La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
Hier soir, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.
La parole est à Mme Danièle Hoffman-Rispal.
Monsieur le président, madame la ministre d'État, garde des sceaux, ministre d'État de la justice et des libertés, mes chers collègues, « il ne faut demander à la loi que ce qu'elle peut faire » écrivait Condorcet, le dernier philosophe des Lumières. J'ajouterai qu'il faut lui demander tout ce qu'elle peut faire. En dehors de ce cadre serré, légiférer, c'est nuire, et nuire d'abord à la loi.
Le texte sur lequel nous nous prononçons a-t-il valeur de symbole, de déclaration solennelle ? En mai dernier, nous avons voté, à l'unanimité, une résolution. Aujourd'hui, nous l'anéantissons pour lui substituer une loi, dont nous savons tous qu'elle doit répondre à d'autres fins que des fins symboliques.
Cette loi présente une faiblesse. Sa simplicité ne peut nous cacher ses défauts, qui tiennent à son élaboration, à la façon dont nous posons la question du voile intégral. Cette manière est trop étroite pour que la loi ne le soit pas. Je m'explique. Depuis un an, nous demandons : « Faut-il interdire le port du voile intégral ? » Oui, répondent le Gouvernement et la majorité, oui et partout. Cette réponse commande ce projet de loi. Oui, mais pas n'importe comment, pas n'importe où, disons-nous au sein du groupe socialiste, radical et citoyen. Et c'est cette réponse qui guide nos amendements.
Au sein de cette assemblée, il en est pour croire que notre société est travaillée par une maladie qui aurait pour nom fanatisme et pour symptôme le voile intégral. Heureux de cette comparaison, nos collègues proposent d'employer le scalpel, comme s'il suffisait de supprimer le symptôme qui éclaire le médecin sur la nature du mal pour dissoudre ce mal.
Le voile intégral n'est pas une maladie. Signe sectaire, il est d'abord le signe le plus spectaculaire d'une crise générale de notre société. Il est le signe que la transmission des principes d'une génération vieillissante à la génération nouvelle ne s'est pas faite ou n'a pas été acceptée. Il en est l'expression la plus extrême. Et, naïfs que nous sommes, nous n'aurions rien d'autre à proposer qu'une interdiction générale ?
La question posée par le voile intégral demeurera après le vote de cette loi, car nous n'avons pas demandé à la loi une réponse à ces questions : de quoi le voile intégral est-il le signe ? Comment y remédier ? Nous avons exigé d'elle qu'elle nous débarrasse de ces questions. Voilà ce que nous ne pouvions lui demander.
Comment résister au voile intégral ? En nous attaquant à ses causes, qui sont le fanatisme, l'enfermement social, devenu l'enfermement communautaire, la religion pour seul horizon d'espérance, l'ignorance, l'inculture, le manque de repères pour seul moteur d'une foi dont on ne saurait rien, dans laquelle on se jette avec désespoir, comme au bord de la noyade. Des esprits se noient dans notre pays. Ils se raccrochent à cette bouée – un linceul ! – parce que nous ne leur apprenons plus à nager et que nous leur refusons cette main que nous devrions leur tendre. Les porteuses du voile intégral et les hommes qui les y contraignent nous disent qu'ils ne font plus partie de la société, qu'il n'y a plus de société. À cela, nous répondrions par une pure condamnation, quand la source de ce geste demeure, quand dans notre pays se multiplient les dénis de solidarité, du simple particulier au ministre d'État ?
Mes chers collègues, le groupe socialiste, radical et citoyen vous proposera des amendements. Ces amendements offrent un compromis entre la répression d'un voile intégral qui insulte les femmes et les dégrade, et la prévention du fanatisme, qui doit l'accompagner.
Je n'ai pas abordé la fragilité juridique du texte. Jean Glavany vous en a parlé hier soir, je n'en reprendrai pas l'argumentaire. Mais une question me vient : serions-nous aussi ignorants des libertés fondamentales que ces femmes qui revêtent le voile intégral ?
Pour cette raison, j'insiste sur le rôle que doit jouer l'école dans ce pays. Ayant débuté avec Condorcet, j'achève avec lui. Ce pionnier de l'instruction publique proposait une école singulière, qui demeure révolutionnaire. Son but était d'apprendre aux citoyens à nager, plutôt que de leur jeter une bouée s'ils se noient. En d'autres termes, apprendre à tous les droits attachés à la citoyenneté et les moyens de les défendre contre les tenants du pouvoir, religieux, traditionnel ou élu.
Si nous accomplissions cela, le calme ne régnerait pas dans notre pays, mais au lieu du voile intégral, nous aurions à répondre aux questions d'un peuple éclairé qui demanderait : qu'avez-vous fait de nos espoirs ? Que faites-vous de notre désespoir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, cette loi est plébiscitée dans le pays. Les travaux de la mission sur le voile intégral prouvent que, derrière cette pratique qui demeure encore minoritaire, surgissent des questions fondamentales, des défis à relever, des choix politiques.
Sortons du syndrome des présidentielles de 2012, et je veux, en disant cela, m'adresser à un certain nombre de mes amis de gauche.
Oui, c'est une loi intelligente de protection et de libération de la femme.
Sous cette couverture-là, nous accepterions l'inacceptable, le triomphe de la barbarie sur la civilisation, faisant le miel de l'extrême droite.
Refusons tous les apprentis sorciers, qu'ils soient de gauche ou de droite, qui jouent avec le communautarisme en croyant s'attirer les bonnes grâces des intégristes pour qui la République est l'ennemi. Bannissons les arrangements, les accompagnements. Sortons de l'indifférence, voire de l'aveuglement. Osons la main tendue à la majorité des Français de confession musulmane, une reconnaissance digne de la deuxième religion de France, l'islam.
Le voile intégral, la burqa, c'est le refus de la République.
L'intégrisme constitue une menace pour l'islam lui-même. Dans notre histoire, chaque fois que le religieux a revendiqué des exigences politiques, il y a eu des barbares et il y a eu la guerre.
J'aurais, me dit-on, oublié les questions urgentes, le social, l'économique, la vie quotidienne. Mais combattre la ségrégation, l'insécurité sociale, c'est porter en même temps des valeurs et des idéaux d'humanisme pour donner du sens à la vie, et je pense que ce sont des raisons de fond pour rassembler et partager la vie en commun.
On me dit même que j'aurais participé à une opération de diversion récupérée par Sarkozy et l'UMP.
Mais alors, pourquoi ce même sujet aurait-il pris une dimension géopolitique, la Belgique, l'Espagne, le Danemark et même des pays musulmans s'en étant emparé ? Et si notre débat était un défi de civilisation ?
Je ne comprends pas : comment peut-on parler de liberté, de liberté de revendiquer des chaînes, une muselière ? Le voile intégral-il serait une conquête féministe ?
Faudrait-il le tolérer au nom de la convenance religieuse, de la liberté de pratiquer ? Pourquoi alors ne pas accepter l'excision ? Je trouve ce discours cynique car cette dérive n'a rien à voir avec l'islam. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Je réponds à un certain nombre d'amis de gauche, que vous connaissez d'ailleurs, vous aussi.
Nous devons regarder de près le communautarisme, le fondamentalisme, le talibanisme et ces talibans français qui endoctrinent nos gamins et qui leur bourrent le crâne.
Qui stigmatise les musulmans et l'islam ? Commençons par Le Pen et tous ceux qui ont joué avec lui. Prenons conscience des conséquences de la guerre civile en Algérie avec le FIS et le GIA dans les années 1990. Selon le juge Bruguière, 1 100 jeunes sont passés par les camps d'Al-Qaïda de 1995 à 2001. Des jeunes de la région parisienne ont été utilisés comme kamikazes dans la guerre en Irak. Certains se sont même réjouis le 11 septembre 2001.
Sortons de notre apathie, car ces fanatiques pourrissent nos gamins, et ceux-ci se radicalisent. Derrière le voile intégral, partie émergée de l'iceberg, le vrai danger, c'est l'endoctrinement dès l'enfance par une idéologie barbare fascisante. La femme est transformée en pur objet de plaisir.
C'est la tyrannie. En 2004, l'imam Bouziane prônait, à Vénissieux, la lapidation des femmes, la guerre contre la République, distillant le venin du racisme anti-France, anti-blancs et anti-chrétiens.
Quand des adolescents de treize ou quatorze ans contestent l'histoire, la biologie, les sciences naturelles, cela s'appelle du bourrage de crâne. Quand des jeunes filles sont exonérées du sport en piscine au nom du religieux, c'est le Moyen Âge contre l'école publique et laïque.
Quand des jeunes filles sont contraintes à une vie d'enfer dans le quartier où elles habitent lorsqu'il s'agit de s'habiller, de vivre leurs rapports amoureux et leur sexualité, c'est le féodalisme. Elles sont considérées comme des « putes et soumises ». Et je n'oublie pas les menaces faites aux fonctionnaires de l'état civil, aux médecins hommes de l'hôpital ou de la maternité !
À mes amis de gauche qui m'interrogent, je voudrais dire qu'après les émeutes de 2005, qui ont concerné 800 communes de France, dans la région parisienne en particulier, nous devrions regarder de près ce qui se passe entre les mafias, les trafiquants de drogue et l'intégrisme.
Il faut dire « stop » à cette dérive.
En phase avec les voix qui s'élèvent aujourd'hui contre l'intégrisme islamique dans le monde arabe et musulman, des hommes et des femmes se battent pour un islam moderne, en accord avec les besoins de notre temps. C'est une guerre de résistance à l'intégrisme.
Le vote de cette loi aura un retentissement international.
Il y a 105 ans, le 3 juillet 1905, la loi sur la séparation des Églises et de l'État était votée par 341 voix contre 233.
Je voterai cette loi,…
…l'esprit libre, républicain et communiste, en ayant le sentiment de participer à une oeuvre utile pour la France. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC et sur quelques bancs du groupe SRC.)
La France, terre des arts, des armes et des lois, la France de Joachim du Bellay, la France de Montaigne et de Montesquieu, la France des Lumières.
La France qui a inventé la conversation, la galanterie, la courtoisie, la civilité et la politesse. Bref, la France civilisatrice, celle que nous aimons et dont nous sommes les héritiers et les citoyens, subit depuis trop longtemps les coups de boutoir de groupes de diverses sortes qui, au prétexte du droit à la différence, cherchent à lui imposer leurs lois. La société française, que la IIIe République avait su unifier sans rien lui faire perdre de sa diversité, est en train de se fragmenter sous l'action de mouvements prêchant une société qui n'est pas la nôtre. Ils menacent notre modèle républicain, ses valeurs, ses pratiques, notre capacité à vivre ensemble.
Nous sommes responsables de ce processus de « décivilisation » dénoncé par Alain Finkielkraut. À force de renoncements, que des principes pervertis servaient à justifier, nous avons trop longtemps refusé, en tout cas jusqu'en 2007, de faire face à des problèmes majeurs et vécus comme tels par nos concitoyens. Je pense en particulier à l'insécurité et à l'immigration. En les considérant comme tabous, nous les avons abandonnés à des partis extrémistes dont nous avons ainsi alimenté le fonds de commerce. Ne sommes-nous pas allés jusqu'à préférer occulter le fait historique que notre culture s'était élaborée sur la base de valeurs judéo-chrétiennes ? Et n'avons-nous pas préféré aussi, plus récemment, interrompre le débat sur l'identité nationale au motif qu'il risquait de faire émerger des conceptions dont je croyais qu'elles étaient les nôtres ?
La tentative de certains fondamentalistes islamistes d'imposer le droit de porter la burqa en France, intervient presque en même temps que la pantalonnade honteuse des petits caïds friqués et décérébrés de notre équipe nationale de football, après une période de gestation marquée par des atteintes répétées aux symboles de notre nation.
Cette concomitance présente au moins l'avantage d'accentuer la prise de conscience, par la plupart de nos concitoyens, que la cote d'alerte est atteinte et qu'il est temps de réagir. En espérant qu'il ne soit pas trop tard pour le faire efficacement.
Les Français, nos concitoyens, sont tolérants et respectueux de leurs différences respectives, mais ils sont aussi et, d'abord, attachés à leur mode de vie et à la cohésion de notre société. Contrairement à une partie de leurs élites, ou supposées telles, protégées par leur statut et mues par leur besoin de se donner bonne conscience, ils n'acceptent pas que certains groupes refusent de vivre en France comme des Français. Ils n'acceptent pas que leurs prétentions en forme de provocations menacent les règles républicaines de notre vivre ensemble. Ils n'acceptent pas les atteintes à la sécurité publique et à la dignité de la femme qui en résultent, non plus que l'ébranlement du sentiment d'appartenance à la nation française et la tentative de dislocation de celle-ci qui les sous-tend.
Il est donc urgent, si nous voulons éviter des bouleversements politiques incontrôlables, de protéger les fondements de notre vivre ensemble entendu comme un socle minimal d'exigences réciproques nécessaires à la vie en société. Cet ordre public garantit l'équilibre subtil, celui d'une société civilisée, entre nos valeurs fondamentales de liberté, d'égalité, de fraternité et de respect de la personne humaine, qui pourraient, sans lui, être antagonistes.
Telle est l'ambition du projet de loi qui nous est soumis et qui doit nous permettre d'inscrire dans notre droit les fondements du vivre ensemble.
En estimant que le fait de dissimuler son visage en public est manifestement contraire au socle minimal d'exigences réciproques nécessaires à la vie en commun, c'est-à-dire à l'ordre public sociétal ou immatériel, la loi ne fera qu'adapter notre modèle républicain à l'état actuel de la société française.
Cette règle, auparavant implicite, doit, du fait des violations de plus en plus nombreuses dont elle fait l'objet, être désormais explicitée dans notre droit.
Il faut, bien sûr, avoir le courage d'adopter une interdiction totale de dissimuler son visage dans l'ensemble de l'espace public plutôt qu'une interdiction partielle qui conduirait paradoxalement à en légaliser le principe.
Sans doute faut-il aussi prendre quelques précautions pour éviter que le texte que nous allons voter ne soit victime de l'interprétation à son tour fondamentaliste de nos sacro-saints principes de l'État de droit. Mais il me semble essentiel que nous votions de manière claire et massive le refus de la burqa dans notre espace public si nous voulons éviter à terme la remise en cause de notre modèle politique et de notre pacte social. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Je veux d'abord saluer l'intervention de notre collègue André Gerin, qui a présidé une mission d'information de notre Assemblée aux côtés de notre collègue Éric Raoult. Je partage l'essentiel de ses réflexions, et je tâcherai donc de ne pas y revenir.
Ce débat est un peu original, d'abord dans son processus. Il n'est pas commun que l'Assemblée puisse examiner un problème plusieurs mois d'affilée, en discuter, en débattre, parfois avec passion, parfois avec tension. C'est bien le rôle de l'Assemblée nationale, et elle le tient trop peu souvent, que de nourrir un débat dans la société.
Ce débat s'est progressivement dépassionné dans notre pays, et a permis à nos concitoyens de mieux réfléchir aux enjeux, alors qu'ils avaient tendance à réagir à telle ou telle attitude qui pouvait choquer. Madame la garde des sceaux, vous avez rappelé en commission que l'absence de loi a créé des affrontements violents entre des personnes. Or, c'est bien le rôle du Parlement de réfléchir plutôt que réagir, évitant ainsi le risque de stigmatisation de telle ou telle communauté. J'ajoute que les positions individuelles de chacune et de chacun d'entre nous, de chacun des mouvements politiques, y compris des groupes d'opposition, de même que les positions des différentes communautés, ont elles aussi évolué. L'originalité de ce texte est au moins de montrer que le débat parlementaire peut avoir un intérêt, même quand il ne se tient pas directement dans cet hémicycle.
Nous avons eu raison de ne pas répondre sur le terrain religieux et de la laïcité à un problème qui ne concerne pas directement l'islam. Le problème du voile intégral est un problème inexistant dans un certain nombre de pays musulmans, et il n'est apparu que par la volonté politique de groupes politiques en lutte contre des régimes pas ou peu démocratiques. C'est bien l'affirmation politique d'une conception de la personne humaine, de la société, et des relations entre ses membres dont il est question lorsque nous parlons du voile intégral.
Madame la garde des sceaux, vous avez rappelé dans la presse que, dans certains pays musulmans, le voile intégral était interdit, preuve s'il en était besoin que la question n'est pas religieuse, mais politique. Sur cette question politique, vous nous proposez une réponse à la hauteur des valeurs fondatrices du vivre ensemble, de la dignité de la personne humaine, et je pense que vous avez ainsi évité le piège insidieux qui était tendu à la République au début de ce débat.
Il est normal à nos yeux que l'interdiction soit générale sur l'espace de vie publique, s'agissant de dignité humaine : chacun, chez soi, fait ses choix librement, mais dans l'espace public chacun doit afficher le même respect de ce vivre ensemble et de la dignité des personnes. Je ne vois pas d'autre voie praticable, car il ne me paraît pas réaliste de commencer à tronçonner l'espace public où nous nous rencontrons, où nous nous croisons, où nous nous côtoyons, où nous construisons notre société tous ensemble.
Madame la garde des sceaux, vous avez respecté un principe de proportionnalité, et je pense qu'à travers ce texte de loi vous posez surtout un principe d'éducation et d'ouverture vers notre société. Il y aura soit amende, soit stage, soit amende et stage. En tout état de cause, il sera possible d'avoir une réponse proportionnée à chaque attitude. Il ne s'agit pas d'une volonté de sanctionner ou d'exclure, mais au contraire d'une volonté de montrer la force du projet républicain, la force des valeurs qui nous rassemblent autour de la République.
Sur les avis du Conseil d'État, que j'avais trop peu entendu sur ce sujet auparavant, vous avez accepté en commission un amendement de l'opposition renforçant les peines contre ceux qui contraignent des personnes à s'enfermer, à s'exclure de la société, niant leur dignité humaine.
Condamnation de ceux qui contraignent, ouverture et progressivité pour ceux qui transgresseront cette loi, laquelle sera elle-même mise en place progressivement, interdiction générale dans l'espace public permettant d'améliorer le vivre ensemble : tout cela va dans le bon sens.
Je souhaite souligner très rapidement quelques points. Tout d'abord, la difficulté d'application dans certains quartiers engendrera un besoin de formation des policiers et des gendarmes, afin qu'ils sachent agir avec la fermeté nécessaire à l'application de la loi républicaine, ainsi qu'avec l'intelligence des situations qui permet de rendre la loi opérationnelle, comme s'en inquiétait une de nos collègues.
Il y aura ensuite besoin d'instructions très claires aux procureurs afin de privilégier les voies les plus pédagogiques, et les débats en commission ont montré combien le stage de citoyenneté, l'avertissement et l'ouverture devaient être préférés à l'amende, en tout cas dans un premier temps. Si, en revanche, la personne persiste à refuser notre vivre-ensemble, la sanction peut être la bienvenue.
Il faudra également une circulaire aux agents des services publics de notre pays, qui vont voir arriver des personnes contrevenant à la loi, et qui doivent savoir quelle attitude adopter. Ils ne sont pas policiers, mais ils n'ont pas pour autant à baisser la tête et à ignorer ce qui se passe devant eux.
Le vote de cette loi par une large majorité de cette Assemblée et, au-delà des votes qui s'exprimeront sur les boîtiers, par une large majorité des esprits et des intelligences de cette Assemblée, même si les jeux politiques peuvent conduire à d'autres attitudes, sera un geste fort affirmant les valeurs républicaines. Ce n'est pas un geste de rejet, c'est un geste d'ouverture, qui appelle ses destinataires à nous rejoindre dans le vivre-ensemble. Il y en a eu d'autres dans l'histoire, et les messages lancés depuis cet hémicycle parviennent souvent à faire progresser la vie commune.
Je crois que ce sera le cas de cette loi, dont l'évolution depuis les débats à l'Assemblée nationale, ou au sein de tel ou tel groupe politique, jusqu'au projet déposé sur le bureau de l'Assemblée doit beaucoup à votre patte, madame la garde des sceaux. Malgré les différences qui nous séparent parfois, je vous en remercie. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Le port du voile intégral est un phénomène récent en France. Il concerne une infime minorité de la jeunesse. Et pourtant, il suscite une vive émotion et une large réprobation de la grande majorité de nos concitoyens, qui considèrent que cet accoutrement porte une atteinte inadmissible aux valeurs et principes fondamentaux de la République.
Pour lutter contre la multiplication de cette pratique, faut-il légiférer ou procéder autrement ? Un problème de société ne peut-il être réglé efficacement que par le biais d'une législation ? Toujours est-il que, même après l'adoption unanime d'une résolution condamnant la burqa, le Gouvernement confirme son choix de nous soumettre un projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public.
En évitant de parler de burqa ou de nikab, l'intitulé du présent projet présente l'avantage de ne pas stigmatiser les musulmans et de souligner au contraire que la dissimulation du visage ne peut se fonder sur aucun précepte islamique. Ainsi donc, halte à l'amalgame et aux confusions en tous genres !
De ce fait, même si la question du voile intégral ne correspond pas aux priorités économiques et sociales du moment, il va sans dire que le Gouvernement a eu raison de répondre aux attentes de nos compatriotes en la traitant à temps, sans précipitation ni escamotage du débat public nécessaire.
De même, beaucoup apprécient que le souci d'un certain pragmatisme ait conduit à privilégier la pédagogie et la médiation avant le prononcé d'une sanction somme toute bien proportionnée.
Il n'en demeure pas moins que formuler de façon générale l'interdiction de dissimuler son visage en public pose la question de sa conformité à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l'homme. Les mises en garde réitérées du Conseil d'État devraient appeler à davantage de prudence encore.
Mais, face aux risques qui pèsent sur les principes républicains de la dignité humaine, de l'égalité entre hommes et femmes et, surtout, de la vie en société à visage découvert, l'audace gouvernementale est à la fois compréhensible et légitime.
De toute façon, un bilan de l'exécution de la loi est prévu dans les dix-huit mois de sa mise en oeuvre. Nous aurons donc l'occasion de voter ultérieurement les ajustements qui s'avéreraient nécessaires.
Ce projet, initialement polémique et proposé dans des circonstances propices aux joutes politiques, a évolué sensiblement pour devenir, sinon parfait, du moins largement consensuel, dans un contexte apaisé. Je n'hésite donc pas à me prononcer en sa faveur. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Monsieur le Président, madame la garde des sceaux, chers collègues, je tiens, ayant eu l'honneur d'être secrétaire de la mission d'information parlementaire sur le voile intégral, à rappeler quelques faits précis.
L'interdiction de dissimuler son visage dans l'espace public fait débat depuis près d'un an en France. Cependant, les conclusions de la mission d'information ont été claires : même si le port du voile est très limité, il demeure une manifestation communautariste de rejet des valeurs républicaines de notre pays. Le débat a été particulièrement vigoureux au sein du parti socialiste, dont les représentants ont rencontré de grandes difficultés pour se mettre d'accord. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Pourtant, tous s'accordaient à condamner avec fermeté le port du voile intégral, pratique incompatible avec les valeurs de la République. Malgré cette affirmation, la position du parti socialiste reste floue.
Je tiens à rappeler que la plupart des pays européens ont d'ores et déjà interdit le port du voile intégral.
… la législation est très stricte à ce sujet. En Angleterre et en Allemagne, les réflexions sont en cours pour interdire la dissimulation du visage dans l'espace public. La France n'est donc ni en avance ni en retard par rapport à ses voisins européens. Le débat était utile et la législation doit dorénavant évoluer.
En France, le port du voile intégral par les femmes musulmanes trouve chaque jour de nouvelles adeptes, et il n'est pas facile de distinguer celles qui le portent de plein gré et celles qui le font sous la contrainte. Ce fut d'ailleurs l'un des points sensibles lors des auditions menées au sein de la mission d'information parlementaire : qui faut-il sanctionner en cas de non-respect de la loi ? Il est indispensable de distinguer les personnes qui portent volontairement le voile intégral et celles à qui on l'impose. Dans le premier cas, la personne doit être sanctionnée ; dans le second, c'est l'entourage qui doit l'être pour non-respect de la liberté d'autrui. Il n'est pas admissible, dans un pays de droit, de liberté et d'égalité comme la France, de forcer une femme à revêtir le voile intégral. Une amende de nature contraventionnelle sera infligée à la femme portant le voile intégral, l'objectif étant de prouver à ces femmes ou à ceux qui les contraignent que le voile intégral n'est pas le bienvenu dans notre pays.
À la quasi-unanimité, les représentants du monde musulman qui ont été accueillis et écoutés par la mission d'information ont condamné le port du voile intégral. Contrairement à ce qu'on pense souvent, cette pratique n'est pas arrivée en France avec les premiers musulmans, mais bien après, dans les années 1980 et 1990. Le nombre de salafistes a doublé depuis 2004 ; on en compte aujourd'hui près de dix mille.
La dissimulation totale du visage par le voile intégral va à l'encontre des valeurs républicaines de notre pays. On ne transige pas avec les principes de la République, et il est nécessaire de les défendre fermement contre toutes les formes d'intolérance, de totalitarisme et de sectarisme.
En outre, le voile intégral est un signe d'asservissement de la femme, incompatible avec nos valeurs républicaines d'égalité des sexes et de liberté. Il ne s'agit nullement, comme certains l'ont affirmé, de rejeter une religion, mais de respecter la dignité de la femme. Or, la réclusion efface délibérément la personne aux yeux d'autrui.
Le visage est essentiel, en effet dans le rapport à autrui ; la femme voilée est exclue de la société. Le voile intégral atteint l'idée même de citoyenneté, car il nie l'identité de la personne, celle de la femme dans l'espace civil. La dignité des femmes ne doit être bafouée nulle part ; pour garantir ce principe, il faut que l'interdiction du voile intégrale soit générale, dans tout l'espace public.
Enfin, le port du voile intégral peut se révéler dangereux pour la sécurité d'autrui, notamment à la sortie des écoles. Les enseignants ne peuvent identifier une femme portant le voile intégral. Dans un contexte où les enlèvements d'enfants sont nombreux, n'est-il pas important de pouvoir reconnaître le visage des parents à qui l'on rend un enfant après une journée d'école ?
Le port du voile intégral constitue un défi aux principes fondamentaux de notre société laïque et une menace pour les droits des femmes. Défendre le principe du visage découvert, c'est garantir un idéal de paix et protéger les femmes, cibles de tous les intégrismes. La pratique de la dissimulation du visage n'a pas sa place dans notre République. Il était donc temps de proposer un projet de loi allant dans ce sens. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.)
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, chers collègues, les radicaux de gauche, fondateurs de la République, continuent à voir en elle le moyen de faire vivre nos valeurs humanistes de dignité, d'égalité, de fraternité, et de laïcité. Ce sont ces valeurs qui orientent la vie en société, garantissent la liberté des consciences, la neutralité de l'État, le refus du dogme et du comportement sectaire et qui permettent aussi le droit à la différence.
Pour nous, la République se conçoit à visage découvert. Le port de tenues visant à dissimuler son visage dans l'espace public ne saurait donc être admis. Cette pratique d'un autre temps nous est étrangère, tant elle porte en elle la négation de notre désir de vivre ensemble et de nos principes démocratiques.
Oui, la représentation nationale doit, par la loi, adresser un message fort à ceux qui seraient tentés de saper nos valeurs républicaines. La loi est la meilleure arme pour protéger de ces dérives notre société et les femmes qui subissent cette oppression. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.)
Prison ambulante, signe de soumission de la femme, « isoloir social », pratique étrangère à l'islam, le voile intégral apparaît à nos concitoyens étranger à notre société car porteur de violence, d'inégalité, d'incivilité.
J'y vois pour ma part un acte de prosélytisme, une manière d'affirmer aux autres qu'on ne se reconnaît pas dans la loi commune, une manière ostentatoire d'afficher son rejet de la République.
Cette pratique – même minoritaire – pose des questions fondamentales sur la place des femmes dans nos sociétés car elle sape tout simplement nos acquis et, pire, elle les bafoue.
Les nombreuses auditions réalisées par la mission d'information nous ont montré que le port du voile intégral ne résulte pas d'une prescription religieuse. Il s'agit d'une pratique imposée arbitrairement par certains régimes fondamentalistes ou radicaux qui propagent leur vision du monde intolérante et inégalitaire.
Le constat est donc unanime et fait l'objet d'un consensus : la pratique du voile intégral apparaît comme un rejet des valeurs de la République. Quand bien même le phénomène serait marginal, il croît de manière inquiétante un peu partout en Europe. Il appelle par conséquent une réponse politique ferme.
Nos amis belges nous ont montré le chemin.
Seul le Parlement, élu par la nation pour la représenter, dispose de la légitimité nécessaire pour réglementer l'exercice d'une liberté publique.
N'oublions pas que la loi a aussi pour fonction de protéger. Même si nous avons encore beaucoup de progrès à faire en matière d'égalité, c'est grâce à la loi que les femmes ont accédé à l'instruction ; c'est grâce à la loi qu'elles se sont émancipées de leur mari ; c'est grâce à la loi qu'elles disposent librement de leur corps ; c'est grâce à la loi que l'égalité professionnelle a été mise en oeuvre ; c'est grâce à la loi que la parité en politique a été possible. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.)
Le préambule de notre Constitution consacre l'égalité entre les hommes et les femmes et nous met tous sur un pied d'égalité, quelles que soient notre origine, notre religion, nos opinions. Mêmes droits, mêmes devoirs !
Dans ces conditions, le port du voile intégral me paraît largement incompatible avec l'exercice effectif de droits égaux par les deux sexes.
Et la loi n'est-elle pas, face aux pressions de groupes extrémistes, la meilleure arme pour protéger notre société et ces femmes ? Ne faut-il pas interdire des pratiques qui mettent à mal l'expression même de la liberté et de l'intégrité ? Je crois fermement que si.
Il est temps de réagir et de ne plus céder de terrain. En adoptant une loi générale et uniforme, nous adressons aussi un signe à celles qui se battent au quotidien pour faire reconnaître leurs droits et qui dénoncent et combattent toutes les formes de violences et de discriminations dont elles sont victimes.
En second lieu, sous quel angle juridique aborder cette interdiction ? Est-elle possible au regard de la Constitution et de la Convention européenne des droits de l'homme ? Dès lors, comment sanctionner la violation de cette interdiction ?
Pour ce faire, le projet de loi s'appuie sur nos valeurs républicaines et en rappelle la force : l'ordre public, le respect de la dignité de la personne, l'égalité entre les hommes et les femmes.
Le Gouvernement a pris le parti de s'appuyer sur la notion d'ordre public « immatériel », défini par le Conseil d'État comme « un socle commun minimal d'exigences réciproques et de garanties essentielles de la vie en société, qui sont à ce point fondamentales qu'elles conditionnent l'exercice des autres libertés et qu'elles imposent d'écarter, si nécessaire, les effets de certains actes guidés par la volonté individuelle ». La résolution que nous avons adoptée le mois dernier faisait d'ailleurs abondamment référence à cet ordre public sociétal.
Le Gouvernement aurait pu aussi se fonder sur une norme constitutionnelle exprimant la même idée : la notion de fraternité. Celle-ci constitue le troisième terme de la devise de la République, expressément rappelée à l'article 2 de la Constitution. En ces temps d'individualisme, il est bon de rappeler que la fraternité est le lien nécessaire qui unit et cimente les rapports entre citoyens d'une nation.
Pour exister, elle implique que la République se vive à visage découvert. Or, le port du voile intégral piétine ce principe. Elisabeth Badinter le rappelait lors de son audition : « Porter le voile intégral, c'est refuser absolument tout contact avec autrui, c'est refuser la réciprocité. »
Il apparaît donc clairement que la voie du dialogue et l'application de la législation existante ne permettent pas d'apporter la réponse républicaine aux défis qui nous sont lancés.
Pour toutes ces raisons, les députés radicaux de gauche sont favorables à l'adoption de cette loi et la voteront. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Monsieur le président, madame la ministre d'État, chers collègues, « nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». Autrement dit : pour des raisons de sécurité, d'ordre et de respect, on ne masque son visage ni sur les voies publiques ni dans les lieux ouverts au public ou affectés à un service au public. C'est là un principe élémentaire du vivre-ensemble. Nous ne pouvons d'ailleurs que regretter d'être aujourd'hui contraints à légiférer sur un tel sujet.
Conformément à la déclaration du Président de la République devant le Congrès réuni à Versailles, nous pouvons aujourd'hui, grâce à la sagesse de la garde des sceaux, traduire dans ce projet de loi un principe général d'application très concrète. Ce texte ne stigmatise pas ; il affirme une règle de vie et un impératif d'ordre public.
On nous demandera, peut-être, en quoi marcher à visage masqué dans la rue relève de l'incivisme. Sincèrement, le bon sens répond à cette question. Rappelons tout de même que cacher son visage, c'est dire : « Je ne me reconnais pas des vôtres, pas plus que je ne vous reconnais des miens. » C'est dire aussi : « Je vous perçois comme une menace ». Et cela signifie encore : « Je peux en être une pour vous. »
Masquer son visage, c'est donc s'inscrire a priori dans une relation de violence à l'autre. C'est marquer son refus des principes fondateurs de notre République : la fraternité évidemment, l'égalité aussi et, sans aucun doute, la liberté. C'est se croire dans une société de castes. Or la République, ce n'est pas cela.
Ainsi, dès lors que ce phénomène prend une ampleur telle qu'il met en cause l'ordre social et républicain et, surtout, la dignité de chacun, à commencer par celle des femmes, nous nous devons d'intervenir. Dans notre pays, l'irrespect et la menace ne sont ni une option ni une liberté. C'est bien le sens de la réflexion et de la responsabilité que nous avons prise autour de Jean-François Copé dont il faut saluer la détermination et la clairvoyance. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
J'en profite pour remercier André Gerin qui a su dépasser les minables oppositions qui obèrent trop souvent notre vie politique. Il l'a fait, avec sincérité, au nom de l'intérêt général et de l'intérêt des femmes en particulier. En homme de terrain, il a su dénoncer, à juste titre, ce que tout le monde connaît parfaitement mais qui, par démagogie, est dénoncé par trop peu d'entre nous.
Le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui résulte de notre confrontation à deux phénomènes réunis par une même manifestation. Ici, on vandalise et on agresse en toute impunité jusqu'en plein jour devant les caméras de télévisions. Là, on proclame une appartenance sectaire et son hostilité à la République et à ses valeurs. Dans les deux cas, un même moyen est utilisé : masquer son visage. C'est une forme de honte ou de manque de courage.
La loi, cette loi dont le principe tient en une phrase très simple rappelant l'évidence, répond donc avec nuance et pertinence à ces deux maux et à l'incivisme qu'ils traduisent. Dans son article 4, elle prévoit des sanctions – un an de prison et 30 000 euros d'amende, et deux ans et 60 000 euros si la victime est mineure – contre ceux qui contraindraient d'autres individus, des femmes notamment, à se masquer le visage au mépris de leur dignité. Ces sanctions ne sont pas des plus sévères, elles me semblent adaptées à ces infractions lourdes de sens. J'ai évoqué le rappel au civisme, n'oublions pas qu'il s'agit aussi et surtout de dignité humaine.
Car, au-delà de la violence des voyous, nous voulons nous attaquer à celle ces hommes tyranniques qui considèrent la femme comme un objet, signe extérieur de richesse parmi d'autres. Un objet que l'on emprisonne pour le cacher aux regards des autres, forcément impurs. Laisser se diffuser le voile intégral, c'est laisser prospérer ces tyrans. Je ne peux m'y résoudre.
On entend que la loi serait difficilement applicable. Je m'inscris en faux. D'abord, elle est un outil de rappel d'une règle essentielle du vivre ensemble. Tout Français pourra se l'approprier. Ensuite, chacun constatera que la loi est très concrète : elle est adaptée à la diversité des situations.
Cela me rappelle un débat d'une tout autre nature dans l'Amérique des années trente. À l'époque, une loi similaire avait été votée en Louisiane. La cible en était le Ku Klux Klan. On disait que la loi n'était pas applicable ; l'histoire a prouvé le contraire. Le Klan a commencé à régresser à partir du vote de cette loi, parce qu'elle disait, somme toute, que dissimuler son visage pour exercer une violence physique ou psychologique sur d'autres individus ou groupes d'individus, en même temps que sur la société dans son ensemble, est inacceptable et contraire au principe fondateur de toute société ainsi qu'à l'intérêt général.
Céder, ce serait laisser la victoire à ceux qui haïssent notre démocratie, ses lois, ses valeurs ainsi que notre universalisme et notre goût pour le progrès. Ce serait une défaite pour tous ceux qui continuent de vouloir une société plus libre, plus juste et plus fraternelle, en France et à travers le monde. Car le monde nous regarde, et nous sommes porteurs d'un modèle attendu et espéré. Or rien ne sape davantage ce modèle que l'intégrisme, le sectarisme et la violence.
Je voudrais conclure en soulignant à nouveau que les premiers bénéficiaires de cette loi seront évidemment les femmes : ces femmes françaises, quelles que soient leur condition et leur religion, et au-delà, les femmes opprimées dans le monde entier. Elles ne veulent pas redevenir des citoyennes de seconde zone. C'est impossible : nous, les femmes, venons de trop loin, et nous avons trop lutté pour échapper à ce destin-là. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, madame la ministre d'État, mes chers collègues, comme la plupart des députés du groupe socialiste, j'approuve le texte condamnant la dissimulation du visage dans l'espace public pour les femmes. J'approuve donc l'interdiction du voile islamique.
Cette pratique, venue du fond des âges, est intolérable du point de vue de la dignité de la femme, mais aussi du point de vue du principe de laïcité de la République, car, s'il ne nous appartient pas de trancher la question de savoir si ce précepte est une obligation musulmane ou un principe sectaire, le port de ce signe dans l'espace public est insupportable au regard des règles républicaines.
La laïcité, qui figure dès l'article 1er de la Constitution, est l'expression de la notion française de République. Les grandes lois laïques ont été votées dans un contexte historique marqué par l'héritage de la chrétienté : la religion catholique était alors la religion dominante. La religion musulmane, quant à elle, est relativement nouvelle dans le paysage social de la France ; pour autant, rien ne justifie qu'un traitement spécifique lui soit réservé.
Le principe de laïcité est remis en cause par des sectes fondamentalistes se réclamant de l'islam, mais aussi par les religions chrétiennes et par le Président de la République lui-même. Ce dernier a manifesté à plusieurs reprises sa convergence avec les intégristes catholiques des milieux du Vatican, proches du Pape. Ainsi il y a eu récemment une tentative de réécriture du préambule de la Constitution, et nous avons dû interroger le Gouvernement sur la remise en cause du monopole de la délivrance des diplômes par l'université publique. Des références récurrentes sont également faites aux racines chrétiennes de la France.
Par conséquent, un élargissement du débat à l'ensemble de la question de la laïcité est indispensable.
Ce sujet concerne en effet d'autres problèmes de la vie quotidienne, comme les cantines scolaires. L'expérience des chefs d'établissement et des élèves nous montre que l'on constate dans ces lieux des reculs inacceptables sur le plan de la laïcité. Je pense aussi au problème de la mixité à hôpital où, sous la pression de leur mari, certaines femmes refusent de se faire soigner par des hommes. Beaucoup d'autres problèmes encore appellent les républicains réunis dans cette assemblée à une défense plus intransigeante et plus globale qu'aujourd'hui du principe de séparation des Églises et de l'État. Pour prendre un dernier exemple, tout individu, fût-il préfet, doit pouvoir manifester librement ses choix religieux. En revanche, il n'est pas acceptable que, comme l'habitude en a été prise récemment, ces mêmes préfets participent à titre officiel, et en uniforme, à des cérémonies religieuses. La République doit, à travers leur personne, renvoyer une image de neutralité qu'ils n'incarnent malheureusement plus.
Finalement, madame la ministre d'État, le texte que vous nous proposez est donc trop partiel ; il ne traite qu'un aspect du problème puisé dans l'émotion de l'actualité de la remise en cause de la laïcité.
Tout au contraire, notre assemblée doit aller beaucoup plus loin, s'inscrire dans le long terme et conduire une réflexion entre tous les groupes politiques afin de définir, dans un consensus que nous appelons de nos voeux, un code de la laïcité. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, madame la ministre d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, contrairement à l'orateur qui m'a précédé, je pense qu'il n'est pas nécessaire d'agresser la religion catholique pour justifier un vote contre la burqa. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur Bataille, j'estime même que vous avez commis une faute en vous exprimant comme vous venez de le faire. D'autant que le président de votre groupe a affirmé : « Je ferai en sorte de ne pas faire obstacle au vote d'une loi sur la burqa, sinon les Français ne comprendraient pas notre position. » Ce qui est certain, c'est que les Français comprendront encore moins bien la position de M. Bataille.
Cela dit, après les propos plein de bon sens, une fois n'est pas coutume, du président Ayrault, celui-ci ne devrait pas s'arrêter à mi-chemin. Sauf si, évidemment, il ne s'agit, comme l'a démontré avec beaucoup d'acharnement M. Glavany, que d'une posture purement politicienne visant à éviter de voter un texte consensuel mais proposé par l'UMP, péché irrémissible. Cachez donc ce sein que je ne saurais voir ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
En la matière, l'abstention, comme le choix de ne pas prendre part au vote, est même moins compréhensible qu'une opposition pure et simple. Cela donne l'impression que vous tergiversez ou que vous transigez sur des principes : ce n'est pas tenable, et cela affaiblit la position de tous les républicains que nous sommes, celle de tous ceux qui luttent contre les intégrismes.
Comment peut-on s'abstenir sur une question qui concerne la dignité de la femme, comme l'a rappelé à juste titre Marie-Louise Fort, sur le combat contre l'obscurantisme et sur la défense de règles élémentaires de la République ?
Après avoir voté la résolution par laquelle nous avons unanimement réaffirmé notre attachement aux valeurs que nous avons tous en partage, après avoir condamné la pratique du port du voile intégral comme contraire aux valeurs de la République, vous avez fini par convenir de la nécessité d'une loi, reconnaissant ainsi, comme le Président de la République, que « la France est un pays où il n'y a pas de place pour la burqa, pour l'asservissement de la femme, sous aucun prétexte, sous aucune condition et dans aucune circonstance. »
Une interdiction partielle selon les circonstances et les lieux, outre le fait qu'elle serait impraticable, constituerait une réponse insuffisante et indirecte au problème posé, celui du respect de notre pacte social républicain. Car, même si moins de deux mille femmes portent la burqa dans notre pays, il ne s'agit évidemment pas d'une question de nombre, mais bien d'une question de principe. En conséquence, il vous faut aujourd'hui aller plus loin pour adopter une loi de concorde républicaine. J'espère que c'est encore possible ; la France en a besoin.
Certes, il vous a fallu beaucoup de discussions pour en arriver à vous abstenir, mais déjà plusieurs d'entre vous ont annoncé qu'ils voteraient cette loi. Aujourd'hui, même l'Espagne de M. Zapatero s'engage dans cette voie. Plusieurs de vos amendements, et non des moindres, notamment ceux déposés par M. Glavany, ont été adoptés en commission. Qui plus est le Gouvernement n'a pas déclaré l'urgence sur ce texte, si bien que le Parlement peut en débattre pleinement. Dès lors, il reste à nous accorder sur la portée de cette loi.
D'un point de vue juridique, les fondements de ce texte me paraissent plus solides que d'aucuns le prétendent : il repose en effet sur la notion d'ordre public, en particulier, dans sa dimension immatérielle entendue comme un socle d'exigences fondamentales dont le législateur doit définir les contours.
Déjà, le Conseil Constitutionnel, dans deux de ses décisions, et le Conseil d'État, dans l'arrêt Morsang-sur-Orge, ont reconnu qu'une mesure visant une atteinte à l'ordre public social pouvait être de portée générale et absolue. Gardons-nous d'une interprétation erronée de l'avis du Conseil d'État, évidemment rendu en l'état du droit existant, alors qu'il nous revient, nul ne peut le contester, d'écrire le droit de demain – qui sera d'autant mieux reconnu que nous serons unanimes – et d'établir ainsi les limites des quelques règles sans lesquelles la vie sociale est impossible et impraticable – je crois que nous serons tous d'accord sur ce point.
Parmi ces règles, nous sommes unanimes à compter l'obligation d'être physiquement identifiable dans l'espace public car, comme l'a dit la garde des sceaux, la République se vit à visage découvert.
De plus, et puisqu'il s'agit avant tout de faire respecter les principes républicains, il est essentiel de rappeler ces règles à tous ceux qui les enfreignent. C'est la seconde caractéristique de ce projet de loi qui fait une large place à la pédagogie ainsi que le démontrent son entrée en vigueur différée de six mois, et le fait qu'il prévoit une obligation d'effectuer un stage de citoyenneté. À ce sujet, il est primordial de garantir que les modules de formation seront adaptés aux populations visées. De même, les personnels chargés d'encadrer ces populations devront être spécifiquement formés. Il faut aussi que nous soyons certains que des consignes très précises seront données à tous ceux qui seront chargés de l'application de cette loi.
Il s'agit de défendre l'un de nos principes républicains fondateurs, qui s'est incarné de différentes manières depuis la Révolution française. On l'a ainsi appelé « la société » dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Puis, on lui donna le nom de « fraternité » en 1848, de « moralité publique » au début du xxe siècle et, plus récemment, celui de « vivre-ensemble », dont il nous appartient aujourd'hui de définir les contours, comme l'ont fait, en leur temps, nos prédécesseurs.
Cette définition de l'intérêt général aura d'autant plus de force qu'elle sera adoptée à l'unanimité ou, tout au moins, à la plus large majorité. Chacun d'entre nous en portera la responsabilité devant l'histoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après de longs mois de réflexion, nous arrivons au terme du débat sur le port du voile intégral dans notre pays. Je persiste à penser, avec certains de mes collègues, que le temps que nous avons passé à disserter sur ce vêtement est excessif au regard des graves problèmes économiques et sociaux que connaît notre pays.
Dans le cadre de la mission d'information parlementaire, nous avons tenté de comprendre le phénomène du radicalisme religieux, qui s'installe dans notre pays. Mais convenez que celui-ci n'est pas le fait d'une seule religion.
Nous partageons tous le refus de ce vêtement, en ce qu'il porte atteinte à la liberté de la femme…
…de se vêtir comme elle l'entend et qu'il est un signe de son infériorisation. C'est pourquoi nous avons voté la résolution visant à rappeler les principes de la République, qui nous rassemblent.
Nous ne partageons pas votre raisonnement, monsieur Geoffroy, et je vais vous expliquer pourquoi.
Si la femme doit revêtir le voile intégral, c'est parce qu'est considérée exclusivement comme une proie sexuelle, qui doit se protéger contre des hommes supposés incapables de se maîtriser. (Murmures sur les bancs du groupe UMP.) Ce vêtement traduit ainsi une conception des relations entre hommes et femmes qui me semble méprisante pour celles-ci comme pour ceux-là. Mais le plus préoccupant est qu'il empêche la femme d'exercer une profession, donc de profiter de l'autonomie économique, qui est l'un des acquis les plus importants de la lutte pour les droits des femmes.
Ce qui nous a gênés dans nos travaux, c'est que des propos tout à fait pertinents sur la défense de la laïcité ou de la femme pouvaient cacher nombre de préjugés, et que la tonalité des débats était parfois à la limite de la xénophobie.
Du reste, en raison des interférences avec le débat sur l'identité nationale, les travaux de la mission ont manqué de sérénité, au point que nous n'avons pu les mener correctement à leur terme.
Je suis également gênée par le fait que nous avons totalement adhéré à la conception des intégristes, qui font de ce vêtement un signe purement religieux. En effet, le simple bon sens aurait dû nous conduire à remarquer d'abord que ces tenues sont apparues dans des pays où le soleil est aveuglant et que leur raison d'être était donc liée aux conditions climatiques, ce qui les rend totalement inadaptés à notre pays, où il y a parfois de la brume et où l'on prend le métro. Au Vietnam, qui est une démocratie populaire, les femmes, sur leur vélomoteur, portent, sous leur casque, une grande cagoule qui dissimule leur visage et des gants qui les protègent du soleil. Là-bas, ce n'est pas la religion qui est en cause, mais le soleil.
Hélas ! nos débats se sont situés sur le même terrain que les intégristes, et cela me gêne. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
En revanche, nous n'avons pas tort de nous interroger sur cette pratique si nous considérons que les femmes qui portent ce vêtement nous adressent un message, que nous avons le devoir de décrypter. Mais, en tout état de cause, ce n'est pas en votant une loi que nous réglerons le problème.
Le port de ce vêtement n'est pas, nous le savons, une prescription religieuse. Cependant, nous avons pu constater, d'une part, qu'une grande partie de la population a peur de l'islam et, d'autre part, que nos débats étaient interprétés par les musulmans comme une forme de rejet de leur pratique religieuse. Nous devons donc être particulièrement attentifs lorsque nous débattons de ce problème. À cet égard, il est vrai que la tonalité des débats a évolué dans le bon sens.
Cette religion a besoin de s'ajuster aux règles républicaines. Longtemps, les catholiques, les protestants, les juifs se sont affrontés, jusqu'à ce qu'intervienne la loi sur la laïcité. Le développement de l'islam est plus récent dans nos sociétés ; il faut donc lui laisser le temps de s'ajuster à celles-ci. Surtout, il est pratiqué par des populations qui, à tort ou à raison, ont le sentiment d'être mal perçues ou insuffisamment acceptées dans notre pays.
Du reste, mon sentiment est que ces tenues sont portées par des personnes qui entendent afficher de manière presque agressive un aspect de leur identité dont elles estiment qu'elle est à l'origine de leur rejet. Les Noirs américains n'avaient-ils pas adopté des coiffures « afro » provocantes pour répondre au rejet dont ils étaient victimes en tant que Noirs ? Si l'on ne comprend pas que cette attitude agressive et provocante est l'expression d'un sentiment de rejet, et que c'est à ce sentiment qu'il faut répondre, aucune loi ne réglera le problème.
Selon Mme Dounia Bouzar – que nous avons entendue dans le cadre des auditions menées par la mission d'information et qui a tenu les propos les plus intéressants sur le sujet –, pour les jeunes qui sont en train de s'enraciner dans notre pays, la volonté de se chercher une communauté de substitution est presque une manière de suppléer l'absence de racines territoriales. Si nous ne percevons pas la lutte qui oppose la majeure partie des musulmans de France, qui sont en train de s'enraciner, de devenir des Français ordinaires, à ceux qui voudraient s'opposer à cette stabilisation, à cet enracinement dans la République, nous passons à côté de l'essentiel du problème.
Certes, il nous faut rappeler les règles. Du reste, Dounia Bouzar nous a bien dit que le plus grave serait de ne pas répondre, en minimisant le phénomène ou en feignant de ne pas le voir. Mais quelle loi ? Celle-ci doit être adaptée, c'est-à-dire fixer une règle, sans rompre la relation. À ce propos, je me permets de vous rappeler que les socialistes n'étaient pas les seuls à exprimer des doutes quant au périmètre de la loi. Lors de son audition, Brice Hortefeux, qui n'a pas la réputation d'être un dangereux gauchiste,…
…a déclaré : « La réponse que nous devons apporter doit être tout à la fois efficace, acceptable, applicable, juste et solide sur le plan juridique. »
Il disait cela pour s'opposer à l'interdiction générale, monsieur le rapporteur !
« Rien ne serait pire qu'une loi inappliquée : une loi inappliquée est une loi défiée. » Et le ministre d'État de l'intérieur de poursuivre : « Si j'en crois les juristes, le fondement juridique ne serait pas exempt de fragilités. » Il ajoutait même : « À tout le moins, une consultation officielle des plus hautes instances juridiques de notre pays, le Conseil d'État par exemple, pourrait être opportune. »
Le Conseil d'État a bien été consulté, et nous, socialistes, proposons que le projet de loi soit conforme à son avis. Cette manière de procéder nous semble la plus raisonnable, et nous regrettons que vous n'alliez pas dans ce sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
J'ajoute qu'une fois de plus vous faites peser sur les malheureux policiers de ce pays toute la charge de régler le problème.
On s'aperçoit en effet que, projet de loi après projet de loi, on alourdit le fardeau de ces fonctionnaires. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Au moment où ils ont tant de mal à lutter contre le trafic de drogue, contre les agressions contre les personnes, qui sont en augmentation, il ne me paraît pas raisonnable de leur demander en plus de traquer les femmes voilées. Au lieu de leur permettre de se concentrer sur leurs missions essentielles, vous leur demandez de régler des problèmes qui devraient l'être en grande partie d'une autre manière. Vous vous déchargez ainsi de tous les problèmes de la société sur une seule catégorie professionnelle, à laquelle, de surcroît, vous ne donnez pas les moyens de remplir ses tâches, puisque vous n'avez pas augmenté les effectifs de la police.
Dans notre proposition de loi, nous mettons l'accent sur le dialogue et la médiation (Exclamations sur les bancs du groupe UMP),…
…parce que nous savons que cette tenue, pour provocante qu'elle soit, est un symptôme et que, si l'on éradique le symptôme sans avoir tenté de comprendre et de supprimer les causes, on n'aura pas fait grand-chose.
Certes, pour nous tous, qui luttons depuis des années afin de développer le vivre ensemble et la fraternité, le fait que des jeunes femmes portent cette tenue est un échec. Mais l'essentiel est de les convaincre que ce pays les défend, les aime, les accepte, et ce n'est pas en votant un tel texte que vous les en convaincrez. Au contraire, vous devez faire comprendre à ces jeunes femmes de nos banlieues – dont la tenue exprime, me semble-t-il, une forme de désespérance vis-à-vis de notre société – que les luttes menées par leurs aînées pour l'égalité et l'autonomie économique leur profitent,…
…et qu'en portant ce type de tenue elles s'enferment dans un comportement rétrograde…
…et font ainsi le jeu d'hommes qui, une fois de plus, tente d'accroître leur pouvoir sur elles. Si vous ne parvenez pas à les en convaincre, vous n'aurez rien fait.
…vous devez développer, dans les banlieues, les espaces de médiation, les lieux où l'on se parle, subventionner les associations des quartiers. C'est ainsi que vous ferez renaître le lien social et que vous ferez disparaître les burqas ; à elle seule, l'interdiction ne suffira pas. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Encore une fois, ces femmes attendent que la République les aime, les accepte.
En faisant vivre le lien social dans les quartiers, vous ferez reculer la désespérance, donc l'intégrisme.
Vous allez voter ce projet de loi, mais vous n'aurez rien fait : nous continuerons de voir, dans nos quartiers, ces ombres qui sont un crève-coeur pour nous tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, la discussion générale doit permettre à chaque parlementaire qui le souhaite de s'exprimer. Il serait bon de le rappeler !
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, dans la contribution qu'elle a donnée à la mission parlementaire, la présidente de l'association Regards de femmes a affirmé : « Contre les lobbies fanatiques et les compassionnels manipulés, la représentation nationale doit prendre ses responsabilités. Il est indispensable de légiférer pour faire respecter nos principes fondamentaux de laïcité, d'égalité des sexes, garants de la paix civile. »
Nous y sommes, madame la garde des sceaux. Et nous sommes heureux que cela soit possible grâce à un texte du Gouvernement, que vous représentez en cette circonstance.
L'article 1er du projet de loi est on ne peut plus clair : « Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. »
C'est une évidence, tout d'abord, pour des raisons de sécurité. En effet, comment identifier un suspect et assurer la sécurité des biens et des personnes, quelle peut être l'utilité de la vidéoprotection, si l'on ne peut reconnaître les responsables d'actes délictueux ? Deux hold-up ont été récemment commis par des délinquants qui avaient revêtu le voile intégral. Ils ne portaient pas la tenue habituelle de ce type de délinquants, notamment la cagoule ou le casque ; rappelons, du reste, que le port de la cagoule est désormais prohibé. Ainsi, ces délinquants ne pourront se voir reprocher la préméditation de leur acte, puisque cette tenue n'est pas interdite. Il en est de même pour les attentats terroristes, qui restent une menace prégnante pour notre pays.
C'est également une évidence pour des raisons relatives à la vie en société. Dans nos sociétés libres, chacun a le droit de se vêtir comme il l'entend mais, comme l'a rappelé Élisabeth Badinter, « il n'y a pas de vêtement du visage ».
Dans nos sociétés libres, chacun a le doit de se vêtir comme il l'entend, mais chacun a le droit de voir le visage de l'autre, sous peine de se trouver en position d'infériorité, donc discriminé.
Dans nos sociétés libres, chacun a le doit de se vêtir comme il l'entend, mais nul ne peut se promener nu, même s'il invoque sa liberté – et à ma connaissance, les nudistes ne se sentent pas stigmatisés pour autant.
L'interdiction totale est la seule réponse adaptée car, au-delà du voile intégral, chacun sait qu'il s'agit d'un défi aux valeurs de la République et de la démocratie, mais aussi d'une régression sociale qui vise à ramener la femme à un esclavage domestique subi. Malgré leurs problèmes et leurs divisions, nos amis belges ont déjà montré la voie en adoptant à l'unanimité un texte semblable. À quelques jours de la célébration de la fête nationale, sommes-nous capables d'en faire autant ? Je le souhaite ardemment.
Pour autant, au-delà du vote que j'espère le plus large possible, il reste malgré tout un écueil que nous ne pouvons ignorer : le risque de censure du Conseil constitutionnel. Si cela doit être le cas, madame la garde des sceaux, quelle sera la réponse du Gouvernement ? Envisagera-t-il de modifier la Constitution pour que le pouvoir du peuple reste au peuple – éventuellement en s'adressant à lui directement ? Ou renoncera-t-il, permettant ainsi à ceux qui défient la République de triompher ? Je souhaite que vous puissiez nous apporter une réponse et nous rassurer sur ce point.
Au moment du vote qui va nous engager, que chacune et chacun d'entre nous pense à toutes les femmes du monde opprimées, incarcérées, blessées par ce voile-linceul, pour qui l'espoir renaîtra lorsqu'elles sauront que, comme l'ont fait leurs ancêtres, les députés de la nation ont une nouvelle fois voté contre la tyrannie. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.)
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, c'est d'une loi symbolique et, d'une certaine façon, médiatique, par son sujet et surtout par son écho que nous débattons actuellement. Le symbole dont il est question, on peut le résumer comme la volonté d'étendre, sans y accepter aucune dérogation, une règle générale communément acceptée et quasi unanimement appliquée dans notre pays, selon laquelle on doit voir et reconnaître le visage de l'autre – de tous les autres – dans l'espace public, et ne pas accepter que des femmes, même en nombre infime, par choix extérieur, intériorisé ou contraint, en fassent différemment.
L'histoire montre que le droit n'est pas seulement un ensemble de normes, mais surtout un ensemble de solutions qui ne se séparent jamais des cas qui leur ont donné naissance. L'invention de chacune de ces solutions s'est faite par spéculation, c'est-à-dire au moyen d'une opération intellectuelle qui accepte le doute et la prudence et vise à ce qu'une règle générale modifie vraiment une réalité dans le sens de la justice et de la dignité des personnes. Malheureusement, notre droit est peu à peu devenu un système formel éloigné de la réalité – et votre projet n'échappe pas à ce mouvement, madame la garde des sceaux. Les débats montreront si le Gouvernement tient compte de notre volonté de revenir à la réalité.
Trois sujets suscitent des questions pratiques qui ne trouvent pas, pour le moment, de réponse satisfaisante. La première interrogation a trait au périmètre d'application de la loi. Les notions d'espace public et de lieux ouverts au public sont plus délicates à déterminer qu'il n'y paraît. De façon générale, on peut définir l'espace public comme étant celui où une personne n'est pas protégée contre le regard d'autrui. Mais dans ce cas, tous les lieux privés ouverts au public, quelle qu'en soit la nature, entrent-ils dans cette définition ? L'espace public englobe-t-il l'espace de la communication audiovisuelle ? Pourra-t-on interdire le port du voile aux personnes participant à une émission politique ? Ces questions et d'autres ne manqueront pas de se poser.
La mesure d'interdiction aurait dû être définie de façon stricte, la limitation circonstanciée et, en quelque sorte, proportionnée à des objectifs légitimes d'ordre public et de sécurité. Vous posez, il est vrai, une interdiction générale pour lutter contre des atteintes à un ordre que vous définissez comme « sociétal », mais votre ordre est à géométrie partielle, comme je le montrerai plus loin.
Le deuxième sujet d'interrogation est la nature de la sanction. Dans son étude effectuée à la demande du Gouvernement, le Conseil d'État estime que l'amende n'est pas, à titre principal, la réponse adaptée à la question du port du voile intégral. Il dit que si le montant de l'amende est trop élevé, elle ne sera jamais infligée, et que s'il est trop faible, elle pèsera néanmoins lourdement sur les personnes les plus modestes, sans pour autant dissuader les autres.
Surtout, l'amende ne présente qu'un caractère dissuasif, et non pédagogique. L'étude du Conseil d'État écarte aussi la piste du stage de citoyenneté, qui ne permet pas d'appréhender le phénomène dans toute sa complexité. En revanche, elle suggère la possibilité d'une injonction de médiation sociale, jugée plus adaptée à la diversité des situations, notamment au regard des motifs de la dissimulation du visage. On ne peut traiter de la même façon le port du voile intégral et le port de la cagoule. Pourquoi le projet de loi n'a-t-il pas retenu cette possibilité, qui aurait permis d'assortir la sanction d'un accompagnement de l'individu, en vue de l'amener à réfléchir sur son comportement, que la loi stigmatise désormais ?
ministre d'État, garde des sceaux, ministre d'État de la justice et des libertés. Mais c'est dans le texte, madame Karamanli !
De plus, le stage a la particularité de rassembler ceux qui n'acceptent pas la loi, ou qui l'acceptent mal, alors que la médiation a le souci d'ouvrir les contrevenants à une autre vision, afin de les aider à modifier leur perception des choses. À cette question, le Gouvernement n'a pas répondu, malgré les demandes exprimées par les députés socialistes.
Enfin, la troisième interrogation porte sur l'absence de toute référence à l'éducation. Le projet de loi ne vise à aucun moment, que ce soit dans les motifs, le dispositif ou l'étude d'impact, le rôle clef de l'éducation pour faire abandonner les pratiques de dissimulation du visage adoptées en privé pour des motifs religieux ou de croyance, et qui peuvent être tout aussi attentatoires à la dignité des femmes.
Selon moi, la dissimulation du visage subie et pratiquée dans un endroit privé est aussi attentatoire à la dignité des femmes que celle pratiquée en public. Si la fin de la dissimulation du visage dans les espaces publics est un objectif affiché, c'est la fin de cette pratique en tous lieux, lorsqu'elle signifie une contrainte matérielle ou psychologique, qui devrait être recherchée. Mais le projet de loi ne fait aucune mention du mot « éducation ».
L'histoire de notre pays montre pourtant que la République, à chaque fois qu'elle a cherché à limiter des actes relevant de la religion qui nuisaient aux droits des citoyens, l'a fait en liant cette limitation au développement de l'éducation et, pour reprendre littéralement l'expression de Condorcet, en augmentant la « masse des lumières ». Le progrès moral, au sens où il désigne les moeurs, ne s'entend que par l'éducation.
Plus les hommes et les femmes sont disposés à raisonner « juste » par l'éducation et non par la tradition, la croyance ou le mimétisme, plus leur vie est libre et plus notre démocratie s'assagit.
J'ai eu beau lire votre projet, je n'y ai trouvé aucune mesure pour que les femmes qui intériorisent l'interdit de montrer leur visage puissent réfléchir et soient aidées à renoncer à ce comportement. Lors de la discussion des articles, je ne manquerai pas, avec mes collègues du groupe socialiste, de défendre toute mesure susceptible d'améliorer ce projet de loi qui se veut une grande loi sociétale, afin de contribuer à ce que l'on n'aboutisse pas à une simple loi d'affichage ou d'apparence aux effets limités. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, madame la ministre d'État, mes chers collègues, j'ai l'impression de revivre le débat qui s'est tenu ici même, il y a quelques décennies, au sujet de l'excision. Alors que nous nous battions contre cette pratique barbare, inacceptable, condamnable, d'autres, et pas des moindres, mettaient en avant le sacro-saint droit de vivre dans sa culture pour interdire de l'interdire.
Ainsi, il aurait fallu accepter que des femmes soient martyrisées et mutilées, uniquement parce que cela semblait correspondre à des coutumes culturelles.
Aujourd'hui, qui oserait encore défendre l'excision ? Qui ne reconnaîtrait pas que c'est une pratique barbare inventée par des hommes pour s'assurer la soumission des femmes à travers leurs souffrances ?
Dans un autre registre, il en va de même du voile intégral. Je suis très étonnée que d'éminentes personnalités, que des ONG pourtant en pointe dans les combats pour les droits de l'homme se mettent aujourd'hui, comme d'autres hier, du côté des bourreaux, sous prétexte de laisser la liberté aux victimes de choisir leur sort.
L'autre argument, plus subtil, serait d'arguer du fait religieux : « Ces femmes se couvrent comme le faisait la femme du Prophète ; c'est un acte de foi absolu ; nous n'avons pas à nous mêler de religion, c'est du domaine de la sphère privée. »
Je réponds : non ! Tout d'abord, ce voile intégral n'est absolument pas une prescription religieuse, comme cela a été dit à maintes reprises. Mais de toute façon, aucun espace, même privé, même religieux, ne saurait être une zone de non-droit. Les droits de l'homme, le respect de la dignité et de l'intégrité physique et mentale des personnes doivent être garantis par la loi à chaque fois qu'ils sont menacés, et ils ne se « saucissonnent » pas en lieux plus ou moins publics.
Partout en France, cette exigence est portée par notre Constitution. Et j'espère que nous voterons ce texte, qui permettra de clarifier cette question vis-à-vis de nos principes et de nos valeurs fondamentales.
Je voudrais, en cet instant, avoir une pensée pour toutes ces femmes qui attendent de nous de ne pas céder à l'obscurantisme et à la barbarie, comme l'a si bien rappelé, hier, notre collègue Nicole Ameline.
Je pense à toutes celles qui sont mortes en martyres parce qu'elles refusaient de se plier à ces rites d'un autre âge. Je pense à Neyma et à Jasmina, assassinées en Algérie par le GIA. Je pense à Shuraya et à Djimma, qui se sont immolées par le feu à Herat, en Afghanistan. Je pense à toutes les femmes qui se sont révoltées au péril de leur vie pour ne plus subir ces humiliations et ces persécutions.
Je pense à toi, Leïla, qui m'as dit à Alger, le lendemain du massacre de Bentalha, le 22 septembre 1997 : « Vous les Françaises, ne cédez pas, ne cédez jamais, car vous êtes notre digue contre l'intégrisme. Si vous cédez, nous serons noyées dans l'obscurantisme et la barbarie. » Leïla, c'est à toi que je dédie aujourd'hui mon engagement.
Comment pourrions-nous tolérer que s'affiche, dans les rues de nos villes, le symbole de la négation de toutes les valeurs que nous incarnons aux yeux de celles et ceux qui se battent, au risque de leur vie, pour la liberté, la démocratie et les droits de l'homme ? Notre devoir est d'être intransigeants avec cette pratique nouvelle et abusivement religieuse sur notre sol. Cette pratique est un abus de pouvoir de quelques intégristes sectaires, c'est une insulte à tous les musulmans qui ne demandent qu'à vivre en paix dans notre pays et à vivre en harmonie avec le monde d'aujourd'hui. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
De plus, comme l'a rappelé hier notre rapporteur, l'une des raisons de notre présence militaire en Afghanistan est de libérer le peuple afghan du terrible régime des talibans. Dès lors, peut-on envoyer nos militaires risquer leur vie en Afghanistan pour défendre ces valeurs universelles dont nous nous réclamons tous, et laisser nos rues envahies par ce symbole de leur négation ?
La représentation nationale doit être unanime pour condamner cette pratique sur l'ensemble de notre territoire. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, ce débat sur le voile intégral est un débat difficile, un débat qui n'appelle pas de réponses faciles ni de simplifications. Il interroge en effet les fondements mêmes de notre République, de son identité laïque, de ses valeurs d'égalité et de liberté, parce que cette laïcité, cette égalité et cette liberté ont été construites dans un contexte différent de celui que nous connaissons aujourd'hui. Quand nous parlons de la burqa, nous ne parlons pas seulement d'un voile noir, d'une pratique religieuse ou d'une population, nous nous livrons à un exercice difficile de mise à jour, de mise au jour des principes de notre République.
Je crois qu'il est fondamental de rappeler ce cadre, parce qu'il nous indique aussi comment nous devons, concrètement, mener cette discussion. Il ne s'agit pas de légiférer sur un cas particulier en ayant les yeux rivés sur ce cas particulier, sans le remettre dans le contexte républicain. Il ne s'agit pas de prêter des dimensions fantasmatiques à un vêtement, même s'il peut nous heurter dans nos convictions personnelles. Il s'agit de voir pourquoi ce vêtement heurte les principes de la République, et comment il convient, en conséquence, de réaffirmer et de défendre ces principes.
Pour certains, c'est justement au nom de la laïcité et de la liberté religieuse qu'il conviendrait de tolérer le port de la burqa. Ils arguent d'un « droit à la différence » et assimilent toute volonté de limiter le port de ce voile intégral à une volonté oppressive envers des minorités. Je ne crois pas que ce soit une bonne façon de penser, car si nous commençons par concevoir la République comme une mosaïque de majorités et de minorités, alors nous la concevons comme étant fondamentalement divisée.
Moi, je crois au contraire à la République qui rassemble et qui invite les individualités à se dépasser pour constituer un collectif plus fort : la nation. Cette République, c'est celle que nous défendons, c'est celle qui émancipe. C'est celle qui, tout simplement, permet à chacun de se libérer de sa condition initiale pour devenir citoyen. C'est cela, la citoyenneté : non pas un droit à la différence, mais un droit à la ressemblance.
Différents, nous le sommes toutes et tous par nos origines et notre parcours. Notre différence n'est pas un droit, mais un fait. La ressemblance, en revanche, est un droit et un combat : le droit d'être considéré non comme un individu réduit à son milieu social, son genre, sa couleur de peau, sa confession, mais comme un citoyen, libre et égal en droits avec les autres citoyens. Ce droit à la ressemblance, je vous le fais remarquer, est aussi un droit à la reconnaissance. C'est parce que je suis identifié comme un citoyen parmi d'autres que tout le monde me reconnaît les droits et les devoirs d'un citoyen. C'est le fondement de notre égalité et, au-delà, de notre fraternité républicaine.
Ce droit à la ressemblance, qui vaut droit à la reconnaissance, est heurté par tout ce qui érige des barrières entre les Françaises et les Français. Le voile intégral est incontestablement une telle barrière. Une barrière, non pas entre les musulmans et les citoyens d'autres confessions, comme certains essaient de le faire croire, mais entre la femme et l'homme. Une femme qui porte un vêtement qui lui est réservé et qui masque son visage, rendant de fait impossible sa reconnaissance comme personne à part entière, est privée de ce droit à la ressemblance qui fait la citoyenne.
Peu importe, à cet égard, que le port de ce voile intégral soit volontaire ou imposé. C'est un faux débat que l'on ne pourra jamais trancher, tant il y a de supposées volontés qui ne sont en fait que l'intériorisation inconsciente de contraintes extérieures.
Ce qui importe, c'est la mise à l'écart de ces femmes de la communauté républicaine, et la négation de leur égalité avec les hommes. C'est en ce sens que la burqa est condamnable. C'est en ce sens qu'elle constitue une forme de violence envers les femmes, rompant l'égalité républicaine.
C'est en ce sens aussi qu'elle stigmatise l'homme, en le renvoyant à une posture de prédateur avide, à la vue duquel on devrait soustraire le visage et le corps des femmes. Le voile intégral avilit la femme, mais aussi l'homme.
C'est là-dessus qu'il faut légiférer.
Il faut être clair : ce n'est pas le port d'un vêtement que nous condamnons, ni la valeur que peuvent y prêter les uns ou les autres, mais la mise à l'écart qu'il provoque. Cette mise à l'écart, elle s'inscrit dans le cadre plus large des violences et des dénis d'égalité infligés aux femmes. Voilà le bon cadre de réflexion, et c'est pour cela que je mettais en garde, au début de mon intervention, sur les dimensions fantasmatiques que l'on peut prêter à ce voile. On ne fait pas une bonne loi sur des fantasmes et des cas particuliers.
Une telle loi ne restaurerait pas la sérénité dans la République : elle entretiendrait au contraire les arrière-pensées, les a priori, le ressentiment, et donc la division. Elle serait immanquablement interprétée comme la stigmatisation d'une petite partie de la population. « Pourquoi, alors que l'on dit vouloir protéger les femmes, s'attaque-t-on qu'à cette seule discrimination à leur encontre ? Pourquoi ne dit-on rien du nombre insupportable de violences conjugales, de viols, d'injustices moins visibles dans le monde du travail ? », pourrait-on nous demander.
Cela montre que la République a besoin d'une grande loi fondatrice, qui réaffirme et dépoussière ses principes cardinaux de laïcité et de mixité, en prenant en considération tous les cas particuliers et en les dépassant. Elle a besoin d'une loi qui défende la dignité non seulement de la femme, mais, plus largement, de tout citoyen.
Le problème de ce texte, c'est qu'il reste parcellaire et partial. Il donne l'impression de répondre dans l'urgence à un problème qui nous est posé. Mais il ne crée pas le sursaut pédagogique nécessaire de la République pour refonder l'ensemble de son identité.
Nous sommes donc confrontés à une situation difficile : étant contre le port du voile, nous ne pouvons nous opposer à votre texte. D'autant que certains ne manqueraient pas d'expliquer alors que nous avons fait preuve d'une sorte de naïveté ou de complicité avec les intégristes. Mais nous nous demandons si ce texte va véritablement répondre aux questions qui nous sont posées.
Je ne le crois pas. Je crois précisément que la loi que vous nous proposez restera partielle et parcellaire. Comme l'a très bien dit mon ami Christian Bataille, il manque une vraie grande loi positive, qui redéfinisse les principes de la laïcité.
Une loi qui redéfinisse les droits des citoyennes et des citoyens et qui implique, à partir de là, les interdits que nous posons. Malheureusement, tel n'est pas le cas. Il faudra donc engager un autre travail législatif.
Si, sur le plan des principes, nous ne pouvons pas nous opposer à votre texte, nous avons cependant le sentiment qu'il n'atteindra pas les objectifs fixés initialement. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, madame la ministre d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici enfin invités à légiférer pour rappeler à tous ce qu'est la France, notre pays, ce qu'elle peut et ce qu'elle ne peut pas, sous peine de se renier, accepter.
La France est une République parlementaire, démocratique et laïque. Unitaire et décentralisée à la fois, elle est fière de sa diversité et de son unité, vertus complémentaires cimentées par le creuset de nos valeurs de base dans lesquelles notre peuple puise sa richesse : la liberté qui est le bien le plus précieux, l'égalité qui exclut les rapports de domination et de servitude entre les hommes, la fraternité qui rassemble et unit les êtres humains par-delà leurs différences inévitables.
Cette France-là, nous voulons la garder et la faire rayonner dans le monde entier, à l'image des droits de l'homme qu'elle a proclamés il y a deux siècles et qui font aujourd'hui partie du patrimoine le plus authentique de l'humanité.
C'est pourquoi nous ne voulons pas d'une auberge espagnole organisée en fonction et au profit des multiples communautarismes prospérant à l'abri de la laïcité détournée de son objet.
Lorsque, voilà plusieurs mois, notre collègue André Gerin, instruit par son expérience concrète de maire de Vénissieux, importante commune de la banlieue d'une grande métropole de province, nous fit part de son désir d'empêcher la mise en cause voyante et sectaire de l'idéal républicain, je fus parmi les premiers à approuver cette démarche, sans considération d'étiquette politique, sans arrière-pensée partisane. Car ce sont bien les fondements de notre République qui sont en cause dans cette affaire de voile intégral communément appelé burqa ou niqab.
L'exposé des motifs de votre projet de loi, madame la ministre d'État, le précise fort justement lorsque vous écrivez : ce sont les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité qui sont aujourd'hui remises en question par le développement de la dissimulation du visage dans l'espace public, en particulier par la pratique du voile intégral.
Car il ne faut pas s'y tromper. Cette dissimulation ne relève nullement d'un libre choix de personnes qui voudraient se singulariser sans que ce comportement porte à conséquence. Non, il s'agit d'un véritable défi exprimé à l'égard de nos valeurs républicaines, à savoir un refus de celles-ci au nom d'une idéologie à habillage religieux mais en fait d'inspiration totalitaire. Une idéologie contestatrice de nos trois valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité.
Liberté bafouée parce que la femme qui porte le voile intégral le fait, non pas de son plein gré, quelles que soient les affirmations de circonstance, mais sous la contrainte morale sinon parfois physique.
Égalité refusée car le port de ce voile traduit en fait la soumission de la femme à l'homme qui le lui impose et le refus de reconnaître à la femme les mêmes droits qu'à l'homme. C'est la négation de la célèbre affirmation reprise depuis deux cents ans par nos cinq Républiques : « Les hommes » – au sens du genre humain, c'est-à-dire y compris les femmes – « naissent libres et égaux en droits. »
Enfin, fraternité exclue. Sous le port du voile intégral, l'être humain, ainsi enfermé dans une prison de tissu, est écarté de tout lien social avec ses semblables. Il devient un personnage asocial auquel est interdite toute relation d'échange qu'implique la vie en société.
Voilà pourquoi on ne saurait transiger sur les principes. On a vu d'ailleurs comment, dans le passé, un ministre d'État de l'éducation nationale, qui renonça à l'exercice de ses responsabilités politiques pour se réfugier derrière le conformisme juridique commode d'un avis d'experts, ouvrit, par sa coupable négligence, la porte à de multiples abus.
Aujourd'hui, il est temps de sortir de l'équivoque et d'adresser à l'ensemble du pays qui l'attend, un message fort.
Votre projet de loi, madame la ministre d'État, répond à cette exigence. Il rappelle que l'attachement au respect des valeurs républicaines interdit que quiconque soit enfermé sur lui-même et coupé des autres, comme vous l'expliquez, tout en vivant au milieu d'eux.
Il rappelle également que la dissimulation du visage peut présenter de graves dangers pour la sécurité publique. Que, de ce fait, elle n'a pas sa place sur le territoire de la République.
Je souscris donc pleinement à votre texte, qui me paraît frappé au coin du bon sens.
Enfin, j'apprécie beaucoup votre volonté de faire respecter la règle républicaine ainsi réaffirmée sur l'ensemble du territoire de la République. Tel est l'objet de votre article 6 qui rappelle que la République est une et indivisible et que la loi doit être la même pour tous, sans considération de pratiques locales injustifiées.
Je souhaite donc, madame la ministre d'État, plein succès à votre projet et je suis certain que mes collègues, comme moi-même, auront à coeur de l'approuver massivement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, la manière dont le débat qui nous occupe cet après-midi a été engagé, au lendemain des élections régionales, a suscité de notre part de fortes réserves et critiques. Mais vous aurez constaté, comme moi, que nos divergences sont allées s'amenuisant dès lors que le débat a été recentré autour de l'affirmation de notre attachement commun au respect des valeurs de la République : liberté, laïcité, respect du droit des femmes et des personnes. Je m'en réjouis.
Cette inflexion a permis l'adoption, à l'unanimité des suffrages exprimés, d'une résolution par laquelle nous avons reconnu l'existence d'une atteinte aux valeurs de la République et, ainsi, la nécessité d'interdire la dissimulation du visage, le port du voile intégral. C'était une nécessité car la République doit être intransigeante sur ses valeurs et ses principes face aux intégrismes.
Comme le groupe SRC l'a rappelé dans l'exposé des motifs de la proposition de loi que nous avons déposée, le port du voile intégral heurte tous les principes républicains : la liberté, et en particulier la liberté des femmes de ne pas porter le voile intégral, l'égalité, puisque ce sont les femmes et les femmes seules qui sont victimes de cette violence, la fraternité, enfin, puisque le vivre-ensemble dans la République et, tout simplement, le respect de l'autre supposent l'échange à visage découvert. Au nom de tous ces principes et de ces valeurs, nous voulons combattre cette pratique et l'empêcher de se développer dans la société française.
Je l'ai dit, nos divergences sont allées s'amenuisant. Vous les dites infimes : elles demeurent encore cependant et concernent le choix des moyens. Il existe un consensus sur le fait qu'il ne faut faire preuve d'aucune indulgence à l'égard de pratiques, non pas religieuses, mais bel et bien intégristes et extrémistes.
En revanche, nous sommes très réticents, opposés même, à une interdiction générale, et ce, pour deux raisons. En premier lieu parce qu'elle serait très probablement impossible à mettre en application et risque donc d'apparaître comme un nouveau symbole de l'impuissance de la République à faire respecter ses règles. Or nous savons tous à quel point cela aurait un effet contraire à celui qui est recherché. Plus encore, nous considérons que vous prenez un risque trop grand d'inconstitutionnalité d'une part, et d'inconventionnalité d'autre part.
Une condamnation par le Conseil constitutionnel ou par la Cour européenne des droits de l'homme serait un cadeau inestimable fait aux intégristes.
Quel serait, selon vous, l'effet de cette loi, faite pour préserver les intérêts de la République, si elle se révélait contraire à la Constitution ? Ce risque-là, nous ne voulons pas le prendre. C'est pourquoi nous préférons nous fonder sur les recommandations du Conseil d'État et limiter l'interdiction aux services publics et à certains commerces sensibles.
Monsieur le rapporteur, à plusieurs reprises, vous nous avez dit être convaincu de la possibilité de trouver un consensus sur le fondement de la résolution que nous avons adoptée le 11 mai dernier à l'unanimité des suffrages exprimés. Je suis, moi aussi, persuadé que c'est possible et je le souhaite autant que vous. L'unité républicaine est effectivement la meilleure arme contre la burqa. Le consensus doit se faire, mais autour d'un texte applicable et juridiquement incontestable…
…qui sera de nature à faire véritablement évoluer le débat sur cette question.
Des signes de bonne volonté ont été envoyés de part et d'autre, convenons-en. Reste un pas que nous vous demandons de franchir, mais dans le seul but de vous garantir – de nous garantir – contre l'inconstitutionnalité, qui réduirait à néant le travail réalisé et les efforts consentis jusqu'ici.
La proposition de loi déposée par le groupe SRC en mai dernier est, je le pense, tout aussi ferme dans ses principes que le projet de loi que nous examinons aujourd'hui, mais elle tient compte de l'avis du Conseil d'État. Nous vous proposerons, à la suite de la discussion générale, plusieurs amendements qui permettraient, s'ils étaient adoptés, d'obtenir un vote à une très large majorité sur un texte sécurisé juridiquement. Monsieur le rapporteur, vous avez exprimé en commission des lois le souhait d'un consensus. Cela passe, selon moi, par l'adoption de nos amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, madame la ministre d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, que n'a-t-on entendu sur ce sujet !
« Il est trop tôt ! » ; « Nous n'avons pas assez discuté ! » ; « Il faut prendre son temps ! » J'avais pourtant l'impression que nous discutions de ce problème depuis des mois, peut-être même plus d'une année. Tout le monde a pu s'exprimer et c'est d'ailleurs la deuxième fois que nous discutons ici de ce sujet. Néanmoins, « Il est trop tôt ! » Faudrait-il repousser encore ce débat ?
Nous l'avons eu en commission des lois, il y a même eu une mission d'information.
Certains ont dit qu'il ne faut pas stigmatiser ceux qui adoptent le port d'un tel vêtement, dont ils prétendent qu'il représente l'islam en général. Non ! Tout le monde le dit, à commencer par nous ici même : ce n'est pas l'islam, loin de là !
Les femmes qui se revêtent du niqab ou de la burqa se situent en dehors des préceptes de la religion dont elles se revendiquent. Elles sont des victimes : victimes d'une conception archaïque et sectaire de leur religion ou, ce qui est peut-être encore plus grave, victimes d'un entourage peu conscient du principe fondamental et constitutionnel d'égalité, dont l'égalité des sexes est une des déclinaisons.
Dans un certain nombre de cas, nous dit-on, la femme a choisi cette prison. Il faudrait donc respecter son désir, respecter sa religion, respecter sa liberté. Mais alors, toutes les sectes doivent être acceptées, même les plus terribles !
Il existe pourtant une mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les sectes pour essayer d'en libérer ceux et celles qui sont tombés dans leurs filets. C'est bien qu'il y a des aliénations acceptées qui ne sont pas acceptables.
J'ai entendu parler tout à l'heure de l'Afghanistan. Certes, nous ne sommes pas en Afghanistan, mais je dirai tout de même un mot sur ce pays. J'étais là-bas pour opérer au moment du déclenchement de l'attaque contre les talibans. La peur s'évanouissant, les femmes arrachaient leur voile, abandonnaient leur burqa. Puis, à mesure que les talibans reprenaient de l'influence, s'infiltrant jusqu'au coeur de Kaboul, j'ai assisté, au fil de mes voyages, au phénomène exactement inverse, avec le retour de la peur et de l'angoisse – angoisse des représailles, angoisse de la mort. La burqa redevenait la règle, la liberté se retirant comme la mer.
La mort ou porter le voile : où était le choix ?
Vous nous dites : « Il n'y a que 2 000 femmes ! ». Qu'en savez-vous ? Qui porte, en France, la burqa ou le niqab ? Face à ce phénomène nouveau mais radical, il était important, madame la ministre d'État, d'offrir une réponse symbolique et ferme. L'impératif de fermeté s'imposant, nous avons voté une résolution à l'unanimité – car l'unanimité était bel et bien acquise, n'est-ce pas ?
Or ce texte ne fait que traduire dans la loi cette unanimité portée par la résolution.
Bien sûr, vous essayez de vous opposer : c'est actuellement le grand moment de l'opposition. Mais en fait, vous n'y croyez pas vous-mêmes.
Cette loi est un symbole. Elle s'impose comme une réponse nationale à la hauteur des principes que cette pratique bafoue : le principe d'égalité, mais aussi de liberté, dans le cas où le port de la burqa est contraint, et de fraternité entre les citoyens, entre les parties à un même contrat social.
Je ne reviendrai pas, le sujet ayant déjà évoqué, sur la notion d'ordre public immatériel.
La burqa n'est pas seulement, on l'a dit, une injure faite à la femme ; elle agresse tous ceux qui côtoient dans la rue une femme ainsi accoutrée. Pour tous, le message est clair. À l'adresse des hommes, cela veut dire : « Vous êtes tous des impurs, pour ne pas dire des obsédés sexuels ». Pour les femmes, cela signifie : « Vous qui ne portez pas la burqa, vous êtes des créatures dévoyées et des prostituées en puissance. » Comment peut-on accepter ce langage ?
Je travaille, dans mon service et ailleurs, avec des collègues musulmans qui, Français issus du Maroc, de l'Algérie et de bien d'autres pays encore, me font passer un message simple : « Résistez ! »
« Nous sommes venus chez vous, disent-ils, pour essayer de nous libérer de cette intolérable institution qu'est la burqa et de la crainte que nous avons de l'intégrisme. »
« Si vous cédez, comment allons-nous pouvoir nous comporter ? Nous ne pourrons pas conserver notre dignité devant les intégristes. Vous êtes les seuls remparts, vous l'Assemblée nationale ! »
Alors, oubliez le Conseil d'État ! Osez jouer votre rôle ! Nous devons maintenant légiférer.
Nous devons défendre ceux qui le demandent, ceux qui ont l'expérience de ce phénomène, ceux qui, en venant chez nous, ont choisi la liberté et la dignité. Oui, nous sommes un État laïc, et c'est pour cela qu'ils sont venus !
N'hésitez pas, en invoquant des raisons que je ne comprends pas, à voter ! Votez pour la dignité ! Votez pour les femmes qui le demandent ! Votez pour mes amis du monde entier qui travaillent avec moi et qui nous envient ! Votez avec nous ! Madame la ministre d'État, merci de nous présenter cette loi. Nous, nous la voterons. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Il va être gêné, car c'est un homme de coeur ! (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, madame la ministre d'État, mes chers collègues, la République, provoquée dans ses valeurs les plus fondamentales, doit pouvoir les défendre avec fermeté, mais aussi avec pédagogie.
Il en est ainsi lorsqu'elle est confrontée aux nombreux questionnements suscités par la pratique récente et marginale du port du voile intégral. Ce débat, ouvert par la représentation nationale dans le cadre d'une démarche de réflexion au sein d'une commission dédiée, il ne faudrait pas le conclure en le confisquant au nom d'une stratégie éloignée de l'intérêt général et en deçà des exigences de responsabilité qui s'imposent au Gouvernement et à notre assemblée. La question devait en effet être abordée sans instrumentalisation, pour ne pas ouvrir la voie à la division inutile de nos concitoyens, alors que tant d'autres sujets de préoccupation et tant d'enjeux méritent leur mobilisation et leur cohésion.
Les questionnements que sous-tend le port du voile intégral transcendent le débat parcellaire d'aujourd'hui. Ils viennent heurter l'armure de notre République, confrontée aux nombreux défis du XXIe siècle.
La dissimulation intégrale du visage permet-elle la relation d'altérité, la recherche du lien social ? Nous avons tous répondu non, comme nous avons tous répondu non à toutes les discriminations, à toutes les ségrégations, à toutes les violences dont les femmes sont les victimes.
Équilibre social juste, besoin de rapports sociaux, société moderne qui place l'homme et la femme à égalité au coeur de notre humanité, visibilité, transparence, échanges, dialogue, fraternité, citoyenneté : tout cela construit le bien-vivre et le bien-être ensemble. Nous l'avons tous dit et nous le pensons tous.
C'est pour cette raison que nos concitoyens veulent une réponse simple et vraie. La résolution adoptée par la représentation nationale a apporté une réponse de bon sens : la dissimulation intégrale du visage n'est pas compatible avec notre socle républicain et agresse notre corps social.
Il n'y a donc, sur cette réponse, aucun doute.
Si la loi peut servir, en prescrivant des règles, à préserver notre socle républicain et notre pacte social, encore faut-il qu'elle ne comporte pas, dans son élaboration comme dans son application, le risque de voir dénaturer les fondements républicains qu'elle entend elle-même défendre.
Or quelle est votre réponse ? Un projet de loi susceptible de subir une censure constitutionnelle.
L'article 2 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. » Dans sa décision du 25 février 2010, le Conseil constitutionnel rappelle que cet article implique le respect de la vie privée. Il rappelle en outre que le législateur, dans le cadre des compétences qui lui sont attribuées par l'article 34 de la Constitution, doit « assurer la conciliation entre le respect de la vie privée et d'autres exigences constitutionnelles, telles que la recherche d'auteurs d'infractions et la prévention d'atteintes à l'ordre public, nécessaires, l'une et l'autre, à la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle ». Il résulte de cette décision – mais nous le savons tous – que le Conseil constitutionnel contrôle plus strictement la conciliation entre le principe d'ordre public et le respect de la vie privée. Madame la ministre d'État, il vous appartient donc impérativement de fiabiliser le dispositif envisagé en purgeant votre loi de tout aléa juridique.
Pire encore, alors que nous voulons préserver la dignité humaine, le projet de loi encourt la censure de la Cour européenne, gardienne des droits fondamentaux que nous invoquons nous-mêmes. Je pense nécessaire de vous rappeler que, pour assurer la pleine application de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui traite, comme vous le savez, du droit à la liberté de toute personne, l'alinéa 2 de cet article limite les atteintes à cette liberté à ce qui est strictement nécessaire « dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Il est clair qu'au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, qui tient compte du pays concerné, l'interdiction générale et absolue que vous souhaitez engager ouvre un champ réel de censure. Nous ne disons pas qu'il y aura censure, mais qu'il y a un risque réel. Pourquoi ? Parce que votre loi retient la notion d'espace public non limité et sans autre critère que celui de la sécurité des biens et des personnes.
Ce risque de censure – encore une fois nous ne disons pas qu'il y aura censure – est une hypothèse que l'on ne peut pas écarter.
Du même coup, la loi devient un risque pour les valeurs que nous revendiquons et que nous avons proclamées dans la déclaration des droits de l'homme.
Peut-on sérieusement donner une occasion unique à ces manipulateurs de conscience que nous dénonçons, à savoir les intégristes, fondamentalistes ou extrémistes d'un autre âge, de faire remporter à l'obscurantisme, à la régression, à l'archaïsme une victoire sur la République et sur les droits de l'homme ?
Votre réponse, c'est une loi susceptible d'être très difficilement applicable. Là encore, nous ne disons pas qu'il sera impossible de l'appliquer, mais qu'elle sera difficilement applicable. Il sera, en effet, délicat d'assurer ou de faire assurer par les services de police une réelle et totale surveillance de l'espace public. Les procédures de constat d'infraction et de mise en oeuvre de la répression seront difficiles.
Peut-on sérieusement, en ce domaine, prendre le risque que la loi républicaine, parce qu'elle a mal appréhendé le domaine de la sanction, puisse être appliquée de façon partielle ? Cette application partielle sera source de nombreux conflits, et la querelle de l'application de cette loi devant les tribunaux est un risque que nous ne pouvons pas prendre.
Votre réponse, c'est une loi sans vertu pédagogique, sans réels instruments de prévention ou d'accompagnement. Elle enferme dans la seule sanction la diversité des réalités humaines qu'exprime la pratique du voile intégral.
Comme si la République ne devait pas toujours garder les bras ouverts pour prouver qu'elle est une vraie réponse à l'ignorance et à l'archaïsme !
Vous avez fait ce choix ; nous avons, nous, de façon responsable et sans renoncer à aucune des valeurs que nous partageons, fait le choix du pragmatisme en présentant des amendements pour une interdiction circonscrite et pour une sanction qui vise les auteurs des contraintes et non les victimes elles-mêmes.
Nous nous inscrivons donc, comme cela vient d'être rappelé, dans le cadre tracé par le Conseil d'État. Quelle que soit l'appréciation que l'on peut porter sur cette institution, il vaut mieux être proche de son analyse juridique que la nier, car on peut considérer que la volonté du Conseil était bien, en éclairant le Gouvernement, de nous apporter également son intelligence et sa compétence.
La force de notre République n'est pas seulement de reconnaître à chacun sa place, mais aussi de faire que chacun reconnaisse celle de l'autre dans la plénitude de ses droits et de ses devoirs. Pour cela, il faut d'abord que chacun trouve sa place.
Chaque acte individuel ou collectif qui, par sa nature ou par ses conséquences, provoque une mise en cause de cette reconnaissance mutuelle altère la force de la République. Nous n'avons, sur ce point – je veux le redire encore, car les mauvais procès sont décidément fatigants –, aucun doute. La force de la loi républicaine impose cette analyse.
Lorsque le besoin d'admettre et de respecter l'autre sera aussi fort que celui d'être soi-même respecté, toutes les pratiques sectaires ou marginalisantes auront été éradiquées. C'est cette appartenance au pacte républicain, laïc et social qu'il faut ouvrir à tous nos concitoyens et à tous ceux qui foulent le sol de notre pays.
N'était-ce pas là, mes chers collègues, l'ambition première qu'il fallait donner à cette loi ? C'était, d'ailleurs, ce qui avait amené l'association Ville et banlieue à proposer, la première, le vote d'une résolution – je parle sous le contrôle du président de la commission André Gerin.
C'est par ma voix que Ville et banlieue a fait cette proposition, destinée à réaffirmer la volonté et le sens de la République.
C'est ce rendez-vous-là que nous allons manquer, et c'est dommage : comme l'a souligné Julien Dray, après Jean Glavany, il nous faudrait une loi de fond, revisitant les fondamentaux de la loi républicaine.
C'est un rendez-vous manqué. Il faudra donc en reprendre un autre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Je veux d'abord souligner la lenteur de la gestation de ce projet de loi. La question a été soulevée il y a plus d'un an ; une commission d'enquête a été créée ; le Président de la République a évoqué le sujet au Congrès du 22 juin 2009 ; le sabre de bois de la résolution, cette façon irrésolue de ne pas trouver de solution, a été brandi. Entre-temps, le Conseil d'État avait rappelé au législateur, aux représentants du peuple, combien le droit leur échappait.
Nous allons donc voter un texte une fois encore né de l'émotion provoquée il y a plus d'un an par les images d'une pratique rarissime. Nous allons voter à contretemps de l'actualité, même si – je l'ai encore constaté samedi dernier à Tourcoing – cette pratique s'est développée en proportion de la médiatisation qui lui était offerte.
Les voies juridiques de la réponse étaient pourtant évidentes : il fallait une loi puisqu'il s'agissait de libertés publiques, une loi fondée sur l'ordre public, sur la sécurité, et sur rien d'autre. J'avais déposé, dès le mois d'octobre 2009, une proposition visant à interdire l'ensemble des vêtements ou accessoires permettant de masquer l'identité d'une personne. Dans l'exposé des motifs, j'écrivais : « l'interdiction de ce vêtement ne doit pas être évoquée à travers la religion, mais uniquement du point de vue de la sécurité ». Les Belges, dont je m'étais un peu inspiré, ont déjà voté, malgré leurs problèmes.
Pourquoi ce retard ? La loi sur la dissimulation du visage a surtout été l'occasion de dissimuler sa pensée. Il y a, bien sûr, ceux qui avancent masqués pour 2017 et qui ont trouvé là prétexte à dévoiler leurs ambitions. Il y a surtout le vrai débat : le choc des cultures, que l'on n'a pas le droit d'évoquer, comme l'a très bien et très courageusement souligné André Gerin tout à l'heure.
« Costume c'est coutume » disait Alain. L'apparition d'un vêtement imposé ailleurs est ici ressentie comme une atteinte identitaire, comme une provocation – ce qu'elle est d'ailleurs – de la part de groupes qui se livrent ainsi sur nous à des tests de résistance. Seulement, notre identité, c'est de ne plus en avoir. Laïcs, c'est-à-dire tolérants, nous allons proposer à des femmes, souvent converties et qui choisissent le voile intégral, des stages de citoyenneté expliquant qu'il faut se dévoiler, au nom de la tolérance.
C'est le texte qui le dit, ce n'est pas vous, mon cher collègue.
Dans cette contradiction, subsistent les motivations espérées mais juridiquement fragiles : égalité hommes-femmes, dignité, laïcité dans l'espace public. La notion d'ordre public immatériel vient heureusement au secours de ces valeurs, non sans un certain humour involontaire puisque la burqa est comparée à l'exhibitionnisme du nu intégral.
Après plus d'un an, nous nous résignons donc à dire dans le texte que le problème n'est plus celui du niqab, mais celui du masque hors carnaval pour attaquer les banques ou du casque intégral pour tueur à gage. Accepter que des personnes soient méconnaissables alors que se développe la vidéo-protection est contraire au bon sens. Le capitaine Haddock de Coke en stock posait le problème et offrait la solution.
Ce projet de loi n'est-il donc qu'une défaite de la pensée ? Non. Le voile intégral révèle un aspect essentiel de notre civilisation, si bien souligné par Emmanuel Levinas qui écrivait : « L'accès au visage est d'emblée éthique ». C'est par son visage que l'autre n'est plus un objet, un individu semblable aux autres, mais une personne comme moi, parce que différente de moi.
À l'occasion de cette loi, nous pouvons nous souvenir qu'au-delà de l'égalité, il y a précisément cette perception de l'autre chez l'autre, de l'autre irréductible : c'est ce que l'on appelle la fraternité, cette notion républicaine et chrétienne à la fois, sans être inaccessible aux autres religions.
Faites le signe de croix tant que vous y êtes ! Ici, c'est la République ! (Sourires.)
J'étais, dans les premiers temps de ce débat, assez réticent quant à l'adoption d'une loi interdisant le port du voile intégral dans notre pays. Je pensais que le vote d'une résolution parlementaire réaffirmant notre attachement aux valeurs républicaines serait suffisant, et nous permettrait ensuite de privilégier le dialogue afin d'avancer sur cette question. C'était la position du Président de la République et du ministre de l'intérieur. Pourtant, après les auditions menées dans le cadre des travaux de notre assemblée et au vu des réactions suscitées par ce débat, je m'interroge sur l'utilité et la portée du projet de loi.
Je reste inquiet. J'aurais préféré que l'on se donne un temps de dialogue avec les responsables de la communauté musulmane de France ; j'aurais souhaité que l'on puisse leur donner du temps pour trouver des solutions à cette question, pour faire passer des messages et les inciter à convaincre eux-mêmes leurs fidèles que cette pratique n'est pas une obligation du Coran.
Nous devons être très vigilants : la communauté musulmane ne doit pas se sentir stigmatisée, mal comprise, montrée du doigt. Nous devons multiplier les gestes et les actions pour la convaincre qu'elle fait partie intégrante de la communauté française, qu'elle a ici toute sa place au même titre que les autres religions dans le respect de la laïcité à la française.
Veillons à ce que cette loi ne donne pas l'occasion aux courants religieux les plus radicaux de durcir leur position et de jouer la provocation. La mise en application ne sera pas facile. Tout contrôle, toute verbalisation seront l'occasion – le prétexte – de contestations, de refus, de rébellions, peut-être d'arrestations et de gardes à vue. Certains n'attendent que la mise en application de la loi pour s'y opposer et, par conséquent, exister. Action, réaction : nous savons où nous mènent les enchaînements de violence et leurs conséquences politiques.
Les bonnes initiatives prises par le Président de la République lorsqu'il était ministre de l'intérieur pour faire émerger un islam de France n'ont malheureusement pas eu les résultats que nous pouvions espérer dans la communauté musulmane, souvent désunie, hélas ! Il faut absolument 1'accompagner dans la formation d'imams français, dans la structuration des courants de l'islam de France. À Versailles, ma ville, le dernier imam en poste venait des Comores et ne parlait pas français.
Nous pouvons aussi nous poser la question de l'attitude sur ce sujet des autres pays de l'Union européenne. À part la Belgique, aucun autre pays n'a légiféré sur le voile intégral. Puisque nous nous référons souvent à l'exemple de l'Allemagne, j'aurais préféré que nous adoptions sa pratique, qui consiste à proposer aux autorités locales un texte permettant à chacune de prendre des arrêtés adaptés aux contextes locaux.
Dans notre pays, la vie en société nécessite que l'on puisse échanger un regard, un sourire, un geste, une parole. Ce sont des signes du respect que nous portons à l'autre, la reconnaissance de son humanité. C'est l'un des fondements de notre culture, sur lequel est construit notre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, à laquelle nous sommes tous si attachés. Est-il acceptable que des femmes soient forcées de porter le voile intégral et que leur soient ainsi refusées leur singularité et leur humanité ? Est-il tolérable que le port du voile s'accompagne bien souvent d'autres atteintes graves aux droits humains ?
Je suis convaincu qu'il faut faire comprendre à tous ceux qui seraient tentés d'inciter leur femme, leur fille, leur soeur, à se couvrir intégralement, même volontairement, que cette pratique ne peut constituer un modèle, un exemple de vertu. Elle constitue au contraire une atteinte, non seulement à la dignité de la femme, mais aussi à celle de l'homme.
Cette loi est, à mon sens, d'abord un signe pour tous ceux qui seraient tentés par le voile intégral et une protection pour toutes ces femmes obligées de le porter. J'espère qu'elle atteindra les objectifs que nous lui assignons, dans le respect des personnes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
« Le débat est désormais ouvert. À chacun de s'en emparer, aux formations politiques de trouver une voie de passage qui permette au pays de faire front face à ce défi. Si un consensus est une vue bien trop idéale, un large accord républicain est à portée de main. » Ces quelques phrases, nous les avons écrites, André Gerin et moi-même ; elles forment la conclusion du rapport de la mission d'information sur la pratique du port du voile intégral.
Cette recherche d'un accord républicain pouvait paraître idéaliste au mois de janvier dernier. Je vois ici mes collègues Julien Dray et Jean Glavany, qui doivent penser la même chose : il y a plusieurs mois, il aurait été très difficile d'imaginer la situation d'aujourd'hui. Pourtant, elle nous satisfait. (Sourires sur les bancs du groupe SRC.) En effet, les groupes de gauche avaient choisi de ne pas prendre part au vote du rapport et, Jean Glavany le sait, c'est l'un de ses collègues de gauche qui en a sauvé la publication. Il m'avait dit : « Petit, si tu as un problème, tu m'appelles. » (Sourires.) Je l'ai appelé, et le rapport a été voté.
Quant aux députés de droite, ils se divisaient entre partisans d'une interdiction générale et défenseurs d'une interdiction limitée aux services publics.
Pourtant, j'ai milité de manière constante au sein de la mission pour que tous les points de vue soient entendus. J'ai oeuvré pour que puisse émerger, sur le fondement d'un constat partagé, un débat républicain tendant à empêcher que ne se répande la pratique du port du voile intégral, puisque tel était, en définitive, notre objectif. Nous étions plusieurs à vouloir que le Parlement soit entièrement mobilisé sur le voile intégral, afin de rassembler tout l'arc républicain. Je ne peux donc qu'être satisfait de constater que notre travail a porté ses fruits.
La dissimulation permanente du visage n'est pas un problème mineur. Telle est la conviction qui nous a animés, André Gerin et moi-même, au moment où la mission d'information conduisait ses travaux.
Ce ne sont pas les chiffres qui ont pu nous être opposés – 350 cas recensés selon les uns, 900 selon les autres, 2 000 pour d'autres encore – qui ont alors fondé mon engagement. Ce qui m'a porté, durant ces six mois d'auditions, c'est une rencontre que j'ai faite à la même époque – Jacques Myard était présent.
Cette fois-là du moins ! (Rires.) Élisabeth Guigou, François Loncle et d'autres collègues y ont également assisté. C'était le 5 novembre 2009, madame la ministre d'État, à la grande mosquée des Omeyyades.
Deux jeunes femmes allongées par terre mendiaient. J'ai alors vu ce que le voile intégral pouvait représenter. L'une de ces jeunes femmes s'appelait Farah, de Marseille. J'ai constaté qu'en portant ce voile, elle faisait sentir à tous ses interlocuteurs à quel point cette situation la rendait malheureuse, isolée, dépendante, prisonnière. Elle s'appelait Farah ; un jour, elle m'a envoyé un SMS, qu'elle a signé « la femme à la burqa ».
Si je me suis engagé, c'est pour éviter qu'il y ait des « femmes à la burqa ». C'est pour mieux comprendre les raisons qui poussent tant de jeunes femmes à porter un voile intégral, et la signification qu'il revêt pour elles, que nous avons souhaité réaliser ce travail de référence.
Avec nos collègues, nous n'avons pas ménagé nos efforts, effectuant plus de 200 auditions et quatre déplacements, parfois dans des pays où toutes les femmes portent le voile intégral. Nous avons entendu tous les acteurs concernés : des universitaires, des juristes, des associations, des élus locaux. À ce propos, et même s'il n'est pas question de droits d'auteur en la matière, j'aimerais rappeler à notre collègue Jean-Yves Le Bouillonnec que c'est par André Gerin et moi-même que l'idée d'une résolution a été suggérée au chef de l'État et au secrétaire général de l'Élysée, et non par l'association Ville et banlieue.
Notre travail a été pionnier et fondateur. Pionnier d'abord, parce qu'aucune étude d'ensemble n'avait jamais été consacrée à cette pratique. Ainsi, le rapport de la mission d'information est aujourd'hui le seul travail d'envergure portant sur la pratique du port du voile intégral. Vous vous souvenez certainement que des dizaines, voire des centaines de journalistes étaient présents lors de la conférence de presse de la mission. Ils venaient des États-Unis, de Chine, du Japon mais aussi des pays du Golfe, ce qui révélait que notre travail constituait une première mondiale.
À ce sujet, je vous invite à relire la première partie du rapport, qui montre ce que signifie le fait de porter le voile intégral et qui dresse un bilan de cette pratique apparue récemment en France. Notre rapport établit ainsi qu'un tiers des personnes portant cette tenue sont des converties et que leur moyenne d'âge est inférieure à trente ans.
Mais ce travail a aussi et surtout été fondateur. Sans lui, en effet, je ne pense pas que le débat qui s'est engagé à propos du projet de loi aurait été possible. Il a incontestablement permis d'établir un constat partagé. Ainsi, nous avons voté le 11 mai dernier, à l'unanimité des députés présents, la résolution parlementaire qui condamne la pratique du port du voile intégral comme contraire aux valeurs républicaines ; c'était là l'une des mesures phares que suggérait notre rapport.
Je souhaite, du reste, demander à Mme la garde des sceaux si, comme nous l'avions proposé, cette résolution pourra être diffusée par voie de circulaire aux agents publics susceptibles d'être en contact avec des personnes intégralement voilées, dans tout le pays.
En outre, je ne manquerai pas d'observer que le délit de harcèlement au sein du couple, créé dans la proposition de loi sur les violences faites aux femmes, sera complété, dans le présent projet de loi, par un délit de dissimulation forcée du visage.
Je suis également heureux que le Gouvernement ait inscrit au coeur de son projet de loi l'information et la pédagogie, indispensables à une application satisfaisante de la loi. Je vous en félicite, madame la ministre.
Je salue enfin la volonté dont témoigne le projet de loi de ne mentionner aucune religion ni aucune pratique en particulier. Ce choix est le bon. J'en suis d'autant plus convaincu que nous avons été, tout au long des travaux de la mission d'information, en contact étroit avec les représentants du Conseil français du culte musulman, dont le rôle, j'en suis persuadé, est central pour faire régresser cette pratique. Je rejoins sur ces points les propos tenus tout à l'heure par notre collègue Le Bouillonnec.
Je serais donc satisfait si le travail engagé par la mission d'information débouchait sur un projet de loi très largement voté, et je pourrais alors reprendre à mon compte la formule que je vous citais en commençant : « Si un consensus est une vue bien trop idéale, un large accord républicain est à portée de main. »
Avec André Gerin et mes trente autres collègues de la mission d'information, nous avons montré le chemin, nous avons suivi la voie fixée par le Premier ministre et par le Président de la République. Si cela peut vous satisfaire, mes chers collègues, cette loi ne sera ni de droite ni de gauche.
Ces droits d'auteur dont je parlais, qui sont la dignité, l'égalité, la solidarité, la laïcité, nous ne les donnerons à personne, nous les laisserons, non pas à l'actualité politique fugace et changeante de l'intégration ou de l'identité, mais à la seule République.
Madame la ministre d'État, il y a bien des années, depuis cette tribune, on s'adressait au représentant du Gouvernement pour lui dire : « Ce n'est pas une loi d'affrontement, c'est une loi d'apaisement. » Vous nous proposez aujourd'hui une loi de concorde républicaine ; nous la soutiendrons. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, madame la ministre d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la question qui nous est posée aujourd'hui est radicale et fondamentale à plus d'un titre.
Si le temps long est cher aux gaullistes, il faut revenir plus en arrière, il y a plusieurs centaines de milliers d'années, pour se souvenir que nous sommes la seule espèce du règne animal dont la sclérotique de l'oeil est blanche, ce qui explique que le regard de l'autre, le regard donné à l'autre, le regard porté sur l'autre contienne tant d'affects, tant d'informations et tant d'amour, et que le fait de le dissimuler à la vue d'autrui soit aussi déstructurant, agressif et violent eu égard à notre patrimoine commun et à notre civilisation.
Il suffit de se souvenir que nos quinze siècles d'histoire de France, enchâssés dans trois mille ans d'histoire européenne, reposent essentiellement, à mes yeux – et certainement aux yeux de nombre d'entre nous –, sur deux piliers.
Le premier est la lente et patiente construction de la séparation entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel. À cette fin, des actes politiques majeurs se sont succédé au cours des siècles, tel le geste de l'empereur prenant lui-même la couronne des mains du pape pour en ceindre son front.
Cette séparation fine, qui n'interdit pas les réflexions métaphysiques, qui n'exclut pas toute possibilité de rapport à la mort et aux divinités, ni toute démarche philosophique, c'est ce que nous appelons aujourd'hui laïcité. Or, à l'évidence, porter ostensiblement un accoutrement ou un appareil qui dissimule le visage est un acte politique majeur, qui remet en cause les principes essentiels que sont la laïcité et le vivre ensemble.
Le second pilier, lui aussi profondément enraciné dans notre héritage – en particulier dans notre héritage gréco-latin, si souvent oublié –, est l'égalité entre les hommes et les femmes, elle-même lentement et patiemment construite. Et bien que nos soeurs humaines aient encore du travail pour obtenir une véritable égalité, ce respect mutuel se traduit par le fait que la République n'a pas de sexe et admet tous ses enfants en son sein, quel que soit leur genre. Elle reconnaît les humains, les citoyens, en fonction de leur mérite, à l'exclusion de tout autre critère.
Ces principes fondamentaux sont manifestement remis en cause par le port de ces appareils qui transforment l'humain, au lieu d'un sujet autonome et pensant, en objet. Et la grande perversion, c'est qu'en cachant visage et corps tout entier, non seulement ils permettent de se dissimuler à la vue des autres, mais aussi de se mettre en position de voyeur, puisque la personne ainsi accoutrée peut seule discerner les affects et les réactions d'autrui. Ainsi, c'est, de manière structurelle, à la destruction du sujet que nous assistons – du sujet libre, autonome, mature et majeur, principe fondateur des grands peuples et des grandes nations.
Voilà pourquoi cette question est fondamentale et radicale. Voilà pourquoi la nation a pour tâche de lui apporter une réponse claire et ferme, sans tergiversation, sans jargonophasie, sans hésitation, telles que celles que nous avons pu entendre au cours du débat.
Le peuple de France a pour mission de continuer à défendre les lumières de l'esprit et de la raison. On vient de le rappeler à juste titre, les peuples de la terre attendent de la France qu'elle conserve sa place dans le monde, qu'elle porte la lumière de la raison dans les ténèbres de l'ignorance et de l'obscurantisme, parce que nous voulons tous rester des sujets libres, pensants et autonomes.
Pour toutes ces raisons, madame la ministre d'État, les députés gaullistes vous apporteront pleinement leur soutien, comme, j'en suis sûr, toutes les familles qui composent notre majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, madame la ministre d'État, monsieur le rapporteur, chers collègues, l'interdiction de la dissimulation du visage dans l'espace public dont nous débattons aujourd'hui est décisive pour le vivre ensemble dans notre pays.
Moi qui suis a priori peu disposée à recourir à la loi dès que se pose un problème de société, je suis forcée de constater que le port de tenues destinées à dissimuler le visage, en particulier le voile intégral, que l'on observe dans notre pays remet en cause les valeurs qui fondent notre pacte républicain. Cette pratique porte atteinte à la dignité de la personne, à l'égalité entre les hommes et les femmes et aux exigences fondamentales de notre vie en société telle que la conçoit notre République.
Depuis près d'un an, cette question du port de la burqa ou du niqab a nourri un vaste débat public, éclairé par les nombreuses auditions réalisées par le groupe de travail sur le port du voile intégral réuni à l'initiative du groupe UMP et animé par Nicole Ameline et François Baroin, auquel j'ai moi-même participé, et par le rapport de la mission parlementaire présidée par André Gerin et dont Éric Raoult était rapporteur.
Ce débat suscite désormais un large consensus dans notre société, comme en atteste le vote unanime dans cet hémicycle, le 11 mai dernier, d'une résolution sur l'attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte, résolution que j'ai cosignée. Je regrette et je comprends mal le changement opéré depuis lors sur certains bancs de cet hémicycle.
Il ne faut pas craindre, mes chers collègues, de viser le voile intégral, mais aussi toute autre forme de dissimulation, par l'interdiction de se dissimuler le visage dans les espaces publics. Il n'est pas question d'une préconisation religieuse, comme nous l'ont confirmé les nombreuses autorités religieuses que nous avons consultées. Il ne s'agit pas non plus d'un problème d'immigration, puisque les femmes portant le voile intégral en France sont majoritairement françaises.
En revanche, cette dissimulation pose trois problèmes principaux : le respect et la dignité des femmes, la sécurité, la dérive communautariste qu'il faut éviter.
Le respect des femmes, tout d'abord, est une composante essentielle des valeurs de notre société. Sur le plan personnel, l'être humain se manifeste et s'identifie par le visage. Nous sommes tous des êtres d'apparition. Le vêtement ménage l'apparition du visage et du corps et constitue un support d'expression de la personnalité, alors que le voile intégral est une négation du visage et du corps, une négation de la personnalité.
Sur le plan social, le voile intégral est un facteur d'isolement puisque la communication passe en grande partie par les expressions du visage et du corps. Ainsi, les femmes portant le voile intégral se trouvent coupées du monde extérieur et leurs liens sociaux sont largement amputés.
Il faut toutefois préciser que cette loi ne s'appliquera pas à tous les cas de dissimulation du visage. Aux situations particulières que vous avez citées hier, madame la ministre d'État, je voudrais ajouter un cas. Dans ma ville, je vois régulièrement un enfant qui vit le visage et le corps entièrement recouverts de linges épais, des lunettes de ski posées sur sa longue cagoule. Ce jeune garçon fait partie des « enfants de la Lune » : il souffre d'une maladie grave de la peau, classée parmi les maladies orphelines, qui l'oblige à courir dès qu'il sort de l'école. Bien entendu, il ne sera pas question de lui faire retirer sa cagoule, sous peine de mettre sa vie en danger.
Cette loi va répondre aussi à la question de la sécurité, ce qui est absolument nécessaire. Rappelez-vous, mes chers collègues, le braquage insolite du 6 février dernier où deux personnes vêtues de burqa et chaussées de baskets se sont attaquées à un bureau de poste d'Athis-Mons, dans ma circonscription de l'Essonne. Ces malfrats n'ont pu être arrêtés, car les témoins croyaient qu'il s'agissait de femmes. « C'était le costume intégral parfait » a commenté un agent de police. À ce jour, le SPRJ de Versailles poursuit son enquête mais aucune indication sur la morphologie – grand, petit, gros, maigre –, le sexe ou encore la couleur de peau n'a pu être établie.
Cela est la démonstration parfaite de la nécessité de voter cette loi, sinon à quoi bon engager de lourds investissements en matière de vidéosurveillance ou de vidéoprotection ? Et dans la vie quotidienne, quel enseignant, à la sortie de l'école, pourra remettre un enfant à une personne qu'il ne peut pas identifier ?
Enfin, le port du voile intégral est le signe d'une certaine montée du communautarisme, qui constitue l'une des plus graves menaces qui pèse sur notre modèle républicain. Avec la crise économique, morale, identitaire et sociale que nous traversons, le risque est réel que les tendances communautaristes engendrent de la violence.
Madame la garde des sceaux, c'est parce que ce texte réaffirme notre attachement à une certaine vision de l'ordre public social et de la vie en société, qui est la vraie richesse de la France républicaine, que je le voterai sans réserve. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
« Il n'a jamais existé dans nos sociétés d'habit du visage ». C'est par cette simple phrase, qui dit tout, qu'Elisabeth Badinter rappelait une évidence, mais aussi un principe, lors de son audition devant la mission sur le voile intégral.
La nature donne à chacun un visage particulier qui le différencie de son voisin. Autant de visages, autant de personnes, autant de dignités. Masquer son visage, c'est disparaître, ne plus exister pour l'autre. C'est la négation de la personne.
Le voile intégral est-il un simple habit ? S'agit-il d'une mode passagère, d'un réflexe identitaire sans lendemain qui s'estompera avec le temps ? Le voile intégral va bien au-delà. Il est l'expression d'un réel projet politique d'une société fondée sur une conception rétrograde, qui rejette tout à la fois l'égalité des sexes, la mixité de la société et la laïcité, au nom d'une vision politique d'un intégrisme religieux. Le voile intégral porte la volonté politique d'imposer une loi religieuse personnelle à la République consacrée par le suffrage universel. Il constitue le premier pas certain d'une action programmée par ses prosélytes, qui mène au communautarisme et au rejet de l'autre. C'est la négation du vouloir vivre ensemble, la consécration de l'intolérance institutionnalisée.
Trop de signes montent vers nous pour que nous ne prenions pas au sérieux ces actions, véritables dérives sectaires qui sous-tendent cette pratique : refus de la part d'une femme d'être examinée par un médecin homme, refus de la mixité dans les piscines, refus d'être interrogée par un professeur homme, refus de prendre son repas à côté d'un voisin qui mange du porc, refus de prendre sa douche dans un vestiaire avec des non-croyants. Admettre par lâcheté ces attitudes pour ne pas faire de vagues et se taire, c'est, à coup sûr, alimenter de nouvelles revendications, c'est donner raison à ces intégristes qui pratiquent l'intimidation et veulent imposer leurs conceptions rétrogrades.
Le projet de loi que vous présentez, madame la garde des sceaux, porte un coup d'arrêt définitif à une pratique indigne. Certains, malheureusement, frappés de pusillanimité, mettent en avant des arguties juridiques pour ne rien faire par crainte d'une censure du Conseil constitutionnel ou de la Cour européenne des droits de l'homme.
L'honneur et le devoir du politique, c'est de prendre ses responsabilités.
Peu importent les interprétations discordantes de nature à paralyser votre action.
Cela me rappelle un texte de Kafka. Un homme libre doit franchir une porte pour entrer dans la ville. Un homme fort lui barre la route armé d'un gourdin. L'homme hésite. « Si tu passes, lui dit l'homme au gourdin, je te combattrai et, derrière moi, il y a une autre muraille et une autre porte avec un homme encore plus fort que moi, armé d'un gourdin, qui te barrera aussi la route ». Alors, l'homme libre attend et finit par mourir mais, juste avant sa mort, le gardien lui dit : « Cette porte était faite pour toi. Tu n'as pas osé la franchir. Tant pis pour toi ».
Pour moi, il ne fait aucun doute que nous devons franchir cette porte au nom de la République. Qui peut imaginer qu'une loi qui réaffirme l'essence même des droits de l'homme et du citoyen puisse craindre les foudres des hommes dont la mission est de préserver et promouvoir ces droits mêmes ? Nombre de juristes sont parmi les premiers à estimer qu'il n'y a aucun danger.
Soyons sérieux : la pusillanimité doublée de procrastination n'est pas une méthode de gouvernement ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Ne nous trompons pas. Cette loi n'est pas une fin en soi. Elle constitue, à mes yeux, une étape dans la nécessité d'enseigner et de transmettre les principes de la République. C'est là une chose que nous avons eu trop tendance à prendre pour une évidence, un acquis non discutable.
N'oublions pas, comme dit Tocqueville, que « chaque génération est un peuple nouveau ». Il nous revient de lui apprendre ce que signifie la laïcité, qui respecte tous les cultes mais organise le vouloir vivre ensemble dans le respect de l'autre, sans exclusive et à visage découvert.
Voilà pourquoi il me semble utile d'instituer une journée de la laïcité, le 9 décembre – c'est le sens de mon amendement –, afin de promouvoir ce principe fondateur de la paix civile. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Jean-François Copé, dernier orateur inscrit dans la discussion générale.
« C'est une prison qui se refermait comme dans un cauchemar. Personne ne savait ce qu'il y avait au fond de moi, mais je crois qu'il n'y avait plus rien au fond de moi ». Ce sont les mots d'une femme, une femme parmi d'autres, qui a porté le niqab, ensevelie de la tête au pied sous un voile intégral, et qui, à force de volonté, au péril de sa vie, s'en est libérée.
Si j'ai souhaité intervenir en dernier dans notre discussion générale, c'est qu'il m'a semblé important, après avoir écouté les paroles des uns et des autres, de dire que cette femme était un spectre que personne ne pouvait reconnaître, qui plus jamais ne levait les yeux, qui plus jamais ne redressait la tête, jusqu'au jour où, selon ses propres termes, elle a « arraché » ce voile et éprouvé alors la « très étrange sensation d'être en train de renaître ».
C'est à ces femmes que nous devons penser. Ce texte de loi est le résultat d'une année de combat de conviction dans lequel plusieurs d'entre nous se sont engagés parce qu'il nous semblait que certains comportements sont tout simplement inacceptables dans la République.
Qu'elles aient choisi leur prison de tissu ou que, sous la contrainte, elles soient niées dans leur identité et leur dignité, ces femmes que d'aucuns disent trop peu nombreuses pour que nous devions nous en préoccuper, ces femmes que des extrémistes ont instrumentalisées, ces femmes, la République ne peut les abandonner, quand bien même il n'y en aurait qu'une, quand bien même elles se mettraient volontairement en marge de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Nous l'avons solennellement affirmé ici même, à l'unanimité le 11 mai dernier, en adoptant la résolution que notre groupe avait rédigée et que j'ai défendue en son nom. C'est la raison pour laquelle le législateur doit interdire la dissimulation du visage. Et parce que chaque mot a un sens, rappelons que cette dissimulation est une menace pour la sécurité, une atteinte à la dignité, une négation de l'humanité et met en cause notre ordre public sociétal.
Le rapport rédigé par Jean-Paul Garraud est, de ce point de vue, parfaitement clair : le texte qui nous est soumis est simple, sans aucune ambiguïté et, naturellement, madame la garde des sceaux, notre groupe le soutiendra sans aucune hésitation parce que c'est notre responsabilité que de l'adopter.
Le texte est simple : la dissimulation du visage doit être interdite dans l'espace public parce qu'elle n'est pas compatible avec notre République et met en cause ses fondements et ses principes. Volontaire, c'est une mise au ban de la société ; forcée, c'est une atteinte à la dignité : ni l'une ni l'autre de ces formes de dissimulation ne peut être tolérée.
C'est aussi notre responsabilité de faire le choix d'une interdiction générale. Il y a eu, je le sais, un grand débat sur la question de savoir s'il fallait limiter l'interdiction à quelques lieux publics.
Cette position était intenable et, pour tout dire, inexplicable. Comment imaginer d'interdire la dissimulation du visage dans certains lieux publics – hôpitaux, bureaux de poste ou autre administration –, et de la laisser, dans un commerce de quartier – je le dis en pensant à certains d'entre nous, élus de communes comportant des quartiers difficiles –, à la seule appréciation du commerçant ?
Ce serait prendre les plus grands risques et, pour être plus précis, ce serait, pour nous, législateurs, se décharger de toute responsabilité en la laissant endosser à celles et ceux qui, au quotidien, sans aucune légitimité et sans aucun pouvoir, auraient dû agir à notre place. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Le texte est aussi dénué d'ambiguïté. Toutes les tenues destinées à dissimuler le visage sont visées puisque toutes ont le même effet : exclure de la société ceux qui font le choix ou sont contraints de les porter. Autrement dit, nulle religion n'est stigmatisée. C'est un point sur lequel je veux insister.
Je sais que cela a été un débat important au sein de la mission que M. Gerin a présidée, dont M. Raoult a été le rapporteur. Sur ce sujet, nous devons être parfaitement clairs à cette tribune : notre préoccupation, au lendemain même de l'adoption du texte, sera de veiller à ce que nos compatriotes musulmans ne se sentent à aucun moment stigmatisés par cette loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
C'est un point d'autant plus essentiel qu'en vérité, cette affaire de burqa, si nous l'assumons clairement, ne les concerne pas. La burqa, de l'avis de tous, n'est pas une prescription religieuse. Il n'est en rien question de religion dans cette affaire. Il s'agit tout simplement d'extrémistes qui testent la République et chacun sait que, face à des extrémistes, la République doit être ferme dans sa réponse. C'est tout l'objet de cette loi d'interdiction générale.
Il nous faut donc éviter tous les amalgames, c'est, à mes yeux, essentiel.
J'ajoute que ce projet de loi – de la même veine, dans son esprit et dans sa lettre, que la proposition de loi que nous avons rédigée –, au fil des semaines, durant lesquelles beaucoup d'entre nous se sont sentis parfois bien seuls, a permis de faire émerger quelque chose qui ressemblait à un consensus. D'abord, une résolution a été votée à l'unanimité dans cet hémicycle, puis s'est fait jour l'idée que certains députés pourraient ne pas voter contre. Le groupe socialiste, par la voix de son président Jean-Marc Ayrault, l'a dit. D'ailleurs, vous vous en souvenez, j'avais souhaité faire un geste lors du vote de la proposition de résolution en renonçant à l'une de ses dispositions, afin que chacun entende bien que, dans ce domaine, nous étions parfaitement ouverts.
C'est une chose que de débattre à la télévision ou dans les réunions publiques pour expliquer que le port du voile intégral est intolérable dans notre République, c'en est une autre que de prendre ses responsabilités en votant pour une loi qui tire les conséquences de cette position.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que certaines des circonvolutions qui ont été proposées hier soir à cette tribune par un responsable de l'opposition nous ont laissé penser que tous les démons n'étaient pas tués et que certains rendez-vous avec l'hypocrisie restaient honorés.
Nous expliquer que le texte tel qu'il nous est présenté comporte des fragilités et se concentrer sur l'interdiction spécifique dans quelques lieux publics ne me paraît pas très convaincant. C'est reprendre l'avis du Conseil d'État, qui est, à tout le moins, sujet à débat. D'ailleurs, chacun sait, même si les avis rendus par le Conseil sont secrets, qu'un certain nombre de ses membres ont exprimé, en section, leur scepticisme sur la position qu'il a finalement retenue et que certains juristes ont formulé publiquement leur désaccord avec cette analyse.
Dans ce domaine, nous avons maintenant un rendez-vous de crédibilité, de sincérité et de responsabilité,...
..et il appartiendra à chacun de se déterminer en conscience et de voter pour ou contre l'interdiction totale du port du voile intégral dans notre pays, sur l'ensemble de l'espace public.
Ne pas prendre part au vote est d'interprétation difficile. Doit-on comprendre qu'on ne veut pas voter avec la droite ? C'est vrai, quelle horreur ! Doit-on comprendre qu'on n'assume pas ses responsabilités ? Quelle horreur ! Tout cela montre bien que des progrès restent à faire en matière de courage politique.
J'en viens au dernier point que je veux évoquer devant vous.
Pour ce qui me concerne, je n'ai pas de doute sur la solidité juridique du texte car, en réalité, il s'agit d'un socle minimal d'exigences réciproques et de garanties essentielles de la vie en société. Un socle à ce point fondamental qu'il conditionne l'exercice des libertés et impose d'interdire, lorsque c'est nécessaire, certains actes guidés par la volonté individuelle. D'ailleurs, la Cour européenne des droits de l'homme l'a précisé dans une décision importante, il y a deux ans. En clair, comme l'a rappelé Jacques Myard, porter le voile intégral, ce n'est pas comme choisir une veste rouge ou un pantalon blanc parce que ce n'est pas une tenue vestimentaire. Il incombe au citoyen de se conformer et de se subordonner aux pratiques du pays dans lequel il vit.
Pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté et parce que certains ont formulé des doutes que notre vote, aussi large fût-il, ne saurait suffire à lever, je souhaite que la loi votée soit soumise au Conseil constitutionnel avant sa promulgation, de sorte que son application ne puisse pas être contestée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Il est de la responsabilité de ceux qui en sont chargés par la Constitution de faire en sorte que la loi, énonçant dans un texte simple et sans ambiguïté une interdiction juridiquement fondée, puisse être appliquée simplement et sans ambiguïté, et que les choses soient claires pour tout le monde. Ainsi, au jour de sa promulgation, sa validité constitutionnelle ne saura être mise en doute.
Ce sera, à mon sens, une bonne manière de clore définitivement les polémiques et de ne pas tendre la perche à des extrémistes qui seraient trop heureux d'en faire une victoire.
Nous avions proposé cette mesure en commission. Vous voyez que les socialistes ont de bonnes idées !
Monsieur Glavany, c'est formidable ! Voilà un argument supplémentaire pour mettre le groupe socialiste face à ses responsabilités et l'inciter à voter cette loi.
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Votez-la, mesdames, messieurs les socialistes !
Nous sommes maintenant parvenus à la dernière étape d'un texte qui a été longuement débattu, qui a fait l'objet de nombreuses consultations et donné lieu à bien des anathèmes. Je tiens à remercier solennellement l'ensemble des députés de mon groupe qui, en dépit des sarcasmes, ont eu le courage, à mes côtés, de mener ce combat de conviction. Il n'est jamais simple de lutter contre des a priori qui, bien souvent, à Paris, nous éloignent des réalités du terrain. Il n'est jamais simple de le faire en dépit des propos agressifs, voire des menaces, que l'on peut avoir à affronter sur de tels sujets. C'est aussi l'honneur de la politique que de le faire.
Au moment où nombreux sont ceux qui s'essuient les pieds sur les hommes politiques, où nous entendons si souvent parler des « affaires », il me semble que le vote qui suivra l'examen de ce texte honorera celles et ceux qui ont choisi de s'engager pour notre pays et pour la cause que nous défendons. (Applaudissements nourris sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, à ce moment de la discussion de ce projet de loi, permettez-moi tout d'abord de remercier les trente et un orateurs qui ont succédé au rapporteur. Ce débat honore l'Assemblée nationale. Chacun a voulu exprimer ce qu'il avait au plus profond de lui-même sur les valeurs qui nous rassemblent, qui sont celles de la République.
Je ne reprendrai pas chacune des interventions, contrairement à ce que je fais habituellement, une partie des réponses se trouvant dans le texte de la loi. J'en ai déjà apporté d'autres lors de la présentation que j'ai faite de ce texte, et la discussion des amendements nous permettra de revenir sur certains points.
Notre rôle, Parlement comme Gouvernement, c'est d'agir pour une République plus unie, de travailler pour l'unité de notre nation et de notre République.
Je suis persuadée que c'est une préoccupation commune sur tous les bancs de votre assemblée.
Le rôle de la règle juridique, de la loi, cette loi que vous faites au nom du peuple français, consiste à agir pour parvenir à une société plus apaisée dans ses relations, une société où chacun a le sentiment qu'il peut vivre avec l'autre, en a l'envie. Or un visage masqué – et je reprends volontairement le caractère général de l'intitulé de la loi – exprime le refus de l'autre,...
..le refus de communiquer avec lui, le refus de l'égalité humaine entre deux individus. Cela suscite une sorte de crainte, de malaise, d'incompréhension, parfois de violence. Cela exprime un refus de la loi commune de la République.
Ce n'est pas un simple problème de laïcité, ce n'est pas simplement une question de protection des femmes contre les violences, de niqab ou de burqa, c'est un enjeu de rassemblement, de concorde contre toutes les tentatives communautaristes qui visent à fragmenter notre société, à refermer certains sur eux-mêmes et à rejeter les autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Tel est le sens de cette loi, que nous partageons tous, je crois.
Certains d'entre vous prétendent qu'on ne s'attaquerait qu'aux symptômes d'une certaine crise de notre société et non aux causes réelles. Le projet de loi a bien pour objet de lutter contre les causes du voile intégral, c'est-à-dire la méconnaissance de la règle de la vie en commun, la méconnaissance de la nécessité d'échanger en toute transparence ses sentiments, ses expressions avec l'autre. C'est pourquoi tout est prévu pour convaincre plutôt que pour sanctionner. À la limite, nous souhaiterions que cette loi n'ait pas à être appliquée parce qu'elle ne serait pas enfreinte.
C'est la raison pour laquelle nous nous sommes attachés à expliquer cette loi pendant une période de six mois, nous avons insisté sur la nécessaire participation de tous à l'explication et à la dissuasion, point que j'ai peu entendu évoquer au cours de la discussion. Les autorités religieuses, notamment islamiques, nous ont indiqué qu'elles étaient prêtes à participer, par le biais des imams, à expliquer que le port du voile n'est pas inscrit dans le Coran. De nombreux maires se sont également dit prêts, avec les associations communales qu'ils soutiennent, à agir en ce sens. Et il est évident que les policiers et les gendarmes ont également un rôle d'explication à jouer. Bien entendu, une formation et des indications leur seront données pour ce faire. Oui, l'explication est un élément essentiel.
Toutefois, je n'ignore pas, mes différentes fonctions m'ayant conduite, depuis de nombreuses années, à me rendre dans certains quartiers, qu'il peut y avoir des sentiments de rejet. Les habitants de ces quartiers me disent souvent : « Ne nous confondez pas avec ceux qui contestent la société, avec les délinquants, avec ceux qui expriment des attitudes sectaires, nous ne sommes pas comme cela. » Oui, le travail à faire est énorme. Pour autant, il faut avoir conscience que si nous attendons que ce travail de mise à niveau soit fait, sans action, nous ne pourrons pas faciliter l'intégration dans la nation tout entière de celles et ceux qui vivent dans ces quartiers.
La dissimulation du visage par le voile intégral fait également référence à une autre réalité, celle de l'intégration souvent plus facile, plus poussée, plus souhaitée par les femmes. Une réflexion est à engager en ce sens. J'étais secrétaire d'État à l'enseignement que se posait déjà la question de ces jeunes femmes issues de certains milieux qui réussissaient particulièrement bien à l'école. À partir d'un certain âge, c'est-à-dire de la fin de la scolarité obligatoire, on les empêche de continuer des études qu'elles pourraient réussir parce qu'il ne faut pas qu'elles soient au-dessus de frères qui ne réussissent pas aussi bien. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) C'est une situation que l'on continue de voir. Je pose la question sans y répondre : en les enfermant derrière ces masques que représentent le niqab et la burqa, ne veut-on pas les empêcher de réussir dans la société, et ainsi de s'affranchir de certaines contraintes ? Nous ne pouvons pas non plus l'ignorer.
La nécessité de faire ce travail de fond dans le même temps ne nous dispense pas de nous attaquer à ce symbole de leur aliénation que représente le voile intégral.
Il ne faut, bien entendu, stigmatiser aucun quartier, aucune population ni aucune religion. Le dialogue avec les responsables musulmans est une réalité : j'ai été pendant deux ans et demi, en tant que ministre de l'intérieur, chargée des cultes et, à ce titre, j'ai entretenu en permanence des relations avec ces responsables. Dans le cadre des concertations menées sous l'égide du Premier ministre, nous les avons reçus, et c'est ensemble que nous avons décidé de travailler pour faire passer le message. Eux-mêmes ont un rôle essentiel dans la formation et dans l'information, et ils jouent ce rôle car l'islam français respecte les lois françaises.
Nous formons de plus en plus d'imams français. C'est moi qui ai fait signer les accords entre le Conseil français du culte musulman, l'Institut catholique et certaines universités pour qu'on forme des imams français. Il convient de suivre le développement de cette initiative qui va dans le sens du respect de la loi française, c'est-à-dire des valeurs de la République.
La dignité des personnes, l'égalité entre les hommes et les femmes, la fraternité constituent des éléments essentiels qui ne peuvent être vécus en pointillé. C'est la raison pour laquelle le texte, après mûre réflexion, a une portée générale. Il concerne tout l'espace public,…
…à savoir les lieux où l'on est amené à rencontrer des individus qui ne sont pas ceux de son entourage immédiat, ceux de sa famille. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Selon la logique que nous défendons, on ne peut pas affirmer que les valeurs de la République sont valables dans une gare pour ne plus l'être à la sortie.
On ne peut pas davantage soutenir qu'on cessera d'appliquer les valeurs de la République dans un grand magasin. Si l'on veut pouvoir appliquer simplement cette règle d'interdiction, elle doit être applicable partout.
J'y ai bien réfléchi : la difficulté n'est pas d'appliquer la loi dans certains endroits mais de savoir si l'endroit est ou non soumis à la loi ; la difficulté est de ne pas suivre une logique globale selon laquelle, en France, on applique partout les principes de dignité de la personne, d'égalité et de fraternité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Cette logique, à mes yeux, fonde totalement la constitutionnalité de l'interdiction.
L'ordre public social ou sociétal, composante immatérielle de la notion d'ordre public, est certes, par nature, évolutif mais il est énoncé par l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il est reconnu par le Conseil d'État. C'est cette notion qui a sous-tendu les décisions par lesquelles le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution l'interdiction de la polygamie ou celle de l'inceste, interdictions valables sur tout le territoire national.
Il revient au seul législateur d'intervenir pour définir le socle minimal d'exigences de la vie en société qui autorise à restreindre l'exercice des libertés publiques. Voilà ce qu'est l'ordre public social. Le principe de la dignité des personnes, au-delà de l'ordre public social, peut également fonder une interdiction générale de la dissimulation du visage dans l'espace public. C'est incontestable.
En ce qui concerne la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, je rappelle que son article 9, qui pourrait être invoqué par les requérants même lorsque la dissimulation de leur visage ne résulterait pas d'une pratique religieuse, consacre la liberté de conscience. Cet article prévoit également que des restrictions peuvent être apportées lorsque, « prévues par la loi, elles constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et des libertés d'autrui ».
Dans le cadre du contrôle qu'elle exerce sur ces restrictions, la Cour européenne des droits de l'homme prend bien en compte les exigences de la vie en société. Il existe même une sorte de réserve nationale qui lui permet de prendre en considération les spécificités relevant, pour chaque société, de son vivre ensemble.
Or, mesdames et messieurs les députés, le consensus national que vous avez consacré par votre résolution du 11 mai 2010 révèle avec force un aspect de la conception française du vivre ensemble. La dissimulation du visage dans l'espace public…
…y est suffisamment attentatoire pour justifier une telle ingérence, dès lors qu'elle empêche que se nouent des relations sociales élémentaires.
Voilà pourquoi je ne crois pas qu'il puisse y avoir un risque de censure ni par les uns ni par les autres. En réalité, nous devons tâcher, dans l'intérêt général, de dépasser nos préoccupations à court terme pour voter un texte qui nous permette d'affirmer les conditions dans lesquelles l'unité nationale peut se développer.
Il est toujours possible de prôner telle ou telle mesure pour ensuite renoncer parce qu'elle serait trop compliquée à appliquer. On peut toujours baisser les bras devant les difficultés, les risques.
Mais vous êtes des hommes et des femmes politiques !
Et faire de la politique implique de prendre des risques.
Faire de la politique implique de se dépasser soi-même. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Faire de la politique implique d'avoir du courage quand il s'agit de vivre ensemble, quand il s'agit de la France ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP. et NC.)
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
Plusieurs orateurs sont inscrits sur l'article 1er. Je rappelle que chaque intervention ne peut excéder deux minutes
La parole est à M. Patrice Calméjane.
« Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. » Se dissimuler au regard d'autrui ne peut que susciter la défiance et la peur des enfants comme des adultes. N'y a-t-il pas visages plus beaux que ceux que les voiles couvrent ? Sans vouloir me lancer dans des discours théologiques, philosophiques, éthiques, voire esthétiques, je crois que ce débat trouve tout son sens dans notre République.
Renversons la question : sommes-nous, nous, occidentaux, Français, concitoyens républicains, si méprisables et impurs qu'on nous refuse tout contact, toute relation, pas même la connivence d'un sourire ? Il est tout de même surprenant, dans une démocratie dite moderne, où l'on cherche à instaurer transparence et égalité des sexes, que cette question du voile intégral se pose. Elle nous signifie une exclusion que je qualifierai de volontaire, voire de subversive, provocante, ou encore d'arrogante. Les libertés démocratiques sont ainsi utilisées pour être retournées contre la démocratie elle-même. C'est tout de même un comble que l'on ne peut tolérer en France, pays des droits de l'homme.
En effet, il s'agit précisément d'une remise en cause des idéaux du triptyque républicain : le port du voile intégral piétine littéralement les principes de liberté, d'égalité et de fraternité. Il est intolérable que nous mettions un mouchoir sur les principes chèrement acquis qui fondent notre vivre ensemble.
En France, nous combattons les idéologies destructrices, tels que le nazisme, le racisme ou encore l'antisémitisme ; nous combattons toutes les idéologies qui portent atteinte à la dignité humaine ; nous luttons contre les sectes. Or le voile intégral est l'étendard des salafistes, considérés comme une secte offensive par la plupart des musulmans. Pourquoi ferions-nous une exception pour cette secte-là ?
Attention, je me refuse, encore une fois, à ce que nous basculions dans un discours religieux.
Le port du voile est contraire au principe de fraternité, principe fondamental de civilité et du rapport à l'autre. Descartes estimait déjà qu'il était indispensable de se plier aux us et coutumes du pays dans lequel on vit. On peut certes les faire évoluer, mais de manière collective et, encore une fois, en France, dans le respect du triptyque républicain.
En ma qualité de maire, je me suis trouvé confronté à ce problème du voile intégral à l'occasion d'un mariage. J'ai pu constater que sans la loi que nous allons voter, une telle cérémonie est difficile à organiser. Il est donc impératif d'encadrer ce genre de comportement et nécessaire de voter cet article et, bien sûr, le texte. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
Le 22 juin 2009, dans son discours devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, le Président de la République déclarait : « Le problème de la burqa n'est pas un problème religieux, c'est un problème de liberté et de dignité de la femme. C'est un signe d'asservissement. Ce n'est pas l'idée que nous nous faisons de la dignité de la femme. Je veux le dire solennellement : la burqa ne sera pas la bienvenue sur le territoire de la République française. »
C'est bien ce que nous formulons aujourd'hui à travers l'article 1er qui énonce clairement l'interdiction générale de dissimuler son visage dans l'espace public.
Qu'il soit bien clair que le port du voile intégral n'a rien à voir avec une quelconque liberté vestimentaire. Le voile intégral, ce n'est pas un vêtement, c'est un masque porté en permanence, volontairement ou sous la contrainte ; c'est une indignité réservée aux seules femmes et qui les prive de toute vie sociale, professionnelle et politique, en un mot, de toute vie normale.
Le voile intégral empêche toute identification dans l'espace public et constitue donc une menace pour notre société. C'est une négation de soi, une négation de l'autre, une négation de notre pacte républicain.
Le port d'un voile intégral, qu'il s'agisse de la burqa pour des raisons identitaires ou du niqab pour des raisons religieuses, n'est pas en accord avec les principes de notre République. Il est évident qu'un visage entièrement voilé révèle une atteinte à la liberté des personnes et des femmes en particulier. Il est vrai que ce phénomène n'est pas important, il n'est dû, en réalité, qu'à l'activisme d'une minorité. C'est pourquoi il ne faut pas que ce débat porte sur la place de l'islam dans notre République, tout simplement parce que le voile intégral n'est pas représentatif de l'islam. La burqa ne constitue en rien une coutume de quelque pays musulman que ce soit ; elle n'est ni plus ni moins qu'un signe politique ostentatoire que tous les républicains et les démocrates se doivent de combattre.
Quels que soient les prétextes avancés en défense de l'interdiction partielle du voile intégral, aucun ne justifie de telles atteintes aux valeurs républicaines.
On nous dit que l'adoption d'une loi d'interdiction partielle du voile intégral serait plus tolérante, plus sûre juridiquement. Mais le respect de la dignité de la femme et les valeurs de la République doivent-ils s'arrêter au guichet d'une administration,…
…à la salle d'attente d'un hôpital, à la cour de récréation d'une école publique, aux travées d'un autobus ?
Ne pas interdire le voile intégral reviendrait à entériner une situation délétère pour notre pays et à maintenir ces femmes enfermées dans des prisons de tissu, attentatoires non seulement pour elles-mêmes mais pour toute notre société.
Dans le but de pérenniser notre pacte social et républicain qui garantit la stabilité de la nation, nous ne pouvons qu'approuver l'article 1er du texte. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
C'est sur la teneur de cet article 1er que nous nous sommes interrogés des mois durant. On peut dire que la place qu'il occupe dans le texte est inversement proportionnelle à celle qu'il a occupée dans le débat public. C'est pour moi le signe de la bonne santé de notre démocratie.
Parmi les points qui ont fait l'objet d'une discussion – chez nos collègues commissaires aux lois, bien entendu, mais aussi dans toute la société –, on relèvera celui de l'applicabilité de la règle. Nous nous sommes tous posé cette question bien légitime, et certains, plus tranchants que d'autres, ont même affirmé que toute loi dans ce domaine se révélerait inopérante.
En ce qui me concerne, j'ignore s'il sera simple de faire respecter cette interdiction. Ce que je sais, en revanche, c'est que lorsque l'on a croisé, dans sa circonscription, l'un de ces fantômes dont seul le regard trahit l'être humain, on envisage forcément les choses différemment ; c'est que lorsque l'on a conscience que, dans des proportions différentes selon les villes et selon les quartiers, la burqa oppose une infranchissable barrière au lien social, on ne peut que souhaiter sa complète interdiction dans tout l'espace public.
Mes chers collègues, il y a un temps pour la réflexion et il y a un temps pour l'action. Nous avons réfléchi à la meilleure manière de concevoir cette règle, afin qu'elle puisse effectivement être appliquée. C'est à présent le moment d'agir, pour la défense des valeurs de la République, liberté, égalité, fraternité, qui sont chacune bafouée par le port du voile intégral. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
Je voudrais tout d'abord adresser mes remerciements à André Gerin. Il faut se souvenir que cette affaire est partie d'une initiative qu'il a lancée l'été dernier. Avec d'autres, j'ai cosigné le texte qui a circulé, pour différentes raisons.
La première est une raison de fond. En tant que maire, je constate qu'il existe des pressions grandissantes, comme vous l'avez souligné, madame la ministre d'État, sur les jeunes femmes, les jeunes filles. C'est extrêmement dangereux pour l'avenir. C'est en tout cas, comme vous l'avez dit, un obstacle à l'intégration futures de ces personnes.
Sur la forme, il m'a semblé intéressant que les signataires de ce texte transcendent les clivages habituels. Cette transcendance renforce encore l'efficacité de l'initiative.
Tous les arguments qui ont été avancés sont convaincants. Je voudrais en ajouter un autre, qui procède de l'ethnologie comparée. Toutes les civilisations, toutes les peuplades qui existent font en sorte que les organes sexuels soient dissimulés à la vue des autres. Toutes les parties du corps même qui sont dissimulées, dans toutes les civilisations, le sont presque toujours pour des raisons sexuelles.
Par conséquent, dire qu'il faut dissimuler tout le corps de la femme, ce n'est pas nier son corps, c'est le réduire à sa seule fonction génitrice. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) C'est extrêmement grave, parce que c'est une réduction de la condition féminine. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
L'article 1er de ce texte est simple, clair et sans ambiguïté : « Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». Notre République perdrait une partie du socle des valeurs sur lesquelles elle repose si d'aventure elle se laissait aller à permettre aux femmes de notre pays de dissimuler leur visage.
Aussi, l'heure ne peut être à l'ambiguïté et au double langage. On ne peut crier au respect des individus et à la dignité de la femme, adhérer à la nécessité, en l'espèce, de légiférer, et tenter, en même temps, d'apporter, avec le ton de la conviction, nombre d'arguments qui traduisent le caractère peut-être mou et ambigu de l'engagement de certains de nos collègues. Cette loi ne serait « pas adaptée ». Elle serait « inefficace », « inapplicable ». Son périmètre serait « mal défini ». Et d'agiter le chiffon rouge des aléas juridiques, des risques de censure, pour tenter de légitimer, demain et tout à l'heure, des amendements de circonstance.
Le procès fait sur le périmètre d'application de ce texte paraît assez singulier. La notion d' « espace public » est précise. L'espace public « est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public ». Cette rédaction se suffit à elle-même. Toute limitation quant à l'application de ce texte est de nature à en affecter l'efficacité. Toute limitation du texte apparaît en parfaite contradiction avec la résolution votée unanimement en amont.
Mes chers collègues, l'heure ne peut être au repli ou aux états d'âme, mais à une responsabilité non retenue, ainsi qu'à la fermeté, attendue, en la circonstance, par l'immense majorité de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Cet article 1er énonce une interdiction de portée générale. Il s'agit, et le groupe UMP et son président l'assument, d'une position forte et courageuse. Toute autre réponse, pour nous, eût été insuffisante. Car ce qui se joue ici, ce sont les fondements de notre pacte social, l'égalité entre hommes et femmes, la dignité même de la femme. Une seule femme serait voilée, dans ce pays, que cette loi serait nécessaire. Si nous cédons sur ce point, c'est la conception de la liberté de la femme que nous commençons à repousser.
La liberté de la femme n'est jamais un acquis. Sur ce combat, il faut toujours remettre l'ouvrage sur le métier, et, face à l'obscurantisme, recommencer encore et toujours notre lutte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Nous sommes ici réunis parce que la burqa est une arme contre la liberté, contre la démocratie, contre la dignité de la femme. La burqa est un signe d'asservissement et de soumission. Pour la combattre, l'article 1er du projet de loi énonce clairement le principe que « nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». La burqa n'est pas la bienvenue sur le territoire de la République française. Je soutiens ce principe fondamental, et non fondamentaliste. En effet, le port du voile intégral est contraire, non seulement aux valeurs de la République, mais aussi à l'idée que je me fais de l'humanisme.
Ainsi, la dissimulation du visage dans l'espace public est contraire à notre idéal de fraternité et constitue une atteinte au principe du respect de la dignité de la personne, et un refus ostensible de l'égalité entre les hommes et les femmes.
La burqa constitue une violation grave des règles fondamentales de notre vie en société. Le visage, c'est l'identité d'une personne. Il exprime une personnalité, un caractère, une véritable identité. Dissimuler son visage au regard de l'autre est une négation de soi, une négation de l'autre qui ne serait pas digne de vous regarder, et une négation des fondements nécessaires à la vie en société.
En France, ce sont 1 900 femmes, selon les chiffres du ministère de l'intérieur, qui vivraient, au coeur de nos villes, en marge de la société, le visage dissimulé sous un voile intégral. On les appelle même les femmes fantômes, comme pour rappeler que le voile supprime leur identité, et presque leur existence.
Elles sont condamnées à se taire, à vivre masquées. Certes, elles disent vivre leur religion, la respecter. Sauf que les représentants de la communauté musulmane sont les premiers à s'inquiéter de cette pratique qu'ils ne reconnaissent pas comme une prescription religieuse, et redoutent même un amalgame avec la religion musulmane, ce qui serait à la fois inacceptable et dangereux.
Nous ne pouvons rester indifférents face au développement de telles pratiques, odieuses et discriminatoires. Au contraire, l'État doit faire valoir son autorité, et la loi, expression de la souveraineté nationale, doit interdire le port du voile intégral, au nom de la République, de la liberté et de la dignité de la femme et de l'être humain.
Mes chers collègues, pour toutes celles et tous ceux qui se battent en France et dans le monde pour faire respecter les droits des femmes et leur dignité, je réaffirme, avec force et détermination, mon attachement aux valeurs et aux fondements de notre République libre, égale et fraternelle pour tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Cet article 1er, disposant que « nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage », constitue-t-il une restriction de liberté, comme certains veulent nous l'opposer ? Est-il contraire au respect de la vie privée ? La pratique qu'il s'agit d'interdire est-elle justifiée au nom d'une loi divine ou d'un intégrisme forcené ?
Chers collègues, ne nous égarons pas. Notre pays lutte depuis longtemps contre toute dérive sectaire ou communautaire. Nous ne pouvons hésiter entre la tradition républicaine, qui a exclu la liberté de ne pas être libre, et l'asservissement, fût-il volontaire.
Aucun homme n'a le droit de se vendre, aucune femme n'a le droit de s'assujettir. Le port de la burqa, revendiqué pour elle ou par elle, défie le fondement de notre République, son unité, comme vous l'avez dit, madame la ministre d'État.
S'il ne nous appartient pas de définir l'intégrisme religieux, nous ne sommes pas là pour le subir et faire la promotion de pratiques qui violent les principes fondamentaux du vivre ensemble. Pour autant, il appartient aux représentants du peuple d'assumer cette responsabilité collective de prévenir une politique obscure et fanatique, qui ébranle notre société démocratique.
Je salue la lucidité de notre collègue Gerin, qui a su réveiller les consciences et ouvrir un débat qui devrait nous rassembler.
La démocratie, c'est la liberté de penser, pas la reconnaissance de l'affirmation de différences. Merci, madame la ministre d'État, de porter ce texte au service de milliers de femmes qui se battent, à travers le monde, pour le simple respect de leur dignité, et affirment simplement leur envie de vivre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Certaines voix s'élèvent pour recommander de ne rien faire. Il faudrait continuer à laisser ces femmes ainsi coupées de la société et, lorsque le voile intégral leur est imposé, les laisser vivre en état de quasi-asservissement.
Ceux-là mêmes avancent que l'avis du Conseil d'État serait de nature à tout remettre en cause. Pas du tout : notons tout d'abord que le Conseil d'État admet le principe de l'interdiction du voile intégral en certains lieux et certains services publics, et notons également qu'il n'a jamais soutenu une transgression au principe d'égalité homme-femme inscrit à l'article 1er, alinéa 2, de notre Constitution.
Les mêmes soutiennent également qu'il y aurait une atteinte à la liberté individuelle des femmes de se voiler. Au nom de la liberté, on ne pourrait pas interdire de manifester ainsi sa religion en public. Le faire serait même contraire à la Convention européenne des droits de l'homme.
Soyons sérieux. L'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme permet, au contraire .de limiter cette liberté lorsque les « droits et les libertés d'autrui » sont menacés, notamment par des actes de prosélytisme.
En réalité, mes chers collègues, cacher son visage, mettre un masque, c'est se replier sur soi et refuser le vivre ensemble. Le président du Conseil français du culte musulman ne dit pas autre chose : porter la burqa, c'est s'exclure de la société. En définitive, affirmer que « nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage », c'est réaffirmer nos valeurs de liberté, d'égalité, mais aussi de fraternité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la ministre d'État, mes chers collègues, le port de la burqa, du voile intégral, est un comportement qu'aucun d'entre nous ne peut accepter, parce qu'il est contraire à l'idée que nous nous faisons du dialogue et de la place de la femme dans la société. C'est notamment la raison pour laquelle, personnellement, je voterai les dispositions de l'article 4, qui punit le fait d'imposer par la contrainte le port du voile intégral et la dissimulation du visage.
Pour autant, madame la ministre d'État, mes chers collègues, en décidant d'interdire de façon systématique et absolue la dissimulation du visage, vous prenez trois risques.
Le premier, c'est de remettre en cause la conception que nous avons de l'ordre public. C'est un sujet particulièrement grave, parce que, jusqu'ici, cette conception repose sur un certain nombre d'éléments matériels, au premier rang desquels la sécurité publique. Quand celle-ci est menacée, il faut trouver une conciliation avec d'autres éléments, plus fondamentaux encore, qui sont la liberté individuelle et le libre-arbitre. Ce sont les principes de la Déclaration des droits de l'homme et ceux de la Convention européenne des droits de l'homme.
La conception de l'ordre public que vous voulez imposer aujourd'hui, à travers ce texte, est toute différente. Elle répond à l'idée d'imposer un socle d'exigences et de comportements, qui serait défini, vous l'avez dit vous-même, madame la ministre d'État, de façon évolutive. Vous avez parlé d'un « ordre public sociétal ». J'attire votre attention sur ce point. Peut-être que, en ce qui concerne ce texte, le fait…
…de basculer, de changer de conception de l'ordre public peut être accepté plus facilement par l'opinion, mais j'attire votre attention sur les dangers que cela comporte. Parce que, d'une certaine façon, c'est mettre le doigt dans un engrenage extraordinairement dangereux.
Alors que la conception que nous avons de l'ordre public est fondée sur les principes d'universalisme, celle que vous voulez défendre est une conception sociétale, qui est limitée…
…aux conceptions relatives d'une société, celle dans laquelle nous vivons. C'est une régression extraordinairement dangereuse.
Monsieur le président, je voudrais faire observer que dans la discussion générale, les députés non-inscrits ne disposaient que de cinq minutes de temps de parole.
Mais sur un sujet aussi grave, un seul des huit députés non-inscrits avait la possibilité de s'exprimer.
Vous vous exprimerez à l'occasion de la défense de vos amendements, mon cher collègue.
Nous sommes maintenant dans la discussion des articles, et la seule possibilité de s'exprimer pour les députés non-inscrits qui n'ont pas pu le faire, c'est de s'inscrire sur les articles. Excusez-moi de vous dire que, sur un sujet aussi grave, s'exprimer en moins de deux minutes, c'est quand même extraordinairement difficile.
Vous aurez l'occasion de vous exprimer dans la discussion des amendements, mon cher collègue.
Vous prétendez interdire le port de la burqa. Mais la burqa, vous êtes en train de l'imposer ici, à l'Assemblée nationale, à ceux qui n'expriment pas la position dominante. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la ministre d'État, mes chers collègues, voilà des lois que nous aimons : des lois simples, claires, qui, à un symbole, répondent par un contre-symbole. Si nous avions la force de faire plus souvent des lois comme celle-ci, nous serions peut-être plus souvent mieux compris de nos concitoyens.
De temps en temps, il faut savoir dire non, et c'est ce souhait que nous exprimons. Au-delà de son caractère archaïque, moyenâgeux, la burqa a une valeur symbolique d'un prosélytisme musulman, non fondée sur la religion. Il y a dans le port de la burqaune volonté de heurter, d'imposer sa loi dans un pays où l'égalité des hommes et des femmes, la liberté d'expression, la non-soumission des femmes ont été, de haute lutte, reconnues comme valeurs républicaines et doivent à ce titre être respectées.
Même si le port du voile ne concerne qu'une minorité de femmes – quelques centaines, voire quelques milliers – le sentiment qu'il dégage, au-delà des conséquences sur la seule sécurité des personnes, est vécu en France comme une véritable régression des notions d'égalité et de liberté auxquelles nous sommes tous attachés.
Nous ne voulons pas que notre souhait se réduise à un vote d'interdiction – un vote d'interdiction est par essence négatif –, mais il faut être ferme sur les principes : la burqa est l'expression d'un fondamentalisme non religieux. Le fait de masquer le visage traduit une volonté de refuser à un individu, quel qu'il soit, tout droit de s'exprimer, communiquer avec l'autre. C'est face à cela, madame la ministre d'État, que nous devons rester fermes. Et contrairement à ce qu'a prétendu M. Garrigue, deux minutes suffisent à exprimer une volonté d'interdire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la ministre d'État, ce texte est pleinement politique, c'est d'ailleurs sa noblesse ; je suis personnellement convaincu qu'il finira par être rattrapé par le droit. Je m'attendais à trouver dans cet article 1er le fondement juridique qui permettait cette novation : l'interdiction absolue et générale en tous temps et en tous lieux, véritable nouveauté dans notre droit administratif. Mais pourquoi pas ?
Les lois françaises sont désormais sous le contrôle étroit des juges. On peut le regretter, le combattre, mais c'est une réalité. Et il ne s'agit pas seulement des juges du Conseil constitutionnel : ce peut être aussi le juge ordinaire de Quimper, de Bordeaux ou d'ailleurs.
Or quelle est la mission du juge ? Concilier les droits fondamentaux, parfois antagoniques, en examinant le caractère acceptable, car proportionné, de l'atteinte portée à l'un d'entre eux pour un motif réputé d'intérêt public.
Ce contrôle de proportionnalité, c'est ce qui fait toute la doctrine du Conseil constitutionnel, mais aussi de la Cour européenne des droits de l'homme. Le contrôle de constitutionnalité impose de statuer sur le point de savoir si une restriction de liberté apparaît véritablement nécessaire dans une société démocratique comme la nôtre, et non déséquilibrée au regard de l'exercice des autres libertés.
Autrement dit, on peut en être frustré, mais nous ne pouvons plus légiférer avec le quantum de libertés dont disposait le législateur il y a quelques décennies. « Nous faisons un pari juridique, celui de l'ordre public immatériel », dites-vous, madame la ministre d'État, et je salue votre honnêteté. Vous devriez indiquer au Premier ministre d'État, comme nous l'avons fait en commission des lois, qu'il existe un moyen de sécuriser le droit, d'éviter ces incertitudes : une fois la loi votée par le Parlement, qu'il saisisse le Conseil constitutionnel, comme il en a la possibilité.
Je veux souligner la portée de l'article 1er. Pour reprendre la formule que j'ai souvent utilisée, le voile intégral est la partie émergée de l'iceberg. Le voile intégral n'est que l'aboutissement de tout un enfermement, un endoctrinement qui remonte à l'enfance. Cet article 1er, lorsqu'il sera voté, contribuera à la prise de conscience d'une dérive dans la société française, incompatible avec ce qui fonde nos valeurs et nos idéaux républicains. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Parler de liberté pour défendre le port du voile intégral est parfaitement cynique : pour moi, le voile intégral est un cercueil ambulant, une muselière. On ne peut pas parler de liberté quand on vit cette réalité. Nous allons apporter une réponse fantastique à ces jeunes femmes mineures à qui on mène une vie d'enfer dans certains quartiers, à des adolescentes et même à des jeunes filles de moins de dix ans qui portent le voile intégral, à croire les témoignages que j'ai reçus de Marseille.
La réponse que nous apportons ici est une réponse de fond et de civilisation. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à M. Bruno Le Roux, dernier orateur inscrit sur l'article.
La question de la loi ne fait plus débat entre nous.
Les questions de liberté, de dignité de la femme nous ont fait nous rejoindre sur la nécessité d'avancer. Encore faut-il, madame la ministre d'État – je connais le problème, comme beaucoup d'entre nous, dans certains quartiers de ma circonscription – donner de la force à la loi.
Cette force dépendra de notre capacité à l'expliquer et à l'appliquer. Je ne me fais pas de souci sur notre capacité à l'expliquer : nous en sommes tous capables ici. Mais votre intervention soulève le deuxième problème, celui de notre capacité demain à l'appliquer. C'est là qu'est l'essentiel, et non, comme je l'ai entendu, dans la nécessité de répondre à un symbole par un contre-symbole.
La loi n'est pas un contre-symbole. Elle doit être d'application immédiate au moment où elle sera votée. C'est pour cela que la loi ne peut être autre chose que l'application et le dialogue. Voilà pourquoi je trouvais que la loi que nous défendions était très forte : le débat n'existe pas entre nous sur l'idée qu'il faudrait la limiter à quelques endroits ; nous aussi souhaitons l'absence de burqa dans tout l'espace public. Mais il nous semblait qu'en partant d'une notion juridique sérieusement bornée, d'une application sans risque, le dialogue aidant, nous serions en mesure de gagner ensuite le débat sur l'espace public. Vous avez fait un autre choix, madame la ministre d'État ; j'espère que le texte que vous nous proposez, ne nous fera pas perdre la bataille contre l'intégrisme dans nos cités, car le risque que vous nous faites assumer n'est pas un risque personnel, c'est un risque que toute la République devra assumer. J'espère que nous ne serons pas rattrapés par le droit : cela aurait dans beaucoup de cités des effets dramatiques pour les jeunes femmes.
Mon amendement est la reprise des propositions contenues dans l'avis du Conseil d'État : une interdiction non pas absolue, mais liée à des circonstances particulières d'ordre public, et l'obligation de découvrir son visage, à fin d'identification pour accéder à certains services et à certains lieux.
Il ne s'agit pas du tout de complaisance vis-à-vis de la dissimulation du visage par le port du voile, monsieur Gerin : le problème est celui du nécessaire dialogue avec des personnes qui se laissent entraîner dans ce comportement. Passer outre cette exigence de dialogue, d'explication, c'est courir un double risque : celui d'une stigmatisation qui peut avoir l'effet opposé au but recherché, et celui d'une l'instrumentalisation – nous tous savons à quels desseins ce texte est destiné à répondre.
Ce dialogue, cette explication, j'ai eu à les pratiquer dans ma propre circonscription. C'est le rôle des élus de proximité de mener ce travail lorsqu'ils sont confrontés à la dissimulation du visage. C'est bien plus efficace que de passer par une interdiction absolue.
Après la discussion générale, je voudrais faire le point, aussi sereinement que possible pour savoir ce qui nous réunit et ce qui nous sépare. Il existe un vrai consensus républicain pour affirmer que la burqa, le niqab, le voile intégral sont incompatibles avec la République et ses principes fondamentaux. Ce constat fait, nous sommes également d'accord sur l'objectif, Bruno Le Roux l'a redit : bannir et interdire ces pratiques dans l'ensemble de l'espace public sur tout le territoire français de la République. C'est pourquoi nous avons voté tous ensemble la proposition de résolution.
Notre seul désaccord porte sur le fait que vous prenez un risque juridique. Certes, madame la ministre d'État, vous l'assumez et je respecte cette présentation des choses. L'avis du Conseil d'État n'est pas un avis en tant que tel : il éclaire sur ce que pourraient être les décisions du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l'homme, et nous fait mesurer ce risque juridique.
Vous prenez un risque, soit. Il faut du courage pour lutter contre les hypocrisies. C'est de bonne guerre.
Le législateur s'impose au Conseil d'État, mais pas au Conseil constitutionnel ni à la Cour européenne des droits de l'Homme. Cessons de raconter n'importe quoi !
Nous voulons prendre une autre voie : interdire le voile intégral dans toutes les limites du droit constitutionnel et du droit de la Cour européenne des droits de l'homme ; et pour le reste, faire oeuvre de pédagogie, d'information, de médiation sociale afin de parvenir, sans prendre de risque, à l'interdiction générale.
Votre proposition, madame la ministre d'État, est plus inapplicable que la nôtre. Vous expliquez que les valeurs de la République doivent être défendues dans les gares et les services publics et ailleurs, et vous avez raison : ces questions, nous nous les posons autant que vous. Il n'est pas question dans notre esprit – politique – de nous limiter à défendre les droits des femmes dans les gares et les services publics, et de les laisser bafouer dans la rue ; mais nous avons examiné la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l'homme. Partant de là, mieux vaut, estimons-nous, interdire le port du voile partout où c'est possible et, au-delà, faire oeuvre de pédagogie, d'information et de médiation sociale. C'est là que réside notre seule divergence.
Je vous le dis sincèrement, madame la ministre d'État : si finalement, après examen du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l'homme, ce risque s'avère nul, je vous dirai : « chapeau ! » et je joindrai mes efforts aux vôtres pour l'application la plus efficace possible de cette loi à laquelle vous aurez fait franchir ces deux obstacles. Mais si, par malheur, nos craintes s'avéraient fondées, vous seriez alors obligée de venir à notre proposition de sagesse.
Allons, chère madame, laissez-moi terminer.
Voilà ce qui explique nos amendements et la proposition faite en notre nom par M. Jean-Jacques Urvoas en commission des lois –reprise par M. Copé tout à l'heure – d'une saisine du Conseil constitutionnel par le Gouvernement, afin de purger le premier risque. Et puisque M. Copé la reprend, elle peut faire l'objet d'un nouveau consensus républicain, pour peu que le Gouvernement la saisisse.
Pour en revenir à nos trois amendements, ils proposent d'aller dans l'interdiction aussi loin le permettent que notre appréciation du droit constitutionnel et du droit conventionnel, avec une définition plus limitée du champ d'interdiction, en cohérence, comme le disait notre collègue Garrigue à l'instant, avec l'éclairage qu'a donné Conseil d'État de ce que pourrait être la position du Conseil constitutionnel et dela Cour européenne des droits de l'homme.
L'article 1er est fondamental : c'est lui qui pose le principe d'interdiction. Ce ne peut être, à mon sens, qu'une interdiction générale, tout simplement en raison du consensus républicain pour condamner le port du voile intégral et la dissimulation du visage. Cette interdiction a été posée et affirmée solennellement par la résolution votée par tous les députés présents dans l'hémicycle.
Or voilà que l'on constate, paradoxalement, une différence d'appréciation sur les conséquences d'une pratique que nous jugeons tous parfaitement inadmissible. Cette divergence est, je l'espère en tout cas, d'ordre plus juridique que politique : certains, comme M. Glavany à l'instant, trouvent que nous prenons des risques ; de l'autre côté de l'hémicycle, M. Garrigue estime qu'il n'y a pas lieu de trahir l'ordre public « classique », exclusivement centré sur la sécurité publique – ce qui l'amène à rejoindre M. Glavany…
L'ordre public, à croire M. Garrigue et M. Glavany, tournerait essentiellement autour de la notion de sécurité publique.
Or l'ordre public ne se limite pas à la sécurité publique, à la tranquillité publique et à la salubrité publique ; cela va beaucoup plus loin dans nos textes fondamentaux – cela a été rappelé plusieurs fois dans la discussion, de même que dans mon rapport. L'ordre public, c'est le vivre ensemble. Ce sont des relations harmonieuses qui doivent être régies au sein de notre société. C'est cet ordre public-là qui est clairement défini, monsieur Garrigue, et cet ordre public sociétal, immatériel, social trouve ses racines dans nos textes fondamentaux. Il ne s'agit pas d'un ordre public nouveau ni d'un ordre moral nouveau : il figure très clairement dans nos principes fondamentaux, comme l'a rappelé à plusieurs reprises le Conseil d'État qui définit ce socle minimal d'exigences réciproques, indispensables à la vie en société. Autrement dit, nous avons le matériel juridique existe. Pourquoi nous dispenser de l'appliquer par crainte d'éventuels risques d'inconstitutionnalité alors que la Cour européenne des droits de l'homme laisse une assez grande marge d'appréciation aux États pour légiférer en la matière ? C'est à l'État, c'est à Assemblée nationale, c'est au Sénat de définir la loi.
Le Conseil d'État s'est livré à une étude juridique, qui fait état du droit existant,…
…mais c'est au législateur qu'il appartient de fixer les règles.
Dans ce domaine essentiel, mes chers collègues, osons tout de même aller plus loin et prendre quelques « risques », dont je reste persuadé qu'ils sont très limités. À titre personnel, je considère qu'il serait bon que le Premier ministre d'État, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat puissent saisir le Conseil constitutionnel pour lever toute ambiguïté…
…tant je suis persuadé de la solidité des arguments juridiques.
Enfin, pour en revenir aux amendements proprement dits, une interdiction ciblée, si elle était votée, poserait des problèmes pratiques. Ce serait aux simples agents d'exécution, les agents des services publics, les commerçants, qu'il reviendrait de faire face à l'énorme difficulté de faire respecter une loi d'interdiction. Un pharmacien ou une pharmacienne qui ne pourront pas délivrer de médicaments à une personne couverte d'un voile intégral – on comprend pourquoi : mais c'est eux qui se retrouveraient dans l'obligation de refuser la vente de médicaments. Il faudra peut-être même prévoir des moyens d'informations destinés au public : pourquoi ne pas apposer des affiches « Interdit aux personnes portant un voile intégral » ? Avez-vous réellement mesuré toutes les répercussions possibles ? Sans oublier que, dans la liste des lieux où le port du voile intégral est interdit, il y aura forcément des oublis.
N'oublions pas que les maires souhaitent une interdiction générale, et ils ne sont pas les seuls : la LICRA aussi réclame l'interdiction générale, tirant les conséquences d'une étude approfondie qu'elle a menée.
Pour toutes ces raisons, je ne peux que m'opposer à ces amendements. À une atteinte absolue à nos valeurs, il ne peut être répondu que par une interdiction générale qui trouve sa légitimité dans nos textes fondamentaux. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP.)
La parole est à Mme la ministre d'État, pour donner l'avis du Gouvernement sur ces amendements.
Trois remarques rapides.
Premièrement, monsieur Garrigue, monsieur Glavany, nous avons beaucoup réfléchi sur ce texte et les conditions de son application. Pour être applicable, un texte doit être le plus simple possible : c'est le choix que nous avons fait. En tant qu'ancien ministre d'État de l'intérieur, je soutiens que notre proposition est plus facilement applicable que la vôtre.
Deuxièmement, il est évident que la formation, l'information, l'éducation sont des éléments centraux de ce projet de loi ; vous les trouvez avant l'application de la loi, mais également l'application de la loi puisque le juge a la possibilité d'ordonner des stages de citoyenneté ou de médiation à la place ou en complément de l'amende.
Troisièmement, pour ce qui est des problèmes juridiques, vous pensez bien que la garde des sceaux a étudié l'ensemble des jurisprudences, celles du Conseil d'État comme celles du Conseil constitutionnel. Ce n'est pas moi qui crée une notion nouvelle : je m'appuie sur des notions existantes. C'est en cherchant la sécurisation maximum de ce texte pour les raisons que vous évoquiez à l'instant que ce choix a été fait. Il y a un moment où il faut décider. S'agissant de principes fondamentaux de notre république, la main ne doit jamais trembler et la plume ne saurait s'arrêter au milieu de la phrase. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Le problème de fond, c'est l'espace public. Si nous sommes tous d'accord pour dire que l'espace public, c'est le partage des droits et non le séparatisme, l'expression de toutes les cultures et non l'apartheid, alors cette loi doit concerner tout l'espace public. Une application limitée, aléatoire, partielle rendrait ces dispositions inopérantes.
Je me tourne vers M. Glavany, qui a suivi avec beaucoup d'intérêt notre mission : croit-il vraiment qu'une application partielle supprimerait les discriminations dont ces femmes sont l'objet ? Leur permettrait-elle d'éviter le danger particulier que représente l'emprise d'une radicalité protestataire dont on mesure l'ampleur ? Évidemment pas.
Nous manquerions totalement l'objectif de ce projet de loi. Au-delà des questionnements juridiques qui sont tout à fait légitimes, il y a un objectif politique. Sans aller jusqu'à parler de courage, je pense que nous avons un devoir de responsabilité, de solidarité vis-à-vis de toutes celles qui jamais ne pourront pas se sortir de la situation dans laquelle elles se trouvent si nous adoptions ces amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Le rapporteur a parlé de consensus républicain et du vivre ensemble ; mais le consensus républicain n'est pas un consensus forcé. Pour ce qui est du vivre ensemble, nous avons eu, il y a quelques mois, le débat sur l'identité nationale : le seul consensus qui s'est dégagé a tourné autour de l'idée de nation, la nation conçue comme un vivre ensemble, au sens où l'entendait Renan, celui d'une adhésion.
La conciliation de l'ordre public et de la liberté individuelle, c'est précisément ce qui définit l'espace à travers lequel se fait cette adhésion. L'adhésion passe par l'explication, la formation, le dialogue. Avec un ordre public contraint, absolu, il n'y a plus d'espace pour cette adhésion. C'est là que votre conception de l'ordre public me paraît extrêmement dangereuse.
Les grandes lois sont des lois lisibles par tous : sujet, verbe, complément, c'est aussi simple que cela. À la lecture de ce qui nous est proposé par nos collègues dans leurs amendements, je me dis : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Le message que nous devons faire passer doit être compréhensible par tous, en tous lieux, en toute époque. C'est la raison pour laquelle l'interdiction doit être générale et totale. Point barre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Je suis saisi d'un amendement n° 7 .
La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
Amendement de précision. Après le mot : « dissimuler », je propose d'insérer les mots : « en tout ou partie ».
Avis défavorable. La formule « dissimuler son visage » est suffisamment claire.
Je souhaite obtenir des éclaircissements sur la notion d'espace public. L'espace public englobe-t-il tous les espaces qui ne sont pas des espaces privés ?
Dans ces conditions, il n'est pas certain que cette définition soit satisfaisante. Ou faut-il comprendre qu'il s'agit de tous les espaces ouverts au public, ce qui peut, dans certains cas, comporter des espaces privés ouverts au public ?
Avis défavorable.
L'article 2, cher collègue Garrigue, définit très précisément l'espace public, « constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public. » Nous avons là une définition juridique précise, traditionnelle.
Un espace privé ouvert au public relève naturellement du domaine de la loi, monsieur Garrigue. Un commerce, par exemple, est un espace qui peut être privé et ouvert au public. L'interdiction concernera cet espace privé ouvert au public. (« Très bien » sur les bancs du groupe UMP.)
C'est la jurisprudence qui a fixé la définition des lieux ouverts au public ; je ne reviens pas sur l'excellente explication du rapporteur.
Je précise à Mme Karamanli que le projet de loi n'a pas vocation à s'appliquer aux moyens de communication audiovisuelle. Il ne s'agit pas de réglementer des programmes télévisés ou des vidéos mises en ligne sur internet. Cela ne relève pas de l'espace public au sens de la loi.
(L'amendement n° 12 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 4 .
La parole est à M. Daniel Garrigue.
L'amendement est défendu.
(L'amendement n° 4 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 5 .
La parole est à M. Daniel Garrigue.
L'alinéa 2 de l'article 2 prévoit une exception pour les manifestations artistiques ou traditionnelles, sans évoquer le cas des manifestations cultuelles.
Selon la définition de l'espace public que vient de nous donner le rapporteur, les lieux de culte entrent dans l'espace public. Cela signifie que le texte ne prévoit pas d'exception pour les lieux de culte, ce qui pose un double problème, au regard de la loi de 1905 et au regard de la Convention européenne des droits de l'homme.
Je rappelle que la loi de 1905 de séparation des églises et de l'État prend en compte trois éléments : la neutralité de l'État, qui doit être toujours respectée, la liberté des cultes et le pluralisme des cultes.
Le fait que le texte prévoie des dérogations pour les manifestations artistiques ou les manifestations traditionnelles et non pour les cultes est un peu contradictoire avec la Déclaration des droits de l'homme, avec la loi de 1905 et avec la Convention européenne des droits de l'homme. On nous rétorquera sans doute que certaines manifestations cultuelles font partie des manifestations traditionnelles. Mais cela pose alors un autre problème : celui de la différence de traitement entre les cultes, dans la mesure où certains seront considérés comme entrant dans le cadre des manifestations traditionnelles, et d'autres pas. Je souhaiterais avoir des explications.
Toutes les manifestations cultuelles qui existent actuellement sont considérées comme des manifestations traditionnelles.
En ce qui concerne les lieux de culte, ce sont bien sûr les ministres du culte qui seront en charge d'apprécier, à l'intérieur de l'enceinte, la nature et la police du lieu. C'est normal.
En ce qui concerne les manifestations à l'extérieur, l'amendement que vous proposez est me semble-t-il satisfait par la rédaction actuelle de l'article 2 : la notion de manifestation traditionnelle est suffisamment large pour y inclure les manifestations cultuelles, comme je l'écris dans mon rapport, page 56, en précisant que les manifestations traditionnelles incluent les manifestations cultuelles. Je répondais ainsi aux questions que certains d'entre vous m'avaient posées au sujet des processions, par exemple, au cours desquelles des tenues qui peuvent cacher une partie du visage sont portées. Cette réponse devrait vous rassurer.
On ne légifère pas dans l'abstrait, il faut être concret.
Si nous faisons une exception pour les manifestations cultuelles traditionnelles, pour lesquelles il peut arriver que de porter des tenues cachant le visage – ainsi lors de certaines processions du Vendredi saint au Pays Basque, par exemple –, je ne vois rigoureusement aucun autre cas dans lequel une prescription religieuse obligerait à se voiler le visage, quelle que soit la religion, puisque même les tenants du culte musulman disent que ce n'est pas une obligation religieuse.
Le problème est quand même bien réel. Permettre certaines manifestations cultuelles au motif que ce seraient des manifestations traditionnelles, c'est privilégier une religion par rapport aux autres. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Je maintiens que c'est contraire à la loi de 1905, qui prévoit la liberté des cultes et la pluralité des cultes. (Protestations sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
Le problème que pose notre collègue Garrigue est en effet bien réel, et il n'est pas si explicité que cela dans le rapport du rapporteur, que j'ai sous les yeux. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Concrètement, une procession du Ku Klux Klan en France…
…sous réserve que ce serait une manifestation religieuse traditionnelle – serait-elle exclue de l'interdiction ou non ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Je suis désolée, monsieur Glavany, mais votre exemple est mauvais : le Ku Klux Klan est interdit en France.
Je suis saisi d'un amendement n° 6 .
La parole est à M. Daniel Garrigue.
Défavorable.
C'est un débat important, qui touche à un sujet de société. Comme toujours sur les sujets de société, des opinions diverses s'affrontent.
Monsieur Dord, vous n'êtes pas obligé d'être désagréable chaque fois que vous vous exprimez.
Nous nous connaissons suffisamment, mes chers collègues, pour savoir que, sur certains sujets, nous pouvons arriver, à partir d'une même opinion, à des conclusions différentes, voire opposées.
Vous avez quelque progrès à faire pour maîtriser la dialectique correctement, mon cher collègue. Si vous voulez, je vous donnerai des cours particuliers.
Il est des collègues, comme M. Myard ou M. Glavany, avec qui je partage certains combats, notamment sur les sectes – et il nous arrive d'être victimes des mêmes individus – mais il en est d'autres pour lesquels ces questions-là ne sont pas affaire de conviction.
Quelle est la différence entre un naïf et un sage ? Par exemple, quand vous désignez la lune du doigt, le naïf regarde le doigt et le sage regarde la lune.
J'ai trop d'estime pour vous pour vous placer dans la deuxième catégorie, en tout cas.
La personne naïve voit la loi sur la burqa et la personne avisée voit les retraites. Mon opinion, c'est que pour les gens qui n'ont pas vraiment de réflexion sur le sujet mais qui sont dans une démarche politicienne, ce texte, c'est le voile sur les retraites ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Nous abordons un autre problème, celui des sanctions. Nous en avons débattu en commission et nous avons un peu avancé, monsieur Geoffroy, peut-être pas assez, mais enfin, on peut se dire les choses.
Nous, nous considérons que les femmes, je l'ai dit en commission et dans mon intervention, sont des victimes, qu'elles portent le voile d'une manière consentante ou non : elles sont victimes soit de l'idéologie intégriste fondamentaliste, soit de la tutelle autoritaire d'un imam, d'un grand frère ou d'un père. Partant de là, nous avons un peu de mal à admettre l'idée que des victimes soient sanctionnées d'entrée de jeu. Aussi proposons-nous que le non-respect de l'interdiction expose les contrevenants non pas à une amende, mais à une injonction de se soumettre à ce que nous appelons, nous, la médiation sociale, que vous appelez, vous, le stage de citoyenneté ; la sanction de la contravention interviendrait seulement en cas de refus de se plier à cette injonction ou de récidive.
C'est une question de philosophie politique. Il pourrait ne pas y avoir de désaccord entre nous, mais si nous considérons que ces femmes sont des victimes, j'ai du mal à admettre que, d'entrée de jeu, on leur inflige une contravention.
Nous comprenons évidemment la préoccupation de M. Glavany et de ses collègues. La personne qui porte le voile intégral s'expose à une amende de deuxième classe, c'est-à-dire une amende d'un montant maximum de 150 euros, ce qui reste somme toute modéré. Mais cette amende n'est en aucune façon automatique, puisque c'est le juge qui appréciera en bout de parcours. Le juge de proximité en particulier, compétent pour les quatre premières classes de contravention, déterminera le montant de l'amende. Il pourra même ne pas infliger d'amende et obliger seulement à un stage de citoyenneté à titre de peine principale.
Avec ce stage de citoyenneté, nous répondons au souci que vous exprimez par cette médiation, qui n'existait pas encore dans le droit pénal français.
De son côté, le procureur de la République, qui est maître de l'opportunité des poursuites, peut très bien, lui aussi, avant même que l'infraction ne parvienne au juge lui-même – puisque c'est lui qui poursuit, c'est lui qui est en première ligne – décider de mettre en place une mesure alternative à la poursuite elle-même, une mesure alternative à l'amende, cela peut être une composition pénale, cela peut même être un stage de citoyenneté. Le procureur de la République peut très bien ordonner ce stage de citoyenneté, tout comme le juge, à titre de peine principale.
Ainsi, très franchement, monsieur Glavany, je crois votre demande satisfaite et je préfère le dispositif qui existe dans la loi, déjà complet et qui permet d'agir avec souplesse et pédagogie : il n'est pas seulement répressif et « sanctionneur ». Si vous mainteniez votre amendement, j'émettrais un avis défavorable.
Nous partageons l'analyse comme les préoccupations de M. Glavany. Pour nous tous, les femmes qui portent le voile sont des victimes et nous devons les considérer comme telles.
Cela implique que la pédagogie et le dialogue soient des éléments essentiels. C'est la raison pour laquelle nous avons prévu un délai de six mois entre le vote de la loi et l'application des textes.
C'est également la raison pour laquelle nous avons prévu que la sanction puisse être simplement un stage de citoyenneté – ou de médiation, peu importe l'appellation.
Il me revient de vous rappeler que c'est le juge qui doit décider. C'est sans doute lui qui est le mieux à même, surtout parce qu'il s'agit d'un juge à proximité et donc dans l'environnement de l'intéressée, de voir quelle est la meilleure adaptation possible. Il a la possibilité de choisir simplement le stage de citoyenneté comme réponse à l'infraction qui sera commise. Le dispositif retenu répond à une préoccupation que nous avons en commun, il est suffisamment nuancé et il permet de s'adapter à la réalité.
C'est la raison pour laquelle je vous demande de retirer cet amendement. Sinon, mon avis sera défavorable.
Je souhaiterais quelques précisions quant à la sanction prévue. J'entends bien les propos du rapporteur et de la ministre d'État sur le stage, ou l'amende, ou les deux, ainsi que sur le pouvoir d'appréciation du juge. Mon questionnement porte sur la mise en place du stage de citoyenneté.
Il y a des villes dans lesquelles on voit bien comment les choses pourraient se passer, mais pourrait-on avoir des précisions pour savoir si cela sera organisé sous l'égide des services du procureur, de la justice – on peut imaginer que la PJJ jouera un rôle – ou bien est-ce que cela sera du rôle des communes, via leurs secteurs associatifs ? Qui aura la responsabilité de dire, une fois la sanction prononcée par le juge, que le stage est conforme à ce qu'on imaginait et surtout qu'il se passe de la même manière sur tout le territoire, avec les mêmes interlocuteurs ? On a parfois vu de grandes différences d'appréciation dans les stages mis en place sous l'égide des services de l'État ; il serait utile d'avoir des précisions à ce stade.
C'est évidemment sous l'égide du ministère de la justice et sous le contrôle du procureur de la République que ces stages de citoyenneté seront organisés par des associations agréées par le ministère de la justice, et en particulier par les services pénitentiaires d'insertion et de probation dont c'est déjà la mission essentielle. La mesure existe donc, et elle est sous le contrôle du ministère.
Je ne vais pas en faire tout un plat, et nous n'allons pas y passer la nuit… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Qu'est-ce que vous êtes énervés, c'est incroyable ! Je ne sais pas si c'est l'approche des vacances ou le climat de crise politique…
Autant je suis prêt à vous suivre pour retenir le principe de la libre appréciation du juge, autant, dans ce cas précis, la libre appréciation du juge peut conduire à un changement de philosophie politique radical : ou bien l'on considère ces femmes comme des victimes, auquel cas on ne les punit pas, ou bien on considère qu'elles méritent une contravention et ce ne sont plus des victimes. C'est une liberté d'appréciation qui est très large.
Si nous sommes tous d'accord pour considérer qu'elles sont des victimes, il ne faut pas leur infliger une contravention d'entrée de jeu, il faut leur enjoindre un stage de citoyenneté ; et si elles ne se plient pas à cette injonction, ou si elles récidivent, alors il y aura sanction. Mais cela procède d'une philosophie radicalement différente, qui ne peut être laissée à la libre appréciation du juge.
(L'amendement n° 13 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 9 .
La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
Madame la ministre d'État, vous venez d'utiliser les mots « pédagogie » et « dialogue » dans l'explication concernant l'amendement que nous venons de discuter. Ces mots conviennent tout à fait à l'exposé sommaire de mon amendement n° 9 : comme dans le cadre de la loi 2004-228 du 15 mars 2004 relative aux signes religieux, il convient de créer un dialogue avant toute sanction afin d'expliquer brièvement à l'intéressé les valeurs républicaines du pays dans lequel il vit.
Les explications de notre collègue Decool montrent par elles-mêmes que le stage de citoyenneté répond à ses préoccupations. Je n'ose lui demander à nouveau de retirer son amendement !
Avant de donner une sanction, il est bon de rappeler les valeurs républicaines, et cela n'empêche pas le stage de citoyenneté.
Monsieur Decool, c'est tout l'intérêt du délai de six mois pendant lequel la loi va s'appliquer, mais pas la sanction. Durant ces six mois, avec les autorités religieuses, les associations, les collectivités territoriales et l'ensemble de la police et de la gendarmerie, le but sera bien d'aller contacter chacune de ces femmes.
J'aimerais néanmoins que nous ne nous focalisions pas uniquement sur le voile ; je rappelle que la loi porte sur le fait de se masquer le visage. Vous parlez ici plus précisément des femmes qui portent le niqab ou la burqa : il est bien prévu que la loi s'appliquera, mais pas la sanction, pendant six mois. Compte tenu de leur répartition sur le territoire, cette période sera utile et nécessaire pour mener cette action de pédagogie. Et même après ces six mois, la possibilité de recommander le stage demeurera à l'appréciation du juge. Lors de la première fois, le stage sera effectivement recommandé, et il est vraisemblable que c'est en cas d'insistance de la personne, de récidive ou de refus, que l'amende jouera son rôle dissuasif, ou incitatif, selon les cas ; mais tout cela restera à l'appréciation du juge.
L'esprit de votre amendement est donc totalement satisfait. C'est la raison pour laquelle c'est à moi qu'il revient maintenant de vous demander si vous voulez bien le retirer.
Madame la ministre d'État, que vous avez eu beaucoup de fonctions dans votre vie, mais à l'évidence, il en est une que vous n'avez pas exercé, c'est celle d'enseignante.
Mais si, justement !
Dans ce cas, heureusement que vous en êtes sortie ! Vous voudriez en six mois atteindre des objectifs aussi ambitieux ? J'ai quelques doutes.
Il suffit d'être bon pédagogue ! (Sourires)
Comme vous, monsieur Geoffroy.
L'amendement de M. Decool est empreint de sagesse et de réalisme. Mais il y a quelque chose qui m'a choqué dans vos propos, madame la ministre d'État : ce travail de pédagogie, vous le partagerez avec les autorités religieuses. Il ne faut pas violer l'indépendance des autorités religieuses dans l'esprit de la loi de 1905 ; autrement dit, l'État n'a pas à dire aux autorités religieuses ce qu'elles ont à faire, et n'a pas à partager sa responsabilité avec elles. Les autorités religieuses feront ce que bon leur semble, mais elles n'ont ni injonctions, ni indications à recevoir, et cela joue dans les deux sens.
Ce sont les autorités religieuses qui ont proposé de faire ce travail pédagogique.
J'accepte évidemment, car c'est aussi un problème religieux de lutte contre certaines attitudes sectaires. Que des autorités religieuses disent vouloir lutter contre cet aspect ne me choque nullement.
Nous nous sommes fait traiter d'hypocrites pendant toute la soirée d'hier et ce matin, mais je ne sais pas où est l'hypocrisie ! On nous a dit que ce n'était pas un problème religieux, nous avons entendu des orateurs de droite comme de gauche marteler que c'était un problème de fondamentalisme et que l'islam n'avait rien à voir avec cela, que ce n'était pas une préconisation du Coran ; et voilà qu'on nous dit que les autorités religieuses vont nous aider ! Franchement, je ne sais pas où est l'hypocrisie…
Raisonnement tortueux, monsieur Glavany !
(L'amendement n° 9 est retiré.)
Je suis saisi d'un amendement n° 14 .
La parole est àMme Danièle Hoffman-Rispal.
J'ai bien entendu les arguments du rapporteur et de la ministre d'État sur l'amendement précédent concernant l'appréciation du juge. J'apprécie également l'amendement de M. Decool, car ce travail d'enseignement n'a pas été fait depuis des années ; il faut espérer qu'en six mois, la pédagogie et la médiation porteront leurs fruits.
Notre amendement n° 14 vise à rendre obligatoire le stage de citoyenneté. Obligatoire, car même si on ne parle que de se dissimuler le visage, sauf pour les processions, j'ai bien entendu que ce serait quand même les porteuses du voile intégral qui seraient sanctionnées.
Même après six mois de pédagogie, quand une femme sera arrêtée, alors qu'elle n'aura peut-être pas la formation nécessaire pour comprendre ce qui lui arrive, lui proposer un stage de citoyenneté qui lui apprenne les valeurs que nous avons tous défendues depuis vingt-quatre heures dans cet hémicycle, que nous appelons valeurs de la République, me paraît essentiel. Je souhaite donc vraiment que ce stage soit obligatoire, qu'il y ait sanction ou non. Nous savons qu'une partie de ces femmes sont contraintes, et qu'elles n'auront peut-être pas les informations nécessaires. Imaginez-vous l'indignité qu'elles vont ressentir en se faisant arrêter parce qu'elles dissimuleront leur visage ? Essayer de leur parler, de leur apprendre ce que nous souhaitons, et donc rendre ce stage obligatoire, serait vraiment nécessaire.
Je comprends ce que vous venez de dire, mais rendre obligatoire le stage de citoyenneté est légalement impossible : on ne peut prononcer cette mesure qu'avec l'accord préalable de l'intéressée, car cela suppose une adhésion de la personne qu'il n'est pas question de forcer.
Qui plus est, vous remettez en cause tout le principe d'individualisation de la sanction posé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en vertu duquel on ne peut faire en sorte que le juge soit lié. Il doit conserver son pouvoir d'appréciation souverain en fonction du principe d'individualisation de la sanction. Je comprends le souci pédagogique qui vous anime, mais il n'est pas possible d'imposer ce stage et le juge conserve tout son pouvoir d'appréciation. Avis défavorable.
Le rapporteur a soulevé un vrai problème juridique, et de ce fait, je ne peux qu'avoir un avis défavorable.
J'ai un doute sur l'appréciation par rapport au stage. D'abord, il existe un stage obligatoire dans notre droit national : c'est le stage pour récupérer les points au permis de conduire.
Et à ma connaissance, nous avons un problème sur le contrat. Je me souviens de discussions il y a quelques années à propos des contrats d'insertion, qui nécessitaient l'accord tacite de l'intéressé pour être mis en place – il s'agissait d'apprendre les valeurs républicaines.
Sur le stage, je ne suis pas certain de vous suivre jusqu'au bout : l'appréciation est très excessive et je pense que le stage peut être imposé à une personne. Dans le cas contraire, il faut nous apporter cette précision. Sinon, pour le stage du permis de conduire, il faut aussi revoir le droit national…
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Ce n'est pas obligatoire !
(L'amendement n° 14 n'est pas adopté.)
(L'article 3 est adopté.)
Je trouve cet article 4 excellent, et les amendements proposés par le rapporteur ne font que le renforcer. Cela fait bien ressortir le contraste qui existe dans ce texte entre ceux qui usent de la contrainte pour obliger à porter le voile intégral ou à dissimuler son visage, et les personnes qui sont soumises à cette contrainte ou encore celles, il en existe aussi, qui revendiquent une démarche volontaire.
Madame la ministre d'État, vous avez évoqué à propos de l'ordre public la dignité de la personne humaine. Mais il est une interprétation de la dignité qui consiste à respecter le libre arbitre, sans se limiter à une vision collective de la dignité de la personne humaine.
Je regrette un peu que l'on n'ait pas fait une meilleure articulation dans ce texte entre ceux qu'il faut sanctionner très durement, c'est-à-dire les agissements de contrainte visés à l'article 4, et les personnes manipulées ou volontairement engagées dans cette démarche, avec lesquelles au contraire il faut engager d'autres procédures, telles que le dialogue proposé par les amendements de M. Glavany, de M. Decool et deMme Hoffman-Rispal.
Avec cet article, nous abordons les sanctions envers celui qui, par la contrainte et parfois par la violence, impose à une femme le port du voile intégral. Nous sommes tous d'accord pour que la sanction soit sévère. La commission des lois a même adopté un amendement de M. Glavany qui porte l'amende encourue, en sus d'un an d'emprisonnement, de 15 000 euros à 30 000 euros. L'amendement n° 23 tend en outre à réintroduire la notion d'abus de pouvoir, et à préciser « en raison de leur sexe » puisque c'est ce qui motive la contrainte. Ainsi réécrit l'article sera véritablement efficace. L'amendement n° 24 rectifié en précise la rédaction.
Avis favorable.
(L'amendement n° 23 est adopté.)
L'amendement n° 24 rectifié vient d'être défendu.
(L'amendement n° 24 rectifié , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
En conséquence, l'amendement n° 22 tombe.
(L'article 4, amendé, est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 15 , portant article additionnel après l'article 5.
La parole est à M. Jean Glavany.
Cette affaire a fait débat hier comme aujourd'hui et semble recueillir un consensus, mais nous aimerions le vérifier. Vous nous avez dit, madame la ministre d'État, vouloir mettre à profit les six mois avant l'application de la loi pour mener une politique d'information de nature pédagogique. Notre amendement n° 15 vise à exprimer fortement la volonté du Parlement d'agir en ce sens et d'encourager le Gouvernement à mener cette campagne. On va donc édicter une interdiction, dans les formes choisies par la majorité. Nous sommes tous d'accord pour que, de façon préalable, cet interdit s'accompagne d'une véritable pédagogie des valeurs de la République. L'amendement permet au Parlement d'insister sur sa volonté qu'un réel effort soit fait pour organiser une campagne nationale en ce sens, à laquelle nous sommes d'ailleurs prêts à contribuer.
Nous savons bien que cet amendement, qui crée une dépense, pourrait tomber sous le coup de l'article 40. Mais nous le présentons en connaissance de cause pour souligner notre volonté politique de voir les pouvoirs publics mener une campagne volontariste en direction de ces quelque deux mille femmes – peut-être un peu plus, peut-être un peu moins, peu importe – qui portent le voile intégral, et ce sous des formes diverses dont nous sommes prêts à débattre. Il faut, au cours de ces six mois, aller vers elles, leur expliquer les valeurs de la République, les prévenir que l'interdiction va s'appliquer et pourquoi, et leur demander de ne pas tomber sous le coup de cette interdiction.
Comme tous les autres, cet amendement n° 15 a été soumis à la commission des finances et n'a pas fait l'objet de commentaire particulier.
Quel est l'avis de la commission ?
Je comprends bien que cet amendement vise avant tout à faire expliquer par le Gouvernement comment il va mettre à profit ce délai de six mois entre la promulgation de la loi et son application. Je partage tout à fait l'approche pédagogique exposée par M. Glavany. Toutefois, la rédaction de l'amendement pourrait être améliorée. Mais surtout, l'article 7 fait mention des mesures d'accompagnement qui seront mises en oeuvre pendant ce délai. Peut-être, l'appréciation de Mme la ministre d'État le conduira-t-elle à retirer son amendement ; à défaut, j'émettrai un avis défavorable.
L'amendement est satisfait par l'article 7 tel que la commission a choisi de le rédiger. Il fait obligation au Gouvernement non seulement de mettre en place des mesures d'accompagnement, mais aussi de vous en rendre compte. J'ai dit que les premières de ces mesures reposent sur la pédagogie et le dialogue. J'avais même indiqué tous ceux qui pouvaient y participer, ce qui m'a valu quelques critiques de votre part. Je vois que vous vous rattrapez puisque vous me proposez de participer vous-mêmes à cette action de formation et d'information…
Maintenant que cet amendement a passé l'épreuve la plus difficile, celle de l'article 40, je m'en voudrais de le retirer… Et puis, madame la ministre d'État, ce qui va sans dire va encore mieux en le disant. Pour faire plaisir au rapporteur, je suis tout à fait disposé à en modifier la rédaction, mais il exprime une volonté politique claire et je pense que le Parlement a son mot à dire à ce stade de la discussion.
(L'amendement n° 15 n'est pas adopté.)
Il est défendu.
(L'amendement n° 16 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
(L'article 7 est adopté.)
L'ordre public est au fondement de ce texte. Il recouvre un certain nombre de règles et inclut le principe de laïcité, qui sous-tend le vouloir-vivre ensemble. Selon le mot de Jean-Claude Barreau, ancien prêtre, « je ne veux pas être emmerdé par la religion des autres, mais je la respecte. » C'est un peu brutal, mais cela veut bien dire ce que ça veut dire.
Pas forcément. Voilà un homme qui a été transcourants, monsieur Glavany. (Sourires.)
Une chose est certaine : nous avons pêché ces dernières années en ce qui concerne l'enseignement de la laïcité. Nous avons trop tardé à transmettre le sens de la laïcité, le respect des religions,...
…et cette limite qui sépare la sphère privée et la sphère publique. Sans doute, chaque génération doit le réapprendre. On a trop considéré qu'il s'agissait d'un acquis.
Peut-être cet amendement ne s'inscrit-il pas directement dans la suite du débat. Mais il faut vraiment consacrer du temps à la laïcité dans l'enseignement. J'ai déposé une proposition de loi pour que le 9 décembre soit une journée, non chômée bien sûr, consacrée à la laïcité. Je remercie d'ailleurs l'Assemblée de nous avoir permis de créer un groupe d'études sur la notion de laïcité.
Nous partageons le propos de M. Myard sur la laïcité. Mais de son propre aveu, tout cela n'a guère de relation directe avec ce texte qui ne traite nullement de la laïcité. Nous avons beaucoup parlé du voile intégral, mais ce projet a un objet plus large : la dissimulation du visage dans l'espace public.
Enfin, décréter une journée de la laïcité est du domaine du règlement et non de la loi. Tout en partageant la préoccupation de Jacques Myard, je serai dans l'obligation d'émettre un avis défavorable sur son amendement s'il ne le retire pas.
Sur tous ces bancs, nous avons en partage la laïcité. Je ne suis pas sûre que nous en ayons tous la même conception.
Et la proposition de loi mentionnée pourrait sans doute être l'occasion d'un véritable débat.
Simplement, comme je l'ai rappelé précédemment, ce dont il est question ici est plus large que la laïcité. Il s'agit du problème du vivre-ensemble. L'amendement n'a donc pas de lien direct avec ce texte. Sachant combien M. Myard est attaché à la bonne rédaction de la loi, je lui demande de bien vouloir le retirer.
Je rejoins M. Myard dans ses attendus, mais je m'en sépare dans ses conclusions. Il a raison de soulever la question de l'enseignement de la laïcité, qui est une valeur républicaine complexe, tellement complexe que, sans doute si l'on faisait une interrogation écrite à la cinquantaine de présents pour connaître leur définition de la laïcité, nous obtiendrions une cinquantaine de réponses différentes.
Ou même plusieurs. En tout cas, Jacques Myard a raison : il existe un véritable besoin d'enseignement de la laïcité dans les établissements scolaires et aussi dans les IUFM.
Mais à mes yeux, madame la ministre d'État, cette laïcité est la clé du vivre-ensemble.
C'en est un aspect.
C'est elle qui nous permet de vivre ensemble avec toutes nos différences, religieuses, philosophiques, et même d'âge ou de sexe, sans que jamais une de ces différences n'impose sa loi aux autres : c'est là le principe même de la laïcité.
En revanche, sans aller jusqu'à considérer son amendement comme un cavalier législatif, je ne suis plus le raisonnement de Jacques Myard lorsqu'il veut élargir ce texte à toutes les questions de laïcité. D'autant que Mme la garde des sceaux et M. le rapporteur nous ont expliqué que parmi les principes juridiques invoqués pour donner un fondement à ce projet de loi, il n'était nullement question de la laïcité – choix que j'ai du reste approuvé.
Et puis, cher Jacques Myard, permettez-moi de vous dire que, malgré l'importance et le caractère solennel de la date du 9 décembre, anniversaire de la promulgation de la loi de 1905, ceux qui, comme moi, sont vraiment attachés à la laïcité trouveront très restrictif de la cantonner à une journée par an. Je vous propose donc que nous réfléchissions à une manière de faire mieux encore !
Dans une période où tout le monde s'accorde à constater un délitement des repères et des valeurs, la laïcité demeure l'un des piliers de notre État. Elle résulte d'un long processus historique qui n'a pas commencé avec la loi de séparation des Églises et de l'État. En effet, la loi de 1905 est un aboutissement, un apaisement, une balise dans l'histoire de la laïcité.
Aux dires du rapporteur, cet amendement ne relèverait pas de la loi mais du règlement…
…mais c'est là un argument à géométrie variable : on sait bien que le Gouvernement nous fait souvent légiférer sur n'importe quoi. Et puis, comme vient de le dire Jean Glavany avec beaucoup de sagesse, qui peut le plus peut le moins.
Cela est d'autant plus vrai qu'au-delà du texte, il y a le contexte. La ministre d'État affirme que le projet de loi n'a rien à voir avec les religions, mais elle nous a expliqué tout à l'heure qu'elle avait répondu à une demande des autorités religieuses… Je sais bien que tout est dans tout, et réciproquement, cela montre tout de même qu'il y a un petit problème… Certes, ce texte n'est peut-être pas le meilleur vecteur pour mettre en place les mesures préconisées par l'amendement, je pense néanmoins que nous progressons dans le vivre-ensemble dès lors que nous ferons avancer la réflexion et que nous permettrons l'appropriation commune de nos valeurs. Il faut donc favoriser la culture des valeurs universelles que nous devrions avoir en partage.
Parmi ces valeurs universelles, personne ne peut contester que l'histoire des religions – je parle bien de l'histoire des religions, et pas des religions elles-mêmes – joue un rôle pour la formation des esprits. Je rappelle que lors de l'examen de la loi dite loi Fillon sur l'école, nous avions voté à l'unanimité moins une voix un amendement rendant obligatoire l'enseignement de l'histoire du fait religieux. Nous nous situions évidemment dans le champ de la connaissance et de la science, et non dans celui de la croyance, car pour ce qui relève de ce dernier domaine, il y a des gens de religion. Ces deux champs sont séparés, madame la ministre d'État , et c'est d'ailleurs bien pour cette raison que vous n'avez rien à faire avec des gens de religion. Nous pourrions débattre de ce sujet… J'ai mon opinion sur le comportement qui devrait être celui des ministres lorsqu'ils assistent à un service religieux dans une église ou une cathédrale. Je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire, mais je pourrai vous l'expliquer en privé, si vous le voulez bien. (Sourires.)
Le débat sur le projet de loi est donc complètement pollué…
En un mot, il faudra revenir sur la laïcité et sur l'enseignement des religions.
J'apporte mon soutien à l'amendement de Jacques Myard. Comme lui, nous sommes les uns et les autres attachés à la laïcité.
Son idée est intéressante, et je suis certain que nous en débattrons dans le cadre du groupe d'études qui vient enfin d'être créé. Le débat qui nous réunit aujourd'hui sur le voile intégral montre bien, même si nous partageons tous et toutes les valeurs importantes qui ont fondé notre République, que la laïcité doit être défendue un peu plus chaque jour, par tous les moyens et avec force.
À terme, il serait bon que nous puissions créer une journée de célébration de la laïcité. Que cette disposition soit du domaine législatif ou réglementaire, nous l'apprécierons, et nous trouverons sans doute un autre cadre et un autre moment pour la mettre en oeuvre. Cela dit, même si nous parvenions à nos fins, je pense, comme Jean Glavany, qu'il ne faudrait pas oublier que la laïcité doit être défendue chaque jour car de nombreux problèmes se posent aujourd'hui dans notre pays.
Monsieur le président, il m'en coûte de me retirer. En général, je ne le fais jamais… (Sourires)
…mais je tiens à éviter que cet amendement soit rejeté. Si j'étais battu, on pourrait penser en lisant le Journal officiel que les députés n'en veulent pas ou rejettent le principe.
Cela dit, madame la ministre d'État, je souhaiterais que le Gouvernement s'engage à ce que l'on étudie les modalités d'enseignement de la laïcité, et que l'on revienne à terme sur l'idée d'instaurer une journée de la laïcité ? En effet, je ne partage pas totalement les arguments de Jean Glavany même si je sais bien qu'il existe de nombreuses journées consacrées à divers sujets.
Certes, il y a inflation, mais la laïcité est véritablement le cornerstone… (Rires et vives protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Oh non ! Retirez cela ! On croirait entendre Christine Largarde ! (Sourires.)
Disons plutôt qu'il s'agit de la clé de voûte de l'édifice qui est le nôtre. J'aimerais que vous vous engagiez à mettre en oeuvre tous les moyens pour en assurer la plus grande diffusion.
(L'amendement n° 1 est retiré.)
Je suis saisi d'un amendement n° 17 , tendant à modifier le titre du projet de loi.
La parole est à M. Daniel Garrigue.
Nous avons eu un large débat sur la laïcité en 2004. Tous ceux qui siègent dans l'hémicycle aujourd'hui n'étaient pas députés à l'époque, mais force est de constater que les conceptions de la laïcité ne sont pas tout à fait les mêmes aujourd'hui et hier.
Mon amendement propose une rédaction du titre du projet de loi correspondant à l'esprit de la loi de 2004 qui visait à concilier l'ordre public et la liberté individuelle. La conception qui a prévalu lors de nos débats est celle d'un ordre public relatif, évolutif et sociétal ; ce n'est pas tout à fait la même. En conséquence, le titre que je proposais n'a plus d'intérêt et je retire mon amendement.
(L'amendement n° 17 est retiré.)
La modification du titre du projet de loi ne paraît pas du tout opportune. La formulation proposée est assez alambiquée. Surtout, elle remettrait en cause le principe même de l'interdiction générale que nous avons voté.
En conséquence, la commission est défavorable à l'amendement.
Défavorable.
Monsieur le président, vous avez bien compris que, de toute façon, je voulais dire quelque chose. (Rires.)
j'espère que cela a tout de même un rapport quelconque avec l'amendement !
Monsieur le président, je vous en laisse juge.
Ventre affamé n'a point d'oreille, dit le vieil adage cher à M. Warsmann et M. Gaudron… Aussi serai-je très bref. J'appelle l'attention sur une concomitance qui ne doit rien au hasard : le 13 juillet, le conseil des ministres adoptera le projet de loi sur les retraites et, le même jour, le Gouvernement fera voter par l'Assemblée la loi sur la burqa. Cherchez l'erreur ! (« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP.) Tout cela est évidemment un montage politicien. (Protestations et rires sur les bancs du groupe UMP.) Cela dit, je retire l'amendement n° 17 . (Rires.)
Vous retirez l'amendement que vous venez de reprendre… Le cas de figure est assez rare, mais admettons !
(L'amendement n° 17 est retiré.)
Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public sur l'ensemble du projet de loi auront lieu le mardi 13 juillet, après les questions au Gouvernement.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Projet de loi complétant les dispositions relatives à la démocratie sociale issues de la loi n° 2002-789 du 20 août 2008.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma