Plis de justice, recommandés, rien n'avait échappé à votre souci de libéralisation, alors que, déjà, d'autres choix pouvaient être faits.
Vous l'avez vous-même dit hier après-midi, en parlant de poste « imprivatisable » : en raison du parallélisme des formes, ce qu'une loi fait, une loi ultérieure peut le défaire. Rien n'empêchera donc le Gouvernement de présenter dans l'avenir un autre projet de loi faisant descendre la part de l'État en dessous des 50 %. La ficelle est connue, elle déjà été utilisée.
L'article 1er de votre texte, qui me paraît son article principal, est finalement son talon d'Achille, malgré les amendements déposés au Sénat. C'est cet article qui modifie le statut et la nature de La Poste. Il apparaît comme un pied mis dans la porte mais aussi comme le premier pas vers la privatisation.
La nouvelle formulation n'apporte pas toutes les garanties nécessaires. En effet, par les termes « autres personnes morales de droit public », il faut entendre essentiellement les collectivités territoriales et les entreprises publiques. Or, selon la loi du 2 juillet 1986, une entreprise du secteur public est une entreprise dont au moins 51 % du capital social sont détenus par l'État, les administrations nationales, régionales ou locales. La formule adoptée par le Sénat, évoquant les personnes morales de droit public, n'apporte donc pas la garantie que les autres actionnaires que l'État seront des personnes morales ou des entreprises publiques, notamment des entreprises dont le capital serait à 100 % public.
La logique du Gouvernement consiste donc clairement à faire le dos rond face aux nombreuses réactions que suscite le texte, en adoptant une position de repli qui permet en réalité de faire sauter le verrou que constitue le statut actuel. Il vous restera à attendre patiemment une fenêtre de tir pour déposer un nouveau projet de loi ouvrant le capital de La Poste, à l'instar de ce qui a été fait pour GDF, malgré les promesses faites alors.
Cette possibilité est d'ores et déjà offerte par le second volet du projet de loi, la suppression du secteur réservé, en réalité la suppression du monopole résiduel pour la levée, le tri et la distribution des plis de moins de 50 grammes, suppression dont il ne faut pas sous-estimer les conséquences.
Je souhaite, monsieur le ministre, dire un mot aussi de l'argument selon lequel le changement de statut serait la seule réponse aux besoins de La Poste en fonds propres. Si nous faisons tous le constat de l'insuffisance des fonds propres de La Poste pour financer ses besoins d'investissements et d'équipements, nous n'y apportons pas les mêmes réponses. Si l'État avait assumé ses obligations à l'égard de La Poste ces dernières années, nous n'en serions pas là. En créant les difficultés du groupe, notamment à travers le financement de la distribution de la presse, le Gouvernement trouvait le meilleur argument pour sa réforme.
Les interventions financières du Gouvernement étaient et sont toujours parfaitement possibles dans la mesure où les deux missions de service public – présence postale territoriale et distribution de la presse – sont considérées par la Commission européenne comme relevant de la compétence des États membres. Une question se pose en outre : pourquoi, depuis cinq ans, refusez-vous systématiquement les propositions d'augmentation des crédits de ces deux missions de service public lors de l'examen des projets de loi de finances, comme celle de notre collègue sénateur Michel Teston, si ce n'est pour mieux assécher La Poste et trouver ainsi une justification à son changement de statut et à l'augmentation de capital que vous appelez de vos voeux ?
Vous allez répondre, je le sais bien, que l'augmentation de capital à laquelle le Gouvernement se propose de procéder est une réponse à ces besoins de fonds propres. Cet apport de capital nous apparaît cependant comme la dot qu'un père donne à sa fille lorsqu'il veut la marier, une manière de rendre la mariée un peu plus jolie et un peu plus attirante.