La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur la situation en Afghanistan et le débat sur cette déclaration.
La parole est à M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, la politique que nous menons en Afghanistan préoccupe légitimement tous les Français. Je suis heureux que nous puissions en débattre. Je sais que beaucoup se demandent ce que nous pouvons faire, qui nous devons combattre, quand nous pourrons partir.
Ces inquiétudes ne doivent pas rester sans réponse. L'Afghanistan, c'est vrai, défie nos grilles de lecture. Beaucoup s'y perdent, parce qu'ils ne comprennent pas ce que nous faisons si loin de chez nous.
La complexité de la situation ne doit pas nous faire perdre nos repères. Elle ne doit pas nous faire oublier que nous avons des ennemis, et que nous défendons des valeurs, mais aussi des hommes, et plus encore des femmes, qui souhaitent notre protection.
Après le 11 septembre 2001, nous nous sommes engagés en Afghanistan pour détruire les bases d'Al Qaida, et le régime odieux qui leur prêtait refuge.
Aujourd'hui, quel est le problème ? C'est d'éviter que les talibans ne rétablissent une dictature. C'est d'empêcher qu'ils ne déstabilisent à nouveau la région. C'est de s'assurer qu'ils ne fourniront pas aux terroristes de tous bords une base pour préparer de nouvelles attaques.
Mesdames, messieurs les députés, l'histoire ne commence pas le 11 septembre 2001 ! Et le passé, ici plus qu'ailleurs, éclaire notre présent.
Rappelons-nous 1989 : les Soviétiques se retirent du pays. Malgré les bombardements massifs, malgré l'exode du tiers de la population afghane – c'est-à-dire trois millions de réfugiés au Pakistan, un million et demi en Iran –, à la surprise de tous, Moscou perd face aux combattants des montagnes.
Et qu'est-ce qui succède à cette guerre ? Une guerre civile : Pachtounes contre Tadjiks, mais aussi extrémistes contre modérés.
On l'oublie trop souvent, à la fin des années quatre-vingt, les extrémistes ont chassé les Occidentaux qui étaient venus au secours du pays occupé. Ils ont aussi assassiné des leurs, les meilleurs des fils du « royaume de l'insolence ».
Au nom de quoi ? Au nom de la résistance nationale ? Non ! Ce mouvement était largement commandé de l'extérieur. Les Soviétiques étaient partis mais l'Afghanistan n'avait pas recouvré son indépendance.
Les voisins plus puissants se sont précipités pour mieux l'affaiblir et pour mieux triompher de l'URSS. Le Pakistan, aidé par des pays divers, dont vous connaissez la liste, a utilisé l'extrémisme religieux comme une arme, le peuple afghan comme un moyen.
Qu'ont fait les talibans ? Ils ont détruit tout ce qu'il y a d'original, de singulier, de grand, dans la culture afghane. Ils ont détruit la mémoire, qui donne une âme aux textes sacrés. Ils ont détruit la poésie, qui est le creuset des nations. Je n'ai pas oublié l'assassinat de Sayd Bahodine Majrouh, poète et philosophe de l'université de Kaboul.
Les talibans ont utilisé l'ignorance, l'humiliation, la misère, pour rallier à leur cause une partie de la population – l'une des populations les plus pauvres du monde – et son ardeur guerrière. Ils ont utilisé les rivalités ethniques pour faire éclater le pays et mieux le courber sous leur joug. Ils ont acheté l'allégeance des chefs à coups de corruption et de pavot.
Et nous, qu'avons-nous fait ? Nous avons détourné les yeux. Nous avons abandonné les Afghans à leur sort. Nous avons laissé Al Qaida installer ses bases. Il a fallu l'explosion des Bouddhas de Bâmiyân pour mieux émouvoir l'Occident. Pendant que les démocraties sommeillent, leurs adversaires ne perdent pas de temps.
Rappelons-nous le 11 septembre 2001 : l'Afghanistan se signale sinistrement au souvenir du monde. La communauté internationale accourt. Elle pourchasse Ben Laden, elle chasse les talibans. Mais comment reconstruire le pays ?
Rappelons-nous 2003 : la guerre en Irak, les amalgames, les réfugiés encore. L'attention à nouveau se détourne. Les talibans ne sont pas loin. Souvent, ils ont seulement passé la frontière pakistanaise. Et une partie de la population afghane est prête à se laisser séduire, à nouveau. Les causes sont toujours là, qui produisent les mêmes effets.
Disons-le franchement : des erreurs ont été commises. Nous avons perdu du temps. Nous avons perdu du terrain. Certains ont perdu confiance.
Depuis 2007, la France n'a pas ménagé ses efforts pour tirer les leçons de l'histoire, changer de stratégie, et convaincre ses alliés de la suivre, notamment au sommet de Bucarest, au printemps 2008. Notre stratégie, quelle est-elle ? Elle tient en trois mots : régionalisation, afghanisation, réconciliation.
Le drame de l'Afghanistan ne trouvera de solution qu'à l'échelle régionale. Comment voulez-vous que le pays se relève si les frontières sont des passoires et laissent prospérer les trafics en tous genres, et d'abord le trafic de la drogue ?
Ce problème, on ne peut le résoudre qu'avec les pays frontaliers. C'est nous qui avons mis l'accent sur la nécessité de les inviter autour de la table. C'est nous qui avons organisé la première conférence régionale, à La Celle-Saint-Cloud, en décembre 2008.
Je veux insister sur ce point : nous travaillons avec tous les pays de la région. Le combat que nous menons en Afghanistan n'est pas un combat de l'OTAN contre les autres. Ce n'est pas un combat de l'Occident contre les autres. L'Inde, la Chine, la Russie, approuvent ce que nous faisons. Nous parlons avec elles. Nous avons un intérêt commun à la stabilité de la région, avec tous les pays d'Asie centrale.
Notre intérêt, c'est que l'Afghanistan soit assez fort, assez prospère, assez confiant pour ne pas ouvrir les bras aux forces fanatiques qui veulent le détruire à grands coups d'ignorance et de peur.
Nous aurons gagné quand les djihadistes seront rejetés par les Afghans eux-mêmes à l'intérieur, et qu'ils ne trouveront plus d'appuis à l'extérieur. Nous aurons gagné lorsque Al Qaida n'aura plus de base. Déjà ses bases s'amenuisent et perdent en puissance.
Tout ce que nous pourrons faire, nous devrons le faire avec les Afghans. Nous devons leur confier aussi vite que possible, et dans les meilleures conditions, la responsabilité de leur pays. Cette stratégie, nous l'avons proposée à nos partenaires lors de la conférence de Paris en juin 2008.
Nous l'avons mise en oeuvre dans les secteurs géographiques où nous sommes engagés. Dans la vallée d'Alassaï, en Kapissa, en Surobi, nous avons accéléré la formation des forces de sécurité afghanes. Nous avons déployé, aux côtés de la population, des gendarmes français.
Nous avons fait passer notre aide civile de 15 à 40 millions d'euros par an. Nous avons fourni l'argent, mais nous avons confié la responsabilité des projets aux Afghans. C'est cela, l'afghanisation. Nous savons que nous sommes sur la bonne voie, et nous le saurons encore mieux quand les Afghans nous diront : « Ne partez pas encore. Les projets que vous nous avez aidés à mettre en oeuvre sont plus utiles pour nous. Restez, et offrez-nous-en d'autres. »
Voilà tout le problème : que proposons-nous ? et que proposent les talibans ? Cela fait quarante ans que l'Afghanistan ne connaît que famine, coups d'État, guerre civile, soldats en armes qui passent et qui ne parlent pas. Quel avenir offrons-nous ?
Les talibans offrent 300 dollars par mois pour combattre, et les soldats afghans n'en gagnent que 70. On dit qu'un fonctionnaire local afghan en touche, lui, dix fois moins. C'est peu pour nourrir une famille. Comment s'étonner, ensuite, que la corruption fasse des ravages ? La même règle vaut partout : pour pacifier, il faut apaiser. Pour apaiser, il faut satisfaire.
Nous devons faire ce que les talibans ne font pas. Les talibans ne construisent pas de routes. Ils ont détruit l'État, ils ont détruit l'administration. Ils ont détruit le système de santé, qui était déjà faible.
Ils ont construit le premier monstre politique du XXe siècle, le totalitarisme le plus pervers, le plus difficile à combattre, celui qui dissout les moyens de l'État : l'idéologie de l'extrême sans le secours de l'administration.
La République, chez nous, s'est construite en même temps que les routes, les ponts et les chemins de fer. Elle s'est construite en même temps que notre agriculture. Cette vérité est une vérité de partout.
On la trouve sous la plume du fondateur de l'Afghanistan moderne, l'Émir de fer, Abdur Rahman : le jour où il y aura des voies de communication, il y aura aussi une armée ; le jour où il y aura une agriculture, il y aura une nation.
Et j'ajoute : le jour où il y aura une nation retrouvée, une nation réconciliée, il y aura un rempart contre l'extrémisme !
Pour se construire, une nation a besoin de sa jeunesse et d'une jeunesse éduquée. La France a un rôle à jouer. Elle accueille déjà de jeunes Afghans dans ses universités. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Mais cet effort n'est pas suffisant. J'ai obtenu que le nombre de bourses de longue durée destinées aux étudiants afghans soit doublé dès 2010. Et j'ai obtenu les visas !
Ainsi, nous pourrons rapidement accueillir une centaine de jeunes Afghans supplémentaires sur notre territoire. Et je me battrai pour que le nombre des Afghans accueillis soit supérieur au nombre de ceux qui devront partir.
Mesdames, messieurs les députés, nos alliés visitent les secteurs où nous sommes déployés pour s'inspirer de nos méthodes. Nous ne nous contentons pas de suivre. Nous essayons de trouver un chemin. Nous remportons des succès. Lors des dernières élections, le taux de participation était de 47 % dans les vallées où nos armées sont déployées et où nous aidons les Afghans : 47 %, c'est-à-dire 10 points de plus que la moyenne nationale. Et ce succès vient notamment de ce que les femmes ont été plus nombreuses à voter.
Ce succès, nous le devons au travail de nos soldats. Rendons-leur hommage ici ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Je suis souvent allé à leur rencontre. Ils font l'admiration du monde pour leur valeur au combat, mais aussi pour leur intelligence humaine, pour leur inventivité sans relâche, au service des Afghans.
Où en sommes nous aujourd'hui ? Le président Obama, vous le savez, nous demande d'envoyer des hommes supplémentaires. Je veux répondre très clairement sur ce point : tous les stratèges vous le diront, c'est la mission qui détermine le nombre des soldats.
Dans les vallées de Kapissa et de Surobi, nous n'avons pas attendu ces demandes pour ajuster les effectifs aux objectifs. Nous avons déjà envoyé les renforts qui étaient nécessaires, en septembre 2008 encore.
Un député du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Par charter !
Mes chers collègues, je vous appelle, s'agissant d'un débat dont le thème est particulièrement grave, à vous montrer attentifs. Vous aurez un porte-parole par groupe. Il me semble que la dignité de nos travaux est le moindre de nos devoirs vis-à-vis de nos soldats. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Aujourd'hui, nous remplissons notre mission. Dans l'état actuel des choses, nous n'avons pas besoin de renforcer le nombre de nos troupes.
La priorité, c'est la stratégie. Je le dis d'abord pour les Européens. Mais cela vaut aussi pour l'ensemble des nations engagées aux côtés des Afghans.
Le dispositif actuel n'est pas satisfaisant. Nous voulons que le commandement de l'OTAN soit mieux associé au pilotage de l'aide civile. Nous voulons que l'autorité des Nations unies sur place soit renforcée, pour assurer la coordination des moyens – parce que, je vous le rappelle, il s'agit d'un mandat de l'ONU. Comment voulez-vous que nous ayons un dialogue efficace avec le gouvernement afghan si nous ne parlons pas d'une seule voix ?
C'est pour cela que le Président de la République a demandé, conjointement avec la chancelière Merkel et M. Gordon Brown, une conférence internationale des ministres des affaires étrangères, qui se tiendra à Londres le 28 janvier.
Nous devons nous fixer des objectifs clairs pour cette conférence : refonder la coordination internationale à Kaboul, entre la MANUA et l'OTAN, et parvenir à une représentation unique des Européens.
Demander aux autorités afghanes la feuille de route qui permettra de décliner les promesses du président Karzaï pour les cinq années à venir : en matière de sécurité, en matière de gouvernance, de justice et de lutte contre la corruption, en particulier au niveau local, en matière de paix et de réintégration, en offrant une alternative aux combattants qui choisissent de déposer les armes, en matière d'agriculture, d'infrastructures ferroviaires et de micro-industries locales.
En échange, nous confirmerons nos engagements dans la durée. Et nous assurerons le suivi de ces engagements réciproques au cours d'une conférence ministérielle à Kaboul en juin.
Mesdames, messieurs les députés, ce n'est pas le moment de nous tromper d'ennemi.
Notre ennemi, c'est la misère, qui engendre la haine.
C'est l'ignorance, qui est la porte ouverte au fanatisme.
C'est l'humiliation. C'est l'indifférence frileuse qui se prépare des lendemains amers !
Voilà ce dont la France ne veut plus.
Avons-nous oublié ce que furent les Balkans au début du siècle dernier ? Cette terre aux confins des empires, parsemée d'identités diverses, jamais stabilisée, où venaient s'engouffrer toutes les haines des alliances. L'Afghanistan est au monde d'aujourd'hui ce que les Balkans furent à l'Europe d'hier.
Un député du groupe SRC. Ridicule !
Partirons-nous en laissant une mèche allumée ?
Nous voulons que l'Afghanistan tienne debout – seul, fier, et libre. Le monde en a besoin. Les Afghans le méritent. Et ce n'est pas impossible.
Ce qui n'est pas possible, en revanche, c'est que la France qui est engagée – l'une des plus grandes nations qui ait engagé les plus belles et les plus grandes de ses qualités, et surtout sa responsabilité morale devant les nations –ait versé le sang de ses soldats et qu'elle ait fait tout cela pour renoncer avant le terme. Voilà ce qui n'est pas possible ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Monsieur le président, monsieur les ministres des affaires étrangères et de la défense, mes chers collègues, en montant, moi aussi, avec gravité à cette tribune, je ne peux m'empêcher de penser d'abord aux neuf expulsés de cette nuit. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Je le ferai avec réserve, mais avec mon coeur. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Vous me direz que cela n'a rien à voir avec le débat de cet après-midi. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
…et il y a un ministre – il n'est pas au banc du Gouvernement aujourd'hui – qui s'est permis de dire que l'on pouvait expulser ces jeunes Afghans parce que la sécurité régnait à Kaboul.
Pourquoi un président des États-Unis envoie-t-il 30 000 hommes supplémentaires parce qu'il n'arrive pas à faire face ? Et la sécurité régnerait à Kaboul ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Un attentat a fait, hier, de très nombreuses victimes au centre de Kaboul. Et la sécurité y régnerait ?
Ce pays est en guerre. Je veux rendre hommage aux députés de la majorité UMP, comme Mme Hostalier, qui ont réclamé un moratoire sur l'exécution de cette décision.
Je voudrais également rendre hommage aux initiatives de Sandrine Mazetier et du groupe socialiste, qui demande qu'une initiative parlementaire soit prise pour une protection temporaire de ces Afghans réfugiés chez nous, tenant compte du fait que ce pays est en guerre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le ministre, ma deuxième pensée, à moi aussi, ira vers les soldats français qui sont en Afghanistan. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Je le ferai avec le sens des responsabilités aussi, parce qu'ils y mènent un combat difficile, douloureux, dangereux.
Un député du groupe UMP. Il fallait commencer par là !
Je suis l'élu de Tarbes ; deux régiments stationnés dans cette ville ont servi ces derniers mois en Afghanistan et ont payé un lourd tribut à ces combats. Nous nous sommes rencontrés, monsieur le ministre, lors de cérémonies bien tristes. Je sais le prix que les soldats et leurs familles paient pour cet engagement, et le lien entre l'armée et la nation, qui est un lien essentiel en République, mérite que la responsabilité des élus à l'égard des militaires ne soit pas affaire de politique policitienne et de polémique. (Rires sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Ma troisième remarque sera pour dire que ce débat vient à la fois trop tard et trop tôt.
Nous le réclamons depuis des mois. Nous n'avons pas parlé de l'Afghanistan depuis septembre 2008. Combien de choses ont changé là-bas entre-temps ? J'en dirai un mot tout à l'heure. Nous n'avons jamais tiré les leçons de ces changements considérables.
Il vient trop tard aussi parce que le président Obama a changé sa stratégie sans que l'on ait, ici, l'occasion d'en débattre – j'y reviendrai aussi.
Il vient trop tôt parce qu'il nous adresse une demande, et, si j'ai bien compris, on n'en parlera pas aujourd'hui. Enverrons-nous des troupes supplémentaires ? Le Gouvernement réfléchit. J'espère qu'un jour il saisira le Parlement des éléments de sa réponse.
Une fois ces trois préalables énoncés, je veux moi aussi faire une remarque à l'occasion de ce débat sans vote – sans doute pour revaloriser les droits du Parlement – , un débat où nous échangerons gentiment entre nous et dont on ne tirera pas en responsabilité le sens de nos propos. Ainsi qu'Henri Emmanuelli le disait tout à l'heure, au fond, c'est un peu comme au Rotary, le champagne en moins. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) On débat gentiment, mais on ne s'engage pas. (Protestations sur les mêmes bancs.)
J'en viens à l'analyse concrète de la situation en Afghanistan. On peut employer le mot d'enlisement ou d'impasse.
Moi, je voudrais employer le mot d'échec. Certes, il y a eu un succès, monsieur le ministre, vous l'avez rappelé, de la coalition internationale qui a renversé le régime taliban, ce régime barbare. Ce n'était pas une mince affaire et ce n'est pas un mince succès. Nous devons le saluer. Mais cela date de 2001.
Depuis 2001, c'est l'enlisement, l'impasse, l'échec militaire, quoi qu'on en dise, puisque le président Obama considère qu'il faut changer de stratégie, parce que la sécurité n'est pas assurée en Afghanistan. L'échec politique avec une élection présidentielle faite de fraudes massives et d'absence de deuxième tour. L'échec moral avec cette corruption qui se répand tous azimuts et cette culture de pavot que l'on n'arrive pas à éradiquer. L'échec de l'aide civile, car nous savons tous que la communauté internationale fait des efforts considérables, par milliards de dollars ou d'euros, pour l'Afghanistan, sans que la population afghane en voie la trace –en tout cas elle en voit bien peu de traces.
Un échec dont nous devons tirer les conséquences.
Je tire au moins deux leçons à l'issue de ce constat.
La première pour dire les choses aussi clairement que possible : tous ceux qui ont étudié la situation en Afghanistan, qui s'y sont rendus, qui ont parlé avec les militaires, avec les responsables politiques, savent que la solution ne sera pas militaire. Ils savent que l'on ne gagnera pas la guerre en Afghanistan, que l'on peut contribuer militairement à une solution, mais qu'elle ne sera pas militaire. La solution, comme toujours, sera politique et diplomatique.
La deuxième leçon, c'est que, comme nos troupes ne sont pas des troupes d'occupation – on le répète à l'envi –, il faut se fixer un terme et dire que, puisqu'elles n'ont pas vocation à rester, elles ont vocation à rentrer, et le plus vite possible sera le mieux.
Il doit être dit ici que nos troupes doivent rentrer le plus vite possible, si elles n'ont pas vocation à rester éternellement.
À partir de là, qui définit les missions de nos troupes ? J'affirme clairement que les décisions, à notre sens, se prennent un peu trop outre-Atlantique. Je ferai trois observations.
D'abord, il y a eu beaucoup de déclarations plutôt hasardeuses de notre président, qui disait un jour – pendant la campagne des présidentielles, il n'était pas encore Président de la République – : « Nos troupes n'ont pas vocation à rester », mais elles y restent. Ou qui disait, il y a six mois : « Nous n'enverrons pas un soldat de plus en Afghanistan ! » On verra !
Je voudrais surtout parler d'un camouflet, car la révision stratégique à laquelle nous venons d'assister, décidée unilatéralement par le président Obama, a-t-elle associé les responsables politiques et militaires français ? Vous le savez tous : non ! Alors que nous sommes rentrés, dans le commandement intégré de l'OTAN, il y a quelques mois, en disant : « Maintenant, nous aurons des garanties, nous serons associés aux révisions stratégiques. »
D'où ce paradoxe étonnant : alors que de Gaulle avait quitté le commandement intégré en 1966 parce qu'il n'avait pas pu obtenir, en huit ans, la moindre des garanties et qu'il prenait garde à ne pas être entraîné dans l'enlisement au Vietnam, aujourd'hui, c'est le président Sarkozy - il a sûrement obtenu, en quelques mois, toutes les garanties, mais nous n'en voyons pas la trace – qui prend le risque d'un enlisement en Afghanistan.
Au-delà de ce camouflet, il y a surtout des réactions à contre-temps. Car on peut dire ce que l'on veut du président Obama, ce que je sais, ce que nous pensons, c'est que le président Bush allait droit dans le mur. Et que le président Obama se pose aujourd'hui des questions, impulse des décisions stratégiques en cherchant une porte de sortie, une solution. De ce point de vue, c'est un progrès notoire. Or nous avons le sentiment que le Gouvernement de la France et le Président de la République, qui étaient infiniment plus suivistes pour le président Bush, sont infiniment plus critiques pour le président Obama, alors que c'est probablement le contraire qu'il aurait fallu faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
J'en viens à mon avant-dernier point sur les propositions que nous faisons. Nous partons d'un principe qui est le renversement du vieux précepte : « Si tu veux la paix, prépares la guerre. » Nous disons, nous : « Puisque nous faisons la guerre, préparons la paix. » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Nous pensons, nous socialistes, qu'il n'est pas trop tôt pour parler de paix en Afghanistan et qu'il importe au contraire de renverser la tendance pour parler de la paix et créer les conditions de la paix. Nous proposons et demandons qu'une feuille de route nouvelle soit donnée à la coalition, une feuille de route dont on connaît les termes. Ils font l'objet d'un consensus : d'abord l'afghanisation des forces de sécurité – ce qui , accordez-le, monsieur le ministre, est plus facile pour les militaires que pour la police –, la lutte contre la corruption – le président Karzaï ne donne pas en ce moment de signes extrêmement favorables –, la lutte contre la drogue et la culture de pavot, la lutte pour l'éducation, notamment des jeunes filles, le développement rural. Des choses simples sur lesquelles nous demandons que soient fixés des objectifs chiffrés, précis, et que l'on fasse le point de la progression vers ceux-ci. C'est cela, la feuille de route ; c'est se fixer des objectifs et avancer concrètement sur la voie de ces objectifs.
C'est la proposition de cette feuille de route pour la paix que nous faisons. Mais, monsieur le ministre, je veux aller plus loin. Si nous voulons que cette feuille de route nouvelle ait un sens, il faut la faire valider par l'ONU. Il faut un nouveau mandat de l'ONU, car le mandat actuel date de 2001. Et la situation a complètement changé. Nous devons donc aboutir à un nouveau mandat, un mandat de l'ONU qui prenne compte de ces réalités nouvelles et de ces impératifs nouveaux.
J'en viens à ma conclusion. Messieurs les ministres, il faudra revenir en parler devant le Parlement. Car si vous voulez que le lien entre l'armée et la nation, si essentiel en République, perdure, se renforce, il faut que les parlementaires, les élus de la République, soient associés, soient consultés et puissent voter sur les engagements que vous prenez sur la scène internationale. Cela me paraît essentiel et je regrette qu'aujourd'hui cela n'ait pas pu se faire. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, chacune et chacun d'entre nous a conscience de la gravité de notre débat et de la difficulté de la situation en Afghanistan.
Ce débat, contrairement à l'orateur précédent, j'estime qu'il intervient à un moment crucial, après la décision du président Obama d'envoyer des renforts très importants en Afghanistan.
Débat tellement crucial que l'on peut penser que cette décision représente la dernière chance pour stabiliser cette région du monde et s'assurer que nous n'ayons pas fait tant de sacrifices en vain.
Il faut rappeler avec force que l'intervention de nos armées s'inscrit depuis l'origine, c'est-à-dire depuis maintenant huit ans, dans le cadre d'un mandat clair des Nations unies.
Ce mandat repose d'abord sur la volonté d'éteindre des foyers majeurs du terrorisme international qui menacent aussi l'Europe et la France. Mais il résulte également – vous l'avez dit avec force, monsieur le ministre des affaires étrangères – de la volonté de lutter contre le fanatisme, l'intolérance et la barbarie. Enfin, il vise à offrir aux Afghans, au terme de quarante années de guerre, une chance de prendre leur destin en main.
Voilà pourquoi je n'hésite pas à dire à cette tribune qu'il s'agit d'une guerre juste, au sens que le président Obama a donné – non sans courage – à ce terme lorsqu'il a reçu le prix Nobel de la paix à Oslo. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Est-ce à dire que nous, parlementaires, ne devrions pas nous interroger sur les sacrifices et les coûts humains et budgétaires en jeu ? Est-ce à dire que nous aurions vocation à rester éternellement en Afghanistan ? Évidemment non. Il est nécessaire et légitime que nous en débattions devant la représentation nationale. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.) En le faisant, nous montrons que nous sommes une nation lucide et capable d'affronter des débats difficiles. Saluons donc le Gouvernement, qui a voulu que ce débat ait lieu. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
J'irai même plus loin : il faut dire à nos concitoyens que nous sommes dans une situation très difficile et que nous risquons véritablement d'échouer en Afghanistan. (Même mouvement.)
Du reste, j'ai présenté avec Jean Glavany – ce qui montre qu'au-delà des polémiques et des effets de manche, nous pouvons dépasser les clivages partisans pour nous rejoindre sur l'essentiel – un rapport dont la commission des affaires étrangères a autorisé la publication à l'unanimité, et qui contient vingt-cinq propositions pour gagner la paix en Afghanistan. Dans ce rapport, publié en juillet dernier, nous mettions en garde contre un risque considérable d'enlisement et d'échec.
Tel est du reste le sens de la décision de renforcer notre présence militaire sur place prise par le Président de la République début 2008. Nicolas Sarkozy a d'emblée indiqué qu'il s'agissait à ses yeux du prix à payer pour convaincre nos alliés, et en premier lieu les Américains, de modifier radicalement leur stratégie. (Rires sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe SRC.)
Saluons donc la lucidité et le rôle d'éclaireur du Président de la République (Murmures sur les bancs des groupes SRC et GDR), et la manière dont vous avez appliqué sa décision, monsieur le ministre, notamment lorsque nous présidions l'Union européenne ; saluons le travail du Président de la République, de nos diplomates, de notre représentant spécial, Pierre Lellouche et, aujourd'hui, de notre collègue Thierry Mariani (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) pour convaincre tous nos alliés de revoir totalement notre stratégie.
De fait, contrairement à ce qui vient d'être dit, et contre quoi je m'inscris en faux, les choix du président Obama reprennent très largement les thèses françaises. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
De fait, le commandement américain, qu'il s'agisse du général Petraeus ou du général McChrystal, ne cesse de faire référence à nos choix et à ce que font nos soldats, dans des conditions si difficiles, en Kapissa et en Surobi ; je tiens à leur rendre moi aussi hommage.
Mes chers collègues, je rappelle que le président Obama a déclaré qu'il n'était pas possible de gagner militairement, que ces renforts étaient provisoires, visaient à donner une chance à la paix et s'accompagnaient d'une refonte totale de la politique de reconstruction et de développement, et des choix militaires. Il s'agit en particulier de renoncer aux frappes aveugles qui ne cessent de susciter des vocations de talibans.
Il ne faut donc pas dire, sous peine de créer un redoutable malentendu, que les choix du président Obama sont contraires à ce que nous voulons : c'est exactement l'inverse.
Et cela fournit un bel exemple du rôle d'entraînement que peut jouer la France vis-à-vis de nos alliés (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), à condition que nous soyons solidaires avec eux dans les moments difficiles.
Cette révision stratégique peut se résumer en une formule : gagner les coeurs afghans. Car – nous en avons tous conscience – plus le temps passe et plus les forces occidentales sont considérées comme des troupes d'occupation…
…, voire comme menant une croisade contre les moeurs et les traditions afghanes. Je suis donc cette fois d'accord, bien entendu, avec Jean Glavany : il faut le répéter inlassablement, notre présence n'a d'autre but que de permettre aux Afghans de prendre leur destin en main.
Je ne peux naturellement résumer en quelques mots la mosaïque afghane et pakistanaise. Rappelons tout de même que l'Afghanistan n'est pas, et ne sera pas avant très longtemps, un État-nation au sens occidental du terme. Il s'agit d'une addition de vallées, de tribus, de clans où l'intérêt de la famille, du clan, de la tribu passe évidemment avant l'intérêt national afghan. Quant au Pakistan, nous connaissons tous les ambiguïtés de son armée. Là encore, la France a raison de vouloir encourager le pouvoir civil à reprendre les rênes du pays et inciter l'armée à attaquer les intégristes pakistanais, mais aussi à mettre un terme à la présence des terroristes afghans sur son sol. Mais ce combat est extrêmement difficile.
Faudrait-il abandonner la lutte ? Faudrait-il renoncer ? Imaginons un instant les conséquences d'un retrait de la France et d'une défaite des alliés occidentaux. Cela reviendrait tout d'abord à abandonner le peuple afghan à un triste sort, au retour pur et simple de la barbarie que le pays a hélas déjà connue. Aujourd'hui, les talibans essaient d'empêcher les filles d'aller à l'école, y compris en leur jetant de l'acide ou en assassinant les courageux parents qui continuent de les y envoyer, et ils n'hésitent pas à tenter d'empêcher la tenue d'élections libres. Ne l'oublions pas.
Mais surtout, abandonner reviendrait à faire de cette zone ô combien stratégique un arc de crise, ce qui pourrait entraîner des conséquences redoutables pour le Pakistan, puissance nucléaire.
Enfin, on adresserait ainsi un message très significatif à tous les fanatiques qui défigurent l'islam et partent en croisade contre les valeurs occidentales.
Mes chers collègues, songeons un instant à ces conséquences avant de décider hâtivement de jeter le manche.
Un mot enfin sur la contribution que doit à mon sens apporter la France, compte tenu de cette nouvelle donne. Rendons d'abord hommage à nos soldats, bien entendu, ainsi qu'à nos diplomates et à toutes les associations humanitaires, notamment aux médecins qui aident le peuple afghan au risque de leur vie, avec un désintéressement absolu.
À mes yeux, la France peut jouer un rôle déterminant dans deux domaines. D'une part, le vieil État que nous constituons, doté d'une culture de l'État, peut mieux que d'autres aider les Afghans à consolider leur propre État, si fragile. Il faut donc continuer d'investir massivement dans la formation des juges, des policiers, des soldats, naturellement, et aussi des gouverneurs, en s'inspirant par exemple du modèle de nos préfets. En outre, le développement agricole, qui suppose de combattre la corruption, ou la lutte contre la drogue supposent un État intègre. La France peut faire beaucoup en ce sens.
D'autre part, monsieur le ministre – c'est l'une des suggestions de notre rapport –, il faut reprendre le flambeau d'une conférence régionale réunissant tous les voisins de l'Afghanistan : la Chine, l'Inde, la Russie, le Pakistan et l'Iran. Cette conférence devrait permettre à toutes les grandes puissances régionales, dont quatre nucléaires, de délivrer un mandat permettant de garantir l'indépendance et la neutralité de l'Afghanistan et de définir les conditions possibles d'un retrait des troupes occidentales. Car, sans l'implication des puissances régionales, l'Afghanistan, otage de ces grands États, n'a aucune chance de retrouver la paix.
Enfin, je ne veux pas me dérober à la question, soulevée par nos alliés américains, de la demande de renfort. Ce sera ma conclusion, monsieur le président.
Le Président de la République a eu raison de renvoyer à la conférence de Londres, qui se tiendra à l'initiative conjointe de la France, de l'Allemagne et de l'Angleterre, cette décision, laquelle doit en effet être européenne, afin que l'Europe soit plus visible en Afghanistan. Pour ma part,…
..je suggère qu'à défaut d'envoyer davantage d'hommes, nous soyons solidaires avec nos alliés, le cas échéant en utilisant – pourquoi pas ? – le porte-avions Charles de Gaulle, redevenu opérationnel.
Rendons une fois encore hommage à nos soldats ; pensons à ceux qui ont sacrifié leur vie. Il est essentiel, mes chers collègues, que la représentation nationale adresse un message clair et unanime de soutien à nos troupes, qui font l'honneur de la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, avant toute chose, je veux condamner ici fermement l'expulsion, hier soir, des Afghans renvoyés dans leur pays en guerre. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Ces expulsions indignes font honte à la France et à sa tradition républicaine d'asile. Elles violent le principe de non-refoulement garanti par la convention européenne des droits de l'homme et par la convention de Genève. Elles témoignent du cynisme de ce gouvernement, qui n'hésite pas à mettre en péril, au nom d'une politique du chiffre, la vie d'hommes qui ont fui un pays en guerre. Les députés communistes, républicains et du Parti de gauche demandent donc l'arrêt immédiat de toute expulsion vers l'Afghanistan, plongé dans le chaos. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Huit ans après le début de la guerre, la coalition internationale est incontestablement en situation d'échec, de l'aveu même du commandant des forces internationales, Stanley McChrystal, qui est allé jusqu'à ajouter : « Soit on met 450 000 hommes à disposition, soit on s'en va ! » En effet, la stratégie menée en Afghanistan s'est révélée à la fois inefficace, contre-productive et inconséquente.
Le constat est accablant : la situation s'est globalement détériorée, l'insurrection à laquelle la coalition est confrontée résiste et s'accroît. Au terme de huit années d'occupation militaire, les victimes civiles se comptent par milliers et le quotidien est synonyme d'insécurité pour les citoyens afghans. L'Afghanistan constitue toujours un foyer de violence ; loin d'être anéantis, les talibans ont renforcé leur capacité de résistance et les forces militaires présentes sur place, y compris les forces françaises, s'épuisent à les poursuivre.
Les bombardements aériens tuant civils, femmes et enfants, que les militaires préfèrent habiller sous le vocable plus technique de « dommages collatéraux », se multiplient. On ne compte plus les mariages et les fêtes écrasés sous les bombes pour avoir été confondus avec des regroupements de talibans. La plupart des victimes civiles sont le fait de la coalition, de leurs frappes ponctuelles d'appui des troupes au sol ou de bombardements décidés lors d'opérations d'urgence. Ces tueries à répétition dressent la population contre l'occupation du pays et donnent à cette guerre des relents néocoloniaux.
Les principales manifestations du modèle occidental sur le sol afghan sont morbides : occupation par une armée ultramoderne, synonyme de mort et de destruction ; accroissement des tensions et de l'insécurité. D'après les Nations unies, 2118 civils ont été tués dans des violences en Afghanistan en 2008, année la plus meurtrière pour la population afghane depuis le renversement des talibans, en 2001.
Dans ce contexte militaire et sécuritaire, la reconstruction de la société afghane semble reléguée au second plan et les populations paraissent abandonnées à leur sort tragique. Les ONG alertent sur la situation humanitaire. Dans son rapport de 2009, l'UNICEF déplore que plus de 40 % du pays soit inaccessible aux agents humanitaires. Elle relève que plus de 150 000 personnes sont déplacées à l'intérieur du pays et plus de onze millions affectées par la sécheresse et le prix élevé des denrées alimentaires. Elle ajoute que le pays a régulièrement connu en 2008 des inondations, des flambées de maladies diverses et des déplacements forcés de population. Elle note également qu'en dépit d'une diminution de la mortalité des enfants de moins de cinq ans, les services de santé n'atteignent toujours pas les populations marginalisées et celles qui vivent dans des zones isolées et difficiles d'accès. Le 16 octobre 2009, seize ONG oeuvrant sur place et plusieurs organisations de la société civile, afghanes et internationales, ont demandé d'urgence des améliorations dans les secteurs de la santé, de l'éducation et des droits de l'homme.
Outre ce désastre humanitaire, l'économie de la drogue est plus que jamais florissante. Deux rapports récents de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime mettent en lumière les effets corrosifs de la drogue sur l'ensemble de la société afghane et indiquent que « si le fait de contrôler la drogue ne résoudra pas tous les problèmes du pays, les problèmes du pays ne peuvent être résolus sans contrôler la drogue ».
Les chiffres sont édifiants : 90 % de l'opium mondial vient d'Afghanistan. Chaque année, 900 tonnes d'opium et 375 tonnes d'héroïne sortent clandestinement de ce pays. La corruption, le non-respect des lois et l'absence de contrôle aux frontières, à l'origine de tant de problèmes, font que seuls 2 % des opiacés produits sont interceptés. L'économie de la drogue génère une manne financière qui se révèle un puissant outil de corruption.
Ce même rapport indique que 60 % des parlementaires afghans sont liés à des personnes ayant un intérêt dans le trafic d'opium – chefs de guerre, trafiquants ou personnes assurant leur protection. Les représentants de l'État afghan, encore embryonnaire – policiers, magistrats, gouverneurs – sont, selon l'ONU, souvent corrompus par les trafiquants pour faciliter le transport de la drogue et bloquer toute éradication. L'élite nationale en place reste donc rongée par cette corruption qui gangrène l'État afghan dans son ensemble jusqu'au plus haut niveau.
Dans ce contexte, la question de la stabilité des institutions afghanes est posée. Elle est même devenue d'une acuité toute particulière après que les résultats des élections présidentielles ont abouti à une impasse.
À cet égard, je tiens à rappeler les propos qu'a tenus le Président Sarkozy devant la conférence des ambassadeurs, le 26 août 2009, au sujet des élections présidentielles en Afghanistan : « La campagne électorale s'est bien déroulée », a-t-il affirmé, sans dire un mot des graves irrégularités qui ont entaché le premier tour de scrutin. Ce silence sur le trucage des élections renvoie à celui qui a entouré les révélations de la presse américaine sur l'usage de la torture par les États-Unis dans des camps de prisonniers en Afghanistan. Ce silence en dit long. Il montre que, contrairement à ce qu'affirme le Président, nous ne pesons pas grand-chose et que seuls les États-Unis définissent leur stratégie et celle de l'OTAN en Afghanistan. Le retour de la France dans les structures militaires de l'OTAN n'a rien changé. Le monde entier n'a pas à suivre un seul pays dans cette fuite en avant.
Les soldats français, si courageux soient-ils – j'ai eu l'occasion de les rencontrer sur place et je sais que leur comportement à l'égard des populations et le sérieux de leur attitude sont salués par les observateurs –, sont engagés dans une impasse au péril de leur vie. Une question se pose, voire s'impose : pour qui et pour quoi combattent-ils ? Il s'agit d'une question simple face à laquelle le chef de l'État reste confus, évasif, se contentant de répondre à coup d'arguments d'autorité.
L'objectif initial de cette guerre était la capture de Ben Laden et des leaders d'Al-Qaïda. Où en sommes-nous aujourd'hui ? L'objectif est-il resté le même ? Ben Laden est-il toujours recherché ? La décision de rester « aussi longtemps qu'il sera nécessaire » ne s'approche en rien de la définition d'un objectif précis justifiant la présence française en Afghanistan.
La raison de la présence française échappe, vous le savez, à bon nombre de nos concitoyens. Le combat contre le terrorisme est une question de principe, que nul ne discute, mais il faut se poser la question de l'efficacité de ce combat.
Cette lutte ne peut se résumer à l'occupation militaire de l'Afghanistan. Il est grand temps d'organiser une sortie de crise. Nous demandons le retrait des forces de l'OTAN d'Afghanistan, messieurs les ministres. Vous avez vous bien entendu : nous demandons le retrait des forces de l'OTAN d'Afghanistan.
L'OTAN n'est pas la solution, elle fait partie du problème. On ne peut rester dans cette impasse. La France et ses partenaires européens devraient faire preuve non seulement de lucidité, mais surtout d'indépendance, en refusant de contribuer à ce désastre sécuritaire, politique et humain.
Un changement profond de stratégie doit être adopté afin de donner la priorité à un processus politique de résolution de cette crise. Il devra nécessairement favoriser un consensus régional et avoir pour axe prioritaire le développement du pays et la coopération.
Pour cela, il faut faire jouer aux Nations unies un rôle beaucoup plus important. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons que la France, en sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité, prenne 1'initiative de proposer 1'organisation d'une conférence internationale, sous l'égide de l'ONU, pour définir précisément les conditions d'une paix négociée et durable en Afghanistan, prenant en compte toute la diversité des différentes composantes du peuple afghan. Cette conférence devrait, bien sûr, réunir des voisins immédiats comme l'Iran et, bien évidemment, le Pakistan, car les effets de cette guerre sont très déstabilisants pour ce pays. Il faudra aussi y associer l'Inde, la Chine, la Russie, la Turquie et d'autres pays.
Dans ce cadre, nous demandons la définition d'un nouveau mandat de l'ONU, un mandat clair centré sur les conditions de la paix, la reconstruction et le développement de ce pays. Et nous verrons bien si ceux qui dilapident aujourd'hui des milliards pour la guerre seront prêts à consacrer à la paix les mêmes sommes pendant autant d'années. L'application de ce mandat devrait être confiée à des forces internationales, sous le drapeau des Nations unies. Il est grand temps de sortir de l'impasse tragique à laquelle a conduit cette guerre.
Monsieur le ministre des affaires étrangères, je vais utiliser les trente secondes qui me restent pour saluer le courage d'une grande dame aujourd'hui déportée, dont le seul crime est d'avoir respecté les résolutions des Nations unies en indiquant le nom de son pays sur sa carte de débarquement alors qu'elle rentrait des États- unis où elle a reçu un prix récompensant son combat pacifique pour le respect du droit international. Elle s'appelle Aminatou Haidar et son pays, le Sahara occidental, est actuellement occupé par le Maroc. Allez-vous la laisser mourir de sa grève de la faim à l'aéroport de Lanzarote ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Hors sujet ! C'est scandaleux ! (Exclamations sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Pourra-t-elle revoir ses deux enfants ? Le défenseur du concept d'ingérence humanitaire que vous êtes ne se doit-il pas d'intervenir ?
Pour construire la paix en Afghanistan et ailleurs, il importe que la communauté internationale soit crédible. Aussi faut-il d'urgence cesser l'application à deux vitesses des résolutions des Nations unies, que ce soit pour les Palestiniens ou les Sahraouis. La France est grande dans le monde, non lorsqu'elle fournit des militaires, mais lorsqu'elle a le courage politique de défendre ses valeurs fondamentales. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Encore Raoult !
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis 2001, trente-six de nos soldats ont payé de leur vie l'engagement de la France en Afghanistan. Avant toute chose, monsieur Glavany, monsieur Lecoq, je veux, au nom du Nouveau Centre - car nous ne nous trompons pas, nous, dans l'échelle des valeurs -, rendre une nouvelle fois hommage à leur mémoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
J'ai une pensée toute particulière pour le 8e RPIMA de Castres et pour les familles des soldats de ce régiment tombés, voici plus d'un an, dans la vallée d'Uzbeen, ainsi que pour ses blessés.
Au-delà des débats qu'a pu susciter sur ces bancs le sens politique de notre engagement en Afghanistan, il demeure que la tragédie d'Uzbeen a sans doute joué, tant pour la classe politique que pour la société française dans son ensemble, un rôle de brutal révélateur de la situation à laquelle faisait face notre armée en Afghanistan, à travers des actions de guerre d'une intensité sans précédent depuis les événements d'Algérie.
Après que la coalition eut, en 2001, rapidement atteint ses premiers objectifs, les forces de l'Alliance du Nord entrant dans une Kaboul désertée par les talibans quelques jours à peine après le lancement de l'opération « Enduring Freedom », le déclenchement en 2003 de la seconde guerre d'Irak a pour longtemps détourné l'attention du théâtre afghan alors que la situation continuait d'y demeurer problématique, ainsi que j'ai pu moi-même le mesurer en me rendant par trois fois dans ce pays au cours de l'année 2008.
Je veux le redire ici, l'invasion de l'Irak par l'armée américaine n'a pas seulement détourné de l'Afghanistan une attention et des moyens qui auraient été nécessaires, elle a aussi considérablement affaibli la force morale et la légitimité qui étaient celles de la coalition en Afghanistan aux yeux de l'opinion publique internationale, bien sûr, mais également aux yeux des Afghans eux-mêmes.
Au lendemain des dramatiques attentats du World Trade Center, c'est pourtant bien sur le fondement de l'article 52 de la Charte des Nations unies que le Conseil de sécurité a reconnu aux États-Unis le droit d'entreprendre des actions militaires de légitime défense contre les auteurs de ces attaques. C'est sur le fondement du droit à la légitime défense que Jacques Chirac et Lionel Jospin décidèrent alors, dans un esprit de consensus, d'engager la France aux côtés de ses alliés.
Depuis l'origine, nous sommes présents en Afghanistan sur la base d'un mandat des Nations unies pour empêcher le retour au pouvoir du régime barbare des talibans, pour prévenir la reconstitution d'un sanctuaire du terrorisme international, pour éviter la déstabilisation du Pakistan voisin figurant au rang des puissances nucléaires, enfin pour y faire reconnaître les droits de l'homme en général et ceux de la femme en particulier.
En dépit de la faillite morale du discours de la guerre contre la terreur tel que l'a formalisé le Président Bush, et malgré la rupture, dans un grand nombre de démocraties, du consensus initial, c'est bien notre sécurité qui reste aujourd'hui engagée en Afghanistan, et cela justifie le maintien sur place de nos troupes.
Il reste que nous avons vu au fil des années grandir dans l'opinion, française comme internationale, le spectre d'un enlisement empêchant toute perspective de retrait de nos forces armées dans de bonnes conditions.
À ce titre, les élections présidentielles de cet été ont été successivement source de déception et d'espoir : déception car les fraudes massives observées lors du scrutin privent le gouvernement afghan d'une grande partie de la légitimité qui lui aurait été nécessaire ;…
…espoir malgré tout car les Afghans se sont bien rendus aux urnes malgré les menaces des talibans, et l'élection a été précédée par un débat démocratique de qualité.
Le Président Karzaï n'est certes pas l'interlocuteur rêvé pour la communauté internationale. Il reste malgré tout un interlocuteur obligé, de qui dépend pour une large part l'issue du conflit.
S'il n'y a de la part de la coalition aucune volonté hégémonique durable sur l'Afghanistan, il n'est cependant pas possible pour la France de se retirer à court terme sans trahir les responsabilités qu'elle prétend assumer au sein de la communauté internationale en tant que membre permanent du Conseil de sécurité.
Mais nous débattons aujourd'hui dans un contexte particulier puisque le président Obama a, le 1er décembre, dévoilé ses intentions et sa stratégie pour l'Afghanistan en annonçant notamment l'envoi dans le courant de l'année 2010 de 30 000 hommes supplémentaires et en validant, par ailleurs, la stratégie de contre-insurrection proposée par le général McChrystal.
Si nous saluons les options retenues et l'ambition américaine de réunir rapidement les conditions d'un succès en Afghanistan, qu'il nous soit cependant permis de regretter l'apparence - sinon le caractère - par trop unilatérale de ces annonces.
Les États-Unis demeurent légitimement, par le volume de leur implication, le chef de file de la coalition. Reste que les États de l'Union européenne semblent avoir renoncé à se concerter pour peser dans le débat stratégique américain, ce qui nous semble des plus déplorables à l'heure où, avec les institutions issues du traité de Lisbonne, nous prétendons nous être donné les moyens de faire enfin clairement entendre notre voix dans les affaires du monde.
Sur le fond, nous adhérons à la position adoptée par le Gouvernement, consistant à ne pas envoyer dans l'immédiat de nouveaux renforts sur le théâtre afghan. Notre dispositif, récemment renforcé et largement réorganisé en novembre dernier, semble en effet suffisant en l'état pour remplir les missions confiées à nos troupes par le commandement de la FIAS. Pour m'être rendu sur place, je tiens à souligner la nécessité d'assurer une certaine continuité dans la nationalité des troupes prenant en charge chacune des zones en Afghanistan. Ainsi, les succès dans la Kapisa et la Surobi seront les nôtres, les éventuels revers aussi.
Pour des raisons tenant tant à la problématique des caveats qu'à la connaissance du terrain, il me semble utile que ce soient des soldats d'une même armée qui se succèdent sur une même zone lors des rotations d'effectifs.
Notre armée a démontré à maintes reprises lors d'opérations extérieures son savoir-faire fondé sur une approche du terrain conciliant les exigences de sécurité et la volonté de respecter les populations civiles locales. Il importe donc, mes chers collègues, de valoriser ces spécificités dans les modalités de notre déploiement.
À tout le moins, s'il devait être décidé, à l'issue de la conférence devant se tenir à Londres en janvier prochain, de dépêcher sur place de nouveaux renforts français, notre priorité devrait aller au renforcement des capacités de l'armée comme de la police afghane par l'envoi de nouveaux formateurs de l'armée de terre et de la gendarmerie. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)
La contre-insurrection, c'est avant tout gagner les coeurs de la population. Qui mieux qu'une armée et une police nationale agissant sur leur territoire peuvent remplir cette mission ? À ce titre, alors qu'un combattant continue de gagner trois fois mieux sa vie en servant la rébellion qu'en s'engageant dans l'armée nationale afghane, il ne faut plus seulement chercher à asphyxier les rebelles en les coupant des financements du narcotrafic, il faut aussi rendre l'ANA et l'ANP plus attractives pour les Afghans en revalorisant le niveau général des rémunérations.
Pour le coût d'un soldat de la coalition déployé, c'est une dizaine de soldats ou policiers afghans payés. C'est à ce prix également que nous pourrons faire reculer dans ce pays le cancer de la corruption.
Plus largement, il importe de garder à l'esprit que la solution ne saurait être exclusivement militaire. Ne méconnaissons pas non plus la réalité du bilan de la coalition en Afghanistan : les kilomètres de route et les infrastructures construites ou encore la scolarisation des jeunes filles. En effet, il faut gagner les coeurs, et cela passe par une amélioration des conditions de vie quotidienne des très pauvres populations rurales afghanes.
C'est pourquoi, il importe aujourd'hui, en premier lieu, de renforcer les moyens de la coopération civilo-militaire, de poursuivre sur place la construction d'infrastructures –routes, écoles et dispensaires. Là aussi, s'il devait être décidé d'envoyer en Afghanistan de nouveaux renforts, des unités du génie, mieux à même de remplir ce type de mission, y trouveraient à notre sens toute leur place.
Mes chers collègues, la France participe en Afghanistan à une opération complexe dans son volet civil, et périlleuse dans son volet militaire. Avec ses 3 750 soldats déployés sur place, elle assume ses responsabilités vis-à-vis de la communauté internationale.
Alors que le théâtre afghan semble enfin avoir retrouvé toute l'attention qu'il méritait, que la date de juillet 2011 fixée par le président Obama fait plus figure de clause de rendez-vous que d'échéancier strict, nous avons désormais moins encore qu'hier le droit d'échouer en Afghanistan. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
La parole est à M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères a mené, mercredi dernier, par anticipation et pour approfondissement, avec le ministre des affaires étrangères, un débat très libre et très constructif sur la situation en Afghanistan et les perspectives d'action qui s'offrent à nous.
Il en est ressorti, d'une façon générale, que nul ne peut se satisfaire du statu quo actuel. En effet, en dépit d'une victoire éclair contre le régime taliban en 2002, et malgré l'apparente embellie qui a suivi l'élection présidentielle de 2004, le contexte n'a cessé de se dégrader depuis lors, sur le plan sécuritaire ainsi que dans les domaines politique et économique.
À mon tour, je veux souligner combien l'engagement des militaires et des personnels civils français est remarquable et doit être salué. À preuve, les morts et les nombreux blessés parmi les engagés français.
Pourtant, le bilan de l'action internationale reste largement insuffisant à ce jour. Bien qu'elle soit incapable de reprendre le pouvoir, l'insurrection multiplie les coups de force et inflige des pertes importantes à la coalition. Les talibans apparaissent de plus en plus comme les hommes forts des régions du Sud, et maintenant de certaines zones dans le Nord. Difficile à mesurer, la perte d'influence de la coalition se traduit par des difficultés croissantes à accéder à certaines populations, renforçant leur impression d'être occupées par des forces étrangères.
Plus inquiétant, ce recul survient alors même que les insurgés sont bien incapables de formuler un projet politique qui recueillerait l'approbation du peuple afghan. Comment, alors, sortir de cette situation ? Plusieurs options doivent être étudiées.
La première consiste à quitter immédiatement l'Afghanistan. Elle ne peut qu'être rejetée.
Elle ouvrirait la voie à un retour immédiat des talibans au pouvoir, avec le cortège d'horreurs et de frustrations qui a déjà accompagné leur régime à la fin des années 90.
Une deuxième option verrait la coalition engager dès maintenant des négociations avec les insurgés, afin de définir les conditions d'un cessez-le-feu. Séduisante, cette idée n'est malheureusement pas plus réaliste.
Avec qui négocier ? L'insurrection est composée de groupes très disparates, associant de simples renforts occasionnels, recrutés parmi une population miséreuse et désespérée, à des fanatiques qui ne renonceront jamais au combat qu'ils mènent pour imposer leur vision rétrograde de la société.
Et même si nous pouvions identifier des responsables talibans susceptibles de négocier, pourrions-nous nous fier à la parole de chefs de guerre qui, comme Hekmatyar, ont changé d'allégeance à chaque nouveau conflit ?
La troisième possibilité, c'est l'éradication de l'insurrection par l'envoi massif de troupes occidentales. Mais, en Afghanistan comme ailleurs, le tout militaire ne vaut pas mieux que le pacifisme naïf. L'insurrection afghane ne peut être vaincue par le seul usage de la force. Les racines de l'insurrection contraignent si profondément la population qu'une guerre totale contre les insurgés reviendrait à prendre en otage tout le peuple afghan.
La quatrième option, que défend la France, vise à mener une approche simultanée sur trois fronts.
Celui de la sécurité, d'abord. Il n'est pas question de perdre la main face à l'insurrection. Nous devons renverser le rapport de forces et réduire encore les capacités d'action des talibans.
Dans le même temps, il faut préparer l'État afghan à assurer lui-même la sécurité de son territoire. L'afghanisation des forces de police et de l'armée est encore imparfaite, tant s'en faut.
Avec moins de 80 000 soldats opérationnels et à peine 68 000 policiers, l'Afghanistan ne peut faire face aux menaces qui pèsent sur sa sécurité. Nous devons donc aider à la montée en puissance des forces de sécurité afghanes, avec un objectif, à terme, d'environ 200 000 à 250 000 personnels, police et armée confondues.
Enfin, nos efforts militaires doivent s'accompagner d'un sursaut majeur en faveur du développement. Dominée par le trafic du pavot et de l'opium qui en est tiré, l'économie afghane n'offre aucune perspective d'avenir à sa jeunesse, qui se trouve d'autant plus réceptive aux discours des talibans qu'ils offrent des salaires bien supérieurs à ceux proposés pour les activités légales.
Une fois posés les trois grands principes de notre action, les solutions concrètes s'imposent d'elles-mêmes. La France ne recherche pas une issue exclusivement militaire à ce conflit. Je considère qu'il n'est pas souhaitable d'augmenter aujourd'hui notre dispositif militaire combattant en Afghanistan. En revanche, nous pouvons être amenés à envoyer de nouveaux instructeurs militaires pour accélérer le passage de flambeau de la coalition internationale aux forces de sécurité afghanes.
Je pense également que l'exposition des forces doit être équitablement répartie et que les nations membres de la coalition peu ou pas exposées sont les premières concernées par l'effort éventuel supplémentaire à fournir.
Notre approche intégrée du conflit afghan, qui vise à associer action civile et militaire, fait désormais l'unanimité. À l'heure actuelle, les systèmes politique et judiciaire ne fonctionnent pas correctement et la gouvernance est encore trop souvent un slogan. Or, tant que les réformes institutionnelles ne seront pas davantage mises en oeuvre, les besoins en termes de santé, d'éducation et de développement économique ne pourront être que partiellement remplis.
À cet égard, le déroulement de la dernière élection présidentielle aura singulièrement déçu. L'ampleur des fraudes, dénoncée par l'ONU, le très faible niveau de participation – 35 % –, notamment dans les zones pachtounes, la dénonciation récurrente de la corruption du régime à tous les niveaux, toutes ces raisons ont réduit la légitimité, déjà incertaine, du régime actuel.
Le président Karzaï doit répondre à ces critiques. Il y va de sa crédibilité, mais aussi de la pérennité de notre soutien à son pays. Son discours d'investiture contient en revanche plusieurs promesses intéressantes, dans les domaines de la lutte contre la corruption, de l'équilibre entre les pouvoirs, de la formation de la police, de la création d'un appareil judiciaire fonctionnant convenablement. Si ces réformes ne sont pas mises en oeuvre, notre aide n'aura pas les résultats escomptés. Trop souvent, les sommes versées par les donateurs ne bénéficient pas au peuple. L'État afghan doit devenir un État fiable et efficace pour assumer son propre développement.
Les actions civiles que nous menons en Afghanistan sont au moins aussi importantes que notre engagement militaire, parce qu'elles agissent sur les conditions de vie de la population.
Nous devons gagner les coeurs, mais surtout la confiance des Afghans, et seuls des résultats tangibles pourront les convaincre.
L'avenir de notre engagement en Afghanistan ne s'est donc pas joué le 1er décembre à Washington. L'échéance la plus importante, c'est la conférence des donateurs de Londres, le 28 janvier. Si un nouvel effort est sans doute nécessaire, il devra s'accompagner d'un changement de comportement de la part du président Karzaï et de son gouvernement.
Ce nouveau partenariat est la clé pour doter l'Afghanistan d'un État suffisamment fort pour assurer la sécurité de la population.
En attendant que les autorités afghanes puissent prendre notre relais, nous devons donc nous concentrer sur le plan sécuritaire sur les plus grandes villes du pays : Kaboul bien sûr, mais aussi Kandahar, Hérat, Mazar-e-Charif, Djalalabad, Koundouz, Tchagtcharan, Kheyrabad, Bagram, ainsi que sur les liaisons entre ces capitales régionales. Il est illusoire de penser que nous puissions pacifier entièrement le pays. Il ne l'a jamais été, même lorsque les régimes politiques en place à Kaboul étaient plus stables et plus durables que ceux qui se sont succédé depuis trente ans.
La géographie afghane, faite de montagnes élevées et de vallées encaissées, ne permet pas de contrôler la totalité du territoire. Nous ne devons donc pas nous enfoncer partout dans le territoire afghan, mais aider les forces afghanes à contrôler les grands axes et les principaux centres urbains. C'est ainsi que nous ferons reculer peu à peu l'insurrection et le trafic de drogue qui lui permet de se financer. Les grandes voies d'exportation de l'opium doivent faire l'objet d'un contrôle plus efficace par nos troupes. En revanche, seules les armées afghanes ont la légitimité de procéder à l'arrachage des plants de pavot jusque dans les vallées les plus reculées.
Cette stratégie globale ne marchera que si l'ensemble des acteurs régionaux sont impliqués. Aujourd'hui comme hier, la clé du conflit afghan se trouve aussi au Pakistan.
Crise économique, pression constante des mouvements talibans, problème humanitaire posé par les centaines de milliers de réfugiés : la situation du Pakistan est encore loin d'être rassurante et contrôlée. Pourtant, l'avenir pourrait ne pas être aussi noir qu'il y paraît. L'armée pakistanaise semble avoir admis que la menace terroriste était au moins aussi importante que les différends avec l'Inde et mène un combat courageux, depuis le début de cette année, dans la vallée de Swat et au Waziristan.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la situation en Afghanistan est critique. Sur le plan militaire, notre position est claire : nous ferons tout pour aider à la montée en puissance des forces de sécurité afghanes. Nos troupes ont d'ailleurs parfaitement intégré cet objectif et font tout ce qui est en leur pouvoir pour valoriser l'armée afghane auprès de la population.
Nous devons accompagner cette stratégie, la seule valable à mes yeux, d'efforts au moins équivalents pour le développement du pays. Là aussi, nous ne saurions nous substituer à l'État afghan. La réunion du 28 janvier à Londres doit permettre d'établir un partenariat renforcé avec le gouvernement Karzaï, reposant sur des engagements clairs de sa part.
Messieurs les ministres, j'espère que la position que vous défendrez, au nom de la France, permettra d'aboutir à ce résultat. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à M. Michel Voisin, suppléant M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à vous présenter les excuses du président Teissier qui ne peut être présent aujourd'hui. En son absence, il m'a demandé de vous donner lecture de son intervention, ce que je vais faire avec la confiance qu'il m'a accordée.
Permettez-moi de souligner l'intérêt du débat que nous avons aujourd'hui et d'en remercier le Premier Ministre. Le fait d'avoir une telle discussion, un an après celle du 22 septembre 2008, sur notre présence en Afghanistan est en soi positif En effet, ce débat est l'occasion pour le Gouvernement de confirmer les objectifs de notre engagement et pour la représentation nationale de montrer sa solidarité avec nos alliés mais aussi notre soutien à nos militaires, que nous avons envoyés dans ce pays si difficile.
Avant de poursuivre, je voudrais m'adresser à Jean Glavany et à Jean-Paul Lecoq.
Monsieur Glavany, vous avez évoqué les événements d'aujourd'hui, mais je vous rappelle qu'en 2001, vous souteniez le Gouvernement qui a envoyé des militaires en Afghanistan.
À ce titre, vous auriez dû commencer par leur rendre hommage avant de parler de ce qui s'est passé ce matin. (Protestations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Mais je l'ai fait ! Seriez-vous sourd ? N'avez-vous pas écouté mon intervention ?
Si, je l'ai entendue, et vous avez, je le maintiens, commencé par évoquer les événements de ce matin.
Monsieur Lecoq, vous avez déclaré que la plupart des victimes civiles étaient le fait de la coalition. C'est tout de même scandaleux, quand on sait combien de victimes sont à imputer aux talibans ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
Je voudrais, en préalable, rendre hommage à tous nos militaires que l'on a envoyés en Afghanistan. Ces gens ont des convictions, ils se sont engagés au service de notre pays. Trente-six d'entre eux y ont versé leur sang pour défendre l'honneur de la patrie. Nous devons leur rendre hommage. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Leur engagement mérite que soient posées quatre questions essentielles.
La mission de la coalition internationale en Afghanistan doit-elle être considérée comme un échec ? Devons-nous changer de stratégie ? Faut-il revoir les moyens alloués à nos forces ? Faut-il donner à notre action collective une impulsion internationale ?
Il est incontestable que la situation sur le plan sécuritaire s'est dégradée. Il est aussi vrai que le résultat de l'élection présidentielle est insatisfaisant. Cependant, le seul fait que cette élection ait pu se tenir, avec un taux de participation assez élevé, peut être considéré comme encourageant dans la mesure où les talibans avaient fait peser de sévères menaces sur les électeurs. Les Afghans ont démontré qu'ils approuvaient un processus qui ne repose pas uniquement sur la force ou sur la violence, ce qui est un signe d'espoir pour l'avenir.
Nous pouvons constater que certains talibans se déclarent prêts à des négociations de paix avec les Occidentaux et semblent prendre leurs distances avec Al Qaïda. Ce simple constat montre que la mission de la coalition ne saurait être considérée comme un échec.
Notre engagement à apporter aux Afghans la sécurité et la stabilité dont ils ont grand besoin commence à produire ses effets. Il doit être poursuivi car c'est en créant les conditions de la sécurité que la coalition pourra transférer aux autorités afghanes l'entière responsabilité de la sécurité en Afghanistan. Ce transfert représentera une victoire pour la coalition.
Quand je parle de victoire, je veux parler de victoire politique par la création de conditions de stabilité suffisantes pour engager un processus pacifique en Afghanistan. Je ne pense pas à une victoire purement militaire qui, nous le savons tous, n'est ni possible ni suffisante.
Faut-il changer de stratégie ?
Un peu plus d'un an après notre débat du 22 septembre 2008 sur l'Afghanistan, nous sommes en droit - et avons même le devoir - de nous interroger sur les objectifs de la présence française.
On ne peut pas dire, comme le fait le Parti socialiste, que les objectifs initiaux aient été dévoyés. Notre politique vise, depuis le début de nos opérations fin 2001, à contenir le terrorisme, alors que nous connaissons les liens entre les talibans et Al Qaïda. Trois autres groupuscules existent, dont on ne parle pas, mais que nous ne devons pas oublier. Comme nous le savons, la majorité des complots terroristes démantelés ont leurs racines dans des zones contrôlées par Al Qaïda. En parallèle, notre contribution à la reconstruction est plus que significative. Lors de son audition par la commission de la défense, la semaine dernière, le représentant spécial de la France pour l'Afghanistan et le Pakistan, notre collègue Thierry Mariani, nous en a fait une très convaincante démonstration.
Je considère comme injuste le reproche fait par la gauche au Gouvernement de ne pas proposer de vision stratégique. Faut-il rappeler que c'est le gouvernement français qui a fait adopter au sommet de Bucarest en avril 2008 une stratégie qui prévoit notamment l'obligation de transférer la responsabilité du pays aux institutions afghanes, la nécessité de mettre en place une coordination des actions et la nécessité d'une stratégie politique d'ensemble tenant compte des voisins de l'Afghanistan ?
Je ne pense pas non plus qu'il faille, comme le suggère le Parti socialiste, annoncer une sortie programmée, calculée et planifiée. S'il va de soi que nous devons avoir une stratégie de sortie, annoncer une date me semblerait une erreur. En effet, les talibans n'auraient plus qu'à attendre le départ des forces de la coalition pour adapter leur propre stratégie en conséquence.
Dans la situation actuelle, les décisions prises récemment par le président Obama sont courageuses et vont dans le bon sens.
Nos alliés américains attendent de notre part une réponse à la suite de leur demande de renforts. Le président Sarkozy a eu la sagesse de ne rien exclure catégoriquement. La conférence internationale de Londres de janvier prochain sera l'occasion d'évaluer les besoins et de déterminer les efforts à consentir en complément de ce que nous avons déjà fait.
Les États-Unis ont maintenant une stratégie de sortie de crise, ce qui est un point essentiel. Dès lors que nous nous fixons comme objectif d'accélérer le transfert de responsabilités aux Afghans, notre effort devra porter surtout sur le renforcement de la formation des policiers et des militaires de l'armée nationale afghane ; j'y ajoute - nous n'en avons pas parlé dans ce débat - celle des garde-frontières, élément essentiel pour éviter les allers et venues d'un pays avoisinants. La France a déjà beaucoup investi en ce domaine et a pris récemment des décisions opportunes, notamment l'envoi de gendarmes pour former le personnel des services de sécurité afghans. Il nous faudrait cependant encore augmenter les moyens financiers et humains pour reconstruire ce pays qui a tant besoin de notre aide et pour en améliorer la gouvernance.
Nous avons tous la conviction que la solution à cette crise ne peut être que politique. Toute approche qui reposerait sur le seul emploi de la force serait non seulement vouée à l'échec mais aurait de surcroît un effet déstabilisateur. Nous pouvons nous réjouir de constater que cette conclusion est partagée par tous les pays engagés dans la coalition internationale en Afghanistan, Sans excès d'autosatisfaction, il me semble que l'on peut se féliciter de voir l'OTAN, et nos alliés américains en particulier, se rapprocher du point de vue défendu par la France sur la stratégie globale de contre-insurrection.
Je couperai donc aux deux dernières questions.
En conclusion, permettez-moi, mes chers collègues, de vous répéter combien est important le consensus national, tant pour la position extérieure de la France que pour nos soldats, qui apprécient le soutien de la représentation nationale et qui comptent sur elle. C'est pourquoi je souhaite que ce débat soit l'occasion d'apporter un soutien politique fort au Gouvernement, mais aussi à nos militaires engagés en Afghanistan ou qui le seront prochainement, car, malheureusement, la guerre n'est pas finie. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Mesdames, messieurs les députés, je vais vous donner quelques éléments de réponse, rapidement car les commissions – leurs présidents me l'ont fait savoir – doivent se réunir dans quelques instants.
En dépit du ton et des postures adoptés par les uns et les autres, il m'a semblé que les propos tenus par les différents groupes politiques, à l'exception de ceux de M. Lecoq, étaient assez proches : l'analyse était celle de la responsabilité, personne n'évoquant l'idée du départ,…
…pas même le groupe communiste puisqu'il appelait plutôt à la transformation des forces qu'il souhaitait voir placées sous le commandement des Nations unies.
Il ressort globalement de vos interventions un sentiment d'inquiétude, la volonté de changer un certain nombre d'éléments stratégiques de notre position en Afghanistan, mais l'ensemble des groupes de cette assemblée semblent favorables au maintien des forces en Afghanistan pour assurer la sécurité et la stabilité de cette partie du monde.
Par ailleurs, nous devons absolument faire preuve de patience. Je sais que nos sociétés occidentales ne sont pas construites sur ce modèle, mais nous ne pouvons pas évoquer la situation et la reconstruction de l'Afghanistan sans y intégrer la notion de temps. Karzaï a une formule qui résume bien la situation : « Les Européens ont l'heure, les Afghans ont le temps. » Nous devons en permanence rappeler à nos compatriotes qu'il n'est pas imaginable de reconstruire en huit ans, de A à Z, un pays aussi complexe que l'Afghanistan, fait d'une quarantaine de tribus, d'ethnies, de clans, de familles, et de surcroît dévasté par quarante ans de guerre.
Faut-il, comme le propose Jean Glavany, fixer un terme à notre mission ? Je ne le crois pas.
Fixer un terme serait faire preuve de faiblesse et donner un signal très fort aux talibans. En revanche, nous pourrions indiquer clairement à l'opinion publique nationale et internationale que nous nous fixons des objectifs, avec des paliers intermédiaires, pour mettre en évidence les progrès accomplis, pour convaincre nos compatriotes que nous sommes sur le bon chemin…
…et que si ces paliers ne sont pas atteints, nous serons en mesure de faire évoluer notre stratégie. Voilà une des conclusions auxquelles devrait parvenir la conférence de Londres.
Vous vous accordez tous par ailleurs - Axel Poniatowski, Henri Plagnol, Jean Glavany, Jean-Paul Lecoq, Michel Voisin – pour reconnaître que la solution n'est pas militaire. Bien entendu, elle n'est pas militaire ; bien entendu, notre présence militaire, dont l'objectif est de sécuriser et de stabiliser les vallées afghanes, doit s'accompagner de la construction de ponts, de routes, d'écoles, pour que les Afghans réalisent eux-mêmes qu'elle se traduit par une amélioration de leur situation collective et personnelle.
C'est cette vision que nous devons avoir de notre présence militaire. Nous ne sommes pas dans un conflit militaire classique où nous reprendrions des vallées, où nous tenterions, comme ce pourrait être le cas dans les plaines d'Europe centrale, de passer un fleuve ou une montagne pour rétablir progressivement la sécurité dans le pays. Non : notre présence militaire doit seulement être le moyen d'assurer progressivement le développement et la reconstruction de l'Afghanistan.
Bernard Kouchner l'a souligné dans son propos liminaire : de considérables progrès ont été réalisés. Pas une jeune Afghane n'était scolarisée alors que 6 millions d'enfants le sont aujourd'hui. De plus, une quinzaine d'universités sont en activité.
On a par ailleurs construit 13 000 kilomètres de routes – instrument majeur de pacification –, qui permettent le désenclavement des vallées en favorisant les échanges commerciaux, créant ainsi les conditions du développement économique.
Bernard Kouchner a également rappelé que de 70 à 80 % des Afghans ont aujourd'hui accès aux soins minimaux, contre 15 à 20 % avant 2001.
Laissez-moi vous rappeler que si les talibans sont à l'origine de la destruction de près de 200 écoles en deux ans, c'est que le gouvernement afghan et la communauté internationale ont refusé de répondre à leur injonction d'en finir avec la scolarisation des jeunes filles.
Les progrès réalisés doivent prendre un nouvel essor, il faut que nos efforts s'appuient sur une nouvelle gouvernance. Je m'accorde avec les parlementaires qui considèrent qu'on ne peut pas construire l'Afghanistan avec une vision européenne. L'ethnocentrisme n'a pas de sens : comment penser un seul instant que dans un système tribal, ethnique, nous allons instaurer des institutions démocratiques telles qu'elles existent dans un État-nation comme le nôtre ? Henri Plagnol l'a bien souligné.
La conférence de Londres doit être un moment de discussion et de concertation avec le gouvernement Karzaï, un moment où la communauté internationale fixe des priorités et, surtout, définit un nouveau contrat avec ce gouvernement. Il s'agit de fixer en commun des objectifs plus ambitieux dans la lutte contre la corruption, contre la drogue, puis de déterminer les paliers de la reconstitution de la police et de l'armée.
C'est seulement à l'issue de cet examen que la France et l'Allemagne décideront de leur participation à un renforcement de leur présence par des moyens et des voies qu'elles détermineront ensemble. Cette participation peut prendre plusieurs formes. Il peut s'agir d'accroître notre aide au développement. Axel Poniatowski et Philippe Folliot ont plaidé pour une aide à la formation de la police – nous accusons un grand retard en la matière – ainsi que de l'armée : l'armée afghane doit reprendre la main comme elle commence de le faire à Kaboul. Enfin, cette participation peut consister en l'envoi de moyens militaires supplémentaires. Nous nous déciderons en fonction des conclusions de la conférence de Londres.
J'ajoute, pour les Européens que vous êtes, comme moi, qu'il eût été plus satisfaisant que l'ensemble des pays européens se déterminent dans un même mouvement (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur de nombreux bancs du groupe UMP) alors que, semaine après semaine, les capitales européennes indiquent, chacune de son côté, les modalités de leur participation au renforcement. Une position européenne commune nous aurait permis de peser davantage dans la discussion face aux États-Unis et même face à l'ensemble du reste de la communauté internationale.
Il faut donc croire que vous n'avez pas tant fait avancer l'Europe de la défense !
Je vous remercie enfin pour l'hommage que vous avez tous rendu aux soldats français engagés sur le terrain. Michel Voisin rappelait qu'ils effectuent leur travail dans des conditions difficiles mais avec beaucoup de conviction ; très motivés, ils ont la certitude que la mission qu'ils remplissent est dure mais utile pour la stabilité et la sécurité du monde.
Ils agissent avec une détermination extraordinaire après six mois d'une formation très exigeante.
Permettez-moi à mon tour, en tant que ministre de la défense, de leur rendre hommage. Trente-six d'entre eux sont morts en Afghanistan depuis 2001, mais ils ne sont pas morts pour rien : notre présence vise à assurer la stabilité et la sécurité d'une région du monde en proie à de grandes difficultés ; c'est pourquoi nous devons demeurer en Afghanistan aussi longtemps que ce pays n'aura pas retrouvé la paix. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures cinquante.)
La séance est reprise.
Mes chers collègues, au cours de sa réunion de ce matin, le Bureau a été saisi des incidents survenus en séance le 2 décembre dernier, séance marquée par l'intrusion parfaitement inadmissible de perturbateurs organisés.
Le Bureau a décidé de prononcer à l'égard de M. Noël Mamère un rappel à l'ordre avec inscription au procès-verbal.
Il a par ailleurs condamné les injures proférées depuis plusieurs bancs au cours de cette séance particulièrement tendue. Il m'a chargé de rappeler solennellement par lettre à chacun de nos collègues la nécessité d'observer des comportements respectueux des principes démocratiques et d'éviter les débordements nuisant à l'image de l'institution au sein de laquelle nous avons l'honneur de siéger.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales (nos 2060, 2138).
Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de huit heures neuf pour le groupe UMP, neuf heures cinquante-huit pour le groupe SRC, trois heures cinquante-neuf pour le groupe GDR, quatre heures deux pour le groupe du Nouveau Centre, quarante et une minutes pour les députés non inscrits.
Monsieur le président, nous avons assisté hier, dans le cadre de ce temps global, à un événement un peu particulier. Le vice-président nous a indiqué qu'il instaurait le concept de « minutes présidentielles ». Alors qu'il avait suspendu la séance pour cinq minutes, la suspension a en réalité duré un peu plus d'une heure, et sa réponse à l'étonnement que j'en exprimais a été de nous opposer ce nouveau concept.
Je conçois que le nouveau règlement réserve parfois quelques surprises. Toutefois, si la présidence avait l'intention de renouveler des suspensions de séance de cette ampleur, nous lui saurions gré de nous prévenir à l'avance, car cela détourne quelque peu l'attention de nos collègues du très important travail qui est le nôtre.
Par ailleurs, j'ai demandé hier, au nom de mon groupe, que la commission des finances nous explique la manière dont elle appliquait l'article 40. Comment se fait-il, par exemple, que le Sénat puisse inscrire dans le texte que 17 000 points de contact seront maintenus sur le territoire et que, lorsque nous proposons d'écrire « 17 090 » pour être précis – c'est le nombre de points de contact existants –, cela ne soit pas éligible, ici, au titre de l'article 40 ?
Je pourrais apporter d'autres exemples. Je souhaite donc qu'avant de passer à la discussion des amendements, la commission des finances trouve un moment pour nous expliquer la philosophie de l'application de l'article 40, qui est, semble-t-il, à géométrie variable selon que l'on se trouve au Sénat ou à l'Assemblée nationale. Nous sommes pourtant soumis les uns et les autres à la même Constitution.
Monsieur Brottes, il a été déjà été apporté, hier, une réponse à votre question sur l'application de l'article 40. Votre demande a été transmise au président de la commission des finances. Il n'est, hélas, pas nouveau d'observer quelques différences entre les deux assemblées dans l'application de cet article.
Monsieur le ministre chargé de l'industrie, tout confirme la dégradation de la situation économique et donc de celle de La Poste, avec des conséquences lourdes, comme on le sait, sur le courrier, qui poursuit sa baisse, mais aussi sur les colis et l'express. Il n'est finalement que l'activité de la Banque postale qui soit en progression, encore faudra-t-il sans doute être prudent dans les années à venir.
C'est vrai : La Poste a besoin, non d'un statu quo, mais d'une modernisation qui lui permette de développer de nouvelles activités dans le cadre, non pas d'un service universel destiné à se rabougrir, mais d'un service public.
Elle n'a pas besoin – au contraire ! – d'une étape supplémentaire dans la voie d'une libéralisation qui, dans le contexte de la crise actuelle, risque d'affaiblir dangereusement l'opérateur public.
Vous avez été interrogé hier à plusieurs reprises, par moi-même et M. Brottes, sur la valeur de La Poste. Vous n'avez pas répondu et n'avez à l'évidence pas l'intention de le faire aujourd'hui.
Je réitère cependant ma question. Vous allez devoir évaluer ce que vaut La Poste avant de la transformer en société anonyme, et ce au moment où tout fait craindre l'impact de la crise sur cette valeur. Comment pouvons-nous discuter du statut de La Poste sans connaître la conséquence, dans ce domaine aussi, de la décision qui sera prise ? Nous demandons à nouveau que nous soit communiqué cet élément essentiel du dossier.
Hier soir, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.
La parole est à M. Jean-Pierre Balligand.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention – je prie mes collègues de la commission des affaires économiques et son rapporteur de m'en excuser – sera centrée principalement sur des questions financières, car je crois qu'il convient d'aborder celle de l'investissement de 1,5 milliard attendu de la Caisse des dépôts et consignations. Comme j'y siège depuis dix ans et en ai été le président, avant Michel Bouvard, je pense que nous gagnerions à poser quelques questions à ce sujet devant la représentation nationale.
Je reviendrai donc d'abord sur la logique revendiquée par le projet de loi, avant de montrer qu'un tel investissement ne serait pas conforme à l'intérêt patrimonial de la Caisse des dépôts et, même, menacerait celle-ci. J'expliquerai enfin pourquoi cet investissement ne poserait pas seulement problème à la Caisse des dépôts, mais aussi à La Poste elle-même.
(M. Marc Le Fur remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)
La logique revendiquée par le projet de loi, c'est qu'il est nécessaire d'investir 2,7 milliards d'euros dans La Poste. Ce chiffre, le Gouvernement le tient d'un rapport produit par la commission Ailleret, dont mes collègues ont longuement parlé hier. Ce rapport estime que 6,3 milliards doivent être mobilisés pour le développement de La Poste : c'est l'argument de départ. L'établissement public pouvant dégager 900 millions de bénéfices par an pendant quatre ans, ce qui fait 3,6 milliards, il manque donc 2,7 milliards.
Ensuite, la dette du groupe atteint 6 milliards d'euros, ce qui fait qu'elle est, aux termes du compte rendu de l'audition de M. Jean-Paul Bailly par le Sénat, « deux fois supérieure à ses fonds propres ». En conséquence, un recours supplémentaire à la dette ne serait pas envisageable. C'est pourquoi le besoin de financement de 2,7 milliards devrait être couvert à hauteur de l, 2 milliard par l'État et de l, 5 milliard par la Caisse des dépôts.
C'est cet investissement de la Caisse des dépôts qui, selon le Gouvernement, rend nécessaire la transformation de La Poste en société anonyme. En effet, nous dit le rapport de M. Proriol, la réglementation communautaire relative aux aides d'État prescrit que « les apports de liquidité qui ne servent pas à couvrir le surcoût associé à des missions de service public et d'intérêt général viennent d'acteurs se comportant en "investisseurs avisés". La Commission européenne vérifie que les collectivités publiques n'apportent pas aux entreprises, notamment publiques, d'avantage concurrentiel indu par le "test de l'investisseur privé avisé". Ce test consiste notamment à vérifier que les ressources apportées à ces entreprises sont similaires à celles que fournirait un investisseur privé opérant dans les conditions normales de l'économie de marché. »
Or, comme le rappelle également le rapporteur, du fait de son statut d'établissement public à caractère industriel et commercial, La Poste n'a en principe ni capital social ni dividendes à distribuer.
Cela n'a pas empêché l'État de la ponctionner de 141 millions d'euros de dividendes en 2008. Mais cette possibilité n'est bien sûr pas ouverte, en l'état du droit, pour la Caisse des dépôts et consignations. Comme aucun investisseur avisé ne mettrait de l'argent dans une entité sans en attendre un retour financier, le Gouvernement nous dit qu'il faut, pour passer avec succès le test de l'investisseur avisé, transformer La Poste en société anonyme.
Je me suis efforcé de narrer correctement,…
…en tout cas honnêtement, le contenu du cahier des charges de cette réforme. Mais il y a une faille de taille dans ce raisonnement : on part du principe que la Caisse des dépôts va investir 1,5 milliard dans La Poste. Or, membre depuis dix ans de la commission de surveillance de la CDC, je suis bien placé pour rappeler que depuis sa création, en 1816, cet établissement est placé sous le contrôle du Parlement, et pas du Gouvernement !
À ma connaissance, malgré ce que j'ai entendu à cette tribune ou lu dans les comptes rendus du Sénat, la Caisse des dépôts n'a toujours pas décidé d'investir 1,5 milliard dans La Poste.
Nous n'en avons d'ailleurs toujours pas délibéré au conseil de surveillance. Je vais même aller plus loin : je ne pense pas que cela soit conforme à son intérêt patrimonial, alors que l'existence d'un intérêt patrimonial est essentielle pour que le dispositif élaboré par le Gouvernement soit validé par la Commission. En d'autres termes, il ne suffit pas que la Caisse investisse dans La Poste, il faut que cela soit son intérêt. Comme ce n'est pas le cas, j'aimerais que le Gouvernement indique s'il compte faire investir directement par l'État les 2,7 milliards nécessaires, ce qui, dans la logique qu'il a construite, rendrait superflu le changement de statut, ou s'il compte procéder autrement.
J'ai dit qu'un investissement de la CDC dans La Poste à hauteur de 1,5 milliard ne serait pas conforme à son intérêt patrimonial. Or si l'on cherche à s'assurer de la compatibilité du dispositif avec la doctrine de la Commission européenne relative aux aides d'État, il est nécessaire de s'assurer que l'investissement attendu de la CDC serait avisé de sa part. Tel n'est pas le cas au regard de quatre points.
Premier point, il est nécessaire qu'un investisseur s'interroge sur le projet industriel de l'entreprise dans laquelle il investit,…
…et davantage encore quand l'investissement n'est pas seulement à but financier mais poursuit un but industriel. Nous sommes justement dans ce cas puisque la CDC et La Poste ont déjà des liens, notamment à travers la CNP dont la Caisse des dépôts détient 40 % tandis que la Sopassure, détenue par les caisses d'épargne et La Poste, en possède plus de 35 %. Pourtant, aucun des deux rapports des commission, ni au Sénat ni à l'Assemblée nationale, n'évoque ce qui pourrait être fait à l'avenir en s'appuyant sur ce fantastique outil. Quel investisseur accepterait d'investir sans un réel projet industriel ? C'est pourquoi, en préjugeant de l'investissement de la CDC, le Gouvernement expose son dispositif à la critique de la Commission européenne pour aide d'État.
Deuxième point, le financement des quatre missions de service public est insuffisant.
Ainsi, le service universel postal ne pourra plus être financé par le secteur réservé à compter du 1er janvier 2011 alors que son coût est estimé à près de 1 milliard d'euros. Certes, le projet de loi met en place un fonds de compensation alimenté par une contribution de l'ensemble des opérateurs, mais cela ne garantit en rien que le coût de ce service sera intégralement compensé.
Quant à la mission de transport et de distribution de la presse, elle est, elle aussi, financée aujourd'hui par le secteur réservé. Des financements alternatifs doivent donc être trouvés à partir de 2011. Tel est l'objectif de l'accord Schwartz de 2008. Or celui-ci prévoit que la Poste fera son affaire de tout écart résiduel entre les revenus dégagés par cette activité et les coûts engendrés.
S'agissant de la mission d'accessibilité bancaire, son coût, estimé à près de 400 millions d'euros, est financé par une rémunération complémentaire décroissante : 280 millions en 2009, 210 millions prévus en 2014. Il y a donc une perte nette dès l'origine et, en outre, la certitude, pour le groupe La Poste, de ne pas bénéficier à plein de ses efforts de productivité du fait de la dégressivité de la compensation. Rappelons que cette rémunération est supportée par les fonds d'épargne, donc par les épargnants et les organismes HLM bénéficiaires des prêts, et non, comme l'avait proposé le groupe socialiste au moment de la loi LME, par une contribution des autres distributeurs du livret A non astreints à cette mission d'accessibilité bancaire.
Enfin, concernant la mission d'aménagement du territoire, le rapporteur estime que le besoin de financement atteint une centaine de millions d'euros du fait de la compensation insuffisante procurée par le système actuel, qui repose sur un abattement sur les bases d'impositions locales.
Il y a donc de nombreux risques de pertes nettes pour un investisseur avisé comme serait censée l'être la Caisse des dépôts et consignations.
Troisième point, le poids de la représentation de la CDC au conseil d'administration est encore sujet à caution – notre collègue Daniel Paul l'a évoqué hier –, malgré les modifications faites au Sénat. C'est notamment le cas parce que la valorisation de La Poste n'a pas été achevée. On ne connaît donc pas quelle part du capital de la future société anonyme représenterait le l, 5 milliard que la CDC investirait.
Quatrième point, la liquidité des parts sera extrêmement faible alors que cet investissement va assécher les capacités d'action de la Caisse. Si on suit la logique du Gouvernement, La Poste n'aura jamais d'autres actionnaires que l'État, la CDC et ses propres salariés. Or la CDC, si elle est un investisseur de long terme, n'a cependant pas vocation à rester indéfiniment au capital de La Poste. Elle ne pourrait donc céder ses parts qu'aux salariés – mais on voit mal ceux-ci acquérir pour l,5 milliard du capital –…
…ou à l'État. Mais en ce dernier cas, pourquoi l'État n'investirait-il pas directement pour 2,7 milliards ?
La question est d'autant plus aiguë que les marges de manoeuvre de la CDC ont déjà été très entamées par les sollicitations dont elle a fait l'objet à la suite de la crise.
Coincer la Caisse avec du papier de la Poste revient donc à supprimer ses capacités d'investissement.
Pour toutes ces raisons, quand le Gouvernement annonce qu'elle va investir l, 5 milliard dans La Poste, alors même que de nombreuses questions ne sont pas résolues et que d'autres ne pourront de toute façon pas l'être, il prouve lui-même que la Caisse des dépôts, si elle prend finalement la décision d'investir, ne le fera pas dans son seul intérêt patrimonial mais à la suite de pressions gouvernementales. Il expose donc, de lui-même, son dispositif au blocage par la Commission européenne.
Non seulement cette pression sur la CDC met le montage présenté par le Gouvernement en contradiction avec lui-même, mais elle illustre que cet investissement constitue bel et bien une menace pour la Caisse.
Le Gouvernement et la droite font comme si la CDC dépendait du Gouvernement. C'est faux ! M. Estrosi a pourtant déclaré au Sénat : « Dès le mois de décembre 2008, le Président de la République avait très clairement indiqué que la Caisse des dépôts et consignations participerait au capital de la nouvelle société anonyme. »
Contraindre la Caisse à investir dans un projet insuffisamment rentable, c'est fragiliser à terme ses capacités d'intervention au service de l'intérêt général. À cet égard, dois-je vous rappeler, mes chers collègues, les dernières interventions de la CDC depuis la crise, généralement demandées par l'exécutif : décentralisation de 17 milliards d'euros des fonds d'épargne, participation au FSI pour soutenir les entreprises françaises, prêts aux banques, prêts de 5 milliards aux collectivités locales, achats de logements en VEFA, etc. Pourquoi l'État demande-t-il à la CDC de mettre 1,5 milliard quand il ne met lui-même que l,2 milliard ? En d'autres termes, pourquoi veut-il lui faire prendre un risque qu'il se refuse à prendre lui-même ? L'argument budgétaire ne tient pas au regard des déficits abyssaux pour 2009 et 2010.
Enfin, je vais expliquer pourquoi un tel investissement ne serait pas forcément conforme à l'intérêt de La Poste.
La Poste a un projet industriel qu'elle doit mener à bien. On le connaît : il s'agit notamment de moderniser la part courrier, en grave danger – elle devrait baisser de 30 % dans les cinq années qui viennent – et dont le coût va dépasser le seuil de rentabilité, et de répondre aux besoins nés de l'individualisation de la société, sachant que les activités de colis ne sont plus excédentaires et que l'activité bancaire n'en est qu'à ses débuts. La Poste s'y prépare. Il y a un vrai projet industriel, assez partagé dans l'entreprise. Mais la Caisse des dépôts, bien qu'investisseur public, attend de ses participations une rentabilité proche de celle d'un investisseur privé.
En effet, mon cher collègue, c'est une obligation au regard de l'Europe, qui exige une stratégie d'investisseur avisé. Or cette attente de retour sur investissement pourrait être en contradiction avec le projet industriel de La Poste, susceptible de privilégier ses missions d'intérêt général.
En conclusion, l'État devrait financer correctement les missions d'intérêt général – au moins aussi bien que M. Berlusconi en Italie, lequel paye, à l'euro près,…
…les compensations pour de telles missions. Je sais que je ne devrais peut-être pas dire cela, mais c'est la réalité. En France, M. Sarkozy fait beaucoup moins que M. Berlusconi dans son pays, un homme pourtant exemplaire à ses yeux.
L'État devrait aussi assurer le développement du groupe à travers une dotation en capital. S'il ne le fait pas, le Gouvernement devrait au moins répondre précisément aux quatre questions suivantes : comment un investisseur avisé au sens de la Commission européenne pourrait-il investir dans une entité dont plusieurs missions sont exercées à perte - pertes qui risquent fortement de se creuser en raison de l'absence de dispositifs crédibles pour les financer ? Le Gouvernement envisage-t-il que la CDC conservera indéfiniment ses parts dans La Poste – sinon, selon quelles modalités pourrait-elle, à terme, les céder ? Pourquoi l'État, qui assume un déficit de près de 120 milliards d'euros en 2010 – avant le grand emprunt, s'il vous plaît ! - ne veut-il pas investir lui-même 2,7 milliards au lieu de l,2 milliard ?
Quatrième et dernière question : comment procédera le Gouvernement si la CDC – qui ne s'est toujours pas prononcée – n'investit pas le 1,5 milliard attendu, ou investit moins que le montant prévu ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Nous avons une longue discussion générale sur ce texte puisque environ soixante-dix de nos collègues sont inscrits. Quand on écoute Jean-Pierre Balligand comme beaucoup d'autres orateurs, l'on voit bien que bon nombre de questions devraient être tranchées avant que nous n'entamions la discussion des articles. En effet, le changement de statut étant prévu dès l'article 1er, parler du reste après que l'essentiel aura été décidé me semble quelque peu compliqué.
Aussi, monsieur le président, je souhaite que vous laissiez au ministre la faculté d'intervenir pour répondre quand il le souhaite, sans avoir à attendre la fin des quelque soixante-dix interventions. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Je me mets un peu à sa place. Je sais qu'il veut répondre à intervalles réguliers avec beaucoup de courtoisie, et il me semble que le règlement n'interdit pas qu'il le fasse tous les dix ou quinze intervenants, par exemple. Cela éviterait qu'il réponde à soixante-dix de nos collègues en une seule fois, en se référant à des interventions vieilles de trois jours et que l'on a pu oublier.
Ma suggestion n'a d'autre visée que de faciliter le bon déroulement de nos travaux. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Mon cher collègue, tout est possible pour le ministre. Cependant, il est d'usage qu'il réponde à la fin, ne serait-ce que par correction à l'égard de tous les orateurs inscrits, de façon à ne pas en privilégier certains. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. le député François Brottes semble oublier que j'ai aussi siégé longtemps sur ces bancs et que je connais un peu le fonctionnement de cette assemblée.
Vous savez très bien, monsieur Brottes, que ce n'est pas la règle, que ce n'est pas très courtois de votre part de m'interpeller de la sorte, en plein milieu d'une discussion générale (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
Depuis le début de la discussion générale, vous ne cessez de faire des rappels au règlement qui n'en sont pas, me semble-t-il. Mon statut d'ancien député – que je retrouverai sans doute bientôt –, connaissant aussi bien que vous le règlement de l'Assemblée nationale, me permet de dire que vous en abusez largement, sans doute pour faire des effets de séance.
Alors, si j'ai l'intention d'intervenir pendant la discussion générale, parce que le règlement intérieur m'en donne le droit, je le ferai au moment où je le déciderai, au moment où j'estimerai que c'est justifié.
En tout cas, je n'estime pas que c'est justifié au terme de l'intervention de M. Balligand. J'attends d'être plus éclairé par toutes les autres interventions venant de tous les bancs, par respect pour tous les groupes de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. François Brottes.
Je vous saurai gré d'être bref, car nous avons déjà tous les éléments.
Je le serai, monsieur le président.
Je pense qu'il y a un malentendu, monsieur le ministre. Mon intervention ne visait pas du tout à vous faire sortir de vos gonds.
Nous sommes dans un contexte que vous n'avez pas connu en tant que député : dans le cadre du temps global, une discussion générale peut durer beaucoup plus longtemps qu'auparavant – ce dont la présidence conviendra – et compter bien plus d'intervenants que par le passé.
Cette situation nouvelle peut justifier l'utilisation de cette faculté par le ministre, mais loin de moi l'idée de contraindre le Gouvernement à s'exprimer s'il ne le souhaite pas ! Cela le regarde complètement.
Je voulais simplement souligner le fait que nous sommes dans un contexte nouveau : soixante-dix intervenants lors d'une discussion générale, cela n'arrivait pas lorsque vous siégiez sur ces bancs, monsieur le ministre.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par la grâce de notre nouveau règlement, ceux d'entre nous qui montent à la tribune disposent d'un temps de parole beaucoup moins contraint que d'ordinaire. Cette éventualité a suffi à la majorité pour justifier l'usage d'autres disposition, dans le but de réduire nos débats, comme nous l'avons vécu tristement hier soir. Cette tentative de soumettre le débat parlementaire ne se justifie que par la nature de cette discussion et votre frilosité à avouer votre dessein devant la France et les Français : privatiser La Poste. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
En fait de droite décomplexée – celle du lip dub qui est désormais sur tous les écrans –, nous avons un mouvement libéral au plus mauvais sens du terme : il aimerait bien, à Paris, sabrer le service public le plus discrètement du monde et, dans nos régions, répéter à l'envi que l'Europe l'a contraint à se conduire ainsi.
Je ne vais pas reprendre le texte article par article. Je ne vais pas non plus revenir sur ce que la majorité appelle « l'évolution » du Gouvernement, que celui-ci se plaît à qualifier de « recul » pour nous faire croire – mais qui le croit ? – que nous avons été entendus : la promesse non écrite dans la loi – et pour cause ! – que la future société anonyme conserverait un capital à 100 % public.
Je veux insister sur trois points : la parole du Gouvernement ; les conséquences de la privatisation pour nos territoires ; le principe d'égalité.
S'agissant de la parole du Gouvernement, je vous ai entendu, monsieur le ministre, la main sur le coeur, jurer, attester, promettre, garantir, certifier que La Poste resterait assise sur des capitaux publics. « Ceux qui parlent de privatisation se trompent de combat : le capital de La Poste sera intégralement détenu par l'État et par des personnes de droit public », avez-vous dit.
Je ne demande qu'à croire le Gouvernement, mais je suis un élu de province, de l'Allier. Sur des sujets plus locaux, j'ai déjà entendu des membres de ce Gouvernement ou du précédent jurer, attester, promettre, garantir, certifier.
Justement, cher collègue, parlons-en !
Sur beaucoup de sujets, nous sommes passés de la promesse au parjure,…
…de l'engagement au désengagement, de l'aménagement du territoire au déménagement du territoire. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Cela vous choque peut-être, mais c'est la réalité !
Comment ne pas rappeler les mots prononcés ici par le premier d'entre vous qui nous affirmait avec certitude et conviction : « EDF-GDF ne sera privatisée » ? C'est l'exacte citation !
…comme la démocratie sociale, au nom de laquelle la même déclaration fut faite le 6 avril 2004 à Chinon, quelques mois avant que l'exact inverse ne s'inscrive à l'agenda du Gouvernement.
Certes, une loi se défait, monsieur le ministre. Mais si vos engagements devant les médias, dans les colloques et autres congrès pouvaient s'incarner dans la loi, nous n'y trouverions que des avantages !
En effet, cette privatisation rampante, qui est déjà dans les logiciels de quelques cadres de La Poste, a un effet sur nos territoires et sur les femmes et les hommes qui, au contact des usagers, veulent encore assurer un service public.
Si, au contraire, mon cher collègue !
Monsieur le ministre, il y a quarante ans, j'ai connu l'arrivée du téléphone automatique en Auvergne – il fallait alors plusieurs mois pour obtenir une ligne. Au cours des dix années suivantes, j'ai pu constater la mise en oeuvre d'une organisation performante : installations en vingt-quatre heures, dépannages dans la journée, lutte immédiate contre les intempéries, arrivée de la télématique. Bref, le service public allait partout et portait la modernité et l'efficacité sur tout le territoire.
Aujourd'hui, le passé nous revient comme un boomerang. Dans ma circonscription, des gens restent une semaine, dix jours sans téléphone en raison d'une panne. Vous devez joindre un centre d'appel. Pour un dérangement en montagne bourbonnaise, on vous répond de Perpignan ou de Villeneuve d'Ascq, avant de vous envoyer une entreprise choisie pour le coût de sa prestation, en général le plus modique du marché. Cette entreprise est extérieure à La Poste et exonérée de charges, comme toute entreprise qui vient de se créer, ce qui explique ses tarifs. L'année suivante, on la congédiera pour une autre, à peine créée elle aussi.
Dans ces cas-là, l'entreprise publique n'est pas au service des usagers, moins encore du bien commun. Elle est au service de ses actionnaires. L'écart entre la volonté de ces derniers et celle des employés qui veulent, eux, continuer de servir, crée le péril social que nous constatons actuellement chez Orange. Personne ne peut laisser faire cela sans rien dire.
Personne ne peut laisser faire cela à La Poste non plus. Chez moi, à Vichy, le service s'est continuellement dégradé : le courrier part plus tôt, il passe deux jours sur place lorsqu'il quitte Vichy et il est distribué plus tard.
Comme La Poste n'a pas encore à servir d'actionnaires, la plupart de ses cadres sert des statistiques. On rationalise, on externalise, on taylorise jusqu'à la caricature.
À Cusset, dans un centre de tri hypermoderne qui vient d'être inauguré, on retient du courrier les jours de statistiques pour que les facteurs rentrent à l'heure. Les autres jours, les tournées s'allongent.
En fait, c'est le délai d'acheminement qui s'est allongé : pour la presse locale, il n'est pas rare qu'il atteigne sept jours ; j'ai constaté récemment un délai de dix-neuf jours – deux numéros d'un bimensuel distribués le même jour ! Je me suis entendu répondre qu'une lettre postée de ma permanence vers une mairie voisine chemine par Clermont-Ferrand : 120 kilomètres de route pour en parcourir quatre ou cinq à vol d'oiseau !
On m'explique qu'une lettre met désormais quatre ou cinq jours pour aller de Ferrières-sur-Sichon à Vichy – vingt-six kilomètres –, en raison des limitations de vitesse et de Vigipirate dans les aéroports.
En contrepartie, j'ai le droit, via internet, de savoir qu'au bout de deux jours mon pli stationne dans un hangar de la banlieue de Clermont-Ferrand, ou à quelle heure, le cinquième jour, il a quitté ce lieu pour la boîte aux lettres du maire ou de l'un de ses administrés. D'ailleurs, depuis quelques mois, cette boîte n'est plus sur la maison du destinataire mais à l'entrée du village, à un bon kilomètre. C'est une réalité que l'on peut constater.
Tout cela – ces discours, cette dégradation du service, ces personnels maltraités – se fait au nom d'une chose et d'une seule : la future privatisation de La Poste.
Voilà pourquoi je veux aussi vous parler d'égalité. La France, ce n'est pas seulement Paris ou les grandes villes.
Le service public à la française, c'est celui que l'Union européenne elle-même a reconnu comme tel, c'est celui qui rend partout au même coût le même service. Chacun comprend bien que le coût du service – celui du timbre, par exemple – n'a rien d'un prix mais tout d'une redevance.
Comment pouvons-nous demander à nos concitoyens de continuer à peupler la France des terroirs, des paysages, en leur promettant qu'ils ne seront alors plus des citoyens comme les autres ? Ils seront écartés de l'école de la République, de la télévision publique, du haut débit, du téléphone mobile, des services de La Poste. Bientôt, ils seront aussi écartés de l'accès à leurs élus, lorsque le maire rural – qui coûte cher, ceux qui l'ont été le savent – aura fini d'être dépouillé, et lorsque le conseiller général – autre élu extrêmement coûteux – n'existera plus.
Par deux fois, le Président de la République s'est exprimé sur la ruralité, employant des mots que l'on peut partager, sauf lorsqu'il suit Emmanuel Berl de trop près. Malgré cela, le Gouvernement nous prépare une France divisée : l'une du trop plein et l'autre du trop vide.
Votre réforme de La Poste c'est cela : l'abandon. Les Françaises et les Français l'ont compris qui ont signé massivement une motion référendaire.
Puisque vous vous dites républicains, puisque vous assurez la promotion d'un texte constitutionnel qui le prévoit, ne privez pas nos concitoyens d'un droit d'expression sur une entreprise publique qui leur appartient, sur un service public postal de proximité auquel ils sont particulièrement attachés.
Vous allez sûrement me rétorquer que le projet de loi organique sur les modalités du référendum d'initiative populaire n'a toujours pas été déposé au Parlement. Si tel était le cas, l'article 11, issu de la révision de 2008, s'appliquerait. Autrement dit, un cinquième des membres du Parlement, soutenu par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, permettrait la tenue d'un référendum sur l'avenir du service public postal.
Mais nous n'avons pas besoin de cette disposition. Si les discours sur la ruralité, sur la nécessité d'entendre les Françaises et les Français, sur l'identité française même, ne sont pas que des mots, le Président de la République peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur une réforme relative aux services publics – ici, le service public postal –, sur proposition du Gouvernement ou sur proposition conjointe des deux assemblées parlementaires.
Désormais, monsieur le ministre, c'est ce que les radicaux de gauche attendent de vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, il n'y a aucune raison autre qu'idéologique et politique de changer le statut de La Poste.
D'après le Gouvernement, il s'agirait de fournir à La Poste un financement de 2,7 milliards d'euros, mais cela est possible sans changer de statut.
À vous entendre, le Gouvernement pourrait utiliser de l'argent public – cadeaux fiscaux en tous genres, exonérations de cotisations sociales – pour favoriser le financement du privé sans que cela constitue un avantage concurrentiel, mais il ne le pourrait pas pour financer le service public, car il y aurait là un avantage concurrentiel.
Dire que la Commission européenne nous en empêcherait signifie simplement qu'il faut modifier les règles ultralibérales qui prévalent à Bruxelles. Cela dépend de vous. Ce n'est pas que vous ne pouvez pas ; c'est que vous ne voulez pas. Ce n'est pas une question de droit ; c'est une question politique.
Déjà, il suffirait que l'État paie ses dettes envers La Poste – environ 1 milliard d'euros par an –, et rembourse les dividendes que ce service public lui procure – environ 250 millions d'euros sur deux ans –, pour couvrir pratiquement la moitié des besoins annoncés. Parmi les milliards d'euros accordés en prêts et en fonds propres aux banques, serait-il possible d'en prévoir 1,5 pour La Poste, somme dont la moitié serait couverte par la simple suppression du bouclier fiscal ?
Ce que vous présentez comme une garantie de non-privatisation de La Poste n'en est évidemment pas une, car il faudrait que cette prétendue garantie soit inscrite dans le marbre de la Constitution : le simple fait que vous le refusiez démontre clairement le peu de valeur de votre engagement.
La seule garantie véritable pour éviter la privatisation de ce service public est tout simplement de ne pas en changer le statut. Votre proposition est donc un subterfuge, un faux engagement destiné à faire avaler la pilule : de la même façon, le Président de la République, alors ministre de l'économie, s'était personnellement engagé à ce que l'ouverture du capital de GDF ne dépasse pas un certain seuil ; on sait ce qu'il est advenu de cette promesse dont le seul but était de faire accepter plus facilement le principe de l'ouverture du capital et de la privatisation.
Nous sommes bien dans le subterfuge le plus complet, et pour une raison simple : vous êtes les tenants de la dérégulation, de la libéralisation totale de l'économie, d'une loi du marché pure et dure, dont vous vantez quotidiennement les mérites, même si, en ces temps de crise du système capitaliste, vous êtes parfois plus discrets.
Avec des années de retard, vous courez derrière l'ultralibéralisme et le business model anglo-saxon, malgré l'ampleur de ses dégâts. Non seulement vous n'en tirez aucune leçon, mais vous ne tenez aucun compte de l'analyse qu'en a faite un célèbre économiste américain, pourtant récemment mis à contribution par le Président de la République, je veux parler de Joseph Stiglitz, Prix Nobel d'économie. La lecture de l'un de ses derniers ouvrages, Quand le capitalisme perd la tête, serait pourtant très instructive pour vous et le Gouvernement. Joseph Stiglitz écrit ainsi : « Pendant des années la politique économique nationale a été orientée par des idéologues du libre marché qui idéalisaient le secteur privé et diabolisaient les services publics, les programmes et les réglementations de l'État. On sait depuis longtemps que les marchés ne sont pas capables de s'autoréguler, qu'ils peuvent produire trop de pollution, par exemple, ou trop peu d'investissement dans l'éducation, la santé, la recherche. »
Joseph Stiglitz s'en prend également à ces « conservateurs qui préconisent sans cesse de “rétrécir” l'État pour mieux laisser faire les marchés ». On voit où cela vous a menés. Le même auteur ajoute : « La déréglementation tourne au délire », et explique comment elle « réduit les profits » ; dès lors, « il devient impératif pour les marchés financiers de tout déréglementer pour augmenter les profits ».
Autre argument balayé par Joseph Stiglitz : la déréglementation rend les marchés plus concurrentiels, donc bénéficie aux consommateurs et à la société en général. On sait ce qu'il en est de cet attrape-nigaud utilisé pour faire accepter, par exemple, la déréglementation des prix d'EDF, alors même que cette entreprise se prépare à aligner ses prix réglementés sur ceux du privé, nettement plus élevés.
Voilà donc où nous entraîne votre obsession du « tout déréglementé » : tout soumettre à la concurrence, bref, tout subordonner à la loi du fric ; en l'occurrence, supprimer 50 % des bureaux de poste, supprimer la moitié des emplois pour détruire le plus vieux service public français. On sait ce qu'il en est de la privatisation de la poste dans de nombreux pays, notamment au regard de la qualité du service rendu et de la hausse des tarifs. Bref, quand l'intérêt financier supplante l'intérêt général, ce ne sont pas seulement les personnels de la poste qui en supportent les conséquences, mais l'ensemble des usagers.
Le service public est incompatible avec une gestion privée ou à caractère privé. L'argument que les autres pays, notamment en Europe, ouvrent à la concurrence toutes les activités postales et qu'il faut les imiter n'est qu'un alibi pour laisser triompher le dogme du « tout marché » et du « tout dérégulé ». Le fait que d'autres soient dans l'erreur ne peut justifier que nous les imitions : fallait-il, par exemple, imiter les pays anglo-saxons qui développaient les subprimes ? Notre pays a d'ailleurs été à deux doigts de plonger dans ce délire et d'imiter celui qui déréglemente le plus, qui développe la concurrence la plus débridée et accorde le plus de bonus à ses traders.
En fait, votre obsession, avec cette ouverture de capital – lequel sera forcément d'origine privée dans un deuxième temps, comme on le voit déjà avec la Banque postale –, n'est pas de satisfaire les besoins de nos concitoyens, mais de gagner des parts de marché en Europe. Nous voilà à nouveau dans ce cercle vicieux destructeur, où la concurrence sert d'alibi à tous les abandons, au nom d'une guerre économique et financière qui pourtant a déjà fait tant de dégâts, engendré tant de chômage, de précarité et de pauvreté. Dans ce contexte, la sagesse commande de dire : « Arrêtez le massacre ! »
Comme le disent aujourd'hui des économistes, d'ailleurs de plus en plus nombreux, « la culture de Wall Street, l'appauvrissement des populations et un taux de chômage supérieur à 10 %, ça devient choquant ». Vous représentez, notamment en soutenant le changement de statut d'un grand service public national, cette culture dont les Français ne veulent plus : ils ne tarderont pas à vous le dire. D'ailleurs, vous avez si peur de leur jugement que vous refusez la tenue d'un référendum sur la privatisation de La Poste. Si la Constitution révisée prévoit bien le référendum d'initiative populaire, arguez-vous, la loi organique permettant de l'organiser n'est pas votée, de sorte que l'on ne peut organiser ce référendum : grotesque !
La vérité est que vous avez peur du verdict du peuple français, car lui sait ce que veut dire changer le statut d'une entreprise publique ; lui sait ce que vaut l'engagement selon lequel le capital ne sera ouvert qu'à des fonds publics ; lui sait ce que signifie le principe de l'État majoritaire ou détenteur d'une minorité de blocage. L'expérience est là pour prouver que de telles promesses n'engagent que ceux qui les croient, et que l'issue est toujours la privatisation.
Ne venez pas dire, pour fuir ce verdict populaire, que l'Assemblée nationale représente nos concitoyens, comme vous l'aviez déjà avancé pour fuir leur verdict au sujet du traité de Lisbonne : si vous ne reconnaissez pas au référendum un statut supérieur dans l'expression de la volonté de notre peuple, il ne fallait pas inscrire ce droit dans la Constitution.
Tout ce qui a été fait depuis les années Reagan et Thatcher pour dérouler le tapis rouge aux marchés financiers, pour privatiser, déréguler et réduire à sa plus simple expression le rôle de l'État, a débouché sur la crise grave – plus grave encore que vous ne le dites – que nous connaissons aujourd'hui et que la plupart de nos concitoyens, à l'exception des plus riches, vont payer.
La Poste est à moderniser, sans doute ; pour ce faire, elle a besoin, comme tous les services publics, d'un bol d'air démocratique. Salariés, usagers et élus doivent être associés aux choix stratégiques, aux grandes orientations et aux grandes décisions. C'est à ce prix que l'on renforce vraiment un service au public sur tout le territoire. La Poste a besoin d'un soutien public aujourd'hui accordé sans aucune contrepartie au secteur privé.
Au niveau européen, c'est de coopération entre les services postaux qu'il faut parler, et non de guerre économique sur fond de gains de parts de marché. En outre, La Poste doit constituer, avec la Banque postale mais aussi la Caisse des dépôts et consignations, la Caisse de prévoyance, la Banque de France et OSEO, un pôle financier public, lequel a un rôle majeur à jouer pour relancer l'économie, diriger l'argent vers l'emploi, la formation et l'investissement, et non vers les dividendes et la spéculation.
Nous avons une autre ambition pour La Poste que d'en faire le marchepied d'un monde financier prédateur. N'oublions pas que le degré de civilisation d'un pays se juge à l'importance et à la qualité de ses services publics, donc au niveau d'égalité et de solidarité qu'il établit entre chacun de ses citoyens.
Pour toutes ces raisons, votre projet de loi constitue une contre-réforme dommageable à notre pays et à nos concitoyens. Les députés communistes et républicains et le groupe de la Gauche démocrate et républicaine dans son ensemble s'y opposeront donc de toutes leurs forces. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, La Poste va prochainement être confrontée à une échéance majeure : l'ouverture totale à la concurrence du secteur postal au 1er janvier 2011.
Cette ouverture est prévue par la troisième directive postale, laquelle, adoptée en février 2008, parachève le mouvement de libéralisation du secteur postal amorcé dès la première directive de décembre 1997, que le Gouvernement Jospin et sa majorité plurielle n'avaient alors pas remise en cause.
Au-delà même de l'ouverture à la concurrence, La Poste doit faire face à une forte diminution de ses volumes de courrier, en raison notamment de l'essor d'internet.
C'est La Poste qui, dès l'été 2008, a demandé au Gouvernement de bien vouloir étudier un changement de statut, condition préalable à la nécessaire augmentation de capital. Le Gouvernement, soucieux de l'avenir de La Poste et de faire appel à d'autres contributions que celles de la direction de l'entreprise, a alors confié une mission à M. François Ailleret : la commission qu'il présidait, pluraliste et composée notamment d'élus connaissant bien La Poste et de représentants syndicaux, a été chargée de réfléchir aux moyens d'assurer l'avenir de cette entreprise.
Les conclusions de cette commission indépendante, remises au Président de la République en décembre 2008, sont très claires : La Poste a besoin de 2,7 milliards d'euros pour faire face à l'ouverture à la concurrence et aux évolutions de son métier de traitement du courrier ; comme elle ne peut encore accroître son endettement – qui atteint quasiment 6 milliards d'euros – ni demander aux seules finances de l'État de lui fournir les ressources nécessaires, l'option la plus appropriée est l'augmentation du capital, augmentation souscrite à la fois par la Caisse des dépôts et par l'État.
Or la Caisse des dépôts ne peut juridiquement pas souscrire à une augmentation de capital d'un établissement public. Il est donc nécessaire de modifier le statut de La Poste pour lui permettre de réaliser cette augmentation de capital.
Le projet de loi, dès lors, a été élaboré dans l'objectif de permettre à La Poste de bénéficier d'une plus grande liberté de manoeuvre, par le biais d'un changement de statut qui lui permettra de bénéficier de cette augmentation de capital souscrite à hauteur de 1,5 milliard d'euros par la Caisse des dépôts et consignations, et de 1,2 milliard par l'État.
Le projet de loi a été conçu pour limiter au strict nécessaire le changement de statut…
…tout en préservant les grands équilibres qui font l'identité de La Poste et l'attachement des Français à leur entreprise nationale. L'engagement du Gouvernement et le vôtre, monsieur le ministre, sont clairs : les quatre missions de service public de La Poste, qui jusqu'alors étaient inscrites dans des textes différents, seront désormais regroupées dans un article unique. Le service universel du courrier, le transport de la presse, la présence postale territoriale et l'accessibilité bancaire sont des missions de La Poste qui en rappellent ses composantes fortes.
Les droits et statuts des postiers, salariés comme fonctionnaires, seront conservés à l'identique, et bénéficieront même des avancées sociales que vous avez rappelées hier. La Poste, qui était seule attributaire du service universel du courrier, conservera cette mission après l'ouverture à la concurrence pendant une durée de quinze ans, en ayant toujours le même degré d'exigence au sujet des critères du service universel.
Ce projet de loi, s'il modifie le statut de l'entreprise pour réaliser l'augmentation de capital de 2,7 milliards d'euros, conserve donc à l'identique les valeurs de service public et l'identité de La Poste. Il n'y aura pas de privatisation, vous vous y êtes engagé, monsieur le ministre.
Permettez-moi de dire, en tant qu'élu des Alpes-Maritimes, que c'est une chance pour La poste de vous avoir comme ministre ! (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Vous avez en effet démontré, comme président du conseil général, votre attachement au service public de La Poste, aux côtés des communes rurales et montagnardes de notre département. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) De surcroît, comme vous l'avez rappelé, le préambule de la Constitution garantit qu'il n'y aura pas de privatisation.
Dans ces conditions, la contestation menée par l'extrême gauche, dont l'astucieuse « votation » est au suffrage universel ce que le Canada dry est à l'alcool – contestation poussivement relayée par une gauche qui, pourtant, est à l'origine de l'évolution actuelle –, apparaît pour ce qu'elle est : une mascarade. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)
Car ne rien faire, ce serait tout simplement livrer le service public postal français… (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Car ne rien faire, ce serait tout simplement livrer le service public postal français à la concurrence allemande ou néerlandaise, ce qui entraînerait sa disparition.
Cela dit, vous le savez, monsieur le ministre, nous sommes particulièrement attentifs à l'évolution des conditions de travail pour tous les salariés qui ont à relever le défi de la compétitivité, et nous ne souhaitons pas que puisse se reproduire ce désastre humain observé récemment dans une autre entreprise nationale.
Cette exigence de qualité économique et sociale doit passer aussi par le reclassement et la promotion interne des salariés et des employés de La Poste. Vous aviez promis un décret lors des débats au Sénat. Je souhaiterais que vous puissiez nous rassurer à cet égard. Forts de ces assurances, nous sommes sûrs que, avec ce projet de loi, la grande entreprise à laquelle nous sommes attachés et qui est notre fierté à tous, pourra perdurer. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, hier, notre collègue Henri Jibrayel, dans une intervention d'une qualité exceptionnelle,…
Brève ? La première le fut, mais si vous n'avez pas entendu la deuxième, monsieur le président de la commission, c'est que vous n'étiez pas là.
Je peux vous assurer que vous avez raté quelque chose : vous auriez pu, en effet, apprécier l'authenticité d'un postier qui respirait La Poste, dont les pores transpiraient La Poste…
…et qui souffrait des risques que vous faites courir à La Poste.
Hier, lorsque notre ami Jibrayel est intervenu, cela m'a rappelé mon enfance…
Ce n'est pas si vieux ! Nous avons le même âge, monsieur Luca : il est vrai que vous faites beaucoup plus âgé que moi ! (Rires.)
Cela m'a donc rappelé mon enfance dans un village d'Auvergne, où le facteur, homme estimable, passait chaque jour dans chaque maison. Il était attendu : il était souvent le seul visiteur de la journée, il apportait les nouvelles, on le respectait, il symbolisait un service public de qualité, un service public au service du public.
Il brisait l'isolement et n'hésitait pas, sans compter ses heures et sans qu'on les lui compte, à venir à pied lorsqu'il y avait de la neige et à porter ce qu'il fallait aux uns et aux autres.
Nous allons y venir, monsieur Luca, ne vous inquiétez pas.
J'ai pensé à ce bureau de poste du chef-lieu de canton où l'on allait déposer ses économies sur le livret A, parce qu'il s'agissait d'une bonne maison, une maison de confiance, sérieuse et respectable. J'ai pensé à cette postière en blouse grise, à qui l'on remettait les plis recommandés ou les colis adressés aux jeunes du village qui servaient en Algérie. La Poste, c'était l'image même du service public, un service de qualité, apprécié par la population, qui faisait partie de sa vie quotidienne.
Malgré les mutations de la société, l'image de La Poste reste forte dans la population.
Contrairement à ce que vous avez laissé entendre hier, monsieur le ministre, une immense majorité des Français sont satisfaits de ce service public et le soutiennent. Cela s'est vu à l'occasion de la votation citoyenne, dont vous vous gaussiez avant qu'elle n'ait lieu…
…et dont le résultat devrait vous conduire à organiser un référendum sur le maintien de La Poste en tant que service public. Mais vous refusez d'organiser ce référendum, car vous savez sans doute que vous le perdriez.
Certes, l'image que j'ai décrite fait partie du passé. On ne peut nier que, aujourd'hui, l'activité du courrier soit en diminution.
Des techniques plus modernes sont venues le concurrencer, se substituant à la traditionnelle lettre : téléphone portable, SMS, internet – qui permet de vivre dans l'immédiat, voire dans l'instantané, qui permet même de répondre à des questions que l'on ne vous a pas encore posées –, qui ne la remplaceront cependant jamais.
Pourquoi vouloir privatiser ou, du moins, préparer la privatisation, sans avoir le courage de le dire ? Si La Poste mérite d'être modernisée, elle ne mérite pas d'être sacrifiée aux intérêts de la concurrence et du profit. Je note d'ailleurs que le seul mot qui revient systématiquement, tant dans vos interventions que dans celles du président Bailly, c'est la peur de la concurrence, c'est l'alibi de la concurrence.
Vous nous dites que l'Europe impose à La Poste de renoncer à son statut d'établissement public. C'est faux. C'est aux États d'en décider. D'ailleurs, la majorité des entreprises postales d'Europe sont publiques, et certaines sont même propriétés à 100 % de l'État. De plus, la Cour de justice des Communautés européennes n'est pas opposée à la compensation financière par l'État de charges de service public pesant sur une entreprise. Du reste, aujourd'hui, l'État compense déjà en partie le coût de la distribution du courrier par La Poste. Vous prétendez que, puisque La Poste a besoin d'argent pour se moderniser, le statut de société anonyme lui permettrait d'obtenir ce financement.
La Poste est-elle déficitaire ? Non. Elle est bénéficiaire. Elle verse même chaque année des dividendes à l'État. Votre collègue Hervé Novelli ne précisait-il pas, à l'issue du Conseil européen du 20 février 2008 : « La Poste française est une entreprise très profitable. L'entreprise ayant investi 3,5 milliards d'euros pour se moderniser montrera sa capacité à se mouvoir dans un environnement concurrentiel » ?
Comme le disait tout à l'heure notre collègue Balligand, ce n'est pas la Caisse des dépôts et consignations qui lui permettra d'éviter la privatisation, puisque cette caisse n'a pas vocation à être indéfiniment actionnaire de La Poste, et qu'elle pourra à tout moment revendre ses actions au privé, si nécessaire. Faut-il croire que M. Bailly, qui siège au conseil d'administration du groupe hôtelier Accor – bien malin qui voit le rapport avec La Poste –, aurait quelques envies de devenir patron d'une entreprise privée ? Nous n'osons bien sûr l'imaginer. Pourtant, quelqu'un l'a dit hier à la tribune, son statut changerait et ses revenus plus encore.
Ce n'est pas de la suspicion. Allez demander à M. Comolli ce qu'il en pense.
Vous nous dites que la libéralisation totale du courrier en 2011 impose une mutation de La Poste. C'est faux, puisque la directive européenne postale de 2008 permet même de consolider le service public. Encore faudrait-il pour cela une réelle volonté politique que vous n'avez pas. En Finlande, bien que le secteur postal soit ouvert à la concurrence depuis plus de dix ans, l'opérateur traditionnel possède 95 % du marché et il est en situation de quasi-monopole.
Pour faire passer le changement de statut, tout est bon pour vous : l'alibi de l'Europe, la compétitivité, la recherche de rentabilité, mais il est facile de comprendre que, ce que vous recherchez, c'est plus de souplesse, plus de flexibilité, plus de suppressions de bureaux de poste, moins de fonctionnaires, plus de vacataires. C'est détruire un service public au service du public et le transformer en une entreprise où le public sera au service du profit.
Le Conseil national de la Résistance considérait que les services publics devaient être propriétés de la nation : vous engagez un processus de déconstruction progressive, qui se poursuivra par une vente appartement par appartement. Demain, La Poste sera le dernier service public qui quittera les zones isolées, les zones sans internet, sans téléphone portable, celles qui, demain, n'en doutons pas, n'auront même plus droit à la télévision. Demain, ce sera une concurrence exacerbée, et pourquoi pas à des prix différenciés en fonction de l'isolement et des handicaps naturels. Demain, ce sera la privatisation que vous n'osez évoquer.
Bien sûr, vous nous direz que tout cela n'est que fantasmes et élucubrations.
Nous nous souvenons de France Télécom, société anonyme qui a été privatisée. Nous nous souvenons de Gaz de France, et du débat qui a eu lieu dans cet hémicycle le 6 avril 2004. L'actuel Président de la République, qui était à l'époque ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, déclarait alors : « Je vais prendre deux engagements. Le premier est très important : le statut des agents d'EDF et de GDF ne sera pas modifié. […] Je prends un deuxième engagement, dans la foulée de ce qu'a dit le Premier ministre : EDF et GDF ne seront pas privatisés. » On a vu ce qui est arrivé. On a vu ce que ces engagements ont donné.
Monsieur le ministre, comment croire à vos promesses et à vos engagements ?
C'est vrai, il est caricatural de dire qu'il y a, d'un côté, l'immobilisme et, de l'autre, la réforme. Mais de quelle réforme s'agit-il, quand il s'agit de détruire un service public ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention portera sur une conséquence qui peut paraître secondaire d'une transformation du régime juridique de La Poste : le devenir du patrimoine historique de cette grande entreprise publique.
Depuis plus d'un demi-siècle, les historiens et les chercheurs s'intéressent aux entreprises. On se souvient des travaux du professeur Jean Bouvier sur le Crédit Lyonnais, ou de la thèse pionnière de Patrick Fridenson sur la Régie Renault.
Les grandes entreprises, elles-mêmes, portent une attention croissante à leurs archives, comme à tous les matériaux qui peuvent concourir à conserver leur mémoire et à écrire l'histoire d'une société ou d'un établissement. Chaque entreprise est, en effet, un cas d'organisation économique particulière. Elle est aussi un fragment d'histoire technique. Elle est enfin une société humaine avec sa hiérarchie, ses règles, ses habitudes, ses luttes sociales, ses traditions. Elle est en soi un fragment de notre histoire et de notre patrimoine souvent difficile à appréhender et à conserver, tant la durée de vie des entreprises est imprévisible. Leurs structures sont changeantes, leur implantation est soumise à l'évolution des marchés, des technologies, ou tout simplement, comme nous le voyons si souvent aujourd'hui, aux décisions et aux intérêts des actionnaires. Le dépôt de bilan, l'acquisition, la fusion ou la délocalisation introduisent autant de discontinuités et de ruptures dans l'histoire d'une entreprise que dans l'histoire économique et sociale d'un territoire.
Ce qui est vrai d'une entreprise prend une ampleur bien plus grande quand il s'agit d'une entreprise publique ou d'un service public, dont l'ancienneté et le caractère universel ont profondément marqué le territoire et la société. La Poste est l'une des organisations publiques les plus anciennes et dont l'utilité économique et sociale s'impose à l'historien comme au citoyen.
Très tôt, l'État en cours de constitution a perçu cette nécessité de mettre en place un système de messageries rapide et fiable. Le XVe siècle a vu la mise en place des relais de poste ; au XVIIe, le pouvoir royal réorganise le service de la poste sous le contrôle du ministre de la guerre, Louvois ; au milieu du XVIIIe, le pays compte déjà plus de 900 bureaux de poste. Mais c'est au XIXe siècle que le service public se structure. La distribution quotidienne du courrier est acquise en 1832. Le premier timbre, comme le rappelait hier Henri Jibrayel, une Cérès, est commercialisé en 1849, inaugurant le tarif universel et cette idée moderne qu'est la péréquation.
Le premier secrétaire d'État, Adolphe Cochery, nommé en 1879, restera treize ans dans ses fonctions. Monsieur le ministre, je vous souhaite une pareille longévité. (« Ah non ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Avec la révolution des transports, la poste épousera son époque et utilisera les moyens les plus modernes de déplacement et d'acheminement du courrier. La poste, avec la mairie et l'école publique, s'inscrit dans le paysage bâti de nos villes et de nos villages, comme un symbole visible de la République et du progrès. Le facteur devient ce personnage familier, sympathique et emblématique d'une société en voie d'unification. C'est cette mémoire et cette histoire essentielles à la compréhension des évolutions de notre pays, c'est le patrimoine archivistique, technique et architectural qui sont aujourd'hui menacés par la réforme que nous propose le Gouvernement.
En remettant en cause un service public aussi profondément ancré dans les gènes de notre pays, en transformant La Poste en une entreprise à vocation essentiellement économique où la rentabilité et le profit constitueront les critères premiers de décision, on prend le risque de voir se disperser ce patrimoine et se déliter la mémoire de cette aventure économique et humaine qu'a été et que reste La Poste. C'est une part majeure de l'histoire matérielle et sociale de notre pays qui se joue aujourd'hui avec ce projet de loi.
Je ne joue pas ici les Cassandre, monsieur le ministre. Si j'ai souhaité attirer votre attention et celle de notre assemblée sur la question du patrimoine de La Poste, c'est parce que j'ai été confronté, ces derniers mois, à deux cas de déshérence du patrimoine d'entreprises publiques. Le premier est celui de l'Imprimerie nationale, institution elle aussi d'une longévité exceptionnelle qui a été privée, depuis l'affirmation en 1993 du caractère concurrentiel de l'entreprise, des moyens de faire vivre son patrimoine historique. Je veux parler du Cabinet des poinçons et de l'Atelier du livre d'art et de l'estampe, qui sont aujourd'hui en train de mourir dans un entrepôt industriel en déshérence, à Ivry-sur-Seine. Le deuxième cas est celui du Musée de la poste et des télécommunications de ma ville, Caen, créé voici une douzaine d'année, que La Poste, anticipant sur son changement de statut et ses nouvelles obligations, a décidé de fermer sans que l'on sache ce que deviendront ses collections et son patrimoine. On peut, dès lors, s'interroger sur l'avenir des autres musées de La Poste, comme celui de Paris, actuellement hébergé dans les murs du siège de l'entreprise à Montparnasse, ou encore celui de Riquewihr, en Alsace. Leur pérennité est menacée.
Qu'adviendra-t-il aussi du patrimoine que La Poste possède au coeur de nos cités ? C'est toute une histoire, toute une mémoire, tout un patrimoine exceptionnel qui sont en danger.
Monsieur le ministre, le Gouvernement a le devoir de préserver ce patrimoine ; il en a la possibilité et les moyens. Il peut ainsi prendre exemple sur ce qu'ont fait nos voisins allemands, qui ont protégé le patrimoine de la Deutsche Post par voie législative. Je vous suggère de créer, comme eux l'ont fait, une fondation reconnue d'utilité publique, qui regrouperait les différentes entités de recherche que sont la fondation d'entreprise La Poste, les musées de La Poste, le comité pour l'histoire de La Poste, la Bibliothèque historique des postes et télécommunications, la Fédération nationale des associations de personnel de La Poste et de France Télécom. Cette fondation pourrait être financée à hauteur de 4 ou 5 millions d'euros par an par La Poste ou toute société qui aurait vocation à assumer son rôle. C'est, je le répète, ce qu'ont fait nos voisins allemands pour le patrimoine de la Deutsche Post.
De nombreuses grandes entreprises françaises prennent aujourd'hui conscience de l'importance de leur histoire et de leur patrimoine et financent ce type de fondations. Je songe à la fondation EDF, la plus exemplaire en termes, à la fois, de financement de la recherche et de mécénat. Il semblerait en outre que les récents et malheureux événements connus par France Télécom aient fait prendre conscience à cette dernière de l'importance d'une telle démarche et qu'elle cherche à réparer ce qu'elle a détruit ces dernières années, en mettant en place une unité de recherche sur son patrimoine.
J'espère, monsieur le ministre, que vous saurez accueillir cette proposition comme opportune. Deux millions de Français ont manifesté, lors d'une consultation citoyenne, leur attachement au service public de La Poste. Les milliers d'agents et de retraités de ce dernier l'ont servi avec une très grande fierté. Pour eux et pour tous ceux qui considèrent que le service public participe du génie français, le Gouvernement s'honorerait de préserver et de valoriser le patrimoine historique de La Poste. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Très bien !
(M. Tony Dreyfus remplace M. Marc Le Fur au fauteuil de la présidence.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avant de vous dire quel est notre sentiment sur le fond de ce projet de loi, je souhaiterais revenir un instant sur la forme de nos débats. Sur un sujet comme celui du changement de statut de La Poste, dont nous savons à quel point il préoccupe nos concitoyens, dont nous savons aussi combien il engage l'organisation et le développement de notre pays, il aurait effectivement été préférable, comme l'ont dit plusieurs des orateurs qui m'ont précédé à cette tribune, d'organiser un référendum pour que chaque Français puisse s'exprimer. Plus de deux millions de personnes se sont en effet prononcées lors de la votation citoyenne, démontrant la nécessité d'organiser ce référendum en bonne et due forme, que vous refusez jusqu'à présent.
Un autre élément de forme et de contexte est le refus de soumettre au Parlement le projet de loi organique d'application de l'article 11 modifié de la Constitution, seul texte d'application de la Constitution modifiée manquant aujourd'hui, qui aurait permis l'organisation d'un référendum d'initiative populaire, possibilité annoncée lors de la révision constitutionnelle de juillet 2008.
Je crois malheureusement, monsieur le ministre, que cette non-inscription du projet de loi organique, votre refus d'organiser un référendum et même de tenir compte de la votation populaire organisée par les organisations syndicales témoignent aussi, comme cela a notamment été souligné par notre collègue Jean-Claude Sandrier, de la véritable crainte ressentie par le Gouvernement quant à la manière dont les Français apprécient sa politique, sa démarche et, surtout, le changement de statut proposé, première étape vers la privatisation.
Au-delà de la question du référendum et de votre refus de donner la parole à la population française, vous avez également décidé de faire taire ses représentants au Parlement. L'engagement de la procédure accélérée n'était pas nécessaire, sachant que la directive que nous devons transposer, qui suppose, selon vous, l'adoption du texte que vous proposez, n'entrera en vigueur que le 1er janvier 2011. D'autre part, le recours au temps global dans notre assemblée prouve bien votre souhait de traiter ce sujet rapidement. En refusant le référendum, vous bâillonnez en quelque sorte le pays ; en ayant recours à la procédure accélérée et au temps global, ce sont ses représentants et le Parlement que vous bâillonnez !
Monsieur le ministre, si vos collaborateurs pouvaient cesser de rire quand je parle, cela m'arrangerait. Et s'ils pouvaient cesser de rire en me regardant, ce serait un peu plus élégant. (Exclamations sur divers bancs.)
Cette accélération de la procédure est d'autant moins opportune que vous avez déjà perdu la bataille du calendrier. Avec un vote final sur le texte issu de la commission mixte paritaire le 12 janvier 2010, votre projet ne pourra entrer en vigueur le 1er janvier 2010, comme vous l'aviez annoncé ; il ne s'appliquera qu'en mars prochain.
Un tel mépris du Parlement, et plus particulièrement de notre assemblée, est symptomatique de votre conception de la démocratie et du rôle prétendument revalorisé du Parlement, qui nous avait été promis lors de la révision constitutionnelle de 2008.
Sur le fond, nous avons, à gauche, la conviction que le changement de statut n'est pas la solution pour assurer l'avenir du groupe La Poste. Celui-ci est le plus ancien et le plus emblématique de nos services publics. C'est aussi le premier employeur de France après l'État et un maillon essentiel du lien social par sa présence sur tout le territoire, avec la distribution du courrier six jours sur sept et ses 17 090 points de contact. C'est, enfin, un acteur essentiel de la péréquation et de l'égalité avec le prix unique du timbre.
Non seulement nous pensons que ce texte n'est pas une solution, mais nous réfutons votre argument selon lequel l'Europe nous imposerait ces changements. Il est trop facile et souvent trop tentant pour le gouvernement français de se cacher, dès qu'un texte est impopulaire, derrière l'Europe et ses prétendues exigences. Nous savons tous que cet argument est fallacieux. D'autres pays en Europe ont fait le choix d'appliquer les directives postales en renforçant le statut public de leur entreprise postale et en confirmant ainsi la place de ce service public fondamental. Vous en avez décidé autrement ; c'est votre choix, un choix politique qu'il faut assumer.
C'était déjà le choix de votre majorité en 2005, lors de l'examen de la loi de régulation des activités postales. Alors que la directive imposait, certes, une dérégulation du marché, vous aviez fait un choix politique de dérégulation totale.
Plis de justice, recommandés, rien n'avait échappé à votre souci de libéralisation, alors que, déjà, d'autres choix pouvaient être faits.
Vous l'avez vous-même dit hier après-midi, en parlant de poste « imprivatisable » : en raison du parallélisme des formes, ce qu'une loi fait, une loi ultérieure peut le défaire. Rien n'empêchera donc le Gouvernement de présenter dans l'avenir un autre projet de loi faisant descendre la part de l'État en dessous des 50 %. La ficelle est connue, elle déjà été utilisée.
L'article 1er de votre texte, qui me paraît son article principal, est finalement son talon d'Achille, malgré les amendements déposés au Sénat. C'est cet article qui modifie le statut et la nature de La Poste. Il apparaît comme un pied mis dans la porte mais aussi comme le premier pas vers la privatisation.
La nouvelle formulation n'apporte pas toutes les garanties nécessaires. En effet, par les termes « autres personnes morales de droit public », il faut entendre essentiellement les collectivités territoriales et les entreprises publiques. Or, selon la loi du 2 juillet 1986, une entreprise du secteur public est une entreprise dont au moins 51 % du capital social sont détenus par l'État, les administrations nationales, régionales ou locales. La formule adoptée par le Sénat, évoquant les personnes morales de droit public, n'apporte donc pas la garantie que les autres actionnaires que l'État seront des personnes morales ou des entreprises publiques, notamment des entreprises dont le capital serait à 100 % public.
La logique du Gouvernement consiste donc clairement à faire le dos rond face aux nombreuses réactions que suscite le texte, en adoptant une position de repli qui permet en réalité de faire sauter le verrou que constitue le statut actuel. Il vous restera à attendre patiemment une fenêtre de tir pour déposer un nouveau projet de loi ouvrant le capital de La Poste, à l'instar de ce qui a été fait pour GDF, malgré les promesses faites alors.
Cette possibilité est d'ores et déjà offerte par le second volet du projet de loi, la suppression du secteur réservé, en réalité la suppression du monopole résiduel pour la levée, le tri et la distribution des plis de moins de 50 grammes, suppression dont il ne faut pas sous-estimer les conséquences.
Je souhaite, monsieur le ministre, dire un mot aussi de l'argument selon lequel le changement de statut serait la seule réponse aux besoins de La Poste en fonds propres. Si nous faisons tous le constat de l'insuffisance des fonds propres de La Poste pour financer ses besoins d'investissements et d'équipements, nous n'y apportons pas les mêmes réponses. Si l'État avait assumé ses obligations à l'égard de La Poste ces dernières années, nous n'en serions pas là. En créant les difficultés du groupe, notamment à travers le financement de la distribution de la presse, le Gouvernement trouvait le meilleur argument pour sa réforme.
Les interventions financières du Gouvernement étaient et sont toujours parfaitement possibles dans la mesure où les deux missions de service public – présence postale territoriale et distribution de la presse – sont considérées par la Commission européenne comme relevant de la compétence des États membres. Une question se pose en outre : pourquoi, depuis cinq ans, refusez-vous systématiquement les propositions d'augmentation des crédits de ces deux missions de service public lors de l'examen des projets de loi de finances, comme celle de notre collègue sénateur Michel Teston, si ce n'est pour mieux assécher La Poste et trouver ainsi une justification à son changement de statut et à l'augmentation de capital que vous appelez de vos voeux ?
Vous allez répondre, je le sais bien, que l'augmentation de capital à laquelle le Gouvernement se propose de procéder est une réponse à ces besoins de fonds propres. Cet apport de capital nous apparaît cependant comme la dot qu'un père donne à sa fille lorsqu'il veut la marier, une manière de rendre la mariée un peu plus jolie et un peu plus attirante.
En outre, le mode de financement retenu pour le fonds de compensation du service universel postal est largement insuffisant et sera préjudiciable au groupe La Poste. En effet, en la matière, l'expérience nous montre que l'opérateur historique doit très souvent supporter l'essentiel du financement, comme c'est le cas en matière de téléphonie fixe.
Au Sénat, vous avez refusé, monsieur le ministre, l'un des amendements de Michel Teston, sur lequel la commission des affaires économiques avait pourtant émis un avis favorable et qui visait à élargir l'assiette de la contribution des prestataires postaux au fonds de compensation. Une telle disposition aurait pourtant permis d'assurer de nouveaux financements au service universel.
La Poste a tout à perdre dans cette histoire. Elle va se retrouver en situation de concurrence sur les segments d'activité les plus lucratifs et va donc voir ses résultats fondre comme neige au soleil. Vous y trouverez sûrement là, plus tard, un prétexte pour nous expliquer que sa situation n'est plus tenable, et qu'il faut, par conséquent, la confier au privé, seul à même d'assurer le redressement de l'entreprise ; à moins que vous ne nous annonciez la nécessité d'une augmentation de capital, accompagnée d'une ouverture limitée de celui-ci. Nous connaissons la suite, il est inutile de rappeler l'histoire de GDF.
L'une des plus grandes qualités d'un homme d'État réside, monsieur le ministre, dans sa volonté de participer à la réalisation de l'intérêt général.
Il est encore temps de retirer votre texte, d'examiner d'autres pistes et ainsi de participer vous-même à cette réalisation.
Nous vous proposons une solution alternative : le maintien du statut d'EPIC, avec financement intégral des deux missions de service public pour lesquelles l'Union européenne laisse aux États membres toute latitude d'apporter un accompagnement financier.
Il s'agit de la présence postale, ainsi que du transport et de la distribution de la presse, comme je le disais tout à l'heure.
Le maintien du statut d'EPIC, doté d'une autonomie financière et chargé d'exercer une telle mission, à la place et sous le contrôle de l'État ou des collectivités locales, permettrait d'assurer la gestion d'un service public dans le seul souci de l'intérêt général. Un tel statut nous paraît être la meilleure solution, y compris dans un contexte d'ouverture à la concurrence du secteur postal.
En attendant que l'État soutienne et accompagne financièrement l'EPIC en matière de présence postale et de distribution de la presse, nous vous proposons d'ores et déjà de prévoir l'alimentation du fonds de compensation du service universel postal par tous les prestataires de services postaux et ainsi de revenir sur l'avis que vous aviez émis à l'occasion de la discussion au Sénat.
Nous défendons le statut d'EPIC contre celui de société anonyme parce que nous pensons que, lorsqu'il y aura des actionnaires, un retour sur investissement sera nécessaire ; c'est toujours le cas. Or qui dit retour sur investissement dit rentabilité, ce qui conduira à la fermeture de bureaux de poste de plus en plus nombreux. Par la suite, il y aura de moins en moins d'agences postales communales, de plus en plus de points poste, et personne ne pourra nier alors que le service sera moins dense, moins pertinent et moins efficace qu'aujourd'hui.
De plus, l'argument selon lequel La Poste doit impérativement se transformer pour se développer est faux ; soulignons-le. En effet, jusqu'à aujourd'hui, son statut d'EPIC n'a compromis en rien son développement international : La Poste a noué de nombreux partenariats avec des opérateurs postaux étrangers, et elle a prouvé sa capacité à se développer, notamment par la création de 102 filiales et l'explosion de sa croissance externe par l'achat d'entreprises dans le monde.
Au demeurant, l'entreprise publique n'a jamais réalisé autant de bénéfices que ces dernières années, celle-ci ayant su étendre ses activités, ne se limitant aucunement au pôle courrier. Les résultats du groupe au premier semestre 2009 ont confirmé le bien-fondé de sa stratégie multimétiers : la progression des résultats de la Banque postale, le maintien de la rentabilité du colis et de l'express et les plans d'économies mis en oeuvre dès le début de l'année compensent partiellement la baisse de rentabilité du courrier, accentuée par la crise économique.
Sur cette même période, le groupe a réalisé 572 millions d'euros d'investissements, et ce sans accroître significativement son endettement, qui reste malgré tout à un niveau élevé. La Poste est donc une entreprise solide, qui a su montrer ses compétences, tout en étant confrontée à la concurrence puisque, jusqu'à aujourd'hui, seuls les envois de moins de 50 grammes ne sont pas encore soumis à la concurrence.
Enfin, si vous me le permettez, monsieur le ministre, je souhaiterais élargir un peu la réflexion. La France est diverse. Je ne nie pas la réalité majoritairement urbaine de notre pays, mais il ne faut pas nier pour autant qu'il y ait une minorité rurale. Si une majorité de Françaises et de Français habite en ville, il faut néanmoins continuer de faire vivre les zones rurales, où travaillent des agriculteurs, des artisans, des commerçants et des PME, qui ont besoin d'un service public postal de qualité. C'est également vrai pour les personnes âgées pour qui le facteur assure un lien social quotidien. Je vous rappelle les mots prononcés hier, à cette tribune, par notre collègue Michel Vergnier : il nous a simplement raconté la vie quotidienne dans la Creuse, l'attachement que portent les habitants de sa circonscription à la présence d'un facteur, à un service qui va bien au-delà de la seule distribution du courrier.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C'est vrai !
À l'heure où le Gouvernement et Michel Mercier lancent les assises des territoires ruraux, comment peut-on justifier la remise en cause du statut public de La Poste dans un paysage rural qui se meurt de voir ses services publics disparaître un à un ? Comment préserver un dynamisme local dans de telles conditions ? Qui accepterait de venir vivre dans une zone où la maternité, l'école et peut-être bientôt La Poste sont absentes ? Personne !
Dans ces zones, bien souvent, ce sont les collectivités locales qui pallient comme elles le peuvent le désengagement de l'État, parce que leurs élus, les maires, les conseillers généraux, les conseillers régionaux sont au plus proche de la population et ont le souci de l'intérêt général.
Ce que nous défendons, c'est ce que nous pourrions appeler, puisque ce vocable vous est cher, un « bouclier de services publics » accessibles à tous, quelle que soit la zone d'habitation.
Il s'agit, avec ce bouclier, d'assurer le service public tant quantitativement que qualitativement, afin de préserver le dynamisme de bassins de vie qui souffrent aujourd'hui.
En vous appelant à réfléchir à cette idée d'un bouclier de services publics, j'ai en tête les habitants de ma circonscription d'Annonay, bien sûr, mais aussi ceux de Lamastre, de Satillieu et de communes beaucoup plus petites, comme Lalouvesc, Saint-Félicien, Payre ou Saint-Symphorien-de-Mahun, qui vivent dans des zones qu'ils apprécient, là où ils ont leurs racines et leur famille. Quotidiennement, ils doivent parcourir des kilomètres pour aller vers un point poste, la perception ou la maternité.
Je pense aux habitants du canton de Saint-Agrève où vous avez fermé la maternité. Aujourd'hui, à l'approche de l'hiver, ils savent que, cette année encore, trois, quatre ou cinq bébés vont naître dans l'ambulance des pompiers qui conduira les femmes enceintes vers l'hôpital d'Annonay. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC.)
Je pense aux habitants de la vallée de la Vocance qui, il y a deux ans, alors même que la possibilité d'un changement de statut n'avait pas encore été évoquée, se sont mobilisés avec l'ensemble des élus locaux, ont organisé des rassemblements et des débats citoyens parce que La Poste avait pris la décision unilatérale de réduire les horaires d'ouverture des bureaux. Nous n'en étions pas à la fermeture des bureaux ni même à leur modification ou à leur évolution vers des agences postales communales. Nous en étions seulement aux plages horaires d'ouverture. Nous souhaitions que les habitants de notre pays puissent, à tout moment, aller à La Poste, y entrer, trouver un employé, un agent qui puisse délivrer le service qu'ils attendent et qui relève du service public.
Cette proposition n'est pas nouvelle. Vous la retrouverez dans le manifeste des petites villes de France. Vous la trouverez aussi dans la contribution de l'association des petites villes de France aux assises de la ruralité. C'est une piste de travail pour que l'État, comme opérateur ou actionnaire unique de sociétés publiques, joue son rôle de garant de l'aménagement du territoire, et donc de l'égalité.
Dans cette tâche, l'État ne peut pas toujours se désengager ou se désintéresser. Les collectivités territoriales font de leur mieux, mais vont souffrir longtemps face aux coups de boutoir de la réforme de la taxe professionnelle ou du projet de réforme territoriale. Elles souffrent déjà du désengagement du Gouvernement et de l'État, à travers la baisse des dotations. Elles ne pourront pas non plus pallier la diminution de la présence postale et des services, consécutive à la transformation en société anonyme de l'actuel établissement public industriel et commercial La Poste.
Bien plus qu'une idéologie, c'est la cohésion territoriale qui se joue en partie sur ce projet de loi : la solidarité des villes avec leurs campagnes, la solidarité de l'ensemble des usagers de La Poste, quel que soit le lieu où ils habitent.
Comment imaginer que les zones urbaines puissent se passer des zones rurales, ou l'inverse ? Les territoires ruraux sont tout à la fois les lieux de production alimentaire, mais aussi les lieux de villégiature des urbains. Ce sont souvent, on l'oublie, des lieux de production industrielle et de développement d'activités essentielles. Le maintien dans les zones rurales d'un haut niveau de service public est impératif. Je crains que le projet de loi que vous nous proposez d'adopter ne contribue, au contraire, à diminuer ce niveau.
Monsieur le ministre, je vais conclure. Face à cette réforme, qui pose plus de questions qu'elle n'apporte de solutions, notre groupe, mais aussi l'ensemble de la gauche, propose une alternative : elle consiste en un maintien du statut actuel, accompagné d'une bonne identification des besoins des usagers et des territoires auxquels doit répondre le service public postal, et de la mise en place par l'État d'un financement enfin suffisant et pérenne et d'une régulation efficace.
Cette solution alternative n'est pas seulement celle de la gauche parlementaire. Elle est aussi et avant tout celle de plus de 2,2 millions de citoyens qui se sont exprimés et dont tous les élus de gauche, dans cet hémicycle, sont aujourd'hui les porte-parole.
Contrairement à ce qu'affirment certains membres du Gouvernement, notre position n'est pas conservatrice. Pour reprendre la terminologie gouvernementale, elle est au contraire moderne, au bon sens du terme, car elle tient compte, non seulement de notre culture du service public, mais aussi d'une bonne compréhension de la profonde crise actuelle, qui devrait conduire le Gouvernement à mettre en veilleuse l'idéologie libérale qui inspire son action quotidienne.
En nous positionnant ainsi, nous sommes fidèles à nos valeurs et nous défendons le plus ancien et le plus emblématique des services publics, lesquels constituent dans leur ensemble le patrimoine de tous, et en particulier de celles et ceux qui n'en ont pas ! (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, donner à La Poste les moyens de répondre aux défis de ce nouveau siècle, dans un environnement marqué par un usage grandissant des nouvelles techniques de communication, frappé par l'ouverture complète à la concurrence du secteur postal au 1er janvier 2011 et handicapé par un endettement de 6 milliards d'euros, voilà quel devrait être l'objectif de toute loi postale. Au lieu de cela, vous vous bornez à une perception dogmatique tendant dans sa totalité à la seule privatisation du groupe. Comme si la seule modification du statut d'EPIC en société anonyme, puis l'ouverture aux capitaux privés pouvaient faire office de politique industrielle !
J'ai la conviction que ce changement de statut n'est pas la solution pour assurer l'avenir du groupe La Poste, lequel est non seulement le plus ancien mais, avec la SNCF, le plus emblématique de nos services publics. Avec près de 300 000 collaborateurs, il est aussi le premier employeur de France après l'État. Avec 12 000 bureaux de poste et 5 000 points de contacts supplémentaires, c'est un maillon essentiel du lien social sur l'ensemble du territoire.
Le lien affectif et objectif qui unit les Français au service postal est bien réel. Il ne s'est pas démenti lors de la votation populaire qui fut organisée sur l'avenir de ce service public. Sourds aux attentes des 2,3 millions de personnes qui se sont exprimées, vous avez maintenu votre projet. Car le changement de statut de La Poste et sa soumission au droit privé s'inscrivent dans un contexte de désengagement de l'État et d'ouverture à la concurrence de tous nos services publics.
Depuis vingt ans, l'Europe est, pour les services publics, synonyme de déréglementation et de mise en concurrence : la privatisation de La Poste qui sous-tend ce projet de loi en est l'un des aboutissements. La Commission européenne a d'abord adopté le Livre vert sur le développement du marché unique des services postaux. Puis, en 1994, fut approuvée la résolution sur le développement des services postaux communautaires. En 1997, avec la première directive postale, fut ouverte à la concurrence la distribution des lettres d'un poids supérieur à 350 grammes. En 2002, la deuxième directive postale a élargi la concurrence aux envois d'un poids supérieur à 100 grammes, le seuil étant encore abaissé à 50 grammes en janvier 2006. Enfin, avec la troisième directive, est prévue, pour le 1er janvier 2011, la mise en concurrence de la distribution de l'ensemble du courrier.
On le voit bien, la seule obsession de Bruxelles est de poursuivre la dérégulation qui avait été entamée avec le secteur des télécommunications. C'est devenu, au fil des années, une véritable religion, avec son livre – le traité – et ses apôtres – les Commissaires ! Mais la messe est toujours la même : il faut supprimer les barrières nationales, les protections et privilégier la mise en concurrence. L'objectif est de parvenir à une économie « libre et non faussée », fonctionnant sans aucune intervention des pouvoirs publics. Et qu'importe l'intérêt général car, dans cette théologie, le citoyen se confond avec le consommateur. Qu'importe également si la réduction des prix annoncée n'est pas toujours au rendez-vous. Il suffit de donner l'impression que le consommateur a le choix.
Officiellement, le changement de statut part d'un constat simple : La Poste a besoin d'être modernisée pour faire face à la concurrence organisée par les directives européennes et transposées en droit interne. Cette modernisation oblige l'entreprise à se doter de nouveaux fonds propres pour financer les investissements à réaliser ; L'État et la Caisse des dépôts sont donc appelés – la Caisse des dépôts étant plutôt, pour sa part, « sommée » – à souscrire à une augmentation de capital à hauteur, respectivement, de 1,2 milliard et 1,5 milliard d'euros.
Vous justifiez également ce besoin de fonds propres par la dette de 6 milliards d'euros supportée par l'entreprise publique. Mais il ne faut pas confondre dette et déficit. La Poste est un établissement rentable qui, en 2008, dégageait des bénéfices. Ensuite, si le constat peut être fait d'une insuffisance des fonds propres de La Poste, il est nécessaire de se poser la question suivante : à qui la faute ?
L'État n'assume pas ses obligations à l'égard du groupe en ne l'accompagnant pas dans ses missions de service public d'aménagement du territoire - maintien d'un peu plus de 17 000 points de contact et de transport, distribution de la presse. Le coût des quatre missions de service public représente près de 1 milliard d'euros. La Poste a également dû donner 2 milliards d'euros et s'endetter de 1,8 milliard à titre de « compensation » pour le financement des retraites des fonctionnaires. Enfin, l'entreprise publique a versé un dividende de 141 millions d'euros au titre de l'année 2007. Face aux 30 milliards d'euros d'exonérations de cotisations sociales, aux 360 milliards d'euros débloqués pour faire face à la crise financière, aux 26 milliards d'euros du plan de relance, comment imaginer que l'État ne soit pas en mesure de trouver les moyens juridiques et financiers d'assurer un bel avenir à ce grand service public postal ?
Quant à l'argument selon lequel le statut public serait un frein au développement de La Poste, les opérations réalisées démontrent le contraire. Avec ses 102 filiales, l'entreprise a réalisé plusieurs grosses acquisitions, notamment l'achat d'Exapaq, pour 430 millions d'euros, d'Orsid, pour 19 millions d'euros, sans oublier le partenariat avec la SNCF pour le transport du courrier sur les lignes TGV. Elle est également présente en Espagne, en Grèce, en Turquie, au Royaume-Uni, en Afrique du Sud, en Europe de l'Est et en Inde. Elle a multiplié les partenariats financiers, avec la Société Générale, la Matmut, le Crédit Municipal de Paris. Ainsi, par sa politique de rachat, ses différents partenariats et ses échanges capitalistiques, elle est déjà présente en Europe, en Océanie, en Amérique du Sud, aux États-Unis et en Afrique.
Par ailleurs, quand on connaît les déboires de TNT ou ceux de la poste allemande aux États-Unis, avec le retrait de DHL, on aurait plutôt tendance à considérer ce rêve comme expansionniste et comme une aventure à risque !
Vous nous soutenez aussi qu'au regard de la réglementation européenne, l'État ne pourrait pas lui apporter son aide si l'opérateur public ne change pas de statut. C'est faux ! L'Europe ne s'intéresse en rien à la forme juridique du destinataire, toute aide d'État étant, sauf exception, simplement prohibée. Mais aucune législation-cadre européenne n'oblige à changer le statut de La Poste. La SNCF, qui est en situation de concurrence, est un EPIC. Pourquoi La Poste, qui va être en situation de concurrence aggravée, ne pourrait-elle pas rester un EPIC ? On nous invite aujourd'hui à donner des gages à la Commission européenne au-delà de ses demandes. Pourtant, rien dans le droit communautaire ne nous oblige à renoncer au statut d'EPIC, pas même la procédure d'infraction concernant la garantie illimitée de La Poste. Il s'agit donc d'un mauvais argument.
Par ailleurs, je ne me rappelle pas que la France ait fait l'objet de quelconques poursuites pour la compensation par l'État des charges de service public supportées par l'opérateur public. Le droit communautaire autorise certaines aides de l'État quand leur bénéficiaire est chargé d'une mission d'intérêt général afin de compenser les surcoûts qui en résultent.
Certes, les institutions européennes n'ont cessé de prôner la concurrence libre et non faussée, contraignant les opérateurs à se lancer comme des prédateurs économiques dans de vastes opérations de fusion-acquisition à l'international. Tout cela pour quel résultat ? Ces entreprises et le marché concurrentiel rendent-ils aujourd'hui un meilleur service aux usagers ?
Partout en Europe, les services postaux ont été dégradés, ainsi que les conditions de travail des agents du service public. Depuis l'ouverture à la concurrence du domaine postal, 300 000 emplois ont été supprimés. En Allemagne, en Suède, les bureaux de poste ont fermé. En France, depuis 2004, La Poste a supprimé 40 000 emplois au nom de la modernité.
En revanche, le prix des services ne cesse d'augmenter.
Pourtant, La Poste a déjà démontré ses capacités d'adaptation, d'évolution et de mutation au fil des directives et de la libéralisation du secteur. On l'a vu, elle s'est adaptée à chaque directive, à chaque nouvelle percée de la concurrence. Le statut d'EPIC n'est donc en rien pour celle-ci un frein à l'ouverture à la concurrence. Pourquoi, alors, subordonner toute perspective d'avenir à sa transformation en société anonyme ?
Votre projet est, en définitive, plus symptomatique d'une position dogmatique que d'un choix industriel. Si votre réel objectif n'est pas l'ouverture du capital au privé, il n'y a alors aucun intérêt à modifier le statut juridique de La Poste.
Les dirigeants de notre pays essaient de créer l'illusion que La Poste restera une entreprise publique. Or rien dans le projet de loi ne garantit expressément une participation majoritaire et pérenne de l'État au capital de la nouvelle société anonyme créée. Mes chers collègues, j'espère que vous ne vous laisserez pas abuser par ce qui est, disons-le, un mensonge. Un mensonge, même martelé plusieurs fois, ne devient pas une vérité.
Le Gouvernement fait momentanément le dos rond face aux nombreuses réactions que suscite la privatisation en adoptant une position de repli qui permet de faire sauter le verrou que constitue le statut actuel. Il lui restera à attendre patiemment une éclaircie idéologique pour proposer un nouveau projet de loi ouvrant le capital de La Poste, à l'instar de ce qui a été fait pour France Télécom et GDF. Cette opportunité se présentera par l'organisation machiavélique des prochaines pertes de La Poste, prévue dans le second volet du projet de loi. La suppression du secteur réservé accroîtra encore la concurrence sur les secteurs rentables du marché, diminuant d'autant les marges de La Poste. De plus, le mode de compensation des sujétions de service public imposées à La Poste est, répétons-le, insuffisant.
La décision de privatisation sera évidemment politique, mais elle pourra notamment s'appuyer sur le constat de la nécessité de renforcer à nouveau les fonds propres de La Poste. Il nous sera alors expliqué qu'une « ouverture limitée » du capital est nécessaire.
De plus, nous savons bien quelles évolutions ont connu les grandes entreprises publiques ayant été soumises au même processus de transformation en société anonyme. Cela a abouti, à terme, à leur privatisation. La fusion intervenue entre GDF et Suez illustre bien ce mouvement de privatisation. Tout le monde connaît la suite : on nous a déjà fait le coup avec France Télécom et GDF !
Monsieur le ministre, que vaut d'inscrire dans l'article 1er le caractère public du capital de La Poste ? Le Président de la République n'a-t-il pas déjà démontré qu'il était possible de jurer la main sur le coeur que l'entreprise GDF ne serait pas privatisée et de le faire deux ans plus tard ? De même, Jacques Chirac affirmait le 19 mai 2004 : « EDF et GDF sont de grands services publics, ce qui signifie qu'ils ne seront pas privatisés. » Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'économie, en avril 2004, s'exprimait en ces termes : « Je l'affirme parce que c'est un engagement du Gouvernement : EDF et GDF ne seront pas privatisés. » François Fillon, le 11 juin 1996, martelait : « Devrais-je le répéter encore et encore, le caractère public de France Télécom est préservé dès lors que l'État détient plus de la moitié du capital social. »
Je maintiens qu'il s'agit, à l'évidence, des prémices d'une loi de privatisation de La Poste !
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Mais non !
Cela est corroboré par le président de La Poste qui appelait de ses voeux en 2008 une introduction en bourse pure et simple de l'opérateur public. Il déclarait également, en août dernier, que l'État resterait largement majoritaire de La Poste. Ne soyez donc pas surpris, si nous faisons peu de cas de vos promesses en ce qui concerne la pérennité des services publics transformés, ensuite, en sociétés anonymes. Votre projet de privatisation constitue une étape de plus dans la remise en cause de notre modèle social fondé sur des services publics correcteurs d'inégalités sociales et territoriales. En effet, à qui fera-t-on croire que l'ouverture à la concurrence de l'ensemble des activités postales et la transformation de l'opérateur national en simple société anonyme permettent de garantir un service public efficace et moderne ?
Or, si les intérêts privés deviennent déterminants dans le fonctionnement de La Poste, non seulement celle-ci ne répondra pas aux besoins des usagers, mais elle ne sera plus, alors, la propriété de la collectivité. L'article 1er du projet de loi est, à ce titre, contraire au préambule de la Constitution de 1946 qui dispose que : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. » Les services publics ne doivent pas être considérés comme de simples activités marchandes. C'est pourquoi, en 1946, le constituant a souhaité protéger les citoyens contre la domination des puissances économiques et financières. L'État a donc le droit, mais surtout le devoir, d'intervenir dans certaines activités, car il est le seul à pouvoir préserver l'intérêt général. En réservant la propriété des services publics nationaux à la collectivité, le constituant a entendu protéger celle-ci des appétits privés, car les services publics répondent à des besoins et des principes profondément étrangers à l'objet des sociétés privées.
Nous avons toujours estimé que le service public, pour peu qu'on lui en donne les moyens, était à même de satisfaire au mieux les besoins des usagers, d'assumer les missions qui lui incombent tout en s'adaptant aux nouvelles technologies et aux nouvelles situations. Un nouveau statut pour La Poste n'est pas nécessaire pour cela.
Le projet de loi s'articule autour de la notion de service universel, qui est très éloignée de notre conception du service public à la française. Le Conseil d'État, dans son rapport public de 1994, se demandait si l'on ne risquait pas, avec le service universel, « d'immoler sur l'autel de la concurrence ceux des intérêts de la collectivité et des usagers ou consommateurs qui ne peuvent être assimilés à des intérêts vitaux [et] de réduire les stratégies de service public […] à des stratégies de type assistanciel ». Ainsi, le service universel, repris par la suite dans les textes européens, n'est pour ainsi dire qu'un service minimal. Il n'est plus alors question de services publics, mais de prestations rendues au public dans des conditions économiquement intéressantes. Le service universel est en lien étroit avec l'économie, en particulier avec la notion de marché, avec l'intérêt économique général et non plus avec le seul intérêt général. La différence est de taille.
L'un des trois piliers de la tradition française du service public est le principe d'égal accès de tous les usagers aux services, ce qui favorise un développement équilibré du territoire. La Poste ne saurait s'en affranchir sans faillir à sa mission. Avec le tarif unique du timbre, une péréquation financière est mise en oeuvre afin que ce service public puisse être présent sur chaque partie du territoire au même prix, indépendamment du coût du service.
En termes de cohésion sociale, d'égalité de traitement entre les usagers et d'aménagement du territoire, les conséquences d'un changement de statut seront inévitablement négatives. L'étranglement de l'opérateur historique provoqué par la libéralisation du secteur et l'absence d'obligation de service public pour les opérateurs concurrents l'empêchera de remplir correctement les missions de service public. Aujourd'hui, la soumission des services publics aux critères de rentabilité du secteur privé détruit les solidarités sociales et territoriales nationales. Les exemples suédois ou néerlandais donnent une idée du scénario qui nous attend.
Vous vous êtes engagé à maintenir les 17 000 points de contact. Nous sommes, pour notre part, attachés aux vrais bureaux de plein exercice, lesquels sont peu à peu transformés en agences postales communales ou en relais poste. C'est par ce biais que seront conservés les 17 000 points de contact. Par ailleurs, quelle sera l'incidence de ce texte sur le cadre contractuel prévu avec les communes ? Des fonctionnaires territoriaux pourront-ils exercer des missions de service public pour le compte d'une société anonyme ? Quelles seront les réactions des concurrents de La Poste ? Quant aux nouvelles conventions relatives à l'organisation des agences postales communales, ne seront-elles pas soumises à l'obligation d'un appel d'offres, mode normal de choix d'un prestataire en cas de délégation de service public ? Par ailleurs, comment la France compte-t-elle justifier, au regard du droit communautaire, le statut des agences postales communales ? Entre privatisation et « municipalisation des financements », on ne peut qu'être inquiet pour l'avenir de La Poste et ses missions de service public.
Nous connaissons bien le procédé employé pour fermer un bureau de poste : il suffit de diminuer son amplitude horaire pour constater, ensuite, la désaffection, puis prononcer la fermeture.
Les fermetures de services publics participent à la désaffection de nos territoires, sapent l'attractivité de régions déjà frappées par le chômage et la désindustrialisation. Aujourd'hui, un tiers de notre territoire est en situation de repli, perd des habitants, des emplois, des activités, publiques comme privées. Si, demain, La Poste était privatisée, elle verrait alors sa stratégie subordonnée à la rentabilité financière chère au CAC 40. Elle concentrerait son activité sur les marchés les plus rentables. Pour les autres, elle aurait le choix entre l'augmentation de ses tarifs, la dégradation des prestations ou, plus définitivement, leur suppression. Seraient ainsi menacés la présence des bureaux de poste dans les zones rurales et les quartiers populaires, le prix unique du timbre, la distribution du courrier six jours sur sept partout dans les mêmes délais et l'accès des foyers les plus modestes à la Banque postale.
En Suède, pour ne citer que le plus ancien pays d'Europe engagé dans ce processus, il ne reste que deux opérateurs : l'un public, l'autre privé. L'opérateur public a dû augmenter ses tarifs et fermer 50 % de ses bureaux pour faire face à la concurrence. Le modèle suédois est plaisamment qualifié de « moins un tiers » : un tiers d'emplois en moins, un tiers des bureaux fermés.
Les clients doivent parfois payer pour que leur courrier soit distribué à domicile. Comme toujours, ce seront les citoyens et les territoires les plus démunis qui subiront les conséquences de cette dérive libérale.
Le statut de société anonyme est clairement une menace pour l'avenir de La Poste et pour le service postal en général. La Poste se retrouvera, en effet, face à des concurrents qui se positionneront sur les secteurs d'activité offrant la plus forte valeur ajoutée : les fameuses niches ! Bien sûr, la mission de service public de La Poste demeure le dernier rempart contre ces dérives prévisibles, mais pour combien de temps ? L'État aura-t-il, à l'avenir, autant d'exigences pour les concurrents de La Poste que pour La Poste elle-même ?
Vous ne pouvez pas nous faire croire que ce changement de statut ne s'accompagnera pas, à terme, de mesures de réorganisation et d'adaptation, comme la fermeture de bureaux de poste, voire des réductions d'effectifs, puisque c'est déjà le cas. Nous avons pu constater, depuis dix ans, que le groupe menait une politique sociale dure conduisant à la réduction des effectifs. Le statut d'EPIC n'a, hélas, pas empêché ces évolutions ; celui de société anonyme y parviendra sans doute encore moins. La direction des ressources humaines de La Poste envisage pour les prochaines années la suppression de 40 000 emplois. Ce chiffre semble réaliste et correspond à ce qui est advenu en Grande-Bretagne : l'équivalent de La Poste a déjà procédé à la suppression de 35 000 emplois et un second plan de grande ampleur est annoncé.
La transformation de La Poste en société anonyme aura également une incidence sur le statut du personnel et notamment sur le régime de retraite complémentaire des salariés. Le basculement du statut d'EPIC vers celui de SA marquera sur le plan social un véritable bouleversement de l'organisation de La Poste. Le basculement vers le droit commun des sociétés anonymes annonce l'extinction progressive des emplois de fonctionnaires. L'emploi de personnels contractuels, qui était une possibilité, deviendra la règle. En l'absence de convention collective des activités postales, les opérateurs concurrents risquent de pratiquer une politique de dumping social dangereuse non seulement pour leurs salariés, mais aussi pour ceux de La Poste.
Par ailleurs, vous n'avez pas mesuré combien la transformation de La Poste en société anonyme risquait de mettre en danger l'Ircantec. Vous avez prévu que les anciens salariés resteraient affiliés à ce régime de retraite, alors qu'en l'absence de dispositif spécifique, les agents de La Poste vont automatiquement basculer du régime complémentaire de retraite Ircantec sur celui de l'AGIRC-ARRCO. L'Ircantec devra donc assumer la charge des 140 000 agents publics non fonctionnaires sans pour autant pouvoir équilibrer cette dépense par les cotisations des nouveaux postiers qui, eux, cotiseront à l'AGIRC-ARRCO. De plus le régime AGIRC-ARRCO s'avère moins favorable aux salariés avec des cotisations plus élevées pour des pensions plus faibles.
Vous allez importer le pire du droit commun sans faire bénéficier les salariés du meilleur.
En effet, votre projet est étrangement muet sur l'existence ou non d'un comité d'entreprise. Le droit commun des sociétés anonymes de cette taille supposerait la création de plusieurs comités d'entreprise et d'un comité central d'entreprise. La Poste serait obligée de le financer au minimum à hauteur de 1 % de la masse salariale. Pourquoi avez-vous fait le choix d'écarter de ce bénéfice les postiers ? Leurs anciens collègues de France Télécom ont, pour leur part, un comité d'entreprise. La Poste finance, certes, les associations sportives et une mutuelle, mais son engagement en faveur de ses collaborateurs est inférieur au 1 % réclamé aux autres entreprises privées. N'y aurait-il pas, alors, pour les concurrents de La Poste, une rupture d'égalité ? Je souhaiterais donc que le Gouvernement corrige cette erreur et inscrive dans le projet de loi que les dispositions de droit commun en matière de comité d'entreprise s'appliquent à La Poste.
Autre avantage accordé aux salariés du privé que vous refusez aux postiers : la participation. J'ai déposé un amendement tendant à modifier votre article 9 qui disposait que la participation en faveur des salariés était facultative. Il n'y a aucune raison pour que les salariés ne puissent bénéficier de ce dispositif obligatoire dans toutes les sociétés anonymes. Pourquoi les postiers ne pourraient-ils pas recevoir une part des bénéfices qu'ils ont contribué à réaliser ?
Les interrogations, les imperfections du texte et les défis sociaux qu'implique le changement de statut justifieraient pleinement qu'une réelle étude d'impact soit élaborée, afin d'éclairer précisément la représentation nationale. Les zones d'ombre sont encore trop nombreuses.
La Confédération européenne des syndicats a également appelé à une évaluation des conséquences de l'application de la troisième directive postale pour l'emploi. Il est regrettable qu'une telle étude n'ait pas été réalisée avant même l'élaboration du projet de loi.
En effet, l'impact social de l'ouverture à la concurrence ne concerne pas que les seuls salariés de La Poste car cette entreprise publique de proximité joue quotidiennement un véritable rôle de lien social auprès de nos concitoyens, qui se matérialise par la distribution du courrier par le facteur et par la présence de ses bureaux dans les zones géographiques isolées.
Depuis la première directive postale de 1997, la Commission européenne a l'obligation d'élaborer régulièrement des rapports sur l'application des directives postales, rapports qui, hélas, se fondent toujours sur des études confiées aux mêmes cabinets d'audit,…
…dont le travail aboutit invariablement à la même conclusion : il faut restructurer les entreprises et réduire les coûts. On connaît la chanson !
Peut-on continuer de confier l'évaluation de l'accomplissement de missions de service public à des cabinets d'audit qui ne prennent pas en considération les objectifs sociaux des traités européens, pas plus que l'exigence de cohésion économique et sociale ou le rôle des services publics ?
Ainsi, considérant que, partout en Europe, l'avènement de la concurrence s'est fait au prix d'une détérioration de la qualité du service, de l'aggravation des conditions de travail des salariés, d'une hausse des tarifs et de l'abandon du principe d'égalité, vous comprendrez, monsieur le ministre, que nous ne puissions accepter votre projet de privatisation, car, demain encore plus qu'hier, La Poste serait contrainte à une rentabilité financière qui la conduirait à abandonner les missions d'intérêt général et les activités insuffisamment rentables.
Nous ambitionnions pour La Poste un vrai projet de développement des missions de service public, ainsi qu'une vision industrielle lui permettant de se projeter dans les vingt prochaines années. La Poste possède en son sein les ressources humaines nécessaires à son développement, mais, hélas, vous êtes incapables de tracer des perspectives…
…qui ne se résument pas en un dogme, privatisation, et cela, nous ne pouvons pas l'accepter. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, m'exprimant aujourd'hui devant la représentation nationale sur le projet de loi Entreprise publique La Poste et activités postales, je souhaite saluer le travail du Gouvernement, celui des sénateurs et celui effectué par la commission des affaires économiques et par son excellent rapporteur, M. Jean Proriol (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), fin connaisseur de ce sujet.
Ce projet de loi, dont on a malheureusement dit tout et son contraire, au point de vouloir en dénaturer le sens et les objectifs par des campagnes médiatiques malicieusement orchestrées, est aujourd'hui entre nos mains car il faut adapter La Poste au changement et savoir appréhender les évolutions de notre temps.
La gauche a tenté d'instrumentaliser ce débat en créant un faux débat sur la privatisation de La Poste. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
La Poste, institution fondamentale, doit faire face à de nombreux changements, dus tant à des contraintes communautaires qu'à des évolutions sociologiques et humaines tenant à l'apparition des TIC, du courrier électronique et de l'e-administration.
La Poste s'est donc engagée dans un processus obligatoire de modernisation depuis la directive de 1997, qui posait des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté.
Si l'on avait dû attendre le parti socialiste pour sauver la Lozère, on en serait loin ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Vous n'auriez pas fait un recours devant le Conseil constitutionnel, nous n'aurions pas perdu le député !
Ce processus de modernisation s'est inscrit dans l'optique d'être le plus efficace possible lors de l'ouverture totale de l'activité de La Poste à la concurrence d'ici au 1er janvier 2011.
On pourrait se demander pourquoi se produit tant de remue-ménage pour une réforme aussi essentielle aux yeux mêmes des fonctionnaires et des salariés de La Poste, qui sont les premiers à voir leur activité se transformer et qui, pour la majorité d'entre eux, ont bien compris la nécessité d'une réforme.
Il y a plusieurs réponses à cela.
La Poste, c'est un symbole de la société française, c'est l'image du facteur qui rompt l'isolement et rend service, c'est le vélo, la voiture jaune. Tout cela entraîne une réaction irrationnelle, sur laquelle les syndicats et les partis de gauche ont surfé en agitant le chiffon rouge de la privatisation.
La Poste, c'est aussi 300 000 fonctionnaires et salariés, qui permettent l'acheminement de 29 milliards d'objets par an et l'accueil de 2 millions de personnes par jour dans 17 000 points de contact en France.
Enfin, La Poste c'est aussi, dans nos milieux ruraux, le coeur du village, le lieu de rencontre, à l'instar de ce que représentent le médecin, le café et l'épicerie.
Il est dès lors bien compréhensible que toute réforme entraîne une réaction, une réaction de peur par rapport à des acquis et à des évolutions.
Cela dit, il faut de prime abord évacuer toute idée de privatisation, et vous avez, monsieur le ministre, dans une formule aujourd'hui célèbre, précisé que La Poste était imprivatisable. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Plusieurs députés des groupes SRC et GDR. Ça ne veut rien dire !
Ce postulat posé, je tiens à rappeler les principales dispositions de ce texte adoptées par le Sénat et les dernières évolutions apportées pas la commission des affaires économiques de l'Assemblée.
La Poste deviendra une société anonyme à capitaux publics. Ce statut permet à l'État et à la Caisse des dépôts et consignations de souscrire une augmentation de capital de 2,7 milliards d'euros dont la Poste avait bien besoin pour assurer le service universel du courrier et du colis, conforter l'aménagement du territoire par son réseau, assurer le transport et la distribution de la presse et permettre l'accessibilité bancaire.
Ce projet de loi permet également de se mettre en conformité avec les normes communautaires en transposant la directive du 20 février 2008, qui fixe au 31 décembre 2010 l'échéance pour la libéralisation totale des marchés postaux.
Avec cette transposition, sont maintenus les différents acquis antérieurs : le contenu et le périmètre du service universel, la levée et la distribution du courrier six jours sur sept, la péréquation tarifaire avec le prix unique du timbre, les règles d'accessibilité au réseau des points de contact au titre du service universel.
La commission des affaires économiques a par ailleurs apporté des précisions sur le régime de retraite des nouveaux salariés de La Poste, le statut des travailleurs handicapés, l'expérimentation d'une ouverture des bureaux de poste jusqu'à vingt et une heures dans les milieux urbains et le recours à une consultation populaire avant toute ouverture du capital de La Poste à des fonds privés.
Toutes ces raisons me conduisent à souscrire totalement à ce texte, tout en vous demandant, après en avoir parlé avec la présidence de La Poste, des éclaircissements sur le statut des agents communaux et intercommunaux intervenant dans les APC.
Pourquoi ne pas prévoir des prérogatives spécifiques à ces agents, leur permettant, à travers un statut réglementé, d'exercer plus largement les activités d'un agent postal ? Je sais que cette question pose des difficultés d'ordre administratif, juridique et financier, mais je pense qu'il y va d'un renforcement des activités de La Poste sur les territoires, notamment ruraux.
J'ai eu l'occasion de sensibiliser le rapporteur, M. Proriol, à cette question, et je pense qu'une réflexion devrait être menée à très court terme sur le sujet.
Cela dit, monsieur le ministre, le Gouvernement et notre majorité ont aujourd'hui choisi de faire oeuvre utile en accompagnant le groupe Poste dans sa modernisation et en refusant ce que d'autres proposent, à savoir le statu quo. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comment construire un grand service public de La Poste, modernisé, renforcé, capable d'affronter la concurrence avec de vrais gages de solidité, tout en demeurant fidèle aux engagements d'un service public universel ? Voilà, à mon sens, en quels termes se pose le débat qui nous occupe aujourd'hui.
Ce texte répond-il à cette question et à cette double exigence ?
Je ne le pense pas, monsieur le ministre.
Vous vous êtes enfermé dans une démarche idéologique sans proposer à travers ce projet de loi un véritable plan d'avenir pour mieux financer et mieux réguler le service public postal dans les années qui viennent, des années où La Poste va pourtant devoir affronter de très grands défis.
Votre projet de loi manque la cible principale qui devrait être la sienne, à savoir la performance future du service public, la pérennisation de son financement et la modernisation de son organisation. C'est précisément parce qu'aucune stratégie n'est dessinée pour le groupe La Poste, qu'aucun engagement clair, fort, rassurant n'est pris avec ce texte, que la question du changement de statut juridique est devenue à la fois si emblématique et si inquiétante.
C'est une inquiétude que vivent et partagent depuis plusieurs années maintenant les 300 000 postiers. La transformation de La Poste est mal vécue en interne, elle se fait dans la douleur. Restructurations, réductions d'emplois, mutations forcées, durcissement des règles de gestion du personnel, pression accrue sur les cadres, multiplication des postes de chargé de mission et des contrats précaires, comment penser qu'une modernisation de la Poste puisse se faire dans la sérénité alors que les postiers vivent dans un tel contexte humain ?
Dans ce projet, vous n'avez pas pensé aux femmes et aux hommes qui font vivre La Poste au quotidien, avec énergie et dévouement, avec un attachement au service public aussi. Vous n'avez pas pensé à eux,...
…ne soyez donc pas étonné que votre projet ne reçoive pas l'adhésion des premiers intéressés, les personnels. Pourtant, sans adhésion des personnels, pas de projet de modernisation de cette grande entreprise publique.
Vous voudriez créer dans ce débat une frontière commode entre, d'un côté, ceux qui veulent le changement de statut et qui auraient compris où se trouvaient les voies de la modernité et, de l'autre, les conservateurs rétrogrades, tenants d'un statu quo mortifère pour l'entreprise La Poste.
Sur ce texte, il existe bien une frontière, mais elle n'est pas celle que vous avez tenté de dresser entre vous et nous. La frontière est entre ceux qui veulent un service public proche des gens, performant, prêt à affronter la concurrence, et ceux qui veulent transformer La Poste en une entreprise commerciale comme une autre, soumise à la concurrence sans avoir été renforcée préalablement, et, finalement, une entreprise condamnée peu à peu à se séparer de ses activités les moins rentables.
C'est parce que nous avons de grandes ambitions pour le service public postal, parce que nous plaçons la barre haut pour ce qui constitue le plus vieux et le plus emblématique service public de notre pays, que nous combattons ce projet de loi qui ne prépare pas La Poste aux défis qui l'attendent.
La votation citoyenne qui s'est déroulée du 28 septembre au 3 octobre 2009 fut une indéniable réussite populaire,…
Plusieurs députés des groupes SRC etGDR. C'est vrai !
…avec une mobilisation dont l'ampleur doit interroger les législateurs que nous sommes. Pourquoi tant de gens se sont-ils déplacés pour cette votation alors que, par ailleurs, nous constatons si régulièrement une certaine atonie démocratique lors de divers scrutins ?
Pourquoi, sur cette question plus que sur une autre, 2 millions de Français ont-ils cru nécessaire de dire qu'ils tenaient à un grand service public de La Poste présent sur l'ensemble du territoire national ? Sans doute parce que La Poste n'est pas tout à fait un service public comme un autre.
La Poste, c'est, dans certaines communes du Finistère, le dernier service public encore présent. Cassez La Poste et vous cassez ce dernier lien social entre le facteur et la personne âgée isolée par exemple.
Qui assurera demain cette présence dans tous les territoires, quand le seul objectif de rentabilité se sera imposé par la force des choses ? Qui peut croire que, parce que vous les inscrivez dans le texte, les 17 000 points de contact ne sont pas, à plus ou moins court terme, menacés ? Qui peut, enfin, vous faire confiance pour la préservation demain du service universel postal ? Votre « fonds de compensation du service universel postal » n'a pas de financement sérieux et suffisant et n'a qu'une existence virtuelle.
Si nous avons peur pour le service universel postal, nous avons également peur pour l'existence de services publics locaux. C'est cela aussi l'identité nationale, monsieur le ministre, la garantie pour chaque citoyen français, partout sur le territoire, d'un égal accès aux services publics, et nous savons tous qu'il y a encore de gros progrès à faire, je pense notamment au service de la santé.
De ce point de vue, ce projet de loi n'est en rien une modernisation. Il accompagne un mouvement d'ensemble voulu par ce gouvernement, bien au-delà de La Poste, d'abandon de territoires.
Oui, ce texte est un abandon et un renoncement, qu'il faut évidemment analyser dans le cadre plus large de votre réforme territoriale, avec laquelle vous reprenez en main le pouvoir des territoires. Avec le projet de loi sur La Poste, vous leur ôtez l'accès aux services publics locaux.
L'aménagement et le développement des territoires ne seront plus perçus que comme un handicap par la future entreprise commerciale La Poste. Elle sera obligée d'être présente là où ses concurrents n'iront pas, se contentant d'être présents dans les régions les plus denses et les plus rentables. Ce qui était une mission de service public sera demain un boulet, avec une ouverture du marché qui se fera à armes inégales entre La Poste et ses concurrents.
Pour contrer cette évolution inéluctable, vous nous faites croire à une possible péréquation territoriale, mais c'est une illusion tant le mécanisme que vous créez est imprécis. Vous créez un fonds de péréquation territoriale dont les ressources ne sont ni suffisantes, ni pérennes, un fonds qui, au final, ne garantit en rien le respect de l'équité territoriale. Disons les choses simplement : nous avons peur que ce texte ne prépare la privatisation future de La Poste. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Je ne cherche pas à vous faire de procès quant à l'opportunité du changement de statut juridique. Nous savons tous ici que la mise en concurrence des activités postales n'impliquait pas de changer de statut juridique, cela a été dit à maintes reprises.
Pourquoi avons-nous peur d'une future privatisation, comme les 2 millions de nos concitoyens qui se sont exprimés et, n'en doutez pas, une majorité de Français ? Parce que le changement de statut, cela signifie une stratégie de financement du service public par des voies beaucoup plus risquées, plus aventureuses, en un mot incertaines.
Demain, La Poste, société anonyme, cherchera à partir à la conquête de parts de marchés à l'étranger, ce qui passera par des alliances capitalistiques et des prises de participation. Qui ne voit que cette plus grande souplesse financière impliquera tôt ou tard que l'État ne maîtrise plus l'évolution de l'entreprise, et que le vrai pouvoir ne tardera pas à se déplacer du côté des actionnaires privés cherchant à maximiser leurs dividendes ? Quant aux clients de La Poste, à l'instar de ceux d'EDF, de GDF, de France Télécom, qu'ont-ils vraiment à attendre de positif, à l'avenir, de tarifs totalement dérégulés ?
L'économie de marché a ses vertus, mais la préservation de grandes entreprises publiques doit exister lorsqu'il y va de services à la population – à toute la population – aussi importants que celui de La Poste.
La Poste, cela a été dit, assume quatre missions de service public essentielles dans notre pays : le service postal universel ; l'aménagement et le développement du territoire, avec des bureaux de Poste partout ; le transport et la distribution de la presse ; enfin, l'accessibilité bancaire.
Avec ce texte, vous ne proposez absolument aucune vision renouvelée de ces missions, aucune perspective nouvelle pour le service public. Vous vous contentez de rappeler ces missions et de figer leur définition. Nous, nous pensons que la modernisation de la France passe par des services publics puissants, financés de manière pérenne, proches des gens, et efficaces.
L'ambition, voilà ce qui manque à votre texte. Vous auriez dû créer les conditions d'un nouveau financement de La Poste, le cadre d'une nouvelle organisation territoriale, modernisée, ambitieuse, plus proche des usagers, mieux adaptée à leurs besoins, à leurs rythmes de vie. Vous auriez pu faire de ce texte un grand texte de modernisation de La Poste, fixer des objectifs précis en termes de distribution du courrier et d'exigences de qualité.
En somme, vous aviez l'occasion de repenser complètement ce service public, de le redéfinir, en partant des besoins des usagers. Au lieu de cela, vous nous proposez un texte à courte vue, dont le seul objectif ou presque est concentré dans l'article 1er et consiste en un changement de statut juridique.
Vous savez ce que disait il y a seulement deux ans le président du groupe La Poste, Jean-Paul Bailly ? Il affirmait : « La forme juridique de La Poste n'est absolument pas un frein à sa modernisation et à sa préparation pour l'ouverture à la concurrence ».
Je vous remercie de votre attention, mes chers collègues. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, début octobre, du plus petit village au quartier populaire, dans tout le pays, la participation à la votation citoyenne sur l'avenir de La Poste a été massive.
C'est ainsi que 2,3 millions de votants ont exprimé leur attachement au plus ancien et au plus emblématique de nos services publics, et signifié leur refus d'un changement de statut.
L'ampleur de cette mobilisation, d'ailleurs confortée par toutes les enquêtes d'opinion, qui traduisent une opposition résolue à toute privatisation, exigerait que le Gouvernement retire son projet ou, sur un sujet aussi décisif, organise un référendum.
Les Français devraient pouvoir s'exprimer sur l'un des piliers essentiels de la République. La Poste appartient à la nation, c'est à la nation de décider.
Le Président de la République et le Gouvernement s'y refusent pourtant, probablement par crainte de la réponse que le peuple apporterait.
Dès lors, on comprend mieux l'empressement de ce gouvernement à utiliser la procédure accélérée, alors qu'il n'y a manifestement pas d'urgence.
Si l'opposition à ce projet de loi est si forte dans le pays, c'est bien que le changement de statut n'est pas la solution pour assurer l'avenir de La Poste, et que nos concitoyens perçoivent parfaitement les conséquences désastreuses qui vont en découler.
La transformation de La Poste en société anonyme n'est justifiée par aucune nécessité économique ou structurelle. Et, comme vous le savez, pas même la directive européenne du 20 février 2008, de libéralisation totale des activités postales, n'oblige au changement de statut.
La seule justification du changement de statut est en réalité de préparer une future privatisation.
Ce projet de loi vient en effet parachever le travail de démantèlement mis sur les rails par la loi de régularisation postale de mai 2005, qui a ouvert la porte à une dégradation sans précédent du service postal.
Aujourd'hui, vous voulez faire sauter le verrou du statut d'entreprise publique de La Poste, symbole du service public à la française. Oui, faire sauter ce verrou pour pouvoir ouvrir le capital de La Poste lors de l'examen d'un texte de loi ultérieur. Le changement de statut, c'est le chemin inéluctable vers la privatisation, l'avènement des déserts postaux et la disparition du service public.
La société anonyme est en quelque sorte le premier des deux étages de la fusée : la privatisation interviendra plus tard, mais elle n'en sera pas moins réelle, parce que ce qu'une loi met en place peut être défait par une autre loi.
Personne n'a oublié le sort de France Télécom ou celui de GDF, ni les propos définitifs de M. Sarkozy, alors ministre de l'économie et des finances, en avril 2004. Je cite : « Qu'est ce qui nous garantit que la loi ne permettra pas de privatiser EDF-GDF plus tard ? Eh bien, la parole de l'Etat : il n'y aura pas de privatisation parce que EDF et GDF sont un service public ».
Ou encore, et je cite toujours : « C'est clair, c'est simple, c'est net, il n'y aura pas de privatisation de GDF ».
On connaît la suite.
Le Gouvernement emploie aujourd'hui les mêmes mots, et en rajoute même. « Imprivatisable », dites-vous, monsieur le ministre,…
…car La Poste est un « service public national », référence au neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, qui dispose que « tout bien, toute entreprise dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité ».
Mais, vous le savez bien, cela ne change rien car la jurisprudence visée, celle du Conseil constitutionnel dans sa décision de novembre 2006, n'a pas empêché la privatisation de GDF.
Non, les promesses et discours n'y changeront rien. La réalité est que le projet de loi vide le service public national de sa substance, avec le changement de statut mais aussi avec le titre II du projet de loi, qui transpose la directive de février 2008 et met en oeuvre l'ouverture totale à la concurrence.
Les effets de cette libéralisation totale seront désastreux, à l'instar des conséquences, que nous mesurons déjà, des directives du 15 décembre 1997 et du 10 juin 2002. Les exemples ne manquent pas en Europe, comme en Allemagne, en Suède et en Espagne, ainsi que l'a brillamment souligné hier mon collègue Daniel Paul.
Un rapport de la Commission européenne a d'ailleurs reconnu, dès l'année 2006, que, dans les régions isolées, l'accès aux services postaux ne pouvait que pâtir de la mise en oeuvre des directives de libéralisation.
L'ouverture à la concurrence va immanquablement provoquer un phénomène d'écrémage, le privé ne se développant que pour les zones et clients rentables, autrement dit pour les envois en nombre des entreprises et dans les zones urbaines denses.
A cet égard, je trouve tout à fait significative la stratégie, rendue publique, de la société Alternative Post, cette société basée à Lyon, qui, depuis deux ans, grâce à un tour de passe-passe, distribue du courrier de moins de cinquante grammes, en principe réservé à La Poste, sans d'ailleurs que l'ARCEP lève le petit doigt.
Dans le magazine Lyon Capitale de décembre 2008, la porte-parole de cette entreprise déclare : « Pour s'intéresser aux courriers de grand-mère, il faudrait avoir le réseau de La Poste et ne pas vouloir faire de bénéfices. Pour choisir les implantations, notre entreprise regarde le nombre d'habitants et la densité. Une boîte aux lettres tous les cinq kilomètres, ça ne nous intéresse pas. »
Avec le changement de statut de La Poste en société anonyme, avec la logique de rentabilité qui sous-tend de telles structures pour faire des bénéfices, et avec, à terme, sa privatisation, le poids des intérêts privés sera évidemment déterminant dans la gestion de l'entreprise.
La Poste, société anonyme, devra se soumettre aux exigences de ses actionnaires privés. Les services seront organisés en fonction de leur rentabilité, et non pour répondre aux besoins des usagers. Le statut de société anonyme et la fin du contrôle de l'État vont ainsi aggraver une situation d'inégalité qui existe déjà sur le territoire, notamment en termes d'accessibilité.
Car le contenu même de l'activité postale varie énormément selon la structure proposée, ne serait-ce qu'en raison du statut des agents ou du commerçant, donc des opérations qu'ils sont en droit de réaliser.
Comment faire croire que la présence postale va se trouver renforcée alors même que le changement de statut va contraindre à une plus grande rentabilité économique, indépendamment de son utilité sociale ? Un bureau de poste n'est pas forcément rentable, il est avant tout utile. Avec le seul critère de la rentabilité, ce sont des milliers de bureaux qui seront voués à la disparition. La présence postale dans les territoires ruraux a, comme beaucoup sur ces bancs pourraient en témoigner, déjà reculé depuis plusieurs années, les obligations de La Poste en termes d'aménagement du territoire ayant été allégées par les lois successives et les contrats de services.
Comment La Poste pourra-t-elle garantir le financement des missions de service public, qu'il s'agisse de l'accessibilité bancaire, de la distribution de la presse, du service universel postal ou de l'aménagement du territoire ? Aucune garantie n'est donnée quant à un financement suffisant et pérenne. L'article 2 du texte décline, certes, les missions de service public à la charge de La Poste, et précise que la nouvelle société anonyme contribue, par son réseau de points de contact, à l'aménagement et au développement du territoire. Or, même avec la mention de 17 000 points de contact à l'article 2 bis, le réseau se situe déjà en dessous des exigences d'un service public de qualité.
Il est désormais mis en danger, ce réseau, par le changement de statut et l'absence de consolidation du fonds postal national de péréquation territoriale. Je rappelle d'ailleurs, à ce sujet, que depuis que le processus de libéralisation est entamé, le nombre de bureaux de plein exercice a chuté d'un peu plus de 14 000 en 1999 à 11 400 à la fin de 2008. Parallèlement, le nombre d'agences postales communales et de relais poste n'a fait qu'augmenter.
Ainsi, pour ne prendre que l'exemple des lettres recommandées, si le dépôt se fait dans un relais poste, la preuve du dépôt est envoyée sous enveloppe à l'expéditeur par l'établissement de rattachement dont dépend le relais poste. Dans ce cas, la seule date de dépôt faisant foi est celle qui est saisie par l'établissement de rattachement.
L'usager n'est donc pas traité de la même manière selon que les missions de service public sont confiées à un relais poste ou à un bureau de poste.
Le principe constitutionnel d'égalité devant les services publics ne peut pas être conçu, comme une idée abstraite. Il s'agit des droits de nos concitoyens, de situations concrètes auxquelles sont confrontés plus durement les habitants des zones rurales et des zones urbaines sensibles.
Avec le basculement de La Poste dans le droit commun, les personnels seront également mis à mal. L'emploi de personnels contractuels, qui était une possibilité, va devenir la règle.
En l'absence de convention collective des activités postales, les opérateurs concurrents risquent de pratiquer une politique de dumping social, dangereuse non seulement pour leurs salariés, mais aussi pour ceux de La Poste.
L'inquiétude et les craintes des personnels sont légitimes, tant chez les salariés de droit privé que chez les fonctionnaires. II est vrai qu'avec plus de 50 000 suppressions d'emplois depuis 2002, les postiers ont déjà payé un lourd tribut à la libéralisation des activités postales.
Le changement de statut ne peut qu'aggraver cette situation. Le récent bilan social fait d'ailleurs apparaître des éléments extrêmement inquiétants, notamment une progression des licenciements de plus de 50 % entre 2006 et 2008. En cas de « dégraissage » – je mets naturellement ce mot entre guillemets – plus important, il est probable que les mesures actuelles – non-remplacement des départs et incitation à la démission – ne suffiront plus.
L'année dernière, en 2008, le président de La Poste a déclaré qu'il n'y aurait pas de licenciements économiques collectifs jusqu'en 2012, ce qui ne peut évidemment que signifier que cela est tout à fait envisageable après 2012.
Si aucun argument solide n'est véritablement avancé pour justifier l'abandon du statut d'établissement public industriel et commercial et son basculement vers celui de société anonyme, en revanche les conséquences de ce basculement sont d'ores et déjà identifiables sur le plan social, financier, ou pour le statut des personnels.
Ces conséquences se traduiront par une véritable rupture dans l'organisation de notre service public. À vrai dire – beaucoup d'autres l'ont excellemment rappelé avant moi –, ce changement de statut est surtout dogmatique et vous avez décidé d'engager une bataille idéologique.
Dans ce débat, vous nous trouvez face à vous, parce que votre projet est néfaste, parce que nous voulons la pérennisation d'un véritable service postal, parce que nous voulons une poste forte, engagée au service du développement de notre pays, dans le cadre d'un pôle financier public, au plus près des territoires.
Je vous le dis avec conviction, persuadé d'être entendu, ce soir, sur tous les bancs de la gauche : si, à l'issue de notre débat, votre projet est malheureusement adopté, un gouvernement de gauche digne de ce nom devra rétablir le service public postal. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Nous avons écouté très attentivement l'excellente intervention de notre collègue Marc Dolez. Il nous a remis en mémoire le passé. L'histoire, vous le savez, est devenue un sujet d'actualité. Elle est extrêmement importante.
Il nous a rappelé quelques faits marquants de l'histoire récente du pays, des déclarations de nos plus hauts dirigeants, puisque l'un d'entre eux est devenu Président de la République, affirmant qu'il n'y aurait pas de problème pour les statuts de GDF et de France-Télécom. Je me souviens de ces propos tenus dans notre hémicycle.
Aujourd'hui, le ministre nous fait les mêmes déclarations, en affirmant qu'il n'y a pas de problèmes. On entend sur les bancs de la majorité : « Il ne s'agit pas de privatiser. C'est simplement un petit changement technique. »
Monsieur le ministre, je m'adresse à vous pour que nous puissions continuer nos travaux dans la sérénité. Sur quelles bases pouvons-nous vous accorder plus de crédit qu'à vos prédécesseurs ? Ils ont déjà martelé ces affirmations, comme l'a rappelé M. Dolez, et ils nous ont menti.
Pouvons-nous vous faire confiance ? Je ne le pense pas. Mais je ne demande qu'à vous croire. Sur quel nouvel argument, sur quel fait nouveau pourrions-nous vous croire ?
Monsieur Roy, vous comprendrez que M. le ministre appréciera lui-même le moment de son intervention.
La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
Je voudrais faire une observation. Le règlement prévoit que la présidence apprécie si c'est un vrai rappel au règlement ou non qui est fait. Si tel n'est pas le cas, le temps de l'orateur est décompté du temps global de son groupe.
Je voudrais donc, monsieur le président, connaître votre appréciation sur cette intervention, qui ne me semble pas correspondre au règlement de notre assemblée.
Vous allez me laisser réfléchir à mon tour, monsieur Ollier. J'ai bien compris le sens de votre question.
Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, La Poste, entreprise emblématique s'il en est, deuxième entreprise préférée des Français, premier employeur de France, avec 300 000 collaborateurs, et incarnation du service public de proximité, La Poste est condamnée à s'adapter. Mais c'est une condamnation de bon sens car, dans un monde en évolution permanente, le statu quo, s'il peut paraître protecteur dans l'immédiat, est souvent complètement destructeur à terme.
Toute adaptation d'un service public suscite immanquablement de légitimes interrogations, voire des inquiétudes. Nos concitoyens et les élus sont à bon droit attachés à leur bureau de poste. Mais faut-il refuser les évolutions de peur d'éventuelles dérives futures ? Ce texte apporte la réponse.
Il convient d'adopter, en les encadrant de garanties, les adaptations proposées.
Chacun sur ces bancs le sait, La Poste est confrontée à des mutations importantes de son environnement économique et juridique qui la conduisent inexorablement à rechercher des solutions pour conforter son positionnement de service public contemporain. La Poste s'est déjà beaucoup transformée en se réorganisant par métiers, en engageant la modernisation de son outil logistique du courrier et en introduisant de nouveaux services.
Mais elle doit encore s'adapter pour faire face à la montée de nouvelles formes de concurrence, du type internet, et à l'ouverture totale à la concurrence au 1er janvier 2011.
Elle doit s'adapter aussi pour faire face au développement en Europe d'opérateurs puissants, animés d'ambitions internationales. Elle doit également tenir compte du ralentissement économique global, qui impacte les activités postales.
En saisissant le Président de la République, le président de La Poste avait parfaitement compris ces enjeux. La composition de la commission Ailleret est, à cet égard, un gage d'impartialité, celle-ci a clairement posé le problème.
La Poste a besoin de 2,7 milliards d'euros, qu'elle ne peut pas financer elle-même, pour faire face à l'ouverture à la concurrence et aux évolutions sur son métier « courrier ».
À partir de ces conclusions, il s'agissait bien de trouver les capitaux nécessaires, afin de garantir aux Français la poursuite d'un service public de qualité et de proximité. Le changement de statut était devenu inéluctable, …
…encore fallait-il bien l'encadrer. C'est tout l'objet de ce projet de loi, dont la discussion me semble s'être déroulée dans un esprit de responsabilité de la part des uns et des autres. Permettez-moi cependant d'émettre quelques réserves sur l'organisation de la votation citoyenne.
À titre anecdotique, j'indique qu'il m'a été refusé de voter sur un lieu de vote.
En réalité, ce texte démontre que La Poste ne sera pas privatisée, ni privatisable, ce qui répond ainsi au souhait majeur des Français.
Certes, la loi peut défaire ce qu'a fait la loi. Mais alors, pour privatiser un jour La Poste, il faudrait élaborer un nouveau texte et modifier, au préalable, le préambule de la Constitution de 1946.
Alors, je souhaite bon courage à ceux qui auraient cette intention, et, en tout état de cause, je ne soutiendrais pas une telle démarche. La Poste doit demeurer un service public. D'ailleurs, ses quatre missions sont réaffirmées dans la loi, ce qui renforce ainsi son statut de service public et préserve l'unité du groupe, qui est vitale pour son devenir.
L'aménagement du territoire, préoccupation de tous les élus, ne sera pas sacrifié. Au contraire puisque, désormais, la loi garantira 17 000 points de contact sur l'ensemble du territoire !
Encore que la loi de 2005 prévoyant qu'il n'y ait pas plus de 10 % de la population d'un département à plus de cinq kilomètres et vingt minutes de trajet automobile pour atteindre un point de contact ait peut-être été plus souple.
Je veux exprimer, monsieur le ministre, ma satisfaction que vous ayez accepté le principe d'horaires d'ouverture des bureaux de poste adaptés au mode de vie de leurs utilisateurs.
Dans ce projet de loi, le précieux capital de La Poste, c'est-à-dire son personnel, n'a pas été oublié, et je m'en félicite. En effet, ce texte garantit le maintien de l'affiliation de l'ensemble des salariés actuels de La Poste au régime complémentaire de l'IRCANTEC, tandis qu'il est prévu, au bénéfice des fonctionnaires de La Poste, la création d'une complémentaire santé financée par l'entreprise.
Bien entendu, je souhaite que la discussion qui s'engage dans notre assemblée puisse encore améliorer ce texte au bénéfice des utilisateurs de l'entreprise et de tous nos concitoyens.
Permettez-moi de saluer l'état d'esprit constructif qui a régné lors des travaux de la commission sous la houlette compréhensive et très professionnelle du président Ollier, le travail de qualité de notre rapporteur, Jean Proriol, ainsi que la clarté et la précision des interventions de M. le ministre. Je regrette que les débats dans l'hémicycle ne se soient pas déroulés dans la même sérénité que ces prémices.
Ce projet de loi est important. Monsieur le ministre, vous l'avez voulu ouvert, parce que vous connaissez bien le terrain. C'est aussi un gage pour la sérénité et la richesse des débats.
Je souhaite que ce texte permette à La Poste d'atteindre deux objectifs forts et indispensables : être un service public contemporain apprécié des Français et une entreprise leader au plan européen. C'est votre objectif, monsieur le ministre ; c'est aussi le nôtre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il suffit de quelques jours de débats, dans le cadre d'une procédure accélérée, pour mettre à mal notre plus ancien service public, La Poste,…
…symbole du service public à la française (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC), pilier de la vie communale, au même titre que la mairie et l'école.
La transposition d'une troisième directive postale, le changement de statut, la constitution d'une société à capitaux publics, pour le moment : voilà ce qui nous est proposé.
Ni les directives européennes ni la situation financière de l'entreprise publique ne justifient pourtant ce changement de statut ! La Poste mérite mieux qu'un passage en force. Elle mérite un véritable débat national.
Le devenir de La Poste ne nous appartient pas. Chaque citoyen, qui la considère comme un service public de proximité indispensable, véritable lien social, et exemplaire en matière d'aménagement du territoire, est concerné.
Depuis quelques années, quelle image nous offre La Poste ? Des bureaux qui ferment, l'accélération du désengagement de l'entreprise publique dans les zones rurales, des emplois détruits.
Avec la mise en place de plates-formes industrielles, nom donné désormais aux centres de tri, un courrier de commune à commune peut mettre plusieurs jours pour parvenir à son destinataire, car il doit faire un détour par cette fameuse plate-forme.
L'enjeu du devenir de La Poste ne peut être réduit à une querelle entre les modernes, favorables au changement de statut, et les archaïques, qui demeurent attachés au maintien du statut de droit public – c'est-à-dire les quelque 2,3 millions de Français qui se sont exprimés lors de la votation citoyenne organisée début octobre. (Approbations sur les bancs du groupe SRC.) Ces millions de Français ne méritent-ils pas un grand débat national, sur le modèle du débat actuel sur l'identité nationale ?
Depuis 1991, La Poste est une entreprise publique qui a montré ses capacités d'adaptation et d'évolution au gré des directives et au fil de la libéralisation du secteur. Pourquoi subordonner désormais toute perspective d'avenir à sa transformation en société anonyme ?
Avec cette réforme, que devient le personnel ? L'entreprise connaît déjà le recours aux contractuels, le non-remplacement des départs à la retraite et la perte de plusieurs milliers d'emplois sur les 300 000 qu'elle représente. Le basculement de La Poste dans le droit commun fera de l'emploi de personnels contractuels la règle, et exposera les personnels au risque de servir de variables d'ajustement de la performance de l'entreprise. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Si le projet de loi énumère les missions de service public postal – service postal universel, aménagement et développement du territoire, transport et distribution de la presse, accessibilité bancaire –, il n'en détaille pas suffisamment les conditions d'exploitation.
Nous avons conscience de la nécessité d'aider La Poste à remplir ses missions de service public et à surmonter les difficultés qu'elle rencontre. Mais ces missions peuvent être assurées par des acteurs publics et régies par des règles de droit public, et ce d'autant plus qu'il s'agit d'ouvrir le marché à la concurrence.
À l'instar de nombreux élus, je considère comme une dérive la multiplication des agences postales communales et des relais de poste commerçants qui se substituent petit à petit aux bureaux de poste. La Poste doit maintenir son maillage territorial. Quant à l'adaptation des horaires d'ouverture des bureaux dans les zones urbaines, mais surtout en milieu rural, elle doit permettre d'offrir un service correspondant aux attentes et aux besoins des Français.
Le texte présenté ne risque-t-il pas d'entraîner des conséquences sur le cadre contractuel défini avec les communes ? Des fonctionnaires territoriaux pourront-ils encore exercer des missions de service public pour le compte de La Poste, une fois celle-ci devenue société anonyme ?
Les nouvelles conventions relatives à l'organisation des agences postales communales ne devront-elles pas dépendre d'un appel d'offres, procédure normale de choix d'un prestataire en cas de délégation de service public ? Si tel est le cas, rien ne garantit que les communes seront systématiquement retenues pour exercer ces délégations.
Enfin, où trouve-t-on dans ce projet la modernisation et l'avenir de La Poste ?
Une véritable modernisation se serait fondée sur une meilleure définition, plus étendue, des obligations de service public et, par conséquent, sur une meilleure compensation par l'État.
Si vous souhaitez aujourd'hui ouvrir le capital de La Poste, c'est donc bien à des fins de privatisation de cette entreprise publique (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC), sinon à court terme, du moins, assurément, à long terme. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour faire face à la mise en concurrence totale des services postaux en Europe à compter du 1er janvier 2011 et au développement des nouvelles technologies, le Gouvernement nous propose de changer le statut de La Poste pour en faire une société anonyme à capitaux publics.
Rappelons que votre majorité, au Parlement européen comme au Gouvernement, a autorisé la fin du secteur réservé, qui permettait de financer les missions de service public, et accepté la mise en concurrence totale avec d'autres opérateurs, en sachant que la Poste assurerait seule les missions de service public. Tel est le sens de la directive européenne, que vous avez négociée de façon minimaliste.
En outre, les conditions dans lesquelles vous proposez de procéder à ce changement de statut ne sont pas acceptables…
…car, loin d'être assorties des garanties nécessaires à sa réussite, elles font craindre une fragilisation du service public. Je m'attacherai donc à démontrer les graves faiblesses du texte.
La disparition totale du monopole entraîne de profonds bouleversements pour La Poste. Je songe à la chute de l'activité de courrier, due à la dématérialisation progressive des correspondances, donc à la diminution de son chiffre d'affaires. Mais il s'agit également de la nécessité de moderniser son outil industriel et de l'entrée en scène de nouveaux opérateurs dans le secteur du colis et de l'express – autant de défis auxquels La Poste est confrontée.
Ce nouveau contexte concurrentiel aurait dû permettre d'aborder deux enjeux à mes yeux essentiels. D'une part, la définition du contenu du service public : votre projet peut-il garantir un service public de qualité sur tout le territoire national ?
D'autre part, la mission d'aménagement du territoire, qui assure l'égalité d'accès de tous les citoyens aux services publics et l'ancrage territorial de l'entreprise publique, hérité de son histoire. Quel avenir pour ce réseau ? À quel coût ? Quelles adaptations ? Sur ces questions inévitables, le texte ne fait preuve d'aucune ambition. Le grand absent est bien l'usager.
Il n'est pas anodin de modifier le statut de la Poste, car la Poste n'est pas une entreprise publique comme les autres. Nos concitoyens lui demeurent résolument attachés. Elle représente le dernier service public à la française par excellence ; en cela, elle fait partie de notre patrimoine commun. Elle est lien et lieu de proximité, facteur de cohésion sociale. Elle est l'un des derniers services publics qui subsiste dans les zones rurales et reculées quand tous les autres les ont quittées.
La Poste au quotidien, c'est le courrier distribué par le facteur sur tout le territoire, jusque dans nos vallées et nos montagnes ; c'est la banque pour tous ; c'est souvent le seul contact quotidien pour les personnes isolées. La Poste, c'est aussi le premier employeur public.
Les Français l'ont bien compris : les 2,3 millions de personnes qui ont fait part de leur opposition au changement de statut de La Poste lors de la votation citoyenne du mois d'octobre ont saisi que votre projet était contraire au principe d'un service public égal pour tous. Voilà pourquoi nous souhaitions que cette question fasse l'objet d'un référendum d'initiative populaire. Mais vous avez choisi de ne pas offrir à nos concitoyens la possibilité de s'exprimer sur un sujet qui concerne leur vie quotidienne et leur avenir. Où en est le projet de loi organique relatif à l'article 11 de la Constitution et prévoyant l'instauration du référendum d'initiative populaire ? Sans doute était-il plus urgent de présenter une loi permettant aux ministres remerciés en juin dernier de retrouver leur siège de parlementaires ! Les Français jugeront.
Un député du groupe SRC. Aux régionales !
Une fois de plus, les actes contredisent les paroles : la réforme de la Constitution, présentée comme une avancée, n'est en réalité qu'un outil de plus permettant au président Sarkozy d'exercer le pouvoir en solitaire.
Dès lors, il ne faut pas vous étonner de l'opposition que suscite votre projet de loi. Vous donnez l'impression de vouloir passer en force et faire sauter le dernier verrou qui protégeait encore l'entreprise publique de l'interventionnisme de la Commission européenne.
Si nous nous accordons tous à dire qu'il faut permettre à La Poste de se développer et d'affronter sereinement la concurrence, c'est sur les moyens proposés que nous différons.
En effet, la dette de la Poste est élevée – près de 6 milliards d'euros – et son président, M. Bailly, reconnaît qu'un endettement supplémentaire constituerait un handicap majeur. Comment en est-on arrivé là ? L'entreprise a toujours été sous-capitalisée. L'État compense mal les missions de service public qu'il confie à la Poste, la privant ainsi de ressources importantes.
Cela vaut pour la mission de transport et de distribution de la presse, à propos de laquelle il faut noter la dégressivité de la contribution de l'État, année après année. La Poste fait son affaire du déficit ; ce n'est pas normal.
Cela vaut également pour la mission d'accessibilité bancaire, mise à mal par la banalisation du livret A et par la disparition de nombreux bureaux de poste en zone rurale et en montagne.
Cela vaut enfin pour la mission d'aménagement du territoire et de maintien de la présence postale, dont le coût n'est que partiellement compensé par les ressources du fonds national de péréquation territoriale.
Monsieur le ministre, vous nous avez expliqué en commission que les 2,7 milliards d'euros apportés par l'État et par la Caisse des dépôts suffiraient à aider la Poste à se moderniser, en faisant toutefois de sa transformation en société anonyme un préalable. Mais où l'État trouvera t-il les 1,5 milliards d'euros que représente sa contribution ?
Un député du groupe SRC. Grâce au grand emprunt ?
Le droit européen n'est pas ambigu : l'Europe oblige à ouvrir les réseaux, mais non à privatiser les entreprises ou à en changer le statut. Il ne s'agit donc pas d'une obligation imposée par la directive, mais d'un choix délibéré du Gouvernement.
Dès lors, pourquoi ce changement de statut ? Les 4 milliards d'euros injectés dans le cadre du plan de relance à EDF, à la SNCF ou à la RATP – pour ne citer que ces entreprises – n'ont pas nécessité un changement de leur statut. Et quand le Gouvernement a décidé de venir au secours des banques, il n'a pas préalablement demandé à siéger dans leur conseil d'administration.
N'y a-t-il pas là deux poids, deux mesures ?
L'exemple de GDF nourrit la crainte de voir La Poste menée à la privatisation. Pardonnez-moi, monsieur le ministre, d'évoquer à mon tour, après tous les orateurs qui m'ont précédée, un sujet qui doit vous être pénible : les déclarations du premier d'entre vous, le Président de la République…
…, qui, en 2004, alors qu'il était ministre de l'économie, promettait à la tribune de l'Assemblée nationale que l'entreprise continuerait d'appartenir à l'État à 70 %.
On sait ce qui est advenu : aujourd'hui, l'État ne détient plus que 35 % du capital et GDF a fusionné avec Suez, scellant ainsi sa privatisation. Je rappelle que la loi sur le secteur de l'énergie a ramené de 70 % à 35 % la participation de l'État au capital de GDF. Comment cela a-t-il été possible, alors que la loi sur le service public de l'électricité, en 2004, et la loi portant sur les orientations énergétiques, en juillet 2005, avaient inscrit dans le marbre l'importance stratégique du caractère public de GDF ? En somme, quand une loi vous gêne, vous en faites une autre, comme bon vous semble, sans tenir compte de l'intérêt général. (Approbations sur les bancs du groupe SRC.)
Voilà pourquoi la possibilité de préserver le capital public de l'entreprise une fois abandonné son statut d'établissement public nous inspire de sérieux doutes. Ne soyez pas surpris que nous n'accordions plus aucun crédit à vos discours !
De fait, vous n'avez fourni aucune démonstration convaincante de la nécessité de modifier le statut de La Poste. Si vous souhaitez le faire, c'est bien pour en modifier finalement la propriété ; sinon, à quoi bon ?
Pour appuyer votre argumentation, vous nous citez en exemple des pays européens qui ont déjà libéralisé leurs secteurs postaux. Mais en Allemagne, par exemple, où la poste a été privatisée en 2000, on compte aujourd'hui 13 000 bureaux de poste – au lieu de 26 000 auparavant –, qui ne sont plus en majeure partie que de simples points de vente filialisés dans des supermarchés. En outre, la moitié des effectifs ont été supprimés.
Quant aux Suédois, ils ont expérimenté il y a quelques années une mise en concurrence analogue à celle que vous souhaitez imposer.
Ils en ont constaté les résultats : l'explosion du prix du timbre, la disparition de la présence postale dans les zones non rentables et la dégradation du service. Est-ce cela que vous voulez pour la poste française ? Comparaison n'est pas raison, me direz-vous.
Aujourd'hui, il est urgent non de changer de statut, mais plutôt d'améliorer la qualité des prestations postales, de moderniser les processus de traitement du courrier et de redynamiser le réseau postal – autant de modifications à réaliser pour faire face à la fin du monopole.
La vérité, c'est tout simplement que l'État se désengage. Le changement de statut et l'instauration d'une nouvelle gouvernance permettent avant tout de soulager les finances publiques – sinon aujourd'hui, du moins demain.
Pour notre part, nous estimons qu'il est nécessaire de conserver à La Poste son statut d'EPIC. Le contexte créé par l'ouverture totale à la concurrence n'interdit pas les aides financières de l'État dès lors qu'il s'agit d'assurer des missions de service public qui servent l'intérêt général.
Quel avenir pour le service postal ? Quelle définition ? Quel financement ? Quels sont les besoins des usagers et des territoires ? Comment les financer ? Ces questions essentielles ne sont que très peu abordées par votre projet, lequel se contente de maintenir le cadre actuel et de transposer de façon minimaliste la troisième directive postale.
Consacrer dans la loi les quatre missions de service public est certes une bonne chose, mais cela n'apporte pour autant aucune garantie supplémentaire si le financement du surcoût des missions de service public n'est pas assuré. C'est donc entre 800 et 950 millions d'euros qui devront être trouvés pour assurer la pérennité de la distribution du courrier, six jours sur sept.
Maintenir la définition actuelle du service public est insuffisant. De réelles avancées auraient pu être réalisées pour consacrer de nouveaux droits correspondant aux besoins des usagers.
Je pense à la péréquation tarifaire. Y aura-t-il une augmentation du prix du timbre ou de la prestation dans certaines zones reculées ? J'en ai bien peur.
Je pense à la levée et à la distribution du courrier à domicile six jours sur sept sur tout le territoire ou à la distribution du courrier à J+1. À ce sujet, monsieur le ministre, permettez-moi de vous faire part d'une expérimentation que j'ai menée à propos de ce service en m'adressant à moi-même cinq lettres postées de cinq lieux différents : de Tarbes à Tarbes, le délai de J+1 a été respecté, depuis Lannemezan également ; depuis des communes de montagne, en revanche, les délais ont augmenté, atteignant J+2, J+3, J+6. Considérez-vous qu'il s'agit là du service public garanti pour tous ?
C'est la raison pour laquelle un changement est nécessaire ! (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)
Vous défendez le J+6, nous, nous voulons le J+1 !
Votre réforme va dégrader le service public : le courrier ne sera plus portable mais quérable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Dans les zones les plus reculées, il n'y aura plus aucune mise en concurrence. Dans un premier temps, on dira aux personnes âgées qui habitent au fin fond de nos vallées de venir chercher leur courrier à Gavarnie, puis on leur proposera d'aller à Argelès-Gazost.
On aurait pu aussi proposer de revoir les horaires d'ouverture des bureaux de poste et les critères d'appréciation de la rentabilité des bureaux, lesquels sont trop souvent posés en termes de population desservie.
Pourquoi ne pas avoir inscrit cette disposition dans la loi ?
Dans un canton de montagne, il faut aussi tenir compte du tourisme.
Je pense aussi au rôle joué par le facteur et à des services complémentaires qu'il pourrait utilement remplir : portage de médicaments, missions d'ordre public sous conventions comme celles passées avec l'aide à domicile en milieu rural ou encore celles concernant l'installation de la TNT.
J'en viens à la mission d'aménagement du territoire.
La réorganisation du réseau est trop souvent prétexte à justifier la disparition de la plupart des bureaux de poste ruraux et leur transformation en agences postales communales, à la charge des communes, ou en relais chez les commerçants. Les maires sont inquiets de constater un tel appauvrissement du service public.
Dans mon département, en 2003, on comptait huit agences postales communales et 92 bureaux de poste. En 2005, on dénombrait 17 agences postales communales et 78 bureaux de poste. En 2009, la présence postale se résume à 35 agences postales communales et 44 bureaux de poste.
Et le réseau doit encore évoluer puisqu'il est prévu que 18 autres bureaux de poste seront transformés en agences postales communales. Considérez-vous cela comme une amélioration du service public ?
Les maires sont trop souvent mis devant le fait accompli et je dois dire que de réels progrès doivent être faits sur la manière dont la concertation est menée par La Poste.
On commence à réduire les horaires d'ouverture sans qu'ils correspondent aux attentes des usagers. Inévitablement la fréquentation diminue, et le receveur est muté.
Que reste-t-il à faire aux maires ? Ils n'ont d'autre choix que de mettre la main à la poche pour conserver une présence postale.
C'est toutefois un service public minimal, parce que nous savons que les points de contact et les agences postales communales ne rendent pas les mêmes services que les bureaux de plein exercice. C'est notamment le cas pour les envois en Chronopost, les retraits de valeurs, les envois contre remboursement, sans parler des services financiers, puisque les retraits sont désormais limités à 300 euros sur les livrets A et sur les CCP.
Ce n'est donc plus le même service qui est rendu à l'usager.
Dans le souci de garantir un service public postal de qualité sur l'ensemble du territoire, la présence d'un bureau de poste de plein exercice dans chaque canton, offrant tous les services et notamment les prestations bancaires, est une exigence minimale. Cette précision, particulièrement cruciale dans les zones rurales et de montagne, doit figurer expressément dans la loi.
Comme je viens de le démontrer, les services dont peut disposer l'usager dans un relais Poste ou une agence postale communale ne sont pas les mêmes que dans un bureau de poste de plein exercice. Que devient alors l'égalité de tous devant les services publics ? Les citoyens ont les mêmes devoirs, ils doivent donc pouvoir disposer des mêmes droits en tout point du territoire.
Mes chers collègues, vous l'aurez compris, La Poste n'est pas un service public comme les autres. Il mérite toute notre clairvoyance parce que notre responsabilité est grande.
Selon l'issue de nos débats, La Poste sera ou non un service public universel. Comment peut-on imaginer que, pour des raisons essentiellement économiques, l'égal accès de tous au service public ne soit pas garanti ? J'ai des inquiétudes pour nos territoires ruraux et de montagne.
Conformément à la Constitution, La Poste doit rester la propriété de la collectivité. C'est à cette seule condition que les Français auront la garantie d'un service public au contact des usagers.
Inévitablement, si La Poste devient une société anonyme, ses dirigeants auront le souci d'ouvrir le capital de l'entreprise, de distribuer des dividendes, au détriment de la qualité du service rendu.
L'expérience des précédentes privatisations – qui ne devaient pas être – montre que le profit de l'actionnaire est supérieur à l'intérêt général et conduit inexorablement à la dégradation du service public ainsi qu'à une augmentation des tarifs.
Ne soyons pas dupes. Cette logique libérale de rentabilité entraînera la suppression de tournées et la fermeture des bureaux déficitaires. Dans mon département, on constate déjà les effets de cette logique qui s'installe puisque les facteurs absents ne sont plus remplacés. Il n'y a plus d'embauches et chaque jour voit la suppression de certaines tournées.
C'est incompatible avec le service public auquel les Français aspirent. Notre devoir est de mettre en oeuvre tous les moyens pour permettre à La Poste de remplir ses missions, et cela suppose d'apporter toutes les garanties assurant qu'elle ne sera ni privatisée ni soumise à une logique libérale.
Changer le statut de La Poste en société anonyme n'est pas, à mon sens, le meilleur moyen de donner à nos concitoyens un service public étendu et amélioré. C'est la raison pour laquelle les radicaux de gauche sont farouchement opposés à l'adoption de ce texte. Ce que nous souhaitons, c'est un référendum ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma