Lorsque ce texte est venu en discussion en première lecture devant l'Assemblée nationale, le groupe SRC avait formulé une observation et trois objections.
Nous étions évidemment favorables à tout ce qui pouvait améliorer la situation de la fonction publique. L'amélioration de la fonction publique passe certes par la mobilité, mais aussi par l'amélioration de l'État. La garantie d'un État moderne est la condition sine qua non pour que puisse se développer parallèlement un secteur privé dynamique. Au regard de l'esprit du texte et de certaines de ses dispositions, nous ne pouvions que souscrire à son objectif, à savoir l'amélioration de la mobilité.
Cela étant, nous avions aussi formulé trois objections très importantes à nos yeux.
La première d'entre elles concernait la disposition du texte prévoyant la possibilité, nouvellement ouverte à l'administration, de faire appel à des agences d'intérim. Cette possibilité fait courir à notre pays le risque de voir se développer une grande précarité.
J'ai entendu les arguments que vous avez développés tout à l'heure sur le fait qu'aujourd'hui, déjà, la précarité s'installe chez les vacataires. Le recours à des agences d'intérim entraînera une plus grande précarité encore en favorisant le développement d'un corps de gens embauchés à titre quasi permanent aux côtés des fonctionnaires. Vous m'objecterez, monsieur le rapporteur, que le texte a prévu des garde-fous. Ces garde-fous existent aussi dans le secteur privé et les intérimaires n'en sont pas moins présents dans la quasi-totalité des industries de façon quasi permanente. Je ne sais sur quelle disposition repose cet état de fait, mais il est malheureusement avéré que le recours à l'intérim est de plus en plus massif. La gestion des ressources humaines tend à se faire uniquement en direction des cadres, en constituant un corps de cadres intégré et en faisant remplir toutes les tâches d'exécution par des agences extérieures associatives ou intérimaires.
Je crains que cette tendance du secteur privé ne s'étende au public, même si je sais combien il est difficile de gérer les ressources humaines, et notamment les groupes importants de personnels. Mme Le Moal avait souligné à juste titre le coût pour l'administration, le recours à un intérimaire représentant une charge plus lourde que le recours à un vacataire du fait de la marge prise par l'agence d'intérim. J'espère que ce coût sera un frein à l'utilisation massive des intérimaires, mais je constate qu'il existe dans notre société une tendance en ce sens, ce qui nous fait courir un risque important.
Ma deuxième objection, je vous le concède, n'est pas très importante. Elle porte sur le reclassement des fonctionnaires en disponibilité ou plus exactement n'ayant pas d'emploi. Aujourd'hui, il est prévu de leur proposer un emploi possible, contre trois dans le futur. Mon objection est la suivante : il n'y a aucun arbitre de la qualité de l'emploi que l'on propose. S'il y a une amélioration, allons jusqu'au bout et créons un processus de recours, comme une CTP ou une appréciation extérieure dans le dialogue entre l'administration et le fonctionnaire.
Notre troisième objection porte sur le cumul d'emploi. L'interdiction de ce cumul est ancienne, elle date de 1936 si mes informations sont exactes. Il est important que des fonctionnaires se consacrent pleinement et uniquement à leur tâche. Dans les pays du tiers-monde, certains fonctionnaires sont obligés d'ajouter à leur poste dans le public un emploi privé. Nous ne voudrions pas que ce modèle s'étende. Ce n'est pas votre intention, nous le savons, mais ce cumul présente cependant plusieurs risques.
D'abord, ce cumul d'emploi existe depuis assez peu de temps, puisqu'il a été créé par une loi du 2 février 2007. Or il n'y a pas eu, à ce jour, d'évaluation de ses avantages et de ses inconvénients. Ensuite, l'extension de la possibilité pour les agents d'exercer une activité privée lucrative aux emplois à temps non complet équivalent à 70 % de la durée légale du travail au lieu de 50 % présente également un risque. Certes, celui-ci n'existe pas si ce cumul concerne des emplois au sein des différentes fonctions publiques, qui appliquent les mêmes règles et façons de travailler. La difficulté vient du cumul d'un emploi public et d'un emploi privé, car il s'agit de deux mondes différents. Dans le public, il y a bien une pression hiérarchique pour obtenir des fonctionnaires un certain rendement. Dans le privé, la pression patronale est plus forte et en tout cas organisée différemment. Les fonctionnaires doivent répondre à des urgences, et sans doute la pression est-elle équivalente sur la longue durée. Mais sur le court terme, la pression patronale étant plus forte, le risque est grand que le fonctionnaire soit happé par les nécessités de sa fonction privée, au détriment de la fonction publique, qui se dégradera. Il en ira de même si le fonctionnaire est à son compte, car il aura la pression du chiffre d'affaires, laquelle est extrêmement… pressante, si je puis me permettre ce pléonasme, et risque de le détourner du travail exigé de lui dans la fonction publique.
Voilà les arguments que nous avions fait valoir avant l'examen du texte en CMP. Nous ne les avons pas répétés lors du passage en CMP, car les débats ont été écourtés et tout avait été dit. Rien n'a véritablement changé. Aucun remède n'ayant été apporté aux critiques que nous formulions sur deux éléments principaux et un élément secondaire, le groupe SRC votera contre ce texte.