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Intervention de Frédéric Mitterrand

Réunion du 23 novembre 2011 à 21h45
Rémunération pour la copie privée — Discussion après engagement de la procédure accélérée d'un projet de loi

Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication :

Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, cher Christian Kert, madame la rapporteure, chère Marie-Hélène Thoraval, mesdames et messieurs les députés, sous une apparence technique, le présent projet de loi répond à un enjeu simple dont nous saisissons cependant tous à quel point il est impérieux : le financement d'une part capitale de la création artistique française, assuré depuis plus de vingt-cinq ans par la rémunération pour copie privée, instituée par la loi Lang du 3 juillet 1985. Je tiens donc à remercier Mme la rapporteure pour le travail si précis et si approfondi qu'elle a effectué malgré l'urgence qui nous contraint.

Depuis les années 1980, la démocratisation des moyens techniques de reproduction des oeuvres culturelles – les lecteurs-enregistreurs de cassettes audio et vidéo hier, les CD-ROM, DVD, clés USB, baladeurs numériques tels les ipods, téléphones multimédia et autres tablettes numériques comme les ipads aujourd'hui – a rendu impossible le contrôle du nombre de copies réalisées par les particuliers pour leur propre usage, dites copies privées, et accru le manque à gagner des auteurs et des autres ayants droit.

C'est la raison pour laquelle la loi du 3 juillet 1985, adoptée à l'unanimité, a instauré une rémunération juste et équitable visant à compenser financièrement le manque à gagner subi par les auteurs et les titulaires de droits voisins au titre des copies d'oeuvres réalisées sans leur autorisation préalable. Le dispositif, qui n'est ni une taxe ni la compensation d'un préjudice au sens du droit civil mais une modalité particulière d'exploitation et de rémunération des droits d'auteur à travers un paiement forfaitaire se substituant au paiement à l'acte, s'est diffusé depuis lors dans vingt et un pays de l'Union européenne et a été intégré au droit communautaire par la directive sur les droits d'auteur de 2001.

La rémunération pour copie privée constitue, en France, une part essentielle des droits d'auteur, donc du financement de la création. Elle représente plus de 180 millions d'euros par an, répartis par la société de perception et de répartition Copie France entre les auteurs, artistes interprètes, producteurs de la musique, du cinéma, de l'audiovisuel, de l'image fixe et de l'écrit. Si 75 % des sommes collectées sont directement reversés aux créateurs, le reste, soit 25 % de la rémunération pour copie privée, est obligatoirement dédié, en application de la loi de 1985, à des actions d'aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à la formation des artistes. En s'acquittant de la rémunération, le public participe donc directement au financement de près de 5000 manifestations culturelles dans une grande diversité de genres et de répertoires – grands et petits festivals, pièces de théâtre, concerts, spectacles de rue ou de marionnettes, courts-métrages, documentaires de création.

Cette institution remarquable, qui a su s'adapter au numérique, est aujourd'hui menacée, à la suite d'un arrêt rendu le 21 octobre 2010 par la Cour de justice de l'Union européenne que le Conseil d'État a été tenu d'appliquer dans une décision du 17 juin dernier.

Jugeant que les supports acquis pour un usage professionnel devaient être exemptés du paiement de la rémunération pour copie privée, le Conseil d'État a condamné le système mis en place par la commission copie privée qui, pour des raisons de simplicité et de prévention de la fraude, consistait à appliquer la rémunération pour copie aux supports susceptibles de servir tout à la fois pour un usage professionnel et pour un usage de copie privée – CD-ROM, la plupart des DVD, téléphones multimédia, clés USB et autres –, moyennant un abattement reflétant la part des usages professionnels.

Cette décision, en elle-même parfaitement légitime, emporte des effets collatéraux très graves, privant notamment de fondement juridique, à compter du 22 décembre prochain – c'est très proche –, l'essentiel des barèmes de perception de la copie privée. Elle fait ainsi peser une menace immédiate sur la perception des 180 millions d'euros.

Par ailleurs, la décision du Conseil d'État entraîne un effet d'aubaine pour les redevables de la rémunération pour copie privée qui avaient engagé une action judiciaire avant le 17 juin 2011 : ils pourraient réclamer le remboursement de l'intégralité des sommes versées, soit près de 60 millions d'euros, alors même que l'essentiel de ces sommes était effectivement dû lorsque n'étaient pas en cause des supports acquis à des fins professionnelles et que la copie privée a été répercutée sur le prix acquitté par les consommateurs.

Le principal objet du projet de loi est donc de remédier au risque d'une interruption ou d'une remise en cause de la rémunération pour copie privée, lorsqu'elle est effectivement due, en neutralisant les effets collatéraux de la décision du Conseil d'État d'une part, par le maintien, au-delà du 22 décembre prochain, des barèmes de la rémunération pour copie privée ; d'autre part, en procédant à une validation ciblée des rémunérations antérieures au 17 juin 2011 qui font l'objet d'une action contentieuse.

Cette réponse, j'y insiste, est conforme à la Constitution et au droit européen et a donc été approuvée par le Conseil d'État lorsqu'il a examiné le projet de loi. En particulier, conçue de manière à respecter la chose jugée, elle n'empêche pas les personnes ayant acquis un support pour un usage professionnel de faire valoir leurs droits.

J'ajoute que le projet de loi, qui répond à d'évidents motifs d'intérêt général en matière de soutien à la création et à la diversité culturelle, est en réalité indispensable pour se conformer à nos obligations juridiques au regard du droit communautaire, la Cour de justice de l'Union européenne ayant, en effet, consacré le principe d'une obligation de compensation effective du manque à gagner lié aux actes de copie privée.

Afin de mettre en oeuvre la décision du Conseil d'État, le projet de loi organise parallèlement l'exemption des supports acquis pour un usage professionnel du paiement de la rémunération pour copie privée selon deux modalités inspirées directement de la pratique actuelle de la commission concernant certains supports déjà exemptés de la rémunération : soit sur le fondement d'une convention passée entre Copie France et les professionnels, qui permettra à ceux-ci d'être exonérés de la rémunération pour copie privée lors de l'acquisition des supports, notamment dans des circuits de distribution spécialisés ; soit par une demande de remboursement présentée auprès de Copie France et assortie de justificatifs.

Le projet de loi comporte d'autres dispositions, de portée plus limitée, consacrant la pratique de la commission de la copie privée en matière d'enquête d'usage ou tirant les conséquences de la jurisprudence récente qui a écarté de l'assiette de la copie privée les copies de source illicite, effectuées à partir de fichiers piratés.

Le projet de loi prévoit, par ailleurs, l'information de l'acquéreur d'un support d'enregistrement sur le montant de la rémunération pour copie privée auquel il est assujetti, ce qui représente une avancée intéressante pour la compréhension par chacun du mécanisme de la copie privée et de ses enjeux.

Mesdames et messieurs les députés, vous l'avez compris, ce projet de loi, justifié par une situation d'extrême urgence, a un objet circonscrit : il s'agit, d'ici au 22 décembre prochain, d'éviter un effondrement du système de la copie privée, qui constitue un mode de rémunération important des ayants droit mais aussi une source essentielle du financement de la création.

Le projet de loi privilégie, pour ce faire, une réponse pragmatique, immédiatement applicable et respectueuse, qui plus est, des jurisprudences du Conseil d'État et de la Cour de justice de l'Union européenne.

Par-delà cette réponse de court terme, mon ministère poursuit parallèlement une réflexion plus globale, plus ambitieuse, sur l'incidence des évolutions technologiques sur le mécanisme de la copie privée. Cette réflexion nous permettra d'aborder l'ensemble des questions, souvent légitimes, que suscite l'avenir de ce mode de rémunération de la création. Cette réflexion est conduite dans le cadre d'une commission spécialisée du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, présidé par Sylvie Hubac, qui a été notamment chargée d'étudier l'incidence du cloud computing sur la rémunération pour copie privée.

Ce projet de loi est une réponse indispensable du Gouvernement à une situation d'urgence ; c'est aussi le signe de notre engagement commun pour la défense de ceux qui inventent, de ceux qui composent, de ceux qui prennent le risque de la création. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

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