Et qu'est-ce qui succède à cette guerre ? Une guerre civile : Pachtounes contre Tadjiks, mais aussi extrémistes contre modérés.
On l'oublie trop souvent, à la fin des années quatre-vingt, les extrémistes ont chassé les Occidentaux qui étaient venus au secours du pays occupé. Ils ont aussi assassiné des leurs, les meilleurs des fils du « royaume de l'insolence ».
Au nom de quoi ? Au nom de la résistance nationale ? Non ! Ce mouvement était largement commandé de l'extérieur. Les Soviétiques étaient partis mais l'Afghanistan n'avait pas recouvré son indépendance.
Les voisins plus puissants se sont précipités pour mieux l'affaiblir et pour mieux triompher de l'URSS. Le Pakistan, aidé par des pays divers, dont vous connaissez la liste, a utilisé l'extrémisme religieux comme une arme, le peuple afghan comme un moyen.
Qu'ont fait les talibans ? Ils ont détruit tout ce qu'il y a d'original, de singulier, de grand, dans la culture afghane. Ils ont détruit la mémoire, qui donne une âme aux textes sacrés. Ils ont détruit la poésie, qui est le creuset des nations. Je n'ai pas oublié l'assassinat de Sayd Bahodine Majrouh, poète et philosophe de l'université de Kaboul.
Les talibans ont utilisé l'ignorance, l'humiliation, la misère, pour rallier à leur cause une partie de la population – l'une des populations les plus pauvres du monde – et son ardeur guerrière. Ils ont utilisé les rivalités ethniques pour faire éclater le pays et mieux le courber sous leur joug. Ils ont acheté l'allégeance des chefs à coups de corruption et de pavot.
Et nous, qu'avons-nous fait ? Nous avons détourné les yeux. Nous avons abandonné les Afghans à leur sort. Nous avons laissé Al Qaida installer ses bases. Il a fallu l'explosion des Bouddhas de Bâmiyân pour mieux émouvoir l'Occident. Pendant que les démocraties sommeillent, leurs adversaires ne perdent pas de temps.
Rappelons-nous le 11 septembre 2001 : l'Afghanistan se signale sinistrement au souvenir du monde. La communauté internationale accourt. Elle pourchasse Ben Laden, elle chasse les talibans. Mais comment reconstruire le pays ?
Rappelons-nous 2003 : la guerre en Irak, les amalgames, les réfugiés encore. L'attention à nouveau se détourne. Les talibans ne sont pas loin. Souvent, ils ont seulement passé la frontière pakistanaise. Et une partie de la population afghane est prête à se laisser séduire, à nouveau. Les causes sont toujours là, qui produisent les mêmes effets.
Disons-le franchement : des erreurs ont été commises. Nous avons perdu du temps. Nous avons perdu du terrain. Certains ont perdu confiance.
Depuis 2007, la France n'a pas ménagé ses efforts pour tirer les leçons de l'histoire, changer de stratégie, et convaincre ses alliés de la suivre, notamment au sommet de Bucarest, au printemps 2008. Notre stratégie, quelle est-elle ? Elle tient en trois mots : régionalisation, afghanisation, réconciliation.
Le drame de l'Afghanistan ne trouvera de solution qu'à l'échelle régionale. Comment voulez-vous que le pays se relève si les frontières sont des passoires et laissent prospérer les trafics en tous genres, et d'abord le trafic de la drogue ?
Ce problème, on ne peut le résoudre qu'avec les pays frontaliers. C'est nous qui avons mis l'accent sur la nécessité de les inviter autour de la table. C'est nous qui avons organisé la première conférence régionale, à La Celle-Saint-Cloud, en décembre 2008.
Je veux insister sur ce point : nous travaillons avec tous les pays de la région. Le combat que nous menons en Afghanistan n'est pas un combat de l'OTAN contre les autres. Ce n'est pas un combat de l'Occident contre les autres. L'Inde, la Chine, la Russie, approuvent ce que nous faisons. Nous parlons avec elles. Nous avons un intérêt commun à la stabilité de la région, avec tous les pays d'Asie centrale.
Notre intérêt, c'est que l'Afghanistan soit assez fort, assez prospère, assez confiant pour ne pas ouvrir les bras aux forces fanatiques qui veulent le détruire à grands coups d'ignorance et de peur.
Nous aurons gagné quand les djihadistes seront rejetés par les Afghans eux-mêmes à l'intérieur, et qu'ils ne trouveront plus d'appuis à l'extérieur. Nous aurons gagné lorsque Al Qaida n'aura plus de base. Déjà ses bases s'amenuisent et perdent en puissance.
Tout ce que nous pourrons faire, nous devrons le faire avec les Afghans. Nous devons leur confier aussi vite que possible, et dans les meilleures conditions, la responsabilité de leur pays. Cette stratégie, nous l'avons proposée à nos partenaires lors de la conférence de Paris en juin 2008.
Nous l'avons mise en oeuvre dans les secteurs géographiques où nous sommes engagés. Dans la vallée d'Alassaï, en Kapissa, en Surobi, nous avons accéléré la formation des forces de sécurité afghanes. Nous avons déployé, aux côtés de la population, des gendarmes français.
Nous avons fait passer notre aide civile de 15 à 40 millions d'euros par an. Nous avons fourni l'argent, mais nous avons confié la responsabilité des projets aux Afghans. C'est cela, l'afghanisation. Nous savons que nous sommes sur la bonne voie, et nous le saurons encore mieux quand les Afghans nous diront : « Ne partez pas encore. Les projets que vous nous avez aidés à mettre en oeuvre sont plus utiles pour nous. Restez, et offrez-nous-en d'autres. »
Voilà tout le problème : que proposons-nous ? et que proposent les talibans ? Cela fait quarante ans que l'Afghanistan ne connaît que famine, coups d'État, guerre civile, soldats en armes qui passent et qui ne parlent pas. Quel avenir offrons-nous ?
Les talibans offrent 300 dollars par mois pour combattre, et les soldats afghans n'en gagnent que 70. On dit qu'un fonctionnaire local afghan en touche, lui, dix fois moins. C'est peu pour nourrir une famille. Comment s'étonner, ensuite, que la corruption fasse des ravages ? La même règle vaut partout : pour pacifier, il faut apaiser. Pour apaiser, il faut satisfaire.
Nous devons faire ce que les talibans ne font pas. Les talibans ne construisent pas de routes. Ils ont détruit l'État, ils ont détruit l'administration. Ils ont détruit le système de santé, qui était déjà faible.
Ils ont construit le premier monstre politique du XXe siècle, le totalitarisme le plus pervers, le plus difficile à combattre, celui qui dissout les moyens de l'État : l'idéologie de l'extrême sans le secours de l'administration.
La République, chez nous, s'est construite en même temps que les routes, les ponts et les chemins de fer. Elle s'est construite en même temps que notre agriculture. Cette vérité est une vérité de partout.
On la trouve sous la plume du fondateur de l'Afghanistan moderne, l'Émir de fer, Abdur Rahman : le jour où il y aura des voies de communication, il y aura aussi une armée ; le jour où il y aura une agriculture, il y aura une nation.
Et j'ajoute : le jour où il y aura une nation retrouvée, une nation réconciliée, il y aura un rempart contre l'extrémisme !
Pour se construire, une nation a besoin de sa jeunesse et d'une jeunesse éduquée. La France a un rôle à jouer. Elle accueille déjà de jeunes Afghans dans ses universités. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)