La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (nos 2400, 2814, 2782).
Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de trois heures pour le groupe UMP, dont 151 amendements restent en discussion ; quatre heures quarante-six minutes pour le groupe SRC, dont 163 amendements restent en discussion ; deux heures vingt minutes pour le groupe GDR, dont 100 amendements restent en discussion ; quatre heures six minutes pour le groupe Nouveau Centre, dont 22 amendements restent en discussion, et trente et une minutes pour les députés non inscrits.
Cet après-midi, l'Assemblée a poursuivi l'examen des articles, s'arrêtant à l'article 9.
Nous commençons par un amendement de suppression de l'article 9, n° 167.
La parole est à M. Christian Hutin, pour le soutenir.
La parole est à M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 167 .
La parole est à M. le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, pour donner l'avis du Gouvernement.
Même avis.
(L'amendement n° 167 n'est pas adopté.)
L'article 9 propose que le juge statue dans les vingt-quatre heures alors qu'actuellement, il doit le faire sans délai. Je ne vois pas bien ce que cette modification apporte, si ce n'est qu'elle gênera le travail des juges et créera de l'insécurité juridique.
Ce délai de vingt-quatre heures pose un vrai problème car les procédures sont nombreuses et les audiences durent plusieurs heures. Il est même arrivé en 2008 qu'une audience dure vingt-quatre heures d'affilée… Le juge doit pouvoir consacrer un minimum de temps à chaque dossier ; sinon, c'est de l'abattage et cela n'a pas de sens. Je propose donc de conserver la rédaction actuelle qui laisse une souplesse aux juges dont ils n'abusent d'ailleurs pas.
Remarquons que, lorsqu'il s'agit de l'administration, on passe d'une notification immédiate à une procédure sans délai ; lorsqu'il s'agit des juges, on passe de sans délai à vingt-quatre heures… Laissons les choses comme elles sont, cela me semble du bon sens.
Défavorable.
Je pense qu'il y a de la part de notre collègue une mauvaise compréhension. Il n'est actuellement nulle part écrit que le JLD doit statuer sans délai, mais seulement qu'il doit rendre son ordonnance « sans délai », c'est-à-dire sans mettre sa décision en délibéré. En revanche, le CESEDA ne donne aucune indication de délai donné au juge pour statuer à compter de la saisine. Le projet de loi va donc dans le sens que vous souhaitez. Je vous invite à retirer votre amendement.
Même avis.
Cet amendement, auquel sont associés Mme Hostalier et M. Dionis du Séjour, vise à supprimer les alinéas 3 et 4 qui remettent en cause une jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle le maintien en zone d'attente n'est qu'une faculté lorsque l'étranger présente des garanties de représentation. Disposition surprenante quand on sait que, en matière pénale, de telles garanties permettent, en matière pénale, d'éviter la détention provisoire – je vous renvoie aux termes de l'article 144 du code de procédure pénale. Les garanties prévues dans ce projet ne sont pas identiques à la jurisprudence de la Cour de cassation, qui protège les étrangers lorsqu'ils sont en zone d'attente.
Ces deux alinéas présentent un nouveau risque juridique car ils restreignent le pouvoir du juge judiciaire. Le maintien en zone d'attente est justifié si l'étranger risque de s'enfuir, mais il ne s'impose plus dès lors que la personne présente des garanties sérieuses et que le risque de la voir s'évanouir dans la nature est faible.
En interdisant au juge de se fonder uniquement sur ces garanties de représentation pour remettre en liberté un étranger placé en zone d'attente, on supprime quasiment de fait le pouvoir du juge de mettre fin à une rétention en zone d'attente.
Enfin, n'est-il pas étrange que les garanties de représentation ne permettent pas d'éviter le maintien en zone d'attente alors qu'elles permettent d'éviter la garde à vue à un délinquant avéré ?
L'article 9 entend revenir sur une jurisprudence injustifiée de la Cour de cassation qui a confondu à tort les règles applicables à la rétention et celles applicables à la zone d'attente.
On peut accepter qu'un étranger en instance d'éloignement, qui dispose de garanties de représentation, ne soit pas mis en rétention, car cela ne met pas forcément fin à la procédure d'éloignement. En revanche, dans le cas de la procédure administrative de non-admission, l'absence de passage en zone d'attente revient à accepter l'entrée sur le territoire, ce qui met fin à la procédure en question.
J'ajoute qu'en vertu du principe de séparation des pouvoirs, un jugement d'un juge judiciaire ne devrait pas pouvoir mettre fin à une procédure administrative.
Avis défavorable.
Mon intervention sur l'article vaudra défense de l'amendement de suppression n° 168, monsieur le président.
L'article 10 instaure la notion de « grief substantiel » : pour qu'une irrégularité soit prise en compte par le juge des libertés et de la détention, celle-ci devra présenter un « caractère substantiel » et avoir eu pour effet de porter atteinte aux droits de l'étranger.
Je vous rappelle que peuvent se présenter en n'importe quel point du territoire et par le fait se retrouver en zone d'attente des personnes qui fuient des persécutions et des traitements indignes. Qu'en sera-t-il si on leur refuse la possibilité de déposer une demande d'asile auprès de l'OFPRA, puis de former un recours auprès de la CNDA en cas de rejet ? Ce ne sera pas possible dans ces zones d'attente. Qu'y a-t-il de plus substantiel qu'une violation des garanties procédurales de base ?
C'est pourtant ce à quoi aboutit l'article 10 qui restreint le pouvoir d'appréciation des juges et limite le droit des personnes concernées. Qui plus est, son application générera un invraisemblable contentieux : comment définir ce qui est « substantiel » s'agissant des droits d'une personne ?
Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de cet article.
Je suis saisi de cinq amendements de suppression de l'article, nos 50, 75, 125, 168 et 183.
La parole est à M. Étienne Pinte, pour soutenir l'amendement n° 50 .
L'article 10 limite les cas dans lequel le juge pourrait sanctionner les irrégularités qu'il constate par la remise en liberté de la personne maintenue en zone d'attente en introduisant une hiérarchie entre irrégularités, suivant qu'elles porteraient atteinte ou non aux droits des étrangers.
Concrètement, cela signifiera que l'étranger devra justifier devant le juge de cette « atteinte aux droits », notion éminemment subjective, pour pouvoir obtenir l'annulation de la procédure.
C'est la raison pour laquelle, avec Mme Hostalier et M. Dionis du Séjour, je demande par cet amendement la suppression de l'article 10.
Voici à nouveau un article qui soulève des problèmes de fond et de forme. L'article 8 prévoit que l'on ne peut soulever d'irrégularité qu'à la première audience. L'article 10 prévoit que cette irrégularité ne peut entraîner de remise en liberté que si elle est « substantielle » et porte atteinte aux droits des étrangers.
On voit clairement la manoeuvre : empêcher le juge judiciaire de libérer les étrangers pour vice de forme. Ces vices de forme sont des violations de la loi et des libertés constitutionnelles des individus. Il ne s'agit donc pas d'une erreur de tampon administratif. Nous parlons ici de libertés individuelles ; j'estime que cette combinaison de dispositions viole l'esprit et la lettre de l'article 66 de la Constitution. Là aussi, on risque la censure.
Défavorable.
L'article 10 reprend une proposition de bon sens du rapport de M. Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, que vous connaissez tous.
Il est normal qu'une irrégularité substantielle entraîne la libération de l'étranger, par exemple si son interpellation était illégale. En revanche, comme c'est le cas en procédure pénale et civile, il est incompréhensible de faire obstacle à une mesure d'éloignement, par ailleurs justifiée, en raison d'irrégularités purement formelles comme l'absence d'une signature sur un procès-verbal.
Même avis que la commission.
Comme l'a dit le rapporteur, il s'agit d'une proposition de la commission Mazeaud, ce qui devrait vous rassurer, monsieur Tardy. Ce rapport prévoit de faire une distinction entre les irrégularités substantielles et les irrégularités non substantielles, seules les premières conduisant, en cas de non-respect, à la remise en liberté de l'étranger.
Pour vous rassurer plus encore, la Cour de cassation exige de vérifier concrètement s'il y a eu atteinte aux droits des étrangers. En effet, le contrôle effectué par le juge judiciaire en cette matière touchant aux libertés individuelles ne saurait être purement formel et s'étend ainsi au contrôle de l'effectivité de l'exercice des droits. C'est pourquoi l'article 10 précise qu'une irrégularité n'entraînera la mainlevée de la mesure de maintien en zone d'attente que dans l'hypothèse où elle aurait pour effet de porter atteinte aux droits de l'étranger.
Vous devriez donc être pleinement rassuré.
Monsieur le ministre, qu'entendez-vous par « substantiel » ? Les articles 6 à 12 sont soi-disant liés à l'événement qui a vu, l'année dernière, l'arrivée de Kurdes de Syrie sur les côtes bonifaciennes.
De quoi les Kurdes sont-ils victimes dans tous les pays où ils sont implantés ? Que leur était-il arrivé plus précisément de Syrie ? On leur déniait les droits des citoyens syriens, de la nationalité syrienne.
Absolument, monsieur Blisko ! On les a déchus de leur nationalité.
Vous êtes en train d'instaurer un système selon lequel les personnes qui sont persécutées un peu partout dans le monde et cherchent un asile, comme le prévoit la convention de Genève adoptée après guerre, devront justifier du grief qui leur est fait quand elles arrivent sur une côte quelle qu'elle soit pour y trouver protection.
Monsieur le ministre, qu'est-ce que, selon vous, une atteinte substantielle aux droits de la personne humaine ?
Madame Mazetier, il n'est pas nécessairement utile de hausser le ton en fin de phrase pour poser une question finalement assez banale. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Une irrégularité substantielle, c'est, par exemple, l'omission de la notification des droits au bénéfice de l'avocat, du médecin, ou de l'interprète. Mais visiblement, vous ne m'écoutez pas. Ce n'est pas grave, vous pourrez lire ma réponse au Journal officiel…
Pour le reste, je vous suggère de vous demander pourquoi, alors que la demande d'asile est étale au niveau mondial et qu'elle n'augmente que de 3 % au niveau de l'Union européenne, elle a bondi de 45 % depuis deux ans dans notre pays. La réponse est très simple : c'est parce que la France a un droit particulièrement protecteur, qu'il s'agisse du droit d'asile et des droits des étrangers en situation irrégulière.
Et je vous donnerai un exemple très précis : savez-vous que la France est le seul pays au monde à compter, au sein du jury de la cour nationale du droit d'asile, qui est l'instance d'appel en matière d'asile, deux assesseurs dont un représente le Haut commissariat aux réfugiés ? Cessez donc de dire que notre pays est hostile au droit d'asile. Nous respectons scrupuleusement les droits des demandeurs d'asile, mais il y a des procédures.
Par ailleurs, l'Union européenne dans son ensemble est confrontée à une vraie difficulté que vous ne pouvez pas méconnaître et que vous pouvez vérifier auprès de tous mes homologues européens. À côté des vraies demandes d'asile, celles consécutives à des persécutions pour opinions politiques, religieuses, syndicales, la couleur de leur peau, etc., il y a de plus en plus de fausses demandes d'asile faites par des personnes qui cherchent, par ce truchement, à contourner les règles de la régulation de la migration légale. Voilà une réalité objective.
Monsieur le ministre, dans la langue française, on distingue une multitude de temps, et notamment l'imparfait. Vous parlez au présent, alors que vous vous apprêtez à aligner notre pays sur des pratiques peu respectueuses du droit d'asile.
Vous citez le HCR. Mais le HCR a émis des remarques sur ce projet de loi et fait des suggestions pour éviter la réduction des droits des demandeurs d'asile qui est prévue dans ce texte.
Nous présentons des amendements pour faire en sorte que la France reste fidèle à la vocation qui est la sienne historiquement et aux conventions internationales auxquelles elle a souscrit et qu'elle respecte depuis des années, et jusqu'à présent. Et nous espérons que ce présent ne deviendra pas de l'imparfait. Or c'est très imparfaitement que nous respecterons le droit d'asile et la convention de Genève si nous acceptons ces dispositions, qui visent à refouler des personnes à la frontière avant même qu'elles puissent formuler une demande d'asile alors qu'elles sont persécutées dans leur pays parce qu'elles appartiennent à des minorités ou qu'elles ont des orientations sexuelles, des caractéristiques qui ne sont pas celles de la majorité.
Ne parlez pas au présent alors que vous vous apprêtez à réduire ce qui faisait une des forces de la France !
(Les amendements identiques nos 50 , 75 , 125 , 168 et 183 ne sont pas adoptés.)
(L'article 10 est adopté.)
L'article 10 bis vise à donner davantage de temps au parquet pour contester des décisions de remise en liberté ou d'assignation prononcées par le juge des libertés et de la détention.
Aujourd'hui, lorsqu'un étranger est libéré ou assigné par le juge, la préfecture ou le parquet peuvent faire appel de la décision mais ce recours n'est pas suspensif par nature. Pour obtenir qu'il le soit, le parquet doit demander au premier président de la Cour d'appel qu'il déclare son recours suspensif, dans un délai de quatre heures après la notification de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention. Le premier président statue sans délai. La décision du premier président de la Cour d'appel n'est pas susceptible de recours.
L'article 10 bis prévoit d'augmenter ce délai, qui passerait donc de quatre à six heures.
En l'état actuel de la loi, lorsqu'un juge des libertés et de la détention décide de libérer ou d'assigner un étranger, ce dernier n'est donc relâché qu'après un délai de quatre heures, lorsqu'il est avéré qu'un appel du parquet n'est pas venu suspendre cette décision. Le délai de quatre heures pose déjà une série de problèmes préjudiciables à l'étranger et à son conseil : incertitude stressante pour l'étranger ; nécessité de réagir en urgence pour les avocats, à des heures tardives lorsque la demande d'effet suspensif intervient suite à des audiences tenues l'après-midi.
Un exemple : si une audience a lieu à quatorze heures, la décision du juge des libertés et de la détention intervient à dix-sept heures. L'appel et la demande d'effet suspensif du parquet sont alors possibles jusqu'à vingt et une heures.
Autre problème : l'avocat est prévenu, parfois à la dernière minute, et doit rédiger et faxer ses observations avant vingt et une heures.
Si l'avocat est absent de son cabinet au moment où la Cour d'appel l'informe de l'appel formé par le parquet, plus aucun recours contre la demande de caractère suspensif de l'appel n'est possible.
Les nouvelles dispositions ne feront qu'aggraver ce phénomène. Des étrangers seront relâchés en pleine nuit. Des avocats absents de leur cabinet durant la nuit ne pourront plus formuler d'observations à l'encontre d'un appel du parquet, si bien que la procédure sera contraire au principe du contradictoire.
L'article 10 bis vise donc à remettre plus facilement en cause les libérations prononcées par les juges des libertés et de la détention.
Je signale que cet amendement est cosigné par Mme Hostalier et que M. Dionis du Séjour, qui avait déposé un amendement identique, partage les arguments que je viens de développer.
Cet article propose de faire passer de quatre à six heures le délai pendant lequel le parquet peut faire appel d'une décision de remise en liberté. Tandis que, d'un côté, on restreint les délais dans lesquels le juge doit statuer, de l'autre on augmente le temps dont bénéficie le parquet, donc de fait l'autorité administrative. Cela ne me paraît pas justifié ; mais surtout, cela risque de complexifier le droit pénal puisque ce délai de quatre heures pour faire appel est calqué sur celui du référé-détention en matière de procédure pénale.
On va donc se retrouver avec deux délais différents pour des faits très similaires, ce qui ne va pas dans le sens d'une simplification du droit, sujet pourtant très cher au président de la commission des lois.
Je partage pleinement les propos que viennent de tenir les orateurs précédents.
Je souhaite revenir sur le droit d'asile. Le drame, ce n'est pas la situation actuelle, bien qu'elle puisse être améliorée, mais le fait que vous aspiriez, monsieur le ministre, à aligner la France sur les pratiques du moins-disant. La convention de Genève est grignotée petit à petit. Et ce n'est pas parce qu'il y a des fraudeurs qu'il faut méconnaître les droits des personnes persécutées.
Et quand vous trouvez tout à fait normal de sous-traiter à une grande démocratie comme la Libye le recueil de la demande d'asile de ressortissants de différents pays du continent africain, je ne suis pas sûre que nous allions vers le haut…
Remarquons que vous parlez toujours du nombre de demandeurs d'asile, mais jamais du nombre de ceux qui en obtiennent le statut : c'est faire l'impasse sur le fait que la France est très mal placée parmi les pays qui reconnaissent dès la première instance la demande d'asile. En réalité, dans la moitié des cas, les demandeurs d'asile doivent avoir recours à la Cour nationale du droit d'asile pour que leur statut soit effectivement reconnu.
Quel est l'avis de la commission sur l'ensemble de ces amendements identiques ?
Défavorable. Les recours contre les jugements du juge des libertés et de la détention ne sont pas suspensifs, ce qui place l'étranger et l'administration dans une position fort différente.
En cas d'appel d'un jugement de prolongation de la rétention, le recours de l'étranger est effectivement susceptible de conduire à sa libération. En revanche, quand le préfet ou le procureur de la République font appel d'une décision ordonnant la libération de l'étranger, cet appel est généralement de pure forme puisque, si le juge d'appel fait droit de leur argumentation, son ordonnance n'entraînera pas un retour en rétention de l'étranger libéré par le juge de première instance.
Cette situation est d'autant plus regrettable que les juges des libertés et de la détention ont des politiques jurisprudentielles très variées sur le territoire, entraînant des échecs injustifiés de certaines procédures d'éloignement.
Pourtant, une étude du ministère de la justice de 2008 sur les décisions du juge des libertés et de la détention montre que, dans deux tiers des cas, celui-ci est désavoué par la cour d'appel en cas d'appel formé par le procureur ou le préfet. Pour y remédier, la procédure permettant de rendre suspensif l'appel du parquet est donc indispensable, bien que trop peu utilisée.
Faire passer de quatre à six heures le délai dont dispose le parquet pour demander au premier président de la cour d'appel que son appel ait un caractère suspensif, devrait permettre une plus large utilisation de cette procédure.
L'article 11 vise à renforcer une disposition déjà fortement défavorable aux droits de l'étranger. Celui qui bénéficie d'une ordonnance mettant fin à son maintien en zone d'attente peut voir cette ordonnance faire l'objet d'un appel suspensif par le procureur de la République.
Force est de constater que le caractère suspensif de l'appel est réservé exclusivement au procureur sans que l'étranger, à travers son avocat, puisse user d'une disposition symétrique en cas de décision défavorable.
Cette différence de régime contrevient aux termes de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme qui exige notamment l'égalité des armes entre parties. Ne me contrediront ni M. Goasguen qui est avocat ni M. Myard qui connaît le droit international parce qu'il fut diplomate.
Je vous en prie, mes chers collègues, M. Myard l'est toujours… (Sourires.)
Je n'imagine pas que le Gouvernement français contrevienne délibérément aux dispositions de cet article 6 prévoyant, j'y insiste, l'égalité des parties en termes de moyens de recours.
Or, bien loin de résoudre cette inégalité flagrante atteignant le principe même du procès équitable, vous l'aggravez en faisant passer de quatre à six heures le délai au cours duquel le procureur peut demander l'effet suspensif.
Encore une fois, une telle disposition avantage tous ceux qui connaissent les arcanes judiciaires au détriment de ceux qui en sont plutôt les victimes. D'autant que les étrangers dont nous parlons ne sont pas de dangereux criminels : ce n'est même pas qu'ils n'ont pas de papiers…
Vous ne pouvez pas le nier, chers collègues de la majorité : ils n'ont pas les bons papiers…
…mais bien ceux de leur État d'origine – ce qui, du reste, leur porte préjudice car il vaut mieux ne pas avoir de papiers du tout, auquel cas on devient inexpulsable. Si ces étrangers possèdent en effet leurs papiers lorsqu'ils sont arrêtés, les autorités françaises peuvent saisir la représentation diplomatique pour obtenir le sauf-conduit permettant l'expulsion.
Il y a donc bien deux poids, deux mesures. Il suffit d'être puissant dans ce pays pour bénéficier de la complaisance des autorités. Il est une dame, jeune depuis très longtemps…
Je constate que M. Mariani a des références : il parle de mamie Liliane. Quand vous disposez d'un procureur aux ordres, c'est formidable : tout se règle…
Mais lorsque vous êtes un pauvre étranger, vous ne bénéficiez pas des mêmes complaisances.
En effet. Je ne parle pas des cheikhs d'Arabie qui habitent le XVIe arrondissement de Paris ou bien Neuilly : ces gens-là ont des coffres-forts…
Vous ne cessez de jalouser Montreuil, monsieur Goasguen, et je vous comprends. Chacun a des racines, même paysannes – lointaines pour ce qui vous concerne, n'est-ce pas ?
C'est que cela devient de plus en plus chic, Montreuil, de plus en plus bobo !
Ne vous en faites pas : les racines révolutionnaires sont en train de pousser. Quand on taille les branches au printemps et qu'une greffe imposée prend mal, la sève monte et l'arbre reprend vigueur ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Mais revenons-en à notre sujet, monsieur Goasguen. Vous m'entraînez vers l'Ouest…
…alors que je tiens à demeurer dans l'Est parisien avec le peuple de France dans ses profondeurs.
Précisément, on compte chez nous de nombreux résidents étrangers. Imaginez-vous, monsieur Goasguen, ce que c'est que de vivre dans la crainte de l'uniforme alors qu'on cherche un travail ou qu'on en exerce un sans être en règle vis-à-vis du droit au séjour ? Mais cela, vous n'en savez rien.
Si, parce que nous les rencontrons, nous ! Nous en voyons même pas mal !
Mais si. Vous aussi, parmi les gens que vous fréquentez dans le 16e que vous représentez ici, vous connaissez des étrangers : mais les vôtres paient leur droit de séjour en France avec des pétrodollars.
Pas toujours, vous avez raison : il y a également des malhonnêtes dans le tas… Je suis d'accord avec vous, mais dites-nous ce qu'on leur fait !
Notre collègue Braouezec m'indique que nous digressons. (Sourires.)
J'appelle votre attention, monsieur le ministre, sur le fait que la disposition que vous prônez aggrave l'inégalité et n'est pas à l'honneur de notre pays. Nous vous demandons donc de renoncer à cet article pour que nous n'ayons pas demain à rougir de notre législation.
Je ne reprendrai pas l'argumentation que j'ai développée à l'occasion de l'examen de l'article 10 bis. Je rappellerai seulement que l'article 11 vise lui aussi à donner davantage de temps au parquet pour contester les décisions de remise en liberté ou d'assignation prononcées par le juge des libertés et de la détention. C'est la raison pour laquelle, avec mes collègues Hostalier et Ameline, nous y sommes opposés.
La parole est à Mme George Pau-Langevin, pour soutenir l'amendement n° 170 .
La majorité essaie de résorber l'échec de sa politique de rétention. Or nous avons constaté, pour avoir visité la plupart des centres de rétention avec Thierry Mariani…
Il y a un délai, monsieur Brard… Mais je crois qu'il y a passé un temps indéfini ! (Rires.)
Le fait que le Gouvernement ne parvienne pas à expulser un nombre suffisant d'étrangers par rapport aux objectifs qu'il s'est fixés ne tient pas au temps de rétention : au bout de dix jours, on sait parfaitement qui pourra partir et qui ne le pourra pas. Du reste, certains chefs de centre nous ont confié qu'ils préféraient ne pas prendre certains étrangers dont ils savaient pertinemment qu'il est impossible de les ramener chez eux, soit parce qu'ils ont de la famille en France, soit parce que leur pays est en guerre.
Toutes vos dispositions – donner au parquet la possibilité de faire appel, user de toutes les procédures possibles pour laisser les gens le plus longtemps possible en rétention, s'opposer aux décisions du juge des libertés et de la détention qui permet à la personne de sortir – , ne serviront pas à grand-chose, sinon à renchérir le coût déjà très élevé des reconduites à la frontière.
En persistant à garder encore plus longtemps dans des centres de rétention des gens dont on sait qu'ils ne peuvent pas partir pour toutes sortes de raisons, vous alourdissez la charge du contribuable français pour un maigre résultat.
Là encore, par le biais de l'appel suspensif, vous tentez de donner au parquet la possibilité de faire partir quelques individus, mais, en même temps, vous alourdissez significativement la facture, le nombre de gens emprisonnés, tout cela pour améliorer des statistiques de manière bien marginale. Il s'agit au total d'une mauvaise action pour la défense des droits et des libertés et, même si l'on suit votre logique, c'est surtout une action parfaitement inefficace.
Comme l'a souligné M. Pinte, l'article 11 fait suite à l'article 10 bis. L'avis de la commission est donc le même : défavorable.
Je signale à Mme Pau-Langevin qu'il n'est pas question ici des centres de rétention mais tout simplement des zones d'attente.
Il est important de rappeler, notamment à Jean-Pierre Brard, que la modification prévue par l'article 11 est conforme aux préconisations de la commission présidée par Pierre Mazeaud. Lorsqu'elle est utilisée, la procédure d'appel suspensif du parquet est efficace puisque le taux d'annulation de décisions de libération est de deux tiers.
L'inconvénient est que cette procédure demeure peu utilisée : dans 6 % seulement des cas de refus de prolongation. Ce faible taux s'explique par la brièveté des délais. Dès lors qu'une personne se trouve dans une zone d'attente, ou bien elle y est maintenue, ou bien elle entre sur le territoire si on lui ouvre les portes. L'appel suspensif a donc des conséquences très concrètes.
(Les amendements identiques nos 52 , 77 , 127 , 170 et 184 ne sont pas adoptés.)
(L'article 11 est adopté.)
L'article 12 vise à déclarer irrecevable d'office tout moyen d'irrégularité soulevé après la première audience, à moins que ladite irrégularité ne soit postérieure à l'audience. Ces dispositions réduisent incontestablement le droit à un recours effectif et pourraient être considérées comme contraires à l'article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
On retrouve ici le problème soulevé un peu plus tôt concernant la purge des irrégularités, mais on y ajoute une autre violation des règles juridiques. Qquand on fait appel, on reprend le litige à zéro. L'appel, ce n'est pas un contrôle du premier jugement. C'est un autre jugement, prononcé sur le même dossier par un autre juge. Dans tous les domaines, on peut invoquer de nouveaux moyens, en fait ou en droit, lors d'un appel. C'est une règle générale du droit, et je ne vois pas ce qui justifie de passer outre.
Par contre, c'est un moyen supplémentaire de fragiliser la défense de l'étranger, et donc une atteinte au droit constitutionnel à un procès équitable. Encore une fois, on risque la censure du Conseil constitutionnel.
La parole est à M. Apeleto Albert Likuvalu, pour soutenir l'amendement n° 128 .
La parole est à Mme George Pau-Langevin, pour soutenir l'amendement n° 171 .
Cet article est tout de même assez surprenant. À une procédure qui porte sur une privation de liberté, on applique des règles civiles. La purge des nullités, cela existe, mais c'est une règle qui s'applique en matière civile. Or, il s'agit ici de sujets essentiels, de libertés individuelles importantes. Sur quel fondement peut-on appliquer à une procédure qui est sensiblement une procédure pénale des règles qui ne valent qu'en matière civile ?
J'y vois pour ma part une entorse tout à fait incompréhensible à nos principes de droit.
La parole est à M. Patrick Braouezec, pour soutenir l'amendement n° 185 .
Cet article marque une défiance, une fois de plus, à l'endroit des juges judiciaires qui, constatant qu'une irrégularité manifeste violant les droits de l'étranger aurait été commise, devraient néanmoins feindre de ne pas la voir et s'interdire de la constater pour ordonner la mise en liberté sur ce fondement, au seul motif que cette irrégularité n'aura pas été invoquée dès le premier passage devant le juge !
Ce système de purge des nullités, proposé par le projet de loi, instaure une discrimination au détriment des étrangers par rapport au justiciable commun. Cette discrimination n'est justifiée que pour accommoder l'administration et instaurer un déséquilibre face à la justice qui rend inéquitable la procédure.
En outre, les avocats, ayant connaissance de la procédure judiciaire très peu de temps avant les audiences, sont fréquemment conduits à soulever en appel des moyens de nullité auxquels ils n'avaient pas pensé en première instance ou qui nécessitaient une recherche documentaire pour pouvoir être soutenus devant le juge. Cette disposition nuira considérablement au bon exercice du travail des avocats.
Ces dispositions réduisent incontestablement le droit à un recours effectif. Elles pourraient être considérées comme contraires à l'article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
Défavorable, pour les mêmes raisons qu'à l'article 8. Il faut sécuriser et clarifier les procédures devant le juge des libertés et de la détention. Les mécanismes de purge des nullités créés par le projet de loi sont donc indispensables.
Le contentieux judiciaire du maintien en zone d'attente est une procédure civile, régie par les dispositions du code de procédure civile, et notamment son article 74, qui dispose que les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.
Il en résulte notamment que les nullités éventuelles ne peuvent être examinées en cause d'appel que si elles avaient été soulevées in limine litis en première instance. Les irrégularités intervenues avant l'audience du JLD sont donc purgées par l'ordonnance de ce dernier, et ne peuvent être examinées pour la première fois qu'à cette seule occasion.
Si une irrégularité n'avait pas été soulevée en première instance, elle ne pourra donc plus l'être en appel. Il s'agit d'une règle classique de procédure civile.
Je suis saisi de plusieurs amendements portant articles additionnels après l'article 12.
La parole est à Mme George Pau-Langevin, pour soutenir l'amendement n° 406
Nous tenons à souligner par cet amendement l'un des aspects les plus discutables de la situation actuelle dans les zones d'attente : le sort réservé aux mineurs. C'est un vrai crève-coeur de voir ces jeunes dans des lieux qui sont, objectivement, des prisons. Il faut du reste saluer le rôle de nos magistrats, voire des personnels qui travaillent dans ces endroits et qui s'efforcent d'alléger autant que faire se peut le sort de ces jeunes, tant ils sont malheureux de se voir transformés en gardiens de mineurs.
Un mineur isolé doit le plus souvent être mis sous la protection d'un administrateur ad hoc, voire de l'ASE. Mais à défaut, si on le renvoie, il faut savoir à qui on le renvoie, sous conditions, et s'assurer d'un minimum de garanties. C'est ce que nous demandons. Il n'est pas imaginable que l'on se contente de refouler des jeunes sans se soucier des conditions dans lesquelles ils pourront être accueillis à leur arrivée.
C'est un peu facile !
La directive retour s'applique aux décisions relatives au séjour et non à l'entrée sur le territoire. Elle n'est donc pas applicable en l'espèce.
Par contre, je comprends bien, ma chère collègue, les raisons de cet amendement. La question de la présence des mineurs en zone d'attente est difficile. Le rapport de la mission d'information sur les CRA et les zones d'attente, que nous avons menée ensemble l'an dernier, madame Pau-Langevin, montrait bien que, malheureusement, il n'y avait pas d'autre solution : on ne peut tout de même pas séparer aussi les enfants des parents.
Néanmoins, cette situation est difficile, et avait conduit le ministre à organiser une réflexion sur le sujet, pour améliorer la situation des mineurs en zone d'attente. Je pense que vous nous en direz un mot, monsieur le ministre.
Dans l'immédiat, votre amendement va trop loin et doit être rejeté.
Je sais qu'il s'agit ici des mineurs isolés. Mais je parlais de la mission que nous avions menée ensemble avec Mme Pau-Langevin.
Je suis défavorable à cet amendement. Je veux rappeler à l'Assemblée nationale que les mineurs étrangers isolés en zone d'attente bénéficient déjà d'une protection particulièrement généreuse quand on la compare avec ce qui existe dans les pays européens. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Il est intéressant de se comparer à ce que font les autres. Nous sommes dans un espace commun. Nous sommes soumis aux mêmes pressions qu'eux.
Chaque fois que je dis que la France est leader en Europe, cela vous fait l'effet d'une décharge électrique. Il faut vous habituer à ce que la France soit protectrice ! Ce n'est pas grave !
C'est le fait que vous abandonniez nos bonnes pratiques pour des mauvaises qui est grave !
J'étais en train de vous expliquer que même si l'étranger mineur maintenu en zone d'attente n'est pas, juridiquement, entré sur le territoire français, il n'en est pas moins placé sous le couvert du régime général de protection des mineurs, indépendamment de leur nationalité et de leur situation administrative. Cette protection incombe à l'autorité judiciaire, dont les décisions en matière de protection des mineurs s'imposent, en tout état de cause, à l'autorité administrative.
Par ailleurs, la légalité des décisions prises par l'autorité administrative sous le contrôle du juge est subordonnée au respect des principes prévus par les articles 3 et 37 de la Convention internationale des droits de l'enfant.
Enfin, je vous rappelle que, depuis la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale, le mineur isolé, durant son maintien en zone d'attente, est assisté d'un administrateur ad hoc. Nous avons veillé à ce qu'il y en ait systématiquement un, qui représente le mineur isolé dans toutes les procédures administratives et contentieuses relatives à ce maintien. Les conditions d'exercice des missions de cet administrateur ad hoc ont été examinées dans le cadre du groupe de travail que j'ai nommé et qui m'a rendu ses conclusions le 11 mai 2009. Les voies de réforme sont à l'étude. Elles ne relèvent pas du domaine législatif. C'est le cas, par exemple, de l'augmentation sensible du nombre des administrateurs ad hoc, ou encore de la mise en place de permanences dans les zones d'attente principales, ce que nous avons fait à l'aéroport de Roissy.
Je vous confirme donc, même si cela a l'air de vous perturber, que, en matière de traitement des mineurs étrangers isolés, la France est exemplaire en Europe. Elle est en pointe. Et au-delà de la zone d'attente, savez-vous que la France est l'un des rares pays à ne pas raccompagner les mineurs étrangers isolés dans les pays d'origine lorsqu'ils sont découverts sur le territoire français ? C'est une spécificité française. Nous allons bien au-delà de la recommandation du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, puisque celui-ci considère qu'un mineur étranger isolé peut être raccompagné dans son pays à la seule condition qu'il y dispose d'un « abri convenable ». Ne vous en déplaise, la France est généreuse. Cessons de nous auto-flageller ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Je vous ai écouté avec attention, monsieur le ministre. Vous avez avancé une série d'arguments, tant de fait que juridiques, qui vont à l'appui de notre amendement. Vous nous dites bien que nous avons, de par les conventions internationales, l'obligation de ne pas traiter les mineurs comme n'importe qui, et de leur donner un maximum de garanties quand on doit les éloigner.
Vous nous avez dit aussi que vous êtes tellement conscient du problème que vous avez mis en place un groupe de travail, et que vous réfléchissez à des améliorations.
Ce n'est pas incompatible.
Par conséquent, vous êtes en train de dire que ce que nous disons est tout à fait exact, et qu'il faut donc prendre des mesures.
Celle que nous vous demandons est extrêmement simple : le mineur isolé doit être remis à un membre de sa famille. En attendant que vous ayez mis en place toutes les mesures sans doute préférables dont vous nous parlez, je ne vois pas ce qui empêche d'avancer aujourd'hui, et de prévoir que le mineur soit remis à un membre de sa famille ou à des structures d'accueil adéquates dans l'État de retour. D'ailleurs, la plupart du temps, c'est exactement ce à quoi essaie d'arriver l'administrateur ad hoc qui est désigné pour prendre soin du mineur.
L'argumentation que vous avez développée va donc plutôt dans le sens de notre amendement.
(L'amendement n° 406 n'est pas adopté.)
Certes. Mais entre le stress et le ménagement, il y a de la marge !
Si je vous ai bien entendu, cet amendement ne peut qu'être accepté par le Gouvernement, puisque ce serait la bonne manière de graver dans le marbre de la loi le fait que vous avez souligné, à savoir que le mineur isolé ne peut être éloigné avant d'avoir rencontré l'administrateur ad hoc qui lui a été désigné. Vous venez de nous certifier que cela est la règle en France ; à ceci près que cette règle n'est pas à ce jour inscrite dans la loi. Alors, allons jusqu'au bout, comme vous le souhaitez d'ailleurs pour d'autres mesures : écrivons-le dans le marbre de la loi, ce qui évitera à l'avenir des interprétations négatives. Cet amendement va dans le sens de ce que vous venez de nous affirmer.
La parole est à Mme George Pau-Langevin, pour soutenir l'amendement n° 405 .
Même argument. Nous savons que des efforts sont faits pour que l'administrateur ad hoc soit nommé afin de rencontrer le mineur. Mais nous savons aussi que, dans la pratique,…
…le mineur est renvoyé avant que l'administrateur ad hoc ait eu le temps de le rencontrer. Les garanties qui existent doivent être appliquées, et si l'on veut qu'elles le soient, il faut dire clairement que le renvoi du mineur ne peut pas être exécuté avant qu'il ait rencontré l'administrateur ad hoc. Nous ne sommes pas éloignés du principe qu'a énoncé M. Besson.
Je suis défavorable à ces amendements en raison, déjà, d'une confusion manifeste des textes. L'article L. 751-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile auquel vous faites référence traite de la situation d'un mineur présent sur le territoire français qui forme une demande d'asile. C'est donc sans rapport avec la désignation, que vous évoquez, de l'administrateur ad hoc en zone d'attente. Je crois donc que vous vous êtes trompés et que ces amendements doivent être rejetés.
Si je comprends bien les propos que tient M. Besson, il ne renverra pas un mineur isolé qu'il rencontrerait sur le territoire national, et une autre procédure s'appliquera. Dans cette hypothèse, nous n'avons donc pas à craindre un renvoi d'un mineur isolé avant que ce dernier ait pu rencontrer son administrateur ad hoc.
Sans doute suis-je mauvais pédagogue. La France ne renvoie aucun mineur isolé. Suis-je clair ? La France ne renvoie aucun mineur étranger isolé ! Elle s'honore de ne pas le faire. Pardon de le dire – peut-être cela vous fera-t-il pousser les hauts cris – mais, de ce point de vue, nous sommes particulièrement vertueux parmi les pays européens.
Voilà, madame. Ai-je été clair ?
Je me réjouis de ce que vous annoncez, et j'en prends bonne note. Nous allons pouvoir en reparler la semaine prochaine, avec les Roumains !
Je ne peux pas prendre les propos du ministre pour argent comptant.
J'ai souvenir d'un cas rencontré à la rentrée, à Saint-Denis, d'un enfant isolé sur le point d'être renvoyé dans son pays. Heureusement, des parents d'élèves et des enseignants se sont mobilisés.
Ce que vous nous dites, monsieur le ministre, n'est donc pas vrai. Certes, cet enfant n'a finalement pas été renvoyé – peut-être grâce à votre intervention, que j'ai sollicitée – mais ce genre de situation existe bel et bien. Il faut souvent de véritables mobilisations citoyennes de parents d'élèves et d'enseignants. Je vous sais gré d'intervenir, lorsque vous le faites, pour empêcher de tels renvois, mais la procédure les permet.
Je le répète : un mineur isolé trouvé sur le territoire français n'est jamais reconduit. Entendons-nous bien : je ne dis pas qu'aucun mineur n'est jamais reconduit à la frontière, je parle d'un mineur isolé. Il arrive bien évidemment qu'un mineur soit reconduit avec ses parents dans son pays, mais la France ne reconduit pas un mineur étranger isolé.
Nous allons même faire preuve – vous le constaterez la semaine prochaine, lors de l'examen d'un autre article – d'une générosité encore plus flagrante dans les comparaisons européennes. Cela concerne le cas, certes limité, des jeunes entrés en France entre seize et dix-huit ans et qui ont suivi une formation d'au moins six mois : nous proposerons qu'ils restent, à leur majorité, sur le territoire français.
Réjouissons-nous tous ensemble, s'il vous plaît, de la générosité française !
Monsieur le ministre, je crois effectivement que vous n'êtes pas saisi de tous les cas. Si nous arrivons souvent, dans nos quartiers, à obtenir qu'un certain nombre de mineurs isolés restent et soient admis dans des foyers, c'est souvent au prix de luttes considérables et longues. Il faut souvent toute la mobilisation des associations, y compris d'associations comme RESF, pour protéger ces enfants.
Si j'entends maintenant un engagement clair de votre part, en vertu duquel jamais un mineur isolé sur le territoire ne sera reconduit à la frontière, j'en suis contente ; mais notre expérience au jour le jour montre que des luttes considérables sont nécessaires pour sauver ces enfants.
(Les amendements identiques nos 399 et 405 ne sont pas adoptés.)
Je suis saisi d'un amendement n° 172 .
La parole est à Mme Danièle Hoffman-Rispal.
Nous allons étudier dans quelques instants la carte bleue européenne, et j'ai déjà eu cet après-midi l'occasion d'évoquer l'avalanche de textes législatifs que nous connaissons depuis quelques années sur cette question.
Nous pensons que, pour mieux construire l'avenir, il faut connaître un peu le passé. C'est pour cela que nous jugeons utile de vous demander, par cet amendement n° 172 un rapport sur le bilan de la législation en matière d'immigration pour motif de travail. J'y reviendrai tout à l'heure dans mon intervention sur l'article 13, mais nous sommes tout de même surpris de l'échec de la carte de séjour « compétences et talents ». Je peux comprendre que seulement cinq cartes aient été délivrées en 2007 : le dispositif était récent. Mais il n'y en eut qu'un peu plus de 180 en 2008, et je ne connais pas les chiffres pour 2009.
Cet amendement se révèle d'autant plus indispensable que le Gouvernement a demandé la suppression de l'article 1er A, qui répondait pourtant à une forte demande de la commission. En outre, lors de l'adoption dudit article 1er A en commission, vous ne nous aviez pas répondu, monsieur le ministre : vous vous étiez contenté, de déclarer que vous émettiez le même avis que M. le rapporteur.
Je vous renvoie au chapitre du rapport annuel du Gouvernement sur les orientations de la politique de l'immigration, consacré à l'immigration professionnelle : le bilan de la politique menée dans ce domaine précis n'y occupe que trois pages… Je ne comprends vraiment pas qu'on n'essaie pas d'expliquer l'échec des efforts en faveur de l'attractivité de notre pays, si ce n'est en évoquant, en page 144 de l'étude d'impact, les effets d'autres langues. Cela me semble tout de même un peu court…
J'aimerais donc que vous nous donniez des explications sur l'échec de la carte « compétences et talents ».
Je m'interrogeais, monsieur Braouezec, parce que l'objet précis de l'amendement n° 172 est de proposer la remise au Parlement d'un nouveau rapport sur l'immigration pour motif de travail.
J'ai envie de faire la même réponse que précédemment : nous disposons déjà d'un rapport annuel qui, s'il n'est pas parfait, présente le mérite d'exister. Cela n'était pas le cas il y a quelques années, jusqu'à ce que M. Goasguen ait pris l'initiative de déposer un amendement à cet effet.
Je constate en outre que tout un chapitre est consacré à l'immigration du travail. Il occupe les pages 47 et suivantes.
En outre, notre collègue Eric Diard, rapporteur de la mission immigration du budget de l'État consacre également une grande partie de son rapport annuel à cette question.
Nous disposons donc, je le dis sincèrement, de tous les éléments statistiques nécessaires.
Je me réjouis tout d'abord, madame la députée, que vous vous intéressiez au sort de la carte « compétences et talents » : j'ai souvenir que de nombreux députés socialistes s'étaient élevés contre cette carte qu'ils accusaient d'organiser le pillage des cerveaux… Que vous nous reprochiez désormais de ne pas assez piller les cerveaux des pays en développement témoigne d'une évolution relativement intéressante.
La difficulté dans la mise en place de cette carte « compétences et talents » tient précisément au fait que nous l'avons voulue exigeante. Il faut que le candidat à la délivrance de cette carte ait un projet, et qu'il explique à l'administration ce que sera ce projet après son retour dans son pays d'origine.
Vous avez donc raison : nous avons mis des barrières, car il s'agit bien d'organiser une migration de circulation sur le mode « gagnant-gagnant », au bénéfice du migrant, au bénéfice de notre pays et en pensant au retour dans le pays d'origine. Le développement de cette migration prend un peu plus de temps que ce que nous aurions souhaité, mais son rythme d'évolution est devenu intéressant sur les deux ou trois derniers mois. Vous aurez toutes les précisions dès que nous pourrons vous les fournir.
Si nous demandons, par cet amendement n° 172 , un rapport sur l'immigration professionnelle, c'est en fait pour avoir un regard un peu lucide sur les chiffres qui nous sont présentés dans le rapport du comité interministériel de contrôle de l'immigration, et sur la manière dont leurs modalités de calcul évoluent.
Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, avait théorisé l'immigration « choisie », par opposition à l'immigration dite « subie », et fixé l'objectif, à court terme, de 50 % de flux migratoires pour motifs professionnels.
Il avait effectué un tri et distingué une immigration de personnes peu qualifiées ou de familles de migrants – l'immigration « subie » – et un flux de migrants hautement qualifiés. Ce flux devait donc, à très court terme, représenter 50 % du total des flux migratoires vers la France.
À l'époque, je n'étais pas encore députée, mais mes collègues, dont Christophe Caresche,…
…ont très légitimement contesté cette distinction, en décrivant simplement le réel. Dans les flux migratoires, l'immigration professionnelle n'occupe que le troisième rang, quantitativement et dans l'ordre des motifs ; ce n'est d'ailleurs pas spécifique à la France.
Cependant, une fois arrivés sur le territoire, les adultes ne restent pas des années à ne pas travailler. La plupart du temps, celui ou celle qui est venu rejoindre un conjoint ayant précédemment migré en France y trouve une activité professionnelle. La distinction entre les motivations initiales de l'immigration – le travail ou le regroupement familial – nous semblait très largement artificielle. Nous l'avions fait savoir ; mais à l'époque, cela ne correspondait pas au tableau de chaos migratoires non maîtrisés et non régulés que souhaitait brosser Nicolas Sarkozy…
Des lois successives ont été votées, avant et après l'élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République. Mais le réel résiste… Et comme, malheureusement, les flux ne s'inversaient pas, alors on a décidé de trafiquer les chiffres et de compter en migration professionnelle ce qui n'était pas recensé comme tel auparavant. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Ce n'est pas grave : nous, nous décrivions et nous prenions en compte la réalité, que vous décriviez, vous, comme une absence de maîtrise des flux. En fait, il n'y avait pas beaucoup plus d'entrées sur notre territoire lorsque les socialistes et la gauche étaient au pouvoir, mais nous décrivions la réalité comme elle était, l'évolution et les dynamiques telles qu'elles étaient. Vous, vous préférez distordre le réel pour le faire correspondre à vos objectifs chiffrés et à vos slogans.
L'Union européenne a adopté en juillet 2007 un règlement visant à harmoniser les statistiques européennes relatives aux migrations internationales. Je regrette vraiment que nos collègues Goasguen ou Vanneste ne soient pas là…
…pour entendre que l'on ignore, dans sept des vingt-sept États-membres, dont la France, le nombre des entrées et des sorties du territoire – et pas seulement les entrées et les sorties des étrangers, mais aussi les entrées et les sorties des Français !
L'Union européenne a donc tenté d'harmoniser les modalités de calcul, les critères, les catégories.
Curieusement, la France faisait partie des sept pays, parmi vingt-sept, dans lesquels il était extrêmement compliqué d'établir cette comptabilité. Or, au lieu d'essayer de converger vers la mise en oeuvre ce règlement pour hamoniser les statistiques européennes, vous avez décidé de changer les modalités de calcul !
Le motif économique n'arrive fréquemment qu'en troisième position et représente rarement plus de 15 % des titres délivrés : ce n'est pas une spécificité française, mais une constante dans les migrations internationales. Et ce n'est pas une constante pérenne : quelqu'un qui n'arrive pas dans un pays pour un motif professionnel peut se mettre à y travailler. Prenez le cas de nos expatriés : lorsqu'un Français s'expatrie pour un motif professionnel – ils sont 2,5 millions dans ce cas –, il est accompagné ou rejoint par son conjoint qui cherche du travail sur place,…
…qui cherche mais ne trouve pas ! C'est comme les chercheurs : ils cherchent mais ne trouvent pas !
…et qui parfois en trouve, et même souvent.
Bref, tout cela évolue. Cela n'a rien de grave ni de honteux, mais reconnaissez-le : nous aurions pu chercher à harmoniser et de regarder objectivement, avec l'ensemble de nos partenaires européens, comment tout cela se passait, ce qui était bien, moins bien, ce qui permettait de rendre le territoire européen plus attractif, ce qui pouvait avoir des conséquences désastreuses sur les pays de départ ou, au contraire, ce qui accompagnait leur décollage économique. Un peu d'expatriation ne nuit pas à la croissance ni au développement : tous les grands pays émergents – ainsi l'Inde, le Brésil – ont une part conséquente de leurs concitoyens qualifiés hors de leur territoire. Ils n'interdisent pas à leurs qualifiés de partir, mais le taux d'expatriation n'atteint pas des proportions catastrophiques.
Comme cette réalité ne collait pas à vos slogans, vous avez décidé de changer les modalités de calcul. Il est vrai que vous partiez de 7 % du flux total des entrées à des fins d'installation durable pour des motifs professionnels. Passer du jour au lendemain de 7 % à 50 % relevait d'une performance impossible à atteindre – nous vous l'avions dit. Mais loin de reconnaître qu'il fallait peut-être modérer vos ambitions, vous avez décidé de changer les modes de calcul : c'est ainsi que, dans le rapport orange sur les orientations de la politique de l'immigration, certains chiffrent apparaissent une année, puis disparaissent au fil des ans.
Dans ce rapport de décembre 2007, vous expliquez que, désormais, il faudra calculer la part de l'immigration économique sur de nouvelles bases. Comme par hasard ! Car l'immigration choisie date de la loi de 2006. Vous vous êtes rendu compte très rapidement que cela n'allait pas coller et vous avez décidé de changer les modes de calcul, en modifiant et le numérateur et le dénominateur. Vous avez décidé d'intégrer dans les calculs ceux que, pour notre part, nous ne comptions pas en motif professionnel d'installation durable, comme les travailleurs saisonniers. Après tout, ce sont des travailleurs. Et, curieusement, M. le ministre ne veut jamais répondre au nombre de régularisations auquel il est procédé un peu partout en France, dans tous les départements ! Or il semble, monsieur le ministre, que vous intégriez aux chiffres de l'immigration professionnelle les régularisations obtenues pour motif professionnel.
Pour ce qui nous concerne, nous ne condamnons pas le fait de régulariser la situation de personnes présentes en France depuis longtemps et qui y travaillent, au contraire. Mais dites-le ! Dites que c'est comme cela que vous faites de la gonflette ! Que c'est comme cela que vous obtenez le chiffre annoncé par le rapporteur lors de la discussion générale, ces 30 % d'immigration pour motif professionnel. Nous en sommes loin ; ou alors, nous y étions déjà depuis longtemps, mais en prenant d'autres modes de calcul… C'est ce dont nous souhaiterions débattre avec vous lorsque nous vous demandons un rapport.
Madame la députée, je ne suis pas certain d'avoir tout compris de la subtile démonstration que vous venez de faire… Je la relirai à tête reposée pour en saisir la substantifique moelle ! (Rires sur les bancs du groupe UMP.)
Pour commencer, nous n'avons en rien changé le mode de calcul.
Ensuite, c'est vrai, après une tendance à l'augmentation du pourcentage de l'immigration professionnelle par rapport à celle du regroupement familial, nous avons connu l'an dernier une baisse. Mais la France n'est pas la seule dans ce cas : le phénomène s'est produit lieu dans toute l'Union européenne. C'est la conséquence mécanique de la crise économique que nous avons connue : les entreprises ont moins embauché et il y a eu moins de « pression migratoire », moins de demandes sur le sujet.
Concernant votre obsession sur l'immigration choisie, je vous le dis à nouveau, même si cela ne vous plaît pas de l'entendre : ce n'est pas un choix spécifique à la France. Toute l'Union européenne a décidé de choisir son immigration, d'adopter une politique de promotion de l'immigration légale choisie, c'est-à-dire celle qui a une chance de bien s'intégrer.
Rappelons, puisque, vous l'avez dit, vous n'étiez pas députée à cette époque, qu'il y a eu trois étapes pour aller dans le sens de l'immigration choisie. Premièrement, la stratégie de Lisbonne : certains ici s'en souviennent, c'étaient Jacques Chirac et Lionel Jospin qui étaient aux responsabilités. Relisez les discours de Lionel Jospin expliquant qu'il fallait aller vers une immigration d'un niveau de qualification beaucoup plus élevé, parce que la France devait avoir un rythme de croissance beaucoup plus élevé et que l'Europe se dote d'un objectif de croissance parmi les plus élevés au monde. Jacques Chirac et Lionel Jospin représentant la France au sommet de Lisbonne et adoptant la stratégie de Lisbonne, disaient très exactement la même chose.
Deuxièmement, en 2004, sous présidence britannique, il y a eu ce que l'on a appelé l'approche globale ; enfin, le dernier étage de cette fusée a été mis en oeuvre par mon prédécesseur Brice Hortefeux, sous présidence française : je veux parler du pacte européen sur l'immigration et l'asile.
Je peux comprendre, madame Mazetier, que cela vous pose un problème. L'ensemble de l'Union européenne a désormais la même politique. C'était le cas des travaillistes britanniques, et c'est le cas des socialistes espagnols, portugais et grecs. Vous êtes désormais les seuls à rester sur une autre ligne. Gardez votre spécificité, elle fait votre charme ! (« Bravo ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Je sais que vous avez tendance à revisiter l'histoire, monsieur le ministre : la vôtre, celle de Lionel Jospin et celle des socialistes européens !
Vous venez de citer le pacte européen sur l'immigration et l'asile, et les socialistes grecs. Mais les socialistes grecs n'étaient pas aux responsabilités au moment de la signature de ce pacte.
Je n'ai jamais dit l'inverse ! J'ai dit « aujourd'hui ».
Mais tout comme moi, les socialistes grecs savaient déjà lire et écrire au moment de l'élaboration de la stratégie de Lisbonne. Peut-être la commentaient-ils autrement !
Que les choses soient claires, monsieur le ministre : ce n'est pas nous qui sommes dérangés par l'immigration choisie, ce sont les intéressés, et surtout les pays d'où ils sont originaires.
Vous nous dites que ce processus est commun à toute l'Europe. La belle affaire ! Est-ce juste pour autant ? Est-il juste que les pays européens s'accaparent des cerveaux, des personnes qui pourraient apporter tout leur savoir à leur pays, alors que notre attractivité les pousse à le quitter ? C'est là une vraie question.
Citons maintenant l'article 13 de votre projet : « L'article l. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est complété par un 6° ainsi rédigé :
« 6° À l'étranger titulaire d'un contrat de travail visé conformément au 2° de l'article L. 5221-2 du code du travail, d'une durée égale ou supérieure à un an, pour un emploi dont la rémunération annuelle brute est au moins égale à une fois et demie le salaire moyen annuel de référence, et qui est titulaire d'un diplôme sanctionnant au moins trois années d'études supérieures délivré par un établissement d'enseignement supérieur reconnu par l'État dans lequel il réside ou qui justifie d'une expérience professionnelle d'au moins cinq ans d'un niveau comparable, sans que lui soit opposable la situation de l'emploi. »
Il ne doit pas y en avoir beaucoup !
Mais sans doute est-ce que vous visez… Ce que vous proposez est assez hypocrite : on donne le sentiment de faire un cadeau supplémentaire, on laisse à penser qu'il y aura une ouverture de plus, mais ce n'est pas vrai.
Je vois certains d'entre vous sourire sur les bancs de la majorité. Je vous signale que nous parlons d'hommes et de femmes qui sont aujourd'hui dans notre pays.
Mais si ! Je me réjouis que vous me repreniez sur cette question, monsieur Myard ! Cela va me permettre d'enfoncer à nouveau le clou – je l'ai déjà enfoncé à deux ou trois reprises. On fait comme si on ne parlait que de personnes qui sont encore dans leur pays ou qui arrivent en ce moment même en France. Mais ce n'est pas vrai ! Ces dispositions sont aussi valables pour des personnes qui vont, à un moment ou à un autre, être arrêtées parce que sans papiers. Elles sont pourtant sur notre territoire depuis de nombreuses années et n'aspirent qu'à être bien intégrées – pour reprendre vos propres termes – et à participer à la vie de la cité. Or vous leur refusez ce droit au prétexte de leur niveau d'études, qui devient désormais une condition d'intégration !
Je vois certaines personnes qui travaillent à l'Assemblée, dont je ne suis pas certain qu'elles aient toutes des papiers. Nous l'avons constaté lors des travaux qui ont eu lieu dans cet hémicycle, puisque certains travailleurs ont fait valoir le fait qu'ils étaient sans papiers, bien que travaillant dans les entreprises choisies. Ces personnes font pourtant oeuvre utile pour la nation. Pourquoi certains niveaux de qualification et d'études devraient-ils constituer une base pour disposer de certains « avantages » ?
Je l'ai dit ce matin – ou hier, je ne sais plus très bien, car je fais à la fois équipe de jour et équipe de nuit : c'est un projet de classes, comme beaucoup d'autres ! Vous n'avez jamais oublié les rapports de classes, même si vous les niez !
Rappelons que nous sommes sur l'amendement n° 172 , qui se limite à un rapport…
Ce n'est pas le texte en soi qui me dérange. Mais pourquoi pas, après tout, s'il permet de donner une chance à quelques personnes qualifiées ?
Ce que je trouve gênant, c'est le discours méprisant que nous avons entendu. Je partage l'avis de notre collègue Braouezec : nous connaissons beaucoup de gens qui n'ont pas bac + 3, qui sont tout à fait estimables, qui font un travail utile à notre pays et qui sont parfaitement intégrés.
Toutes les statistiques montrent que nous en aurons encore plus besoin dans cinq ou dix ans !
Cessez de dire que, pour pouvoir s'intégrer, il faut être au « top niveau » et gagner trois fois le SMIC ! Cela ne correspond pas à la réalité de l'immigration que nous connaissons et qui a contribué à bâtir notre pays. Du reste, lorsque vous avez fait cette circulaire l'an dernier, vous avez pu constater que la plupart des patrons ne vous ont pas suivis, car les gens dont ils ont demandé la régularisation sont ceux dont ils ont besoin et qui, très souvent, ne correspondent pas aux emplois que vous visez. Et ceux qui peuvent se prévaloir de diplômes performants ont si peur d'avoir des difficultés avec leur épouse qu'ils préfèrent aller ailleurs… Vous n'avez pas obtenu de grands résultats dans votre première tentative, vous n'avez pas réussi à attirer beaucoup de gens d'un haut niveau d'études. Mais si vous tenez malgré tout à persévérer dans cette politique, évitez de vous montrer méprisants et de ricaner lorsqu'on parle de gens qui vivent honorablement dans notre pays, y gagnent leur vie et s'y montrent utiles.
J'éprouve le même malaise que nombre de mes collègues à propos de cette distinction, ce choix, ce tri entre l'immigration choisie, celle qui a des diplômes, et l'autre type d'immigration. S'agissant de la première, Patrick Braouezec a souligné la masse de conditions extrêmement difficiles à remplir. Rien d'étonnant donc à ce que seulement quelques dizaines ou quelques centaines de cartes de ce type soient distribuées.
Reste la grande masse de ceux qui viennent dans notre pays, le plus souvent légalement, parfois illégalement : nous les rencontrons tous les matins, par exemple dans les couloirs de notre assemblée où ils font le ménage. Je ne citerai pas le nom de leur entreprise, vous le connaissez tous.
Je vois tous ces gens, en majorité des femmes, venir nettoyer nos moquettes, comme dans tous les bureaux. Ils travaillent pour une entreprise industrielle, dans le cadre d'un marché que nos questeurs ont passé. Ces travailleurs ont certainement une grande compétence, du talent, mais peu de diplômes, et sans doute un salaire très inférieur à celui que décrivait Patrick Braouezec…
…même si ce n'est probablement pas le mire des marchés passés par la questure de l'Assemblée nationale.
Mais à quoi rime ce tri entre les « bons » et les « moins bons » ? Pourquoi se cacher derrière l'Europe ? J'évoquerai le cas de Berlusconi, même si la comparaison est pénible pour nous…
Berlusconi a voulu faire la même chose il y a quelque temps en voulant mettre dehors tous ceux qui travaillaient sans avoir de grandes compétences ou du talent, tous ceux qui n'étaient pas vraiment indispensables à l'industrie ou à la télévision italienne. Étaient ainsi visées 400 000 personnes, majoritairement des femmes. Or qu'a-t-on vu ? Une manifestation de grands-mères et même d'enfants…
J'imagine que vous ne cherchez pas à opposer les grands-mères aux petits maires ! (Sourires.)
…une extraordinaire manifestation d'Italiens qui disaient : « Laissez-nous les nounous de nos mamans et de nos grands-mères ! » En effet, dans ce pays, où il y a une masse de personnes âgées comme dans beaucoup de pays d'Europe aujourd'hui, l'on a besoin de ce que l'on appelle pompeusement les « auxiliaires de vie » et qui sont, en fait, des personnes – des femmes essentiellement – qui viennent du monde entier, en particulier d'Afrique et qui accompagnent les gens âgées dans tous les gestes de la vie courante, font leurs courses et la cuisine. Telle est la réalité ! Nous avons tous des exemples de ce type dans notre entourage qu'il soit familial, amical, ou de voisinage. Nous les voyons ces dames qui viennent de tout le tiers-monde ! C'est d'ailleurs un drame parce qu'elles y laissent parfois leurs enfants. Dans le 16e arrondissement, elles arrivent essentiellement des Philippines ; dans les autres arrondissements, elles sont plutôt originaires d'Afrique de l'Ouest ou du Maghreb. Elles sont très nombreuses. Et je me dis qu'elles ont beaucoup de compétences, beaucoup de talent. Elles nous aident à vivre et font en sorte que notre pays vieillissant puisse continuer à traiter dignement ses personnes âgées. Essayons de les respecter, de trouver de vraies solutions et d'en finir avec ce mythe qui n'existe d'ailleurs nulle part. On nous a beaucoup parlé du Canada ; j'ai étudié de près ce problème. En fait, la différence avec la France n'est pas si importante, elle est même marginale. Nous avons ces immigrées qui sont certainement peu diplômées, mais qui ont le diplôme du coeur et de la présence auprès de nombreuses personnes en France !
J'avais effectivement participé au débat qui a présidé à l'élaboration de la stratégie immigration choisie-immigration subie.
Au-delà du problème que vient d'évoquer Serge Blisko, la France, qui connaît un certain nombre de carences, notamment dans les domaines scientifiques, doit être en mesure d'accueillir des étrangers qui peuvent, dans certains domaines, apporter un savoir tout à fait bénéfique. Nous savons, d'ores et déjà, que la France va manquer d'ingénieurs dans les années qui viennent. Il y a même, disons-le clairement, une compétition internationale. La France, en tant que nation, a le droit de défendre ses intérêts.
Là où il y a une difficulté, comme l'a souligné Sandrine Mazetier, c'est que le Président de la République a parfois de bonnes idées, il est toujours un peu excessif : il a voulu fixer un ratio qui s'est avéré totalement absurde. Il nous a expliqué qu'il y aurait 50 % d'immigration subie – en fait, l'immigration familiale – et 50 % d'immigration choisie. Nous avions dénoncé le fait que cette manière de procéder était tout de même assez péjorative pour l'immigration familiale ; mais surtout, cela ne correspondait à aucune réalité. Environ 80 000 à 100 000 personnes – je ne me rappelle plus les chiffre exacts – entrent en France au titre de l'immigration familiale. Vous avez essayé de limiter ce phénomène, mais il était difficile d'aller au-delà d'un certain seuil du fait de l'existence de conventions européennes. Ou alors, et là était le paradoxe, il aurait fallu ouvrir davantage les frontières et, pour atteindre ce ratio de 50 %, le flux de personnes étrangères qui entrent en France aurait dû se situer autour de 200 000. La réalité, en dépit d'une certaine habileté comptable, se retrouve dans les chiffres : force est de constater que cet objectif était, comme nous l'avons dit à l'époque, très irréaliste et n'avait pas beaucoup de sens. Encourager l'immigration professionnelle ne nous choque pas, mais celle-ci demeurera très limitée, à moins d'ouvrir beaucoup plus nos frontières : les étrangers qui entrent au Canada, par exemple, sont nettement plus nombreux qu'en France, et c'est précisément cela qui a permis d'adopter une politique de sélection. La France n'a pas fait ce choix.
Ils ont aussi un besoin démographique !
Ils ont également un besoin démographique, vous avez raison de le souligner, monsieur le ministre. C'est pourquoi ce ratio n'était pas raisonnable.
Les chiffres dont nous disposons aujourd'hui relativisent quelque peu ce que l'on nous avait soutenu à l'époque.
Nous sommes tous à peu près d'accord pour reconnaître que ce problème de l'immigration repose sur plusieurs pieds. La raison en est un : nous avons chacun notre curseur en la matière et avons beaucoup débattu sur les valeurs républicaines pendant deux mois. Mais il y en a d'autre, et notamment celui du co-développement.
Monsieur le ministre, j'ai stigmatisé l'intitulé de votre ministère hier ; vous m'avez répondu, à juste titre, que le développement y figurait aussi. Mais je trouve dommage qu'un texte comme celui-ci n'ait pas réservé un titre au co-développement – ne serait-ce que par rapport à l'intitulé de votre ministère que vous défendiez hier.
C'est marquant, et même, me semble-t-il, assez dramatique.
J'en viens à un point particulier. On compare toujours les pays européens, mais ils n'ont pas tous la même histoire. Certains ont toujours été des pays de migrants, avant de devenir des pays d'immigrations ; d'autres, comme la France, sont des pays qui ont toujours attiré des gens.
Quasiment tout le temps, en dehors de la période révolutionnaire dont vous parliez tout à l'heure pendant laquelle les gens partaient, ; mais ces émigrés-là n'étaient pas tout à fait les mêmes…
Nous n'aborderons probablement pas le titre IV du projet, que j'ai été chargé d'étudier au nom de mon groupe, avant mardi après-midi ou mardi soir ; nous débattons pour l'heure de la carte bleue européenne. Un certain nombre de travailleurs, font partie de notre vie, travaillent pour nous, dans des conditions irrégulières, certes illicites. Ce ne sont pas des fraudeurs, mais souvent des victimes. Parmi eux, on trouve des gens aux qualités assez exceptionnelles dans tous les domaines, essentiellement celui du bâtiment, de l'hôtellerie, voire de l'agriculture. Or ces gens-là gens qui n'ont pas de carte, même pas de carte bleue – reconnaissons à ce propos que le terme même est un peu malheureux… Nous allons nous retrouver face à une situation un peu particulière : ceux dont nous parlons dans cet article ont une carte « Master » ou « Platinium », d'autre une petite carte bleue toute simple et d'autres enfin qui n'en auront pas !
Il est également triste que la régularisation ne soit pas évoquée dans ce texte. Vous me répondrez qu'elle est désormais réglementée par des directives européennes, et patati, et patata… Mais le principe – et nous en parlions avec Serge Blisko – qui découlait de la loi RESEDA était celui d'une régularisation au fil de l'eau, ce qui empêchait de se trouver face des problèmes massifs. Que va-t-il advenir, par exemple, de ces travailleurs sans papiers, plus victimes que fraudeurs ? N'est-il pas envisageable d'attribuer une carte bleue européenne à ceux qui apportent une certaine richesse à notre pays, qui paient leurs taxes, qui reconnaîtront volontiers qu'il existe une forme d'exploitation et qui collaboreront avec les administrations françaises ?
(L'amendement n° 172 n'est pas adopté.)
Plusieurs orateurs sont inscrits sur l'article 13.
La parole est à Mme Danièle Hoffman-Rispal.
Présenté comme une transcription de la directive 200950CE du Conseil du 25 mai 2009 établissant les conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d'un emploi hautement qualifié, le chapitre II de ce projet de loi, force est de le constater, reste bien éloigné de ses promesses.
Le Gouvernement, monsieur le ministre, n'a pas fait le choix de retenir toutes les options prévues dans le texte de la directive. Alors que les observateurs s'accordent à reconnaître que cette directive laisse beaucoup de marges de manoeuvre aux États membres, notamment en raison de la concurrence qui règne entre eux pour attirer les meilleurs profils d'immigrants, il y a de quoi s'étonner. Le Gouvernement français ne prend-il pas à son compte les objectifs de Lisbonne en 2000, soit faire de l'Europe l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ? C'est le choix qui avait été fait en 2000. Je le partageais alors et je le partage toujours en 2010. Je souhaiterais que l'on s'en approche le plus possible.
À travers nos amendements, nous allons vous proposer de faciliter la délivrance de la carte bleue européenne au plus grand nombre, donc d'assurer que la France joue ce jeu de Lisbonne, tout en garantissant – et je ne doute pas que ce soit compliqué – qu'elle ne favorise pas le pillage des cerveaux des pays du Sud. Je viens d'en parler, le CESEDA traite déjà de la carte « compétences et talents », qui cible également cette immigration très qualifiée. J'ai pu lire dans le rapport du secrétariat général du Comité interministériel de contrôle de l'immigration, dont m'a parlé M. Mariani, que 182 exemplaires de cette carte avaient été délivrés en 2008.
Vous avez ironisé, monsieur Mariani, sur notre demande de rapport, mais vous en avez vous-même rédigé un en 2008, qui précisait que la France aurait dû délivrer environ 2 000 cartes de ce type par an. Si nous faisons une telle demande, c'est parce que nous trouvons que ce qui est prévu n'est peut-être pas suffisant. Il était donc inutile d'ironiser comme vous l'avez fait, cher rapporteur : cent quatre-vingt-deux cartes au lieu de deux mille cartes, cela correspond pas tout à fait aux objectifs fixés !
Il est vrai que les députés de l'opposition s'étaient élevés – j'étais également présente en 2006 – contre la mise en place de ce dispositif que nous jugions discrétionnaire, élitiste et voué à l'échec. Je me souviens de la liste et j'en parlais avec Serge Blisko tout à l'heure : la description des métiers acceptés ou refusés était si détaillée que l'opération ne pouvait qu'être vouée à l'échec. On en arrivait à expliquer que l'on pouvait poser de la moquette à tel endroit et pas à un autre… C'était là aussi totalement ubuesque. Mais nous y sommes habitués ! Nous espérons donc aujourd'hui que cette carte bleue européenne ne connaîtra pas le même destin. C'est pourquoi je vous avais demandé une explication un peu plus cohérente quant à l'échec de cette carte.
S'agissant de la transcription d'une directive, vous remarquerez que nous n'avons pas fait le choix de déposer des amendements de suppression ; nous avons plutôt cherché à essayer d'améliorer le texte. Nous avons pourtant hésité, notamment parce qu'aucune solution satisfaisante n'a été vraiment avancée pour éviter toute dérive vers un pillage des cerveaux du Sud. Si la lutte contre ce fléau nécessite une sincère coordination internationale – et je suis bien consciente que vous ne pouvez pas agir seul – il reste délicat de l'articuler avec la libre circulation des migrants en provenance des pays du Sud. Doit-on empêcher un ressortissant de ces pays d'émigrer en France sous prétexte qu'il manquerait à son pays ? C'est une vraie question, et elle n'est pas simple. Nous ne pouvons effectivement pas lui interdire d'émigrer. C'est pourquoi il nous faut réfléchir à des compensations en termes de coopération, mais aussi de financement en faveur des pays privés de leurs meilleurs éléments du fait de l'émigration. Aucune mesure de contrainte ne nous semble satisfaisante.
Le dispositif de coopération qui avait été mis en place avec la carte « compétences et talents » constituait une première tentative, sans doute insuffisante mais intéressante, de lutte contre le pillage des cerveaux. Or l'article 21 supprime cette carte. Quel dispositif équivalent proposez-vous dans le cadre de la carte bleue européenne ?
Vous avez ironisé sur nos demandes de rapport, ironisé sur nos interventions lors des précédents débats Or j'ai relu, monsieur le ministre, Les inquiétantes ruptures de Nicolas Sarkozy. Vous y écriviez ceci : « On peut tout d'abord contester la pertinence d'une telle politique qui consiste à favoriser l'installation professionnelle en France des diplômés étrangers de niveau au moins égal au master et qui octroie une carte de séjour compétences et talents. Au lieu de faciliter la circulation des étrangers par l'octroi de visas à entrées multiples, cette politique favorise l'installation définitive en France et participe au pillage des élites des pays en voie de développement ». Vous voyez, nous disions exactement la même chose. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Je voudrais d'abord confirmer ce que le ministre a dit à propos des mineurs isolés. Effectivement, la France prévoit qu'aucun mineur isolé n'est renvoyé dans son pays d'origine ; certains expriment cependant le souhait d'y retourner, et le gouvernement français, dans ce cas, s'assure de l'existence des garanties nécessaires pour que ce retour ait lieu. Le mineur isolé n'est pas non plus renvoyé dans le pays par lequel il est entré dans l'Union européenne, en application de l'accord de Dublin 2. Je confirme donc que la loi française protége les mineurs isolés.
Reste que certains d'entre nous ont été choqués de voir des enfants retirés de leur école en pleine année scolaire et renvoyés avec leurs parents dans leur pays d'origine.
S'agissant des titres de séjour, je souhaite évoquer les conditions d'accueil et de délivrance de ces titres. Le Gouvernement déploie beaucoup d'énergie pour maîtriser l'entrée des étrangers dans notre pays – et je le comprends parfaitement. Ne pourrait-il consacrer la même énergie à améliorer les conditions d'accueil des étrangers dans les préfectures ? Quel pays sommes-nous pour accepter ces files d'étrangers, arrivés souvent en pleine nuit, dans la pluie et le vent, bientôt dans le froid ?
Excusez-moi, mais je passe tous les matins devant la préfecture des Yvelines pour aller prendre mon train, et depuis des années je vois des dizaines et des dizaines d'hommes, de femmes et d'enfants, qui ont attendu quelquefois toute la nuit, pour essayer d'être reçus.
Utilisons notre intelligence pour trouver les moyens de traiter dignement ces demandes. Par exemple, une personne en situation régulière qui vient renouveler son titre de séjour d'un an se voit remettre un récépissé de trois mois, souvent trois fois de suite. Il faut donc neuf mois à l'administration pour lui renouveler son titre de séjour alors que sa situation n'a pas changé. Que de temps et d'énergie perdus, tant pour l'administration elle-même que pour l'étranger, obligé de revenir sans cesse à la préfecture, et qui ne peut présenter à son employeur que des récépissés, ce qui le fragilise sur le plan professionnel et familial !
Je voudrais insister, après Étienne Pinte, sur les conditions d'accueil des étrangers dans les préfectures d'Île-de-France. À Bobigny, en particulier, c'est un véritable scandale. Ce n'est ni la faute du préfet, ni celle des fonctionnaires, qui font de leur mieux pour répondre à cette demande : le fait est que les moyens sont loin d'être suffisants pour y faire face.
J'espère d'ailleurs que notre débat de ce soir aura des répercussions, comme ce fut le cas de la question d'actualité que j'avais posée sur les délais d'obtention des passeports et cartes d'identité en Seine-Saint-Denis. Un certain nombre de mesures ont été prises depuis, qui ont ramené le délai à un niveau presque équivalent à ce qu'il est ailleurs, alors qu'il était auparavant quatre fois plus court à Paris ou dans certains départements de province. Attendre deux mois pour obtenir un passeport représentait un handicap aux multiples conséquences.
D'autre part, s'agissant des mineurs isolés, Étienne Pinte a dit que le Gouvernement avait raison. Il a, je pense, raison sur un plan général. Mais je comprends alors d'autant moins pourquoi vous n'avez pas accepté l'amendement que nous proposions, de même que le groupe SRC, sur le rôle de l'administrateur. Il subsiste en effet des exceptions. J'ai plusieurs exemples d'enfants isolés qui avaient perdu un de leurs parents, et qui, s'il n'y avait pas eu une mobilisation en leur faveur, auraient été renvoyés dans leur pays d'origine au motif qu'ils y avaient de la famille, alors qu'ils en avaient aussi en France. Il nous faut être très vigilants sur ce point. Inclure dans la loi la disposition que nous proposions aurait écarté toute possibilité d'interprétation. On ne l'a pas fait, je le regrette.
Cet amendement lève une ambiguïté : les diplômes visés au point h de l'article 2 de la directive 200950CE « carte bleue européenne » sont les diplômes reconnus par les États dans lesquels les établissements d'enseignement supérieur de délivrance se situent, et non les diplômes reconnus par les États de résidence des intéressés.
J'émets un avis favorable, et j'en profite pour faire quelques commentaires sur les interventions précédentes.
D'abord, je veux saluer celle de Christophe Caresche. J'espère ne lui porter, ce faisant, aucun préjudice…
J'ai tout de même le droit, lorsque je trouve certaines interventions subtiles, documentées et compétentes, de le dire ! Même si je ne suis pas d'accord avec tout ce qu'il a dit, j'ai aimé et le fond et le ton de son intervention.
Pour ce qui est du codéveloppement, je reconnais que l'on n'en a pas beaucoup parlé. C'est volontiers que j'aborde le sujet. Vous allez être satisfait, puisque Nicolas Sarkozy a déclaré devant l'Assemblée générale des Nations unies que la présidence française du G20 ferait de cette question un sujet majeur, en entraînant l'Europe et d'autres pays. Nous aurons donc très prochainement l'occasion d'en reparler.
Par ailleurs, ce n'est pas parce que la France ou l'Europe se préoccupent de l'immigration de travailleurs qualifiés qu'il faut voir là un quelconque mépris pour les travailleurs peu qualifiés ou les autres migrants. Ce n'est d'ailleurs pas une révolution : aujourd'hui déjà, 25 % des migrants qui entrent sur notre territoire sont diplômés de l'enseignement supérieur.
D'autre part, il s'agit ici de la transposition d'une directive, qui crée, pour la première fois, une carte européenne permettant à ces travailleurs qualifiés, de niveau « bac plus trois »,…
…de circuler librement dans l'Union pour travailler. C'est une étape importante, qui ne peut que réjouir tous les partisans de la construction européenne et de l'harmonisation. La France pour sa part, adopte cette mesure sans réserve.
J'en profite également pour assurer Étienne Pinte que nous ne sommes pas insensibles à ce qu'il dit sur les conditions d'accueil des étrangers en préfecture…
…et sur la possibilité de les améliorer. Depuis que le ministère existe, et je poursuis l'action de mon prédécesseur sur ce point, nous examinons systématiquement les améliorations possibles. J'ai une fiche très complète à ce sujet et je vais vous la transmettre, monsieur Pinte. Vous serez surpris de l'importance des sommes que nous y consacrons.
Il est vrai qu'il subsiste des difficultés, et en particulier qu'il faudra régler le cas spécifique de Bobigny que plusieurs d'entre vous ont mentionné. Mais cette situation particulière de quelques préfectures en région parisienne, que nous allons améliorer, ne doit pas faire croire qu'il en va ainsi sur l'ensemble du territoire : beaucoup d'améliorations ont été apportées. De plus, nous prenons certaines mesures, comme le visa de long séjour valant titre de séjour, qui libère du personnel grâce auquel nous allons pouvoir accélérer fortement la procédure de naturalisation.
(L'amendement n° 7 est adopté.)
La parole est à Mme Danièle Hoffman-Rispal, pour soutenir l'amendement n° 366 .
Je suis étonnée que la commission ait émis un avis défavorable à cet amendement, par lequel nous tentons d'approcher au plus près ce que prévoit la directive. Selon celle-ci, en effet, il est possible, pour le solde salarial, de prévoir des dérogations au régime principal en faveur de professions spécifiques, lorsque l'État membre concerné estime qu'il y a une pénurie particulière de main-d'oeuvre et que ces professions font partie des groupes 1 et 2 de la classification internationale.
Notre amendement tend à écrire, après l'alinéa 2, que : « Le salaire moyen annuel de référence est égal à 1,2 fois le salaire moyen annuel brut pour les professions faisant partie des grands groupes 1 et 2 de la classification internationale type des professions ».
Le point 5 de l'article 5 de la directive du 25 mai 2009 précise que le seuil de rémunération nécessaire pour prétendre à une carte bleue européenne peut être fixé à 1,2 fois le salaire annuel brut moyen pour ces deux groupes. Aucune mesure de ce type n'a pourtant été introduite dans le projet de loi.
Certes, à en croire l'étude d'impact, il existerait la crainte d'un appel d'air pour certains emplois des groupes 1 et 2. Mais la directive prévoit explicitement que cette dérogation peut être accordée pour certains emplois au sein de ces catégories. Il nous semble donc intéressant d'aller au plus près, en termes de rémunération, des possibilités offertes par la directive, afin d'accroître, dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, l'attractivité du territoire français.
La directive ouvre effectivement la possibilité d'abaisser le seuil à 1,2 fois le SMIC, mais c'est en cas de pénurie d'offres d'emploi. Or, la situation actuelle est exactement à l'opposé. Nous n'avons donc pas besoin, contrairement à d'autres pays, d'abaisser ce seuil. J'émets par conséquent un avis défavorable, comme sur les autres amendements à cet article.
Permettez-moi maintenant quelques digressions. Je n'en ai pas fait jusqu'à présent, alors que l'un des avantages du temps globalisé est de le permettre. Je souhaite vous faire part de trois réflexions libres.
Tout d'abord, nous ne savons pas combien de Français partent à l'étranger.
C'est un peu le même problème que pour le fameux registre communal. Nous avons toutefois quelques indications, par exemple les listes électorales des Français établis à l'étranger, secteur dont j'ai la chance de m'occuper au sein de mon parti politique.
Je soumets deux chiffres à votre réflexion : moins de 400 000 électeurs français étaient inscrits dans nos consulats en 2002 ; ils sont un million quinze mille cette année. C'est une augmentation de 60 %.
Si nous regardons le détail des pays où ce nombre croît, nous constatons que l'augmentation n'est pas la plus forte en Belgique ou en Suisse – en clair, dans les pays d'asile fiscal –, mais dans ceux où l'économie est la plus dynamique : ainsi, les communautés françaises de Chine et d'Australie ont triplé. Ces chiffres affolants témoignent d'une fuite de cadres et de cerveaux.
C'est ce que j'ai dit ! Et l'augmentation n'est pas de 60 % mais de 150 % !
Merci de corriger mes faiblesses arithmétiques… (Sourires.)
Deuxième remarque : la gauche nous fait en permanence le reproche de vouloir « choisir » l'immigration. Pour elle, il ne faut surtout pas employer certains mots, comme « trier » ou « choisir ». Puis-je vous rappeler, chers collègues de l'opposition, que c'est une démarche que vous aviez vous-mêmes, et c'est heureux, commencé à adopter ? En 1997, dans la première loi relative à l'immigration à la discussion de laquelle j'ai eu l'occasion de participer dans cet hémicycle, vous avez créé la carte scientifique.
C'était une loi défendue par Jean-Pierre Chevènement. L'idée était déjà présente qu'il fallait, autant que possible, attirer les meilleurs dans notre pays. J'observe que, depuis 2002, on a persévéré dans cette direction, puisqu'ont été créés, avec des succès divers, la carte « salarié en mission », la carte « compétences et talents », la carte pour « contribution économique exceptionnelle », et que nous sommes en train de créer, sur directive communautaire, la carte bleue européenne. Pourtant, les statistiques montrent que l'Union européenne n'attire que 1,7 % de travailleurs étrangers extracommunautaires hautement qualifiés, contre 9 % pour l'Australie, plus de 7 % pour le Canada, 3 % pour les États-Unis et 5 % pour la Suisse.
Dernière remarque : d'après les statistiques officielles de Pôle emploi, 25 % des étrangers en règle sont au chômage.
Je mets simplement ces trois données en parallèle. De deux choses l'une : ou bien nous continuons à adopter une attitude d'angélisme lyrique,…
J'ai relevé l'expression de M. Blisko, pour qui j'ai beaucoup de sympathie : il a parlé de « diplôme du coeur ». Le problème, c'est que, quand on a simplement le « diplôme du coeur », on finit souvent parmi les 25 % que j'ai cités.
Ou bien, disais-je, notre pays arrête de rêver, se rend compte que nous sommes dans une économie mondialisée et se propose d'attirer chez nous les meilleurs, et non pas uniquement ceux qui ont les plus grandes chances – pardonnez-moi – de finir à Pôle emploi.
J'assume mes propos. Je pense que notre pays a le droit de vouloir choisir pour lui-même l'immigration la plus qualifiée, et que, contrairement à d'autres pays, nous faisons fausse route depuis des années.
Enfin, je vous invite à rencontrer la mission du Québec. Elle ne peut que se féliciter de ce qui se passe chez nous, car chaque fois que nous refusons des diplômés, en leur disant : « Vous avez suivi vos études en France mais, comme nous sommes contre le pillage des cerveaux, nous ne pouvons pas vous garder », ces gens prennent immédiatement la route du Canada ou d'autres pays francophones.
Merci de le reconnaître, monsieur Blisko.
Il est temps d'ouvrir les yeux. Nous sommes dans une concurrence mondiale. Si ce n'est pas nous qui prenons les meilleurs et les plus qualifiés, d'autres pays le feront. Une fois et demie le SMIC est un niveau conforme à la directive, et il ne me semble pas opportun de l'abaisser. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Défavorable.
Le rapporteur avait bien commencé, mais il a moins bien conclu.
Il a raison de s'interroger sur le fait que les Français sont mobiles. C'est probablement une chance pour la France que plus de deux millions et demi de nos compatriotes partent travailler à l'étranger et y gagner des marchés. Quand nous pensons à eux, nous n'imaginons d'ailleurs pas qu'ils passent toute leur vie à l'étranger. Certains le font, mais la plupart rentrent.
Pourquoi, lorsque nous parlons du reste du monde, ne raisonnons-nous pas dans les mêmes termes ? C'est très étonnant. Thierry Mariani a raison de dire qu'il existe une compétition mondiale, mais il est dans l'erreur lorsqu'il considère qu'une séparation absolue peut être tracée entre qualifiés et moins qualifiés. Il se trompe encore plus lorsqu'il estime justifiée l'extrême contrainte que nous faisons peser sur l'entrée de ressortissants – je serai schématique, mais vous m'en excuserez – des pays situés au-delà de la Méditerranée, alors que notre situation géographique, nos liens historiques, la francophonie font que nous devrions au contraire avoir des échanges accrus avec eux.
Ces freins que nous mettons à la venue des uns incitent les autres à aller voir ailleurs. Le rapporteur a évoqué ceux que le Québec récupère après leur passage en France, mais, en réalité, la plupart ne passent même plus par la France ! Nous sommes effectivement en compétition avec des pays qui captent les élites des pays du Sud, mais il n'y a pas de fatalité à ce que la France soit perdante dans cette compétition, à ce qu'elle tourne le dos à sa situation exceptionnelle, à sa sphère d'influence historique, pour peu que nous cessions de nous aligner systématiquement sur les mesures européennes tendant à la fermeture et à la restriction.
Les migrants sont des agents économiques. Cela coûte cher d'émigrer. Eh bien, quand on a pour seule perspective d'obtenir un titre de séjour d'un an, dont on ne peut même pas être sûr qu'il sera renouvelé, on préfère aller ailleurs, là où les choses sont plus simples, plus visibles, plus prévisibles. C'est pour cela que nous vous appelons à réfléchir à la politique migratoire en des termes à la fois pacifiés et ambitieux. Cela nous concerne tous, y compris les Français eux-mêmes.
Monsieur le rapporteur, je ne peux pas vous suivre. Vous nous dites, en gros : « Tout le monde fait comme ça, il faut faire pareil. »
Eh bien, j'ai d'autres ambitions, pour notre pays mais aussi pour l'ensemble de la planète, car à ce jeu-là nous serons tous perdants !
Si cela ne me dérange pas d'accueillir des cerveaux venant de l'étranger, encore faut-il que cela se passe, comme l'a rappelé notre collègue, non pas de manière unilatérale, mais dans le cadre d'une véritable politique de codéveloppement avec les pays dont sont originaires ces personnes, en cherchant notamment à savoir comment elles pourront par la suite, grâce au perfectionnement de leurs connaissances rendu possible par leur passage dans notre pays, apporter quelque chose au leur.
C'était le principe de la carte « compétences et talents » !
Non, car cela se fait sans concertation avec les pays d'origine.
On ne peut pas jouer à ce jeu-là. Il faudrait au moins se demander si ce que nous faisons n'a pas des conséquences dramatiques à l'autre bout de la planète. Ce n'est pas parce que d'autres pays européens, des pays – je vais dire un gros mot – capitalistes, continuent de le faire que nous devons les suivre !
Il y a dans les chiffres cités par M. Mariani un aspect dont il n'a pas tenu compte. En ce qui concerne les étrangers qui sont passés par chez nous et sont partis, il faut également tenir compte du fait que, parfois, en dépit de leurs qualifications et de leurs diplômes, ils ne sont pas embauchés. Vous savez bien que, dans nos quartiers dits sensibles et même au-delà, des gens ayant étudié et possédant les qualifications nécessaires ne trouvent malheureusement pas d'emploi.
C'est pourquoi nous avons toujours insisté sur la lutte contre les discriminations et sur la promotion de la diversité. Mais il ne suffit pas de dire que nous embaucherons des gens hautement diplômés pouvant prétendre à un certain niveau de revenu : il faut aussi se demander si, parmi ces étrangers qui repartent, certains ne sont pas obligés de le faire parce que leur compétence n'est pas prise en considération dans notre pays.
Rappelez-vous les paroles de Tidjane Thiam, polytechnicien, qui a grandi dans notre pays : il est parti en Grande-Bretagne, où il est devenu patron d'une très grosse entreprise, parce qu'on l'y a embauché à son niveau. Les étrangers et les Français d'origine étrangère qui partent le font très souvent à contrecoeur. Notre pays ne leur a pas donné leur chance, et ils le regrettent.
(L'amendement n° 366 n'est pas adopté.)
La parole est à Mme Danièle Hoffman-Rispal, pour soutenir l'amendement n° 367 .
L'échange qui vient d'avoir lieu entre M. le ministre et M. Braouezec va peut-être vous conduire à accepter cet amendement. Il s'agit de transposer à la carte bleue européenne ce qui existait pour la carte « compétences et talents », que vous supprimez par l'article 21.
Nous vous proposons de reprendre ce dispositif, permettant à un ressortissant d'un pays de la zone de solidarité prioritaire d'apporter son concours, pendant la durée de la validité de sa carte, à une action de coopération ou d'investissement économique – définie, bien sûr, par notre pays – dans la zone géographique du pays dont il a la nationalité.
Il est surprenant qu'un dispositif voté et appliqué dans le cadre d'un texte s'inscrivant dans la même logique que celui-ci soit abandonné ou abrogé. Nous avons évoqué le pillage des cerveaux, mais nous ne vous demandons pas d'envoyer au Canada l'étudiant qui aurait fait des études chez nous : il s'agit de permettre au titulaire de la carte bleue européenne d'aider au développement de son pays.
Certes, mon cher collègue, il paraît « bien », mais ses auteurs sont encore en plein lyrisme et en pleine illusion. Il reprend exactement ce qui existait avec la carte « compétences et talents » : il est très louable de proclamer dans l'hémicycle sa volonté d'inviter des personnes remarquables à venir chez nous pour travailler tout en mettant en oeuvre un projet solidaire, mais le résultat sera que, le temps de monter le projet, elles seront parties ailleurs !
De deux choses l'une : ou l'on se situe dans un monde idéal qui reste à inventer, ou l'on regarde la réalité en face. Croyez-vous qu'il soit possible d'attirer chez nous des gens hautement qualifiés en leur proposant, au consulat, en plus de la carte bleue européenne, l'élaboration commune d'un projet d'action prioritaire de solidarité ? C'est sympathique, et je souscris au principe, mais c'est inapplicable. Avis négatif, donc, par réalisme.
Ne voir que la réalité d'aujourd'hui peut nuire à la réalité de demain !
La carte « compétences et talents » et la carte bleue européenne sont deux choses entièrement distinctes. Comment serait-il possible, au demeurant, d'expliquer à nos vingt-six partenaires de l'Union européenne que la carte bleue européenne doit s'appliquer de préférence à la zone de solidarité prioritaire qui est la nôtre ? Avis défavorable.
(L'amendement n° 367 n'est pas adopté.)
Nous essayons, nous, d'aller dans le sens de la directive européenne, puisque nous proposons de porter de trois à quatre ans la durée maximale de la carte bleue européenne. La directive prévoit en effet une telle disposition, et voter l'amendement est le meilleur moyen de la transposer. Il faut que les titulaires de cette carte qui ont envie de venir travailler chez nous aient le temps d'organiser leur parcours.
La parole est à M. Patrick Braouezec, pour défendre l'amendement n° 400 .
Il a été excellemment défendu par ma collègue, monsieur le président ! Je n'ai rien à ajouter ! (Sourires.)
Vous avez raison, madame Hoffman-Rispal : le Gouvernement aurait pu choisir une durée plus longue. Mais, lorsque les directives européennes proposent une « fourchette », nous avons pour politique de choisir une valeur médiane – ainsi que vous pourrez le constater quand nous en viendrons aux mesures d'éloignement. S'agissant de la carte bleue européenne, une durée de validité maximale de trois ans me semble tout à fait satisfaisante.
Je suis quelque peu surpris par les argumentations des auteurs de ces amendements :Mme Hoffman-Rispal n'est pas convaincue de la pertinence de la carte bleue européenne, d'autres sont même certains qu'elle va contribuer au pillage des cerveaux, mais ils ne nous en proposent pas moins d'allonger la durée de sa validité. Comprenne qui pourra. Avis défavorable.
Monsieur le ministre, on peut être dubitatif sur un projet de loi et, sachant qu'il sera de toute façon voté, essayer néanmoins de l'améliorer. Ma position n'est donc pas du tout contradictoire.
Le présent amendement vise, lui aussi, à rendre plus attractive la carte dans sa version française, car le projet actuel ne fait pas figurer les enfants majeurs à charge parmi ses bénéficiaires, ce qui pourrait dissuader certains candidats.
En commission, vous nous avez dit que ces enfants majeurs pouvaient demander un titre de séjour étudiant. Or tous ne sont pas étudiants. Il peut s'agir, par exemple, d'un enfant majeur handicapé : que se passera-t-il si le titulaire de la carte souhaite que celui-ci l'accompagne ? Quant aux étudiants, ils peuvent interrompre leur parcours scolaire, ce qui menacerait le renouvellement de leur titre de séjour.
Je comprends difficilement comment on peut opposer à un majeur ses attaches familiales à l'étranger pour le renvoyer chez lui, et, dans le même temps, nier ces mêmes attaches s'agissant des enfants majeurs des titulaires de la carte bleue européenne. Il ne me semble pas que la responsabilité d'un parent envers son enfant cesse à la majorité de celui-ci. À plusieurs reprises, y compris dans des affaires médiatisées, la jurisprudence a d'ailleurs tranché en faveur de l'enfant majeur contre ses parents qui lui refusaient les moyens de subvenir à ses besoins.
C'est pourquoi nous demandons que l'enfant majeur puisse accompagner la personne hautement qualifiée qui vient travailler chez nous.
La parole est à M. Patrick Braouezec, pour soutenir l'amendement n° 401 .
Monsieur le ministre, vous nous dites que nous défendons des amendements contradictoires, mais – je le dis avec un peu d'humour – c'est pour vous aider ! M. Mariani nous ayant convaincus qu'il y avait une concurrence mondialisée pour l'accueil des « cerveaux », nous ne faisons que proposer de rendre votre dispositif plus attractif en portant sa durée maximale à quatre ans – ce que vous avez refusé – et en permettant en outre à ces « cerveaux » de venir avec leurs enfants majeurs. Voyez : de la même façon que vous ironisez sur nos contradictions, j'ironise sur les vôtres.
Même avis. J'ai été sensible à l'humour de M. Braouezec, moins à sa démonstration…
La directive 200950CE du 25 mai 2009 précise que : « Les titres de séjour des membres de la famille sont accordés, si les conditions sont remplies, au plus tard dans les six mois suivant la date du dépôt de la demande. » Le présent amendement reprend ce délai, qui constitue une garantie d'attractivité, mais aussi de sécurité juridique pour le titulaire de la carte bleue européenne et les membres de sa famille bénéficiaires de la carte de séjour mentionnée au troisième alinéa de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
La parole est à M. Patrick Braouezec, pour soutenir l'amendement n° 402 .
Je ne ferai pas, cette fois, d'humour ni d'ironie : je trouve simplement juste que des personnes qui font le choix de venir sur notre territoire aient l'assurance que les membres de leur famille voient leur séjour sécurisé. Il faut donc que le délai de six mois pour la délivrance de leur titre de séjour ne soit pas dépassé. Notre collègue Hoffman-Rispal a d'ailleurs souligné à juste titre que c'est ce que prévoit la directive du 25 mai 2009.
Défavorable, car la disposition proposée ne relève pas du domaine législatif. Je crois par ailleurs savoir que le Gouvernement a l'intention de la mettre en application.
Cet amendement vise à lever une ambiguïté de rédaction, en précisant que les cinq années de résidence peuvent avoir été effectuées en France, mais aussi pour partie en France et dans un ou plusieurs autres États membres, ou encore intégralement dans un ou plusieurs autres États membres.
En réalité, ce que nous avions d'abord pris pour une bévue s'avère être une intention délibérée. Selon le rapporteur, en effet, la durée de cinq ans de résidence exigée du conjoint du titulaire de la carte bleue européenne pour le renouvellement de sa carte « vie privée et familiale » s'entend comme une durée de résidence en France uniquement. Je ne vois pas pourquoi nous devrions punir les membres de la famille du titulaire qui seraient allés passer quelques mois, par exemple, en Belgique : au nom de quoi le séjour dans un autre État membre devrait-il remettre en cause la possibilité d'obtenir le renouvellement de sa carte « vie privée et familiale » ?
La parole est à M. Patrick Braouezec, pour soutenir l'amendement n° 500 .
L'article 13 précise le dispositif retenu pour la transposition dans le CESEDA des dispositions relatives à la délivrance de la désormais célèbre carte bleue européenne, titre temporaire de séjour destiné aux travailleurs immigrés hautement qualifiés.
Je veux m'arrêter sur le deuxième alinéa de cet article, qui renvoie à l'article L. 5221-2 du code du travail : l'étranger titulaire du contrat de travail doit le faire viser par une autorité administrative suivant les prescriptions prévues par ledit article. En vérité, il faudrait aller plus loin, et permettre l'accélération des procédures en prévoyant qu'au-delà d'un certain délai l'absence de réponse vaut décision implicite d'accord.
Nous voulons faciliter l'entrée des travailleurs hautement qualifiés. Or, il arrive que l'homologation de leur contrat de travail traîne en longueur. C'est pourquoi nous proposons de compléter l'article L. 5221-2 par un alinéa ainsi rédigé : « Un décret en Conseil d'État précise les conditions suivant lesquelles le silence de l'autorité administrative, suite à la production du contrat, équivaut à une décision implicite de visa. »
L'intention de nos collègues est tout à fait louable. Néanmoins, l'article L. 5221-2 du code du travail dispose que, pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée, tout étranger doit présenter les documents et visas exigés par les conventions internationales et règlements en vigueur, ainsi qu'un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail.
L'amendement tend à assimiler le silence de l'administration, suite à la production d'un contrat de travail, à une décision implicite d'octroi de visa. Je comprends bien l'intention de simplification sous-jacente, mais je m'interroge sur les risques et les dérives qu'une telle disposition serait susceptible de produire, notamment sur la base de fraudes documentaires, celles-ci étant en pleine expansion dans certains consulats. Il me paraît préférable, pour éviter les abus, de conserver le mécanisme actuel, qui requiert une décision expresse de l'administration.
Identique à celui du rapporteur.
Je comprends, moi aussi, la position et les préoccupations de M. Proriol, mais, comme Thierry Mariani, je pense qu'il existerait un risque non négligeable de fraude si l'on accordait l'autorisation de séjour et de travail de manière implicite : le demandeur pourrait se prévaloir du simple dépôt de sa demande, sans révéler, par exemple, la réponse négative qu'il aurait reçue.
Paradoxalement, une mesure apparente de simplification administrative demanderait beaucoup plus de travail de vérification à l'administration.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, je n'ignore pas qu'il peut y avoir des incidents et du « coulage » à la faveur de ces opérations.
Cela étant, une durée trop longue peut devenir dissuasive pour l'intéressé et l'inciter à choisir une autre destination. Il suffirait, pour parer au risque mentionné, que le décret fixe un délai suffisamment long, au-delà duquel le silence et la carence de l'administration – sans vouloir être péjoratif – vaudraient accord.
J'y insiste : on ne peut pas envisager que des titres de séjour ou de travail puissent être accordés de manière implicite. Il s'agit d'un acte de souveraineté. Il est hors de question que, de façon implicite, on puisse entrer sur le territoire français ou venir y travailler. Il faut que ce soit dit expressément.
(L'amendement n° 264 est retiré.)
La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l'amendement n° 373 .
Je serai brève, monsieur le président, puisque nous approchons de l'heure fatidique… (Sourires.)
J'entends déjà le rapporteur nous reprocher de demander trop de rapports.
Mais c'est notre seul moyen de poser des questions, de réclamer des précisions ou d'en appeler à des débats sur certains sujets.
Il y a quelques mois, Daniel Goldberg rapportait, dans cet hémicycle, une proposition de loi sur les emplois réservés. Au Sénat où elle avait été débattue, s'était dégagé un consensus…
…sur l'idée de mettre fin aux restrictions limitant l'accès à certaines professions. Souvenez-vous, chers collègues, de ces restrictions souvent anciennes, concernant par exemple les lieutenants de louveterie !
L'état d'esprit des sénateurs n'a pas été partagé par les députés. Aucune de nos propositions – qui étaient importantes et ambitieuses – n'a été reprise ici, pas même celles qui avaient été adoptées par le Sénat.
Si les étrangers non communautaires se voient souvent reprocher leur taux de chômage plus élevé – M. le ministre et M. le rapporteur l'ont encore fait tout à l'heure –, il faut tenir compte du fait qu'un tiers du marché de l'emploi leur est fermé en France.
Certaines préventions peuvent se justifier dans des domaines liés à la souveraineté ou à la sécurité, mais il existe bien des secteurs où elles n'ont plus lieu d'être.
En tout état de cause, la question mériterait d'être étudiée. Le Sénat avait entamé très tranquillement cette démarche, à laquelle l'Assemblée a donné un coup d'arrêt quelque peu sec. Nous nous satisferions, pour l'heure, d'un rapport du Gouvernement. C'est l'objet de cet amendement.
Je crois me rappeler que j'avais été l'orateur du groupe UMP lors de l'examen de cette proposition de loi.
L'intention de ses auteurs était claire, et notre position l'est tout autant : il n'est pas question d'ouvrir aux ressortissants de pays non communautaires l'accès à certaines professions. C'est la position que nous avons exprimée ici même voici quelques mois. C'est une raison de plus pour être défavorable à ce rapport supplémentaire.
(L'amendement n° 373 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Monsieur le ministre, mes chers collègues, M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le Président de la République, en date du 30 septembre 2010, portant clôture de la deuxième session extraordinaire de 2009-2010.
En conséquence, il est pris acte de la clôture de cette session.
Prochaine séance, mardi 5 octobre à neuf heures trente :
Nomination du bureau.
La séance est levée.
(La séance est levée à minuit.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma