Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, donner à La Poste les moyens de répondre aux défis de ce nouveau siècle, dans un environnement marqué par un usage grandissant des nouvelles techniques de communication, frappé par l'ouverture complète à la concurrence du secteur postal au 1er janvier 2011 et handicapé par un endettement de 6 milliards d'euros, voilà quel devrait être l'objectif de toute loi postale. Au lieu de cela, vous vous bornez à une perception dogmatique tendant dans sa totalité à la seule privatisation du groupe. Comme si la seule modification du statut d'EPIC en société anonyme, puis l'ouverture aux capitaux privés pouvaient faire office de politique industrielle !
J'ai la conviction que ce changement de statut n'est pas la solution pour assurer l'avenir du groupe La Poste, lequel est non seulement le plus ancien mais, avec la SNCF, le plus emblématique de nos services publics. Avec près de 300 000 collaborateurs, il est aussi le premier employeur de France après l'État. Avec 12 000 bureaux de poste et 5 000 points de contacts supplémentaires, c'est un maillon essentiel du lien social sur l'ensemble du territoire.
Le lien affectif et objectif qui unit les Français au service postal est bien réel. Il ne s'est pas démenti lors de la votation populaire qui fut organisée sur l'avenir de ce service public. Sourds aux attentes des 2,3 millions de personnes qui se sont exprimées, vous avez maintenu votre projet. Car le changement de statut de La Poste et sa soumission au droit privé s'inscrivent dans un contexte de désengagement de l'État et d'ouverture à la concurrence de tous nos services publics.
Depuis vingt ans, l'Europe est, pour les services publics, synonyme de déréglementation et de mise en concurrence : la privatisation de La Poste qui sous-tend ce projet de loi en est l'un des aboutissements. La Commission européenne a d'abord adopté le Livre vert sur le développement du marché unique des services postaux. Puis, en 1994, fut approuvée la résolution sur le développement des services postaux communautaires. En 1997, avec la première directive postale, fut ouverte à la concurrence la distribution des lettres d'un poids supérieur à 350 grammes. En 2002, la deuxième directive postale a élargi la concurrence aux envois d'un poids supérieur à 100 grammes, le seuil étant encore abaissé à 50 grammes en janvier 2006. Enfin, avec la troisième directive, est prévue, pour le 1er janvier 2011, la mise en concurrence de la distribution de l'ensemble du courrier.
On le voit bien, la seule obsession de Bruxelles est de poursuivre la dérégulation qui avait été entamée avec le secteur des télécommunications. C'est devenu, au fil des années, une véritable religion, avec son livre – le traité – et ses apôtres – les Commissaires ! Mais la messe est toujours la même : il faut supprimer les barrières nationales, les protections et privilégier la mise en concurrence. L'objectif est de parvenir à une économie « libre et non faussée », fonctionnant sans aucune intervention des pouvoirs publics. Et qu'importe l'intérêt général car, dans cette théologie, le citoyen se confond avec le consommateur. Qu'importe également si la réduction des prix annoncée n'est pas toujours au rendez-vous. Il suffit de donner l'impression que le consommateur a le choix.
Officiellement, le changement de statut part d'un constat simple : La Poste a besoin d'être modernisée pour faire face à la concurrence organisée par les directives européennes et transposées en droit interne. Cette modernisation oblige l'entreprise à se doter de nouveaux fonds propres pour financer les investissements à réaliser ; L'État et la Caisse des dépôts sont donc appelés – la Caisse des dépôts étant plutôt, pour sa part, « sommée » – à souscrire à une augmentation de capital à hauteur, respectivement, de 1,2 milliard et 1,5 milliard d'euros.
Vous justifiez également ce besoin de fonds propres par la dette de 6 milliards d'euros supportée par l'entreprise publique. Mais il ne faut pas confondre dette et déficit. La Poste est un établissement rentable qui, en 2008, dégageait des bénéfices. Ensuite, si le constat peut être fait d'une insuffisance des fonds propres de La Poste, il est nécessaire de se poser la question suivante : à qui la faute ?
L'État n'assume pas ses obligations à l'égard du groupe en ne l'accompagnant pas dans ses missions de service public d'aménagement du territoire - maintien d'un peu plus de 17 000 points de contact et de transport, distribution de la presse. Le coût des quatre missions de service public représente près de 1 milliard d'euros. La Poste a également dû donner 2 milliards d'euros et s'endetter de 1,8 milliard à titre de « compensation » pour le financement des retraites des fonctionnaires. Enfin, l'entreprise publique a versé un dividende de 141 millions d'euros au titre de l'année 2007. Face aux 30 milliards d'euros d'exonérations de cotisations sociales, aux 360 milliards d'euros débloqués pour faire face à la crise financière, aux 26 milliards d'euros du plan de relance, comment imaginer que l'État ne soit pas en mesure de trouver les moyens juridiques et financiers d'assurer un bel avenir à ce grand service public postal ?
Quant à l'argument selon lequel le statut public serait un frein au développement de La Poste, les opérations réalisées démontrent le contraire. Avec ses 102 filiales, l'entreprise a réalisé plusieurs grosses acquisitions, notamment l'achat d'Exapaq, pour 430 millions d'euros, d'Orsid, pour 19 millions d'euros, sans oublier le partenariat avec la SNCF pour le transport du courrier sur les lignes TGV. Elle est également présente en Espagne, en Grèce, en Turquie, au Royaume-Uni, en Afrique du Sud, en Europe de l'Est et en Inde. Elle a multiplié les partenariats financiers, avec la Société Générale, la Matmut, le Crédit Municipal de Paris. Ainsi, par sa politique de rachat, ses différents partenariats et ses échanges capitalistiques, elle est déjà présente en Europe, en Océanie, en Amérique du Sud, aux États-Unis et en Afrique.
Par ailleurs, quand on connaît les déboires de TNT ou ceux de la poste allemande aux États-Unis, avec le retrait de DHL, on aurait plutôt tendance à considérer ce rêve comme expansionniste et comme une aventure à risque !
Vous nous soutenez aussi qu'au regard de la réglementation européenne, l'État ne pourrait pas lui apporter son aide si l'opérateur public ne change pas de statut. C'est faux ! L'Europe ne s'intéresse en rien à la forme juridique du destinataire, toute aide d'État étant, sauf exception, simplement prohibée. Mais aucune législation-cadre européenne n'oblige à changer le statut de La Poste. La SNCF, qui est en situation de concurrence, est un EPIC. Pourquoi La Poste, qui va être en situation de concurrence aggravée, ne pourrait-elle pas rester un EPIC ? On nous invite aujourd'hui à donner des gages à la Commission européenne au-delà de ses demandes. Pourtant, rien dans le droit communautaire ne nous oblige à renoncer au statut d'EPIC, pas même la procédure d'infraction concernant la garantie illimitée de La Poste. Il s'agit donc d'un mauvais argument.
Par ailleurs, je ne me rappelle pas que la France ait fait l'objet de quelconques poursuites pour la compensation par l'État des charges de service public supportées par l'opérateur public. Le droit communautaire autorise certaines aides de l'État quand leur bénéficiaire est chargé d'une mission d'intérêt général afin de compenser les surcoûts qui en résultent.
Certes, les institutions européennes n'ont cessé de prôner la concurrence libre et non faussée, contraignant les opérateurs à se lancer comme des prédateurs économiques dans de vastes opérations de fusion-acquisition à l'international. Tout cela pour quel résultat ? Ces entreprises et le marché concurrentiel rendent-ils aujourd'hui un meilleur service aux usagers ?
Partout en Europe, les services postaux ont été dégradés, ainsi que les conditions de travail des agents du service public. Depuis l'ouverture à la concurrence du domaine postal, 300 000 emplois ont été supprimés. En Allemagne, en Suède, les bureaux de poste ont fermé. En France, depuis 2004, La Poste a supprimé 40 000 emplois au nom de la modernité.
En revanche, le prix des services ne cesse d'augmenter.
Pourtant, La Poste a déjà démontré ses capacités d'adaptation, d'évolution et de mutation au fil des directives et de la libéralisation du secteur. On l'a vu, elle s'est adaptée à chaque directive, à chaque nouvelle percée de la concurrence. Le statut d'EPIC n'est donc en rien pour celle-ci un frein à l'ouverture à la concurrence. Pourquoi, alors, subordonner toute perspective d'avenir à sa transformation en société anonyme ?
Votre projet est, en définitive, plus symptomatique d'une position dogmatique que d'un choix industriel. Si votre réel objectif n'est pas l'ouverture du capital au privé, il n'y a alors aucun intérêt à modifier le statut juridique de La Poste.
Les dirigeants de notre pays essaient de créer l'illusion que La Poste restera une entreprise publique. Or rien dans le projet de loi ne garantit expressément une participation majoritaire et pérenne de l'État au capital de la nouvelle société anonyme créée. Mes chers collègues, j'espère que vous ne vous laisserez pas abuser par ce qui est, disons-le, un mensonge. Un mensonge, même martelé plusieurs fois, ne devient pas une vérité.
Le Gouvernement fait momentanément le dos rond face aux nombreuses réactions que suscite la privatisation en adoptant une position de repli qui permet de faire sauter le verrou que constitue le statut actuel. Il lui restera à attendre patiemment une éclaircie idéologique pour proposer un nouveau projet de loi ouvrant le capital de La Poste, à l'instar de ce qui a été fait pour France Télécom et GDF. Cette opportunité se présentera par l'organisation machiavélique des prochaines pertes de La Poste, prévue dans le second volet du projet de loi. La suppression du secteur réservé accroîtra encore la concurrence sur les secteurs rentables du marché, diminuant d'autant les marges de La Poste. De plus, le mode de compensation des sujétions de service public imposées à La Poste est, répétons-le, insuffisant.
La décision de privatisation sera évidemment politique, mais elle pourra notamment s'appuyer sur le constat de la nécessité de renforcer à nouveau les fonds propres de La Poste. Il nous sera alors expliqué qu'une « ouverture limitée » du capital est nécessaire.
De plus, nous savons bien quelles évolutions ont connu les grandes entreprises publiques ayant été soumises au même processus de transformation en société anonyme. Cela a abouti, à terme, à leur privatisation. La fusion intervenue entre GDF et Suez illustre bien ce mouvement de privatisation. Tout le monde connaît la suite : on nous a déjà fait le coup avec France Télécom et GDF !
Monsieur le ministre, que vaut d'inscrire dans l'article 1er le caractère public du capital de La Poste ? Le Président de la République n'a-t-il pas déjà démontré qu'il était possible de jurer la main sur le coeur que l'entreprise GDF ne serait pas privatisée et de le faire deux ans plus tard ? De même, Jacques Chirac affirmait le 19 mai 2004 : « EDF et GDF sont de grands services publics, ce qui signifie qu'ils ne seront pas privatisés. » Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'économie, en avril 2004, s'exprimait en ces termes : « Je l'affirme parce que c'est un engagement du Gouvernement : EDF et GDF ne seront pas privatisés. » François Fillon, le 11 juin 1996, martelait : « Devrais-je le répéter encore et encore, le caractère public de France Télécom est préservé dès lors que l'État détient plus de la moitié du capital social. »