Comme nous l'avons déjà remarqué lors de l'examen du texte, aucune directive européenne, à notre connaissance, ne nous exhorte à placer nos deux forces de sécurité sous la tutelle d'un seul ministère, ni même à les faire entrer dans le jeu de « concurrence libre et non faussée. »
Aucun dysfonctionnement de la gendarmerie ne peut non plus justifier cette ardeur réformatrice et la procédure d'urgence déclarée. Alors pourquoi faire adopter en catastrophe cet arsenal juridique ?
Pour ce gouvernement, il ne peut s'agir que d'ouvrir des brèches dans le statut des gendarmes, en vue de futures restructurations et, nous en avons désormais la confirmation par la nouvelle rédaction de l'article 11 du texte, d'une fusion de la gendarmerie et de la police.
Les restructurations sont déjà en cours. Ce projet s'inscrit dans la volonté d'appliquer la fameuse RGPP aux forces de maintien de l'ordre. Dans ce cadre, je rappelle les chiffres : 3 500 postes de gendarme seront supprimés d'ici à 2012 ; le plan social devrait entraîner la suppression de sept ou huit escadrons de gendarmerie mobile ; et selon Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale, il est programmé que la police nationale perde 4 829 équivalents temps plein sur les trois ans à venir, soit la quasi-totalité des postes créés par la LOPSI.
Dans le même temps, la police aux frontières doit prendre en charge les centres de rétention administrative, jusqu'alors gérés par la gendarmerie, ce qui représente un effort de 600 équivalents temps plein. La création d'une centaine d'unités territoriales de quartier et de compagnies de sécurisation nécessite quant à elle le redéploiement de 4 000 équivalents temps plein.
Le chef de la police a posé lui-même la question : « Comment faire pour trouver tous ces fonctionnaires ?» Cette question a toute sa pertinence après le gigantesque plan social de la loi de programmation militaire 2009-2014 – 54 000 postes supprimés – et eu égard au dogme néolibéral de non-remplacement d'un poste de fonctionnaire sur deux.
D'ailleurs, le projet de loi sur la mobilité des fonctionnaires n'est pas de nature à nous rassurer sur ce point. En effet, selon l'article 3, issu de la CMP sur ce texte, « tous les corps militaires sont accessibles, par la voie du détachement suivi, le cas échéant, d'une intégration, aux fonctionnaires. » Cette disposition est typiquement dans la logique d'une recherche de « parité globale » entre la police et la gendarmerie, ainsi que je le montrais tout à l'heure. Elle semble être taillée sur mesure pour détruire toujours plus de postes pérennes à statut militaire, et répondre aux exigences de la RGPP.
À écouter le Gouvernement, ce projet de loi ne serait qu'une réforme de simplification ou d'une mise en cohérence. Nous y voyons plutôt une complexification d'institutions qui fonctionnent parfaitement, le tout dans l'objectif de favoriser, à terme, la fusion des deux forces.
D'une façon générale, tout est fait pour que les gendarmes n'aient plus que les inconvénients du statut militaire, sans en avoir les avantages. De cette façon, le Gouvernement espère que ce sont eux qui en viendront à revendiquer l'harmonisation statutaire. C'est la logique néolibérale, la vôtre : détricoter la cohérence des services publics pour les rendre moins efficaces et ainsi légitimer leur suppression ou leur restructuration.
La stratégie qui consiste à rapprocher deux institutions pour « faire des synergies », « des économies d'échelle » ou « supprimer les doublons » est totalement inefficace et sème la pagaille plutôt qu'autre chose. À titre d'exemple, le naufrage de la fusion entre les ASSEDIC et l'ANPE est éloquent.
Réformer le statut et l'outil de travail de 100 000 hommes et femmes ne se fait pas à la légère. Cela pose de multiples questions en termes d'organisation du travail, de temps de travail, de rémunération, autant de problématiques que ce projet de loi, placé en procédure d'urgence, n'aborde pas.
Partout où ce Gouvernement néolibéral veut faire des simplifications, partout cela installe la confusion et la pagaille. Il y aura désormais des compétences croisées entre les ministères de la défense et de l'intérieur. S'agissant de la gendarmerie, le ministère de la défense conservera ses prérogatives en matière disciplinaire et pour les opérations militaires proprement dites.
Plutôt que d'une simplification, on voit bien qu'il s'agit tout au contraire d'une complexification. Les députés communistes, républicains et du parti de gauche voteront contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)