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Intervention de Jean-Paul Lecoq

Réunion du 16 décembre 2009 à 15h00
Déclaration du gouvernement sur la situation en afghanistan et débat sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, avant toute chose, je veux condamner ici fermement l'expulsion, hier soir, des Afghans renvoyés dans leur pays en guerre. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Ces expulsions indignes font honte à la France et à sa tradition républicaine d'asile. Elles violent le principe de non-refoulement garanti par la convention européenne des droits de l'homme et par la convention de Genève. Elles témoignent du cynisme de ce gouvernement, qui n'hésite pas à mettre en péril, au nom d'une politique du chiffre, la vie d'hommes qui ont fui un pays en guerre. Les députés communistes, républicains et du Parti de gauche demandent donc l'arrêt immédiat de toute expulsion vers l'Afghanistan, plongé dans le chaos. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Huit ans après le début de la guerre, la coalition internationale est incontestablement en situation d'échec, de l'aveu même du commandant des forces internationales, Stanley McChrystal, qui est allé jusqu'à ajouter : « Soit on met 450 000 hommes à disposition, soit on s'en va ! » En effet, la stratégie menée en Afghanistan s'est révélée à la fois inefficace, contre-productive et inconséquente.

Le constat est accablant : la situation s'est globalement détériorée, l'insurrection à laquelle la coalition est confrontée résiste et s'accroît. Au terme de huit années d'occupation militaire, les victimes civiles se comptent par milliers et le quotidien est synonyme d'insécurité pour les citoyens afghans. L'Afghanistan constitue toujours un foyer de violence ; loin d'être anéantis, les talibans ont renforcé leur capacité de résistance et les forces militaires présentes sur place, y compris les forces françaises, s'épuisent à les poursuivre.

Les bombardements aériens tuant civils, femmes et enfants, que les militaires préfèrent habiller sous le vocable plus technique de « dommages collatéraux », se multiplient. On ne compte plus les mariages et les fêtes écrasés sous les bombes pour avoir été confondus avec des regroupements de talibans. La plupart des victimes civiles sont le fait de la coalition, de leurs frappes ponctuelles d'appui des troupes au sol ou de bombardements décidés lors d'opérations d'urgence. Ces tueries à répétition dressent la population contre l'occupation du pays et donnent à cette guerre des relents néocoloniaux.

Les principales manifestations du modèle occidental sur le sol afghan sont morbides : occupation par une armée ultramoderne, synonyme de mort et de destruction ; accroissement des tensions et de l'insécurité. D'après les Nations unies, 2118 civils ont été tués dans des violences en Afghanistan en 2008, année la plus meurtrière pour la population afghane depuis le renversement des talibans, en 2001.

Dans ce contexte militaire et sécuritaire, la reconstruction de la société afghane semble reléguée au second plan et les populations paraissent abandonnées à leur sort tragique. Les ONG alertent sur la situation humanitaire. Dans son rapport de 2009, l'UNICEF déplore que plus de 40 % du pays soit inaccessible aux agents humanitaires. Elle relève que plus de 150 000 personnes sont déplacées à l'intérieur du pays et plus de onze millions affectées par la sécheresse et le prix élevé des denrées alimentaires. Elle ajoute que le pays a régulièrement connu en 2008 des inondations, des flambées de maladies diverses et des déplacements forcés de population. Elle note également qu'en dépit d'une diminution de la mortalité des enfants de moins de cinq ans, les services de santé n'atteignent toujours pas les populations marginalisées et celles qui vivent dans des zones isolées et difficiles d'accès. Le 16 octobre 2009, seize ONG oeuvrant sur place et plusieurs organisations de la société civile, afghanes et internationales, ont demandé d'urgence des améliorations dans les secteurs de la santé, de l'éducation et des droits de l'homme.

Outre ce désastre humanitaire, l'économie de la drogue est plus que jamais florissante. Deux rapports récents de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime mettent en lumière les effets corrosifs de la drogue sur l'ensemble de la société afghane et indiquent que « si le fait de contrôler la drogue ne résoudra pas tous les problèmes du pays, les problèmes du pays ne peuvent être résolus sans contrôler la drogue ».

Les chiffres sont édifiants : 90 % de l'opium mondial vient d'Afghanistan. Chaque année, 900 tonnes d'opium et 375 tonnes d'héroïne sortent clandestinement de ce pays. La corruption, le non-respect des lois et l'absence de contrôle aux frontières, à l'origine de tant de problèmes, font que seuls 2 % des opiacés produits sont interceptés. L'économie de la drogue génère une manne financière qui se révèle un puissant outil de corruption.

Ce même rapport indique que 60 % des parlementaires afghans sont liés à des personnes ayant un intérêt dans le trafic d'opium – chefs de guerre, trafiquants ou personnes assurant leur protection. Les représentants de l'État afghan, encore embryonnaire – policiers, magistrats, gouverneurs – sont, selon l'ONU, souvent corrompus par les trafiquants pour faciliter le transport de la drogue et bloquer toute éradication. L'élite nationale en place reste donc rongée par cette corruption qui gangrène l'État afghan dans son ensemble jusqu'au plus haut niveau.

Dans ce contexte, la question de la stabilité des institutions afghanes est posée. Elle est même devenue d'une acuité toute particulière après que les résultats des élections présidentielles ont abouti à une impasse.

À cet égard, je tiens à rappeler les propos qu'a tenus le Président Sarkozy devant la conférence des ambassadeurs, le 26 août 2009, au sujet des élections présidentielles en Afghanistan : « La campagne électorale s'est bien déroulée », a-t-il affirmé, sans dire un mot des graves irrégularités qui ont entaché le premier tour de scrutin. Ce silence sur le trucage des élections renvoie à celui qui a entouré les révélations de la presse américaine sur l'usage de la torture par les États-Unis dans des camps de prisonniers en Afghanistan. Ce silence en dit long. Il montre que, contrairement à ce qu'affirme le Président, nous ne pesons pas grand-chose et que seuls les États-Unis définissent leur stratégie et celle de l'OTAN en Afghanistan. Le retour de la France dans les structures militaires de l'OTAN n'a rien changé. Le monde entier n'a pas à suivre un seul pays dans cette fuite en avant.

Les soldats français, si courageux soient-ils – j'ai eu l'occasion de les rencontrer sur place et je sais que leur comportement à l'égard des populations et le sérieux de leur attitude sont salués par les observateurs –, sont engagés dans une impasse au péril de leur vie. Une question se pose, voire s'impose : pour qui et pour quoi combattent-ils ? Il s'agit d'une question simple face à laquelle le chef de l'État reste confus, évasif, se contentant de répondre à coup d'arguments d'autorité.

L'objectif initial de cette guerre était la capture de Ben Laden et des leaders d'Al-Qaïda. Où en sommes-nous aujourd'hui ? L'objectif est-il resté le même ? Ben Laden est-il toujours recherché ? La décision de rester « aussi longtemps qu'il sera nécessaire » ne s'approche en rien de la définition d'un objectif précis justifiant la présence française en Afghanistan.

La raison de la présence française échappe, vous le savez, à bon nombre de nos concitoyens. Le combat contre le terrorisme est une question de principe, que nul ne discute, mais il faut se poser la question de l'efficacité de ce combat.

Cette lutte ne peut se résumer à l'occupation militaire de l'Afghanistan. Il est grand temps d'organiser une sortie de crise. Nous demandons le retrait des forces de l'OTAN d'Afghanistan, messieurs les ministres. Vous avez vous bien entendu : nous demandons le retrait des forces de l'OTAN d'Afghanistan.

L'OTAN n'est pas la solution, elle fait partie du problème. On ne peut rester dans cette impasse. La France et ses partenaires européens devraient faire preuve non seulement de lucidité, mais surtout d'indépendance, en refusant de contribuer à ce désastre sécuritaire, politique et humain.

Un changement profond de stratégie doit être adopté afin de donner la priorité à un processus politique de résolution de cette crise. Il devra nécessairement favoriser un consensus régional et avoir pour axe prioritaire le développement du pays et la coopération.

Pour cela, il faut faire jouer aux Nations unies un rôle beaucoup plus important. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons que la France, en sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité, prenne 1'initiative de proposer 1'organisation d'une conférence internationale, sous l'égide de l'ONU, pour définir précisément les conditions d'une paix négociée et durable en Afghanistan, prenant en compte toute la diversité des différentes composantes du peuple afghan. Cette conférence devrait, bien sûr, réunir des voisins immédiats comme l'Iran et, bien évidemment, le Pakistan, car les effets de cette guerre sont très déstabilisants pour ce pays. Il faudra aussi y associer l'Inde, la Chine, la Russie, la Turquie et d'autres pays.

Dans ce cadre, nous demandons la définition d'un nouveau mandat de l'ONU, un mandat clair centré sur les conditions de la paix, la reconstruction et le développement de ce pays. Et nous verrons bien si ceux qui dilapident aujourd'hui des milliards pour la guerre seront prêts à consacrer à la paix les mêmes sommes pendant autant d'années. L'application de ce mandat devrait être confiée à des forces internationales, sous le drapeau des Nations unies. Il est grand temps de sortir de l'impasse tragique à laquelle a conduit cette guerre.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, je vais utiliser les trente secondes qui me restent pour saluer le courage d'une grande dame aujourd'hui déportée, dont le seul crime est d'avoir respecté les résolutions des Nations unies en indiquant le nom de son pays sur sa carte de débarquement alors qu'elle rentrait des États- unis où elle a reçu un prix récompensant son combat pacifique pour le respect du droit international. Elle s'appelle Aminatou Haidar et son pays, le Sahara occidental, est actuellement occupé par le Maroc. Allez-vous la laisser mourir de sa grève de la faim à l'aéroport de Lanzarote ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

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