Présenté comme une transcription de la directive 200950CE du Conseil du 25 mai 2009 établissant les conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d'un emploi hautement qualifié, le chapitre II de ce projet de loi, force est de le constater, reste bien éloigné de ses promesses.
Le Gouvernement, monsieur le ministre, n'a pas fait le choix de retenir toutes les options prévues dans le texte de la directive. Alors que les observateurs s'accordent à reconnaître que cette directive laisse beaucoup de marges de manoeuvre aux États membres, notamment en raison de la concurrence qui règne entre eux pour attirer les meilleurs profils d'immigrants, il y a de quoi s'étonner. Le Gouvernement français ne prend-il pas à son compte les objectifs de Lisbonne en 2000, soit faire de l'Europe l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ? C'est le choix qui avait été fait en 2000. Je le partageais alors et je le partage toujours en 2010. Je souhaiterais que l'on s'en approche le plus possible.
À travers nos amendements, nous allons vous proposer de faciliter la délivrance de la carte bleue européenne au plus grand nombre, donc d'assurer que la France joue ce jeu de Lisbonne, tout en garantissant – et je ne doute pas que ce soit compliqué – qu'elle ne favorise pas le pillage des cerveaux des pays du Sud. Je viens d'en parler, le CESEDA traite déjà de la carte « compétences et talents », qui cible également cette immigration très qualifiée. J'ai pu lire dans le rapport du secrétariat général du Comité interministériel de contrôle de l'immigration, dont m'a parlé M. Mariani, que 182 exemplaires de cette carte avaient été délivrés en 2008.
Vous avez ironisé, monsieur Mariani, sur notre demande de rapport, mais vous en avez vous-même rédigé un en 2008, qui précisait que la France aurait dû délivrer environ 2 000 cartes de ce type par an. Si nous faisons une telle demande, c'est parce que nous trouvons que ce qui est prévu n'est peut-être pas suffisant. Il était donc inutile d'ironiser comme vous l'avez fait, cher rapporteur : cent quatre-vingt-deux cartes au lieu de deux mille cartes, cela correspond pas tout à fait aux objectifs fixés !
Il est vrai que les députés de l'opposition s'étaient élevés – j'étais également présente en 2006 – contre la mise en place de ce dispositif que nous jugions discrétionnaire, élitiste et voué à l'échec. Je me souviens de la liste et j'en parlais avec Serge Blisko tout à l'heure : la description des métiers acceptés ou refusés était si détaillée que l'opération ne pouvait qu'être vouée à l'échec. On en arrivait à expliquer que l'on pouvait poser de la moquette à tel endroit et pas à un autre… C'était là aussi totalement ubuesque. Mais nous y sommes habitués ! Nous espérons donc aujourd'hui que cette carte bleue européenne ne connaîtra pas le même destin. C'est pourquoi je vous avais demandé une explication un peu plus cohérente quant à l'échec de cette carte.
S'agissant de la transcription d'une directive, vous remarquerez que nous n'avons pas fait le choix de déposer des amendements de suppression ; nous avons plutôt cherché à essayer d'améliorer le texte. Nous avons pourtant hésité, notamment parce qu'aucune solution satisfaisante n'a été vraiment avancée pour éviter toute dérive vers un pillage des cerveaux du Sud. Si la lutte contre ce fléau nécessite une sincère coordination internationale – et je suis bien consciente que vous ne pouvez pas agir seul – il reste délicat de l'articuler avec la libre circulation des migrants en provenance des pays du Sud. Doit-on empêcher un ressortissant de ces pays d'émigrer en France sous prétexte qu'il manquerait à son pays ? C'est une vraie question, et elle n'est pas simple. Nous ne pouvons effectivement pas lui interdire d'émigrer. C'est pourquoi il nous faut réfléchir à des compensations en termes de coopération, mais aussi de financement en faveur des pays privés de leurs meilleurs éléments du fait de l'émigration. Aucune mesure de contrainte ne nous semble satisfaisante.