droits d'auteur instaurait la rémunération pour copie privée, compensation équitable accordée aux auteurs en contrepartie de la faculté reconnue par le législateur aux particuliers de copier des oeuvres protégées pour leur usage strictement privé.
Le dispositif de la copie privée s'inscrit en contradiction avec la loi Hadopi. Sans prétendre renier les usages de nos concitoyens, elle tend, au contraire, à concilier l'ensemble des droits et devoirs de chacun dans un univers en évolution permanente.
Aujourd'hui, la lutte menée à grands frais contre les partages non commerciaux de fichiers ne comble en aucune façon le manque à gagner des auteurs.
La loi de 1985 était-elle à ce point en avance qu'elle trace un chemin que l'on pourrait suivre ?
Le Président de la République se félicite des résultats de l'actuelle Hadopi tout en annonçant la préfiguration d'une nouvelle loi Hadopi et – pourquoi pas ? – une nouvelle autorité.
La loi de 1985 était-elle à ce point en avance qu'elle est toujours pérenne et qu'elle aurait pu guider un certain nombre de réflexions ?
La rémunération pour copie privée est fondamentale pour les industries culturelles et pour les créateurs. La rémunération des créateurs s'apparentant aujourd'hui à une mosaïque, la copie privée, constitutive de leurs revenus globaux, doit être préservée.
Près de 190 millions d'euros ont été perçus en 2010, dont 75 % sont directement versés aux ayants droit et 25 % vont à la culture.
Puisque chacun ici a parlé de son festival, à mon tour je vous invite, monsieur le ministre, aux rencontres Transmusicales de Rennes qui se tiendront les 1er, 2 et 3 décembre prochains. (Sourires.)
La décision rendue par Conseil d'État le 17 juin dernier a mis en péril le dispositif.
L'enjeu pour le législateur est double. Il s'agit, d'une part de prévoir la possibilité d'exonérer les supports acquis à des fins professionnelles, dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage de ces matériels à des fins de copie privée, d'autre part de rémunérer les ayants droit à la hauteur du préjudice subi par l'exception de copie privée. Mais il s'agit également d'assurer la pérennité du système de rémunération des auteurs à compter du 22 décembre prochain, limite fixée par le Conseil d'État. Et c'est là toute l'urgence de notre rendez-vous : éviter que le système ne s'effondre.
Mais qu'est-ce que l'urgence ? Edgar Morin en avait une approche utilitariste : « Il ne suffit plus de dénoncer. II nous faut désormais énoncer. Il ne suffit pas de rappeler l'urgence. Il faut aussi savoir commencer, et commencer par définir les voies susceptibles de conduire à la voie ».
Oui, les contentieux en cours et le développement des usages dans l'univers numérique doivent nous conduire à une réflexion de fond sur la rémunération pour copie privée.
Aussi, si nous comprenons l'urgence et soutenons les modalités envisagées par le projet de loi pour y répondre, il faut se saisir de cette occasion pour aborder plusieurs questions de fond.
Première remarque : le projet de loi tire les conséquences de la décision du Conseil d'État du 11 juillet 2008 qui subordonne l'exception de copie privée aux seules copies réalisées à partir d'une source licite.
Auparavant, alors que les copies illicites et le téléchargement d'oeuvres sur les réseaux peer to peer entraient dans le calcul de la rémunération, nous étions donc dans un système qui s'apparentait à la licence globale. C'est d'ailleurs à demi-mot ce que dit la Cour de justice des communautés européennes dans son arrêt Padawan. Cette dernière s'écarte de la qualification de rémunération en avançant le caractère extra-contractuel de la compensation.
Elle précise que le préjudice résulte non d'une violation du droit de reproduction mais bien de la réalisation de la copie privée. Il semblerait alors que la Cour européenne considère la copie privée comme une limite interne au droit d'auteur et non externe au monopole de l'auteur. Nous serions donc dans une approche qui s'apparente effectivement à un système de licence globale.
Ma deuxième remarque concerne l'évolution rapide des supports de stockage et la collecte de la rémunération auprès d'acteurs domiciliés fiscalement dans d'autres États que la France. Je veux parler notamment de ce que l'on appelle le nuage – parlons français – au travers de services comme Google, qui bousculent l'assiette de la rémunération pour copie privée.
Si des duplications peuvent être autorisées dans le nuage sans aucun contrôle, alors il n'y a plus de système de copie privée au sens du code de la propriété intellectuelle mais simplement un stockage et la base de la perception n'existe plus. Il s'agit d'une vraie question sur l'avenir du dispositif.
Et quand bien même un mécanisme de taxation à l'accès viendrait à être mis en place, que fera-t-on lorsque le seul accès se fera sous la forme d'un cache temporaire ou d'une lecture en streaming sans même passer par le disque dur d'un PC ? Un simple stockage temporaire suffirait à fragiliser la base même de la perception de la rémunération pour copie privée.
Troisième remarque : je tiens à souligner notre attachement au dispositif de rémunération pour copie privée en tant que source de financement essentielle du secteur culturel. Les 25 % demeurent primordiaux à la préservation de la diversité culturelle.
Dès lors, comment pourrais-je ne pas vous interpeller une énième fois sur le Centre national de la musique ?
Certes, le Président de la République a annoncé la création d'une taxe sur les fournisseurs d'accès à internet qui viendrait donc s'ajouter à ce qui existe déjà pour France Télévisions et pour le Centre national de cinématographie. Mais des bruits de couloirs font écho d'une captation des 25 % de la redevance pour copie privée en faveur de ce Centre national des industries musicales. Envisagez-vous cette hypothèse ? Sans réponse de votre part, nous serions amenés à interpréter votre silence.
Devant l'imbroglio provoqué par l'hypothèse d'un financement du Centre national de la musique par les recettes du CNC et le plafonnement des taxes du CNC, il nous faut des réponses claires. Il faudrait que l'on sache sur quelles bases cela se ferait car le plafonnement des taxes va au budget général, c'est-à-dire qu'il ne peut avoir une autre destination.
En conclusion, monsieur le ministre, je m'interroge sur l'usine à gaz que constitue, sous certains de ses aspects, le système actuel. À en croire votre étude d'impact, il semblerait que l'application des taux de TVA à la rémunération pour copie privée varie tout au long du circuit d'assujettissement bien complexe puisque deux pages sont nécessaires pour l'expliquer. Au final, on fait payer plus le consommateur et moins le distributeur ce qui augmente la marge de ce dernier. Il faudra probablement revoir ce dispositif.
Par ailleurs, il faut reconnaître que le système des sociétés de perception et de répartition des droits devient trop complexe et ne permet pas une transparence suffisante pour les artistes, d'où certaines interventions.
Mes chers collègues, vous le voyez, il y a urgence à assurer la pérennité de notre système de rémunération pour copie privée, soutien essentiel à l'économie de la création. Mais il y a aussi urgence à repenser le dispositif dans son ensemble et à trouver de nouveaux équilibres pour assurer une rémunération juste et équilibrée aux auteurs et aux artistes interprètes.
En tout état de cause, le dispositif de rémunération pour copie privée, qui a fait ses preuves, doit être pérennisé. Mais souvenons nous que le rapporteur de la loi de 1985, Alain Richard, déclarait : « Nous devons être attentifs à une constante du caractère français : sa relative lenteur, sa relative réticence à adopter les cours nouveaux en matière de communication et sa relative vulnérabilité face au développement industriel et commercial de ces nouveaux supports. »
Oui, monsieur le ministre, il nous faut avancer dans l'urgence mais sans pour autant empêcher un regard sur les évolutions nécessaires. Il nous faut avancer sur des questions d'avenir et affronter le défi des nouvelles technologies pour sauvegarder le système de rémunération des auteurs mais aussi pour favoriser l'accès de tous les citoyens à la culture, pour ouvrir inlassablement les portes de la création. C'est l'ouvrage qui nous attendra bientôt. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Le 21 octobre 2010, la Cour de justice de l'Union européenne a rendu l'arrêt Padawan sur la problématique de la copie privée. Entre la directive de 2001 et cet arrêt, nous avons dorénavant un cadre précis, que nous devons respecter.
Pour bien légiférer, il faut commencer par poser le cadre dans lequel nous devons nous inscrire, afin de produire une loi solide et inattaquable.
En ce qui concerne la copie privée, nous en sommes quand même à trois annulations depuis 2008, dont deux cette année. Il faudrait peut-être prendre l'aspect juridique un peu plus au sérieux si l'on ne veut pas avoir une nouvelle fois à légiférer l'automne prochain, à cause d'une annulation par le Conseil constitutionnel après une probable question prioritaire de constitutionnalité.
Les industriels sont très remontés et se positionnent clairement dans une optique de conflit. Je le déplore, mais il faut en tenir compte et savoir que nous aurons des contentieux à gérer très rapidement.
Plusieurs points ont été tranchés.
Premier point : ce que nous appelons rémunération pour copie privée est clairement de nature indemnitaire. Cette indemnité dédommage les ayants droit pour un préjudice subi du fait de l'exercice du droit de copie privée.
La Cour de justice de l'Union européenne a très clairement affirmé que la compensation équitable – c'est le terme exact – est une notion autonome et qu'elle doit être entendue de la même manière dans l'ensemble de l'Union. Dans son arrêt du 17 juin 2011, le Conseil d'État s'est éloigné de cette position, ce qui est un tort car c'est le droit européen qui a le dernier mot.
Les sommes perçues au titre de la copie privée ne sont donc pas une rémunération qui doit impérativement coller aux faits générateurs de la rémunération. Une certaine marge est laissée aux États pour en organiser les modalités de financement et de perception.
Deuxième point très important : la limitation stricte des usages donnant lieu à indemnisation.
Le préjudice venant d'une copie privée, seuls les actes réalisés par des personnes physiques dans le cadre d'un usage privé peuvent donner lieu à indemnisation. Il est donc exclu qu'une rémunération pour copie privée puisse être demandée aux personnes morales, ainsi que pour les usages professionnels.
Cela réduit l'assiette, donc le produit de cette taxe, j'en conviens, mais c'est le droit européen qui a fixé cette limite sur laquelle il ne nous appartient pas, à nous législateur français, de revenir. Et cela ne me semble que justice.
Troisième point : l'encadrement de la présomption d'utilisation de matériels pour copie privée. On est arrivé par le passé à des excès. Par exemple, on voulait taxer des appareils qui ne sont manifestement pas destinés à la copie privée, comme les GPS des voitures. Il faut que le support ait un usage prévu pour le stockage de fichiers audio et vidéo pour que l'on prétende l'assujettir. C'est du simple bon sens, mais apparemment il n'était pas partagé par tous.
Une fois ce cadre posé, il nous reste des marges de manoeuvre sur lesquelles un débat doit s'engager. Je suis conscient qu'il ne se réglera pas ici ce soir, mais il doit être lancé.
Je regrette d'ailleurs que nous ne nous en soyons pas saisis plus tôt. Nous en sommes réduits, comme c'est trop souvent le cas, à légiférer sous pression, dans l'urgence et la précipitation.
J'ai déposé des amendements poursuivant deux objectifs. Il s'agit tout d'abord de souligner certains points qui me semblent poser problème afin d'obtenir des éclaircissements et améliorer la qualité d'un texte qui sera, nous en sommes tous conscients, adopté pour la fin décembre et attaqué quasiment dans la foulée. Quitte à poser une rustine, autant qu'elle tienne un peu…
Le second objectif est de proposer des pistes pour une solution durable face à de vrais problèmes : les ponts sont coupés depuis longtemps entre industriels et ayants droit, comme l'a souligné Mme de la Raudière, le fonctionnement de la commission de la copie privée est très contesté, les recours en justice sont systématiques et, pis, ils aboutissent très souvent.
On ne peut pas continuer comme cela et il est hors de question pour moi de voter un texte que l'on nous présente comme provisoire, avec le risque important de se rendre compte, par la suite, que ce provisoire est en fait destiné à durer.
Il est indispensable, monsieur le ministre, que vous preniez des positions fortes sur le principe même d'une réforme profonde du système de rémunération pour copie privée ainsi que sur les orientations de cette réforme.
Je n'ai pour l'instant pas déterminé quel sera mon vote final. J'attends vos réponses pour me décider.
Depuis la loi Lang de 1985, la rémunération pour copie privée assure un équilibre incontestable entre l'aspiration naturelle du public à accéder aux oeuvres culturelles et la préservation nécessaire des droits et rémunérations des créateurs. Ce dispositif souple repose sur la négociation et le consensus entre les représentants du public, les ayants droit et les industriels.
Par ailleurs, au-delà de son importance dans la rémunération des créateurs, on peut considérer qu'il établit un véritable pacte entre créateurs et public qui contribue ainsi au processus de création. C'est pourquoi il est utile de rappeler qu'en France 75 % des sommes collectées au titre de la copie privée sont reversées directement aux ayants droit – auteurs, artistes interprètes et producteurs – et représentent environ 10 % de leurs revenus. En outre, 25 %, soit près de 50 millions d'euros, participent à la vitalité artistique du pays : en s'acquittant de la redevance, le public finance ainsi chaque année directement près de 5000 manifestations culturelles dans une grande diversité de genres et de répertoires. La redevance contribue notamment au financement de festivals, de pièces de théâtre, de concerts, de spectacles de rue ou de marionnettes, d'expositions d'art, des arts du cirque, de la musique lyrique, du rap, des arts graphiques et plastiques, des créations multimédias, du court-métrage, du documentaire de création, des grands reportages, de l'écriture de films… Il s'agit bien de projets artistiques pour tous les goûts, tous les âges, partout en France sur l'ensemble de nos territoires.
Y compris en Haute-Vienne, naturellement, mais je vous épargnerai la liste de tous les festivals et concerts que nous y organisons.
Le présent texte vise à adapter le dispositif de rémunération pour copie privée aux décisions prises par le Conseil d'État, sans en remettre en cause la continuité.
Il s'agit d'un texte très technique qui va donc inscrire dans le code de la propriété intellectuelle les précisions jurisprudentielles issues de deux décisions du Conseil d'État, sur les détails desquelles je ne reviendrai pas, à la suite de mes collègues et de M. le ministre. Cependant, je retiens de ces arrêts deux grands principes : d'abord, seules les copies privées réalisées à partir d'une source licite ouvrent droit à rémunération pour copie privée ; ensuite, les produits acquis dans un but professionnel – disque dur, DVD vierge, clé USB – sont finalement exonérés de cette rémunération.
J'aimerais toutefois revenir sur la position du consommateur face à la rémunération pour copie privée : il est en effet directement concerné puisqu'il la paye. L'UFC-Que Choisir nous a alertés à plusieurs reprises sur sa volonté d'améliorer l'information du consommateur. Il est important de souligner que l'Union des consommateurs, associée aux industriels, a ouvert hier un site intitulé « chere-copie-privee.org », afin d'informer le consommateur du montant de la rémunération acquittée pour chaque produit concerné. Ce portail devrait permettre également d'alerter directement les élus via une application dédiée.
Sans remettre en cause les fondements de la rémunération pour copie privée, que j'ai rappelés et que je soutiens fermement, il ne faut pas oublier que le consommateur est le contributeur direct de cette redevance. C'est pourquoi il était nécessaire de rappeler son importance dans le dispositif et l'effort financier qu'il consent afin d'obtenir un droit à la copie. Ainsi, on ne peut que se féliciter que, dans son article 3, le texte prévoie une meilleure information du consommateur.
En effet, comme pour 1'éco-participation, le montant payé au titre de la copie privée par le consommateur sera notifié dans le prix. Cette mesure fait suite à certaines dispositions du plan « France numérique 2012, pour une meilleure information des consommateurs ». Elle permettra également de les sensibiliser à l'importance de cette rémunération pour le financement de la création artistique et la promotion d'une plus grande diversité culturelle.
Monsieur le ministre, nous soutenons toujours les textes favorisant un égal accès à la culture pour tous et qui préservent la diversité des genres et des répertoires. C'est pourquoi nous serons attentifs aux réflexions relatives aux évolutions technologiques et aux nouvelles pratiques de diffusion des oeuvres artistiques. C'est pourquoi également, nous espérons, à terme, une refonte totale de cette redevance pour aider la création à l'ère du numérique.
J'appelle, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l'amendement n° 17 , portant article additionnel avant l'article 1er.
Le Gouvernement prend la parole quand il l'entend. Nous avons engagé l'examen des articles. Le ministre aura tout loisir de s'exprimer sur les amendements.
Je défendrai dans le même temps les amendements nos 16 , 17 , 18 , 20 et 21 qui visent tous à remplacer le mot « rémunération » par l'expression « compensation équitable ». Il ne s'agit pas seulement d'une coquetterie sémantique mais de proposer un changement de sens de cette redevance. Le terme « rémunération », que l'on retrouve dans l'arrêt du Conseil d'État, signifie générer un revenu « globalement analogue à celui que procurerait la somme des paiements d'un droit par chaque auteur d'une copie privée s'il était possible de l'établir et de la percevoir ». C'est la base du système en vigueur dans le droit français.
Cette position est contestable et contestée dans l'arrêt Padawan par la Cour de justice de l'Union européenne, qui voit dans cette redevance l'indemnisation d'un préjudice. Il n'est plus question de chercher à compenser à l'euro près ni même de maintenir la fiction qu'il s'agit d'un revenu. Le raisonnement de la CJUE se tient mieux, selon moi, même s'il heurte les intérêts financiers des ayants droit.
Dès lors que l'exception pour copie privée est inscrite dans la loi, elle est de plein droit et s'il y a perte de revenus pour les ayants droit, c'est du fait de la loi, pas d'un comportement fautif des consommateurs. On est dans le domaine de la responsabilité du fait de la loi, et s'il y a préjudice, il y a lieu à indemnisation. Mais on ne peut alors parler de rémunération.
Dans les faits, il est totalement illusoire et fictif de croire qu'on peut établir le montant, même approximatif, de la perte de revenus générée par la copie privée. Il faudrait d'abord montrer que la copie privée a un effet d'éviction sur les achats et dans quelle proportion. Il faudrait ensuite savoir exactement quelles oeuvres font l'objet de copies privées et dans quelles proportions. C'est mission impossible et ce n'est pas avec les études actuellement diligentées, qui pour moi relèvent du « pifomètre », que l'on peut déterminer quoi que ce soit.
Si l'on veut maintenir le système actuel, que l'on aille jusqu'au bout de la logique et qu'on oblige donc les ayants droit à chiffrer exactement leur préjudice. Que l'on adapte ensuite le niveau de la copie privée au montant demandé. Ce ne serait que la stricte application du droit.
Tout le monde se rend bien compte que cela ne tient pas la route. Je vous propose donc d'arrêter de faire reposer le système sur une fiction, qui de plus n'est pas conforme au droit européen et sera donc censurée.
La rémunération pour copie privée est, comme son nom l'indique, un prélèvement forfaitaire qui constitue un mode d'exploitation des droits d'auteur. D'ailleurs, dans son arrêt du 17 juin dernier, le Conseil d'État a bien précisé que la rémunération pour copie privée doit être fixée à un niveau permettant de produire un revenu globalement analogue à celui que procurerait la somme des paiements d'un droit pour chaque auteur de copie privée s'il était possible de l'établir et de le percevoir. La commission émet donc un avis défavorable aux amendements que vient de défendre M. Tardy.
Le Gouvernement émet également un avis défavorable. La rémunération pour copie privée est une rémunération et non une compensation versée au titre d'un préjudice civil.
Dans le contexte actuel de contentieux et de judiciarisation des rapports sociaux, nous serions bien inspirés de rapprocher notre législation du droit européen. J'ai ici le texte de la directive européenne 200129CE qu'il vaut la peine de lire. Aux termes de l'article 5, alinéa 2 : « Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions aux limitations au droit de reproduction prévu à l'article 2 dans les cas suivants : […] b) lorsqu'il s'agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable […]. »
En entérinant la différence conceptuelle que je viens de mentionner entre le droit européen et le droit français, vous ouvrez une fenêtre de tir et créez un nid à contentieux. Nous pourrions nous passer de cette fragilité. Quel inconvénient y a-t-il à arrimer plus directement notre droit – afin de lui donner une meilleure assise – au droit européen ? J'appelle donc nos collègues à voter pour les amendements visant à substituer au mot « rémunération », les mots « compensation équitable ».
Sans vouloir engager un débat de nature théologique, surtout à propos d'un système qu'il s'agit de sauver et de faire perdurer le temps que nous engagions une réflexion plus globale sur la rémunération de la création à l'ère numérique, force est de constater, nous avons été un certain nombre à le souligner, qu'il faut préserver l'esprit même de la loi de 1985 et l'équilibre qui a été trouvé il y a vingt-six ans.
On ne peut dès lors modifier la loi en faisant passer la rémunération pour copie privée pour une taxe ou, pis, pour la compensation d'un préjudice subi au sens que lui donne le droit civil. Il s'agit d'une modalité particulière d'exploitation et de rémunération du droit d'auteur à travers un paiement forfaitaire qui se substitue au paiement à l'acte.
C'est la raison pour laquelle le groupe SRC ne votera pas ces amendements ; non pas par purisme, mais s'il s'agit de tout redéfinir, faisons-le dans un autre cadre et avec d'autres perspectives.
(L'amendement n° 17 n'est pas adopté.)
Nous en venons à plusieurs amendements portant articles additionnels après l'article 1er.
La parole est à M. Lionel Tardy pour soutenir l'amendement n° 22 .
Cet amendement peut apparaître comme étant un peu hors sujet, mais il ne l'est pas tant que cela puisqu'il a pour objet de créer une exception au droit d'auteur. Je tiens en effet à profiter de l'examen de ce texte pour proposer une amélioration qui devrait, selon moi, rencontrer l'unanimité parmi mes collègues puisqu'il s'agit de favoriser la diffusion et le rayonnement de l'art contemporain en France.
Monsieur le ministre, si vous vous faites photographier sur le balcon de votre bureau avec les colonnes de Buren en arrière-plan, vous n'avez pas le droit d'utiliser cette photo sans l'autorisation de Daniel Buren puisque son oeuvre est protégée par le droit d'auteur. Avouez que c'est absurde et quelque peu ridicule. Le sujet n'est pas anodin car la publication de photographies d'oeuvres d'art contemporain et de bâtiments d'architecte sur Internet se trouve ainsi bloquée à cause de ce risque de procès pour contrefaçon. Nombre d'architectes et d'artistes contemporains sont pénalisés car leur oeuvre n'est pas visible sur Internet, tout cela pour préserver le principe du droit exclusif dont ils ne tirent pas grand-chose, voire rien, en termes de revenus financiers.
Plusieurs pays européens ont au contraire inscrit dans leur droit une exception au droit d'auteur appelée « liberté de panorama ». Je propose de les suivre et de mettre fin à une situation ubuesque qui ne peut que nuire au principe même du droit d'auteur.
Vos propos, mon cher collègue, me semblent quelque peu exagérés. Puis-je vous rappeler en effet que certaines dispositions en vigueur permettent déjà de satisfaire en partie votre amendement ?
Depuis la loi du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, l'article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle autorise « la reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d'une oeuvre d'art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans un but exclusif d'information immédiate. » En outre, la jurisprudence a permis de faire émerger ce que l'on appelle la théorie de l'accessoire. Ainsi, la représentation d'une oeuvre située dans un lieu public qui est accessoire au sujet traité échappe à la qualification de contrefaçon pourvu qu'elle soit fugitive.
J'émettrai donc un avis défavorable sur cet amendement.
Monsieur Tardy, l'attention méticuleuse – dont on ne peut que se féliciter car elle enrichit les débats – que vous portez sur le plan juridique au travail de cette Assemblée, tend parfois à devenir vétilleuse...
..et excessive.
L'avis défavorable rendu par Mme la rapporteure me semble justifié : la liberté de photographier certaines oeuvres, que vous appelez de vos voeux, est d'ores et déjà acquise en droit français. Avec ce que vous proposez, vous allez un petit peu loin.
Nous ne voterons pas cet amendement car, quitte à me répéter, ce n'est pas parce qu'il faut régler un problème urgent avant le 22 décembre prochain que nous devons par la même occasion créer ex nihilo de nouvelles exceptions au droit d'auteur.
Je ne dis pas qu'il faut que la main tremble dès que l'on se saisit de questions de propriété intellectuelle, littéraire ou artistique, mais on ne peut créer soudainement un soir, à vingt-trois heures trente passées, une telle exception sans en avoir au préalable discuté avec les auteurs eux-mêmes, notamment ceux en arts visuels que sont les peintres, les sculpteurs, les illustrateurs, les architectes, les designers et les photographes. Nous sommes plusieurs ici, en particulier Martine Billard et Jean Dionis du Séjour, à avoir participé aux débats sur la loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, dite loi DADVSI, qui annonçait la loi HADOPI.
Nous avions alors essayé d'élargir la liste des exceptions au droit d'auteur, en respectant les marges de manoeuvre que nous laissait la directive pour sa transcription dans notre droit interne. Mais encore fallait-il que l'intérêt général soit prédominant. Autant en effet l'on peut discuter de l'opportunité de créer des exceptions au droit d'auteur à des fins d'enseignement, de recherche, bref pour des objectifs d'intérêt général, autant on ne peut accepter de le faire pour un intérêt particulier, en l'occurrence, puisqu'il faut appeler les choses par leur nom, celui de Wikipédia. Cet amendement, baptisé gentiment « liberté de panorama », est en effet un « amendement Wikipédia ».
Au minimum en tout cas, une étude d'impact serait nécessaire, incluant le fameux test en trois étapes. Il serait d'ailleurs intéressant de savoir comment se concrétise cette liberté de panorama dans les pays européens dont on nous parle sans les citer.
En tout état de cause, l'objectif d'information est pris en compte par l'exception au droit d'auteur créée par la loi DADVSI, laquelle satisfait pleinement à l'intérêt général que doit viser le législateur.
Vouloir encadrer la commercialisation d'un site me paraît excessif, et notre collègue aurait dû être plus attentif avant de défendre cet amendement. Comme l'a dit Patrick Bloche, il faut, avant de légiférer, au moins disposer d'une étude d'impact.
Je suis surpris de la réticence de nos collègues. Il s'agit uniquement d'autoriser la reproduction d'oeuvres de toute nature situées de manière permanente dans l'espace public.
Aujourd'hui, les ayants droit, notamment des architectes, ont des droits sur les oeuvres exposées au vu et au su de tout le monde pendant soixante-dix ans après la mort de l'artiste. C'est non seulement exorbitant, mais archaïque. Qu'attend-on pour adopter en la matière la législation des pays européens ?
Je m'étonne en particulier de la réaction de Patrick Bloche, dont je partage en général les analyses. Wikipédia, ce n'est pas rien. Ce portail représente une percée majeure pour l'élaboration et le partage du savoir. Que l'on appelle cet amendement « l'amendement Wikipédia » ne me gêne pas. L'important en effet est que la question soit posée : pourquoi certains pays européens considèrent-ils que photographier par exemple la pyramide du Louvre est un droit, et pas nous ? C'est vraiment faire preuve d'un archaïsme injustifié.
Loin d'être anodin, cet amendement mérite donc d'être débattu autrement que jusqu'à présent, car je n'ai pas entendu beaucoup d'arguments de fond pour le repousser.
Nous sommes là devant une difficulté que l'on a déjà connue à l'occasion d'autres débats concernant la culture, je veux parler de la question des oeuvres photographiques. Je ne me sens pas le droit à cette heure-ci, sans une étude d'impact et sans une discussion avec tous ceux qui travaillent dans la photographie, de prendre une décision en la matière sans pouvoir en mesurer les conséquences.
On le sait, le secteur connaît de grandes difficultés, sachant déjà que les photographes ne gagnent pas de grandes fortunes. Aussi le fait que les conséquences de cet amendement, notamment en termes de distribution commerciale, ne soient pas plus précises, me pose-t-il un problème, d'autant que des sites de photographes existent déjà qui mettent les oeuvres à disposition sous licence Creative Commons .
Si un vrai problème se pose, je ne voterai pas l'amendement en l'absence d'une étude sur les conséquences d'une telle proposition pour tout un secteur.
Toutes les interventions que nous venons d'entendre sont intéressantes et soulèvent des questions essentielles, mais celles-ci méritent un débat de fond sur la copie privée, deuxième mouture. Il en va notamment de la question concernant la photographie évoquée par Mme Billard, domaine dans lequel je crois m'être beaucoup investi.
Je le rappelle, il ne s'agit pas ce soir de reconstruire en quelques heures l'exception de copie privée. Cela exigera un débat plus long, plus complexe, dans lequel les réflexions des uns et des autres viendront enrichir une nouvelle construction juridique dont on espère qu'elle vivra aussi longtemps sous sa deuxième mouture que sous sa première. Le fait de vouloir poser des questions de fond d'une manière très superficielle, sans contre-expertise, même si on y a beaucoup réfléchi, me semble contre-productif.
Je me suis engagé très fermement auprès de la commission à engager ce débat le plus vite possible. Pour l'instant, nous avons une obligation, qui est de défendre les droits des créateurs pour qu'ils ne soient pas lésés dans leurs droits à partir du 22 décembre.
En dépit des demandes d'intervention que je vois pousser comme les champignons après la pluie (Sourires), je persiste dans cette manière de voir car elle me semble plus juste pour les droits des créateurs sur lesquels nous nous penchons ce soir.
Bien que notre règlement, monsieur le ministre, ne permette pas aux demandes d'intervention de pousser comme des champignons après la pluie, je ferai droit aux demandes de parole...
En France, les oeuvres – monuments, sculptures, peintures murales - sont protégées par le droit d'auteur, même, et c'est tout l'intérêt de cet amendement, quand elles sont situées dans la rue : il est impossible d'en publier des photographies sans autorisation de l'auteur ou de ses ayants droit. Par exemple, publier sur un blog une photo de la Géode, du Stade de France, du musée d'Orsay ou du Centre Pompidou devrait normalement donner lieu à une demande préalable et à un paiement de redevance. Encore faut-il, comme dans ces exemples, que les architectes soient connus. Voyez l'absurdité quand il s'agira de demander l'autorisation aux ayants droit de celui qui a bâti telle mairie dont personne ne connaît le nom !
Puisque l'on a demandé des noms, je rappelle que des pays comme l'Allemagne, l'Espagne, l'Irlande, Israël ou le Pérou ménagent une exception au droit d'auteur copyright pour les bâtiments ou les oeuvres d'art qui sont situés dans la rue. Tel est bien le sens de l'amendement « liberté de panorama ».
Sur le vote de l'amendement n° 22 , je suis saisi par le groupe Nouveau Centre d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.
Marcel Rogemont et Martine Billard ont reproché le manque d'étude d'impact. On peut entendre cet argument. Pour autant, ce que nous voulons c'est profiter de la dynamique parlementaire pour créer le mouvement, car on a le temps pour cela : entre les deux navettes, le Sénat pourra réaliser l'étude d'impact pendant que, de notre côté, nous pourrons continuer à travailler.
Toute la question aujourd'hui est donc simplement de savoir si, oui ou non, on veut faire évoluer une législation exorbitante et archaïque. Il nous appartient, en tant qu'assemblée souveraine, de mettre la France au niveau du droit européen en instaurant la liberté de panorama. Tel est le seul objectif.
Je ne doute pas de l'intérêt que vous portez à notre patrimoine, monsieur Dionis du Séjour, mais je ne comprends pas que vous réduisiez cet intérêt à un simple amendement sans qu'aucune étude préalable n'ait été menée pour nous donner l'objectivité nécessaire en la matière.
Tout ce que je demande, madame la rapporteure, c'est du mouvement, de la fraîcheur !
Les accusations d'archaïsme ne constituent pas une argumentation suffisante pour emporter mon consentement. J'ai pour ma part d'autant moins le sentiment d'être archaïque que ce que propose finalement cet amendement c'est de permettre une commercialisation sur la base d'une oeuvre.
Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur l'amendement n° 22 .
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 30
Nombre de suffrages exprimés 30
Majorité absolue 16
Pour l'adoption 7
Contre 23
(L'amendement n° 22 n'est pas adopté.)
Il est défendu.
(L'amendement n° 21 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Il est défendu.
(L'amendement n° 20 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Sur l'article 2, je suis saisi d'un amendement n° 23 .
La parole est à M. Lionel Tardy.
Si vous le permettez, monsieur le président, je défendrai également l'amendement n° 26 .
Avec ces amendements, j'aborde le sujet de l'assiette de la redevance afin, plus précisément, de savoir jusqu'où elle doit aller. En effet, les ayants droit qui contrôlent la Commission pour la rémunération de la copie privée ont voulu aller très loin et se sont fait taper sur les doigts à deux reprises par le Conseil d'État.
L'arrêt Padawan a déjà cadré les choses en stipulant « qu'un lien est nécessaire entre l'application de la redevance et l'usage présumé des supports à l'usage de copie privée ». Il a en outre imposé que la présomption d'usage s'appuie sur des études.
Jusqu'où peut-on considérer qu'un support peut servir à de la copie privée ? Si on part du fait que le support est utilisable en théorie pour la copie privée, on se retrouve avec une assiette bien trop large. Il faut donc fixer une limite. Avec cet amendement, je propose que l'on fasse la preuve qu'un support sert de manière significative à de la copie privée pour le taxer.
Si l'usage existe mais qu'il est marginal, on peut alors imaginer un système de redevance qui soit minime et marginale au regard du prix du support taxé. Que le décodeur de Canal Plus, par exemple, qui vaut 90 euros, soit taxé pour la copie privée à hauteur de 45 euros, alors même que la copie privée n'est qu'un de ses usages, potentiel et marginal, me pose problème.
Avis défavorable, dans la mesure où l'amendement, comme d'autres, pose la question du calcul de la rémunération pour copie privée sur la base d'une utilisation avérée d'un support à des fins de copie privée.
Rappelons qu'en théorie le droit de reproduction est un monopole de l'artiste. Dès lors, deux systèmes sont possibles : soit un système où chaque copie doit être autorisée par l'auteur dans le cadre d'un contrat ; soit un système d'exception pour copie privée où est reconnue la possibilité de réaliser des copies à usage strictement personnel, sans contrat ni autorisation de l'auteur.
Dans le premier cas, on a un usage réel, constaté dans un contrat, avec un prix convenu entre l'auteur et le copiste, tandis que dans le second cas, on a une rémunération pour copie privée forfaitaire, qui repose non sur une réalité, mais sur une présomption. C'est notre système. Il facilite la vie des consommateurs, contribue à permettre la diffusion des oeuvres et incite à l'acquisition des supports. Tout le monde est donc gagnant.
On ne peut en tout cas, comme vous l'avez proposé, monsieur Tardy, mélanger les deux systèmes, c'est-à-dire une exception pour copie privée sans autorisation contractuelle de l'auteur, et une rémunération fondée sur un usage réel, impossible à saisir.
Les explications que vous avez fournies, madame la rapporteure, sont lumineuses, et j'aurais mauvaise grâce à ne pas vous suivre dans votre avis. L'avis du Gouvernement est donc défavorable.
(L'amendement n° 23 n'est pas adopté.)
La fixation de la rémunération pour copie privée doit se fonder sur des enquêtes sur les usages : le texte de la loi ne dit rien de plus, ce qui est très limité.
Il faut un minimum d'encadrement, surtout quand on voit ce que sont les enquêtes sur les usages : parler d'indigence à leur propos est un doux euphémisme. Si l'on veut que les décisions de la Commission pour la rémunération de la copie privée soient considérées comme solidement étayées et donc légitimes, il y a un saut qualitatif très important à franchir.
La loi doit préciser qu'il faut un minimum d'indépendance de l'organisme qui établit la méthodologie. Il faut aussi que les enquêtes se fondent sur les capacités des supports et les types d'usages. Je propose également que ces enquêtes fassent l'objet d'une consultation publique.
De telles précisions me semblent avoir toute leur place dans la loi.
L'objet de l'amendement n° 24 est d'interdire la fixation des barèmes provisoires, là où le projet de loi les autorise uniquement pour les supports dont les éléments objectifs permettent de dire qu'ils sont susceptibles d'être utilisés à des fins de copie privée, en considération du type de support, de la durée et de la capacité d'enregistrement. La Commission pour la rémunération de la copie privée a alors le temps de lancer une enquête d'usage et peut, dans l'intervalle, assujettir des supports nouveaux, qui connaissent un démarrage commercial très rapide.
Vous le savez très bien, la phase de croissance, dans la courbe de vie d'un produit, est de plus en plus rapide. Ne pas instaurer de barème provisoire et attendre les résultats de l'enquête d'usage entraînera un manque à gagner durant toute la phase de croissance du produit. Je ne peux donc qu'émettre un avis défavorable.
Je rappelle une nouvelle fois qu'il conviendra de mener cette réflexion au moment où l'on construira la loi numéro 2 sur les copies privées.
En ce qui concerne l'amendement en discussion, les arguments avancés par Mme la rapporteure sont une fois encore extrêmement convaincants. L'avis du Gouvernement est donc également défavorable.
(L'amendement n° 24 n'est pas adopté.)
Là encore, notre amendement résulte du constat que les décisions de la Commission pour la rémunération de la copie privée sont contestables et sujettes à contentieux.
Nous souhaitons donc compléter la dernière phrase de l'alinéa 4 par les mots : « respectant une méthodologie stable définie par un organisme qualifié et indépendant. Cette méthodologie est construite de manière à ce que la rémunération pour copie privée constitue une contrepartie du préjudice réel subi par l'auteur ».
Les études d'usage doivent être réalisées par des organismes plus distants des parties prenantes qui composent la Commission. Pourquoi, par exemple, ne pas faire appel pour un travail d'expertise à l'Institut de recherche en informatique et en automatique, l'INRIA ? Les personnes qui mènent les études d'usage sont sans doute respectables, mais sont trop proches de la Commission pour la rémunération de la copie privée. Le système en vigueur, tel qu'issu de la loi Lang, ne peut perdurer d'autant qu'il est aujourd'hui en lambeaux, car les trois parties prenantes sont à couteaux tirés. Vraiment, il faut mettre un peu de mouvement dans tout cela !
Je veux bien que la loi dont nous discutons soit une loi « rustine », mais si vous vous refusez à tout mouvement, vous contraindrez certains d'entre nous à voter contre !.
J'ai déjà expliqué pourquoi l'évaluation réelle de la perte des ayants droit ne me paraissait pas opportune.
En ce qui concerne la méthodologie, il est vrai que les membres de la Commission sont souvent en désaccord, y compris s'agissant des enquêtes d'usage. Pour autant, ils font déjà appel à un « organisme qualifié et indépendant » que ces amendements appellent de leurs voeux, et qui répond à une commande. Peut-être est-ce d'ailleurs en fait le vrai sujet de ces amendements, à savoir que l'objet de l'étude doit être bien précisé, afin d'éviter qu'elle vise d'autres objectifs que ceux qui relèvent de l'enquête d'usage. Mais tels qu'ils sont rédigés, je ne peux que donner un avis défavorable sur ces deux amendements.
Je continue à émettre un avis défavorable, pour une raison très simple : le débat dans lequel vous essayez de nous entraîner, monsieur Dionis du Séjour et monsieur Tardy, avec des menaces à la clef,…
Il n'y a pas de menace de notre part, sinon celle d'exercer notre liberté de vote !
Le terme menace n'est pas insultant. Pour autant, envisager de ne pas voter la loi, c'est faire peser une menace sur ce qui attend les créateurs à partir du 22 décembre.
Le débat que vous voulez initier, disais-je, est légitime, mais nous n'avons pas les moyens de le mener à bien avant le 22 décembre. Mon avis est donc défavorable sur les deux amendements.
(L'amendement n° 52 n'est pas adopté.)
(L'amendement n° 25 n'est pas adopté.)
Sur l'article 3, je suis saisi d'un amendement n° 37 .
La parole est à M. Lionel Tardy.
Je pose ici la question de la répercussion de la redevance pour copie privée, ou RCP. On court en effet le risque, comme c'est le cas à l'heure actuelle, que les différents intermédiaires de la chaîne de distribution intègrent la RCP dans le prix de base et calculent leur marge sur le prix de base augmenté de la RCP. Le consommateur se trouve donc avec une RCP augmentée de la marge de chaque intermédiaire, mais également de la TVA afférente. Je propose donc de préciser que la redevance pour copie privée est répercutée sans augmentation sur le consommateur final.
S'agissant du premier point, nous discuterons plus tard des moyens d'éviter qu'un consommateur final qui n'a pas payé la rémunération pour copie privée puisse en obtenir le remboursement. Je crois savoir, monsieur le ministre, que vous envisagez de préciser, dans le cadre des dispositions réglementaires d'application de ce texte, que les factures devront mentionner spécifiquement le montant de la rémunération pour copie privée, éventuellement facturée. Si c'est le cas, ce premier point me paraîtrait donc satisfait.
Quant au second point, la formule retenue interdirait, par exemple, qu'un distributeur s'abstienne de répercuter la rémunération pour copie privée pour des raisons de politique commerciale. Une telle formule ne me paraît donc pas judicieuse.
Pour toutes ces raisons, j'émets un avis défavorable sur cet amendement.
(L'amendement n° 37 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)
L'article 3 contient une disposition que nous avons déjà rencontrée dans le projet de loi renforçant la protection des consommateurs. Il s'agit de permettre aux consommateurs de se rendre compte de l'existence de la redevance pour copie privée. Je suis d'accord sur le principe, à condition que cette mesure ne se transforme pas en usine à gaz.
Nous avons adopté en commission un amendement de notre rapporteure qui nous a semblé une bonne idée puisqu'il tendait à insérer directement dans le support une notice explicative sous forme numérique. Il est cependant apparu que la plupart des clés USB sont malheureusement fabriquées en Chine et arrivent en France déjà emballées. Y faire insérer un fichier coûterait bien trop cher au regard du coût unitaire du support concerné. Le dispositif risquerait tout simplement de ne pas être utilisé. Je propose par conséquent de laisser les professionnels décider librement des moyens à mettre en oeuvre, mais avec une obligation de résultat. Inutile de mettre trop de choses dans la loi : faisons confiance aux professionnels.
Cet amendement tend ainsi simplement à ce que les moyens de se faire rembourser et la procédure à suivre soient, à l'usage de la catégorie des utilisateurs professionnels ou des personnes morales, expliqués clairement dans la notice. Il s'agit d'un amendement de bon sens – au même titre que l'amendement suivant n° 32 – par rapport à la décision que nous avons prise en commission.
(L'amendement n° 38 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Cet amendement a pour objet de préciser que la notice explicative jointe ou intégrée au support devra comporter une information à destination des professionnels sur la possibilité de conclure des conventions d'exonération avec Copie France ou de demander le remboursement des sommes versées au titre de la rémunération pour copie privée.
Favorable.
Il est défendu.
(L'amendement n° 33 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Il est défendu.
(L'amendement n° 39 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
(L'article 3, amendé, est adopté.)
Je suis saisi de plusieurs amendements portant articles additionnels après l'article
La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l'amendement n° 34 .
Aujourd'hui, un organisme contrôlé par les bénéficiaires de la redevance détermine le fait générateur, le taux, l'assiette et assure la perception des sommes qui lui sont destinées. Autant dire que les garanties pour les redevables sont inexistantes ! C'est d'ailleurs l'un des gros problèmes de la Commission de la copie privée, car cette situation engendre des abus.
Heureusement, le système judiciaire veille : les décisions de cette Commission sont systématiquement cassées depuis 2008. Mais rien que cela devrait nous alerter sur un problème que l'on pourrait classer dans la catégorie des conflits d'intérêts.
Je propose une solution assez radicale, qui consiste à opérer une séparation des pouvoirs. La Commission de la copie privée serait chargée de déterminer le niveau du préjudice pour les ayants droit, mais serait dessaisie de toute fonction de fixation du taux et de l'assiette. Ce pouvoir, qui relève du droit de lever l'impôt, doit rester entre les seules mains de l'État, avec toutes les garanties constitutionnelles. Je sais que je fais bondir les responsables des sociétés de gestion de droit, notamment le directeur général de la SACD, quand je parle de taxe copie privée, mais il faut appeler un chat un chat ! Cette redevance est une taxe privée, ni plus ni moins. Dans une démocratie comme la nôtre, un tel statut hybride ne devrait pas exister.
Le droit de lever l'impôt appartient à l'État, sous le contrôle des représentants du peuple, mais certainement pas à des personnes privées, de surcroît bénéficiaires dudit prélèvement.
M. Tardy aborde une question importante qui aura toute sa place dans nos discussions futures sur le sujet.
Je me suis permis, lors des débats en commission, de présenter mes propres relevés de droits de copie privée pour montrer à quel point les sommes sont d'une modicité incroyable.
C'est une réalité qui pose toutes sortes de questions sur le mécanisme d'attribution des rémunérations.
Je comprends parfaitement les questions qui sont posées, mais leur complexité impose que nous disposions de temps pour les résoudre. Nous devons y travailler, mais ce n'est pas ce soir que nous pourrons le faire.
Compte tenu du programme parlementaire, nous ne pourrons pas d'ailleurs traiter ces questions au fond d'ici le 22 décembre. Or, nous avons l'obligation d'assurer aux créateurs la pérennité de leurs ressources, à compter de cette date.
La méthodologie que je propose devrait être consensuelle.
La question posée par M. Tardy est en effet centrale et mérite que chaque famille politique se positionne.
À cet égard, si j'ai signé cet amendement, c'est parce que la détermination de la recette me semble relever de la compétence de l'État.
Pour ce qui est de la répartition entre les ayants droit – ce qui est toute la difficulté –, les centristes ont toujours cru aux corps intermédiaires, discipline par discipline surtout dans cette matière aussi complexe.
Je suis d'accord avec le ministre : le plus compliqué n'est pas de créer un impôt clair – on devrait y parvenir car le fait que ses membres soient à couteaux tirés n'est pas inscrit dans les gènes de la Commission de la copie privée et doit pouvoir être corrigé –, mais d'organiser la répartition entre les ayants droit.
C'est à l'État de s'occuper de la recette et de poser des règles claires, et en l'occurrence, les droits de la Commission de la copie privée sont quelque peu exorbitants par rapport à nos règles fiscales.
Telle est, s'agissant d'un point central de la loi, la philosophie de notre famille de pensée.
Je ne m'essaierai pas pour ma part à résumer la philosophie en la matière de notre famille de pensée. Je me contenterai, plus prosaïquement, d'exposer la position de notre groupe. Il s'agit d'ailleurs moins de philosophie que d'écriture du droit.
L'ambition du projet de loi est limitée : permettre aux créateurs, au-delà du 22 décembre, de percevoir les 190 millions d'euros annuels de la rémunération pour copie privée, sachant que 25 % des sommes collectées sont dédiés au soutien des actions culturelles sur tout le territoire. C'est cette question d'intérêt général qui nous amène à débattre dans l'urgence de ce texte, qui devra être adopté au Sénat le 19 décembre pour que la perception de cette rémunération pour copie privée ait encore une base juridique après le 22 décembre. C'est sans autre ambition que notre groupe a abordé l'examen de ce texte, sur lequel il n'a d'ailleurs pas déposé d'amendement alors qu'il aurait très bien pu faire valoir sa conception de ce que pourrait être une réforme ambitieuse de la rémunération pour copie privée, voire de la rémunération du droit d'auteur en prenant en compte les usages numériques et les différents modes d'accès à la culture aujourd'hui. Nous considérons cependant que le moment ne s'y prête pas, tout en espérant que cette question sera l'un des enjeux, sinon du débat présidentiel, tout du moins de l'ordre du jour de notre Assemblée lors de la prochaine législature.
Consolidons des acquis, en l'espèce ceux de la loi Lang qui a fait la preuve de ses vertus depuis 1985, et ne jouons pas les apprentis sorciers.
Regardez ce qui s'est passé au Sénat : en dépit de nos alertes, Mme Pécresse a fait voter par sa majorité un amendement visant à plafonner le niveau de chaque taxe affectée au Centre national de cinématographie, mesure que le Président de la République a estimée ultérieurement qu'elle était bien mauvaise et qu'il fallait à tout prix la supprimer. Or le Gouvernement s'est une nouvelle fois pris les pieds dans le tapis au Sénat en ne faisant pas adopter un amendement dans ce sens. Je ne sais pas comment le problème se réglera au sein de la commission mixte paritaire, mais voilà ce qui se passe quand on joue les apprentis sorciers. On en est ainsi arrivé à fragiliser le financement du CNC...
..en prélevant 70 millions de surplus pour le reverser au budget général – au risque que la Commission européenne nous fasse des remontrances.
Je vous en prie, mes chers collègues, laissons de côté nos arrière-pensées électorales et servons plus que jamais l'intérêt général.
Personne n'est ici animé d'arrière-pensées !
(L'amendement n° 34 n'est pas adopté.)
Je continue à poser des jalons, d'autant plus que nous en arrivons à un point très conflictuel, celui du fonctionnement de la Commission de la copie privée.
Rappelons qu'elle est composée pour moitié de représentants des ayants droit bénéficiaires de la redevance pour copie privée, pour un quart de représentants des industriels fabricants et importateurs de supports et un autre quart de représentants des consommateurs.
Les faits ont montré que les ayants droit ont pris le contrôle de cette commission en arrivant à obtenir la voix qui leur manquait pour détenir la majorité absolue et imposer leur point de vue. Ils ont usé sans modération de ce pouvoir, braquant les autres parties prenantes qui ont décidé, devant leur impuissance, soit de boycotter les réunions, soit d'attaquer systématiquement en justice les décisions.
On ne peut qualifier cette commission d'organisme paritaire, ce serait un abus de langage inacceptable au regard de la pratique. Le fossé semble trop profond pour qu'on tente une conciliation : la confiance entre les parties n'existe plus.
Je propose donc deux dispositifs. Le premier est d'instituer dans la Commission un vote aux deux tiers pour donner un pouvoir de blocage à la minorité. Le second tire les conséquences de la fragilité juridique des décisions de la Commission. Puisque ces décisions sont systématiquement déférées devant le Conseil d'État et, presque aussi systématiquement, cassées trois ans plus tard, autant faire intervenir le Conseil d'État en amont. Je propose donc que les décisions de la Commission de la copie privée soient soumises à l'avis conforme du Conseil d'État. Tout le monde gagnera du temps.
La commission et le Gouvernement seront certainement défavorables une fois de plus, toujours sur la base du caractère limité du texte ?
Je le confirme.
C'est un texte « rustine », et notre stratégie est d'agir avant le 22 décembre, nous disent le ministre et la rapporteure. Dont acte. Mais de toute façon, ce texte va être envoyé au Conseil d'État. Où est alors la stratégie ? Les membres de la Commission sont à couteaux tirés, une partie d'entre eux se sent piétinée en permanence et a donc décidé de judiciariser toutes les décisions. Dès lors, ne serait-il pas cohérent de créer un nouveau climat dans la Commission ? Inutile de secouer la tête, madame la rapporteure. Vous allez dans le mur ! Nous sommes un certain nombre à avoir vécu les débats sur la DADVSI, sur HADOPI, et nous klaxonnons ! Mais dans le mur, vous y êtes !
Ce n'est pas un mur, c'est un iceberg ! Vous êtes l'orchestre sur le Titanic !
Oui, je demanderai des droits d'auteur car je peux écrire le film : votre texte va être déféré au Conseil d'État par les importateurs et il sera sans doute cassé. Qu'aurons-nous gagné ?
Or malgré tout, les importateurs et les industriels que nous voyons manifestent leur intérêt pour que la Commission se poursuive, mais ils veulent se faire entendre. C'est bien le coeur du débat, et cela vaut aussi dans le cadre de votre stratégie « rustine ».
(L'amendement n° 29 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Un point me surprend un peu dans ce dispositif. On nous parle d'un préjudice qu'il faut indemniser, mais à aucun moment, il n'est proposé d'évaluer la réalité et le montant de ce préjudice.
Normalement, on commence par déterminer s'il y a préjudice, puis on l'évalue. Ce n'est qu'une fois que l'on a un chiffre que l'on peut se demander comment et où on va trouver l'argent pour compenser. Jusqu'à présent, on « zappe » cette étape : on considère qu'il y a préjudice et on lève une taxe dont le produit doit couvrir le préjudice, sans jamais l'avoir chiffré.
C'est une démarche assez étrange à laquelle je propose de mettre fin. Il faut commencer par le commencement, à savoir évaluer le préjudice. Les consommateurs n'ont pas à payer plus que ce qu'ils doivent aux ayants droit.
(L'amendement n° 35 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Il est défendu.
(L'amendement n° 30 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour défendre l'amendement n° 51 .
Madame la rapporteure, monsieur le ministre, votre texte ira devant le Conseil constitutionnel où il aura des chances importantes d'être cassé. Si vous voulez sortir de ce dilemme, il faut au moins faire un geste pour améliorer le fonctionnement de la Commission de la copie privée. Sinon, je peux, encore une fois, vous décrire la suite du film.
Monsieur Dionis du Séjour, un bon amiral sait qu'un coup de barre trop brusque peut faire chavirer le navire !
Vous nous dites à propos de la Commission de la copie privée que nous allons droit dans le mur. Mais nous avons bien dit que nous nous trouvions dans une situation d'urgence. Or à suivre vos propositions, nous irions encore plus vite dans le mur ! Pour autant, nous ne sommes pas insensibles à ces propositions ; Elles auront toute leur place dans le cadre d'une réforme en profondeur. Mais pour l'heure, avec une échéance aussi proche, ce serait un véritable suicide que de vous suivre.
Monsieur Dionis du Séjour, pour avoir fait de nombreuses émissions de télévision sur le cinéma, je peux vous dire que votre scénario est celui d'un film catastrophe. Pour autant, si vous en êtes l'auteur, vous n'en êtes pas totalement maître. En vérité, le projet de loi est conforme à la Constitution et au droit européen, le Conseil d'État a approuvé le projet. Donc votre scénario est peut-être intéressant, dramatique, mais il relève de la science-fiction, pas de la réalité. Avis défavorable.
(L'amendement n° 51 n'est pas adopté.)
Défendu.
(L'amendement n° 36 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Défendu.
(L'amendement n° 5 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Cet amendement soulève le problème du marché gris.
Avec Internet, il est très facile d'acheter des CD vierges à l'étranger, et d'échapper ainsi à la redevance pour copie privée. Ce n'est pas anecdotique, car ce marché gris représente 60 % des achats. Autant de pertes en termes de redevance pour copie privée, mais aussi de TVA !
Monsieur le ministre, on ne peut pas ignorer ce sujet, et même si la part des supports physiques ira en déclinant, avec l'expansion du cloud computing, cela va représenter un manque à gagner assez conséquent. Et sur le plan des principes, une telle fraude n'est pas acceptable.
Je n'ai pas vraiment de solution toute faite. Je propose de mettre l'administration des douanes sur l'affaire, afin que lors des contrôles que ses agents effectuent, ils se préoccupent également de la redevance pour copie privée. C'est un palliatif, mais c'est mieux que rien.
Quel dommage, monsieur Tardy que vous qui avez réponse à tout n'en ayez pas sur ce point ! Je suis vraiment déçue. Je me serais fait un plaisir de l'étudier avec toute l'attention qui convient. Sur la base des éléments que vous avancez, avis défavorable.
La question posée est bonne, mais en l'absence de proposition de réponse, avis défavorable.
(L'amendement n° 28 n'est pas adopté.)
L'article L.311-6 prévoit que les produits de la redevance pour copie privée sont partagés entre les ayants droit « en raison des reproductions privées dont chaque oeuvre fait l'objet ».
Cela implique que l'on sache exactement quelles oeuvres font l'objet d'une copie privée et dans quelles proportions C'est tout simplement impossible !
La loi doit être applicable et, clairement, tel ne sera pas le cas. Je propose donc de supprimer cette disposition qui est complètement fictive, pour laisser les ayants droit libres de trouver une clé de répartition qui soit réellement opérationnelle.
Laisser les choses en l'état reviendrait à reconnaître que nous admettons que la loi ne sert à rien et qu'elle couvre des pratiques peu avouables des SPRD – c'est un euphémisme – où l'opacité la plus totale règne sur les clés de répartition.
(L'amendement n° 27 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi de deux amendements, nos 50 rectifié et 1 , pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour défendre l'amendement n° 50 rectifié .
En dépit de votre talent à vouloir le démontrer, monsieur le ministre, je ne crois pas que mon scénario soit de la science-fiction. Par un arrêt du 21 octobre 2010, la Cour de justice de l'Union européenne a interprété l'article 5-2 b de la directive européenne, à savoir que « les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions aux limitations au droit de reproduction prévues à l'article 2 dans les cas suivants : lorsqu'il s'agit de reproduction effectuée sur tout support par une personne physique pour un usage privé à des fins non directement ou indirectement commerciales. » Dans ces conditions, le texte n'a aucune chance de passer l'épreuve du Conseil constitutionnel, surtout si vous persistez à tolérer un climat de guerre larvée au sein de la Commission de la copie privée. L'amendement revient à une lecture stricte de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne. Faute de quoi, selon la stratégie des industriels, le Conseil constitutionnel donnera un avis défavorable sur ce texte – et ce n'est pas de la science-fiction.
Cet amendement tend à confier à l'État la gestion d'une taxe affectée destinée à financer la compensation équitable. Sur ce point, la directive européenne laisse beaucoup de liberté aux États membres. Ce qui compte, c'est qu'un mode de financement assis sur les supports permettant de réaliser des copies privées soit en mesure de fournir les fonds suffisants pour verser aux ayants droit le montant de la compensation équitable.
La solution idéale est d'instaurer une taxe affectée sur le modèle de ce qui existe pour bien d'autres secteurs – le cinéma avec le CNC, par exemple. La détermination de l'assiette, du taux et la perception seraient assurées par les services fiscaux, dont c'est le métier. Avec cette solution, la perception ne se ferait plus au niveau des importateurs mais des revendeurs. C'est essentiel pour respecter l'interdiction édictée par la Cour de justice de l'Union européenne de prélever une redevance pour les copies privées faites pour les usages professionnels.
L'importateur, qui n'est pas en contact avec l'acheteur final, n'est pas en mesure de connaître l'usage, personnel ou professionnel, d'un support qui peut servir aux deux. Le revendeur, en revanche, sait à qui il vend. On peut donc opérer une ventilation et éviter de mettre en place une usine à gaz en matière de remboursements. Techniquement, il suffit d'ajouter une ou deux lignes sur les formulaires de TVA que remplissent toutes les entreprises. On réaliserait ainsi des économies importantes sur les frais de gestion et de collecte, tout en assurant le respect des garanties constitutionnelles en matière de levée d'impôt.
Cette solution a tous les avantages : elle est simple, peu coûteuse, parfaitement respectueuse du droit européen ; elle ne mécontente que les SPRD, qui perdent du pouvoir. Autant dire que la balance entre coûts et avantages est particulièrement positive.
Contre toute attente sans doute, cher collègue, j'ai partagé ces mêmes réflexions. Pour le système de distribution sur ce type de support, il est très intéressant de modifier le lieu et le percepteur. Pour aller dans ce sens, il faut revoir tout le système. Je partage donc avec enthousiasme ces propositions, dans le cadre d'une mise à plat du système.
Toutefois, il n'est pas possible d'appliquer ce type de procédure dans la configuration actuelle du système de distribution. Avec certains distributeurs parfaitement identifiés cette solution serait envisageable, et même efficace en termes de gestion et de gouvernance, mais il existe une importante distribution non identifiée qui serait alors à l'origine d'un manque à gagner considérable.
Autrement dit, si je partage votre point de vue, la situation qui prévaut aujourd'hui m'amène à être défavorable aux deux amendements.
(L'amendement n° 50 rectifié , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)
(L'amendement n° 1 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Il est défendu.
(L'amendement n° 31 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
L'arrêt Padawan est très clair : la redevance pour copie privée n'est exigible que sur les personnes physiques pour un usage privé. Sont donc exclues les personnes morales et les personnes physiques quand elles acquièrent ces supports pour un usage professionnel.
Je sais que cela pose de nombreux problèmes pratiques, mais nous n'avons pas le choix. Si nous ne respectons pas cette règle, nous serons censurés par la Cour de justice de l'Union européenne, et nous devrons, à nouveau, légiférer dans l'urgence. Il ne sera alors plus possible de colmater la brèche. Autant anticiper dès aujourd'hui et nous mettre en règle en transposant une disposition claire issue d'une directive.
(L'amendement n° 7 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
J'ai déjà parlé d'usine à gaz, mais cette fois, nous y sommes vraiment ! Et à voir les sourires qui se dessinent sur les visages de mes collègues, jusqu'au banc de la commission, je constate que je ne suis pas le seul à être de cet avis.
De nombreuses questions se posent. J'espère en tout cas que nous avancerons dans un délai inférieur à deux ans.
J'ai vraiment beaucoup de choses à dire tant je suis sidéré qu'un tel dispositif ait pu passer les différents filtres de l'élaboration d'un projet de loi.
Nous mettons en place un système dans lequel tout le monde paie, y compris dans le cas où la loi dit explicitement « que la redevance n'est pas due ». Quant à ceux qui auraient payé alors qu'ils ne devaient rien, ils bénéficient d'un système de remboursement d'une complexité telle que l'on peut penser qu'il est destiné à décourager les demandes. J'avoue que c'est très fort !
Monsieur le ministre, il va tout de même falloir lever plusieurs ambiguïtés. Comment peut-on prélever une somme quand la loi dit explicitement qu'elle n'est pas due ? J'ai beau chercher, je ne comprends pas. Comment réagiront les administrations, les collectivités locales et les PME ? Avez-vous demandé à vos services comment ils allaient gérer le problème ? Vous auriez un bel aperçu des difficultés auxquelles ces structures vont se heurter : elles ne sont pas armées pour remplir la paperasse administrative des conventions et des demandes de remboursement. Pour un grand nombre d'entre elles, les quelques dizaines d'euros en jeu ne vaudront pas la peine de se mobiliser ; elles laisseront tomber. Or le piège est précisément là : si pour une PME, le montant du remboursement est négligeable, l'addition de toutes ces petites sommes non réclamées – qui constituent ce que nous avons pu appeler « les arnaques au quotidien » dans la loi « consommation » – peut, au final, représenter un petit pactole.
Ce système ne doit pas être le moyen pour les ayants droit d'empocher des sommes qui ne leur sont pas dues. Je propose donc que les sommes non réclamées après deux ans soient reversées au budget de l'État, qui en a bien besoin.
J'attends également des réponses sur ce que je considère comme étant de vrais sujets.
Le premier concerne les remboursements en cas de non-répercussion, en totalité ou en partie, de la redevance pour copie privée sur l'utilisateur final. Je prends un exemple tout simple : l'achat en gros pour lequel le client final paie moins cher. Que se passe-t-il s'il demande le remboursement de la redevance pour copie privée ? Comment savoir si cette redevance a effectivement été répercutée ? On peut très bien envisager que, dans le cadre de négociations commerciales, le grossiste ou l'importateur ait choisi, plus ou moins volontairement, de ne pas la répercuter. Comment fait-on dans ce cas ?
La TVA constitue un deuxième angle mort. Sera-t-elle prélevée sur la redevance pour copie privée si les supports sont vendus à des personnes physiques pour un usage professionnel ou sur des personnes morales qui ne peuvent pas la récupérer ? À quel taux ? Pour quel remboursement ? Si l'étude d'impact soulève bien ce problème, elle n'apporte pas la moindre solution.
Le troisième sujet est celui de la grande complexité du dispositif. Il est prévu que les justificatifs à fournir seront fixés par voie réglementaire. Vous retardez ainsi la mise en oeuvre du texte, et vous instaurez des complications inutiles, comme seules les administrations savent en créer. Mieux vaudrait laisser les redevables libres de faire la preuve par tous moyens des sommes versées au titre de la redevance pour copie privée. Les litiges se régleraient ensuite devant les tribunaux. On gagnerait sans doute du temps. Je pense en effet que, malheureusement, un certain délai s'écoulera avant la sortie des décrets. De plus, une fois parus, ils seront attaqués devant le Conseil d'État qui risque de les annuler étant donné leur faible solidité juridique tant par rapport à la loi française qu'au regard du droit communautaire.
Une fois de plus, je ne comprends pas que l'on invente de telles usines à gaz alors qu'il est possible de faire simple et efficace. C'est un peu désespérant.
(L'amendement n° 9 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
La parole est à M. Lionel Tardy pour soutenir l'amendement n° 8 rectifié .
Contre toute attente, j'émets un avis favorable. (Sourires.) Cet amendement renforce la transparence par rapport aux clients.
Sagesse.
(L'amendement n° 8 rectifié est adopté.)
Il est défendu, comme les suivants.
(L'amendement n° 2 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Sur l'article 4 bis, je suis saisi d'un amendement n° 6 .
La parole est à M. Lionel Tardy.
Cet amendement me permet de poser une question un peu annexe, mais importante, concernant l'usage des sommes issues de la redevance pour copie privée.
L'article L.321-9 du code de la propriété intellectuelle prévoit que 25 % de ces sommes doivent être consacrés au soutien à la création. L'arrêt Padawan spécifie pourtant très explicitement que la redevance pour copie privée est uniquement destinée à compenser un préjudice subi par les titulaires de droit de propriété intellectuelle. Nous nous interrogeons donc sur le sens de cette disposition clairement contraire à la directive. Dans un avenir assez proche, elle devra être supprimée faute d'un lien direct avec l'objectif même de la redevance pour copie privée.
Accessoirement, on peut s'interroger sur cet article et sur le rôle des sociétés de perception et de répartition des droits. Est-ce vraiment à ces dernières de financer la création et le développement du spectacle vivant ? Je ne le pense pas. Je crois que l'on a un peu trop laissé ces sociétés de droit privé étendre le champ de leurs missions.
Il s'agit d'un sujet périphérique à la copie privée, qui fait d'ailleurs l'objet d'un projet de directive, mais il est d'une certaine manière au coeur du problème car les dirigeants des sociétés de perception et de répartition des droits ont une part de responsabilité dans la situation actuelle et dans l'état conflictuel qui bloque l'ensemble du dispositif.
Je ne pouvais passer ces éléments sous silence.
Défavorable.
Il aurait été souhaitable que cet amendement ne soit pas déposé.
Les 25 % consacrés au soutien aux actions culturelles sont sans doute aujourd'hui le dispositif le moins contestable de la loi de 1985. Ils permettent, par exemple, de financer jusqu'à cinq mille manifestations sur l'ensemble du territoire et de contribuer à la formation des artistes ou à la diffusion du spectacle vivant.
Ces 25 % qui représentent environ 50 millions d'euros font l'objet de beaucoup de convoitise : soit on veut les supprimer, à l'instar de M. Tardy, soit on cherche à les affecter par exemple au Centre national de la musique. Nous devons pourtant les protéger ! Ils nous permettent souvent, dans les responsabilités locales qui sont les nôtres, tous autant que nous sommes, de boucler le financement d'un projet culturel afin qu'une manifestation puisse avoir lieu.
En cette période de moindre disponibilité des crédits – cela est vrai, monsieur le ministre, pour le budget de la culture comme pour les autres –, il s'agit d'un soutien au spectacle vivant dont nous ne pouvons pas nous passer.
Ce point est sensible, et vous permettrez qu'un maire s'exprime à ce sujet.
Nous ne contestons pas l'utilité des 50 millions d'euros consacrés à des initiatives culturelles. Nous disons seulement que l'affectation de ces 25 % est juridiquement fragile. La directive européenne devant être interprétée comme destinant la redevance pour copie privée à la seule compensation d'un préjudice subi, le fait d'en affecter 25 % à un autre usage ouvre un angle de tir juridique qui sera utilisé. Je ne peux donc que soutenir la position de mon collègue Lionel Tardy.
Cela n'empêche évidemment pas de trouver ailleurs, par exemple dans le budget de l'État, 50 millions d'euros pour soutenir les initiatives culturelles locales.
(L'amendement n° 6 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement rédactionnel de Mme la rapporteure, n° 41.
(L'amendement n° 41 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
(L'article 4 bis, amendé, est adopté.)
Sur l'article 5 bis, je suis saisi d'un amendement n° 13 .
La parole est à M. Lionel Tardy.
L'amendement est défendu.
(L'amendement n° 13 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Nous avons gardé le meilleur pour la fin : nous terminons sur une validation législative à la constitutionnalité pour le moins douteuse.
L'alinéa 2 de cet article 5 annule purement et simplement les effets d'une décision de justice passée en force de chose jugée. Ce n'est pas rien : il s'agit d'une violation caractérisée de la séparation des pouvoirs.
De telles validations sont possibles, mais elles sont très encadrées. Il faut justifier d'un intérêt général impérieux. En l'espèce, je vois mal de quel intérêt général il peut s'agir. La préservation des équilibres financiers des sociétés de perception et de répartition des droits, sociétés de droit privé, ne me semble pas relever de l'intérêt général. En tout cas, l'intérêt général en cause n'est pas suffisant pour priver des requérants du bénéfice d'une décision de justice.
Si cet article est maintenu dans sa version actuelle, nous aurons droit à une question prioritaire de constitutionnalité dont l'issue est pour le moins très incertaine. En conséquence, j'ai déposé deux amendements – l'amendement n° 14 étant un amendement de repli –, afin de limiter au mieux un risque juridique flagrant.
(L'amendement n° 15 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Nous avons achevé l'examen des articles du projet de loi.
Je rappelle que la conférence des Présidents a décidé que les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet, auront lieu le mardi 29 novembre, après les questions au Gouvernement.
Prochaine séance, jeudi 24 novembre à neuf heures trente :
Discussion de sept conventions internationales en procédure d'examen simplifiée ;
Discussion du projet de loi relatif au plan d'aménagement et de développement durable de la Corse.
La séance est levée.
(La séance est levée, le jeudi 24 novembre 2011, à zéro heure quarante-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Nicolas Véron