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Intervention de Christian Kert

Réunion du 23 novembre 2011 à 21h45
Rémunération pour la copie privée — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Kert :

Sans doute voulez-vous dire que certains auraient pu égaler la qualité de ce travail. Certes. (Sourires.)

Mes chers collègues, quel avenir existe-t-il pour la copie privée ? C'est à cette question que nous devons répondre à travers l'étude de ce texte.

Si nous nous retrouvons aujourd'hui, un peu dans l'urgence, c'est bien parce que le principe même de la rémunération dont il est ici question subit des attaques continuelles de la part des industriels et des fabricants de matériels. Nous y répondons en apportant par ce texte de nécessaires précisions jurisprudentielles au code de la propriété intellectuelle.

Mais notre réflexion doit aussi perdurer. Nous sommes à l'ère du numérique et les habitudes des consommateurs ont prodigieusement changé. La rémunération pour copie privée doit elle aussi évoluer et nous devons chercher de nouveaux mécanismes afin que le monde du numérique contribue d'une manière juste et équitable à la création. Cela pourrait faire l'objet d'un second volet.

Mais j'en viens à ce premier volet. Comme l'a parfaitement rappelé notre rapporteure, la loi de 1985 a instauré le mécanisme de rémunération sur copie privée. Depuis les années quatre-vingts la démocratisation des moyens techniques de reproduction des oeuvres culturelles – les lecteurs-enregistreurs de cassettes audio et vidéo hier, les CD-ROM, DVD, clés et tablettes numériques aujourd'hui – a rendu impossible le contrôle du nombre de copies réalisées par les particuliers pour leur propre usage – dites copies privées – et accru le manque à gagner des auteurs et des autres ayants droit.

C'est la raison pour laquelle la loi du 3 juillet 1985 a instauré la rémunération pour copie privée, qui n'est ni une taxe ni la compensation d'un préjudice au sens du droit civil, mais bien une modalité particulière d'exploitation et de rémunération des droits d'auteur. C'est une sorte de droit d'abandon de l'autorisation de l'artiste sur la copie de son oeuvre. Si l'assujettissement est supporté par les fabricants ou importateurs de supports d'enregistrement – ils sont multiples aujourd'hui –, le consommateur, est au final, le véritable financeur de la rémunération. C'est lui, en effet, qui acquitte indirectement sur tout achat de supports assujettis le montant de la rémunération pour copie privée qui est répercutée systématiquement par le fabricant ou l'importateur. En 2010, les revenus générés par la redevance copie privée se sont élevés à près de 178 millions d'euros, vous le rappeliez, madame la rapporteure. Ce montant a sensiblement augmenté depuis dix ans sous l'effet des évolutions technologiques qui ont multiplié la capacité de stockage des supports numériques, donc les possibilités de copie privée.

La loi a prévu que 25 % des sommes collectées sont redistribuées collectivement sous forme d'aides à la création et je tiens à préciser qu'il n'a jamais été question de toucher à ce fameux quart. En s'acquittant de cette rémunération, le public participe directement au financement de près de 5000 manifestations et projets culturels dans une grande diversité de genres et de répertoires – grands et petits festivals, pièces de théâtre, concerts… C'est d'ailleurs l'une des bases du pacte public-artistes à l'origine de la redevance pour copie privée.

Aussi, le projet de loi répond de façon circonscrite aux conséquences juridiques importantes liées à différentes décisions récentes du Conseil d'État et tout particulièrement celle qui a annulé, à compter du 22 décembre prochain, la décision n° 11 de la commission de la copie privée, qui concerne l'essentiel des supports assujettis à cette rémunération. Cette dernière décision du Conseil d'État fait peser une menace immédiate sur la perception de l'essentiel de la recette annuelle de la rémunération pour copie privée, qui risque, si nous ne votons pas ce texte, de se trouver privée de tout fondement juridique à compter de cette date prochaine.

De plus, la décision du Conseil d'État entraîne un effet d'aubaine pour les redevables de la rémunération pour copie privée qui avaient engagé une action judiciaire avant le 17 juin 2011 : ils pourront réclamer le remboursement des sommes versées, soit un montant de près de 60 millions d'euros, alors même que l'essentiel de ces sommes étaient effectivement dues et que, par ailleurs, la copie privée a été répercutée sur le prix acquitté par les consommateurs. Ce point est essentiel car nous devons éviter la suspension des versements, qui serait comme on vient de le voir, tout à fait injuste, mais aussi parce que la rémunération pour copie privée reste une obligation communautaire. Les effets collatéraux de ces décisions sont très dangereux et je pense que nous devons être satisfaits, même si nous travaillons dans l'urgence, de l'existence de ce texte de validation législative.

Sur la question plus ciblée des professionnels et du mécanisme de remboursement de la rémunération pour copie privée, il convient de rester sur la ligne du Gouvernement : l'arrêt du Conseil d'État prévoit de ne pas assujettir les professionnels à la rémunération pour copie privée plutôt que de les rembourser. Force est de constater que cette solution risque d'accroître les possibilités de fraudes. Ce sujet reste central et devra faire l'objet d'une concertation et d'une réflexion plus aboutie, nous vous avons fait part de ce souhait, monsieur le ministre, lors des travaux en commission.

En attendant, le projet de loi prévoit l'exemption des supports acquis pour un usage professionnel du paiement de la rémunération pour copie privée, selon deux modalités : soit sur le fondement d'une convention passée entre Copie France et les professionnels, qui permettra à ceux-ci d'être exonérés de la rémunération pour copie privée lors de l'acquisition des supports dans des circuits de distribution dédiés ; soit par une demande de remboursement présentée auprès de Copie France et assortie de justificatifs.

En ce qui concerne les moyens, le projet de loi répond à une situation d'urgence et à une volonté de réforme profonde du dispositif mis en cause. Certains de nos collègues se sont saisis de l'opportunité de ce texte pour s'interroger notamment sur la gouvernance de la commission de la copie privée. Il est vrai que les décisions de cette commission sont systématiquement contestées devant les tribunaux. Il nous faut y réfléchir afin d'y instaurer un climat plus consensuel.

Mais la question essentielle, évoquée par tous en commission, est de savoir comment intégrer dans le périmètre de la rémunération pour copie privée ce qu'on appelle aujourd'hui le cloud computing et le changement de comportement des consommateurs qui versent de plus en plus vers le streaming ou le stockage à distance des données. Vous l'avez dit en commission, monsieur le ministre, une réflexion à plus long terme s'est déjà engagée avec la commission spécialisée du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. Il nous faut absolument mesurer les incidences des évolutions technologiques et comportementales. Nous devons trouver une nouvelle manière d'obtenir de la part de ces prestataires de services nouveaux, une rémunération des ayants droit. Le compte à rebours est déjà lancé et des préconisations doivent être rapidement présentées.

En attendant, il nous faut adopter ce projet de loi, qui a un objet circonscrit mais justifié par une situation d'urgence. Il faut espérer que nous nous retrouverons bientôt pour voter une loi Lang 2, formule dont vous êtes, monsieur le ministre, l'ayant droit. Cette exigence, nous la devons à tous les créateurs.

Monsieur le président, voilà très exactement dix minutes que je m'exprime. (Sourires.)

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