La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
L'ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement (n° 1864).
La parole est à M. Christian Jacob, rapporteur de la commission mixte paritaire.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État chargé des transports, monsieur le président de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, au moment où nous allons nous prononcer sur cette CMP, je tiens à vous dire, monsieur le secrétaire d'État, combien nous avons été sensibles à l'étroite collaboration que nous avons pu avoir avec Jean-Louis Borloo, ministre d'État, avec vous-même, avec l'ensemble des secrétaires d'État concernés par ce texte et avec vos équipes. Nous avons accompli ensemble du très bon travail. Notre président de commission, Patrick Ollier, a mis toute son énergie à faire en sorte que nous ayons un débat consensuel, certes parfois émaillé d'affrontements et d'oppositions, mais toujours avec le souci de rassemblement. Je vous remercie donc, monsieur le président, pour la manière dont vous avez conduit les travaux de notre commission. Nous avons donné une belle image de notre Parlement grâce au travail réalisé sur ce texte. Je dirai notamment à ceux qui doutaient – nous avons tous entendu, à un moment ou à un autre, que nous allions détricoter le Grenelle, le remettre en cause – que ce texte sort, aujourd'hui, enrichi. Je tiens également à associer Serge Poignant, Philippe Tourtetelier, François Brottes et l'ensemble des élus de l'opposition. En effet, si nous avons réalisé ce travail consensuel, c'est parce que chacun y a mis du sien.
Sur plus de 2 000 amendements déposés en première lecture, 380 ont été adoptés, un quart émanant de l'opposition.
Nous avons enrichi ce texte sur de nombreux sujets. Ainsi, les travaux de notre assemblée ont permis une avancée majeure avec le renversement de la charge de la preuve. Nous avons également porté le taux de la part des énergies renouvelables de 20 % à 23 %. Dans le domaine du bâtiment et de la rénovation, un amendement a permis de prendre en compte le seuil de 50 kilowattheures. Nous avons réussi à atteindre l'équilibre grâce à un amendement porté par notre président de commission. Le sujet s'est avéré compliqué, mais tous groupes confondus, nous nous y sommes retrouvés. S'agissant des transports, nous sommes parvenus à poser le principe d'une cartographie des points de saturation du réseau ferroviaire. La création d'un fonds de capitalisation a donné lieu à une discussion importante. Comment financer le Grenelle ? Nous verrons comment décliner le principe de ce fonds de capitalisation. Cela a été aussi un apport de notre assemblée. Le domaine du fluvial, je le dis devant notre collègue Françoise Branget, a donné lieu à des débats parfois animés. Là aussi, tous les groupes politiques – dont le groupe GDR que je n'ai pas encore cité – ont apporté leur contribution. L'affectation de la taxe « poids lourds » à l'AFIFT n'était pas non plus un sujet évident. S'agissant de la biodiversité, nous avons posé le principe de la compensation pour les atteintes portées aux trames verte et bleue. Je citerai également les apports de notre collègue Jérôme Bignon sur les mesures fiscales défavorables à la biodiversité. Nous sommes également allés relativement loin sur les pesticides en intégrant les biocides dans l'objectif de réduction de 50 % des substances actives dangereuses. J'ajouterai la contribution des bandes enherbées à la continuité des trames verte et bleue. S'agissant des déchets ménagers, domaine cher à notre collègue Fabienne Labrette-Ménager, nous avons notamment renforcé significativement la lutte contre les décharges illégales. Nous avons débattu sur les risques liés à la pollution de l'air intérieur et avons décidé le lancement d'une étude affinée sur ce sujet. Un amendement de notre collègue François Brottes portant sur les ondes électromagnétiques a été adopté à l'unanimité. Je citerai enfin la fiscalité sur les stockages d'incinération et le problème de la gouvernance soulevé par notre collègue Bertrand Pancher.
Les travaux de l'Assemblée nationale et du Sénat ont donc enrichi ce texte. La commission mixte paritaire s'est réunie hier sous la coprésidence de M. Emorine et de M. Ollier. Cette séance de travail s'est avérée fructueuse et s'est conclue par l'adoption à l'unanimité du texte de la commission.
Nous sommes donc parvenus à un texte équilibré et nous avons surtout donné une belle image de l'Assemblée grâce à la réalisation d'un bon travail avec vous, monsieur le secrétaire d'État, avec vos services et vos collègues du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports.
Madame la présidente, monsieur le président Ollier, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, Jean-Louis Borloo se trouve aujourd'hui en Suède pour un conseil informel des ministres européens en charge du développement durable sous la présidence suédoise, afin de préparer les futures négociations de Copenhague. Vous comprendrez qu'il regrette beaucoup de ne pas être parmi vous.
Je me tourne vers le président Ollier et vers Christian Jacob, rapporteur, maintenant président de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, pour les remercier de l'excellent travail réalisé par leur commission. Je tiens également à vous remercier, mesdames, messieurs les députés, quels que soient les bancs sur lesquels vous siégez, pour la tâche accomplie pendant cette période. Nous avons beaucoup travaillé. On parle souvent de coproduction entre le Gouvernement et le législateur : nous sommes tout à fait dans cet esprit.
Je rappellerai très rapidement, après votre rapporteur, les apports de l'Assemblée : le renversement de la charge de la preuve, l'affirmation de la spécificité de nos territoires ultramarins, l'institutionnalisation dans la loi du comité de suivi du Grenelle, l'obligation de compenser en nature les atteintes à la biodiversité, l'accélération du programme de rénovation thermique – c'est essentiel dans cette période économique difficile – vos exigences accrues pour la production des énergies renouvelables, les trames verte et bleue, la modernisation de la tarification des déchets et beaucoup de choses encore.
Tout cela se traduit par quatre votes unanimes ou quasi unanimes et par un travail final extrêmement minutieux de la CMP. C'est donc aujourd'hui le grand jour, car votre assemblée va être amenée à se prononcer définitivement.
La suite, c'est le Grenelle 2. La commission des affaires économiques du Sénat l'a déjà examiné. Ce travail se poursuivra, avec Jean-Louis Borloo, dans les deux assemblées dès le mois de septembre, nous l'espérons.
Si nous faisons la course en tête aujourd'hui dans la lutte contre le changement climatique, nous le devons à votre engagement. C'est une oeuvre collective assez inédite, qui pouvait surprendre au départ, et qui a, finalement, entraîné une alchimie unique. Nous avons décidé ensemble de construire et de partager l'avenir.
Je remercie, par avance, l'Assemblée de son vote. Cela restera un très bel exemple de travail législatif. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, au terme d'un très large débat et d'un très large consensus qu'il me plaît encore de souligner au nom du groupe UMP, nous allons effectuer un dernier vote sur l'écriture finale, issue de la commission mixte paritaire d'hier mercredi avec nos collègues sénateurs, de ce projet de loi fondateur pour un engagement concret de lutte contre le réchauffement climatique, pour la protection de notre environnement et de notre biodiversité et pour une nouvelle croissance économique, environnementale et sociale.
Comme j'ai pu le souligner, lors des deux lectures de ce projet de loi de mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, je me félicite à nouveau de l'initiative exemplaire voulue par le Président de la République et conduite par M. le ministre d'État et ses secrétaires d'État dont vous-même, monsieur Bussereau, qui a réuni autour d'une même table l'État, les collectivités territoriales, les ONG, les professionnels, les organisations syndicales, les associations. Cette initiative a permis d'aboutir à un consensus exceptionnel, à ce premier projet de loi et à une prise de conscience, largement partagée dans l'opinion publique, de l'importance des questions climatiques et environnementales.
Je me félicite également de l'association étroite des parlementaires aux diverses rencontres, tables rondes et autres groupes constitués qui ont efficacement travaillé pendant plusieurs mois. Je vous en remercie monsieur le secrétaire d'État, comme l'a fait, avant moi, Christian Jacob.
Je pense qu'avec de nombreux collègues, nous avons concrètement contribué à la mise au point de ce projet de loi, que ce soit en commission ou plus en amont. Nous avons ainsi montré avant la réforme du travail parlementaire aujourd'hui instaurée, l'intérêt d'une coproduction législative active – vous l'avez vous-même souligné, monsieur le secrétaire d'État –, chère à notre président apprécié de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire d'il y a quelques semaines, Patrick Ollier, unanimement réélu à la présidence de la nouvelle commission des affaires économiques, coproduction législative également chère à notre président de groupe UMP, non moins apprécié, Jean-François Copé.
Une nouvelle fois encore, j'adresse mes compliments au remarquable travail mené par notre rapporteur Christian Jacob, aujourd'hui tout naturellement président de la nouvelle commission du développement durable et de l'aménagement du territoire. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Patrick Ollier et Christian Jacob ont su mener à bien l'obtention d'un accord avec nos collègues sénateurs et je ne doute pas de l'issue finale qui sera réservée à ce texte dans nos deux assemblées.
Avec ce projet de loi d'orientation, avec les dispositions réglementaires et fiscales déjà prises, la France peut s'honorer de son engagement, tant dans la démarche que dans le contenu : engagement à diminuer sa consommation d'énergie ; engagement à diminuer ses rejets de gaz à effet de serre et à développer ses énergies renouvelables, et ainsi contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique ; engagement à lutter contre la dégradation de sa biodiversité et de la qualité de ses eaux ; engagement à maîtriser les pollutions, facteurs d'atteinte à la santé au-delà de l'environnement. Ce sont autant d'engagements chiffrés, datés et soumis à évaluation régulière dans le temps.
Nous avons largement discuté de la prise en compte de la diversité de nos territoires, du rôle des collectivités territoriales, de la meilleure lisibilité possible pour l'engagement des industriels et des PME-PMI, des nécessaires formations et certifications, comme de l'indispensable soutien à la recherche et à l'innovation.
Oui, monsieur le secrétaire d'État, nous voulons nous engager avec vous, avec le Gouvernement et le Président de la République, dans la construction d'une nouvelle économie conciliant protection de notre environnement, protection de notre planète, protection de notre santé, progrès social et croissance économique, dans une société en pleine mutation et avec de nouvelles formes de gouvernance. Je suis de ceux, monsieur le secrétaire d'État, qui souhaitent que le grand emprunt pour l'avenir soit dirigé vers le développement durable et pour bonne partie vers les questions énergétiques, la recherche et l'innovation.
Le Président de la République a beaucoup oeuvré pour entraîner l'Europe sur la priorité du développement durable et de la lutte contre le réchauffement climatique. Il a réaffirmé, il y a encore peu de temps, avec ses collègues du G8 l'indispensable et urgentissime objectif de limiter à plus deux degrés l'augmentation de la température sur notre planète, sachant que des effets sont déjà irréversibles, appelant des mesures d'adaptation inéluctables.
Monsieur le secrétaire d'État, j'appelle de nouveau de mes voeux un examen du projet de loi dit Grenelle 2 devant notre assemblée à l'automne après le Sénat et avant le rendez-vous mondial, crucial, de Copenhague en décembre de cette année.
M. le ministre d'État a engagé parallèlement le Grenelle de la mer, le Grenelle de cette ressource ô combien précieuse pour notre pays comme pour notre planète. Avec lui, avec les réflexions de la commission Rocard, vous étudiez la possible instauration d'une contribution climat- énergie nationale qui oriente vers la consommation de produits non carbonés, sachant que – je l'ai bien noté –, dans le projet de loi Grenelle 2, «cette contribution sera strictement compensée par une baisse des prélèvements obligatoires de façon à préserver le pouvoir d'achat des ménages et la compétitivité des entreprises ».
Vous appuyez par ailleurs, avec le Président de la République, l'instauration d'une taxe carbone européenne aux frontières qui pénalise les pays peu respectueux de l'environnement.
Nous adhérons à ces engagements et vous appuyons dans les réunions parlementaires européennes et internationales auxquelles nous sommes amenés à participer pour que Copenhague réussisse. Des accords chiffrés doivent être trouvés entre pays développés, pays en voie de développement et pays pauvres. La partie est encore loin d'être gagnée, il y va pourtant de l'avenir immédiat des générations futures, avenir lié aux décisions urgentes d'aujourd'hui.
Pour l'heure, mes chers collègues, je vous invite tous à voter, comme le fera le groupe UMP, ce texte fondateur, je le répète, issue de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous arrivons enfin au vote définitif du projet de loi de programmation relatif à la mise en oeuvre du Grenelle de l'Environnement, dit Grenelle 1, deux ans après le lancement de la concertation.
Si nous ne pouvons que nous féliciter que le Gouvernement n'ait pas déclaré l'urgence sur ce texte, ce qui a facilité les discussions…
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est vrai !
…et permis d'arriver, compte tenu de la bonne atmosphère des débats au sein de la commission, à un quasi-consensus, nous regrettons cependant ce délai trop long entre les conclusions des tables rondes du Grenelle et l'adoption définitive du texte : la concertation a duré quatre mois, et il a fallu ensuite vingt et un mois pour le débat législatif et la transcription dans la loi.
Les reports successifs de l'examen de cette loi – et nous recommençons un peu avec le Grenelle 2 – ne peuvent que nous faire douter du degré réel d'importance que le Gouvernement accorde à ces questions, au-delà des discours. Cela dit, je sais qu'il peut y avoir des avis différents en son sein.
Si le groupe socialiste vous a proposé de préciser dans ce texte l'urgence à agir, c'est parce que le Président du GIEC nous a rappelé l'an dernier que c'était dans les dix ans qu'il fallait inverser la courbe d'émissions de gaz à effet de serre si nous voulions éviter le pire. Or perdre deux ans sur dix ans, c'est beaucoup. Et je ne parle pas des décrets d'application.
C'est d'autant plus préoccupant que, durant cette période, le Gouvernement a continué à faire voter des lois incompatibles avec l'esprit et la lettre de la loi Grenelle 1, qui aggravent la dégradation de notre environnement.
Même si nous connaissons vos efforts pour maintenir en Europe le moratoire sur la culture des OGM, pourquoi avoir fait inscrire dans la loi une disposition contraire aux conclusions du groupe de travail du Grenelle sur ce sujet ? La proposition du « droit à produire et à consommer sans OGM » est devenue « droit à produire ou à consommer avec ou sans OGM », ce qui est exactement l'inverse puisqu'on sait qu'on ne contrôle pas la dissémination des OGM.
De même, alors que, sur tous les bancs et dans nos discours, nous insistons tous sur la nécessité d'un nouveau modèle de développement privilégiant le qualitatif par rapport au quantitatif, pourquoi soutenir le modèle dépassé de la consommation dans les grandes surfaces périphériques avec la loi LME ou la loi sur le travail du dimanche, qui amène justement nos concitoyens à persévérer dans une consommation quantitative, destructrice de nos ressources, au lieu de les inciter à cultiver leurs relations familiales, sociales et culturelles liées au repos dominical ?
On peut comprendre que la question du nucléaire ait été écartée dans un premier temps de la concertation du Grenelle, pour ne pas cristalliser les débats. Aujourd'hui, puisque ce mode de concertation est reconnu comme essentiel dans cette loi que nous votons, peut-on admettre que les décisions de construction de nouvelles centrales nucléaires soient prises sans aucune concertation ? Est-ce se soucier de l'environnement des générations futures que de leur laisser des déchets radioactifs pendant des milliers d'années entreposés dans ce qui, à l'origine, ne devait être qu'un des trois laboratoires d'expérimentations d'enfouissement ?
Cette loi Grenelle 1 est très éloignée du premier texte qui a circulé et qui, lui, était une véritable loi de programmation, avec des échéances et, financièrement, des autorisations de programme. Le texte est devenu une simple loi d'orientation mais il a le mérite d'exister et il comporte des avancées réelles que Christian Jacob a rappelées.
Le suivi permanent de la réalisation de ses objectifs est essentiel et je renouvelle ma demande que l'on communique régulièrement à nos commissions des tableaux de bord assurant ce suivi. De même, cette loi prévoit un grand nombre d'études ou de rapports. Il faudra bien sûr s'assurer de leur réalisation dans les délais indiqués si nous ne voulons pas que la dynamique du Grenelle s'essouffle. Il faudra aussi les faire dans l'esprit dans lequel ils ont été proposés.
À ce propos, je voudrais insister un peu sur un sujet d'actualité, la contribution climat-énergie, à laquelle a fait allusion Serge Poignant. Elle est prévue dans le Grenelle, et certains la réduisent à une taxe carbone. Une telle ambiguïté est inquiétante. Je ne parle pas de la taxe carbone aux frontières, c'est un autre débat, mais de la contribution climat-énergie sur laquelle travaille la commission d'experts de M. Rocard.
La contribution climat-énergie, dans son principe, concerne toutes les énergies, y compris les énergies renouvelables et le nucléaire, et s'inscrit dans une démarche d'incitation générale à la sobriété et à l'efficacité énergétique et contre le gaspillage, tandis que la taxe carbone, vu son appellation, ne concerne que les énergies fossiles.
La taxe carbone est une partie de la contribution climat-énergie. Elle est nécessaire mais pas suffisante pour réorienter notre modèle de développement, comme nous le souhaitons dans nos discours. Alors, au moins dans la discussion, levons les ambiguïtés !
L'acceptation sociale de cette contribution climat-énergie est essentielle. Or elle est liée au sentiment de justice sociale dans son application. Un simple transfert d'impôts des entreprises vers les ménages est inacceptable dans son principe, et insupportable concrètement pour les ménages les plus démunis. La question d'une aide pour les ménages les moins aisés est l'une des données fondamentales si l'on veut que cette contribution soit acceptée et pérenne.
Bref, la commission doit faire une analyse en termes de développement durable et ne pas se contenter d'une taxe à efficacité économique et écologique, en négligeant l'aspect social. Sinon, la contribution climat-énergie risque d'être mort-née.
De plus, indépendamment du champ de l'application de cette mesure, les termes utilisés ne sont pas neutres : une taxe est perçue plutôt comme une punition, une contribution comme un acte positif. Même si cette contribution est imposée, on a oublié que le service qui s'occupe des impôts en général est celui des contributions directes, contribution des citoyens au développement de leur pays.
Pour assurer le changement de notre modèle de développement, il ne suffira pas de punir par une taxe l'utilisation des énergies fossiles. Il faut mobiliser l'ensemble de la société par une contribution climat-énergie universelle, socialement juste, qui permette une véritable réorientation de nos modes de production et de consommation.
En conclusion, nous réaffirmons notre soutien à ce texte (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP) qui, en dépit de ses imperfections, doit être une référence pour l'ensemble des politiques à venir, pas seulement environnementales, mais avec un objectif de développement durable, c'est-à-dire articulant l'économique, le social et l'environnemental,
C'est là que le bât blesse, et c'est ce qui explique en grande partie les dysfonctionnements actuels auxquels j'ai fait référence : cette articulation des trois pôles ne peut se faire au sein d'un ministère parmi d'autres, fût-il prestigieux. Les arbitrages ne peuvent s'exercer qu'au niveau du Premier ministre. Cette réorganisation institutionnelle pourrait être une piste de recherche au moment où chacun s'interroge sur le rôle du Premier ministre par rapport à la nouvelle pratique de la fonction présidentielle.
D'ici là, sachez que nous serons toujours très vigilants sur la mise en oeuvre des principes et actions de cette loi Grenelle 1, que nous allons voter. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les députés communistes n'étaient pas conviés à cette commission mixte paritaire. Nous n'avons donc pas pu participer à ce consensus.
Nous constatons que la CMP n'a pas porté sur des points cruciaux, et n'a évidemment pas bouleversé l'économie générale du texte.
C'est l'occasion pour nous de rappeler les interrogations que nous avons déjà développées sur le texte du Grenelle de l'environnement, notamment André Chassaigne.
La crise du capitalisme, comme la crise écologique, est le résultat des politiques néolibérales dont votre gouvernement est le plus acharné pourvoyeur.
Or ce Grenelle de l'environnement fait précisément comme si la libéralisation à tous crins n'était pas le point crucial, comme s'il n'y avait nulle contradiction entre la politique de casse sociale menée par Nicolas Sarkozy et la volonté de rompre avec le gaspillage des ressources non renouvelables, de préserver les équilibres écologiques.
Une véritable politique verte, en réalité, se montrerait rapidement incompatible avec le néolibéralisme. Elle nécessiterait un déploiement sans précédent des investissements de l'État : pour la rénovation du réseau ferroviaire existant et le renforcement du fret public, le développement d'un pôle public de l'énergie, l'essor de la recherche sur les technologies vertes, l'orientation vers une agriculture durable, une restructuration thermique du parc de logements sociaux à la hauteur, ou la mise en oeuvre d'instruments locaux harmonisés au sein de plans de développement durable.
Ces multiples chantiers nécessitent des politiques publiques ambitieuses et une refonte de la fiscalité. Ils nécessitent de changer radicalement de politique économique, d'en finir avec le gaspillage des ressources et des hommes qui est au coeur du capitalisme financier. Chacune de vos réformes n'est en réalité que la continuation de ce vaste projet qui a produit la crise. Derrière les déclarations de Nicolas Sarkozy et sa récente conversion à la régulation, le rouleau compresseur libéral continue son oeuvre. Libéralisations, privatisations, dérégulations : rien n'a changé.
On peut s'interroger sur ce gouvernement qui, d'une main, accélère les politiques de démantèlement et, de l'autre, prétend « verdir » l'économie.
Aux termes du projet de loi, l'impact des mesures relatives aux finances, à la fiscalité locale et au niveau des prélèvements obligatoires doit respecter le principe de stabilité de la pression fiscale. Voilà qui met en lumière l'esprit de votre majorité, à savoir la fiction d'une écologie à zéro coût. Comment pouvez-vous imaginer financer des mesures ambitieuses sans accroître la fiscalité sur les hauts revenus et les entreprises ? Tout est fait dans ce Grenelle pour épargner ceux qui sont en définitive les plus gros pollueurs, les principaux responsables de la crise écologique et économique.
À l'inverse, dans plusieurs de ses dispositions, ce texte frappera plus fort ceux de nos concitoyens qui ont le plus de difficultés, et épargnera une fois de plus ceux qui sont aisés.
Les dispositions qui concernent le secteur du bâtiment, qu'il s'agisse de neuf ou de rénové, en sont un exemple. Il était prévu d'adopter des normes thermiques beaucoup plus intéressantes que les normes actuelles, applicables à tous et susceptibles de créer des emplois non délocalisables. Mais des amendements de l'UMP ont amoindri ou modulé l'objectif de réduire la consommation à 50 kilowattheures par mètre carré et par an pour les bâtiments neufs et à 80 kilowattheures pour les bâtiments rénovés, et ce même dans le logement social. On mesure l'effet pervers de tels amendements : les plus défavorisés paieront plus cher en énergie, puisque leur consommation se maintiendra à 150 kilowattheures par mètre carré et par an.
De la même façon, la participation des salariés est écartée. Par exemple, la simple mention, dans le rapport annuel aux actionnaires, des avis des instances de représentation du personnel, comité d'entreprise et CHSCT, a été écartée. Pourtant, cette proposition n'avait rien de radical.
C'est une vision de l'écologie compatible avec le gaspillage économique et le néolibéralisme en crise qui nous est proposée.
Le texte a une autre grande faiblesse, c'est qu'il n'aborde pas tous les sujets, et notamment les sujets qui fâchent.
Le nucléaire, par exemple, n'est pas même mentionné dans ce vaste projet de loi d'orientation. C'est l'occasion pour moi de rappeler que le nucléaire n'est pas une énergie comme les autres, et qu'elle doit être maîtrisée uniquement et totalement par l'État et le service public. Jamais les multinationales privées ne doivent en avoir la maîtrise.
Autre oubli, autre point de frictions : les OGM. Le texte n'aborde aucunement le sujet. Peut-être que le Gouvernement a un mauvais souvenir de la motion de rejet brillamment défendue par notre camarade André Chassaigne et adoptée par notre assemblée.
On peut se demander si le Gouvernement n'a pas volontairement exclu les sujets sensibles de ce projet de loi d'orientation pour fabriquer un texte mou et consensuel. Le consensus est important, mais l'enjeu véritable, c'est de sortir de la crise écologique.
Avec ce texte, nous sommes vraiment dans le moins-disant démocratique. On aurait pu au moins s'attendre à ce que, dans la continuité du Grenelle, les organisations qui en étaient parties prenantes et qui ont une fonction de représentation des citoyens soient pleinement impliquées dans la décision. Cela aurait été conforme au souhait exprimé par le Président de la République, qui, dans un discours, évoquait la nécessité d'une véritable cogestion des questions d'environnement avec la société civile.
Cela aurait également été conforme à l'engagement n° 193 du Grenelle de l'environnement, qui évoque l'indispensable gouvernance partenariale dans la mise en oeuvre de l'expertise publique. Or le texte se contente de les associer aux instances publiques, dans un simple rôle de consultation. Elles sont aujourd'hui reléguées en dehors du processus de décision. Cela ne présage rien de bon pour l'examen de la deuxième mouture du Grenelle, qui aura lieu lors de la prochaine session.
Comme vous avez pu le constater, nous ne disons pas qu'il n'y a rien de bon dans cette loi. Nous disons qu'elle n'est pas à la hauteur des prétentions affichées ni des besoins. Votre manque d'ambition vous apporte un consensus certes, mais un consensus mou.
Pour toutes ces raisons, comme lors des deux lectures du texte, les députés de notre groupe s'abstiendront.
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Ce n'est déjà pas mal !
Depuis le début de l'examen de ce projet de loi de mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, le groupe Nouveau Centre n'a jamais fait mystère de son soutien plein et entier à ce texte, motivé par deux raisons.
Tout d'abord, ce projet de loi va permettre de doter la France d'un cadre législatif fort en matière environnementale. À l'heure du changement climatique et de l'épuisement prévisible des ressources en hydrocarbures, un changement de nos mentalités s'imposait au plus vite. Le Grenelle apparaît alors comme une chance de pouvoir envisager et impulser un système économique plus sobre, plus durable, plus respectueux de notre environnement.
Ensuite, ce texte est le fruit d'un processus de concertation original. M. le ministre d'État a été l'artisan de cette conférence des parties prenantes de l'environnement, qui a réuni pendant de longs mois collectivités territoriales, syndicats, entreprises, associations, élus. Cette démarche tout à fait innovante a permis de faire discuter des gens qui ne se parlaient jamais ou se parlaient avec difficulté. In fine, il en est ressorti un très grand nombre d'engagements consensuels, 273 au total, qui donnent à ce texte une véritable portée politique et environnementale.
Devant un tel succès, cette méthode a fait des émules et les Grenelle se multiplient, avec plus ou moins de succès, il faut bien le reconnaître. Quoi qu'il en soit, la légitimité des engagements pris passe indubitablement par une validation par le Parlement.
Il ressort des lectures dans les deux assemblées un corpus, si ce n'est complet, en tous cas très riche, sur des questions aussi diverses que le bâtiment, les transports, l'eau, l'agriculture, la gestion des déchets, l'État exemplaire.
Des mesures très ambitieuses ont été prises. Je n'en citerai que quelques unes : la rénovation thermique de quelque 800 000 logements sociaux d'ici à 2020 ; le financement de 2 000 kilomètres de lignes ferroviaires à grande vitesse également d'ici à 2020 ; la mise en place de la taxe poids lourds et du bonus-malus ; le développement de programmes de formations, des professionnels mais également des étudiants, à ces métiers porteurs ; le financement, à hauteur d'un milliard d'euros, de la recherche ; ou encore les contraintes imposées à l'État d'être également un modèle en matière de rénovation thermique, de flotte de transport, de recyclage du papier.
Certaines de ces mesures ont déjà été mises en oeuvre par le biais du projet de loi de finances pour 2009, comme, par exemple, le prêt à taux zéro, et nous félicitons M. le ministre d'État d'avoir remporté des arbitrages budgétaires difficiles. Nous attendons maintenant avec impatience le Grenelle 2, qui nous permettra de poursuivre le débat de manière bien plus concrète et bien plus technique.
Nous attendons également, mais avec plus de circonspection, de voir les conséquences de la crise économique sur le financement prévu pour les mesures contenues dans le Grenelle. Cette crise a ébranlé notre modèle occidental et notre monde et, pour en sortir, la France a fait le choix de laisser filer les déficits budgétaires. Le Grenelle et la « croissance verte » qu'il entend incarner apparaissent d'ailleurs comme l'une des solutions à ce choix difficile puisque les créations d'emplois attendues sont particulièrement nombreuses.
On peut toutefois légitimement se demander ce qu'il adviendra du Grenelle lorsque la France sortira budgétairement affaiblie de la crise. À ce moment, pour pouvoir poursuivre la démarche du Grenelle, la question de la fiscalité se posera inévitablement. Aujourd'hui, le dispositif est séduisant parce que, dans son ensemble, il n'exige pas d'efforts de la part du contribuable. Mais que se passera-t-il demain ? Les financements prévus seront-ils maintenus ? Le coût du Grenelle, estimé à 440 milliards d'euros, pourra-t-il être assumé ?
Soyez assurés que le groupe Nouveau Centre, tout enthousiaste qu'il soit sur ce texte, restera très vigilant sur les liens entre la pérennité du Grenelle et l'état de nos finances publiques, car il n'y a pas de développement durable sans finances publiques durables.
Nous serons également très vigilants sur le suivi de la mise en oeuvre de ce texte. Mon collègue Jean Dionis du Séjour n'a cessé de le marteler tout au long des discussions : le suivi à long terme des engagements, des objectifs, des délais et des moyens octroyés est l'une des conditions de la réussite du Grenelle. Nous estimons que le ministre d'État a fait de grands pas dans cette direction ; nous ne pouvons que le remercier de nous avoir écoutés, mais il faut tendre, autant que possible, vers la perfection et nous ne désespérons pas qu'il finisse, un jour, par entendre nos propositions d'une loi trisannuelle de suivi, d'une part, et d'une base scientifique indépendante, d'autre part.
Au final, ce texte, tel qu'il ressort des différentes discussions et de cette commission mixte paritaire, nous semble équilibré. Il porte en lui de grands espoirs et une véritable dynamique, ce dont témoignent les débats actuels très vifs sur la taxe carbone ; le principe de celle-ci semble aujourd'hui acquis mais ses modalités de mise en oeuvre cristallisent les inquiétudes et les oppositions.
Pour conclure avec ce texte, l'ambition du ministre d'État est de faire de la France un modèle en matière environnementale. Le défi est osé mais le texte à la hauteur. Nous partageons pleinement cette ambition ; c'est pourquoi nous voterons, toujours avec enthousiasme, les conclusions de cette commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.
(L'ensemble du projet de loi est adopté.)
Vote sur l'ensemble
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures trente-cinq, est reprise à quinze heures quarante-cinq.)
L'ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la gendarmerie nationale (n° 1827).
La parole est à M. Alain Moyne-Bressand, rapporteur de la commission mixte paritaire.
Madame la présidente, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le texte élaboré par la commission mixte paritaire concernant la gendarmerie nationale. Ce texte doit en effet aboutir dans les meilleurs délais pour mettre un terme aux interrogations des gendarmes, de leurs familles et des députés.
Avant d'insister sur ses grandes lignes, je veux me réjouir de l'excellence des échanges que nous avons eus pendant ce débat.
Les propositions formulées par tous les groupes politiques ont permis d'enrichir et d'améliorer le projet de loi. Je crois que le texte auquel nous aboutissons est équilibré, car il préserve et consacre le statut militaire des gendarmes, et réaffirme les grandes missions de la gendarmerie. Il permet, dans le même temps, à cette institution séculaire de se moderniser pour améliorer la sécurité de nos concitoyens et pour mieux répondre aux enjeux contemporains.
Onze articles avaient été votés dans les mêmes termes, il en restait donc dix-sept à examiner. Sur ceux-ci, huit ont été adoptés dans la rédaction de l'Assemblée nationale, avec des modifications formelles ou liées à l'évolution de la législation depuis le dépôt du projet de loi. Sur les neuf articles restants, seuls six ont fait l'objet de modifications substantielles par la commission mixte paritaire, les autres n'ayant nécessité que des ajustements rédactionnels.
La première avancée concerne les missions de la gendarmerie. Nous avons considéré qu'il fallait mettre un accent particulier sur la mission de police judiciaire : même si elle s'inscrit dans le cadre général des missions judiciaires, elle occupe une place à part. Le nouvel article 1er consacre donc son importance, sans pour autant écarter les autres missions judiciaires mentionnées dans la suite de l'article. Nous avons également voulu souligner notre attachement à l'ancrage territorial de la gendarmerie en rappelant qu'elle assure la sécurité et l'ordre publics, particulièrement dans les « zones rurales et péri-urbaines ainsi que sur les voies de communication ». En outre, compte tenu des auditions menées par l'Assemblée nationale, et pour éviter toute ambiguïté, nous avons conservé, parmi les missions de la gendarmerie, d'une part, la lutte contre le terrorisme et, d'autre part, le contrôle et la sécurité des armements nucléaires,
Le deuxième point d'accord porte sur la possibilité pour le procureur de la République et le juge d'instruction de choisir librement le service enquêteur. Je me félicite de cette disposition, qui n'est nullement contradictoire avec la possibilité offerte au juge d'instruction de saisir, par ailleurs, n'importe quel officier de police judiciaire.
Le troisième point d'accord concerne l'usage des armes à feu pour le maintien de l'ordre public, et celui de moyens militaires spécifiques. Il nous semble primordial d'encadrer ces usages et d'assurer la traçabilité de l'ordre donné. C'est une garantie pour nos concitoyens, mais aussi pour les gendarmes, qui doivent agir dans un cadre clairement défini. Pour ce qui est des moyens militaires, leur utilisation sera soumise à une autorisation dont les modalités seront précisées par un décret en Conseil d'État. Pour les armes à feu, leur usage doit être précédé de sommations spécifiques – nous avons à cette fin repris et renvoyé à ce qui figure déjà dans la partie réglementaire du code pénal.
J'en viens à la quatrième modification, relative à l'exercice d'une fonction élective par un réserviste opérationnel. La rédaction, adoptée à l'unanimité, permet aux réservistes d'exercer un mandat, mais empêche toute confusion puisque le réserviste ne pourra être engagé dans sa circonscription électorale.
Le cinquième changement traite de la protection de l'identité de certains fonctionnaires. Dans certaines opérations, les policiers, les gendarmes ou tout autre agent peuvent avoir besoin de travailler anonymement. La rédaction initiale semblait établir une distinction formelle entre les militaires et les gendarmes. Le nouveau texte lève cette possible ambiguïté et assure à l'ensemble des fonctionnaires concernés la même protection.
La dernière modification concerne les éléments figurant dans le rapport remis au Parlement par le Gouvernement. La formule initiale de « dualisme équitable » apparaissait délicate. Nous avons donc choisi l'expression de « parité globale » retenue par le Président de la République.
Au final, le texte élaboré par la commission mixte paritaire me semble pertinent et équilibré. Il répond aux inquiétudes de la communauté militaire. Il nous appartiendra désormais de nous assurer de sa mise en oeuvre. Je vous invite donc, mes chers collègues, à l'adopter sans réserve. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement.
Madame la présidente, monsieur le rapporteur de la commission mixte paritaire, mesdames, messieurs les députés, chacun sait que le ministre de l'intérieur s'est rendu, aux côtés du Premier ministre, ce matin, à Marseille, à la suite de l'incendie qui a ravagé plus de 1 000 hectares de forêts. C'est donc moi qui ai l'honneur, cet après-midi, de représenter le Gouvernement, et de vous dire que le texte qui vous est soumis est d'une grande importance. Il constitue, ni plus ni moins, la première réforme d'ampleur de la gendarmerie nationale depuis plus de deux cents ans.
À l'heure où se joue, dans l'hémicycle, l'histoire comme l'avenir de l'une de nos plus vieilles institutions nationales, permettez-moi, tout d'abord, de réagir sur un fait présent : vous le savez, un attentat à la voiture piégée a visé, hier matin, la gendarmerie de Vescovato, en Haute-Corse. Devant vous, qui représentez la nation, je tiens à condamner avec fermeté cet acte terroriste qui aurait pu avoir des conséquences dramatiques. Si, heureusement, aucun blessé n'est à déplorer, je rappelle que l'explosion s'est produite à proximité d'une caserne dans laquelle vivent plusieurs familles de gendarmes et alors même que des enfants se trouvaient à l'extérieur des bâtiments. Je saisis donc cette occasion pour rendre un hommage solennel aux militaires de la gendarmerie nationale et à l'ensemble des forces de sécurité intérieure de Corse. (Applaudissements.) Je sais, comme vous, le contexte souvent difficile dans lequel ils exercent leurs missions. Tous ensemble, nous devons leur exprimer notre soutien et notre confiance dans l'action qu'ils mènent au seul service de la paix publique et du respect du droit auxquels aspire, nous le savons, l'immense majorité des habitants de Corse. Il a été demandé que tous les moyens soient mis en oeuvre pour identifier, interpeller et remettre à la justice ceux qui ont fait le choix de la violence.
En outre, je réaffirme toute la détermination de l'État à faire respecter la paix et la sécurité publiques, en Corse comme sur l'ensemble du territoire national.
C'est pour répondre à ce même objectif de protection de nos concitoyens que le ministre de l'intérieur vous a présenté, voilà trois semaines, soit quelques jours seulement après sa prise de fonctions, le projet de loi relatif à la gendarmerie nationale. Je me réjouis de constater combien vous vous l'êtes approprié, combien vous l'avez commenté, combien vous l'avez enrichi. Je pense tout particulièrement aux amendements de vos rapporteurs, et à ceux de Christian Ménard et de Philippe Folliot. Je tiens également à saluer la contribution au débat de Mme Olivier-Coupeau, et plus généralement de l'ensemble de l'opposition.
Après presque huit heures de débats intenses, nous arrivons à présent au point d'orgue de la procédure législative. La commission mixte paritaire a adopté, la semaine dernière, un texte de vingt-sept articles, contre dix initialement. Ce texte est équilibré, vous l'avez dit vous-même, monsieur le rapporteur, et rencontre entièrement l'accord du Gouvernement. Je voudrais en remercier, tout particulièrement, les présidents des commissions de la défense et des lois, M. Teissier et M. Warsmann, ainsi que les deux rapporteurs,M. Alain Moyne-Bressand etM. François Vannson.
Je me réjouis que le texte adopté par la commission mixte paritaire confirme et renforce les objectifs du projet de loi. Vos débats ont montré combien nous sommes unis, tous ensemble, par un même attachement à la gendarmerie nationale. Cet attachement, vous l'avez l'exprimé par vos prises de paroles comme par vos amendements ; à droite comme à gauche, comme au centre, la volonté de pérenniser une institution qui assure avec efficacité et proximité un service public de sécurité fait l'unanimité.
Je tiens à le réaffirmer une nouvelle fois : aucune fusion n'est à l'ordre du jour. L'objectif de cette loi est le maintien de deux forces de sécurité intérieure à statuts différents, comme l'a précisé le Président de la République en novembre 2007 lorsqu'il a lancé ce travail d'intégration de la gendarmerie au ministère de l'intérieur. M. Hortefeux veillera, par conséquent, à ce que le rapprochement soit mis en oeuvre dans le respect de l'identité militaire des gendarmes.
Le ministre de l'intérieur sera également attentif à ce que ce rapprochement se déroule dans un souci d'efficacité : le rattachement organique de la gendarmerie au ministère de l'intérieur doit ouvrir de nouvelles perspectives d'amélioration du service public. Il doit favoriser les synergies, les complémentarités opérationnelles et les mutualisations, notamment dans la fonction de soutien. C'est sa raison d'être.
Vous l'avez compris, la réforme qui vous est proposée aujourd'hui n'est pas une réforme de l'institution. C'est une réforme nécessaire, pragmatique et concrète, qui permettra d'améliorer l'efficacité de notre politique de sécurité et de conforter l'identité de la gendarmerie nationale.
Au-delà de cet accord fondamental, vous avez souhaité enrichir le projet de loi par un travail parlementaire d'une grande qualité, complétant le texte tout en respectant sa cohérence.
Ainsi, vous avez tenu à confirmer la gendarmerie dans ses différentes missions, en particulier celles de défense et de police judiciaire – vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur.
Parallèlement, je me félicite que vous soyez parvenus, dès la première lecture, à un accord avec vos collègues sénateurs sur l'article 3 relatif aux prérogatives du préfet. Le Gouvernement en approuve les termes et le sens profond. Dans la formulation que vous avez retenue, cet article équilibre parfaitement le rôle de direction du préfet en matière de sécurité publique et le respect de la chaîne hiérarchique propre à la gendarmerie en application de son statut militaire.
Pour ce qui est de l'exercice d'un mandat électoral par un réserviste de la gendarmerie nationale, vous avez, là encore, trouvé le bon équilibre. Aucun mélange des genres ne sera donc possible.
De plus, de nouvelles dispositions ont été introduites concernant le transfert au ministère de l'intérieur des fonctionnaires et des agents non titulaires des services de la gendarmerie nationale. Ces aménagements étaient nécessaires à l'adaptation de l'organisation et du fonctionnement du service public, à la suite du rattachement de la gendarmerie. Cela se fera dans le respect des droits des agents tels qu'ils sont inscrits dans le texte.
Enfin, le ministre de l'intérieur et moi-même estimons tout à fait pertinent que le Gouvernement remette un rapport d'évaluation des premiers résultats du rapprochement entre la police et la gendarmerie dans deux ans, c'est-à-dire avec le recul nécessaire, plutôt que l'année prochaine, échéance qui nous paraissait un peu trop proche.
La réalisation du rapport par une instance extérieure aux services de la police et de la gendarmerie renforce cette dimension d'évaluation. Cela n'empêchera pas de faire un point sur les données chiffrées disponibles, chaque année, en particulier lors de la préparation du budget du ministère.
Enfin, je voudrais préciser le sens de deux dispositions importantes introduites au cours des débats. Il s'agit, tout d'abord, de la suppression de la procédure de réquisition de la gendarmerie pour l'exercice de missions ordonnées par le ministre de l'intérieur. C'est la conséquence logique du rattachement organique de la gendarmerie à ce ministère. Celui-ci n'a pas à requérir une force dont il dispose déjà. Cette évolution est naturellement respectueuse des libertés publiques.
Ce projet de loi est l'occasion de l'affirmer : un décret en Conseil d'État fixera les conditions dans lesquelles il pourra être fait usage des armes à feu, dans le cadre du maintien de l'ordre, par la gendarmerie nationale comme par la police nationale. Fort heureusement, l'usage des armes à feu est extrêmement rare, doit le rester et le restera.
Comme l'engagement en a été pris devant vous, ce décret garantira une traçabilité complète des ordres donnés. Cela se fera à droit constant, c'est-à-dire notamment dans le cadre de l'application des dispositions du code pénal, sans recréer une procédure aussi lourde que la réquisition écrite, et notamment par le biais de dispositifs techniques d'enregistrement des ordres. De cette façon, à chaque ordre d'usage d'une arme à feu correspondra une chaîne de responsabilité clairement établie.
De même, pour l'utilisation de moyens militaires spécifiques de la gendarmerie dans le cadre du maintien de l'ordre, un décret en Conseil d'État prévoira un dispositif d'autorisation expresse. L'engagement de ce type de moyens est et restera très exceptionnel. Par nature liée à des situations de désordre très grave, cette utilisation doit, par-delà l'émotion légitime qu'elle peut susciter chez nos concitoyens, nécessiter un encadrement très strict.
Je voudrais, en second lieu, vous rassurer concernant l'implantation territoriale de la gendarmerie. Nous partageons tous le souci d'une présence sur l'ensemble du territoire. Le maintien du maillage territorial est nécessaire pour assurer la sécurité partout et pour tous. Je note que la commission mixte paritaire a retenu la phrase suivante : « La gendarmerie nationale est destinée à assurer la sécurité publique et l'ordre public, particulièrement dans les zones rurales et périurbaines. »
En outre, les règles en vigueur concernant la compétence territoriale de la police nationale ne sont pas remises en cause. Les redéploiements entre la police et la gendarmerie sont possibles – cela s'est déjà fait – et permettent d'améliorer la cohérence du dispositif global. Le rapprochement des deux forces permettra ainsi de trouver, au cas par cas, les répartitions les plus adaptées aux situations locales.
Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le projet qui est soumis à votre vote est un texte équilibré, comme le disait à l'instant M. le rapporteur. Il s'agit d'une réforme de fond qui s'inscrit dans le long terme et qui nous donne les outils pour poursuivre l'amélioration de la sécurité de nos concitoyens.
Il ne s'agit pas d'une révolution mais d'une évolution. Celle-ci était nécessaire pour adapter les moyens aux besoins de l'époque, sans mettre en cause les spécificités qui font l'efficacité d'ensemble des forces de sécurité intérieure.
Il nous appartient, à présent, de donner tout son sens à cette réforme en concrétisant, sur le terrain, ce rapprochement entre la police nationale et la gendarmerie. Soyez-en certains, le Gouvernement veillera à ce que cette mise en oeuvre se fasse dans un souci d'équilibre, de complémentarité et d'efficacité, et ce afin de répondre au mieux aux attentes légitimes de sécurité de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d'en venir au sujet, je voudrais, une fois de plus, déplorer, au nom de l'ensemble des députés de mon groupe, ce qui est un déni de démocratie singulier et affligeant : la commission mixte paritaire, chargée de proposer un texte sur le projet de loi relatif à la gendarmerie nationale, ne comptait aucun député du groupe GDR. L'avis du troisième groupe de l'Assemblée nationale n'a, semble-t-il, aucun poids, aucune importance. Ce groupe n'a aucun droit d'expression dans la fabrication du texte commun. Cela n'est pas acceptable.
Tout au plus, sommes-nous convoqués pour sanctionner d'un vote le texte que les autres députés, de tous les autres groupes, ont confectionné. Les députés communistes sont pourtant des élus de terrain qui ont toute légitimité pour légiférer sur les forces de sécurité intérieure. Le mépris dont ils sont l'objet est particulièrement regrettable et injuste.
À la lecture du texte de compromis qui a donc été fabriqué sans nous, nous constatons que les modifications apportées sont totalement secondaires. Les problèmes de fond posés par ce texte ont été soigneusement écartés des débats en CMP ; ils demeurent donc dans sa version finale.
Le rattachement de la gendarmerie au ministère de l'intérieur a été entériné en vue d'une fusion future, comme l'atteste le dernier article du texte issu de la CMP. Il s'agit de viser « l'obtention d'une parité globale entre les personnels des deux forces. »
Cela signifie que ce rattachement au ministère de l'intérieur aura pour conséquence, à plus ou moins long terme, l'abandon du statut militaire pour les 100 000 gendarmes que compte notre pays. Il est évident que les contraintes du statut militaire empêchent toute « parité globale » avec le statut des fonctionnaires de police.
Le texte de la CMP est donc très clair sur ce point. En dépit des dénégations répétées des ministres – et encore à l'instant –, l'objectif à terme est la fusion des deux forces de sécurité intérieure.
Ce n'est pas vrai !
Nous y sommes fermement opposés, comme nous l'avons dit tout au long des débats, aussi bien au Sénat que dans cet hémicycle.
Si, comme le répète le Gouvernement, il n'est pas question de revenir sur le statut militaire de la gendarmerie, pourquoi rapprocher les deux forces ? Les gendarmes ne manqueront pas de faire remarquer qu'ils n'ont que les désagréments du statut militaire et aucun de ses avantages.
Quoi qu'il en soit, la mutualisation des moyens et le rapprochement institutionnel ne peuvent que créer des conflits entre les deux institutions. Les moyens dont a bénéficié la gendarmerie dans le cadre de la dernière loi d'orientation ont été de 20 % inférieurs à la prévision, alors que ceux de la police nationale étaient très supérieurs. Le rattachement risque donc de tourner à la mise en concurrence des deux forces.
Le projet de loi relatif à la gendarmerie nationale nous inquiétait sur deux points principaux, les articles 2 et 3, qui suppriment la procédure de réquisition légale et qui placent les responsables régionaux de la gendarmerie sous l'autorité du préfet.
La rédaction issue de la CMP des articles 2 et 2 bis, qui restaure les garde-fous concernant la suppression de la procédure de réquisition légale et l'utilisation de moyens militaires spécifiques par les forces de sécurité intérieure, nous paraît préférable à celle du texte de l'Assemblée. Ces garde-fous sont indispensables, et il est nécessaire d'encadrer l'utilisation de moyens militaires spécifiques par un décret en Conseil d'État, et non par un décret simple.
Le statut militaire de la gendarmerie, à l'article 3, est fragilisé par la mise sous la tutelle préfectorale des responsables départementaux de la gendarmerie. Le statut militaire se caractérise en effet par l'existence d'une chaîne hiérarchique. Or l'autorité préfectorale entre manifestement en contradiction avec celle-ci.
Le Gouvernement prétend que l'autorité préfectorale entérine la suprématie de l'autorité administrative et civile sur l'autorité militaire, mais pourtant il supprime la procédure de réquisition légale qui est justement la procédure formelle par laquelle se matérialise cette suprématie.
Aussi, la nouvelle rédaction des articles 2 et 3 n'a pas levé nos inquiétudes de fond, notamment quant à une nécessaire traçabilité des ordres donnés aux gendarmes. Pour le reste, l'économie générale du texte n'est pas remise en cause.
C'est l'occasion pour nous de rappeler notre opposition à cette réforme que personne ne souhaitait : ni les policiers, ni les gendarmes. Chacune de ces deux forces souhaitait en effet surtout conserver son budget, ses effectifs et son périmètre de missions. Avec ce texte, ce ne sera pas le cas.
Ce ne sont pas non plus les élus locaux qui ont réclamé ce projet de loi. En effet, ils ne peuvent que redouter que la révision générale des politiques publiques prive les collectivités territoriales d'effectifs. Or c'est la conséquence principale de ce texte.
Ce n'est pas vrai !
Comme nous l'avons déjà remarqué lors de l'examen du texte, aucune directive européenne, à notre connaissance, ne nous exhorte à placer nos deux forces de sécurité sous la tutelle d'un seul ministère, ni même à les faire entrer dans le jeu de « concurrence libre et non faussée. »
Aucun dysfonctionnement de la gendarmerie ne peut non plus justifier cette ardeur réformatrice et la procédure d'urgence déclarée. Alors pourquoi faire adopter en catastrophe cet arsenal juridique ?
Pour ce gouvernement, il ne peut s'agir que d'ouvrir des brèches dans le statut des gendarmes, en vue de futures restructurations et, nous en avons désormais la confirmation par la nouvelle rédaction de l'article 11 du texte, d'une fusion de la gendarmerie et de la police.
Les restructurations sont déjà en cours. Ce projet s'inscrit dans la volonté d'appliquer la fameuse RGPP aux forces de maintien de l'ordre. Dans ce cadre, je rappelle les chiffres : 3 500 postes de gendarme seront supprimés d'ici à 2012 ; le plan social devrait entraîner la suppression de sept ou huit escadrons de gendarmerie mobile ; et selon Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale, il est programmé que la police nationale perde 4 829 équivalents temps plein sur les trois ans à venir, soit la quasi-totalité des postes créés par la LOPSI.
Dans le même temps, la police aux frontières doit prendre en charge les centres de rétention administrative, jusqu'alors gérés par la gendarmerie, ce qui représente un effort de 600 équivalents temps plein. La création d'une centaine d'unités territoriales de quartier et de compagnies de sécurisation nécessite quant à elle le redéploiement de 4 000 équivalents temps plein.
Le chef de la police a posé lui-même la question : « Comment faire pour trouver tous ces fonctionnaires ?» Cette question a toute sa pertinence après le gigantesque plan social de la loi de programmation militaire 2009-2014 – 54 000 postes supprimés – et eu égard au dogme néolibéral de non-remplacement d'un poste de fonctionnaire sur deux.
D'ailleurs, le projet de loi sur la mobilité des fonctionnaires n'est pas de nature à nous rassurer sur ce point. En effet, selon l'article 3, issu de la CMP sur ce texte, « tous les corps militaires sont accessibles, par la voie du détachement suivi, le cas échéant, d'une intégration, aux fonctionnaires. » Cette disposition est typiquement dans la logique d'une recherche de « parité globale » entre la police et la gendarmerie, ainsi que je le montrais tout à l'heure. Elle semble être taillée sur mesure pour détruire toujours plus de postes pérennes à statut militaire, et répondre aux exigences de la RGPP.
À écouter le Gouvernement, ce projet de loi ne serait qu'une réforme de simplification ou d'une mise en cohérence. Nous y voyons plutôt une complexification d'institutions qui fonctionnent parfaitement, le tout dans l'objectif de favoriser, à terme, la fusion des deux forces.
D'une façon générale, tout est fait pour que les gendarmes n'aient plus que les inconvénients du statut militaire, sans en avoir les avantages. De cette façon, le Gouvernement espère que ce sont eux qui en viendront à revendiquer l'harmonisation statutaire. C'est la logique néolibérale, la vôtre : détricoter la cohérence des services publics pour les rendre moins efficaces et ainsi légitimer leur suppression ou leur restructuration.
La stratégie qui consiste à rapprocher deux institutions pour « faire des synergies », « des économies d'échelle » ou « supprimer les doublons » est totalement inefficace et sème la pagaille plutôt qu'autre chose. À titre d'exemple, le naufrage de la fusion entre les ASSEDIC et l'ANPE est éloquent.
Réformer le statut et l'outil de travail de 100 000 hommes et femmes ne se fait pas à la légère. Cela pose de multiples questions en termes d'organisation du travail, de temps de travail, de rémunération, autant de problématiques que ce projet de loi, placé en procédure d'urgence, n'aborde pas.
Partout où ce Gouvernement néolibéral veut faire des simplifications, partout cela installe la confusion et la pagaille. Il y aura désormais des compétences croisées entre les ministères de la défense et de l'intérieur. S'agissant de la gendarmerie, le ministère de la défense conservera ses prérogatives en matière disciplinaire et pour les opérations militaires proprement dites.
Plutôt que d'une simplification, on voit bien qu'il s'agit tout au contraire d'une complexification. Les députés communistes, républicains et du parti de gauche voteront contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais d'abord saluer la très grande qualité du travail qui a été accompli, depuis le début de notre discussion, par le rapporteur Alain Moyne-Bressand.
C'est en particulier grâce à la qualité de ce travail et aux liens établis avec le rapporteur du Sénat, Jean Faure, que les travaux de la commission mixte paritaire ont été éclairés, simplifiés, et qu'ils ont conduit au texte sur lequel nous aurons à nous prononcer tout à l'heure.
Ce texte, me semble-t-il, répond à toutes nos grandes attentes en matière de sécurité publique. Celles-ci sont de trois ordres.
La première attente est que la sécurité publique soit confiée, demain comme hier, à deux forces distinctes relevant de statuts différents : une force qui est et restera civile – la police nationale ; une force militaire, qui le restera également – la gendarmerie nationale.
Le texte est explicite sur ce point, puisque son article 1er précise bien que la gendarmerie est une force armée.
L'article 5 précise quant à lui que la situation des gendarmes relève, non du statut général de la fonction publique, mais du code de la défense, lequel prévoit des sujétions et obligations particulières en matière d'emploi et de logement en caserne, et, en contrepartie, un classement indiciaire ainsi qu'un régime indemnitaire particuliers. Il n'est donc pas question d'opérer ou de préparer une quelconque fusion des corps ni d'aligner les statuts des uns et des autres. Si l'ambition du texte est, comme l'a indiqué le Président de la République et comme vient de le rappeler M. le ministre, d'aller vers une parité globale entre la police et la gendarmerie, il est clair que les règles qui régissent les deux corps resteront différentes et que seront respectées leur culture, leur identité et leurs valeurs respectives.
La deuxième attente est que la sécurité publique, qui représente, aux yeux de nos concitoyens, une mission unique, soit assurée par une autorité unique. Cette autorité est tout naturellement celle du ministre de l'intérieur, lequel a toujours été regardé comme le ministre responsable de la sécurité publique, ce qui est paradoxal puisque, jusqu'au 1er janvier de cette année, il n'avait pas d'autorité hiérarchique – ou organique – sur la force couvrant 95 % du territoire national.
Songeons que, jusqu'à une période récente, l'harmonisation des statistiques en matière de délinquance n'était pas assurée entre les deux forces. Chacun se souvient sans doute des exercices auxquels devaient se livrer le directeur général de la police nationale et celui de la gendarmerie nationale au mois de janvier ou de février de chaque année, lors de la présentation des statistiques de l'année précédente : l'un et l'autre invitaient à prendre ces dernières avec beaucoup de prudence, car, disaient-ils, elles n'étaient pas établies selon les mêmes règles dans chacun des deux corps.
Or il est évident qu'un fléau unique appelle un traitement unique : c'est ce que permettra le rapprochement des deux corps et l'autorité unique du ministre de l'intérieur.
Le rapprochement induit naturellement la mutualisation des moyens. Si celle-ci porte sur les commandes publiques, la gestion de la logistique ou certaines formations civiles, il est clair qu'elle ne signifie pas une fusion. Chacune des deux forces gardera sa liberté à l'égard de l'autre s'agissant de l'utilisation de ses moyens. Le coeur de la présente réforme est d'assurer une plus grande efficacité par le commandement unique, la mutualisation des moyens et l'indépendance totale des deux forces l'une par rapport à l'autre.
Troisième attente : la suppression des réquisitions en matière d'ordre public, au sujet de laquelle on ne peut qu'être sensible aux arguments constamment invoqués par le ministre. Dès lors que le ministre de l'intérieur a une autorité hiérarchique sur les services de la gendarmerie, il est clair que la réquisition n'a plus lieu d'être. Cependant, même sans cette mesure administrative de rattachement de la gendarmerie au ministère de l'intérieur, la remise en cause des réquisitions restait nécessaire. Tous ceux qui ont eu à traiter des situations intéressant l'ordre public savent bien que les manifestations sont beaucoup plus imprévisibles que par le passé et qu'elles ne se déroulent jamais complètement comme prévu. De sorte que le dispositif imaginé lors de la rédaction de la réquisition ne correspond que très rarement aux situations concrètes auxquelles on est confronté. Dans ce système, les responsables de l'ordre public avaient deux solutions : ou modifier la réquisition en cours de manifestation – mais on conçoit la perte de temps que cela représente et les difficultés qui en résultent pour les opérations de maintien de l'ordre –, ou abandonner la réquisition en donnant la priorité à l'ordre public ; on régularisait alors a posteriori une solution particulièrement choquante au plan juridique.
Le nouveau dispositif permettra d'éviter cet inconvénient. Il présente en outre l'avantage majeur de conférer aux gendarmes, lors des interventions dans les manifestations, la même souplesse de manoeuvre que celle dont ont toujours disposé les personnels de la police nationale. Il n'y avait en effet aucune justification, en matière d'ordre public, pour que l'intervention de la gendarmerie nationale soit soumise à des contraintes, parfois même à des entraves, que ne connaissait pas la police nationale. Cette souplesse, d'ailleurs, existait avant 1924, date à laquelle a été instaurée l'obligation du recours aux réquisitions, qui tenait elle-même à la création des unités de gardes mobiles. C'est parce que ces unités nouvelles n'étaient pas habituées à intervenir en matière d'ordre public qu'il a semblé prudent de les encadrer par la voie des réquisitions. Cependant, personne ne peut dire aujourd'hui que les unités de la gendarmerie départementale ou de la gendarmerie mobile ne sont pas préparées à de telles interventions.
Bref, l'objet de cette mesure n'est en aucun cas de banaliser le statut de la gendarmerie ou de l'aligner sur celui de la police nationale ; il s'agit seulement de donner à la gendarmerie nationale les mêmes moyens d'intervention que ceux dont dispose depuis toujours la police nationale. J'ajoute que cette mesure est l'occasion pour la représentation nationale d'exprimer sa confiance aux gendarmes, non seulement dans leurs activités de maintien de l'ordre, mais plus généralement en matière de sécurité publique, qu'il s'agisse de prévention ou d'actions judiciaires. Je profite donc de cette intervention pour exprimer à l'ensemble des unités de la gendarmerie nationale, départementale et mobile, notre estime et notre reconnaissance pour le travail qu'elles accomplissent nuit et jour sur le terrain.
Pour toutes ces raisons, le groupe de l'UMP votera le présent texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte définitif du projet de loi relatif à la gendarmerie que nous examinons cet après midi peut être envisagé de deux manière, selon que l'on est optimiste ou pessimiste. Dans le premier cas, on peut considérer que cette séance conclut un processus : celui du détachement de la gendarmerie nationale du ministère de la défense. Si l'on est pessimiste, ce texte entame le processus de disparition de la gendarmerie nationale comme force armée en charge de la totalité du spectre des missions de police. L'histoire tranchera.
M. le ministre de l'intérieur nous a assuré à plusieurs reprises qu'il était attaché à conserver à la gendarmerie nationale toutes ses spécificités, à commencer par son statut militaire. Je crois en sa sincérité. Aussi, je ne doute pas qu'il aura à coeur de tenir le plus grand compte de notre souhait de voir cette institution multiséculaire prospérer. Évidemment, les gendarmes se feront leur propre idée sur l'estime que leur porte un gouvernement qui juge bon de remettre en cause leur rattachement historique au ministère de la défense, qui a tenté de remettre en cause le caractère cardinal de la mission de police judiciaire, et qui fait passer devant le conseil d'enquête le premier officier ayant donné le sentiment d'exprimer des réserves publiques sur le processus en cours.
II sera aussi assez difficile de faire croire à quiconque que l'examen, lors de l'avant-dernier jour de la session extraordinaire, de ce texte issu de la commission mixte paritaire, est une marque de considération à l'égard de la gendarmerie. Lorsque l'on a sept mois de retard sur la date d'entrée en application d'un projet de loi, on peut attendre quelques semaines de plus afin d'éviter que celui-ci soit voté dans les pires conditions.
Les députés socialistes, radicaux et citoyens ont abondamment évoqué devant notre assemblée les raisons pour lesquelles ils étaient farouchement hostiles au rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur. Cela dit, force est de constater que la commission mixte paritaire a bien travaillé. Le groupe SRC est d'ailleurs heureux de ce que certaines des réserves qu'il avait exprimées aient été reprises par la commission.
Je m'abstiendrai de faire la recension exhaustive des mesures arrêtées de façon commune. Mais je veux revenir sur un certain nombre de dispositions qui me semblent importantes.
Sénateurs et députés n'ont eu de cesse de rappeler leur attachement à la gendarmerie nationale ; il faudra désormais veiller, mes chers collègues, à ce que les actes soient en accord avec les paroles. Le projet de loi a été aménagé, notamment à l'initiative des sénateurs – qui ont joué un rôle important –, afin de consacrer le dualisme des forces de sécurité. Cependant, le compte n'y est pas tout à fait : voila donc un point qui nécessitera une attention particulière.
On nous a répété que ce projet de loi serait technique et qu'il viserait simplement à mutualiser les moyens et à coordonner les forces. Attention, mes chers collègues : rappelons-nous que l'ultime coordination reste la fusion ! Quant aux mutualisations, elles existent déjà dans bien des domaines ; celles à venir me laissent rêveuse. Prenons, par exemple, la flotte des hélicoptères, qui sera mutualisée. Bravo ! Sauf que la police nationale n'a aucun hélicoptère. La mutualisation est donc, en l'occurrence, une forme de confiscation.
Est-ce un procès d'intention ? Non. De façon générale, j'ai été extrêmement troublée par l'attitude de quelques grands noms de la police nationale, que j'ai trouvés moins soucieux de la coordination des forces que de la défense de leur pré carré. La vigilance s'impose donc.
La CMP a rétabli la police judiciaire au rang des missions essentielles de la gendarmerie nationale ; c'est une excellente chose. Mais j'avoue avoir encore du mal à comprendre pourquoi ce point avait soulevé tant de difficultés, et pourquoi il aurait fallu diluer la police judiciaire au sein de missions dont la plupart sont qualifiées de « tâches indues » par l'administration. La question qui se posait, dès lors, était de savoir qui, dans notre pays, souhaitait avoir le monopole de la police judiciaire. Je n'ai pas de réponse, mais me félicite de ce que le texte reconnaît le caractère essentiel de la mission de police judiciaire de la gendarmerie nationale.
En revanche, j'avoue mal saisir encore la raison pour laquelle le renseignement, l'information des autorités publiques, la lutte contre le terrorisme et la protection des populations ne sont que des contributions, et non des missions. Je le répète : soit le renseignement fait partie des missions de la gendarmerie nationale, comme il fait partie de celles d'autres institutions, et il est dès lors normal que la gendarmerie y affecte une partie de ses moyens ; soit ce n'est pas une de ses missions, et la question de la contribution ne se pose pas.
La rédaction finale de l'alinéa 9 de l'article 1er est à cet égard ambiguë, car elle peut laisser croire que la gendarmerie nationale reçoit des directives d'un autre service de l'État dont le renseignement serait la mission essentielle. Cette approximation conceptuelle et juridique est d'autant moins compréhensible que, de tous temps, le renseignement et l'information des autorités ont été des missions de la gendarmerie nationale. Ce recul doit donc être déploré.
J'en viens maintenant à l'un des points les plus importants : la suppression de la réquisition légale pour l'emploi des unités de gendarmerie. Je veux le dire encore une fois : aucun des arguments présentés pour justifier cette suppression ne résiste à l'examen.
Contrairement à ce qu'ont affirmé le Gouvernement et certains de nos collègues de la majorité, la réquisition n'était pas l'acte par lequel l'autorité préfectorale demandait au ministère de l'intérieur l'autorisation d'employer des escadrons de gendarmerie mobile : c'est l'acte légal par lequel l'autorité civile requiert la force armée sur le territoire de la République pour les besoins de la défense et de la sécurité civile.
Il est donc erroné d'expliquer que le passage de la gendarmerie nationale sous la tutelle du ministère de l'intérieur rendrait ce besoin caduc. Soit la gendarmerie nationale est une force armée, et la réquisition doit demeurer. Soit on supprime la réquisition, et l'on remet de facto en cause le caractère militaire de la gendarmerie nationale. Ce point fondamental explique sans doute la gêne de nos collègues sénateurs, qui ont plaidé pour le maintien de la réquisition dans certains cas.
J'ajoute que personne ne peut être dupe, là non plus, des arguments qui avancent la nécessité de simplifier une procédure trop lourde. Jamais la communication n'a été aussi simple que de nos jours. Lorsqu'on connaît les infrastructures de l'État en la matière et lorsqu'on sait que chaque escadron de gendarmerie est doté de ses propres moyens de communication, l'argument de la suppression de la réquisition au profit de l'efficacité opérationnelle ne tient pas. Les causes justes n'ont pas besoin de mauvais prétextes. Or ce prétexte-là est particulièrement désagréable.
J'ai pris bonne note d'un engagement, malheureusement encore un peu vague, sur la conservation d'un formalisme en matière de fixation des missions de maintien de l'ordre, sous forme d'instructions écrites. J'en accepte l'augure, monsieur le ministre. Le formalisme de la réquisition ou l'ordre écrit représentent un avantage dont nous devons avoir conscience. Les militaires le savent bien : la rédaction d'un ordre formalisé oblige le chef à se placer face à lui-même. Il doit exprimer clairement l'« effet final recherché » et s'interroger sur l'adéquation des moyens dont il dispose à l'objectif de la mission. La suppression de tout ordre écrit ouvrirait la porte à bien des choix malheureux.
Par ailleurs, l'ordre écrit rend le subordonné libre, car il fixe le cadre dans lequel celui-ci peut user de sa liberté d'action. L'ordre écrit est un contrat de confiance entre le préfet et le commandant de l'escadron de gendarmerie mobile. Lui seul garantit la légitimité de l'usage de la coercition. C'est en tant qu'acte démocratique qu'il doit être préservé. Il m'a semblé que, in fine, un consensus s'était dégagé parmi les parlementaires en faveur de la conservation des ordres écrits systématiques en matière de maintien de l'ordre. Nous espérons que le ministre des gendarmes ne nous décevra pas.
J'évoquerai maintenant en quelques mots la question du libre choix du service enquêteur par l'autorité judiciaire. La commission mixte paritaire a réintégré dans la loi la faculté offerte au juge d'instruction et au parquet de choisir librement, au sein des formations compétentes de la gendarmerie ou de la police nationale, les officiers de police judiciaire auxquels ils confient des missions. Certains ont pu considérer que cela allait sans dire. Les députés socialistes, quant à eux, considèrent que le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur a au contraire ouvert tout le champ des interrogations possibles. Cette précision est donc utile et même indispensable. Et nous nous en félicitons.
Sur le point de clore un tour d'horizon qui ne se prétend pas exhaustif, je veux dire un mot au sujet de la modification de l'article L. 46 du code électoral. Je rappelle que les députés socialistes, radicaux et citoyens sont par principe favorables à l'éligibilité de tous les militaires. Je ne développerai pas ici les raisons pour lesquelles il nous semble inutile, de nos jours, de maintenir les militaires dans un statut citoyen bâtard, vestige d'une époque – 1872 – où la haute hiérarchie militaire avait des inquiétudes concernant la discipline. Toutefois, j'avoue mal comprendre le soupçon qui pèse sur les réservistes de la gendarmerie nationale détenteurs d'un mandat électif, à qui l'on interdit de servir comme gendarme au sein de leur circonscription d'élection. Certains collègues ont vaguement évoqué d'éventuels conflits d'intérêts. S'il en est ainsi, monsieur le rapporteur, je ne doute pas que vous pourrez indiquer à l'Assemblée combien de réservistes de la gendarmerie, élus et servant au sein de leur circonscription d'élection, ont dû être rappelés à l'ordre ou punis pour s'être livrés à de coupables mélanges des genres. Pour ma part, je ne connais aucun cas et je fais remarquer que la hiérarchie a toute latitude pour affecter un réserviste là où cela lui semble souhaitable. Je ne souscris donc pas à cette forme de stigmatisation a priori de nos collègues élus qui servent au sein de l'Arme.
Enfin, je regrette vivement que la commission mixte paritaire ait souhaité remplacer, à l'article 11, l'expression « dualisme équitable » par « parité globale ». Le fait que l'administration utilise cette dernière expression ne me semble pas une bonne raison pour contraindre le législateur. La notion de « parité globale » me paraît parfaitement imprécise. En revanche, la notion de « dualisme équitable » avait l'immense mérite de consacrer cette notion de dualisme des forces à laquelle nous nous disons tous particulièrement attachés. En commission, et à propos de l'un de nos amendements, Mme Alliot-Marie s'était prononcée en faveur de cette expression. Il est dommage qu'elle n'ait pas été retenue.
En conclusion, monsieur le ministre, tout en me félicitant du travail considérable qu'ont accompli les assemblées, je ne peux que regretter que ce texte soit entaché d'un péché originel : péché de gourmandise qui consiste à faire grossir le ministère de l'intérieur plus que de raison ; péché d'avarice qui toise la gendarmerie de la République à l'aune d'économies virtuelles.
Le Président de la République a repoussé l'idée de fusion entre la gendarmerie nationale et la police, du moins, a-t-il finement ajouté, tant qu'il serait président. Après le Président Sarkozy, me direz-vous, c'est la gauche qui sera aux affaires. Je vous le concède. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Ah non ! Je ne vous souhaite aucun mal !
Or les députés du groupe SRC sont totalement et définitivement opposés au rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur. Nous sommes donc pleinement rassurés. Mais, par conviction et par fidélité à nos propositions en la matière – que notre collègue Jean-Jacques Urvoas, secrétaire national du parti socialiste chargé de la sécurité, a synthétisées dans un document que je vais vous remettre, monsieur le ministre, et que je vous prie de bien vouloir transmettre à M. le ministre de l'intérieur –, les députés du groupe SRC voteront contre la version finale du projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.
(L'ensemble du projet de loi est adopté.)
L'ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique (n° 1830).
La parole est à M. Jacques Alain Bénisti, rapporteur de la commission mixte paritaire.
Madame la présidente, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, nous voici enfin parvenus à la dernière étape de l'examen du projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique, qui a été déposé il y a plus d'un an. Ce texte a suivi lui aussi, entre-temps, un vrai parcours, puisqu'il a été adopté par le Sénat le 29 avril 2008, et n'est revenu à l'Assemblée nationale que le 7 juillet dernier.
Certes, cela a permis de l'enrichir substantiellement, d'abord au cours des débats parlementaires, mais aussi grâce aux nombreuses auditions des agents et de leurs représentants tout au long de l'année écoulée. Certains articles nouveaux émanent des propositions qu'ils ont ainsi eu l'occasion de formuler. Il est ainsi passé de seize articles à dix-huit après les débats au Sénat, puis à quarante-cinq après son examen par notre assemblée.
Parmi ces articles, il faut rappeler que de nombreuses dispositions étaient très attendues par les fonctionnaires, car elles vont considérablement améliorer le déroulement de leurs carrières. Je pense notamment à toutes celles qui favorisent la mobilité entre des postes de niveau comparable, en supprimant les obstacles liés à l'existence de corps différents, et qui vont interdire à l'administration de s'opposer au départ d'un fonctionnaire. C'est également le cas de la nouvelle procédure de réorientation professionnelle, qui crée un véritable accompagnement humain des fonctionnaires qui doivent être reclassés dans le cadre des modernisations de services effectuées pour la révision générale des politiques publiques. De plus, le projet de loi garantit désormais l'emploi des agents contractuels lorsqu'une activité est transférée d'une personne morale à une autre.
Le projet de loi comprend également plusieurs mesures qui vont permettre une meilleure gestion des ressources humaines, notamment en offrant plus de temps pour la réflexion dans les décisions de recrutement, grâce à la possibilité de faire appel à l'intérim pendant l'importante période de consultation des candidats à un poste. De même, pour améliorer le bon fonctionnement des petites collectivités, ce texte va faciliter le partage de mission des fonctionnaires dans les zones rurales.
Quant à la commission mixte paritaire chargée d'examiner les dispositions restant en discussion, elle s'est réunie le 8 juillet dernier au Sénat et a adopté l'essentiel des dispositions nouvelles introduites par l'Assemblée nationale. Je voudrais d'ailleurs à cet égard remercier mes collègues du Sénat. Parmi ces principales modifications, on peut citer : l'encadrement de la procédure de réorientation professionnelle, avec la précision selon laquelle les emplois proposés doivent tenir compte du lieu de résidence habituel de l'agent, qui est celui où habite sa famille, où ses enfants vont à l'école et où son conjoint travaille, et la priorité accordée, pour les mutations, aux agents en réorientation ; les dispositions relatives aux fonctionnaires territoriaux momentanément privés d'emploi, avec, désormais, l'encadrement des suppressions d'emploi et la création d'une véritable obligation de recherche d'emploi, notamment dans la fonction publique territoriale pour le fonctionnaire pris en charge par le centre de gestion ou par le CNFPT ; l'extension de la saisine obligatoire de la commission de déontologie aux membres des cabinets ministériels et la possibilité pour la commission de s'autosaisir ; la généralisation – enfin ! – du remplacement de la notation par un entretien professionnel, dans la fonction publique de l'État, cela existant déjà dans la fonction publique territoriale ; l'alignement des droits des fonctionnaires territoriaux sur ceux des fonctionnaires de l'État en matière de garantie individuelle du pouvoir d'achat, le GIPA, de monétisation des comptes épargne-temps et de financement par l'employeur de la protection sociale complémentaire ; enfin, la possibilité, pour le ministère de l'éducation nationale, de conclure des conventions avec des associations afin que les enfants atteints d'un handicap puissent être suivis de manière continue par des auxiliaires de vie scolaire.
Sur toutes ces questions, traitant désormais d'une véritable harmonie de la direction des ressources humaines des trois fonctions publiques, la commission mixte paritaire n'a apporté que des modifications de nature rédactionnelle.
En revanche, sur proposition du rapporteur du Sénat, notre collègue Hugues Portelli, la commission mixte paritaire a supprimé l'article 27 du projet de loi, qu'avait inséré l'Assemblée nationale et qui habilitait le Gouvernement à modifier par ordonnance certaines dispositions législatives du code de justice administrative afin de modifier les règles de recrutement des magistrats administratifs, de moderniser leur statut et de simplifier les procédures contentieuses lourdes.
Sous cette réserve, le texte de la CMP est parfaitement conforme à ce que nous avions voté le 2 juillet. Je vous invite donc, mes chers collègues, à le voter, afin que cette réforme, tant attendue par plus de 5 millions d'agents des trois fonctions publiques, puisse enfin entrer en vigueur, que le parcours du combattant que représentait la mobilité interfonction publique ne soit désormais plus qu'un lointain souvenir et que cette véritable modernisation participe activement à l'attractivité de l'administration de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement.
Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, le Gouvernement se réjouit de vous retrouver aujourd'hui pour l'examen du texte définitif du projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique, tel qu'issu des travaux de la commission mixte paritaire qui s'est réunie le 9 juillet dernier.
Il a fallu plus d'un an et beaucoup de détermination pour faire aboutir ce projet. Cette année n'a pourtant pas été vaine : elle a permis au Gouvernement et à la représentation nationale de faire mûrir et de préciser un projet initial ainsi passé de seize à quarante et un articles. C'est dire combien le champ de la modernisation de la fonction publique est vaste et complexe, et les sujets dont nous traitons concrets. Au-delà de l'austérité de nos articles de loi, ce sont des situations individuelles et les modalités de fonctionnement des services publics qui sont en jeu, et je sais tout le travail qu'il a fallu mener pour construire un subtil équilibre entre les droits et les devoirs, entre les obligations et les nécessités.
Je tiens à adresser mes remerciements à tous ceux qui ont participé à ces débats, en commission comme dans les services, dans la majorité présidentielle comme dans l'opposition.
Je fais naturellement une place particulière dans ces remerciements aux présidents des commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat, ainsi qu'aux deux rapporteurs, que je salue. Sans leur intelligence et leur sagacité, nous n'aurions pas pu aboutir. La façon dont la commission mixte paritaire a su travailler me semble exemplaire en la matière.
Malgré les évolutions qu'a connues ce projet de loi au gré de nos échanges et des interventions des uns et des autres, nous sommes restés fidèles à notre conviction première. Rendre les carrières plus attractives et plus diversifiées, permettre à chaque fonctionnaire de découvrir les différents métiers et les différents territoires de l'État, s'assurer que chaque fonctionnaire qui le souhaite puisse changer de métier ou de région : voilà notre ambition. Il faut faire circuler les hommes, les idées et les compétences : c'est la condition d'un État moderne et dynamique, mais c'est aussi la condition pour que les fonctionnaires soient heureux et fiers de la mission qu'ils accomplissent.
Certes, le chemin est encore long : on estime aujourd'hui à moins de 5 % la part des fonctionnaires qui servent hors de leur corps d'appartenance. Comment s'étonner, dès lors, que la mobilité soit une préoccupation centrale des fonctionnaires ? Nous l'avons directement observé lors de nos déplacements sur le terrain, et je le constate à chacune de mes rencontres avec les fonctionnaires et leurs représentants. Selon une enquête IPSOS, 86 % des fonctionnaires estiment qu'une fonction publique moderne doit donner à ses agents la possibilité de changer de métier.
Le projet de loi que nous vous présentons aujourd'hui est le fruit d'une intense concertation. Je mesure combien ce terme est parfois galvaudé, mais je veux le dire ici avec force : personne ne saurait dire que ce texte a été écrit en catimini, sans concertation ou sans discussion. Cela ne signifie naturellement pas que tout le monde soit d'accord sur tout, mais les échanges ont eu lieu. Personne ne pourra donc reprocher au Gouvernement un manque de dialogue sur ce projet de loi. Concerter ne signifie pas pour autant renoncer à ses objectifs. Nous avons pris acte de désaccords avec certains syndicats sur des orientations politiques, tout en restant ouverts sur les modalités de mise en oeuvre de ces orientations.
Le texte sur lequel vous allez vous prononcer répond parfaitement aux trois objectifs initiaux du Gouvernement.
Premier objectif : lever tous les obstacles juridiques à la mobilité des fonctionnaires. Les entraves statutaires qui existent trop souvent pour exercer des missions de niveau comparable sont supprimées. Prenons l'exemple d'une secrétaire administrative qui aurait des connaissances en matière de dossiers de subventions agricoles : aujourd'hui, elle ne peut pas exercer cette mission au sein d'une direction territoriale de l'agriculture, car le statut particulier du corps de « technicien supérieur de l'agriculture » ne prévoit pas le détachement en son sein d'une secrétaire administrative. Demain, ce sera possible.
Deuxième objectif : créer les conditions qui permettront d'assurer la modernisation, la continuité et l'adaptabilité du service. La réforme de l'État va conduire à des restructurations de services. Le projet de loi offre des dispositifs inédits pour permettre aux services de fonctionner et aux agents de garder un emploi. C'est une bonne chose, et une chance pour l'avenir de la fonction publique. Aujourd'hui, par exemple, si un agent travaille à temps non complet pour l'État dans un monument historique isolé, il ne peut pas prendre un emploi complémentaire dans les services éducatifs ou culturels d'une collectivité locale voisine. L'agent est donc maintenu dans la précarité : c'est absurde. Grâce à cette loi, un tel cumul sera désormais possible.
Troisième objectif : mettre en oeuvre des mesures de ressources humaines modernes qui faciliteront les parcours de carrière et valoriseront le mérite. D'importantes mesures sont proposées en matière d'accès par concours et de promotion, en matière d'évaluation, de suppression de limites d'âge ou de création de statuts d'emplois dans la fonction publique territoriale. Ce sont là des outils indispensables pour une gestion moderne des ressources humaines. Ainsi, par la loi qu'il vous est proposé d'adopter, une jeune femme de trente-deux ans ayant quatre ans d'expérience professionnelle dans le secteur privé pourra désormais passer le concours externe de l'ENA, alors qu'aujourd'hui aucun des concours d'entrée dans cette école ne lui était accessible. Autre exemple : depuis 2008, les agents bénéficient annuellement d'un entretien professionnel, au cours duquel ils peuvent discuter de leurs objectifs annuels et de l'évaluation de leurs résultats, de leurs projets professionnels ou de leurs besoins en formation. Il vous est proposé de généraliser ce dispositif à l'État, et d'en faire l'expérimentation dans la fonction publique territoriale. J'estime que c'est une bonne chose.
Il convient désormais de se projeter dans l'avenir. Dès la rentrée, les agents pourront utiliser ce texte pour exercer leur droit à la mobilité. C'est un pas important pour la fonction publique, et je souhaite vivement qu'un grand nombre d'agents saisisse cette opportunité pour faire enfin de la mobilité une réalité dans la fonction publique – ainsi qu'entre les trois versants de la fonction publique.
Par votre vote, mesdames et messieurs les députés, vous allez achever une étape décisive dans la modernisation de notre fonction publique. Le Gouvernement en est fier, car ne rien changer aux règles de fonctionnement de la fonction publique, c'est sans doute tuer lentement mais sûrement le service public.
Aucun d'entre nous n'est partisan du statu quo ; pour ma part, je crois à l'avenir de la fonction publique et du service public ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Au terme d'un débat engagé depuis plus d'un an au Sénat, il nous revient aujourd'hui de procéder à l'examen du texte élaboré par la commission mixte paritaire, semblable pour l'essentiel au texte adopté par notre assemblée au début de cette session extraordinaire.
Si l'attachement que portent tous nos concitoyens – agents comme usagers – au modèle français du service public ne se dément pas, il s'accompagne désormais de profondes attentes en termes de modernisation. Aussi, derrière la question de la mobilité et des parcours professionnels au sein de la fonction publique, c'est bien celle de la modernisation de notre appareil administratif que pose ce texte.
S'engager au service de l'État, de l'intérêt général et de ses concitoyens n'est pas un choix anodin – et ce quelles que soient les fonctions exercées. C'est pourquoi il importe aujourd'hui d'ouvrir de nouvelles perspectives à l'ensemble de celles et de ceux qui font ce choix, en leur permettant de découvrir plus facilement, au cours de leur carrière, d'autres métiers et d'autres territoires. Ainsi, ce texte s'attache à lever les barrières les plus concrètes à la mobilité : il pose le principe d'un droit au départ au bénéfice de chaque agent, conforte celui de l'accessibilité par la voie du détachement à l'ensemble des corps de la fonction publique et ouvre la possibilité d'une intégration directe au sein du corps d'accueil à l'issue du détachement. D'autre part, le principe de reconnaissance mutuelle des avancements obtenus par un fonctionnaire détaché, dans son corps d'origine et dans son corps de détachement, permettra de résoudre le curieux paradoxe selon lequel un départ en mobilité se traduisait jusqu'ici le plus souvent par un ralentissement de carrière.
Si développer la mobilité au sein de la fonction publique répond à un souhait des agents eux-mêmes, c'est aussi, pour l'avenir, un moyen d'accroître l'attractivité des métiers de la fonction publique. Cependant, alors que nos concitoyens attendent désormais de l'administration qu'elle se montre tout à la fois plus efficace et plus économe des deniers publics, la mobilité constitue également un outil privilégié d'accompagnement des restructurations et des réorganisations induites par la réforme de l'État. Ainsi, le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux implique de pouvoir redéployer plus facilement les moyens humains de l'État.
À ces agents touchés par la nécessité d'un reclassement, le projet de loi vient apporter les garanties suivantes : tout d'abord, l'employeur public sera tenu de leur formuler trois offres qui tiennent compte tant de leurs souhaits d'orientation professionnelle que de leur situation personnelle. Ensuite, le reclassement ne pourra donner lieu à une perte de leur rémunération. Enfin, le transfert du contrat des agents contractuels ne pourra se traduire par sa renégociation.
Ce texte poursuit par ailleurs une politique d'ouverture tant en matière de concours administratifs que de recrutement de personnels non-titulaires. Ainsi, l'une des mesures les plus discutées de ce projet a-t-elle été l'ouverture aux employeurs publics de la possibilité de recourir aux services d'agences d'intérim. Cette mesure, bien que plus coûteuse pour l'administration que le recours à des vacataires, permettra cependant de pourvoir plus rapidement à des besoins urgents de personnels, et ainsi de répondre plus efficacement à l'exigence de continuité du service public. Elle permettra également de ne pas laisser s'installer une zone de précarité à la périphérie immédiate de la fonction publique, dans la mesure où elle s'appuiera sur des travailleurs intérimaires – que notre droit social, là encore, protège mieux que les vacataires.
Enfin, ce texte permettra d'expérimenter de nouvelles réponses au problème du maintien des emplois publics dans les zones rurales. À l'instar de ce qui se pratique déjà au sein de la fonction publique territoriale, l'État aura désormais la possibilité de créer des emplois à temps non complet, sous réserve que les agents concernés puissent cumuler plusieurs emplois de ce type afin de conserver intact leur niveau de rémunération.
Chacun mesure bien les réticences que de tels dispositifs sont susceptibles de soulever. Toutefois, sur une question aussi cruciale pour l'avenir de nos territoires ruraux, il est nécessaire de faire preuve d'audace et d'imagination.
Or la démarche d'expérimentation permet l'émergence de solutions pragmatiques et efficaces.
En modernisant la gestion de ses ressources humaines par l'administration, ce texte permettra de mieux en valoriser les talents au service de nos concitoyens. C'est à ce titre que le groupe NC lui a apporté son soutien en première lecture.
Je reviendrai toutefois sur certains amendements adoptés par notre assemblée lors de l'examen de ce texte. Si celui qui concernait les auxiliaires de vie scolaire a fait l'objet d'un large consensus entre nous, tel n'a pas été le cas de celui qui visait à habiliter le Gouvernement à modifier par ordonnance le statut des magistrats de l'ordre administratif. Cette disposition, qui posait un problème de forme bien davantage que de fond, a été retirée du texte. À la lumière des arguments développés par les sénateurs, nous soutiendrons quant à nous cette suppression en votant le texte de la CMP. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais tenter en quelques minutes de mettre le texte sur la mobilité en ligne avec l'ensemble de la politique pour la fonction publique menée par le Gouvernement et ses prédécesseurs depuis plusieurs années.
Nous ne sommes pas dans une situation où il faut se contenter de voir ce texte sur la mobilité comme un élément nouveau de la politique de la fonction publique ; il est dans la logique d'une politique de la fonction publique que nous menons depuis plusieurs années et qui répond à l'aspiration des fonctionnaires.
Je vais tenter de vous le démontrer, mon cher collègue et je vous remercie d'avoir l'obligeance de m'écouter comme je l'ai fait tout à l'heure lors de votre intervention.
Je ne vous interpelle pas, je vous demande simplement de m'écouter.
Monsieur le ministre, ce texte est un élément qui s'inscrit dans une politique cohérente de la fonction publique. Cette politique est ambitieuse et j'en veux pour preuve le pacte 2012, avec la modification des modes d'accès ou de déroulement des carrières, qui correspond à un besoin exprimé par les fonctionnaires depuis de nombreuses années.
C'est également une politique nouvelle dans sa méthode – le pacte 2012 en est l'illustration – parce qu'elle est basée sur la concertation, ce qui signifie que l'on est en mesure d'avoir l'accord des fonctionnaires.
Je prendrai deux exemples.
J'évoquerai d'abord la façon dont, entre octobre 2007 et mars 2008, la grande concertation a été lancée pour penser et repenser ensemble la fonction publique. Le rapporteur le sait comme moi, 500 000 contributions en ligne ont été apportées, trente-cinq tables rondes ont été animées sur tous les thèmes, la concertation a été menée avec l'ensemble des partenaires sociaux et a abouti à de grandes premières comme, par exemple, l'accord signé en 2008 avec six organisations syndicales sur le dialogue social. Cela montre concrètement que, lorsqu'on parle avec les syndicats et que l'on essaie de se mettre d'accord sans a priori définitif, on aboutit à des avancées importantes.
La politique nouvelle que j'ai évoquée s'illustre également par les accords salariaux basés sur la GIPA – la garantie individuelle de pouvoir d'achat – avec, en 2009, une augmentation potentielle du pouvoir d'achat de l'ordre de 3 % pour les fonctionnaires, à condition que l'inflation reste dans les limites des prévisions actuelles, soit inférieure à 1 %. En outre, le dispositif vise à ce que les fonctionnaires qui ne sont pas directement concernés par les augmentations automatiques de toute nature, qu'elles soient catégorielles ou basées sur des mesures d'avancement liées à l'âge, soient indemnisés en conséquence. Cette politique nouvelle, basée sur la concertation, donne des résultats.
Une fois ce cadre général mis en place, nous allons parler de la mobilité. D'abord, pour répondre directement, non pour interpeller mes collègues, mais pour le simple plaisir de rebondir – c'est dialectique.
Je dirai que la mobilité est la première aspiration de nos collègues fonctionnaires. Je dis « collègues », à l'intention de celles et ceux qui l'ont été parmi nous. Le ministre l'a rappelé tout à l'heure, 85 % des fonctionnaires aspirent à une meilleure mobilité. Or aujourd'hui seuls 5 % d'entre eux y accèdent. Il n'est nul besoin de faire des discours polémiques sur le sujet, deux chiffres traduisent la réalité : 85 % des fonctionnaires veulent des règles de mobilité assouplies ; 5 % seulement utilisent aujourd'hui ces règles. La bonne foi ne peut que nous conduire à changer les choses ou du moins à essayer de les améliorer. Tel est précisément l'objet de ce projet de loi.
Doit-on considérer pour autant que rien n'a été fait jusqu'à présent ? Absolument pas, et c'est bien ce qui pose problème. Toute une série de dispositifs a déjà fait en sorte d'améliorer les conditions de la mobilité.
D'abord la fusion des corps : sur 1 200 corps existant dans la fonction publique d'État il y a plusieurs années, 500 ont été supprimés. Il existe des projets visant à créer de grandes filières dans l'administration de l'État, ce qui est générateur d'une mobilité accrue. Le dispositif est déjà lancé, sans pour autant permettre une mobilité plus efficace.
Une série de mesures liées à la formation professionnelle ont été mises en place, avec le fameux droit individuel à la formation. Une meilleure formation est en effet facteur de mobilité pour passer d'un corps à un autre, d'une fonction publique à une autre. Si ces dispositifs ont été mis en place et ont le mérite d'exister, ils ne permettent pas pour autant d'aboutir à un pourcentage supérieur à 5 %.
Il y a eu ensuite un assouplissement des règles de mise à disposition et un premier accompagnement financier fondamental avec le prêt mobilité à taux zéro et les indemnités de mobilité.
Bien que toutes ces mesures soient déjà mises en oeuvre, je le répète, seulement 5 % des fonctionnaires ont été concernés. Le constat est simple : les fonctionnaires aspirent à la mobilité et nous avons tenté d'y répondre, mais cela ne suffit pas. Devons-nous nous contenter de ce qui existe ou devons-nous aller plus loin ? Le texte que nous propose le Gouvernement va plus loin avec deux idées fondamentales et, selon moi, bienvenues.
La première concerne l'accroissement des possibilités de mobilité pour les fonctionnaires. La seconde idée directrice est l'accroissement des capacités de souplesse de l'administration pour gérer ses effectifs. Il s'agit d'une politique d'équilibre : d'un côté, une administration qui a plus de marge pour travailler, d'un autre côté, des fonctionnaires qui voient augmenter les possibilités d'une mobilité à laquelle ils aspirent et, ipso facto, des usagers qui doivent se retrouver mieux traités qu'aujourd'hui. Car toutes les politiques de la fonction publique doivent placer l'usager au coeur du dispositif. Le projet de loi ne l'a pas oublié et je m'en réjouis.
S'agissant de l'accroissement des pouvoirs des fonctionnaires pour demander et obtenir la mobilité, plusieurs dispositifs sont mis en place : l'accès par détachement à tous les corps et à tous les cadres d'emploi – à l'article 5 ; l'intégration obligatoire après cinq ans, mesure fondamentale qui contraint l'administration et donne des prérogatives nouvelles aux fonctionnaires ; le droit au départ reconnu à un agent pour toutes les formes de mobilité, avec un refus très limité de l'administration ; enfin, la proposition obligatoire, à un agent dont l'emploi a été supprimé, de trois postes différents – contre un seul aujourd'hui. Je dois dire, mes chers collègues, sans vouloir faire de procès d'intention, que j'ai eu du mal, lors de la discussion du texte à l'Assemblée, à comprendre pourquoi certains de nos collègues disaient que c'était une régression. En l'état, il y a une proposition, que l'on peut, ou non accepter. Ce seront désormais trois propositions au lieu d'une seule. Si le fait de faire trois propositions à un fonctionnaire au lieu d'une est une régression, nous n'avons pas lu la définition du mot « régression » dans le même dictionnaire ! Ce texte va dans le bon sens, car les fonctionnaires disposeront de possibilités accrues pour obtenir la mobilité.
Ce projet de loi offre aussi plus de souplesse à l'administration pour gérer ses ressources humaines. Il n'est pas nécessaire de faire de grands discours pour dire à quel point, dans un monde qui bouge, un monde extrêmement souple et volatil, l'administration, qu'elle soit celle de l'État, des collectivités territoriales ou des hôpitaux, a besoin de disposer de moyens, de souplesse complémentaire pour ajuster ses effectifs et avoir une véritable politique de gestion des ressources humaines dans le monde nouveau dans lequel nous évoluons.
L'article 9, qui facilite pour l'administration le recrutement de non-titulaires, et l'article 10, qui concerne le recours possible à l'intérim, vont l'un et l'autre dans la bonne direction parce qu'ils donnent à l'administration la possibilité de gérer ses effectifs avec plus de souplesse.
L'amendement n° 60 permet le renouvellement des contrats des auxiliaires de vie scolaire individuels qui accompagnent les enfants handicapés. Nous étions confrontés à un problème que nous n'avions pas prévu : l'impossibilité de renouveler deux fois un contrat à durée déterminée à un auxiliaire de vie scolaire.
Des familles entières se sont retrouvées dans des situations difficiles. Nous en avons pris conscience et c'est pour cette raison que nous avons adopté cet amendement.
Certains d'entre vous, sans doute par pur esprit critique, ont indiqué qu'il s'agissait d'un cavalier. La question n'est pas de savoir s'il s'agit ou non d'un cavalier, mais de trouver une solution adaptée à des familles en difficulté lorsque leur enfant handicapé n'est plus pris en charge. Ce texte vise à régler les problèmes, non à les évoquer et, à ce titre, il va dans la bonne direction.
C'est pour ces raisons que le groupe UMP votera sans états d'âme le texte que nous propose le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Lorsque ce texte est venu en discussion en première lecture devant l'Assemblée nationale, le groupe SRC avait formulé une observation et trois objections.
Nous étions évidemment favorables à tout ce qui pouvait améliorer la situation de la fonction publique. L'amélioration de la fonction publique passe certes par la mobilité, mais aussi par l'amélioration de l'État. La garantie d'un État moderne est la condition sine qua non pour que puisse se développer parallèlement un secteur privé dynamique. Au regard de l'esprit du texte et de certaines de ses dispositions, nous ne pouvions que souscrire à son objectif, à savoir l'amélioration de la mobilité.
Cela étant, nous avions aussi formulé trois objections très importantes à nos yeux.
La première d'entre elles concernait la disposition du texte prévoyant la possibilité, nouvellement ouverte à l'administration, de faire appel à des agences d'intérim. Cette possibilité fait courir à notre pays le risque de voir se développer une grande précarité.
J'ai entendu les arguments que vous avez développés tout à l'heure sur le fait qu'aujourd'hui, déjà, la précarité s'installe chez les vacataires. Le recours à des agences d'intérim entraînera une plus grande précarité encore en favorisant le développement d'un corps de gens embauchés à titre quasi permanent aux côtés des fonctionnaires. Vous m'objecterez, monsieur le rapporteur, que le texte a prévu des garde-fous. Ces garde-fous existent aussi dans le secteur privé et les intérimaires n'en sont pas moins présents dans la quasi-totalité des industries de façon quasi permanente. Je ne sais sur quelle disposition repose cet état de fait, mais il est malheureusement avéré que le recours à l'intérim est de plus en plus massif. La gestion des ressources humaines tend à se faire uniquement en direction des cadres, en constituant un corps de cadres intégré et en faisant remplir toutes les tâches d'exécution par des agences extérieures associatives ou intérimaires.
Je crains que cette tendance du secteur privé ne s'étende au public, même si je sais combien il est difficile de gérer les ressources humaines, et notamment les groupes importants de personnels. Mme Le Moal avait souligné à juste titre le coût pour l'administration, le recours à un intérimaire représentant une charge plus lourde que le recours à un vacataire du fait de la marge prise par l'agence d'intérim. J'espère que ce coût sera un frein à l'utilisation massive des intérimaires, mais je constate qu'il existe dans notre société une tendance en ce sens, ce qui nous fait courir un risque important.
Ma deuxième objection, je vous le concède, n'est pas très importante. Elle porte sur le reclassement des fonctionnaires en disponibilité ou plus exactement n'ayant pas d'emploi. Aujourd'hui, il est prévu de leur proposer un emploi possible, contre trois dans le futur. Mon objection est la suivante : il n'y a aucun arbitre de la qualité de l'emploi que l'on propose. S'il y a une amélioration, allons jusqu'au bout et créons un processus de recours, comme une CTP ou une appréciation extérieure dans le dialogue entre l'administration et le fonctionnaire.
Notre troisième objection porte sur le cumul d'emploi. L'interdiction de ce cumul est ancienne, elle date de 1936 si mes informations sont exactes. Il est important que des fonctionnaires se consacrent pleinement et uniquement à leur tâche. Dans les pays du tiers-monde, certains fonctionnaires sont obligés d'ajouter à leur poste dans le public un emploi privé. Nous ne voudrions pas que ce modèle s'étende. Ce n'est pas votre intention, nous le savons, mais ce cumul présente cependant plusieurs risques.
D'abord, ce cumul d'emploi existe depuis assez peu de temps, puisqu'il a été créé par une loi du 2 février 2007. Or il n'y a pas eu, à ce jour, d'évaluation de ses avantages et de ses inconvénients. Ensuite, l'extension de la possibilité pour les agents d'exercer une activité privée lucrative aux emplois à temps non complet équivalent à 70 % de la durée légale du travail au lieu de 50 % présente également un risque. Certes, celui-ci n'existe pas si ce cumul concerne des emplois au sein des différentes fonctions publiques, qui appliquent les mêmes règles et façons de travailler. La difficulté vient du cumul d'un emploi public et d'un emploi privé, car il s'agit de deux mondes différents. Dans le public, il y a bien une pression hiérarchique pour obtenir des fonctionnaires un certain rendement. Dans le privé, la pression patronale est plus forte et en tout cas organisée différemment. Les fonctionnaires doivent répondre à des urgences, et sans doute la pression est-elle équivalente sur la longue durée. Mais sur le court terme, la pression patronale étant plus forte, le risque est grand que le fonctionnaire soit happé par les nécessités de sa fonction privée, au détriment de la fonction publique, qui se dégradera. Il en ira de même si le fonctionnaire est à son compte, car il aura la pression du chiffre d'affaires, laquelle est extrêmement… pressante, si je puis me permettre ce pléonasme, et risque de le détourner du travail exigé de lui dans la fonction publique.
Voilà les arguments que nous avions fait valoir avant l'examen du texte en CMP. Nous ne les avons pas répétés lors du passage en CMP, car les débats ont été écourtés et tout avait été dit. Rien n'a véritablement changé. Aucun remède n'ayant été apporté aux critiques que nous formulions sur deux éléments principaux et un élément secondaire, le groupe SRC votera contre ce texte.
Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, ce projet de loi, que le Gouvernement décide de faire adopter en plein été après avoir déclaré l'urgence il y a un an et demi, est un autre aspect de la fronde menée depuis plusieurs années contre la fonction publique et les services publics.
Il s'inscrit en effet dans la logique – de ce point de vue, Georges Tron a raison – de toutes vos mesures pour mettre à mal des services publics : loi de démantèlement de l'hôpital public, projet de privatisation de La Poste, suppressions massives d'emplois dans la fonction publique, proposition de loi tendant à remplacer le recrutement par concours des fonctionnaires territoriaux par des contrats qui deviendraient la voie d'accès de droit commun aux emplois publics. Autant d'aspects de ce qu'on appellera la Régression générale des politiques publiques.
Contrairement à ce que son intitulé pourrait laisser entendre, ce projet de loi remet profondément en cause, les principes mêmes du statut général de la fonction publique.
Il constitue un très mauvais coup, une attaque frontale contre ce statut et contre les garanties qu'il représente pour tous les citoyens. Ce texte remet tout simplement en cause la conception française de la fonction publique qui repose sur celle du service public à la française, au coeur de notre pacte social et républicain, hérité de la Libération.
Nous avons dénoncé en première lecture les principales dispositions de ce projet de loi, soit les articles 6 à 10 ; elles sont édifiantes : banalisation du recrutement contractuel, développement de la possibilité de cumuler les postes à temps incomplet, recours à l'intérim légalisé, licenciements déguisés sous la forme de mises en disponibilité d'office ou en retraite, avec la création de la position nouvelle de réorientation professionnelle.
Toutes les organisations syndicales représentées au Conseil supérieur de la fonction publique ont clairement manifesté leur totale opposition à ces dispositions dangereuses. Je ne sais donc pas qui étaient les six autres organisations dont vous avez parlé tout à l'heure.
Nous avons relayé l'opposition syndicale dans cet hémicycle en demandant la suppression de ces dispositions et en détaillant leurs conséquences néfastes : accroissement de la précarité, contractualisation de la fonction publique, transformation de ses agents en variables d'ajustement, réduction des effectifs et développement du clientélisme.
Les perspectives sont très inquiétantes pour l'ensemble de la fonction publique. Ce projet de loi prévoit une avalanche de procédures prétendument de « réorientation » mais susceptibles dans la pratique d'aboutir très rapidement à une gigantesque vague de licenciements. Les victimes de ces procédures de « réorientation », c'est-à-dire de licenciement, risquent de ne pas pouvoir bénéficier de l'assurance chômage. Non seulement les administrations ne cotisent pas à cette fin pour les fonctionnaires, mais le licenciement de fait que constitue la mise en disponibilité sans traitement ne permettra pas à l'agent de se déclarer comme ayant été « involontairement privé d'emploi ».
Ce texte sera donc également une véritable machine à broyer l'indépendance de la fonction publique : tout agent qui « dérange » pourra être automatiquement mis en « réorientation ». Ce projet de loi est donc aussi une gigantesque machine à sanctions déguisées contre des garants de l'intérêt général.
Par ailleurs, je souhaiterais dénoncer le transfert aux associations de la mission d'accompagnement des élèves handicapés, inséré par un amendement gouvernemental de dernière minute, qui réécrit l'article 30 du projet de loi en fixant cependant comme condition un « accord entre l'inspecteur d'académie et la famille de l'élève ». Ce transfert est inquiétant, car si le financement devrait être, en principe, assuré par des subventions aux associations, il y a fort à craindre que le niveau des subventions fluctue d'une année à l'autre. Cette disposition ne peut donc nous satisfaire. Les élèves et leurs familles ont besoin du service public pour assurer cette mission de service public.
Le seul point satisfaisant est la suppression par la commission mixte paritaire de l'amendement sur la réforme de la juridiction administrative introduit par le Gouvernement. Nous avions largement dénoncé, au moment de l'explication de vote, cet amendement qui visait à faire passer par ordonnance au titre de l'article 38 de la Constitution, c'est-à-dire sans débat de fond au Parlement avant que les dispositions soient rédigées, des modifications dans le fonctionnement de la juridiction administrative portant pêle-mêle sur : le statut des magistrats des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel ; l'accession de ces magistrats au Conseil d'État ; la création au Conseil d'État d'une catégorie de membres temporaires ; l'accroissement de la possibilité de régler certains litiges – notamment ceux relatifs aux étrangers – par voie d'ordonnance juridictionnelle, cette fois, ces décisions de justice étant rendues par un magistrat statuant seul ; la réduction « à géométrie variable » du champ d'intervention du rapporteur public, ce magistrat chargé de présenter l'affaire en audience publique et de proposer une solution ; l'amélioration des pouvoirs d'instruction du juge administratif dans la mise en état des affaires ; la rénovation du référé fiscal. La plupart des dispositions de l'amendement étaient étrangères à l'objet du projet de loi, et relevaient de la catégorie des « cavaliers législatifs » que le Conseil constitutionnel censure. Il l'a fait et il faut se féliciter de cette suppression que nous appelions de nos voeux.
Pour conclure, sous couvert de mobilité, les fonctionnaires sont incités à quitter la fonction publique et à intégrer le secteur privé. L'objectif visé est en réalité de démanteler la fonction publique. C'est pourquoi les députés du groupe GDR voteront résolument contre ce texte de régression sociale.
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.
(L'ensemble du projet de loi est adopté.)
Vote sur l'ensemble
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante.)
L'ordre du jour appelle la discussion des textes de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif à l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et de Mayotte, et du projet de loi relatif à l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et portant ratification d'ordonnances (nos 1862 et 1863).
Je vous rappelle que ces deux textes donnent lieu à une discussion générale commune.
La parole est à M. Didier Quentin, rapporteur de la commission mixte paritaire.
Madame la présidente, madame la secrétaire d'État chargée de l'outre-mer, chers collègues, les projets de loi organique et ordinaire que nous examinons aujourd'hui ont été substantiellement enrichis au Sénat, le 7 juillet, puis à l'Assemblée nationale, lundi soir, avant que la commission mixte paritaire parvienne, hier, à élaborer des textes communs, dans une ambiance constructive et, finalement, consensuelle, puisque aucune opposition aux textes, dans leur ensemble, n'a été exprimée.
Avant d'aborder le fond, je voudrais apporter quelques précisions, en réponse aux propos tenus lundi, ici même, par notre collègue René Dosière, sur la procédure qui a précédé la présentation du projet de loi organique en Conseil des ministres, le 17 juin dernier.
Le conseil général de Mayotte et le congrès de la Nouvelle-Calédonie ont bien été consultés, comme le prévoit le deuxième alinéa de l'article 74 de la Constitution. Leurs avis, rendus respectivement les 8 et 12 juin, ont été favorables. J'ajoute que le Gouvernement avait saisi, dès le 20 mai, le congrès de la Nouvelle-Calédonie selon la procédure d'urgence, en vertu de laquelle ce dernier disposait d'un délai de quinze jours pour rendre son avis. Ce délai avait donc bien expiré lorsque le Conseil d'État a rendu son propre avis le 11 juin dernier. Je pense que Mme la secrétaire d'État pourra nous le confirmer.
Certes, le Parlement a travaillé dans des conditions difficiles en raison de la brièveté des délais qui lui étaient impartis, mais la procédure accélérée, prévue à l'article 46 de la Constitution, a bien été respectée. Il m'a semblé utile d'apporter ces précisions, afin d'éviter tout malentendu avant que je puisse concentrer mon analyse sur le fond des deux textes.
Sans bouleverser les équilibres institutionnels de la Nouvelle-Calédonie, la loi organique et la loi ordinaire en modernisent utilement le statut, tandis que le projet de départementalisation de Mayotte est consacré.
Cette départementalisation répond à une aspiration vieille de plus de cinquante ans et, surtout, à l'adhésion massive exprimée par la population mahoraise lors de la consultation organisée sur cette question, le 29 mars dernier, puisque plus de 95 % des suffrages s'étaient alors portés sur le « oui ». À Mayotte, une collectivité unique, régie par l'article 73 de la Constitution, tiendra donc lieu, à la fois, de département d'outre-mer et de région d'outre-mer. Cette organisation simple constitue un gage de cohérence politique et une source d'économies.
Ce moment, que l'on peut qualifier d'historique pour Mayotte,…
…marque le début d'une nouvelle époque, qui appellera des efforts renforcés de mise à niveau économique et sociale et de rigueur juridique. En tout état de cause, l'État devra se mobiliser encore plus énergiquement en faveur de nos concitoyens de Mayotte.
Mais l'essentiel du projet de loi organique est évidemment consacré à la Nouvelle-Calédonie. Conformément à l'accord de Nouméa du 5 mai 1998, cette collectivité bénéficiera de nouveaux transferts avant le terme du mandat de son assemblée délibérante actuelle, prévu en 2014. Ces transferts portent sur le droit civil, l'état civil, la sécurité civile et le droit commercial, domaines pour lesquels le projet allonge de deux ans le délai laissé au congrès pour adopter la loi du pays fixant les conditions du futur transfert. L'enseignement est également concerné, mais à plus court terme, puisque le délai pour adopter la loi du pays dans ce domaine demeure fixé à six mois.
C'est pourquoi l'Assemblée nationale a souhaité, comme le Sénat, qu'un maximum de garanties soient accordées à la Nouvelle-Calédonie quant aux conditions humaines et matérielles des transferts. Les personnels de l'enseignement relevant de l'État seront mis à disposition de la Nouvelle-Calédonie, gratuitement et globalement, pendant une période transitoire dont il reviendra au congrès de fixer le terme.
Par ailleurs, les charges, directes ou indirectes, seront entièrement compensées. Cette compensation évoluera favorablement au cours des prochaines années, qu'il s'agisse des dépenses de fonctionnement ou d'investissement. Le statut des élus locaux est également conforté et les règles applicables aux finances locales clarifiées.
La commission mixte paritaire, qui s'est réunie hier, a décidé d'en rester, dans la grande majorité des cas, au texte adopté lundi par l'Assemblée nationale. Elle n'a dérogé à cette orientation générale que sur quelques points.
Premièrement, elle a souhaité faciliter la mise en oeuvre de la répartition des compétences entre l'État et la Nouvelle-Calédonie, sans permettre de déroger à cette répartition, ce qui évite les risques constitutionnels que faisait courir la rédaction initiale du Sénat ; c'est l'article 9 ter.
Deuxièmement, elle propose d'améliorer les conditions selon lesquelles le congrès de la Nouvelle-Calédonie est informé et exerce son contrôle, notamment en matière économique et financière, car le renforcement de la transparence est toujours salutaire dans ce domaine ; c'est l'article 27.
Une troisième modification a pour objet de favoriser la continuité institutionnelle, sans remettre en cause la collégialité du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et ses équilibres politiques, auxquels les délégations d'élus, que le rapporteur du Sénat, Christian Cointat, et moi-même avons reçus, sont très attachées ; c'est l'article 28.
Enfin, la CMP a décidé de revaloriser le rôle du sénat coutumier, sans créer pour autant des contraintes procédurales excessives ; c'est l'article 28 bis. Il sera désormais possible aux membres de cette institution prévue par l'accord de Nouméa de venir présenter au congrès ses avis et d'être informés des suites que celui-ci réserve à ses propositions. En outre, il sera inscrit dans le statut néo-calédonien que le président du sénat coutumier organise et dirige ses services, ce qui, semble-t-il, n'allait pas de soi ; le rapporteur du Sénat et moi-même en avions d'ailleurs été avertis lors des auditions auxquelles nous avons procédé.
Là encore, le compromis dégagé en CMP a été longuement discuté et paraît équilibré. Les autres propositions retenues par la CMP relèvent de la cohérence, de la précision et de la coordination. Ainsi, les projets qui nous sont soumis font l'objet d'un large consensus. Je crois que nous pouvons saluer les importantes avancées obtenues par le Parlement en faveur de la Nouvelle-Calédonie, dont le développement devra se poursuivre dans l'harmonie.
Mes chers collègues, en adoptant ces projets de la manière la plus unanime possible, nous montrerons à nos compatriotes de ces territoires, lointains par la géographie mais si proches dans nos coeurs – et je tiens à saluer ici leurs deux représentants, Pierre Frogier et Gaël Yanno, pour leur participation très constructive à nos débats –…
…que la représentation nationale tout entière est à l'écoute de leurs attentes et demeure vigilante quant à leur avenir, qu'elle souhaite naturellement prospère et serein. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme Marie-Luce Penchard, secrétaire d'État chargée de l'outre-mer.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, alors que nous arrivons au terme de l'examen de deux textes qui marquent une étape importante pour la Nouvelle-Calédonie et Mayotte, je tiens à saluer la qualité et la profondeur des débats qui ont permis d'aboutir à ce résultat. Ces deux textes sont en effet le fruit d'un long travail de l'État et de ses partenaires, qui a abouti à un consensus.
À propos des délais de consultation du congrès de la Nouvelle-Calédonie, sur lesquels René Dosière s'est interrogé lundi dernier, je tiens à rassurer la représentation nationale : le Gouvernement a respecté très précisément les conditions de cette consultation. Je vous confirme, monsieur le rapporteur, que le congrès a été saisi le 20 mai dernier sous le régime de l'urgence. Le Conseil d'État a donc pu se prononcer le 11 juin, l'avis du congrès ayant été réputé donné.
Tout au long de leur préparation, ces textes ont été marqués par la volonté du Gouvernement de respecter ses engagements à l'égard de nos compatriotes mahorais, comme à l'égard de nos compatriotes calédoniens. Pour ces derniers, les engagements ont été explicitement pris lors du comité des signataires de l'accord de Nouméa, le 8 décembre dernier.
Je constate que les textes que vous allez voter respectent les grands équilibres politiques et institutionnels qui fondaient les projets de loi du Gouvernement. Grâce au travail parlementaire, ceux-ci ont été enrichis dans toutes leurs composantes, qu'il s'agisse de la départementalisation de Mayotte, de la modernisation du statut de la Nouvelle-Calédonie ou des modalités des transferts de compétence. À cet égard, je tiens à remercier tout particulièrement Didier Quentin et la commission des lois pour ce travail, réalisé, je le mesure, dans un délai serré.
S'agissant des transferts de compétence dont bénéficiera la Nouvelle-Calédonie, le Gouvernement vous avait proposé un texte fidèle à ses engagements. Je l'ai dit, celui-ci, comme ses partenaires d'ailleurs, a toujours été guidé par l'objectif d'assurer la qualité du service rendu à nos compatriotes, garantie de la réussite des transferts. C'est pour cette raison que le Gouvernement a pris des engagements fermes sur les modalités des transferts, tant sur le financement des lycées que sur la mise à disposition globale et gratuite des personnels de l'enseignement.
La représentation nationale a souhaité aller plus loin en ce qui concerne les compensations financières. À certains égards, ces modalités placent la Nouvelle-Calédonie dans une situation très différente de celles des autres collectivités. Soucieux de l'équité entre les collectivités et de la contrainte budgétaire, que nul ne saurait méconnaître, le Gouvernement a exprimé, lors des débats, son point de vue sur de telles orientations. Je prends note des propos qui ont été tenus : la représentation nationale a estimé que de telles dispositions se justifient par la situation singulière de la Nouvelle-Calédonie, qui est inscrite dans notre Constitution.
Désormais, nous pouvons, les uns et les autres, aller plus avant dans nos engagements.
Pour la Nouvelle-Calédonie, le vote des lois du pays concernant l'éducation ainsi que la circulation aérienne et maritime devra intervenir dans les délais prévus, comme chaque partie s'y est engagée le 8 décembre dernier. Concernant Mayotte, l'article adopté permet au Gouvernement d'engager la préparation des textes qui organiseront la départementalisation progressive et adaptée, comme en ont décidé nos compatriotes mahorais. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, l'examen de ces textes illustre, si besoin en était, la dégradation de nos conditions de travail et les circonstances dans lesquelles sont adoptés des textes d'importance.
Nous avons en effet examiné ces deux projets de loi en première lecture lundi ; nous les avons adoptés dans la nuit, et nous voilà réunis, aujourd'hui jeudi, soit moins de soixante-douze heures plus tard, pour nous prononcer sur les conclusions de la commission mixte paritaire.
Urgence : tel le maître mot du Gouvernement, celui qui résume le mieux les travaux de la session ordinaire et de cette session extraordinaire. En effet, sur les trente textes promulgués au cours des douze derniers mois, l'urgence, qui est par nature une procédure d'exception, a été déclarée à dix-sept reprises – j'ai évidemment exclu les lois de finances et de financement de la sécurité sociale, qui sont spécifiques.
Or, au regard des textes déjà examinés selon notre nouveau règlement, il est fort peu probable que cette procédure, désormais appelée « procédure accélérée », devienne l'exception, comme nous le promettait pourtant notre président, M. Bernard Accoyer, qui a en effet déclaré : « Le problème est le recours excessif à la procédure accélérée, 50 % des textes depuis 2007, qui prive chaque chambre de jouer pleinement son rôle. Il faut que la procédure accélérée devienne l'exception. Avec une seule lecture à l'Assemblée issue du scrutin direct, les députés pèsent moins sur le contenu du texte. C'est l'équilibre de nos institutions qui est en jeu. » J'ajouterai que la qualité des textes votés et la crédibilité du législateur le sont également, puisque, selon le rapport annuel d'application des lois de 2008 du Sénat, le taux d'application des lois votées après déclaration d'urgence est passé, entre 2006-2007 et 2007-2008, de 16 à 10 %. Ces chiffres parlent d'eux-mêmes.
Il faut donc regretter que ces projets de loi relatifs à l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie aient été examinés selon la procédure d'urgence.
Cette critique vaut d'ailleurs également pour les conditions dans lesquelles a été élaboré le projet de loi organique. Le comité des signataires de l'accord de Nouméa du 8 décembre 2008 avait en effet acté le calendrier suivant.
En février 2009, un groupe de travail rassemblant les signataires devait être réuni à l'initiative du haut-commissaire, afin qu'y soit présenté l'avant-projet des modifications de la loi organique du 19 mars 1999.
En mars 2009, lesdites modifications devaient être présentées et le congrès de la Nouvelle-Calédonie en être informé.
Au lendemain des élections du 10 mai 2009, et immédiatement après sa mise en place, le congrès devait être consulté officiellement et statutairement sur le projet de loi organique modifiant la loi organique du 19 mars 1999.
En août 2009, la loi organique devait être promulguée.
Ce calendrier n'a pas été respecté, puisque les projets de loi organique et ordinaire ont été transmis directement au congrès nouvellement élu pour consultation statutaire dans la dernière semaine du mois de mai 2009, celui-ci étant prié de rendre son avis avant le 17 juin, date à laquelle le conseil des ministres devait délibérer sur les textes avant qu'ils suivent le circuit parlementaire.
C'est dans ces conditions que nous allons nous prononcer sur ces projets de loi. Pourtant, le respect par la France de l'accord de Nouméa se devrait d'être irréprochable,…
…tant il est essentiel à la paix civile sur ce territoire.
Je rappellerai, tout d'abord, ce que nous avons déjà dit lundi dernier. L'accord de Matignon du 26 juin 1988, qualifié de « pari sur l'intelligence » par Jean-Marie Tjibaou, a mis un terme à un demi-siècle de tensions sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie. Signé par le FLNKS, le RPCR et le Gouvernement, il était l'aboutissement d'une nouvelle démarche de dialogue et de réconciliation entre des peuples déchirés. Les Kanaks tendaient la main aux autres communautés calédoniennes, lesquelles comprenaient que la paix civile et toute solution politique passaient par la prise en compte de l'identité et des revendications kanakes.
C'est ce même esprit qui a permis, dix ans plus tard, les accords de Nouméa sur l'avenir institutionnel néo-calédonien, reflétant la volonté réelle et partagée des Néo-Calédoniens d'organiser sur des bases nouvelles la vie en commun sur le territoire. Les Néo-Calédoniens ont, à 72 %, ratifié par référendum cet accord, après de longues et âpres négociations entre les signataires. Le consensus trouvé alors, à force de compromis, ne saurait être remis en cause dix ans plus tard. Il est donc indispensable d'opérer, selon les termes des accords de Nouméa, les transferts de toutes les compétences non régaliennes avant 2014. Faute de quoi, nous empêcherions l'aboutissement du processus de décolonisation de ce territoire.
Pour préparer ces transferts et permettre l'adoption de la loi du pays nécessaire, le relevé de conclusions du comité des signataires de l'accord du 8 décembre 2008 a prévu l'adoption de protocoles d'engagements assurant un appui de l'État. Lundi dernier, Mme la secrétaire d'État nous a rassurés quant à leur existence en nous disant : « Je vous confirme qu'ils sont prêts et qu'ils seront présentés la semaine prochaine au président du Gouvernement et du congrès. » Nous vous remercions, madame la secrétaire d'État, mais nous restons vigilants et nous veillerons à ce que ces délais soient respectés.
Du reste, le FLNKS – dont je salue les représentants, qui ont suivi ces travaux du début à la fin – a souhaité que soit actée au prochain comité des signataires la même démarche de préparation, avec le concours d'experts, des compétences prévues à l'article 27. En effet, aucune loi du pays n'a pu être envisagée dans les six premiers mois du mandat de 2004, la raison invoquée localement étant qu'aucun transfert n'avait été préparé dans la première mandature. Pourtant, ils n'ont cessé de faire des interventions en ce sens. Si ce même effort n'était pas fait pour l'article 27, le « rassemblement républicain » local pourrait encore invoquer ce motif pour ne pas envisager les résolutions prévues à l'article 27 pour demander, à une majorité simple, le transfert des compétences qui y sont énumérées.
Il faudra donc que le Gouvernement soit attentif à ce que le « rassemblement républicain » local ne justifie pas une non-participation au vote des lois du pays, attendues pour opérer les transferts de compétences, pour cette raison ou pour une autre.
En effet, toutes les compétences non régaliennes énumérées au point 3.1.2 de l'accord de Nouméa doivent être transférées avant 2014. L'absence de majorité qualifiée des trois cinquièmes pour adopter les lois du pays prévues ne pourra s'interpréter que comme une résistance politique aux transferts. En aucun cas, elle ne devra s'opposer auxdits transferts de compétence.
Nous avons regretté, lors de la première lecture, que la commission de l'Assemblée ait décidé de supprimer l'article 28 bis, relatif au sénat coutumier, qui avait été introduit par nos collègues sénateurs. Cet article prévoyait que lorsque le sénat coutumier est saisi d'un avis qui concerne la coutume, dont le rôle est fondamental en Nouvelle-Calédonie, un membre du sénat coutumier puisse venir présenter cet avis devant le congrès. Son rétablissement est la preuve du respect que nous portons à cette institution néo-calédonienne, et nous apprécions que la raison l'ait emporté en CMP.
Pour conclure, j'ajouterai simplement quelques mots – qui, s'ils ne vont sans doute pas vous plaire, me paraissent essentiels – sur Mayotte. Vous avez décidé d'inscrire dans le projet de loi la départementalisation de Mayotte. C'est avant tout un manque de respect pour les Néo-Calédoniens et pour les Mahorais eux-mêmes.
C'est aussi aller à rencontre du droit international, lequel a fermement condamné la séparation arbitraire de Mayotte d'avec l'archipel des Comores – je ne vous parle pas de l'OUA, mais de l'ONU.
Nous avons déjà exprimé notre réprobation du fait d'avoir mis, ensemble, la Nouvelle-Calédonie et Mayotte dans la même loi organique. D'un côté, de moins en moins de France pour la Nouvelle-Calédonie ; de l'autre, de plus en plus de France pour Mayotte. N'aurait-il pas fallu travailler à une relation particulière avec les Comores, réfléchir à un statut avancé de partenariat, plutôt que d'organiser la partition et de se trouver ainsi en parfaite incohérence avec le droit international, tout en s'appuyant sur la notion de référendum ?
C'est parce que sommes convaincus qu'il est du devoir de la France d'accompagner fermement le processus de décolonisation en Nouvelle-Calédonie, et par fidélité à l'esprit et à la lettre de l'accord de Nouméa, que nous voterons ces projets de loi. En aucun cas, ce vote ne saurait être interprété comme un vote favorable à l'article 42 du projet de loi organique relatif à Mayotte.
Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous arrivons au terme d'un long travail, engagé dès 2008, afin d'améliorer, d'adapter et de compléter la loi organique de mars 1999, qui détermine le statut de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République.
Grâce aux groupes de travail réunis au cours de l'année 2008, au comité de pilotage réuni en octobre de la même année, au comité des signataires de l'accord de Nouméa de décembre dernier, à l'avis rendu le 12 juin de cette année par le congrès de la Nouvelle-Calédonie, les élus et les partis politiques calédoniens ont pu être associés à l'élaboration de ce texte ainsi qu'à l'important travail de préparation des transferts de compétences. Je veux ici leur rendre hommage pour leur implication et pour le travail effectué dans la sérénité et le sérieux.
Les responsables politiques calédoniens, tout en défendant leurs positions respectives, parfois divergentes, ont su écouter les avis des autres afin d'aboutir à de nombreux points de convergence, même s'il existe encore des points de divergence importants.
L'État ne peut que se réjouir de ce sens des responsabilités et de cet esprit de consensus. Le travail accompli devra être poursuivi localement afin de préparer au mieux l'important rendez-vous que le congrès aura en novembre prochain, pour débattre du transfert de nouvelles compétences. La question du transfert des deux enseignements – secondaire public d'une part, primaire et secondaire privés d'autre part – retiendra, vous l'avez bien compris, toute notre attention.
Je voudrais également saluer le travail du Gouvernement qui, par l'intermédiaire du haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie et de son administration, a permis d'accompagner localement le travail des élus. La mission d'appui aux transferts de compétences, composée de hauts fonctionnaires, a donné, du fait de la qualité de ses membres, des informations et des éclairages précieux. Vous avez su également, madame la secrétaire d'État, à l'instar de votre prédécesseur Yves Jégo, être à l'écoute des Calédoniens. Je sais que vos marges de manoeuvre budgétaires sont restreintes, mais en acceptant, pour les personnels de l'enseignement, une mise à disposition globale et gratuite, sans limitation de temps et avec un terme laissé à la seule initiative du congrès ; en acceptant la construction de deux lycées au Mont-Dore et à Pouembout dans les plus brefs délais ; en prévoyant des bases de compensation financière – pour les dépenses de personnel, la dernière année avant la fin éventuelle de la mise à disposition avec une clause de sauvegarde ; pour les dépenses de fonctionnement, les trois dernières années avant le transfert effectif ; pour les dépenses d'investissement, une période de dix années comprenant la construction d'un lycée –, vous avez démontré la volonté du Gouvernement d'accompagner la Nouvelle-Calédonie dans l'exercice de ses futures compétences. Je souhaite, madame la secrétaire d'État, vous en remercier.
Le Parlement a fait son travail d'amendement en apportant des garanties financières supplémentaires à la Nouvelle-Calédonie. Ce travail a été effectué dans des conditions parfois difficiles en raison de délais d'examen très courts. Je souhaite saluer le travail de nos collègues sénateurs, mais aussi l'important travail accompli par la commission des lois de notre assemblée. Je remercie tout particulièrement son président, Jean-Luc Warsmann, et son rapporteur, Didier Quentin. Leur écoute, leur implication, leur détermination, ont permis d'aboutir au texte qui nous est présenté aujourd'hui.
Je regrette simplement que certains députés de gauche aient manifesté, lors de la discussion générale, tant de mépris pour plus de 55 % de la population calédonienne, en ne parlant que du peuple kanak, et tant de mépris pour plus de 65 % des électeurs calédoniens qui veulent, comme ils le réaffirment à chaque nouvelle élection, que la Nouvelle-Calédonie reste dans la France. Non, et heureusement, l'indépendance n'est pas inéluctable, contrairement à ce que vous affirmez. En ce qui nous concerne, nous avons la volonté de relever, dans les prochaines années, le défi consistant à démontrer comment on peut être pleinement Français et Calédoniens grâce à l'accord de Nouméa.
Cette loi organique permettra sans nul doute d'améliorer la loi organique de mars 1999. Elle tire les enseignements de dix années d'application. Elle apporte des améliorations dans le fonctionnement des institutions calédoniennes : gouvernement local, congrès, assemblées de provinces. Elle apporte également des avancées dans le fonctionnement de deux instances consultatives : le sénat coutumier et le conseil économique et social. Elle renforce la transparence financière des collectivités calédoniennes et précise les cas d'incompatibilité des élus.
Cette loi accorde également deux années supplémentaires pour trouver un nouveau consensus sur le transfert de quatre compétences sensibles pour nos concitoyens, dont l'exercice par une collectivité de 250 000 habitants est quasiment impossible : le droit civil, les règles de l'état civil, le droit commercial et la sécurité civile. Elle apporte indiscutablement des garanties améliorées pour les compensations financières provenant de l'État pour l'exercice de compétences coûteuses.
Cette nouvelle loi organique aura pour caractéristique le consensus. Comité de pilotage des transferts de compétences, comité des signataires, avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie, vote par le Sénat, vote par l'Assemblée nationale, commission mixte paritaire : à chacun de ces niveaux, dans chacune de ces instances, un consensus est apparu. Nous ne pouvons que nous en féliciter. C'est la raison pour laquelle le groupe UMP votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, avec ces deux textes qui sont soumis aujourd'hui au vote de la représentation nationale, il s'agit avant tout de poursuivre l'application de l'accord de Nouméa du 5 mai 1998, signé par l'ensemble des partenaires lors de la visite du Premier ministre de l'époque, M. Lionel Jospin.
Cet accord, qui détermine pour une période transitoire de quinze à vingt ans l'organisation institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, les modalités de son émancipation et dessine les contours de la future société calédonienne, a été largement approuvé par la population de l'archipel lors de la consultation du 8 novembre 1998, puisque 72 % de la population s'y est déclarée favorable.
Les accords de Nouméa résultent de la conviction des protagonistes – représentants du RPCR et du FLNKS – de repousser la consultation référendaire sur l'autodétermination prévue dix ans plus tôt par les accords de Matignon, résultant de la déclaration signée à Matignon par le Premier ministre Michel Rocard et de l'accord Oudinot, accords qui ont ramené la paix civile sur l'archipel. La mise en oeuvre des accords de Nouméa avait déjà fait l'objet de la loi constitutionnelle du 20 juillet 2008, qui a créé l'actuel titre XIII, et de la loi organique du 19 mars 1999, qu'il convient maintenant de modifier.
Le statut de la Nouvelle-Calédonie, spécifique puisque traité à part dans la Constitution, déroge à certains principes à valeur constitutionnelle de droit commun : caractère irréversible des transferts de compétence, compétence du congrès de la Nouvelle-Calédonie à prendre des « lois du pays » de nature législative, citoyenneté propre se fondant sur un corps électoral restreint et figé, restrictions d'accès à l'emploi local, capacité d'accéder au statut civil coutumier pour les personnes qui en ont perdu le bénéfice.
L'organisation des transferts de compétences par la loi organique de 1999 s'effectue par étapes intermédiaires, correspondant au renouvellement du congrès de la Nouvelle-Calédonie en 2004 et 2009. La mise en oeuvre des nouveaux transferts devant intervenir d'ici à 2014, portant sur des compétences normatives lourdes, notamment le droit civil et l'enseignement, nécessitent une modification de loi organique de 1999, ce qui constitue l'objet du présent projet de loi organique.
En outre, le projet de loi organique consacre le choix exprimé par les électeurs mahorais de faire de Mayotte le cent unième département français.
À partir du prochain renouvellement triennal, en 2011, de son assemblée départementale, Mayotte deviendra une collectivité régie par l'article 73 de la Constitution, exerçant les compétences dévolues au département et à la région d'outre-mer. Elle sera le « DOM de Mayotte ». Toutefois, nous aurions pu prendre le temps d'approfondir les longues et douloureuses relations qui se sont exprimées dans cette partie de l'océan Indien.
Par ailleurs, le projet de loi ordinaire tend en particulier à ratifier six ordonnances relatives à la Nouvelle-Calédonie. Les députés du groupe SRC sont globalement satisfaits des travaux législatifs menés sur l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie – même s'ils auraient pu être moins précipités – et se félicitent de l'accord intervenu en CMP.
Nous souhaitons toutefois rappeler que les transferts de compétences ne sauraient, eux, être réalisés dans la précipitation et sans anticipation. Nous veillerons à ce que le calendrier négocié soit suivi. L'État doit tenir sa parole et respecter ses engagements à l'égard des signataires et de la population de l'archipel. La future société calédonienne qui se dessine doit trouver sa place dans la sérénité dans un monde en perpétuelle évolution.
Soucieux de montrer aux citoyens calédoniens une représentation nationale unie et unanimement d'accord sur l'essentiel, et désireux de voir se poursuivre le processus de transfert progressif des compétences, conformément à l'esprit et à la lettre de l'accord de Nouméa, les députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche voteront favorablement ces deux textes, tout en déplorant les conditions de leur examen.
Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, cher rapporteur, cher président de la commission des lois, mes chers collègues, nous voilà donc au terme d'un processus législatif, certes rapide, mais qui a l'avantage de faire globalement l'unanimité. La commission mixte paritaire, qui s'est réunie hier, en est resté, le plus souvent, au texte voté par l'Assemblée nationale, à l'exception de quelques changements évoqués par le rapporteur tout à l'heure – amendements de cohérence, de précision, de coordination. Elle est également revenue sur le rôle du sénat coutumier, qu'elle a remis en avant.
Je veux tout d'abord saluer l'arrimage définitif de Mayotte à la République, avec ses droits et ses devoirs. Cette appartenance est un combat pour l'île. Un combat démocratique, monsieur Lecoq, car, répétons-le, c'est librement, sans contrainte, que nos compatriotes mahorais ont souhaité se prononcer, à la quasi-unanimité, en faveur d'un statut départemental qui constitue pour eux l'arrimage définitif de leur archipel à notre belle République dont ils sont un des beaux fleurons. Dire le contraire serait faire insulte aux Mahorais eux-mêmes et directement.
La départementalisation se traduit par un cadre particulier régit par l'article 73 de la Constitution, avec des compétences de département et de région. Peut-être cela préfigure-t-il ce qui pourrait se passer d'ici à quelque temps ailleurs, sous d'autres cieux, dans d'autres territoires de la République.
Une réforme surviendra prochainement en France, cher collègue.
Le développement économique et social doit être assuré dans la durée. C'est un défi à relever. La départementalisation doit être complète, totale, sans équivoque et progressive. C'est le gage de l'avenir de l'archipel et de celui de nos compatriotes de l'océan Indien.
S'agissant de la Nouvelle-Calédonie, nous sommes là dans la suite logique de l'évolution institutionnelle voulue depuis plus de vingt ans, maintenant. Les passions ont longtemps été fortes, c'est vrai. Si, aujourd'hui, les tensions sont heureusement effacées, elles ont fait place à un respect mutuel, à une meilleure compréhension entre les différentes communautés. Il s'agit donc, ici encore, de respecter les engagements pris et de mettre en musique les décisions obtenues par consensus entre les différentes parties sans s'arc-bouter sur des dates. Ce consensus doit être salué car il va dans le sens de l'intérêt général et de l'apaisement.
La méthode suivie a fait ses preuves. Nous pouvons espérer que les rééquilibrages économiques, sociaux, politiques et juridiques permettront aux communautés, à toutes les communautés, de ne pas se tourner le dos de façon irréversible d'ici à quelques années, au moment de choix cruciaux.
Oui, mes chers collègues, la République peut, et doit, trouver les modalités d'un vivre-ensemble renouvelé et modernisé. Ce texte doit l'y aider. La loi organique que nous allons voter modifie pour une part celle de 1999, assure de nouveaux transferts, en organise les modalités en matière de droit civil, de droit commercial, par exemple. Elle organise également les compensations financières. L'effort important consenti par le budget de l'État, dans ses différentes composantes, a d'ailleurs été souligné. J'espère que ce sera la garantie d'une transition résolue. Cette évolution préserve les singularités institutionnelles de la Nouvelle-Calédonie et la volonté de développer une autonomie de plus en plus grande du territoire, de ce pays sui generis mais toujours dans le cadre de la République, avec ses droits et ses devoirs.
Au terme de ces explications et des conclusions de la commission mixte paritaire, c'est avec raison et enthousiasme que le groupe UMP votera ces deux textes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Nous en venons au texte de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif à l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et de Mayotte.
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi organique, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.
(L'ensemble du projet de loi organique est adopté.)
Nous en venons au texte de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et de Mayotte et portant ratification d'ordonnances.
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.
(L'ensemble du projet de loi est adopté.)
Vote sur l'ensemble
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.)
Ce matin, l'Assemblée a poursuivi l'examen des articles, s'arrêtant aux amendements identiques nos 61 à 69 à l'article 3.
Il s'agit donc toujours de l'article 3 et de ce qui reste, pour nous, un scandale. Vous voulez suspendre, pendant une durée pouvant atteindre un an, l'accès à internet pour délit de contrefaçon ; c'est votre choix. Cette sanction sera appliquée par un juge ; cela, c'est grâce à nous, puisque cela découle de la décision du Conseil constitutionnel qu'a entraînée notre recours.
Quoi qu'il en soit, imposer à l'internaute de continuer à payer son abonnement, sans aucune prestation en contrepartie, est pour nous intolérable. Vous bouleversez les fondamentaux du code de la consommation et de la relation contractuelle entre un abonné et son fournisseur d'accès à internet. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle vous voulez modifier un article du code de la consommation. À un moment où les évolutions de la société nous amènent à prendre plus que jamais en compte le mouvement consumériste, vous avancez une nouvelle fois à contre-courant.
Sachant que les internautes ne pourront souscrire un nouvel abonnement auprès d'un autre fournisseur et que tous n'ont pas la chance d'être dans la situation du ministre de la culture qui nous a dit en commission avoir deux abonnements, nous souhaiterions que l'abonné suspendu ne soit plus obliger de payer son abonnement et qu'il puisse – nous sommes prêts pour cela à sous-amender nos amendements – résilier son abonnement sans frais. Ce serait, si j'ose dire, le « minimum syndical ».
La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour défendre l'amendement n° 66 .
L'amendement n° 66 tend à substituer aux alinéas 4 et 5 l'alinéa suivant : « Les abonnés dont l'accès a été suspendu en application de cet article sont dégagés de l'obligation de verser le prix de leur abonnement au fournisseur du service et peuvent résilier sans frais leur abonnement. »
Sans revenir sur l'aspect scandaleux de cette mesure, je voudrais vous éclairer sur ce que sont les modalités et le coût de résiliation d'un contrat avec un fournisseur d'accès à internet. En premier lieu, la résiliation doit se faire en respectant les modalités prévues au contrat, dans les conditions générales de vente. Est-il stipulé dans ces conditions générales, monsieur le ministre, que l'internaute devra continuer à payer son abonnement après une suspension pour téléchargement illégal ?
En règle générale, cette résiliation doit être notifiée au fournisseur d'accès par courrier recommandé avec demande d'avis de réception – ce qui fait beaucoup de courriers recommandés pour un internaute… Par ailleurs, un délai de préavis peut être prévu. Quant au coût de la résiliation, la plupart des fournisseurs d'accès à internet prévoient la facturation au client de frais de résiliation ou frais de clôture. Les prix varient selon les fournisseurs d'accès et dépendent parfois de l'ancienneté de l'abonnement.
En ce qui concerne enfin la restitution du matériel et le dépôt de garantie, le client doit restituer le matériel qui, le cas échéant, lui a été confié par le fournisseur d'accès à internet ; en contrepartie de la restitution en bon état du matériel prêté ou loué, le fournisseur d'accès restituera au client le dépôt de garantie. La restitution du matériel doit intervenir dans un délai précisé au contrat, délai de trente jour en général.
Tout ceci est assez compliqué, et il serait donc plus raisonnable de ne pas obliger l'internaute à continuer de payer son abonnement en cas de suspension.
L'amendement vise à remplacer les alinéas 4 et 5 de l'article 3 pour supprimer cette disposition étrange qui condamne l'abonné non seulement à payer son abonnement alors même que celui-ci a été suspendu, mais à s'acquitter, en sus, des frais de résiliation.
Nous sommes là au coeur de l'usine à gaz si bien décrite par les uns et les autres, nous sommes dans le tuyau de l'acharnement. Il s'agit de traquer l'internaute, sur qui s'abattent de multiples peines, puisqu'on en dénombre sept, voire huit.
Nous proposons donc que ces alinéas soient remplacés par la disposition suivante : « Les abonnés dont l'accès a été suspendu en application de cet article sont dégagés de l'obligation de verser le prix de leur abonnement au fournisseur du service et peuvent résilier sans frais leur abonnement. »
Cette première version de notre proposition permettra, si elle est votée par nos collègues de l'UMP, de mettre fin à une absurdité ; si par malheur ce n'était pas le cas, ainsi qu'il est à craindre, nous avons des amendements de repli.
Tel qu'il est rédigé, cet article ajoute une amende à la suspension. Si d'ailleurs vous vous en étiez tenus à l'idée d'une sanction par l'amende, nous ne serions pas confrontés aux difficultés que va poser le choix de votre dispositif.
Je ne rappelle pas toutes les difficultés techniques de suppression de l'abonnement. De toute façon, je vois mal comment on pourrait empêcher quelqu'un de reprendre un abonnement : j'ai discuté, aujourd'hui même, avec des gens qui ont témoigné du fait que le cryptage des adresses IP rendait facile le contournement du dispositif.
Ce dispositif est donc vain, et de surcroît très pénalisant : c'est le coup de pied de l'âne, après la suspension de l'internet – dispositif déjà inopérant. Je vous demande de réfléchir un peu, et d'adopter cet amendement que je dépose avec plusieurs de mes collègues : c'est probablement la seule façon de régler correctement cette fin de texte.
La parole est à M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, pour donner l'avis du Gouvernement.
Avis défavorable, pour toutes les raisons déjà largement évoquées ce matin.
Je rappelle que les contrevenants risquent une suspension d'un mois au maximum ; les auteurs de contrefaçons risquent évidemment un peu plus, jusqu'à un an.
En ce qui concerne les modalités de résiliation, sur lesquelles Mme Lemorton s'est exprimée, je partage tout à fait son avis : il y a une véritable dureté des fournisseurs d'accès. Les contrats sont trop longs, les modalités en sont trop complexes, et la paperasse est envahissante. Ce sont autant de sujets que nous évoquerons lorsque je recevrai les principaux acteurs culturels, après le vote de la loi.
C'est le problème récurrent ! Vous dites toujours : « plus tard » – pour nous, c'est toujours trop tard.
En l'occurrence, prendre prétexte de la nécessité absolue, quoi qu'il arrive sur cette planète, de voter « HADOPI 2 » – pour l'unique raison que le Président de la République a dit : « J'irai jusqu'au bout » –, c'est révéler le cadre dans lequel nous évoluons, dans lequel nous légiférons.
Vous estimez, monsieur le ministre, que les contrats sont trop longs, trop durs, et que nos concitoyens internautes payent trop cher – sortant peut-être ainsi de votre champ de compétences pour empiéter sur celui du ministre qui s'occupe de la consommation.
Mais alors, acceptez ce sous-amendement que je vous ai proposé : acceptez au moins que les internautes puissent résilier sans frais leur abonnement ! Prenons le cas d'une suspension d'un an décidée par un juge : un an, c'est très long ! L'internaute doit au moins pouvoir résilier, sans frais, son abonnement. C'est le minimum que l'on puisse exiger.
J'en profite pour reposer une question à laquelle les députés de l'opposition souhaiteraient que le rapporteur réponde. Elle est simple, et revêt un aspect technique : comment peut-on savoir que quelqu'un ne se réabonne pas ?
Vous êtes visiblement soucieux que votre loi s'applique – même si nous pensons, nous, qu'elle est inapplicable : voter une loi, c'est veiller à ce qu'elle s'applique, puisque Mme la garde des sceaux nous a dit qu'il y avait des règles, et des sanctions pour les faire respecter.
(Les amendements identiques nos 61 à 69 ne sont pas adoptés.)
Je suis saisie d'un amendement n° 717 .
La parole est à Mme Martine Billard.
Cet amendement a pour objet de supprimer l'alinéa 4 de l'article 3.
Je me souviens que, lorsque la loi « HADOPI 1 » avait été débattue en commission des affaires culturelles, la commission avait voté à la quasi-unanimité un amendement aux termes duquel l'internaute n'était pas obligé de payer pour un abonnement suspendu.
Cette loi était supposée tenir compte de l'évolution des technologies et de leur effet sur le financement de la création. Nous nous étions dit, en commission des affaires culturelles, que, s'il devait y avoir paiement de l'abonnement à la suite d'une décision de suspension, il serait logique que cet argent serve plutôt à la création culturelle qu'au paiement des abonnements au fournisseur d'accès à internet.
M. le rapporteur s'y étant opposé, le vote en séance publique avait été contraire à celui de la commission des affaires culturelles, au motif que les FAI ne devaient pas subir de dol du fait d'une suspension qui n'était pas de leur fait.
Mais il faut aussi comprendre que les coûts pour les FAI seront diminués par les suspensions d'abonnement : ainsi, les coûts de maintenance de ces abonnements disparaissent. Une fois les connexions installées, le service de maintenance, qui doit pouvoir répondre pratiquement vingt-quatre heures sur vingt-quatre, représente en effet une charge très importante : l'obligation de maintenance pour les abonnements suspendus disparaissant, les charges des FAI diminuent d'autant.
Si vous décidez de maintenir le paiement de l'abonnement, il serait donc logique que le coût de l'abonnement serve au financement de la création, ce qui serait plus utile.
Défavorable, pour des raisons déjà évoquées lors de la discussion de la loi « HADOPI 1 », ainsi que ce matin.
Je vais répondre à M. Bloche. Je répète le principe de la loi « HADOPI 2 ».
La loi « HADOPI 1 » prévoyait que les FAI consultaient un fichier lorsqu'ils abonnaient un nouveau client, ou lorsqu'ils réabonnaient un client ; s'ils s'apercevaient alors que la personne en question avait vu son abonnement suspendu, ils avaient interdiction de la réabonner.
Avec « HADOPI 2 », ce fichier disparaît. C'est d'ailleurs quelque chose que vous souhaitiez. En revanche, l'alinéa 5 de l'article 3 bis prévoit que les internautes qui verraient leur abonnement suspendu pour délit de contrefaçon ou négligence caractérisée, et qui essaieraient de se réabonner, encoureraient une amende de 3 750 euros.
Le principe est un peu le même que pour le permis de conduire. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Un automobiliste dont le permis a été retiré et qui est arrêté par la police s'expose à une amende pour non-respect de l'autorité de la chose jugée.
Si les agents de la HADOPI s'aperçoivent qu'un internaute télécharge illégalement, et qu'ils apprennent en plus du fournisseur d'accès que son abonnement est suspendu, cet internaute s'expose à une amende de 3 750 euros.
Monsieur le rapporteur, vous n'êtes pas illuminé, mais vous êtes habité !
Défavorable, conformément aux explications de M. le rapporteur.
Je n'abuserai pas de la parole : nous sommes très respectueux du nouveau règlement de l'Assemblée nationale.
Dont acte : il n'y a plus de fichier. Nous nous en réjouissons, car nous croulons sous les fichiers, dans notre pays mais pas seulement ici malheureusement.
Si j'ai bien compris ce que vous avez dit, on ne saura pas qu'un internaute qui n'a pas le droit de se réabonner s'est effectivement réabonné, jusqu'au moment où il se fera prendre. Autrement dit, il n'y aura pas de contrôle a priori ; les fournisseurs d'accès n'iront pas voir sur une liste s'il est interdit d'abonnement.
Vous usez d'intimidation : cette amende qui pèsera sur l'internaute, c'est le bâton – mais on cherche vainement la carotte. Vous vous dites que l'internaute, ayant peur de s'exposer à une amende de 3 750 euros, ne se réabonnera pas. Bien sûr, certains se feront prendre.
Je crois que les choses s'éclairent : en tout cas, je remercie beaucoup M. le rapporteur – et je dis cela au premier degré – de la réponse qu'il a eu l'amabilité de nous donner.
(L'amendement n° 717 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 718 .
La parole est à Mme Martine Billard.
C'est un amendement de repli : je propose que seul le versement de la part du prix de l'abonnement correspondant à la connexion internet soit suspendu.
Je voudrais répondre à M. le rapporteur, et à M. le ministre, à propos des comparaisons automobiles. Il y a d'ailleurs visiblement un problème dans notre pays, puisque, dans les comparaisons juridiques, l'automobile devient visiblement le mètre-étalon !
Il y a tout de même une grosse différence : si vous possédez plusieurs voitures et que votre permis est suspendu, vous ne pouvez plus en conduire aucune – sauf à posséder aussi un véhicule sans permis.
Mais vous pouvez aussi être titulaire de plusieurs abonnements à internet ; et si l'un d'eux est suspendu, vous pouvez continuer à utiliser les autres sans être hors la loi – c'est un débat que nous avions eu.
Les comparaisons avec l'automobile sont donc, vous le voyez, particulièrement absurdes quand il s'agit d'internet. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Hélas, madame Billard, il y a des gens qui ont perdu leur permis de conduire et qui continuent à rouler sans permis ! On n'a pas de moyen de le vérifier, jusqu'au moment où ils commettent une nouvelle infraction. La comparaison tient donc toujours.
Avis défavorable.
Nous avions plutôt accueilli avec intérêt votre arrivée à ce ministère : c'était pour nous un défi intéressant que de voir sur ces bancs quelqu'un venant du monde de la culture,…
Merci !
…et nous espérions un débat passionnant sur cette loi. Je dois avouer que nous sommes un petit peu déçus.
La comparaison permanente avec l'automobile ne nous apprend pas grand-chose, et je pense qu'en tant que députés nous pouvons encore apprendre beaucoup de choses dans notre vie. Nous préférerions profiter de vos apports culturels que de vos apports automobilistiques !
Je maintiens que la comparaison n'est pas bonne : si vous avez plusieurs abonnements, et que l'un d'eux disparaît, vous pouvez continuer à utiliser le deuxième – ou le troisième, ou le quatrième – de façon légale. Il faut que vous commettiez un nouveau téléchargement abusif, si tant est que vous ayez déjà commis un, pour être en délicatesse avec la loi. Vous avez, entre-temps, le droit de continuer à utiliser vos abonnements.
Je vous félicite d'avoir les moyens de payer plusieurs abonnements !
Monsieur le ministre, nous avons peut-être quelque chose en commun : je n'ai pas le permis de conduire, et je crois que vous non plus.
Ah, si, moi, je l'ai !
Je pensais que vous ne l'aviez pas, ou en tout cas que vous ne vouliez pas conduire. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Quoi qu'il en soit, cet amendement à l'article 3 vise à supprimer les mots : « au fournisseur du service », à la fin de la première phrase de l'alinéa 4.
Moi-même et les cosignataires de cet amendement nous opposons à ce que l'abonné doive continuer de payer le prix de son abonnement alors que sa connexion internet est suspendue suite à une décision judiciaire. Néanmoins, si une telle disposition devait être votée, les sommes ainsi récoltées ne devraient pas être versées aux fournisseurs d'accès puisque ces derniers ne fournissent plus aucun service.
Si la condamnation devait être effective, la personne condamnée devrait verser ces sommes à la création.
Non, madame la présidente, je n'ai pas terminé. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le ministre de la culture, vous avez dit quelque chose de très important.
Je salue naturellement la grande qualité de la présidence depuis le début de cet après-midi – que j'ai pu apprécier en regardant la séance à la télévision – et même de ce matin. Je veux cependant appeler très respectueusement votre attention, madame la présidente, sur l'alinéa 5 de l'article 54 de notre règlement : « Quand le Président juge l'Assemblée suffisamment informée, il peut inviter l'orateur à conclure. Il peut également, dans l'intérêt du débat, l'autoriser à poursuivre son intervention au-delà du temps qui lui est attribué. »
Je crois que cette dernière disposition aurait pu s'appliquer fort opportunément à l'égard de M. Cocquempot.
Je regrette, monsieur le ministre, que vous persistiez dans cette métaphore extrêmement déplacée du chauffard et du code de la route.
Cela fait trois jours qu'on en parle !
L'acoustique de l'hémicycle ne me permet pas d'entendre vos propos, mais sans doute me répondrez-vous tout à l'heure.
Ce dont il s'agit aujourd'hui avec internet, c'est de partage, pas d'excès. Criminaliser comme vous le faites la manière dont ces échanges se déroulent me paraît profondément injuste.
On peut avoir des conceptions différentes du droit d'auteur, on peut refuser de tirer les conséquences de la révolution numérique qui, à nos yeux, crée un espace de partage dont les contreparties en termes de rémunérations doivent en effet être trouvées, mais comparer ce partage des oeuvres culturelles à des excès pouvant mettre en cause la vie des gens, je trouve que ce n'est pas bien. Je n'y reviendrai plus, mais je tenais à vous le dire,
J'en reviens à l'amendement lui-même. Avec le projet de loi, les fournisseurs d'accès vont s'enrichir sur le dos des internautes.
Cet amendement de repli a pour objet de faire que ces sommes, potentiellement considérables si vous allez au bout de cette logique de répression, servent à d'autres finalités, soutiennent la création, les manifestations culturelles, l'enseignement artistique… Par exemple, la petite commune du Morvan dont je suis conseiller municipal organise chaque année un festival de chansons françaises – c'est dire notre engagement aux côtés des artistes. J'invite d'ailleurs les nombreux internautes qui nous regardent à venir nous rendre visite ce week-end. Eh bien, alors qu'il y a quelques années le ministère de la culture versait une participation, aujourd'hui plus un euro ne nous parvient de l'État. Si un fonds de soutien à la création et à la jeune chanson française existait, je suis persuadé que le festival de Lormes pourrait être aidé. Ce serait quand même beaucoup plus utile que de financer indûment les fournisseurs d'accès. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour soutenir l'amendement n° 91 .
Les remarques du rapporteur frôlent l'absurde et évacuent un peu rapidement les arguments de notre collègue Martine Billard.
Cela me fait penser à cette décision qui avait été prise d'autoriser l'accès des centre-villes aux automobiles qui avaient des plaques paires certains jours et des plaques impaires les autres jours.
Des petits malins avaient imaginé avoir deux automobiles, une avec des plaques paires, la seconde avec des plaques impaires, pour pouvoir rouler tous les jours.
Dans le cas qui nous occupe, les internautes qui en ont les moyens segmenteront leur accès internet entre plusieurs abonnements à des fournisseurs différents.
De toute façon, votre système sera inopérant : puisque cette interdiction d'accès s'adresse à des personnes physiques, rien n'interdit à chacun des membres d'une famille de souscrire un abonnement. Le système pourra donc être facilement contourné.
Pour reprendre une terminologie chère au Président de la République, je dirai que cet amendement est un marqueur de votre volonté d'aider ou non les artistes.
Après tout, si vous nous disiez que l'argent soutiré aux internautes qui téléchargent illégalement profitera aux artistes, nous pourrions vous croire. Mais il n'en est rien, et nous sommes amenés à conclure que votre affaire n'est qu'une vaste supercherie et qu'il ne s'agit nullement de fournir des moyens supplémentaires aux artistes qui en ont bien besoin pourtant.
Nous sommes toujours en train de discuter de la mesure phare de votre texte : la suspension de l'accès à internet. On l'a dit ce matin, la mise en oeuvre de cette sanction va nécessiter des investissements de l'ordre de 70 à 80 millions d'euros pour procéder à des ajustements techniques. Or il se trouve qu'un équipementier su secteur des télécommunications, Alcatel-Lucent, vient d'annoncer 850 suppressions de postes en France, pour cause d'externalisation de ses activités.
Je pense sincèrement que l'industrie des télécoms est un secteur d'avenir. Plutôt que de se perdre dans des méandres techniques pour une efficacité aléatoire, on serait mieux inspiré d'approfondir la réflexion sur une éventuelle intervention de l'État dans cette filière et sur la nécessité d'investir pour soutenir l'emploi et préserver notre potentiel de recherche.
Cette sanction consistant à supprimer l'accès internet sera très peu et très mal appliquée, alors qu'on a, pendant ce temps-là, une filière en difficulté et des salariés qui souffrent à cause de l'annonce aujourd'hui, 23 juillet, que 850 d'entre eux perdent leur emploi.
La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour soutenir l'amendement n° 93 .
Je suis quand même assez surprise de la différence de traitement opérée par notre République entre les citoyens.
Je suis d'accord avec M. le ministre quand il dit que personne n'est obligé de télécharger illégalement, mais personne n'est davantage obligé de se réfugier dans un paradis fiscal pour échapper à la fiscalité en France, surtout quand cette personne – chacun l'aura reconnue – y a gagné beaucoup d'argent…
…en profitant de sa propriété dite artistique – personnellement, je n'emploierais pas le terme d'artiste.
En tout cas, vous ne traitez pas de la même façon ces deux types de délinquants. D'un côté, vous allez obliger un internaute, qui aura peut-être téléchargé de manière très occasionnelle une oeuvre, à payer un abonnement dont il ne bénéficie plus, et donc à enrichir le fournisseur d'accès internet. De l'autre côté, vous vous apprêtez à fermer les yeux sur la situation de ceux qui reviendraient sur le territoire national puisque Bercy « régulariserait » les choses, si j'en crois les informations que nous avons eues il y a quelques semaines, sans leur faire payer d'arriérés ni de pénalités. Ces personnes ne seraient pas considérées comme des délinquants. Je trouve cette différence de traitement anormale.
Puisque, nous le savons, ce projet de loi n'apportera pas un seul euro aux artistes, acceptez au moins cet amendement de justice, afin que l'argent tiré de la suppression d'internet profite à la création, à l'art, plutôt qu'aux fournisseurs d'accès.
« Réprimez, réprimez, il en restera toujours quelque chose » disent nos collègues de droite – et puis, « si ça peut plaire à notre électorat, n'hésitons pas »... (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
M. le ministre, bien sûr, se situe sur un autre terrain : puisque cela existe pour la voiture, nous dit-il, pourquoi cela ne pourrait-il pas exister pour la culture ? C'est un peu court, monsieur le ministre. Et il poursuit : « Croyez-moi, faites-moi confiance, monsieur Françaix, plus tard nous nous occuperons des artistes. » On dirait un pastiche de Pierre Dac, qui disait : « Il est trop tôt pour savoir si c'est trop tard. » (Sourires.)
Je crains qu'il ne soit bel et bien trop tard, comme cela s'est vérifié déjà un certain nombre de fois. Le budget de la culture baisse ? Trop tard ! Quand TF1 et M6 doivent payer une contribution, ils la versent non pas aux artistes, mais au service public à qui on a retiré la publicité sans réflexion. Trop tard !
Tous ces exemples montrent que nous sommes dans une situation particulièrement difficile. Et là, c'est le comble. Alors que nous pensions que l'argent tiré du dispositif de répression irait au monde de la création, M. le ministre, qui n'a pas hésité à nous dire qu'il n'était pas le ministre des marchands, nous demande, une fois de plus, d'attendre, puisque ces recettes ne devront servir qu'au financement des fournisseurs d'accès.
Monsieur le ministre, je connais votre réponse. Vous allez me dire : « Soyez patient, monsieur Françaix, la suite viendra et vous serez un homme heureux. » J'aimerais tellement être heureux ce soir !
Je voudrais d'abord remercier Martine Billard qui, à défaut de tordre le cou au ministre de la culture « et de la consommation », ce qu'à Dieu ne plaise, a au moins tordu le cou à son argumentation qui établit un parallèle permanent entre le permis de conduire et la connexion internet. Si comparaison valait raison, cela voudrait dire que nous aurions un permis par voiture.
Ensuite, je m'interroge : pourquoi une personne financerait-elle un service qui n'est pas rendu ? C'est une vraie question.
Par ailleurs, j'indique à mes collègues que la baisse de la TVA sur la restauration qui vient d'être décidée coûte, tout compris, 3 milliards d'euros. Je vous rappelle, monsieur le ministre de la culture et de la communication, que votre budget est de 2,7 milliards d'euros. Le rapprochement de ces deux chiffres devrait vous interpeller. En tout cas, nous, cela nous interpelle, et nous aimerions que vous faisiez en sorte que votre budget atteigne les 3 milliards, c'est-à-dire ce qui a été donné aux restaurateurs. Ce serait presque révolutionnaire.
Trouvez-vous normal, monsieur le ministre de la culture et de la communication, que votre budget soit inférieur à ce qui vient d'être accordé aux restaurateurs ? Nous, nous pensons que ce n'est pas normal, et nous serons derrière vous.
En demandant que le prix de l'abonnement internet qui est supprimé n'aille pas aux fournisseurs mais à votre budget, nous envoyons un signe dans votre direction.
Sur le vote des amendements identiques nos 88 à 96 , je suis saisie par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Quel est l'avis de la commission sur ces amendements ?
Défavorable.
Je ne reviens pas sur les propos démagogiques et caricaturaux de M. Françaix. Je voudrais simplement préciser que le contrat entre le fournisseur d'accès internet et l'abonné qui voit son accès suspendu n'est en rien touché par la décision de suspension de l'accès internet. Il n'y a aucune raison que le fournisseur d'accès supporte les conséquences des actes de contrefaçon de l'abonné. Ce serait le pénaliser par le fait d'autrui.
Avant de donner l'avis du Gouvernement, je reviendrai sur quelques points de sémantique, qui me semblent importants.
Si nous sommes tous favorables au partage des valeurs culturelles et à l'échange, monsieur Paul, nous sommes pour notre part opposés à la contrefaçon et au vol. Or vous les avez confondus.
D'autre part, certains orateurs ont affirmé que la sanction ne permettrait pas de dégager un euro supplémentaire pour les artistes. C'est faux.
Mais non ! Toutes les mesures prises dans d'autres pays se sont traduites non seulement par un coup d'arrêt à la diminution des ventes de DVD, mais par une augmentation de ces ventes.
Dès lors que le marché s'est ranimé, les ressources des artistes ont été plus importantes.
J'ai écouté avec beaucoup d'attention les députés évoquer le problème des restaurateurs ou des paradis fiscaux, mais quel rapport cela a-t-il avec notre débat ?
Manifestement, le sujet vous intéresse, puisque vous y revenez toujours !
Pour le coup, voilà un sujet qui m'intéresse ! J'aimerais beaucoup assister au festival de la chanson organisé par M. Paul. Je m'engage même à m'y rendre. Je déplore en effet que le ministère de la culture se soit montré jusqu'à présent si peu concerné par une manifestation à laquelle j'accorde, à titre personnel, le plus grand intérêt.
Après un détour par les paradis fiscaux et la restauration, la conclusion de cette longue dissertation,…
Vous cherchez à gagner du temps en attendant que les députés de l'UMP reviennent dans l'hémicycle !
…c'est qu'il faut, bien entendu, aller au festival de Lormes.
Il y a donc au moins deux bonnes raisons d'aller dans la Nièvre ! (Sourires.)
Avis défavorable.
Il y a d'autres festivals en France ! Je tiens la liste à votre disposition !
Je les fais tous !
En réponse à M. le ministre, je tiens à expliquer pourquoi nous avons demandé un scrutin public. Ce n'est nullement, comme pourraient le penser certains mauvais esprits, pour ralentir le cours du débat. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
C'est que nous allons nous prononcer sur un amendement dont la valeur symbolique est forte. Si, au mois de septembre, la loi « HADOPI 2 » devait être adoptée, il serait bon que l'argent piqué aux malheureux internautes…
…que l'argent piqué, oui, de manière indue, aux internautes ne soit pas laissé aux fournisseurs d'accès : il n'y a aucune raison pour que ceux-ci s'enrichissent sans cause. L'argent tiré de la spoliation de dizaines de milliers d'internautes doit au moins abonder un fonds d'aide à la création artistique, comme celui que constituent les sociétés qui répartissent les droits d'auteur. Elles aident ainsi le spectacle vivant, toujours très coûteux, et contribuent à lancer de jeunes talents.
Je le dis avec gravité à nos collègues de la majorité : nous avons un moyen commode de financer la création vivante, qui a besoin de fonds. Ne refusez donc pas notre proposition : il serait bon que l'Assemblée se prononce sur cette question par un vote unanime.
M. Blisko a répondu au ministre ; moi, je souhaite répondre au rapporteur !
Je demande une suspension de séance.
Article 3
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à dix-neuf heures trente.)
La séance est reprise.
Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur les amendements identiques nos 88 à 96 .
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 75
Nombre de suffrages exprimés 75
Majorité absolue 38
Pour l'adoption 26
Contre 49
(Les amendements identiques nos 88 à 96 ne sont pas adoptés.)
Nous venons de vivre un moment important dans cette assemblée. En effet, nos prédécesseurs – certains d'entre vous en étaient sans doute – ont, à une époque, légiféré contre les fausses factures. Aujourd'hui, et pour la première fois, notre assemblée légifère en faveur des fausses factures ! Ainsi, une facture pourrait ne pas correspondre à un service rendu !
Monsieur Gaubert, je pense qu'il ne s'agit pas d'un rappel au règlement, sauf à ce que vous me donniez le numéro de l'article sur lequel il se fonde.
Je veux bien l'admettre, madame la présidente, mais je tenais à faire remarquer que ce qui vient de se passer est extrêmement important et qu'il est très grave de l'admettre. Pour la première fois, nous avons admis qu'un service qui n'existe plus continue d'être facturé. Qu'il y ait des sanctions administratives ou judiciaires, certes, mais on ne peut concevoir qu'une entreprise puisse percevoir une somme au titre d'un service qu'elle ne rend pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Je vous répondrai par un simple rappel juridique. Cette possibilité existe déjà. Je parlerai de nouveau de voiture, pour donner un simple exemple. Lorsqu'une personne se voit privée de son permis de conduire, elle doit continuer à payer son assurance. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Parce qu'elle est responsable des dommages ! La comparaison ne tient pas !
Il s'agit, par cet amendement, de supprimer la dernière phrase de l'alinéa 4, qui précise que l'article L. 121-84 du code de la consommation ne sera plus applicable au cours de la période de suspension.
Nous avons eu l'occasion, lors de l'examen de la loi « HADOPI 1 », d'évoquer longuement cette question. Nous constatons donc aujourd'hui, au moment où nous débattons de cet article dans l'hémicycle, que le droit des consommateurs dans notre pays fait un grand bond en arrière dans notre pays. Vous vous obstinez systématiquement, en effet, et nous le verrons dans la suite du débat, à tordre le cou aux acquis dont bénéficient nos concitoyens dans bien des domaines. Nous l'avons évoqué s'agissant de la suspension et du délit de contrefaçon, nous en reparlerons lorsque nous débattrons de la négligence caractérisée.
Je vous donne lecture de l'article qui ne s'appliquera plus au cas d'espèce que nous évoquons : « Tout projet de modification des conditions contractuelles de fourniture d'un service de communications électroniques est communiqué par le prestataire au consommateur au moins un mois avant son entrée en vigueur, assorti de l'information selon laquelle ce dernier peut, tant qu'il n'a pas expressément accepté les nouvelles conditions, résilier le contrat sans pénalité de résiliation et sans droit à dédommagement, jusque dans un délai de quatre mois après l'entrée en vigueur de la modification. »
Telle est la disposition prévue par le code de la consommation pour équilibrer par la loi, au nom de l'intérêt général, les relations souvent compliquées, les rapports de force entre les abonnés à internet et les fournisseurs d'accès. Or, vous considérez que cet article du code de la consommation ne doit pas s'appliquer dans ce cas d'espèce. Pour permettre au Président de la République d'aller jusqu'au bout, vous êtes prêts, chers collègues, à voter n'importe quoi !
La démonstration de Patrick Bloche est absolument imparable.
Je voudrais, quant à moi, revenir, monsieur le ministre, sur vos propos lorsque vous avez donné votre avis sur nos précédents amendements. Vous avez de nouveau insisté sur le fait que le téléchargement était un vol et en aucun cas un partage. Je pense que vous ne comprenez pas, monsieur le ministre, ce qui se joue en ce moment dans la société. Dans ce domaine, la ligne qui sépare la légalité de l'illégalité est modifiée par le législateur à chaque mutation technologique, et ce depuis un siècle. Les mutations technologiques que nous avons connues – apparition de la cassette analogique, de la cassette vidéo et, plus récemment, du CD – étaient très modestes au regard de la révolution numérique que nous vivons depuis dix ans. La ligne de partage entre la légalité et l'illégalité doit aujourd'hui inévitablement muter, ne serait-ce que sous la pression de l'évolution de la société. Ne pas le reconnaître est un contresens historique.
Aujourd'hui, qu'on le veuille ou non, dans les écoles de France, les élèves échangent dans la cour des disques durs de 80 giga-octets, soit l'équivalent de ce que nous avons, vous et moi, acheté pendant vingt ans. Ce n'est même pas du téléchargement. Comment l'endiguer ? Il faut tout de même tenir compte de la réalité. Si nous voulons mettre en place des contreparties – peut-être des contre-feux en termes de soutien à la création –, nous devons regarder le monde en face et non le monde d'avant, comme vous le faites.
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour soutenir l'amendement n° 100 .
Votre position est assez révélatrice de la contrepartie de l'adhésion des fournisseurs d'accès aux accords de l'Élysée. C'est très net ; il n'y a pas d'autre raison. Ce n'est pas dans l'intérêt des artistes que vous avez aussi massivement statué tout à l'heure, après tout de même dix minutes de panique puisque vous n'étiez pas sûrs d'être majoritaires dans l'hémicycle !
Cet amendement tend, en conséquence, à supprimer un aspect très régressif de cette loi. En effet, pour parvenir à vos fins, vous êtes prêts à modifier le code de la consommation. Ce n'est pas le sens de l'histoire. Pour reprendre l'analogie avec la voiture, qui est chère au rapporteur, M. Riester, vous regardez toujours dans le rétroviseur.
Vous n'allez pas de l'avant, s'agissant de l'accès à la culture pour tous. Vous n'allez pas de l'avant lorsqu'il s'agit de rétribuer correctement la création et les interprètes et de défendre les intérêts et les droits des consommateurs. Ce n'est pas le sens de l'histoire. Un jour ou l'autre, si cette loi est applicable, il vous faudra revenir en arrière.
De plus, ce texte s'avère très inégalitaire entre les artistes et entre les utilisateurs d'internet. En effet, la loi s'appliquera différemment selon que vous vous situez dans une zone dégroupée ou non.
Par cet amendement, nous demandons que, pendant la suspension de l'accès à internet, l'internaute continue à bénéficier de ses droits et qu'en l'occurrence, les dispositions de l'article L. 121-84 du code de la consommation s'appliquent. Nous l'avons constaté, et mon collègue Gagnaire vient de le souligner, la loi s'appliquera différemment selon le territoire. Ce dispositif exceptionnel n'a donc pas lieu d'être.
La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour soutenir l'amendement n° 102 .
Je compléterai l'information de Mme la garde des sceaux, qui a établi une comparaison avec les assurances automobiles. Quand une voiture est immobilisée, en attendant qu'elle soit vendue ou en cas d'interdiction de conduire pendant un certain temps, les sociétés d'assurances proposent des assurances a minima que l'on appelle des « assurances parking » et dont le coût n'a rien à voir avec celui d'une prime d'assurance habituelle. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
J'allais dire : « Répression, quand tu nous tiens ! »Je citerai Nathalie Kosciusko-Morizet…
…qui, le 24 juin, s'exprimait ainsi : « Prenons l'exemple de la création musicale. Concernant l'offre légale, il y a plusieurs problèmes : il y a certes celui du téléchargement illégal, mais aussi celui des modèles économiques légaux qui ne sont pas tout à fait stabilisés. À cela, s'ajoute le fait que ces offres légales ne sont malheureusement pas encore assez intuitives face à des achats qui se veulent parfois compulsifs, notamment pour la musique. Pour l'internaute lambda qui veut un morceau de musique immédiatement, il va être encore trop souvent plus facile de le trouver sur un site de téléchargement illégal. On résoudra le problème le jour où ce même internaute téléchargera impulsivement ce même morceau sur une plateforme légale. Le téléchargement légal doit devenir un acte beaucoup plus simple. »
La répression n'est pas tout, et je n'ai rien à ajouter à ces propos ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour soutenir l'amendement n° 103 .
Cet amendement tend à empêcher que ne soit établie une sorte de régime d'exception au code de la consommation à travers le projet de loi « HADOPI ». Aujourd'hui, avec la non-application de l'article L. 121-84 du code de la consommation, les internautes seront effectivement privés d'un des maigres droits dont ils jouissent face aux fournisseurs d'accès et aux opérateurs de téléphonie mobile, à savoir celui d'être informés un mois à l'avance que leur abonnement sera bel et bien être suspendu et qu'ils disposeront ensuite de quatre mois pour résilier sans frais leur contrat d'abonnement.
Cela fait partie des maigres protections dont bénéficient aujourd'hui en France les consommateurs en matière de contrats d'abonnement, lesquels sont une des sources de la dégradation du pouvoir d'achat des ménages, qui se retrouvent souvent pieds et poings liés face aux fournisseurs d'accès ou aux opérateurs de téléphonie mobile. L'abonnement est une nouvelle chaîne économique du monde moderne. Nos concitoyens rencontrent à l'heure actuelle des difficultés financières. Je pense – et je l'ai déjà exprimé au cours de la journée – que le rôle du législateur est de protéger les consommateurs et, en l'occurrence, les internautes, de renforcer leurs droits face aux fournisseurs d'accès et aux opérateurs de téléphonie mobile. Ce n'est certainement pas d'intensifier les liens qui pèsent déjà entre les abonnés et les fournisseurs d'accès, de serrer les menottes. Il faut, au contraire, aider les internautes à se libérer des chaînes qui pèsent sur leur budget à travers les contrats d'abonnement.
La suppression de la dernière phrase de l'alinéa 4 aurait au moins un mérite, celui d'aider le Gouvernement à simplifier un dispositif dans lequel il est en train de se perdre. À force de contradictions et de complexités perverses, vous allez arriver dans le mur de l'indéfendable, en klaxonnant au volant de votre superbe auto, que vous attendiez à la porte du garage… (Sourires.)
Nous sommes tout de même face à un empilement de six, sept, voire huit peines. L'accès internet est suspendu, et l'internaute continue à payer son abonnement. En cas de modification des conditions de fourniture du service – et il me semble que la suspension est une modification substantielle –, il bénéficie d'un certain nombre de protections, par exemple un délai d'un mois pendant lequel il peut résilier son abonnement sans pénalités. Là, au motif qu'il est déjà puni cinq, six, sept ou huit fois, vous lui coupez toute protection. Il ne peut même plus se débattre, il n'a plus aucun délai, il est traqué, enfermé, ligoté, menotté et on lui tape sur le nez. Jusqu'où irez-vous dans l'acharnement ? Cela devient tout de même bizarre.
À force de faire des noeuds dans les tuyaux de votre usine à gaz, vous risquez l'explosion. Cela vous est déjà arrivé une fois.
Deux fois, effectivement. Il y a eu une explosion derrière le rideau rouge et une au Conseil constitutionnel. La troisième pourrait être violente, méfiez-vous.
La parole est à M. Marcel Rogemont, pour défendre l'amendement n° 105 .
Madame, monsieur les ministres, vous filez une métaphore avec votre voiture, mais je crains que vous ne conduisiez cette voiture en marche arrière.
Le mieux serait, comme le proposait M. Gaubert, de laisser au garage métaphore et voiture, sans quoi nous ne pourrons pas nous comprendre. Martine Billard vous a répondu que l'on n'avait pas un permis par voiture, et Catherine Lemorton a fait une remarque pertinente sur les assurances. Il faudrait donc tout de même que vous en teniez compte !
Nous avons défendu un amendement tendant à supprimer la suppression de l'abonnement, et nous vous proposons maintenant des amendements de repli. De repli en repli, on se croirait à marée basse au Mont-Saint-Michel... (Sourires.) Nous avons d'abord proposé de supprimer la double peine. Puis nous avons voulu faire en sorte qu'on ne paie pas un service qui n'est pas rendu. Puis nous avons suggéré que, s'il y avait paiement, il serve plutôt à financer la création.
Vous devriez être attentifs à la démarche pédagogique qui est la nôtre. Vous ne pouvez pas en permanence parler de pédagogie si vous n'êtes pas capables de comprendre que nous, députés de l'opposition, nous faisons de la pédagogie pour vous. Essayez de nous entendre !
Défavorable. Cette disposition, qui était déjà dans le précédent projet de loi, a été censurée par coordination. Elle avait été introduite au Sénat par un amendement de Bruno Retailleau, afin de signifier que la suspension de l'accès à internet n'est pas une modification contractuelle.
Nous vous entendons avec beaucoup d'attention. Ainsi, monsieur Paul, je reconnais tout à fait que la frontière entre la légalité et l'illégalité a énormément évolué durant un siècle. Je connais les conditions dans lesquelles la radio est apparue, celles dans lesquelles la télévision est apparue, tous les problèmes que cela a posés, toutes les complications, toutes les difficultés que les gens ont eues pour ajuster la réglementation, mais, maintenant, avec internet, nous sommes dans un domaine où, précisément, il est important de réguler.
J'entends aussi de nombreux amalgames. Vous parlez tout le temps des internautes, mais nous sommes les premiers à les défendre. Ce que nous refusons, ce sont les fraudeurs. Il ne faut pas tout mélanger. Ce ne sont pas les internautes qui sont contre notre projet, ce sont les gens qui fraudent. Il y a ainsi des dérapages sémantiques permanents.
Non, pas du tout. Nous avons un débat démocratique au cours duquel chacun s'exprime, même si nous ne sommes pas d'accord.
En tout cas, je suis défavorable à tous ces amendements.
(Les amendements identiques nos 97 à 105 ne sont pas adoptés.)
Nous persistons et nous signons.
Il faut qu'il soit dit dans cet hémicycle, au moment où nous défendons nos amendements, que les députés de l'opposition auront fait tout ce qu'ils auront pu, non seulement pour protéger nos concitoyens internautes, qui sont aussi des consommateurs, mais également pour financer la création et trouver de nouvelles ressources pour la culture dans notre pays.
Nous avons défendu tout à l'heure des amendements qui auraient permis d'assurer une nouvelle ressource pour la création, et M. Blisko a expliqué pourquoi nous avions demandé un scrutin public. Nous voulions qu'apparaisse très clairement, au compte rendu de cette séance, qui aime vraiment les artistes, non pas en paroles, en discours, mais en actes.
Nous aimons les artistes, nous voulons de nouveaux modes de rémunération à l'ère numérique, et c'est la raison pour laquelle nous présentons ces amendements.
Nous nous entêtons pour que, dans une sorte de justice sociale ou au moins culturelle, les sommes collectées par les fournisseurs d'accès à internet, sans versement de prestations équivalant à un service rendu puisque l'accès à internet sera suspendu, aille aux créateurs, aux artistes, à la création.
Vous avez une dernière chance de nous montrer concrètement que vous aimez les artistes et que vous voulez, pour la culture, de nouveaux modes de financement adaptés aux réalités de l'internet.
C'est un amendement non pas de repli, mais de rattrapage pour le Gouvernement et la majorité.
Nous avons indiqué à plusieurs reprises que la manière dont vous prévoyez de faire procéder au paiement en dépit de la suspension du service s'apparentait à un véritable détournement de fonds, depuis la poche des internautes, qui seront tout de même pillés eux aussi, vers les fournisseurs d'accès, qui n'en demandaient pas tant mais qui, pour le coup, sont bien silencieux ces jours-ci.
Nous souhaitons que, par un système de prélèvement, cette nouvelle manne serve réellement à la création. C'est un circuit financier sans doute un peu alambiqué, mais il aurait le mérite de nous permettre de trouver quelques ressources nouvelles pour le budget du soutien à la création française, qui est en baisse en 2009.
Avec le groupe socialiste, monsieur le ministre, je vous lance un défi. Dans quelques jours, vous allez connaître l'enveloppe 2010 du budget de la culture. Sachez que nous serons extrêmement attentifs à la progression de vos crédits en général, mais tout particulièrement de ceux du soutien à la création. Grâce à ce bouquet d'amendements et au précédent, vous aviez la possibilité de faire un geste de soutien au financement de la création, geste que vous ne serez pas, nous le craignons, en situation de faire, car Bercy y veillera, au moment de la préparation de votre budget. Rendez-vous est donc pris pour la discussion du budget de la culture !
La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour défendre l'amendement n° 109 .
Comme Christian Paul, j'évoquerai un festival de ma circonscription, « Paroles et musiques », soutenu par France Inter, qui a perdu des financements d'État. Je ne manquerai pas de vous y inviter l'année prochaine, j'espère que vous serez présent et que votre ministère retrouvera les crédits perdus depuis plusieurs années. Heureusement que les collectivités territoriales ont honoré leurs engagements…
…et sont même allées au-delà de ce qui était initialement prévu. Ce sont donc les collectivités territoriales qui, désormais, sont aux côtés des artistes et non plus le ministère de la culture, ce qui est bien regrettable. Les artistes eux-mêmes le regrettent.
Il y a toujours France Inter !
Ils sont toujours soutenus par France Inter, effectivement, mais ce n'est pas l'État directement.
C'est la communication !
France Inter vit d'autres ressources, mais nous aurons l'occasion d'en parler lors de l'examen du budget.
Nous sommes un peu obstinés, nous restons opposés à la suppression du raccordement internet pour celui qu'on peut appeler le « lampiste », celui qui va occasionnellement télécharger un morceau de musique ou un film parce qu'il n'a pas pu se déplacer ou trouver l'enregistrement commercial. Nous sommes bien sûr contre ceux qui font des malversations et s'enrichissent sur le dos des artistes.
C'est l'amendement de la dernière chance. Je vous invite à la saisir et à réfléchir à ce que vous votez, mes chers collègues de l'UMP, car votre nom est inscrit au procès-verbal. Un jour, vous aurez à rendre des comptes auprès des artistes de vos circonscriptions.
Peut-être n'y en a-t-il pas dans certaines de vos circonscriptions, car vous ne les soutenez pas plus au niveau local qu'au niveau national.
La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour défendre l'amendement n° 111 .
Monsieur le ministre, vous savez très bien que la création et la culture coûtent cher puisque, dès votre arrivée au ministère, vous avez dû, me semble-t-il, sortir 2 millions d'euros pour un concert qui a eu lieu le 14 juillet, plus 600 000 euros pour la réfection de la pelouse du Champ-de-Mars. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Il serait juste d'accepter cet amendement de repli ou de « politique du moins pire », qui consiste à taxer l'argent accordé aux fournisseurs d'accès afin de financer la création.
J'ai moi aussi, dans ma circonscription, des associations culturelles, des associations de jeunes artistes qui sont mises à mal puisqu'il y a désengagement de l'État dans ce domaine. Nous comptons sur vous et, M. Paul a raison de le dire, nous serons vigilants lors de l'examen de la mission « Culture » du projet de loi de finances.
Je vous invite d'ailleurs à aller au festival qu'il vous a présenté. Il pourra même, je pense, y aller de sa petite chanson. (Sourires.)
S'il n'y avait pas tant d'amendements, nous pourrions y aller ce soir !
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Nous pourrons y aller demain soir !
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour soutenir l'amendement n° 112 .
Par cet amendement, nous proposons que les sommes perçues sur les internautes privés de leur abonnement, et qui devront néanmoins continuer de le payer, soient affectées au financement de la création, de la même manière que nous proposions que la taxe sur les fournisseurs d'accès le soit.
Le budget de la création au sein du ministère de la culture et de la communication va encore baisser de 3 % dans les deux années à venir. Puisque la volonté de la majorité semble être de soutenir les artistes et de défendre les droits d'auteur – c'est en tout cas ce que vous nous dites depuis le début de l'examen de ce texte –, il y a une manière très simple de soutenir la création : c'est d'augmenter les crédits budgétaires qui lui sont alloués. Ce n'est pas en infligeant cette peine supplémentaire aux internautes que vous permettrez au budget de la création d'augmenter.
Je vous rappelle d'ailleurs qu'un rapport commandé par le Président de la République à M. Jacques Attali, dont les journaux avaient beaucoup parlé l'an dernier, préconisait une taxation des fournisseurs d'accès à internet.
Non seulement il considérait que la mise en place de mécanismes de contrôle constituerait un frein majeur à la croissance, mais il préconisait aussi, à la recommandation n° 57 de son rapport, de faire verser par les fournisseurs d'accès une contribution aux différentes sociétés de gestion collective des droits d'auteur, sous la forme d'une rémunération assise sur le volume global d'échange de fichiers vidéos ou musicaux.
Il nous avait semblé que la majorité, ou en tout cas le Président de la République, souhaitait s'inspirer du rapport Attali.
Madame Hostalier, vous qui défendez les droits de l'homme, respectez donc les droits de l'opposition !
Ce projet de loi me paraît particulièrement représentatif de la méthode utilisée par les gouvernements qui se sont succédé depuis 2002 pour traiter les problèmes de notre pays.
Il existe un problème de financement de la création culturelle : vous choisissez de le traiter par la répression. Étrange !
Il existe un problème de chômage : vous avez choisi, pour commencer, de le traiter par des mesures administratives et répressives. Vous avez d'abord organisé la fusion des ASSEDIC et de l'ANPE, qui ne marche d'ailleurs pas très bien. De même, il y a un an, nous discutions dans cet hémicycle de l'instauration d'une notion nouvelle dans le code du travail, celle d'« offre raisonnable d'emploi » : celui qui se voit proposer un emploi à trente kilomètres de chez lui pour une rémunération au moins égale à 85 % de son ancien salaire n'a pas le droit de le refuser…
C'est seulement « plus tard », comme dit le ministre de la culture et de la communication, que l'on se posera la question de savoir comment créer des emplois dans notre pays. Et c'est seulement « plus tard », bien plus tard, quand le volet répressif sera voté, que l'on cherchera à trouver des fonds pour soutenir la création artistique.
C'est toujours la même chose avec vous : vous commencez par l'administratif – c'est d'ailleurs étrange de la part de députés de droite, de libéraux – et le répressif, au lieu de traiter le fond du problème, qui est l'emploi ou la création artistique, les sources de financement, et non la répression ou l'organisation administrative.
La parole est à M. Marcel Rogemont, pour soutenir l'amendement n° 614 .
Monsieur le ministre, vous avez très gentiment dit à Christian Paul : « Je me rendrai volontiers à votre festival. » Mais le festival de Lormes, monsieur le ministre, n'est pas le festival de Christian Paul : c'est un festival d'artistes de la chanson française, qui ont besoin d'argent pour vivre. La moindre des politesses, de la part du politique, c'est de faire en sorte que ces artistes puissent vivre.
Je vous ai déjà fait une proposition : demandez au tout-puissant Président de la République qu'il donne autant au ministère de la culture que ce qu'il a donné aux restaurateurs. Il manque 300 millions pour que cette dernière soit respectée au même titre que les premiers.
J'aimerais d'ailleurs savoir où ont été pris, le 14 juillet, les deux millions pour Johnny (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) : l'ont-ils été sur votre budget, alors que vous n'avez déjà pas beaucoup d'argent ?
L'amendement vise à ce que vous ayez un peu plus d'argent, notamment en empêchant que les fournisseurs d'accès en gagnent indûment. Il est en effet logique que les sommes prélevées sur les personnes dont l'abonnement a été suspendu servent à financer la création française. Monsieur le ministre, c'est la meilleure manière de faire vivre le festival de la chanson française de Lormes !
Défavorable, pour des raisons identiques à celles que nous répétons depuis le début de la journée.
Un regret, tout de même : c'est que vous vous en preniez à ce point à Johnny Halliday, un grand artiste. (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
La grande fête populaire que nous avons vécue au Champ de Mars était remarquable. Réjouissons-nous ensemble d'avoir un artiste comme Johnny Hallyday ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Je n'ai pas très envie de polémiquer sur Johnny…
Cela fait moins de trois euros par spectateur. Entre 700 000 et un million de personnes ont assisté au concert, et ce gratuitement, je vous le signale. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Et la pédagogie de la gratuité, qui est une grande idée de M. Christian Paul, s'applique en pareil cas. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Ensuite, s'agissant de la défense des artistes, nous sommes bien d'accord. Qu'Enzo Enzo soit invitée au festival de Lormes, c'est un très bon choix, et je n'ai aucune envie que ses chansons soient piratées et se retrouvent n'importe où, n'importe comment, sans qu'elle touche les droits d'auteur qui lui reviennent. Je pense que vous ne pourrez que souscrire à mon point de vue.
Madame Filippetti, le budget de la culture ne diminue pas.
Il n'augmente pas, mais il ne diminue pas. Il augmentera peut-être plus tard. Peut-être – qui sait ? – que le ministre de la culture sera excellent et obtiendra des résultats ! Vous m'avez donné rendez-vous ; vous ne pouvez pas augurer de ce qu'il sera.
En tout cas, le budget de la culture ne diminue pas.
Nous verrons de quelle manière gérer les différents postes de dépenses. Vous ne pouvez pas dire ce qui va se passer au ministère de la culture.
Nous n'allons pas faire des comptes d'apothicaires ; moi, je vous dis que non.
Cette attaque systématique contre les apothicaires est insupportable ! (Sourires.)
C'est vrai : je ne sais pas pourquoi on s'en prend à eux. Les apothicaires sont nos amis ! (Sourires.)
En Suède, après l'adoption de la loi contre le téléchargement illégal, les ventes en ligne ont augmenté de plus de 78 % au deuxième trimestre 2009.
Cela veut dire que le marché a repris, monsieur Bloche.
L'avis du Gouvernement sur ces amendements est défavorable.
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très bien !
Pour la clarté de nos débats, monsieur le ministre, évitez ces statistiques qui n'ont aucun sens. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) On ne sait pas d'où cela part, où cela va…
Vous en citez, vous aussi !
Nous nous gardons bien de citer des statistiques. En l'occurrence – c'était déjà le cas avec « DADVSI » et ça l'est encore avec « HADOPI 1 » et « HADOPI 2 » –, il n'y a aucune étude d'impact sérieuse sur la réalité du marché de la musique enregistrée, sur son chiffre d'affaires, et cela vaut également pour l'industrie du cinéma et la télévision.
Votre réponse est très symptomatique de ce qui se passe actuellement dans le monde de la culture. Pour le concert du 14 juillet, deux millions d'euros sont prélevés sur votre budget. Et ce n'est pas Johnny Hallyday qui est en cause ; nous aurions fait exactement les mêmes remarques pour n'importe quel autre artiste. Mais deux millions d'euros, pour un budget de la culture dont vous avez vous-même dit qu'il n'augmentait pas, et alors que la situation de nombre de compagnies théâtrales et chorégraphiques et de groupes musicaux est ce qu'elle est ! Celles-ci apprécieront certainement votre « Que sont deux millions d'euros ? »
À Avignon, pas plus tard que vendredi dernier, dans la Cour d'honneur, mille personnes ont lancé un cri de détresse pour dénoncer la situation catastrophique de la culture. Vous devez les entendre. Elles attendent énormément de vous parce que vous êtes installé rue de Valois depuis seulement un mois.
Un débat budgétaire aura lieu à la rentrée. Vous devez gagner vos arbitrages pour sauver la culture dans notre pays.
Tel est l'enjeu. C'est pourquoi nous regrettons que vous ayez refusé des amendements qui vous auraient assuré des financements supplémentaires. C'est une occasion manquée. Une de plus !
Très bien !
(Les amendements identiques nos 106 à 114 ne sont pas adoptés.)
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures quinze.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma