Or, si les intérêts privés deviennent déterminants dans le fonctionnement de La Poste, non seulement celle-ci ne répondra pas aux besoins des usagers, mais elle ne sera plus, alors, la propriété de la collectivité. L'article 1er du projet de loi est, à ce titre, contraire au préambule de la Constitution de 1946 qui dispose que : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. » Les services publics ne doivent pas être considérés comme de simples activités marchandes. C'est pourquoi, en 1946, le constituant a souhaité protéger les citoyens contre la domination des puissances économiques et financières. L'État a donc le droit, mais surtout le devoir, d'intervenir dans certaines activités, car il est le seul à pouvoir préserver l'intérêt général. En réservant la propriété des services publics nationaux à la collectivité, le constituant a entendu protéger celle-ci des appétits privés, car les services publics répondent à des besoins et des principes profondément étrangers à l'objet des sociétés privées.
Nous avons toujours estimé que le service public, pour peu qu'on lui en donne les moyens, était à même de satisfaire au mieux les besoins des usagers, d'assumer les missions qui lui incombent tout en s'adaptant aux nouvelles technologies et aux nouvelles situations. Un nouveau statut pour La Poste n'est pas nécessaire pour cela.
Le projet de loi s'articule autour de la notion de service universel, qui est très éloignée de notre conception du service public à la française. Le Conseil d'État, dans son rapport public de 1994, se demandait si l'on ne risquait pas, avec le service universel, « d'immoler sur l'autel de la concurrence ceux des intérêts de la collectivité et des usagers ou consommateurs qui ne peuvent être assimilés à des intérêts vitaux [et] de réduire les stratégies de service public […] à des stratégies de type assistanciel ». Ainsi, le service universel, repris par la suite dans les textes européens, n'est pour ainsi dire qu'un service minimal. Il n'est plus alors question de services publics, mais de prestations rendues au public dans des conditions économiquement intéressantes. Le service universel est en lien étroit avec l'économie, en particulier avec la notion de marché, avec l'intérêt économique général et non plus avec le seul intérêt général. La différence est de taille.
L'un des trois piliers de la tradition française du service public est le principe d'égal accès de tous les usagers aux services, ce qui favorise un développement équilibré du territoire. La Poste ne saurait s'en affranchir sans faillir à sa mission. Avec le tarif unique du timbre, une péréquation financière est mise en oeuvre afin que ce service public puisse être présent sur chaque partie du territoire au même prix, indépendamment du coût du service.
En termes de cohésion sociale, d'égalité de traitement entre les usagers et d'aménagement du territoire, les conséquences d'un changement de statut seront inévitablement négatives. L'étranglement de l'opérateur historique provoqué par la libéralisation du secteur et l'absence d'obligation de service public pour les opérateurs concurrents l'empêchera de remplir correctement les missions de service public. Aujourd'hui, la soumission des services publics aux critères de rentabilité du secteur privé détruit les solidarités sociales et territoriales nationales. Les exemples suédois ou néerlandais donnent une idée du scénario qui nous attend.
Vous vous êtes engagé à maintenir les 17 000 points de contact. Nous sommes, pour notre part, attachés aux vrais bureaux de plein exercice, lesquels sont peu à peu transformés en agences postales communales ou en relais poste. C'est par ce biais que seront conservés les 17 000 points de contact. Par ailleurs, quelle sera l'incidence de ce texte sur le cadre contractuel prévu avec les communes ? Des fonctionnaires territoriaux pourront-ils exercer des missions de service public pour le compte d'une société anonyme ? Quelles seront les réactions des concurrents de La Poste ? Quant aux nouvelles conventions relatives à l'organisation des agences postales communales, ne seront-elles pas soumises à l'obligation d'un appel d'offres, mode normal de choix d'un prestataire en cas de délégation de service public ? Par ailleurs, comment la France compte-t-elle justifier, au regard du droit communautaire, le statut des agences postales communales ? Entre privatisation et « municipalisation des financements », on ne peut qu'être inquiet pour l'avenir de La Poste et ses missions de service public.
Nous connaissons bien le procédé employé pour fermer un bureau de poste : il suffit de diminuer son amplitude horaire pour constater, ensuite, la désaffection, puis prononcer la fermeture.