La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
La parole est à M. Maxime Gremetz (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP), pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Monsieur le Premier ministre, la crise dont vous taisez le nom est bien celle du système capitaliste, celle des politiques ultralibérales menées par les gouvernements et soutenues par les patronats de divers pays au profit des multinationales industrielles et financières ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Cette situation dramatique frappe les salariés et les couches populaires de plein fouet, à tel point que trois jeunes Français sur quatre ont perdu confiance en l'avenir.
Et vous laissez faire ! Mieux : vous encouragez les vrais responsables à poursuivre, avec des plans de licenciements et des délocalisations, la casse de notre potentiel économique, technologique et de recherche, pour le seul profit des actionnaires.
Ainsi, en Picardie, 28 grands groupes multinationaux parmi lesquels Continental, Valeo, Goodyear, Arcelor Mittal, Tereos, Saint-Gobain Desjonquères ou encore Whirlpool, pour ne citer qu'eux, ont procédé à la suppression de 6 000 emplois sans que vous ayez un seul geste pour défendre ni l'emploi, ni notre outil industriel, ni le pouvoir d'achat. Dans ces groupes, les profits permettent pourtant d'augmenter les dividendes des actionnaires de 5,4 milliards d'euros. Dans le même temps, 14 000 salariés ont perdu entre 15 % et 30 % de leur salaire. Et malheureusement, il en est de même partout en France !
Le scandale de Total, qui annonce plus de 500 licenciements alors qu'il a réalisé 14 milliards de profits, montre qu'il faut nationaliser cette entreprise et instaurer une nouvelle gouvernance démocratique au sein des entreprises qui recourent à de telles pratiques. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.) Qu'attendez-vous pour le faire et quelles mesures exceptionnelles comptez-vous prendre ?
Le 19 mars prochain…
C'est terminé, monsieur Gremetz.
La parole est à M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation.
Monsieur le député, face à la crise sans précédent que nous traversons, le devoir du Gouvernement est d'abord d'être lucide et conscient de la gravité de la situation, mais aussi de garder son sang-froid (Rires sur plusieurs bancs du groupe SRC) et de faire preuve de réactivité afin de mettre en oeuvre une riposte à la hauteur de la situation. C'est ce à quoi s'emploie le gouvernement de François Fillon.
Face à cette crise, nous devons prendre des mesures structurelles pour notre industrie.
Vous avez cité un certain nombre d'entreprises situées en Picardie qui connaissent des difficultés…
La suppression de la taxe professionnelle et le renforcement du crédit d'impôt recherche sont de bonnes mesures pour les usines de l'industrie picarde qui souffrent actuellement. Par ailleurs, il faut aider ces entreprises à traverser au mieux la crise, qui se traduit par une chute considérable de la demande.
C'est ce que nous faisons sur les bassins les plus en difficulté, avec le contrat de transition professionnelle et l'élargissement des dispositions en faveur des salariés en chômage partiel, afin de traverser la crise au mieux et de tenter, coûte que coûte, de maintenir les capacités de l'outil de production.
Enfin, il faut apporter une réponse appropriée aux secteurs les plus fragiles : je pense notamment au pacte automobile, qui va constituer une réponse pour un certain nombre d'entreprises de Picardie. J'étais dans le Nord - Pas-de-Calais au début de la semaine : en ce qui concerne le textile et la vente à distance, nous aurons également des réponses spécifiques à apporter. (« Total, Total ! » sur les bancs du groupe SRC.)
Enfin, monsieur Gremetz, je veux vous dire que le Gouvernement travaille de manière structurelle, dans le cadre du G20, à une refondation du capitalisme à laquelle il me semble que vous pourriez souscrire. Réfléchir à la façon de changer les choses et travailler sur le partage de la valeur, telle est la voie sur laquelle nous nous sommes engagés face à cette crise sans précédent. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Thierry Mariani, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Madame la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, la France a obtenu hier le droit d'abaisser son taux de TVA dans la restauration (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP) dans le cadre d'un compromis fiscal avec ses partenaires de l'Union européenne. Cet accord marque l'aboutissement de plusieurs années de tractations difficiles avec nos partenaires. Mme Aubry l'avait demandé, M. Fabius l'avait refusé : madame Lagarde, vous avez obtenu ce que tant d'autres avant vous auraient aimé obtenir.
Cette décision est une décision de principe qui consacre le droit de chaque pays à accorder un taux réduit de TVA à certains secteurs, dont la restauration. Ce taux réduit, non décidé à Bruxelles, sera fixé par chaque pays.
Président du groupe d'études des métiers de l'hôtellerie, de la restauration et des loisirs, je me réjouis, au nom de tous les députés UMP, de cet accord que nous avons tant espéré et tant voulu.
Nous connaissons tous des restaurateurs, des cafetiers, ainsi que leurs salariés. Nous connaissons leurs salaires, leurs difficultés à l'embauche, leurs conditions difficiles de travail. C'est pourquoi cette mesure doit permettre à la fois la création de nombreux emplois dans un secteur sujet à la crise et la relance du pouvoir d'achat. Elle doit constituer un choc. Aussi les professionnels de la restauration souhaitent-ils voir ce taux abaissé à 5,5 %. Il ne saurait en être autrement. La demi-mesure n'a pas sa place en temps de crise. Il ne s'agit pas, madame la ministre, de remplacer le pansement par un autre, mais bien de guérir le malade.
Cette disposition, promise par beaucoup autant à gauche qu'à droite, est enfin obtenue grâce à ce gouvernement et à Nicolas Sarkozy : le combat pour une baisse de la TVA est en passe d'être enfin gagné. Ne perdons pas la bataille si près du but. C'est pourquoi je vous demande de nous en dire un peu plus sur les intentions du Gouvernement et de rassurer la profession. Cet accord doit déboucher sur une véritable révolution dans les restaurants et cafés, porteurs et garants de notre gastronomie si réputée de par le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.
Monsieur Roy, vous avez été absent pendant plusieurs séances de questions. Votre retour ne doit pas être l'occasion de semer à nouveau le désordre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Vous avez la parole, madame la ministre.
Monsieur Mariani, en qualité de président du groupe d'études des métiers de l'hôtellerie, de la restauration et des loisirs, vous connaissez bien le secteur de la restauration et les questions de TVA. En la matière, la France mène depuis 2002 un combat. C'était une promesse du précédent Président de la République, elle a été assumée par le candidat à la présidence, elle est tenue par le Président Sarkozy aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Je crois que nous pouvons nous en féliciter.
Ce secteur de notre économie est considérable puisqu'il rassemble 180 000 entreprises et plus de 800 000 salariés. Il était donc important de rétablir l'égalité entre les pays de l'Union européenne : onze membres bénéficiaient de la TVA à taux réduit alors que ce n'était pas le cas pour les seize autres.
Hier, nous avons obtenu l'extension, au-delà du 31 décembre 2010, de la possibilité d'appliquer la TVA à taux réduit dans les secteurs à forte intensité de main-d'oeuvre, notamment pour les travaux dans les logements, et la possibilité, pour tous les États de l'Union européenne, de baisser la TVA dans la restauration.
Le Président de la République a réuni, ce matin, l'ensemble des représentants de la profession, en présence d'Hervé Novelli et de moi-même. Nous sommes convenus de la méthode et des principes.
La méthode est simple : la concertation sur les contreparties en matière d'emploi, de prix et de salaires. Il est important que ce soit du donnant-donnant, du gagnant-gagnant. Les représentants de la profession l'ont dit : donnant-donnant, gagnant-gagnant.
C'est également l'application d'un principe selon lequel la parole donnée est une parole tenue : nous l'avons démontré hier. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme George Pau-Langevin, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Monsieur le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, aujourd'hui sort sur nos écrans un très beau film intitulé Welcome, dans lequel Vincent Lindon incarne un maître nageur de Calais touché par la situation d'un jeune migrant irakien.
Environ 1 500 migrants afghans ou érythréens, par les effets conjugués du règlement de Dublin et des fermetures de frontières errent durant des semaines, voire des mois, sur la côte d'Opale ou à Paris dans des conditions déplorables, ce que dénoncent des associations comme la Coordination française pour le droit d'asile ou France terre d'asile, ainsi que nos collègues de la région, M. Cocquempot et Mme Duriez.
Avec la mission parlementaire sur les centres de rétention, nous avons mesuré à Coquelles l'inefficacité des politiques menées : des arrestations sont effectuées en nombre, l'asile ou les régularisations sont refusés, les décisions de reconduite à la frontière ont vu leur nombre augmenter mais demeurent le plus souvent inappliquées car la situation dans les pays d'origine interdit à la France d'exposer ces personnes à des traitements inhumains ou dégradants. Faute de prise en charge adaptée, ils survivent misérablement dans « la jungle du Calaisis », grâce aux secours que leur apportent les associations et les habitants.
Or, l'article L.622-1 du CESEDA punit de cinq ans de prison toute personne qui aura apporté une aide à la circulation irrégulière d'un étranger en France. Nombre de membres de familles ou d'élus sont menacés de poursuites ou condamnés sur ce fondement. Monsieur le ministre, vous avez dit que cet article ne s'appliquait qu'aux passeurs et trafiquants, ce qui est faux. Vous proposez la régularisation sur délation, ce qui n'est pas admissible.
Avec mes collègues Daniel Goldberg et Catherine Coutelle, nous allons déposer prochainement une proposition de loi pour restreindre cette disposition à l'aide apportée dans un but lucratif.
Compte tenu de vos idéaux précédents, si vous n'étiez pas au Gouvernement, vous dénonceriez aussi ces situations dramatiques et la pénalisation d'hommes et femmes de bonne volonté. Qu'allez-vous faire pour suspendre l'application de l'art L. 622-1 du CESEDA ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Éric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Merci, madame la députée, pour votre question qui va me permettre de rappeler un certain nombre de principes fondamentaux.
Pourquoi la situation est-elle difficile à Calais ? Tout simplement parce que ces réfugiés afghans, irakiens, érythréens, somaliens, tous anglophones, ne veulent pas rester sur notre territoire et cherchent, coûte que coûte, à rejoindre l'Angleterre. Ils « stagnent » donc, si j'ose dire, près de Calais, pour tenter de gagner ce pays. Cela signifie, et vous le savez, qu'ils refusent de demander l'asile à la France. Or certains pourraient le faire, et 80 % des Irakiens qui demandent ce droit l'obtiennent. Ils refusent aussi l'hébergement que nous leur proposons, librement, à quelques kilomètres de Calais, dans un centre d'accueil, parce qu'ils veulent rester à proximité de cette ville.
Welcome est un film émouvant et Vincent Lindon joue bien. Mais si c'était un documentaire, je dirais qu'il est truffé d'invraisemblances,…
… notamment sur un point : la police française traque les passeurs et les filières clandestines ; elle ne traque pas les particuliers et ne s'en prend pas aux migrants.
Telle est la réalité mais, malheureusement, le film ne la montre pas. (Protestations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
L'article L. 622-1 du code d'entrée et de séjour des étrangers en France a permis de démanteler à peu près 4 000 filières d'immigration clandestines. En soixante-cinq ans, seules deux condamnations, avec dispense de peine – c'est très rare – sont intervenues. La France n' a donc pas…
Madame la secrétaire d'État chargée de la solidarité, le projet de loi sur la réforme hospitalière qui vient d'être débattu à l'Assemblée nationale comporte un volet dont on a peu parlé mais qui a suscité de vives inquiétudes parmi les associations de personnes handicapées, les associations de personnes âgées et les gestionnaires des établissements qui les accueillent : je veux parler de la réforme du secteur médico-social.
Vous avez, à juste titre, réuni dans les agences régionales de santé le secteur sanitaire et le secteur médico-social. Cependant, les acteurs associatifs s'interrogent sur le maintien de leur spécificité au sein de ce nouveau dispositif. Le monde du handicap a en effet sa culture et ses méthodes propres, et les grandes associations sont inquiètes sur l'avenir de la concertation, de la représentation des usagers et de la promotion de l'innovation. Elles craignent l'abandon des pratiques qu'elles avaient promues au sein du dispositif actuel.
Il s'agit d'un secteur important pour l'équilibre de notre société. Pouvez-vous nous assurer que le fonctionnement de ces nouvelles ARS saura le préserver ?
La parole est à Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité.
Monsieur Lachaud, vous relayez les inquiétudes des grands acteurs du secteur médico-social, et plus particulièrement du secteur du handicap, devant la création des agences régionales de santé.
Le Gouvernement a bien entendu ces inquiétudes et je tiens à vous rassurer : les acteurs du médico-social ont tout à gagner à cette réforme, et ce pour trois raisons.
D'abord, parce que la place des usagers – essentielle – sera, grâce à la réforme, garantie dans toutes les instances de cette nouvelle agence régionale de santé, qu'il s'agisse du conseil de surveillance, des conférences régionales de santé et de l'autonomie, des commissions spécialisées ou des commissions d'appel à projets, qui délivreront les autorisations de création d'établissement.
Ensuite, parce que la nouvelle procédure d'appel à projets est plus simple, avec l'octroi immédiat de l'autorisation et du financement aux projets répondant le mieux aux besoins. Elle fera une place particulière aux projets innovants et permettra aux acteurs de terrain de faire remonter les initiatives les plus intéressantes, celles qui font la spécificité du secteur médico-social et constituent sa richesse.
Enfin, parce qu'un mécanisme original a été conçu pour garantir au secteur médico-social un financement pérenne. Ce mécanisme a été voté hier soir par votre assemblée à l'unanimité. Il garantit que les financements du secteur médico-social seront bien utilisés à destination des plus fragiles.
Monsieur le député, les mesures que votre assemblée à adoptées la nuit dernière sont propres à rassurer définitivement le monde associatif sur la réforme des agences régionales de santé, qui va faciliter et accélérer la création de nouveaux établissements, au service de nos concitoyens, qui pourront en bénéficier rapidement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Bernard Cazeneuve, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Ce soir, le Président de la République annoncera le retour de la France dans l'ensemble des structures de l'OTAN. Cette décision intervient une semaine avant que le Parlement n'ait à connaître de cette question au fond, ce qui témoigne de la considération dans laquelle la représentation nationale est tenue. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Le Gouvernement présente cette décision comme un ajustement technique, aboutissement d'une longue marche de la France vers l'OTAN. Dans ce cas, pourquoi entend-il engager sa responsabilité sur une question aussi anodine ?
Par ailleurs, nous nous posons la question de savoir si cette décision ne remettra pas en cause la possibilité pour la France de porter dans le concert des nations occidentales une parole singulière, un discours que beaucoup de peuples et de continents avaient appris à aimer d'elle.
Nous nous inquiétons aussi de la capacité d'autonomie de la France, lorsqu'il s'agira de prendre d'importantes décisions stratégiques sur tel ou tel théâtre d'opérations.
Enfin – et c'est le plus grave – cette réintégration n'est-elle pas le signe que la France a renoncé à construire hors du cadre de l'OTAN l'Europe de la défense ? De ce point de vue, malgré les efforts qui ont pu être faits ici ou là, vous conviendrez, monsieur le Premier ministre, que le bilan de la présidence française de l'Union européenne en matière d'Europe de la défense est extrêmement faible.
Dans ces circonstances, ma question est la suivante : allez-vous faire vibrer la part de gaullisme authentique qui demeure en vous et vraisemblablement sur les bancs de cet hémicycle pour conduire le Président de la République à renoncer à s'engager sur cette pente funeste ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur Bernard Cazeneuve, vous demandiez au Premier ministre si une part de gaullisme vibrait encore en lui ; pour ce qui me concerne, la réponse est oui.
Vos questions sont légitimes et je tenterai d'y répondre.
D'abord, je ne pense pas que, ce soir, le Président de la République annoncera quoi que ce soit. Il attendra, j'en suis persuadé, notre débat, auquel il se contentera peut-être d'apporter un éclairage personnel.
Vous craignez ensuite que la sécurité et l'indépendance de notre territoire, ainsi que la construction européenne, ne soient compromises par cette décision, alors qu'elle n'est jamais, vous l'avez dit, que l'aboutissement logique d'un processus de rapprochement opéré depuis des années. Elle se limite à un bureau, celui qui est chargé des plans stratégiques. Cela signifie que, désormais, si cette décision est prise, nous aurons la possibilité de travailler à l'écriture des scénarios qui nous engagent plutôt que de participer à toutes les opérations sans en rien savoir, comme c'est le cas aujourd'hui. Non seulement cela préservera notre sécurité, mais elle s'en trouvera améliorée.
Si le Premier ministre engage la responsabilité du Gouvernement, c'est qu'il s'agit, avec l'OTAN, d'un des fondements de notre politique extérieure.
Enfin, notre indépendance de décision ne sera en rien affectée. Nous l'avons prouvé ne serait-ce qu'à Bucarest, en refusant d'accepter que la Géorgie et l'Ukraine intègrent l'OTAN. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Patrice Calméjane, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Hier matin, à dix heures trente, une bande de jeunes est entrée par effraction dans les locaux du lycée Jean-Baptiste Clément à Gagny, dans ma circonscription, en Seine-Saint-Denis. Ils étaient cagoulés et armés de barres de fer et de couteaux.
Ils ont pénétré dans une salle de permanence où ils ont cassé du mobilier, mais aussi – et cela est beaucoup plus grave – tabassé des élèves et blessé une surveillante. Quatre personnes ont été hospitalisées, douze blessées, beaucoup choquées. Ces actes sont inqualifiables par leur violence et par leur objet.
Monsieur le ministre de l'éducation nationale, nous avons rencontré, mardi après-midi, l'ensemble de la communauté scolaire de l'établissement, à laquelle je souhaite rendre hommage pour son sang-froid ; je pense notamment à Mme Manciaux, la proviseure du lycée.
Pouvez-vous, monsieur le ministre, informer la représentation nationale des suites de ces événements et des mesures que vous comptez prendre en coordination avec vos collègues de la justice et de l'intérieur afin d'éviter que ce genre d'actes ne se reproduisent et pour que l'école de la République reste un lieu de paix et d'éducation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur Calméjane, je me suis rendu hier à Gagny après cette inqualifiable agression ; avec vous, nous avons constaté que se sont produits hier, dans l'école de la République, des faits qui relèvent de la délinquance : une bande armée qui fait irruption dans un établissement, qui en force l'entrée et qui agresse violemment des élèves et des maîtres.
Rien ne nous fera accepter de telles violences dans nos établissements ; ils seront protégés !
Je veux rendre hommage à la communauté éducative de Gagny, qui a bien réagi, et a organisé ce matin même une rencontre avec tous les élèves pour les aider à réfléchir aux conséquences de ces événements.
Nous avons aussi décidé, en accord avec M. le Premier Ministre, que le préfet et le recteur pourront prendre des décisions concernant les abords de cet établissement.
Enfin, le Président de la République recevra ce soir, à dix-neuf heures, les représentants de la communauté éducative de Gagny (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) afin que nous puissions avec eux tracer des pistes et imaginer des solutions – tout simplement parce que nous manifesterons une fois encore que rien ne viendra semer le non-droit et la violence dans les établissements scolaires français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Hier, 10 mars, nombreux étaient ceux qui, à Dharamsala, Paris ou ailleurs, se sont rassemblés pour commémorer le cinquantième anniversaire du soulèvement tibétain de 1959, dont l'échec avait alors contraint le Dalaï Lama à l'exil en Inde. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC ainsi que sur quelques bancs des groupes SRC et GDR.)
Souvenons-nous qu'en 1951 la Chine populaire prenait par les armes le contrôle d'un Tibet libre et reconnu souverain par l'ensemble de la communauté internationale.
Il y a un an seulement, à la veille d'accueillir à Pékin les Jeux Olympiques, le Gouvernement chinois choisissait à nouveau de répondre par une extrême violence aux pacifiques revendications du peuple tibétain.
Depuis 1959, le Dalaï Lama n'a eu de cesse de mener, d'une manière exemplaire, un combat non violent, juste et légitime, revendiquant simplement pour son peuple le droit de vivre pleinement et librement son identité tant culturelle que spirituelle.
Pour sa part, la France s'honore, au nom des valeurs qu'elle incarne sur la scène internationale, d'entendre et de reconnaître le message inlassablement porté par le Dalaï Lama, qui ne revendique pas l'indépendance pour le Tibet mais seulement une plus large autonomie au sein de la République populaire de Chine.
Malgré les tentatives d'humiliation de la France par la Chine, il nous revient à tous, mes chers collègues, de saluer la courageuse décision du Président de la République de rencontrer en décembre dernier le Dalaï Lama, car elle a une nouvelle fois montré l'écoute et la reconnaissance par la France du message de liberté pour le peuple tibétain.
Au lendemain de ces commémorations, ma question, à laquelle j'associe François Rochebloine, le président Lionnel Luca et les 180 membres du groupe France-Tibet, sera simple. Quelle sera l'action concrète de la France en faveur de la reconnaissance des droits du peuple tibétain et comment le Gouvernement peut-il oeuvrer à la reprise effective du nécessaire dialogue entre les représentants du Dalaï Lama et le gouvernement chinois ?
La parole est à M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.
Comme vous, monsieur le député, nous avons suivi les événements survenus à Dharamsala et au Tibet même. Ils témoignent d'une certaine tension ; même si, à notre connaissance, il n'y a pas eu d'incidents majeurs, la tension demeure.
Vous avez raison de rappeler que la position de la France est extrêmement claire. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Le général de Gaulle, reconnaissant la Chine, ne l'avait reconnue que dans son intégrité territoriale, si j'ose dire « ne…que ». Jamais nous n'avons soutenu l'indépendance du Tibet, pas plus, vous en convenez, que le Dalaï Lama lui-même. Il faut à chaque fois le rappeler : il demande une autonomie – réelle, dit-il. Celle-ci est d'ailleurs reconnue par la Constitution chinoise puisque le Tibet est une région autonome.
Pour l'heure, le Dalaï Lama revendique une part – réduite, quand on connaît la population – de liberté culturelle et religieuse. C'est tout.
Nous y sommes attentifs, vous l'avez dit ; nous avons en permanence demandé que les négociations continuent. Elles sont arrêtées depuis le mois d'octobre : nous demandons qu'elles reprennent. Nous ne demandons pas autre chose.
Nous avons en France une communauté religieuse tibétaine dont nous devons tenir compte, et nous en tenons compte. Mais nous n'avons jamais agressé ni le peuple chinois, ni la représentation tibétaine, ni le peuple tibétain, ni le Gouvernement chinois. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe NC.)
La parole est à Mme Conchita Lacuey, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Ma question, à laquelle j'associe Jérôme Cahuzac, s'adresse à Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.
Le jeudi 5 mars, lors d'une sortie pédagogique organisée avec ma collaboration, les enseignants et collégiens du collège Jean-Jaurès de Cenon, en Gironde, ont été pris à partie par les forces de l'ordre à la gare Montparnasse.
Ces collégiens, accompagnés par leurs professeurs, revenaient enchantés d'une visite à l'Assemblée nationale, ils s'apprêtaient à rentrer à Bordeaux.
Sur le quai de la gare, une dizaine de collégiens ainsi que les enseignantes ont été bousculés, frappés, et ceci sans aucune explication de la part des fonctionnaires de police.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Scandaleux !
Des certificats médicaux ont été délivrés et plusieurs parents ainsi que les enseignantes ont porté plainte.
Je me suis rendue dans le collège lundi. J'y ai rencontré des enfants, des enseignants et des parents particulièrement choqués et interrogatifs sur les raisons de ces événements qu'ils ne s'expliquent pas et qu'ils trouvent particulièrement violents.
Madame la ministre, vous avez provoqué l'indignation en affirmant dans les médias qu'il s'agissait d'une bousculade et en accusant les enseignants de légèreté pour avoir organisé le retour des jeunes à la gare, lieu que vous considérez comme un lieu « dangereux », mot pour le moins surprenant de la part de la ministre de l'intérieur. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Heureusement, dans le train, un médecin militaire et le contrôleur ont pris en charge les élèves traumatisés, en pleurs, et les enseignantes. Pour certains d'entre eux, ils avaient reçu des coups de matraque et de bouclier pendant cet affrontement et ils essayaient de comprendre pourquoi ils avaient pu vivre de telles violences.
L'émotion est vive. Pouvez-vous nous fournir, madame la ministre, des éléments d'explication ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.
Madame Lacuey, je peux parfaitement comprendre qu'il soit perturbant pour des jeunes et des collégiens de se trouver pris dans un mouvement de foule à l'occasion d'une opération de police. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Je comprends aussi que vous voulez en faire une polémique. (Protestations sur les mêmes bancs.)
Mais je pense que nous sommes là pour rétablir les faits.
Quels sont ces faits ? À la fin d'une manifestation, 200 à 250 manifestants ont envahi des voies de la gare Montparnasse pour continuer à protester. La SNCF, pour garantir la continuité du service public, a requis les forces de police. Quand les manifestants ont vu les forces de police, ils ont quitté les voies précipitamment. Il n'y a eu aucun affrontement à cette occasion, mais un mouvement de foule. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Il se trouve qu'au moment de ce mouvement de foule arrivait le groupe des collégiens. Il est possible qu'il se soit alors trouvé au contact avec les forces qui étaient présentes. J'ai demandé une inspection générale pour que nous ayons une connaissance précise des faits. Voilà la réalité.
De toute façon, madame Lacuey, vous devriez le savoir, tout mouvement de foule induit un danger potentiel, en particulier en présence de jeunes, parce que ceux-ci ne savent pas forcément comment se comporter devant un tel mouvement. (Vives protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Moi qui ai été enseignante pendant des années, j'ai simplement rappelé que, dans des cas comme celui-ci, les adultes qui accompagnent, notamment les enseignants, ont une responsabilité particulière pour encadrer les jeunes et les protéger. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Huées sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Georges Tron, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le ministre des affaires étrangères et européennes, le Président de la République vient d'effectuer un voyage au Mexique dont plusieurs aspects méritent d'être soulignés.
Ce voyage était particulièrement attendu par la France parce que le marché mexicain est un marché très important pour nos PME et nos grandes entreprises. Avec plus de cent millions d'habitants, ce pays est la onzième puissance mondiale sur le plan économique, il est à la recherche d'un partenariat plus important avec la France qui n'est jamais que son quatrième partenaire commercial européen. Le voyage a permis de nouer des contacts et de conclure d'importants contrats – ce point était au coeur du déplacement du Président de la République.
Le Mexique était, de son côté, en attente d'une nouvelle forme de collaboration avec la France. À cet égard, des avancées très importantes ont été obtenues, en particulier sur la préparation du prochain sommet du G20 au début du mois d'avril. Le président mexicain a demandé à la France de bien vouloir faire en sorte que sa voix soit mieux entendue, notamment sur des sujets aussi importants que la restructuration du capitalisme mondial ou la recherche de solutions consensuelles pour combattre le réchauffement climatique.
Et puis, il y avait le dossier de Florence Cassez. Détenue depuis maintenant quatre ans, Florence Cassez a été condamnée deux fois de suite par la justice mexicaine, une première fois à quatre-vingt-dix ans d'emprisonnement, une seconde fois à soixante ans. Aujourd'hui, la justice mexicaine souhaite que le processus aille à son terme. Ce dossier était au coeur des discussions entre le président Sarkozy et le gouvernement mexicain. Pouvez-vous nous apporter des précisions à cet égard, monsieur le ministre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.
Monsieur Tron, il n'y avait pas eu de visite française à ce niveau depuis dix ans dans ce pays immense, dont la capitale, Mexico, est, avec vingt millions d'habitants, la plus grande du monde. Cette visite a permis que des contrats soient signés et qu'une entente politique s'exprime.
Les contrats portent notamment sur la production de vaccins : une usine française s'installera là-bas. Des ventes d'hélicoptères ont été conclues et une usine de fabrication s'installera peut-être. Thales a également signé un contrat avec la ville de Mexico pour améliorer sa sécurité – le Mexique a connu 5 300 crimes l'année dernière.
Sur le plan politique, il faut vraiment s'intéresser à ce qui se passera au G20 à deux niveaux : d'une part, le Mexique est le seul parmi les pays émergents qui ait décidé de suivre les recommandations européennes sur l'énergie et le climat ; d'autre part, une entente devrait intervenir entre le Mexique et la France sur la nécessité d'une régulation financière.
S'agissant de Mme Florence Cassez, je crois nécessaire de vous rappeler que cette Française, qui a été condamnée il y a trois ans et dont l'appel a été entendu deux jours avant notre visite, doit effectuer une peine de soixante ans. Une possibilité de transfèrement existe dans la mesure où le Mexique a signé la convention de 1983, dite convention de Strasbourg.
Le Président de la République française et le Président de la République mexicaine ont décidé de mettre en place une commission juridique qui doit rendre son verdict dans moins de trois semaines. Si Mme Florence Cassez en fait la demande, elle sera transférée en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Armand Jung, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Monsieur le secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services, avec la loi dite de modernisation de l'économie, vous avez instauré un statut de l'auto-entrepreneur dont le caractère dérogatoire et précaire va mettre en péril la première entreprise de France, à savoir les artisans.
Par une application douteuse du slogan « travailler plus pour gagner plus », le Gouvernement veut faire croire que n'importe qui peut, à n'importe quel moment, en conservant son travail de salarié ou sa pension de retraite, devenir son propre employeur sans effort, sans inscription au registre du commerce, sans payer de TVA et sans qualification particulière.
En réalité, vous êtes en train de créer des entrepreneurs low cost, qui pourront se permettre de faire baisser leurs tarifs et de casser les prix grâce à leur statut hybride. Vous encouragez ainsi une concurrence déloyale, tirée vers le bas, au détriment des artisans vertueux, qui paient leurs taxes, forment des apprentis et ont reçu un agrément.
Sous prétexte de lutter contre le travail au noir, vous prenez le risque que soient désormais externalisées certaines tâches qui, au lieu d'être confiées à des salariés, seront dévolues aux auto-entrepreneurs. Ceux-ci vont devenir de faux indépendants. On comprend que certaines sociétés, de portage par exemple, soient intéressées par cette main-d'oeuvre précaire et économiquement dépendante.
Au lieu de favoriser le développement d'activités artisanales à forte compétence professionnelle, vous avez fait le choix d'une économie à bas coût. Vous donnez l'illusion du dynamisme, mais gare aux réveils difficiles pour les artisans que vous fragilisez, pour les consommateurs que vous trompez et pour les auto-entrepreneurs eux-mêmes, qui sortiront du chômage avec une couverture sociale rabotée.
Monsieur le secrétaire d'État, quelles garanties, quels garde-fous comptez-vous mettre en place pour contrecarrer les dérives prévisibles – et d'ores et déjà perceptibles – du statut d'auto-entrepreneur ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services.
Monsieur le député, alors que vous critiquez ce nouveau régime,…
…près de 90 000 auto-entrepreneurs se sont déclarés dans notre pays depuis le 1er janvier. Ce résultat reflète l'aspiration profonde de notre société à l'initiative individuelle. L'an dernier, avant que Mme Lagarde et moi-même ayons mis en place ce statut, près de 327 000 nouvelles entreprises se sont créées en France. C'est un record absolu en matière de créations d'entreprises.
Ne boudons pas notre plaisir lorsque nous voyons les Français se saisir d'une facilité qui leur est donnée de créer leur activité ou de développer une activité complémentaire.
Seuls 15 % des 90 000 auto-entrepreneurs appartiennent aux métiers de l'artisanat. Par ailleurs, ce statut est un puissant moyen de lutte contre le travail au noir, puisque nous avons mis en place dans la loi une incitation à se déclarer. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Enfin, à ceux qui pourraient s'inquiéter, j'indique qu'une mission d'évaluation sera conduite avant la fin de l'année avec des professionnels de l'artisanat. Nous pourrons ainsi évaluer la réalité de vos allégations. Mais je suis convaincu que ce nouveau régime est une chance, un outil supplémentaire dans la panoplie anti-crise que le gouvernement de François Fillon met à la disposition des Français pendant cette période difficile. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. René Couanau, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le ministre de l'éducation nationale, pouvez-vous nous préciser quelles réponses vous pouvez apporter à ceux qui s'inquiètent…
…des modalités de la nouvelle formation des enseignants du premier et du second degré ?
La principale interrogation porte, je crois, sur la formation professionnelle des professeurs des écoles, des collèges et des lycées, désormais confiée entièrement aux universités dans un cursus conduisant au master. Chacun sait – vous le premier – que savoir n'est pas forcément savoir enseigner et que, s'il est indispensable que les maîtres de demain soient armés d'une solide formation universitaire, ils doivent également être préparés aux méthodes de transmission des savoirs et de l'expérimentation. Cette préparation suppose naturellement une connaissance approfondie du public auquel ils s'adressent – enfants, adolescents, jeunes adultes – et de son environnement. Elle doit en outre s'accompagner d'une formation pratique, qui ne peut se réduire à une simple intermittence de stages auprès de pairs plus expérimentés. Pouvez-vous nous assurer que la nouvelle formation intègre toutes ces composantes ?
Cette question ne pouvant être épuisée après un bref échange de deux fois deux minutes, ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, qu'elle mériterait, même s'il s'agit du domaine réglementaire, un débat organisé et approfondi dans notre hémicycle ? Il ne s'agit pas d'un sujet annexe (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et SRC), mais bien de la pierre angulaire de notre système éducatif et de la façon dont seront formées des générations d'écoliers, de collégiens et de lycéens pendant les quarante prochaines années. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le député, je vous remercie de cette question, qui me permettra de vous apporter quelques précisions sur ce que l'on appelle la mastérisation des professeurs, c'est-à-dire le recrutement des professeurs au niveau du master.
Il faut savoir que toute société a intérêt à ce que le niveau de qualification des maîtres progresse. Le fait de recruter des professeurs à bac plus cinq mettra la France dans une situation comparable à celle de tous les pays développés, pour le plus grand intérêt des enseignants.
Par ailleurs, nous voulons rompre avec le système qui a prévalu jusqu'à ce jour, qui pousse un grand nombre d'étudiants à s'inscrire dans ces filières de formation, certains avec très peu de chances d'aboutir, au point que, chaque année, 100 000 d'entre eux s'engagent dans des formations professionnelles sans réussir le concours. (« Et la question ? » sur les bancs du groupe SRC.)
Troisièmement, nous voulons que les étudiants bénéficient d'une formation pragmatique et concrète. Je suis heureux que vous m'ayez posé cette question car j'entends souvent dire que nous aurions instauré la mastérisation pour supprimer les formations pratiques. Il n'en est rien.
D'une part, au cours de l'année de préparation au concours, les étudiants de M2 pourront effectuer des stages rémunérés qui leur permettront de venir travailler dans les établissements avec les professeurs, en liaison avec les formateurs universitaires. Ils pourront ainsi découvrir le métier.
D'autre part, je tiens à le dire devant la représentation nationale : le Premier ministre a décidé que, lorsqu'ils auront été reçus au concours, ils seront pendant un an en situation d'alternance. Ils pourront ainsi continuer à se former tout en enseignant. En conséquence, la formation professionnelle ne disparaît pas, bien au contraire. La mastérisation constitue un progrès indéniable. Je pense que tout le monde en conviendra et je me tiens à la disposition de l'Assemblée nationale pour la présenter en détail quand vous le souhaiterez. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Alain Néri, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Tout d'abord, madame la ministre de l'intérieur, je veux vous dire combien j'ai été consterné par votre réponse à la question concernant les collégiens de Bordeaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC - Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Vous n'avez pas eu un mot de regret.
Madame la ministre, vous venez de créer le droit à la bavure : c'est un véritable scandale ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le Premier ministre, la France s'enfonce dans la crise, ou plutôt dans les crises – crise financière, crise économique, et maintenant crise sociale.
Pas un jour ne se passe sans son triste cortège de fermetures d'entreprises et de licenciements ; je citerai Preciturn ou Alcan, dans le Puy-de-Dôme, ou les menaces qui pèsent sur l'AIA.
En janvier, le chômage est revenu en force, avec 90 000 chômeurs supplémentaires.
Comment ne pas être indigné par le cynisme de Total qui annonce, une semaine, des profits records de 14 milliards d'euros et, la semaine suivante, cinq cent cinquante-cinq licenciements ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Monsieur le Premier ministre, vous devez exiger que Total rembourse l'argent public qu'il a touché !
Monsieur Wauquiez, il ne suffit pas de déplorer : il faut des actes ! La France est en situation d'urgence sociale, et les Français sont en état d'exaspération sociale.
Ce désastre social frappe en particulier notre jeunesse. Hier, dans cet hémicycle, M. Wauquiez avouait que le taux d'emploi des jeunes était le pire qu'on ait connu. Triste vérité ! En effet, le taux de chômage des jeunes a augmenté de 25 % en trois mois. Et ceux qui ont trouvé un emploi subissent un temps partiel imposé ou un emploi temporaire, avec un salaire mensuel de 600 à 700 euros, inférieur au seuil de pauvreté. Qu'adviendra-t-il des 250 000 jeunes qui vont arriver sur le marché du travail en juin et qui trouveront porte close dans les entreprises ?
Monsieur le Premier ministre, quand mettrez-vous en oeuvre un plan de relance pour la jeunesse ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi.
Monsieur Néri, vous venez de rappeler la situation extrêmement difficile de l'emploi des jeunes en France ; je vous en remercie.
En effet, le taux de chômage des jeunes de moins de vingt-cinq ans a progressé de près de 25 % au cours de l'année qui vient de s'écouler. Nous devons tout faire pour éviter que les jeunes ne soient les premières victimes de la crise.
Vous m'avez interrogé sur les actions concrètes qui seront mises en place.
Nous travaillons tout d'abord à mieux protéger les jeunes dans cette crise. Trop souvent ces derniers enchaînent des contrats et des CDD de courte durée. L'assurance chômage les protégeait mal, mais, grâce à un travail mené avec les partenaires sociaux, cette situation sera améliorée dès le mois prochain.
Ensuite, nous voulons aider nos jeunes à percer ce « plafond de verre », leur mettre le pied à l'étrier et leur permettre d'avoir une première expérience professionnelle. Vous le savez, puisque nous avons appliqué ce programme dans votre département. Je pense au contrat autonomie conduit conjointement avec Fadela Amara, également originaire d'Auvergne.
Enfin, avec Christine Lagarde et Martin Hirsch, nous misons sur l'alternance et l'apprentissage. Nous plaçons nos plus grands espoirs dans ces dispositifs car ils permettent d'obtenir pour nos jeunes le meilleur taux d'insertion professionnelle. Il faut donc que nous puissions faciliter leur développement car ils constituent pour les jeunes de véritables voies d'accès à l'emploi.
Monsieur Néri, pour conclure, je répondrai sans les esquiver à vos propos concernant Total. (« Ah ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Les annonces faites par Total ont choqué sur tous les bancs de cet hémicycle. Mais puisque vous parliez de l'impératif de mener des actions concrètes, je vais vous en citer une : avec les services de Christine Lagarde, nous allons dès aujourd'hui prendre contact avec la direction de Total pour lui demander de montrer l'exemple et de donner une image positive de ce groupe en faisant un geste, notamment, pour l'apprentissage et l'emploi des jeunes. Je pense que nous pourrons tous nous retrouver autour de telles initiatives. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
J'associe M. Lucien Degauchy à ma question.
Monsieur le haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, haut-commissaire à la jeunesse, le 12 janvier dernier, à Saint-Lô, le Président de la République vous a chargé d'organiser une grande concertation visant à définir une nouvelle politique à destination de la jeunesse.
Lundi 9 mars, vous avez lancé cette concertation en installant la commission sur la politique de la jeunesse, à laquelle vont participer des parlementaires désignés par les présidents des deux assemblées.
La concertation a donc commencé, avec comme fil conducteur la volonté du Président de la République de répondre à la problématique de l'autonomie des jeunes, qui deviennent indépendants de plus en plus tard et sont les plus frappés par le chômage.
Pouvez-vous nous indiquer comment vous comptez organiser cette concertation, et quels en sont les lignes directrices et les objectifs ? Comment la commission est-elle composée et organisée ? De quelle façon la représentation nationale sera-t-elle associée à vos travaux ?
Parallèlement à cette concertation nationale vous avez annoncé que le Gouvernement allait mener des expérimentations dans le cadre du fonds d'expérimentation pour la jeunesse créé par la loi relative à la généralisation du RSA. Je sais qu'il s'agit d'un sujet qui vous est cher, et que vous souhaitez que ces expérimentations se développent rapidement : pouvez-vous nous indiquer de quelle façon elles seront lancées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, haut-commissaire à la jeunesse.
Monsieur Courtial, je vous remercie d'avoir été présents, avec Marisol Touraine, lors de l'installation de la commission sur la politique de la jeunesse, et d'avoir accepté d'animer l'un de ses groupes de travail. Il portait sur la question des ressources des jeunes, étudiants ou non. D'autres thèmes seront abordés puisque la commission travaillera sur la formation, l'orientation, les ressources, la citoyenneté, l'emploi, la santé et le logement.
Nous étions soixante-dix, partenaires sociaux, élus de droite et de gauche, membres des différents réseaux de jeunesse, décidés à consacrer trois mois pour apporter des solutions novatrices à la question des jeunes.
La prochaine séance de la commission sera consacrée aux jeunes face à la crise. Nous avons conscience que, s'il nous faut, d'une part, mettre sur pied des politiques pour la jeunesse qui n'ont jamais été globales, comme on le reconnaît à droite et à gauche, nous devons, d'autre part, apporter des réponses rapides à la situation des jeunes en période de crise.
Pour être sûrs de mettre en place des solutions efficaces, nous lancerons la semaine prochaine des programmes expérimentaux avec des actions concrètes. Elles concernent, par exemple, les décrocheurs scolaires ; le fait de permettre à ceux qui quittent l'école de ne pas être repris, par hasard, par telle ou telle mission locale, mais de bénéficier d'une continuité de parcours immédiate ; ou encore des programmes de prévention de la rupture des parcours d'apprentissage.
Enfin nous voulons qu'il soit possible, sur deux ou trois territoires volontaires, de mesurer ce qu'il convient de faire pour ne pas laisser un seul jeune sans emploi, sans formation, sans ressources ou sans accompagnement. Nous nous appuierons ensuite sur ces données pour mener une politique nationale.
Merci beaucoup, mesdames, messieurs les députés, de contribuer à ce travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Pascal Terrasse, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Monsieur le président, ma question, à laquelle s'associe Martine Martinel, s'adresse à M. le ministre de l'éducation nationale.
Monsieur le ministre, vous ne nous dites pas tout. En effet, non content de supprimer 13 500 postes, vous vous apprêtez à priver les futurs enseignants d'une réelle formation qui leur permettrait de faire convenablement leur métier.
Votre réforme de la formation des maîtres est injuste et inapplicable.
Injuste, parce qu'en repoussant d'un an l'entrée de jeunes dans la fonction publique vous privez de nombreux étudiants d'une rémunération dont ils ont besoin pour faire leurs études.
Injuste, parce que toutes les universités n'offriront pas les masters exigés pour entrer dans l'enseignement, ce qui créera une inégalité entre les territoires.
Injuste, car de nombreux départements ruraux, dont celui de l'Ardèche, vont voir leur antenne IUFM fermer, en raison de l'asphyxie financière imposée aux universités. Pourtant, il est nécessaire de rendre attrayant le métier de professeur des écoles en milieu rural – à moins que l'on ne ferme encore un peu plus d'écoles communales.
Injuste, parce que vous sacrifiez la formation professionnelle. En réduisant des deux tiers les stages de formation, vous prenez la responsabilité de laisser devant des élèves de jeunes enseignants qui ne maîtrisent pas le métier. Ce serait catastrophique pour les jeunes maîtres, mais aussi pour les élèves.
Enfin, votre réforme est inapplicable parce qu'une fois de plus, vous voulez l'imposer sans concertation, à la va-vite, dès la rentrée prochaine, alors que rien n'est prêt, comme le prouve la question que vient de vous poser René Couanau. Une seule raison à cela : racler les fonds de tiroir de l'État en diminuant encore de 20 000 le nombre des postes d'enseignant. C'est le plus important plan social qu'ait connu notre pays !
Monsieur le ministre, vous êtes déjà le premier de la classe pour les suppressions d'emplois. Alors, abandonnez cette réforme catastrophique pour les jeunes, les élèves et les territoires. Et, surtout, ne nous annoncez pas la nomination d'un énième médiateur ou la création d'une commission Théodule ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le député, j'ai beaucoup de mal à comprendre la position du parti socialiste sur cette question. (Approbations sur les bancs du groupe UMP - Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Êtes-vous contre l'augmentation du niveau de qualification des enseignants ?
Considérez-vous comme anormal que les professeurs soient recrutés, en France, au même niveau que dans tous les autres pays développés, notamment en Europe, ce qui leur permettra d'améliorer leur mobilité ?
Êtes-vous contre la revalorisation sensible de la profession enseignante et l'augmentation des débuts de carrière que permettra la masterisation ?
Êtes-vous opposés à l'offre de stages rémunérés et de bourses, que percevront notamment les plus démunis ?
Êtes-vous contre la possibilité offerte aux professeurs, une fois qu'ils auront été reçus au concours, d'être en alternance pour apprendre à découvrir leur métier ?
Au fond, contre quoi êtes-vous ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Les suppressions de postes ne sont pas motivées par le projet, à deux ans, de masteriser les concours. Il ne faut tout de même pas tout mélanger !
Enfin, vous avez évidemment raison de défendre les antennes IUFM. Mais les universités vont les accueillir en leur sein et nous allons organiser avec ces dernières les stages des étudiants nouveaux titulaires, de sorte qu'ils pourront, dans le cadre de ces antennes décentralisées, continuer à être en contact avec leurs maîtres et avec les établissements.
En conséquence, il n'y a pas de projet de fermer les antennes IUFM. N'affolez pas l'opinion au sujet d'un projet ambitieux, dont la France a besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme Sophie Delong, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Madame la secrétaire d'État chargée de la famille, l'actualité récente souligne les enjeux fondamentaux de la politique de prévention de la maltraitance des enfants.
À cet égard, la loi du 5 mars 2007, qui est la grande loi-cadre réformant la protection de l'enfance, a prévu la mise en place, au niveau départemental et au niveau national, d'un dispositif de recueil, de transmission et de traitement des informations, destiné à dresser l'état des lieux de l'enfance en danger dans notre pays.
Au niveau départemental, les informations sont recueillies par les cellules d'évaluation, puis analysées par des observatoires départementaux. Au niveau national, l'Observatoire national de l'enfance en danger a pour mission de colliger l'ensemble de ces éléments chiffrés et d'en fournir une synthèse.
Nous attendions la parution d'un décret permettant la coordination de l'ensemble de ces dispositifs. Ce décret, vous l'avez signé et il a été publié le 19 décembre 2008.
Le mois dernier, vous avez visité, à Paris, le groupement d'intérêt public « Enfance en danger ». À cette occasion l'Observatoire national vous a remis son rapport pour l'année 2008. Après cette visite sur le terrain, êtes-vous en mesure de nous confirmer que les missions de traitement des informations préoccupantes sur l'enfance en danger sont aujourd'hui pleinement assurées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille.
Madame la députée, au-delà des événements dramatiques qui font l'actualité et que vous avez raison de rappeler – je pense notamment au cas du petit Dylan –, il convient de souligner que presque 2 % des jeunes mineurs, soit près de 270 000 enfants, sont concernés par la maltraitance.
Votre assemblée a voté, au mois de mars dernier, la loi sur la protection de l'enfance, qui est actuellement mise en application dans l'ensemble de notre pays. Près de soixante-huit départements ont ainsi déjà mis en place des cellules de traitement de l'information. Il nous fallait en effet mieux prévenir, organiser les signalements et diversifier les modes d'accueil de ces enfants.
Ainsi que vous l'avez rappelé, j'ai visité les locaux de l'Observatoire national de l'enfance en danger, présidé par Christophe Béchu. À cette occasion, j'ai pu constater combien il est nécessaire que le numéro 119 soit nationalement connu. La campagne de prévention et de communication, menée avec Xavier Darcos et le ministère de l'éducation nationale, doit ainsi permettre aux enfants de connaître ce numéro, destiné à les protéger, eux et ceux de leurs amis dont ils savent qu'ils sont maltraités.
Certes, l'État et les départements mettent de nombreux outils à la disposition du public. Mais rien ne remplace la vigilance civique de nos concitoyens et la vigilance familiale, car, je le rappelle, 85 % des violences aux enfants se font dans les familles traditionnelles. Nous devons donc appeler chaque membre de chaque famille à être vigilant quant au destin de l'enfant.
De notre côté, nous renforçons notre implication. Le Gouvernement est totalement mobilisé pour protéger l'enfance en danger. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Maltraitance des enfants
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt.)
Mes chers collègues, j'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant de sa décision de charger M. Pierre Lellouche, député de Paris, d'une mission temporaire auprès de M. le ministre des affaires étrangères et européennes.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet (nos 1240, 1481, 1486, 1504).
Mes chers collègues, avant de donner la parole à Mme la ministre, je souhaite vous préciser que les débats portant sur ce projet seront intégralement mis à la disposition des internautes, en vidéo à la demande, sur le site de l'Assemblée. Ils seront bien entendu téléchargeables.
La parole est à Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, madame la rapporteure, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi que j'ai l'honneur de vous soumettre est à la fois ambitieux et réaliste.
Ambitieux, car il vise à permettre à la France de saisir la chance inédite que représente Internet pour la culture – pour sa démocratisation, mais aussi pour tirer parti du potentiel de développement économique qu'elle recèle.
Mais ce projet est également réaliste ; j'y reviendrai souvent au cours du débat. En effet, il ne prétend naturellement pas éradiquer entièrement le phénomène de masse que constitue le piratage des oeuvres culturelles sur Internet. Il a plutôt pour vocation de contribuer à une prise de conscience, à l'instauration chez les internautes d'un état d'esprit nouveau touchant la diversité culturelle et les conditions économiques et juridiques indispensables à sa préservation.
Aujourd'hui, plus d'un Français sur deux dispose d'un accès à Internet haut débit, et nos fournisseurs d'accès offrent ce débit à leurs abonnés sans limitation, ce qui n'est pas le cas dans les autres pays. En France, les conditions techniques sont donc réunies pour que chacun accède librement, facilement et rapidement à un catalogue presque illimité de films, de morceaux de musique, bientôt d'oeuvres littéraires, mais aussi d'expositions virtuelles et de captations de pièces de théâtre et d'opéras. Il est de notre responsabilité de faire en sorte que cette nouvelle offre se développe dans toute sa richesse et sa diversité, au bénéfice de tous nos concitoyens – consommateurs, créateurs, entreprises de toutes les filières des industries culturelles et des réseaux de communication.
Depuis les échanges qui avaient animé votre Assemblée lors de l'examen de la loi dite DADVSI, la question de l'offre légale sur Internet a été entièrement renouvelée. Des progrès remarquables ont été accomplis, et nous ne pouvons plus justifier ou excuser le piratage au motif que les oeuvres ne seraient pas disponibles ou que les industries culturelles n'auraient pas réussi à s'adapter afin de proposer des offres légales en ligne.
En effet, les industries culturelles ont réussi leur révolution numérique. Près de 4 000 films et 4 millions de morceaux de musique sont aujourd'hui disponibles, en téléchargement ou, de plus en plus, en simple consultation – ce que l'on appelle le streaming. En outre, cette offre est de moins en moins chère, y compris pour le cinéma, grâce à des films à moins de cinq euros, ou encore à des forfaits qui permettent de voir plusieurs dizaines de films pour moins de dix euros par mois. Certaines de ces offres sont gratuites, car financées par la publicité. D'autres sont payantes, mais forfaitaires, et permettent de télécharger de façon permanente, pour quelques euros par mois, des morceaux de musique tirés de catalogues qui en comptent plusieurs centaines de milliers, voire des millions.
Les modèles économiques innovants foisonnent, pour le plus grand profit du consommateur et des artistes : je songe à des success stories comme celles de deezer.com, qui propose plusieurs millions de titres gratuitement en streaming, ou de MyMajorCompany, qui permet aux internautes de financer directement la production de jeunes artistes. Jamais, au cours de l'histoire, un magasin spécialisé, fût-ce le meilleur des disquaires, n'a offert à ses clients un éventail comparable d'oeuvres culturelles pour un coût aussi réduit.
Le dernier épisode de cette mutation de l'offre légale concerne les verrous anti-copie, les fameux DRM, qui empêchent de consulter sur plusieurs lecteurs – l'ordinateur, le baladeur, l'autoradio, etc. – un titre musical que l'on a acheté. Les accords de l'Élysée prévoyaient que ces verrous disparaîtraient un an après la mise en oeuvre du présent projet de loi, afin de laisser à la lutte contre le piratage le temps de produire ses effets. Mais, à l'issue d'un dialogue constructif avec les pouvoirs publics, toutes les maisons de disques et les plates-formes françaises ont décidé de supprimer les DRM sans attendre. Ce sera chose faite avant la fin du mois de mars.
Il faut saluer comme il le mérite ce geste très significatif pour les consommateurs. Il montre que les industries de la musique ont pris conscience du lien entre offre légale et piratage : tant que la première ne sera pas suffisamment diversifiée et attractive, le second continuera. Mais il faut faire comprendre aux consommateurs que la réciproque est vraie : tant que le piratage continuera, l'offre légale n'aura pas les moyens de se développer et de s'installer.
Pendant des années, nous nous sommes demandé si le piratage de masse menaçait véritablement le renouvellement de la création et tous les métiers des industries culturelles. Nous n'en sommes aujourd'hui plus au stade de l'inquiétude, mais à celui du constat. Et ce constat est accablant : c'est à un véritable désastre, économique et culturel, que nous assistons.
Le marché de la musique enregistrée est le plus atteint : il a diminué de 50 % en valeur au cours des cinq dernières années. Cela entraîne bien évidemment d'importantes conséquences pour l'emploi – 30 % des effectifs des maisons de production sont concernés – et pour la création : de nombreux contrats d'artistes ont dû être résiliés et le nombre de nouveaux artistes signant un contrat a diminué de 40 % par an. Les premières victimes sont naturellement les indépendants, les PME de moins de vingt salariés, qui proposent aujourd'hui 80 % des références musicales.
À ce rythme, ne resteront plus que les majors du disque, qui se transformeront à leur tour en simples relais de distribution en France des charts américains, dont les coûts de production auront été amortis avant d'arriver sur le marché.
Le cinéma s'engage sur la même pente : on compte aujourd'hui autant de téléchargements illégaux – soit 450 000 par jour – que d'entrées en salles. En outre, le marché de la vidéo a perdu un quart de sa valeur, alors même que le prix des nouveautés diminuait d'un tiers.
Quant au secteur du livre, alors qu'il s'apprête à son tour à entrer dans l'ère numérique, il est de notre devoir de prendre préventivement toutes les mesures nécessaires pour lui éviter de pâtir des effets ravageurs du piratage.
La situation des créateurs et des PME culturelles françaises ne serait pas si alarmante si l'effondrement du CD et du DVD était compensé par l'essor des ventes dématérialisées, ce qui n'est pas le cas. En effet, alors que, dans la plupart des grands pays dont les habitudes de consommation sont comparables aux nôtres, ces ventes décollent – elles y représentent 20 % du marché en moyenne, et plus de 25% aux États-Unis –, elles avoisinent péniblement 10 % du marché en France.
Après un Oscar, une Palme d'or, un Pritzker Price et un Prix Nobel de littérature en 2008, la France, lanterne rouge des ventes numériques, aurait pu se passer d'une autre médaille : celle du piratage.
On en mesure les effets en comparant notre situation à celle de l'Allemagne, où les ayants droit ont lancé une lutte à grande échelle devant les tribunaux. En 2002, le volume du marché français de la musique était identique à celui d'outre-Rhin ; aujourd'hui, il n'en représente plus que 70 %.
La France, qui est si fière de son exception culturelle…
… et qui pousse les hauts cris – à juste titre – lorsqu'un journal américain consacre sa une à la mort de la culture française, est en train de sacrifier ce qu'elle a mis des siècles à bâtir en inventant le droit d'auteur…
… et en construisant l'un des réseaux de salles de spectacle et de cinéma les plus denses et les plus diversifiés au monde.
Au nom de quoi ? D'une culture enfin gratuite, enfin libérée de ses chaînes, de son système économique ? Mais qui peut encore croire que ceux qui organisent le piratage à grande échelle le font par amour de l'art ?
Le piratage est aussi une économie : une économie parasite, qui monnaie l'audience des sites pirates à des annonceurs peu regardants.
Cette situation est d'autant plus inacceptable que la culture représente une part de notre PIB et de notre emploi salarié presque sans équivalent dans le monde : près de 2,5 % de la richesse nationale et près de 500 000 emplois, dont plus de la moitié dans les industries culturelles – audiovisuel, cinéma, disque, livre et médias. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)
Et le régime des intermittents, ne croyez-vous pas qu'il a plus à voir avec cette crise que le téléchargement ?
Il y a donc urgence à endiguer un phénomène qui laissera bientôt exsangues l'économie de la culture aussi bien que la diversité culturelle.
Pour cela, il y a urgence à responsabiliser l'internaute et à extraire le pirate de la sphère d'irréalité dans laquelle il évolue aujourd'hui comme dans une bulle en apesanteur.
Le déni de la réalité auquel se livre le pirate, volontairement ou non, est double. Il consiste d'abord à méconnaître les conséquences de son comportement pour les autres, pour les créateurs et les entreprises des industries culturelles. Il consiste ensuite à méconnaître les conséquences du téléchargement illégal pour sa propre personne.
Je rappelle que la loi pose d'ores et déjà le principe de la responsabilité de l'abonné à Internet : ce dernier est tenu par l'article L. 335-12 du code de la propriété intellectuelle de veiller à ce que son accès au réseau ne fasse pas l'objet d'une utilisation qui méconnaisse les droits de propriété littéraire et artistique. Certes, le manquement à cette obligation n'est assorti d'aucune conséquence pratique. Il n'en demeure pas moins qu'elle figure dans les dispositions pénales du code.
Surtout, l'internaute qui pirate en mettant à disposition ou en téléchargeant des oeuvres protégées se rend coupable du délit de contrefaçon. À ce titre, il tombe sous le coup de sanctions pouvant aller jusqu'à trois ans de prison et 300 000 euros d'amende, sans préjudice d'éventuels dommages et intérêts. J'ajoute que ces procédures ne font l'objet d'aucun avertissement préalable, qui lui permettrait par exemple de prendre conscience du caractère répréhensible de ses actes.
Parce que ces sanctions et surtout la procédure judiciaire paraissent traumatisantes et disproportionnées dans le cas du petit piratage dit « ordinaire », les ayants droit n'y recourent que rarement – quelques centaines d'actions ces dernières années – et avec le moins de publicité possible. Mais s'offriront-ils encore longtemps le luxe d'hésiter ? S'ils devaient constater que les pouvoirs publics renoncent à mettre en place une solution alternative, à la fois mieux proportionnée à l'enjeu et plus efficace car praticable à grande échelle, nul doute que les procédures pénales se multiplieraient. C'est ce qui se passe actuellement en Allemagne, où les tribunaux pénaux sont saisis de plusieurs dizaines de milliers d'actions contre le téléchargement illégal, ce qui les engorge.
Enfin, je veux mentionner les dangers du piratage qui concernent plus particulièrement les jeunes ou très jeunes internautes. S'ils manient l'outil numérique avec virtuosité, ils n'en demeurent pas moins particulièrement vulnérables face à un Internet affranchi de toute régulation. Or, on constate sur les réseaux de pair à pair une offre illégale massive de films pornographiques ou violents qui se cachent sous les titres de films grand public. Je ne prendrai qu'un exemple, le réseau eDonkey, particulièrement fréquenté. Combien de parents dont les enfants naviguent sur ce réseau savent que des films pornographiques se cachent derrière 60 % des fichiers d' Astérix aux Jeux olympiques et du Renard et l'enfant ou encore 45 % des fichiers de Bienvenus chez les Ch'tis ? L'existence d'une offre pirate porte donc une atteinte grave à la protection des mineurs que seule l'offre légale est susceptible de garantir, en l'absence de parade technique.
Il faut donc sortir de cette situation pour rétablir l'équilibre, aujourd'hui rompu dans les faits, entre deux droits fondamentaux : d'une part, le droit au respect de la vie privée des internautes,…
…d'autre part, le droit de propriété et le droit moral des créateurs et des entreprises sur les oeuvres culturelles.
La méthode suivie par le Gouvernement repose sur la conviction que, pour être efficaces, les solutions mises en oeuvre doivent faire l'objet d'un très large consensus. C'est le sens de la mission confiée à Denis Olivennes en septembre 2007. Le résultat en a été l'accord important,…
…signé au palais de l'Élysée, le 23 novembre 2007, par quarante-deux – désormais quarante-sept – organisations représentatives ou entreprises de la culture et de l'Internet, au nombre desquelles les fournisseurs d'accès, sociétés de droits d'auteur, éditeurs, chaîne de télévision.
Les parties se sont rassemblées autour d'un plan en deux axes.
Le premier consiste à rendre l'offre légale plus attractive.
D'abord, les maisons de production de disques se sont engagées à retirer les mesures techniques de protection bloquantes des oeuvres françaises. Elles ont devancé l'appel et retirent les DRM de manière anticipée, comme je l'ai déjà indiqué.
Ensuite, le délai d'accès aux films par les services de vidéo à la demande devrait être ramené, dès l'application de la présente loi, au même niveau que celui du DVD, c'est-à-dire à six mois après la sortie du film en salle. Puis, des discussions interprofessionnelles devraient aboutir, un an après la loi, à un raccourcissement conséquent de toutes les « fenêtres ».
Je souhaite que ces engagements soient mis en oeuvre le plus tôt possible. À cet égard, je tiens à saluer les amendements adoptés par le Sénat qui donnent aux engagements de la filière cinéma un cadre juridique plus précis et une visibilité accrue pour les consommateurs. Je remercie également votre rapporteur pour le travail remarquable qu'il a fourni pour établir un compromis délicat entre autonomie des acteurs et gain rapide pour le consommateur.
Il est en effet fondamental que les films soient accessibles plus vite et que les internautes perçoivent le plus rapidement possible la contrepartie tangible de l'approche plus responsable d'Internet, un « Internet civilisé ».
Le second volet des accords de l'Élysée porte sur la lutte contre le piratage de masse : celle-ci doit changer entièrement de logique. La nouvelle approche que vous propose le Gouvernement dans le présent projet de loi est, d'une part, préventive et graduée, puisque aucune sanction ne pourra intervenir au premier acte de piratage. Elle vise, d'autre part, à décriminaliser le piratage, puisqu'une éventuelle sanction ne passera plus nécessairement par le juge…
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C'est bien pire !
…même si elle demeurera placée sous son contrôle.
Le dispositif de ce second volet du projet de loi a fait couler beaucoup d'encre.
La base juridique sur laquelle il repose existe déjà, je l'ai mentionnée : il s'agit de l'obligation de surveillance de l'accès Internet, mise à la charge de l'abonné. Le projet du Gouvernement vise en fait à préciser le contenu de cette obligation, et à mettre en place un mécanisme de réponse dite « graduée » en cas de manquement de la part de l'abonné.
Je m'attarde un instant sur cette question car il faut insister sur le fait que c'est bien de la responsabilité de l'abonné qu'il s'agit. Ainsi les parents, titulaires de l'abonnement, pourront recevoir un avertissement pour des actes commis par leurs enfants.
Un tel dispositif connaît de nombreux précédents dans notre droit. C'est par exemple le cas en matière d'infractions routières : le titulaire du certificat d'immatriculation est redevable de l'amende, même s'il n'est pas lui-même l'auteur d'un excès de vitesse, dans la mesure où il commet au moins un « défaut de surveillance » de son véhicule ou de l'usage qui en est fait.
J'estime naturel qu'il incombe aux parents de relayer cette pédagogie au sein du foyer familial pour plus d'efficacité.
La réponse graduée prendra une forme qui, dans un premier temps, sera purement préventive puis, dans un deuxième temps, transactionnelle et, enfin, sera susceptible de déboucher sur une sanction de nature administrative. Celle-ci sera prononcée par une autorité administrative indépendante chargée de la gestion du mécanisme mais placée sous l'entier contrôle du juge judiciaire.
Notre droit offre plus d'une quinzaine d'exemples d'une telle articulation entre une autorité indépendante chargée de prendre des sanctions administratives et le juge chargé d'en contrôler la légalité. Je ne citerai que les plus connus : l'Autorité de la concurrence, l'AMF, …
… l'ARCEP, la commission bancaire, le CSA, la commission de régulation de l'énergie, ou encore la commission nationale de l'informatique et des libertés.
À toutes les étapes du processus, l'abonné pourra faire valoir ses observations. Le Sénat et votre rapporteur se sont notamment attachés à améliorer la portée de cette garantie en la conciliant avec l'indispensable fluidité de la procédure. Au stade ultime, celui d'une possible sanction, l'abonné bénéficiera d'une procédure contradictoire avant toute décision. Enfin, il pourra former devant le juge un recours en annulation et en réformation, ainsi qu'une demande de sursis à exécution.
Que se passera-t-il, très concrètement, pour l'abonné en cas de piratage d'une oeuvre à partir de son accès à Internet ?
La première phase, celle de la constatation des faits, ne connaîtra aucun changement par rapport à la situation actuelle. Le soupçon de « surveillance généralisée des réseaux », évoqué par certains groupuscules libertaires, n'est absolument pas fondé. Aujourd'hui en effet, il appartient aux ayants droit de repérer les actes de piratage sur Internet, par l'intermédiaire des agents assermentés des sociétés de perception et de répartition de droits et de leurs organisations professionnelles. Pour ce faire, ces structures utilisent des traitements automatisés gui collectent les adresses IP, sortes de plaques d'immatriculation des ordinateurs. Ces traitements automatisés, je tiens à le souligner, font l'objet d'une autorisation délivrée par la CNIL, dans un cadre juridique qui a été détaillé très précisément par une décision SACEM du Conseil d'État. Sur la base des constats dressés par les agents assermentés, les ayants droit saisissent le juge. Si le projet de loi est adopté, ils se verront offrir l'alternative de saisir, à la place du juge, une autorité administrative indépendante sur le fondement du manquement de l'abonné à son obligation de surveillance à l'encontre des pirates ordinaires.
L'objectif du Gouvernement est que l'efficacité du mécanisme pédagogique et gradué géré par l'autorité administrative dissuade les ayants droit de recourir à la voie pénale. Toutefois, je tiens à le souligner, la voie administrative n'entraîne pas la disparition de la voie pénale – surtout lorsqu'il s'agit des casseurs de système ou des personnes se rendant coupables de piratages massifs – mais vient la compléter.
Il n'est en effet pas envisageable de priver les ayants droit d'un possible recours au juge. Certains actes de piratage de grande ampleur le justifient.
La procédure administrative, à la fois rapide et peu coûteuse, s'imposera naturellement dans les cas des petits piratages ordinaires qui constituent l'immense majorité des cas.
L'autorité administrative indépendante chargée de la mener à bien sera l'Autorité de régulation des mesures techniques – ARMT –, créée à l'initiative du Parlement en 2006 afin de veiller à l'interopérabilité des verrous numériques et au respect de l'exception pour copie privée. Elle sera rebaptisée « Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet ».
Ne pouvant agir qu'à partir des constats dressés par les représentants des ayants droit dans le cadre des autorisations délivrées par la CNIL, elle ne disposera d'aucune faculté d'auto-saisine ni d'aucune compétence de surveillance des réseaux de communication électronique.
Elle enverra aux téléchargeurs illégaux …
…des messages d'avertissement dénommés recommandations. Ces messages ne font pas grief et s'analysent comme de simples rappels à la loi.
Le formalisme des messages sera également gradué. En effet, après le courrier électronique, elle fera usage de la lettre remise contre signature, de façon à s'assurer que l'abonné a bien pris connaissance du comportement reproché. Aucune sanction ne pourra donc être prise par la Haute autorité sans envoi préalable d'un avertissement sous cette forme.
Une phase préventive personnalisée précédera ainsi d'éventuelles sanctions, ce que le droit ne permet pas à l'heure actuelle. C'est un aspect particulièrement important car la visée pédagogique et préventive de ce mécanisme est essentielle. Elle constitue le coeur du projet du Gouvernement. Des études réalisées en Grande-Bretagne et en France au printemps 2008 montrent que 70 % des internautes cesseraient de pirater dès le premier avertissement personnalisé. Aux États-Unis, de telles mesures d'avertissement ont été mises en oeuvre avec un succès notable par les fournisseurs d'accès à Internet câblés et par les universités à l'égard de leurs étudiants : le piratage a diminué de 90 % chez les internautes concernés.
La Haute autorité pourra ensuite, en cas de manquement répété de l'abonné, prendre à son encontre une sanction administrative qui consistera en une suspension de l'accès Internet. La suspension de l'abonnement sera assortie de l'impossibilité de souscrire pendant la même période un autre contrat auprès d'un opérateur, de façon à éviter la migration des abonnés d'un fournisseur à un autre. Les prestataires qui joueront le jeu ne doivent pas être pénalisés au bénéfice de ceux qui auraient une pratique plus laxiste.
La suspension de l'abonnement est en principe d'une durée d'un mois à un an. Mais la Haute autorité pourra proposer une transaction à l'abonné : s'il s'engage à ne plus pirater, la durée de la suspension pourra être ramenée entre un et trois mois.
Nous sommes évidemment conscients des difficultés que pourrait poser ce dispositif aux entreprises ou à d'autres collectivités qui permettent à leurs salariés ou au public d'accéder à Internet. Le projet de loi prévoit donc des mesures alternatives à la suspension de l'accès. Un dialogue s'installera avec ces abonnés d'un genre particulier pour installer des dispositifs préventifs tels que les pare-feu. De telles techniques sont, d'ores et déjà, largement mises en place dans les entreprises ou les collectivités publiques.
L'injonction de prendre de telles mesures pourrait également être utilisée par la Haute Autorité dans les rares cas où il pourrait s'avérer temporairement impossible ou particulièrement complexe et coûteux de suspendre l'accès à Internet sans suspendre également les services de téléphonie et de télévision, comme dans le cadre des offres « triple play ».
Afin de garantir le respect des mesures de suspension, les fournisseurs d'accès Internet seront tenus de vérifier, à l'occasion de la conclusion de tout nouveau contrat, que leur cocontractant ne figure pas sur le répertoire des personnes dont l'abonnement a été suspendu.
Bien entendu toutes les sanctions – suspension de l'abonnement Internet, mesures alternatives à cette suspension, sanctions pécuniaires – ne seront prises qu'à l'issue d'une procédure contradictoire et seront susceptibles de recours devant le juge judiciaire pour en obtenir l'annulation, la réformation ou encore le sursis à exécution.
Enfin, le texte précise les conditions, classiques, dans lesquelles le titulaire de l'accès à Internet pourra s'exonérer de sa responsabilité : force majeure ou détournement frauduleux de son accès par un tiers. Il encourage également les abonnés à prendre des mesures de sécurisation de leur poste, sur le modèle de ce qui existe déjà en matière de contrôle parental. En effet, la mise en oeuvre d'un tel dispositif figurant sur une liste de moyens efficaces dressée par la Haute autorité vaudra exonération de responsabilité.
Telle est donc l'économie générale du mécanisme pédagogique et gradué envisagé par les accords de l'Élysée qu'il vous est proposé de traduire dans la loi.
Un débat assez vif s'est engagé devant les médias et l'opinion. Certains arguments sont légitimes, d'autres demeurent très caricaturaux.
Je pense d'abord au choix de la suspension de l'abonnement à Internet de préférence à une amende. Cette solution a été choisie pour manifester très clairement la volonté du Gouvernement de décriminaliser le piratage ordinaire, donc d'instaurer une procédure vraiment différente de celle suivie devant le juge correctionnel. Une sanction de nature pécuniaire aurait brouillé le message.
Enfin, le rapport direct entre le comportement en cause et la nature de la sanction, c'est-à-dire la suspension, est de nature à renforcer son efficacité pédagogique.
Et que faites-vous de ceux qui cherchent du travail par le biais d'internet ?
En outre, le caractère non pécuniaire de la sanction permet d'éviter de créer une inégalité entre les abonnés qui pourraient acquitter facilement leurs amendes et ceux qui se trouveraient dans une situation matérielle plus difficile.
Je tiens également à répondre à ceux qui voient dans la suspension de l'abonnement à Internet une atteinte aux droits de l'homme et plus précisément à la liberté de communication dont seul le juge pourrait prendre la responsabilité.
J'observe que la résiliation de l'abonnement à Internet est déjà prévue dans tous les contrats passés par les fournisseurs d'accès avec leurs abonnés dans les cas où ces derniers ne s'acquittent pas de leurs factures (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR) ou se livrent à un usage inapproprié.
Je n'entends personne invoquer les libertés fondamentales pour empêcher les fournisseurs d'accès de priver d'Internet les mauvais payeurs.
Il faut aussi rappeler une évidence : la disposition permanente, à domicile, d'un accès à Internet n'a jamais été qualifiée, par aucune Constitution ni aucune juridiction au monde, de liberté fondamentale. L'accès Internet, pour reprendre les termes du plan France Numérique 2012, est une « commodité essentielle », ce qui n'est pas exactement la même chose !
À supposer d'ailleurs que l'accès à Internet soit désormais regardé comme une liberté fondamentale, aucun droit n'est jamais inconditionnel ; il doit être concilié avec les autres libertés et ne saurait être invoqué pour les violer impunément.
Récemment, la Cour de justice des communautés européennes a rappelé la nécessité de concilier les droits des artistes et des industries culturelles avec la liberté de communication sur les réseaux numériques. Et la Cour de cassation a jugé que l'on ne peut invoquer la liberté de communication, la liberté d'expression ou encore celle du commerce et de l'industrie pour violer le droit de propriété et le droit moral des créateurs.
L'environnement numérique n'abolit aucun des principes élémentaires qui gouvernent la vie en société et l'État de droit. Il n'existe pas de « monde virtuel », au sein duquel toutes contraintes collectives seraient abolies, où l'affirmation brutale de soi pourrait s'imposer impunément au détriment de l'autre. Il n'y a qu'un seul monde, régi par les mêmes règles et Internet n'est pas une zone de non-droit.
J'en viens maintenant au troisième débat autour du choix d'une autorité indépendante, non judiciaire mais placée sous le contrôle du juge. Il est étonnant que ce choix soit l'objet de polémiques et j'ai cité tous les exemples d'une semblable articulation des rôles et des pouvoirs qui sont déjà donnés à des autorités administratives.
En réalité, poser comme principe qu'aucune action efficace ne peut être entreprise en dehors du juge n'a pas beaucoup de sens. Cette thèse aboutit en effet à livrer l'internaute au juge pénal dès le premier téléchargement illégal. Elle rend la lutte contre le piratage, qui est tellement dommageable pour les créateurs et les artistes, absolument impossible.
Autre chef de polémique : la Haute autorité violerait la vie privée, serait préposée au fichage des internautes et à la surveillance des réseaux. Quel paradoxe ! On ne peut guère soutenir que l'envoi de messages pédagogiques à des internautes qui enfreignent la loi nous ferait basculer dans une sorte de dictature, pour reprendre des arguments que l'on a pu trouver sur certains blogs.
Dans les pays, de plus en plus nombreux, qui pratiquent l'envoi de messages d'avertissement aux internautes – États-Unis, Norvège, Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande, Irlande –...
..cette politique se passe entièrement de l'intervention publique. Elle est purement contractuelle et résulte d'accords entre les fournisseurs d'accès à Internet et les ayants droit. L'internaute se retrouve donc directement confronté aux « parties adverses ».
La particularité de l'approche française, qui intéresse beaucoup nos voisins européens aujourd'hui, c'est justement d'interposer entre les protagonistes une autorité qui assure la prévention du piratage tout en protégeant la vie privée.
En effet la Haute autorité sera seule à pouvoir se procurer sur l'abonné les données personnelles – nom et coordonnées – strictement nécessaires à l'envoi des messages d'avertissement. L'identité du pirate demeurera donc cachée aux ayants droit.
J'ajoute qu'au sein de la Haute autorité, la commission qui traitera les dossiers présentera toutes les garanties d'impartialité et d'indépendance. Elle sera exclusivement composée de magistrats et disposera d'agents publics dont l'absence de liens avec les intérêts économiques en cause aura été vérifiée par des enquêtes préalables.
Quant aux données nécessaires pour mettre en oeuvre le mécanisme de prévention, ce sont celles qui sont d'ores et déjà collectées par les créateurs et les entreprises culturelles pour mener leurs actions judiciaires. Aucune donnée nouvelle ne sera donc relevée pour mettre en oeuvre le mécanisme de réponse graduée.
J'en viens à une dernière objection : cette loi serait dictée par les majors, accrochées à la défense de privilèges obsolètes. Ceux qui prétendent cela n'ont pas dû discuter avec beaucoup d'artistes ! Et l'on a vu cette pétition signée par 10 000 artistes publiée hier dans Le Monde. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Le projet de loi est soutenu massivement par tous les créateurs.
On n'est pas du tout dans un cas de figure où il y a la musique contre le cinéma et Internet contre tout le monde, mais bien dans un consensus, dans un combat commun des créateurs et des artistes, et particulièrement les plus modestes, de ceux qui relèvent des PME indépendantes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Cette loi n'est donc pas la « loi des majors », c'est la loi de tous les créateurs et des jeunes talents. C'est la loi de l'exception culturelle française. C'est la loi des centaines de milliers d'acteurs des filières concernées, du technicien à l'artiste, de l'auteur au producteur en passant par le réalisateur.
La voilà, la question ultime : les créateurs ont-ils, comme tous nos concitoyens, le droit de vivre de leur travail ou doivent-ils être expropriés de ce droit en contrepartie d'une indemnisation collective sous forme d'une chimérique licence globale à laquelle personne ne croit plus ?
Souhaitons-nous abdiquer sur Internet les droits fondamentaux que nous défendons depuis des siècles et qui participent pleinement de l'exception française, au premier rang desquels le droit d'auteur ?
Est-ce à la technologie de nous dicter ses règles, ou bien à nous de lui imposer, de façon modeste et pragmatique, celles que notre société française a choisi de se donner ? Voilà les vraies questions qui se posent et je pense que chacun peut les comprendre.
J'observe que le Sénat ne s'y est pas trompé puisque tous les groupes politiques ont voté ce projet de loi, et notamment le groupe socialiste...
..à l'exception du groupe communiste qui s'est abstenu.
Je ne pense pas qu'un projet de loi rétrograde ou liberticide aurait pu recueillir une telle unanimité.
C'est à l'Assemblée nationale désormais de faire en sorte que les consommateurs, les créateurs et les centaines de milliers de salariés des industries culturelles passionnés par leur métier puissent tirer parti des fabuleuses opportunités culturelles aussi bien qu'économiques, d'un Internet « civilisé ». (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
(M. Marc Le Fur remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)
La parole est à M. Franck Riester, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'enjeu essentiel qui nous rassemble tous aujourd'hui, quelles que soient nos convictions, c'est la préservation de la création culturelle à l'ère du numérique, face au pillage des droits des auteurs, des artistes-interprètes et des filières culturelles.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes, et ce sont ces chiffres que les professionnels ont rappelés aux députés UMP réunis à l'initiative de Jean-François Copé la semaine dernière. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Aujourd'hui, en ce qui concerne la musique, près d'un milliard de titres sont piratés en France chaque année. Pour le cinéma, 450 000 films sont téléchargés illégalement chaque jour, soit l'équivalent du nombre quotidien d'entrées en salles.
Conséquence directe du piratage : le marché de la musique a été divisé par deux en cinq ans et le nombre de nouveaux artistes signés a baissé de 40 % chaque année.
Mes chers collègues, j'insiste sur ce point, car derrière ces chiffres c'est toute une filière économique qui est menacée.
Le piratage, ce sont des milliers d'hommes et de femmes qui ont déjà perdu leur emploi. Si rien n'est entrepris, 10 000 emplois supplémentaires pourraient disparaître d'ici à 2012.
Chacun doit donc mesurer la responsabilité qui est la sienne en cette période difficile sur le plan économique et social.
Ce sont des faits. Et face à ces faits, le Gouvernement nous présente un projet de loi ambitieux, équilibré et adapté.
Une nouvelle autorité administrative indépendante, la HADOPI, succédera à l'Autorité de régulation des mesures techniques de protection.
Elle aura deux missions essentielles : veiller au développement de l'offre culturelle légale sur Internet et mieux lutter contre le téléchargement illégal en instaurant un dispositif non pénal avant tout pédagogique.
Concrètement, l'internaute responsable de téléchargements illégaux recevra un premier mail d'avertissement. S'il n'en tient pas compte, il en recevra un second, accompagné cette fois d'une lettre recommandée à son domicile. Enfin, s'il persiste, une sanction adaptée pourra être prononcée. Celle-ci pourra aller jusqu'à la suspension temporaire de l'abonnement. Le lien entre le comportement portant préjudice et la nature de la sanction a ainsi été logiquement privilégié, dans un souci d'efficacité.
Ce processus marque une rupture totale avec la logique répressive actuelle, qui assimile tout acte de piratage à un délit de contrefaçon, passible de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende.
En s'appuyant sur deux nouveaux piliers, la pédagogie et la prévention, il met fin à la criminalisation excessive, inadaptée et finalement inefficace.
Mes chers collègues, ce texte est issu d'un compromis historique... (Rires sur les bancs du groupe SRC.)
...entre les professionnels de la culture, de l'Internet et des télécommunications.
Dès sa prise de fonctions, le Président de la République a souhaité qu'un dialogue s'instaure afin d'élaborer une solution acceptée par tous.
La mission confiée à M. Denis Olivennes a permis de dégager un consensus inédit.
Les accords dits de l'Élysée, paraphés le 23 novembre 2007, engagent la signature de quelque quarante-sept organisations différentes.
Mes chers collègues, ces professionnels nous regardent. Souvenons-nous de ce consensus au moment d'engager notre débat !
C'est en veillant à respecter pleinement ce consensus que Mme Albanel, ministre de la culture et de la communication, a élaboré le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui.
Depuis, les débats de nos collègues sénateurs se sont déroulés dans un climat très constructif.
Il est dommage que vous n'abordiez pas ce texte dans un esprit constructif !
Les groupes de l'opposition ont d'ailleurs apporté une contribution utile au texte, puisque plusieurs de leurs amendements et sous-amendements ont été adoptés. Au final, les sénateurs socialistes, comme ceux de la majorité, ont unanimement voté pour ce texte. Je reste convaincu que, sur un sujet d'une telle importance, leurs homologues à l'Assemblée nationale seront dans cette même démarche de rassemblement.
Car voilà qu'arrivé devant notre Assemblée, ce texte suscite quelques interrogations auxquelles je tiens dès maintenant à répondre. Qu'entend-on en effet ? Que la démarche retenue serait inefficace. Je note, au contraire, que les résultats de cette démarche pédagogique et préventive se sont montrés très positifs dans les pays qui l'ont testée.
Ainsi, aux États-Unis, 70 % des internautes renoncent au téléchargement illicite dès réception du premier message. La proportion atteint 90 % dès le second message.
On entend dire que nous nous opposerions à tous les internautes. C'est tout l'inverse ! Oui, Internet est un formidable vecteur de création culturelle. Les nouvelles technologies de l'information et de la communication ouvrent également de nouveaux champs d'accès à la culture, grâce à la dématérialisation des oeuvres.
Mais être moderne, c'est considérer qu'Internet ne peut se développer sans règles, c'est veiller à ce que ces formidables possibilités ne soient pas dévoyées au profit d'une standardisation, d'un formatage des productions, d'une paupérisation de l'offre culturelle.
On entend dire qu'une autorité administrative indépendante ne pourrait suspendre un abonnement à Internet. Aucune règle constitutionnelle ou internationale ne s'y oppose pourtant.
Le texte que nous examinons répond aux prescriptions posées par le Conseil constitutionnel depuis sa décision relative au CSA du 17 janvier 1989.
En outre, les sanctions seront prononcées, au sein de la HADOPI, par la commission de protection des droits, instance composée de trois magistrats, dans le respect des exigences internationales relatives au caractère équitable du traitement des contentieux.
En ce qui concerne les interrogations sur le respect de la vie privée des internautes, je m'inscris en faux contre les assertions évoquant une surveillance généralisée des réseaux par la HADOPI. Certes, la Haute autorité pourra avoir accès à certaines données personnelles des abonnés, mais celles-ci demeureront réduites au strict minimum – nom et adresse – et ne pourront pas être divulguées aux ayants droit. À cet égard, la procédure sera plus protectrice que celle actuellement en vigueur devant le juge.
De plus, en ce qui concerne la collecte des informations nécessaires à la procédure, notamment les adresses IP, le protocole de traitement automatique des bases de données sera non seulement agréé mais également contrôlé par la CNIL.
Enfin, on entend dire que le dispositif envisagé risquerait d'être impopulaire. Mes chers collègues, notre République repose sur des principes et des valeurs qui nous rassemblent,…
…parce qu'elles dépassent largement les clivages politiques en constituant le ciment de notre société.
Mes chers collègues, nous devons avoir le courage de défendre ces principes et ces valeurs. La liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres ; les droits des uns doivent être respectés sans que soient méprisés ceux des autres ; le travail de chacun doit être reconnu et justement rémunéré ;…
…enfin, la propriété, y compris intellectuelle, je dirais même, surtout intellectuelle,…
…est un droit fondamental, garanti par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dont l'article 17 précise que « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé ».
Nous devons réaffirmer notre attachement à la pérennité d'un droit lié à la personne de l'auteur, qui lui garantit rémunération et droit de regard sur ses oeuvres.
Mes chers collègues, ce texte, de par son caractère avant tout pédagogique, permettra d'ouvrir, sur ces valeurs fondamentales, des discussions au sein de chaque famille.
De plus, cessons d'opposer les droits des internautes aux droits des créateurs. Nous pouvons ensemble, j'en suis convaincu, défendre sereinement les intérêts des uns et des autres. Je tiens à ce propos à saluer la position exprimée, lors de l'examen du texte au Sénat, par Mme Catherine Tasca, ancienne ministre de la culture, dont chacun s'accorde à reconnaître la compétence sur le sujet : « La loi DADVSI avait été la source d'affrontements caricaturaux. [...] », au même titre que vos remarques, mes chers collègues. « Le moment est peut-être venu, avec ce nouveau projet de loi, de mettre enfin un terme, au moins pour un temps, à ce combat qui ne sert pas plus la création que les utilisateurs ».
Bien sûr, ce projet de loi peut et doit faire l'objet d'améliorations. Le Sénat a du reste commencé à l'enrichir, en adoptant un certain nombre d'avancées majeures. C'est aussi le rôle de notre assemblée.
La commission des lois, tant sur ma proposition que grâce au travail de tous ses membres, a adopté quatre-vingt-cinq amendements que je me contenterai, à ce stade, de présenter brièvement puisque la discussion des articles nous donnera l'occasion d'en approfondir l'examen.
La commission a tout d'abord veillé à améliorer la composition et le fonctionnement de la HADOPI, en accroissant notamment le droit de regard du Parlement sur la désignation des membres du collège, en rationalisant son fonctionnement et en apportant des précisions sur ses prérogatives et ses obligations. Dans ce cadre, le groupe SRC a voulu préciser les modalités de contrôle des intérêts des membres de la HADOPI, ce que la commission a jugé opportun et bienvenu.
C'est là le seul amendement du groupe SRC que la commission a bien voulu accepter !
La commission des lois a par ailleurs souhaité, avec l'aide de M. Jean Dionis du Séjour et du groupe SRC, restaurer la cohérence de la réponse graduée grâce à une accentuation de l'action pédagogique entreprise dès les phases d'avertissement : la HADOPI et les fournisseurs d'accès à Internet devront insister sur l'offre légale existante et les mesures accessibles pour se prémunir contre les usages non autorisés d'un accès à Internet. De même, l'attrait de la transaction par rapport aux sanctions a été renforcé, le dialogue assorti d'engagements à ne plus pirater en contrepartie d'une certaine clémence constituant une voie intéressante de résolution des problèmes.
La commission des lois s'est également évertuée à valoriser autant que possible l'offre légale en ligne. Outre les avancées du projet de loi en matière de suppression des mesures anti-copie – les fameux DRM –, elle a décidé d'accélérer le dialogue interprofessionnel sur la révision de la chronologie des médias. C'est ainsi que, sur ma proposition, l'exploitation des films en DVD pourra intervenir plus rapidement, le délai après la sortie du film en salles étant ramené à une période allant de trois à six mois. Bien évidemment, je fais toute confiance aux professionnels du cinéma…
…pour trouver le plus rapidement possible entre eux, et avec le CNC, un accord intégral sur la chronologie des médias, ce qui contribuera à faciliter le développement de l'offre légale sur Internet.
Enfin, dans le prolongement de la constante préoccupation de simplifier le droit, dont elle fait preuve depuis le début de la treizième législature, la commission des lois a adopté des amendements tendant à alléger des procédures devenues inapplicables ou à abroger des lois obsolètes.
La commission des lois a donc préservé l'esprit et les équilibres des accords de l'Élysée, ce qui est à mes yeux essentiel, tout en améliorant le projet du Gouvernement sur des points importants.
Ce texte ne mettra sans doute pas un point final au piratage des oeuvres et des objets protégés sur Internet, mais, comme l'a rappelé Mme la ministre, telle n'est pas son ambition : en jugulant sensiblement le phénomène, il permettra en revanche aux industries culturelles de poursuivre leur mue vers de nouveaux modèles économiques accessibles à tous et suffisamment rémunérateurs pour les créateurs. Sans doute ces industries culturelles ont-elles un peu tardé à s'adapter à l'ère numérique. Ce n'est pas une raison de les condamner à la disparition, au motif qu'Internet serait synonyme de gratuité.
Mes chers collègues, nous devons favoriser une transition des anciens modèles vers de nouveaux équilibres. Personne, à ce stade, ne peut prétendre savoir de quoi, demain, sera fait le modèle économique de notre culture. Tous, en revanche, nous pouvons nous accorder sur la nécessité de préserver la vitalité et la diversité qui font de notre culture cette petite parcelle de différence, cette exception dans un monde trop souvent en proie à la standardisation.
Oui mes chers collègues, c'est bien de notre exception culturelle française qu'il s'agit à travers ce projet de loi.
Je suis convaincu que nous pouvons, ensemble, relever ce défi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Je me fonde, monsieur le président, sur l'article 58, alinéa 1.
M. Franck Riester n'est pas sans talent, ce qui est tout à son honneur. Toutefois le nouveau député qu'il est n'a pas à utiliser la Déclaration des droits de l'homme comme linceul de nos libertés.
Par ailleurs, madame la ministre, je tiens à rappeler ce que M. le président de l'Assemblée nationale a lui-même souligné, à savoir que les internautes pourront suivre les débats des représentants de la nation, que nous sommes, de bout en bout.
Monsieur le président, de même qu'il y a eu Gutenberg au XVe siècle, il y a Internet aujourd'hui. J'appelle tous les internautes de France et d'ailleurs à faire part immédiatement de leur opinion, par courriels, à Mme Albanel et aux trois rapporteurs, puisque M. Franck Riester a affirmé que les internautes étaient favorables au projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
La parole est à Mme Muriel Marland-Militello, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, à l'initiative de Christian Kert, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales a pris l'excellente décision de se saisir pour avis du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet.
C'est, je le répète, une excellente décision, puisqu'il s'agit d'un sujet vital pour notre culture et pour la démocratisation culturelle.
Sans évidemment rappeler toutes les dispositions de la loi, que Mme la ministre et M. le rapporteur ont déjà évoquées, je tiens, au nom de la commission des affaires culturelles, à insister sur les points que j'estime fondamentaux pour l'avenir de notre culture et de la démocratisation culturelle.
Le monde numérique permet, à l'échelle planétaire, une diffusion rapide et peu coûteuse de contenus culturels. Cette révolution nous a fait passer de l'ère des mass media à celle des self media. En effet chacun, désormais, peut être son propre programmateur. À nouvelle ère, nouvelles régulations !
C'est la raison d'être de ce projet de loi, qui tire véritablement les leçons du passé,…
…en s'inscrivant en rupture avec la loi DADVSI de 2006, à laquelle je m'étais opposée – vous vous le rappelez, mes chers collègues, mais j'ai précisément compris la différence entre les deux textes ! La rupture, de plus, concerne autant la méthode que le contenu.
En ce qui concerne la méthode, loin qu'il s'agisse d'un projet de loi tout droit sorti de bureaux obscurs, il est au contraire le fruit d'une démarche constructive, pragmatique et ouverte, qui a débouché sur des accords historiques entre les fournisseurs d'accès à Internet et les professionnels de la culture, tous secteurs confondus.
En ce qui concerne le contenu, le texte privilégie la pédagogie sur la sanction pénale, ce qui permettra de sortir d'une situation absurde, puisque la seule possibilité offerte aux victimes du téléchargement illégal était de saisir le juge pénal en se fondant sur le délit de « contrefaçon », passible d'une peine de trois ans de prison et de 300 000 euros d'amende !
L'objectif du projet de loi est bien de proposer une alternative, laquelle repose sur la mise en place d'une autorité administrative indépendante ainsi que sur le développement de l'offre légale et sur la pédagogie. En effet, alors qu'il s'agit d'oeuvrer sur plusieurs fronts, l'amélioration de l'offre légale et la pédagogie sont des clés du problème.
Le piratage est avant tout une question morale et de civilisation. C'est l'inconscient collectif qu'il convient d'orienter vers un plus grand respect des oeuvres et des artistes, quel que soit le média d'accès. La leçon que chacun doit apprendre de ce texte, c'est que celui qui pirate une oeuvre méprise la création tout entière !
En effet, comme la piraterie massive crée un déséquilibre dramatique, le projet de loi vise à restaurer l'équilibre qui avait disparu entre deux séries de libertés et de droits fondamentaux : celles des internautes, qui ont droit à la liberté de communiquer et au respect de leur vie privée, et celles des créateurs et producteurs, qui ont droit à la liberté de voir leur travail respecté conformément au droit de la propriété intellectuelle.
Or cet équilibre est actuellement rompu, puisque les créateurs et les producteurs voient plus de la moitié de leurs oeuvres piratées, sous le prétexte de la liberté sans frein que revendiquent certains internautes.
Ces mêmes internautes – c'est à eux que je m'adresse – ont-ils conscience que leur piratage correspond à un vol de CD ou de DVD dans un magasin ? (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Ont-ils conscience qu'ils volent le temps de travail des créateurs, des artistes interprètes et l'investissement des producteurs indépendants aussi bien que des puissants.
Ont-ils conscience qu'ils outragent la valeur travail ? Ont-ils surtout conscience qu'ils se font du tort à eux-mêmes ? Ceux qui les désinforment se gardent bien de leur dire que, bientôt, ils n'auront plus de contenus nouveaux à échanger. À quoi, alors, leur servira la liberté d'échanger ? Savent-ils, enfin, ce que je sais, à savoir que, déjà, ils n'ont plus la chance de découvrir certains jeunes chanteurs, acteurs et metteurs en scène qui, en raison des pertes dues au piratage, ne peuvent plus être produits ?
En effet, les gros producteurs ne sont pas les seuls à être lésés par le piratage. Les petits et moyens producteurs sont plus douloureusement atteints et chaque piratage leur est chaque jour un peu plus mortel. Indépendamment des drames personnels, qui comptent, notre patrimoine culturel de demain est déjà menacé.
En voulant protéger la liberté des artistes, il ne s'agit pas de bafouer celle des internautes. D'ailleurs, agir illégalement n'est pas une liberté,…
…sur l'Internet comme ailleurs – ou alors je ne sais plus dans quelle République nous sommes.
Le tout est d'être informé sur ses droits et ses devoirs, ce qui est le cas puisque la loi met en place, par le biais de l'HADOPI, une première recommandation, avec rappel de la législation,…
…puis une deuxième avec lettre recommandée et, même s'il y a une récidive dans un délai d'un an, la Haute autorité a la possibilité de nuancer, voire de ne pas appliquer une suspension de l'abonnement Internet si l'internaute incriminé s'engage à renoncer à sa pratique. Je ne connais pas de procédure plus souple.
Toutefois, ne manquerez-vous pas de vous demander, comment réussir techniquement ?
C'est impossible, selon vous. Laissez-moi donc vous indiquer comment, sinon éradiquer, du moins diminuer fortement le piratage. Tous les fournisseurs d'accès nous garantissent qu'ils pourront donner les coordonnées du titulaire de la ligne avec laquelle l'acte de piratage a été effectué. D'ailleurs, le projet de loi ne prend position sur aucune technique de détection par rapport à une autre.
Nous savons – nous ne sommes pas innocents – que la délinquance astucieuse peut toujours développer de nouveaux moyens techniques pour échapper aux recherches mais nous savons aussi qu'il y a autant de nouveaux développements techniques pour les identifier.
Quand bien même on ne parviendrait pas à éradiquer tous les piratages, doit-on pour autant renoncer, sous prétexte qu'une infime minorité échappe aux avertissements de la Haute autorité ? Cette loi s'adresse à l'ensemble des internautes, elle dissuadera la très grande majorité d'entre eux de continuer à pirater les contenus protégés.
À la suite des auditions que nous avons menées et des travaux réalisés par la commission des affaires culturelles, nous avons adopté différents amendements que j'aurai l'occasion de développer plus avant.
Ainsi, sous l'impulsion de Christian Kert, la commission des affaires culturelles a adopté un amendement tirant les conséquences du contexte nouveau dans lequel évolue la presse, afin d'aménager le droit d'auteur des journalistes sur Internet. La commission a également adopté plusieurs amendements visant à améliorer le respect du droit à l'information des internautes dans leur relation avec l'HADOPI. Ils auront en particulier le droit, s'ils le souhaitent, de demander le contenu qui leur est reproché.
Afin que l'HADOPI soit toujours en phase avec des évolutions technologiques des plus rapides, j'ai souhaité que sa mission d'observation des techniques de piratage soit renforcée. Le développement de l'offre légale étant indispensable pour inciter à ne plus commettre d'actes de piratage, nous avons souhaité mettre l'accent sur l'information et sur la fiabilisation de l'offre légale.
Aussi, je souhaite que l'on confie au CNC, au CNL et au CNV une mission de soutien et d'encouragement de l'offre légale. La commission a également adopté ma proposition de création d'un crédit d'impôt au bénéfice des auteurs et des producteurs cinématographiques qui investissent dans de nouveaux formats sur Internet, pour que la France ait toutes les chances de devenir le fer de lance de la création numérique, ce qui constituerait un levier de croissance et de rayonnement culturel.
Enfin, je pense qu'il faut mettre l'accent sur la pédagogie. Dans cette perspective, la commission propose que, dans le cadre des enseignements artistiques, les enfants soient sensibilisés dès l'école et jusqu'au lycée aux dangers du piratage pour la création.
Je vous proposerai également un amendement en faveur des éditeurs indépendants de vidéo à la demande qui offrent majoritairement des oeuvres d'expression française et européenne. Il en va de la diversité culturelle des offres légales, à laquelle nous sommes très attachés.
En conclusion, proposer et éduquer, voilà nos maîtres mots !
Ce projet marchera bien sur deux jambes : un dispositif de dissuasion, qui peut certes aboutir à une sanction pour les multirécidivistes, et, surtout, un dispositif incitatif et pédagogique, qui est la seule vraie solution durable. N'oublions jamais qu'il n'y a pas d'avenir pour la culture sans création.
Ce texte n'est crédible que parce que ses auteurs ont bien compris que la clé de la réussite est de faire de l'offre légale la seule solution attractive. Pour cela, elle doit être accessible, diverse et renouvelée. C'est d'ailleurs la première des missions confiées à l'HADOPI.
Il s'agit, pour notre société, de trouver les nouveaux modèles économiques, de promouvoir de nouveaux comportements, d'encourager de nouvelles formes de création pour que la dématérialisation ne sonne pas le glas de la création et de la diversité culturelle, mais, au contraire, qu'elle permette que la technologie soit au service de la démocratisation culturelle pour une culture de qualité.
C'est la raison pour laquelle la commission des affaires culturelles, familiales et sociales est favorable à l'adoption de cet excellent texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Je m'exprime en vertu de l'article 58, alinéa 1, monsieur le président.
Je m'adresse au rapporteur M. Franck Riester, ainsi qu'au rapporteur pour avis M. Bernard Gérard, présents dans l'hémicycle, afin qu'ils nous aident à clarifier les choix de la majorité et à bien ordonner nos débats. Nous venons d'entendre Mme Marland-Militello – et elle a raison – souligner que cette nouvelle loi tourne une page puisque, aux termes de la loi précédente, l'équilibre avait disparu entre deux libertés : celle des internautes et celle des artistes.
Je crains que vous ne soyez en train d'aborder le fond du sujet, monsieur Paul.
Pas du tout, monsieur le président ! Il s'agit de faire en sorte que les rapporteurs jouent totalement leur rôle. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Je renvoie au rapport de M. Riester qui écrit exactement le contraire de ce que vient de déclarer Mme Marland-Militello, puisqu'on peut y lire, page 10 : « Le projet de loi soumis à l'examen de l'Assemblée nationale n'entend pas revenir sur l'équilibre trouvé lors de la discussion de la loi du 1er août 2006, dite DADVSI […]. »
Comment la qualifier d'inadmissible alors que M. Paul relève une contradiction majeure de la majorité ?
La parole est à M. Bernard Gérard, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous abordons l'examen d'un projet très médiatique : pas un journal, pas un blog qui ne parle, depuis quelques jours, de l'HADOPI.
Mes chers collègues, que le Parlement soit au coeur du débat, on ne peut que s'en féliciter.
Après le vote unanime du Sénat, seuls les députés du groupe communiste s'étant abstenus,…
…cette agitation est-elle pour autant tout à fait justifiée ? Quand j'observe ce texte de loi, je n'y vois, ni plus ni moins, que l'ambition de parfaire le cadre juridique dans lequel pourront être développées les activités liées à l'Internet.
J'y vois l'ambition d'articuler plus harmonieusement le monde numérique et le monde artistique qui ne doivent nullement s'opposer mais cohabiter.
J'y vois, en fait, l'ambition de réconcilier deux visions idéalistes du monde, celle du surfeur et celle du créateur, celle de l'internaute et celle de l'interprète.
C'est une ambition à laquelle, pour ce qui est des principes, on ne peut qu'adhérer.
Cette ambition n'a pas été affichée seulement, la semaine dernière, par le Gouvernement. Le principe d'une meilleure lutte contre le piratage fait partie des engagements de campagne du Président de la République.
La majorité n'a donc pris personne en défaut ; d'autant moins que, en l'occurrence, la concertation qui a prévalu à la rédaction du projet de loi peut être considérée, à beaucoup d'égards, comme exemplaire –…
…je ne rappellerai pas tout ce qui a déjà été dit sur la mission Olivennes, un exemple en la matière. Quarante-sept partenaires se sont concertés, quarante-sept partenaires ont entendu, quarante-sept partenaires attendent notre loi.
Après la concertation, l'heure est à l'action. Et le débat au Parlement est un passage obligé pour apporter des réponses aux questions – légitimes – de nos concitoyens, relayées naturellement par leurs députés, sur les garanties qui seront apportées au moment de l'application de la loi.
Avant d'en arriver à ces questions, aux garanties qu'il faut apporter, je souhaite préciser que nous parlons aujourd'hui de Internet et de la création. Nous ne parlons pas que du piratage.
Réduire Internet à cette seule dimension, penser, comme le font certains, que le piratage est consubstantiel à Internet,…
…c'est faire, à mon sens, une erreur d'analyse importante autant que commettre une injustice. Or tel n'est pas notre rôle vis-à-vis de tous ceux qui s'efforcent – ils sont nombreux – d'utiliser la Toile de manière légale.
Internet est l'un des outils qui permet la révolution numérique dont nous avons la chance d'être les acteurs. Cette révolution, il faut l'accompagner plutôt que la subir.
L'un des aspects essentiels de cette révolution, c'est un accès facilité à la culture, à la musique et aux films, demain aux livres, aux documents historiques, aux musées. Pensons ainsi aux oeuvres du musée du Prado à Madrid que l'on peut désormais admirer dans leurs moindres détails chez soi, sur Internet, parfois mieux encore qu'au musée lui-même, le charme en moins peut-être.
Je n'ignore pas non plus que Internet est le moteur d'importantes évolutions économiques et sociales : le commerce en ligne connaît une explosion depuis plusieurs années, ce qui bouscule certains modèles traditionnels de vente, y compris la vente à distance à laquelle je suis particulièrement attaché.
Accepterait-on que le commerce en ligne ne soit pas encadré par des règles, des textes ?
Internet permet aussi de développer de nouveaux réseaux sociaux du type Facebook, particulièrement à la mode. Ces réseaux donnent à tous le goût du partage des idées, des points de vue, permettent la multiplication des cercles d'amis. L'une des caractéristiques de l'homme est de communiquer sans réserves mais pas sans limites.
La proposition des opérateurs du réseau Facebook, il y a quelques jours, de conserver indéfiniment les données mises en ligne par ses membres, a provoqué un tollé – un buzz, comme on dit maintenant – d'une ampleur mondiale. Les internautes ont dès lors compris que l'Internet avait besoin d'une régulation et ne pouvait être une zone de non-droit.
Ils doivent donc aussi comprendre que, pour les droits d'auteurs, une meilleure régulation s'impose, faute de quoi les conséquences peuvent être catastrophiques pour la création artistique à laquelle nous avons le droit d'être attachés, en particulier dans notre pays dont la richesse culturelle rayonne bien au-delà de nos frontières.
En défendant la création artistique, nous tentons de défendre les artistes mais aussi l'industrie culturelle. Faut-il rappeler que, dans le secteur du disque, 90 % des entreprises ont moins de 20 salariés, 92 % dans le domaine du cinéma, et 90 % dans l'audiovisuel. Ces entreprises sont menacées directement de fermeture par le piratage. Ce ne sont pas des majors.
Je pense aussi au cinéma français, qui représente l'une des spécificités nationales que d'autres pays nous envient, et que l'on doit défendre, qu'il s'agisse du cinéma privé ou du cinéma public. Dans bien des villes, le cinéma municipal est menacé par le développement du piratage.
Non ! Ces cinémas sont menacés par Karmitz et UGC, par les copains du Président de la République ! (Rires sur plusieurs bancs.)
La proportion des films sortis en salle et pas encore en vidéo mais disponibles sur Internet, selon le système peer to peer, atteint 93,3 %. Ce n'est pas normal !
Dans cette perspective, ce projet de loi constitue un signal très positif en faveur d'une évolution des comportements et de leur meilleure régulation. En prévoyant cette fameuse réponse graduée préconisée par tous les acteurs de la Toile en 2007, il traduit le volet préventif des accords Olivennes.
Selon certains, cette réponse graduée ne présente pas toutes les garanties procédurales nécessaires ; je considère personnellement qu'en plus de toutes les garanties nécessaires, elle permet d'atteindre la visée didactique souhaitée par tous : il faut sensibiliser l'internaute, pas le sanctionner – du moins dans l'immédiat –, et c'est le but poursuivi par le texte.
Cette visée didactique est fondamentale. De ce point de vue, je suis très satisfait de constater les mesures que le projet de loi prévoit pour l'information des jeunes. Je proposerai que cette information ne soit pas connotée négativement – en parlant de « dangers », de « peines encourues » –, mais positivement – en évoquant l'existence de l'offre légale, certes, mais également le respect des créateurs artistiques, la valeur d'une oeuvre.
Il est très important de développer cet aspect dans nos écoles.
En ce qui concerne les garanties procédurales, j'ai été sensible à certains arguments avancés par les associations de consommateurs. J'ai donc été favorable à ce que le consommateur puisse savoir au plus tôt ce qu'on lui reproche, et qu'il ait les moyens de le contester, notamment en recevant la mention d'au moins une oeuvre illégalement téléchargée.
J'ai également été favorable à ce que la réduction du débit soit limitée dans le temps, comme la coupure. La commission a en outre adopté – contre mon avis, certes –, un amendement rendant obligatoire le recommandé lors du second envoi – c'est à mon avis une mesure qui rigidifie le texte, empêche précisément sa visée souple et didactique, j'y reviendrai.
Vous n'avez pas à donner votre avis personnel. Vous êtes rapporteur de la commission !
Enfin, j'ai souhaité que soit posée la question des télétravailleurs. Leur accès à Internet constitue leur outil de travail : il faut donc que les mesures prévues par le projet de loi pour les personnes morales – installation d'un logiciel pare-feu empêchant l'accès aux sites pirates – soient étendues aux télétravailleurs. Il est nécessaire de prêter une attention particulière à ce nouveau mode de travail, extrêmement important et créateur d'emplois, que peut constituer le télétravail.
Mais le présent projet de loi ne se résume pas à la réponse graduée. Nos débats en commission ont également porté sur l'article 5, donc sur la procédure qui peut être initiée par les ayants droit directement devant le juge.
Je voudrais en effet rappeler que la nouvelle procédure devant l'HADOPI ne remplace pas celle qui pourra être faite devant le juge.
Nous avons d'ailleurs eu à ce sujet un débat intéressant, initié par un amendement déposé par le président Ollier et adopté par la commission.
Considérant que le projet de loi accorde de nouveaux moyens, importants, à la lutte contre le téléchargement illégal des utilisateurs, il a semblé qu'il était également important de faire avancer le curseur en ce qui concerne la lutte contre les vrais pirates, ceux qui mettent à disposition les contenus illégaux ou des logiciels permettant le téléchargement illégal à grande échelle. Pour faire avancer ce curseur, la responsabilité des fournisseurs d'accès a été davantage mise en avant.
Reste la question de l'offre légale. Là est bien sûr la solution. Chacun le sait, c'est un élément important des accords Olivennes et des accords de l'Élysée : les professionnels du secteur devaient s'engager à améliorer cette offre légale en même temps que la discussion du projet de loi.
Cette offre numérique légale existe aujourd'hui. Elle s'est considérablement enrichie. Cependant, elle est bien souvent jugée insuffisante par les internautes. C'est pourquoi ce projet de loi vise à accroître et à améliorer l'offre commerciale légale. Vous l'avez dit, madame la ministre, il faut que l'on trouve sur la toile « toujours plus de films et de musiques avec des modèles très différents ». C'est vers cet objectif que tous les acteurs doivent tendre.
Dans cette perspective, le secteur devait lancer une concertation pour réduire la chronologie des médias. J'ai été déçu de constater que ce point n'était toujours pas réglé. C'est pourquoi la commission a considéré qu'il était nécessaire de fixer dans la loi un délai, de l'ordre de trois mois, sur lequel il y aura sans doute un débat.
Moyennant ces adaptations, le projet de loi nous semble être une réponse très positive, moderne, adaptée au problème à traiter. Il implique une mise en oeuvre intelligente par le Gouvernement, et je suis sûr que nous pouvons lui faire confiance pour apaiser les craintes des internautes, auxquelles tout le monde est sensibilisé.
Je tiens, pour finir, à remercier tous les interlocuteurs rencontrés sur ce sujet passionnant, qui m'ont permis d'être éclairé sur les enjeux de ce texte.
Vous pouvez compter, madame la ministre, sur notre soutien dans ce dossier. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Ce rappel au règlement se fonde sur l'article 58, alinéa 1. Le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques vient de nous présenter son rapport. En tant que responsable de mon groupe au sein de cette commission, je voudrais lui rappeler qu'il n'est pas rapporteur du Gouvernement, mais des travaux de ses collègues. Il doit, car c'est la règle dans notre assemblée, rendre fidèlement compte des travaux de cette commission, sans…
Non, monsieur le président, il ne l'a pas fait, puisqu'il a indiqué que lui-même désapprouvait l'avis de la commission.
Mon cher collègue, le rapporteur a parfaitement rapporté la position de la commission, et a donné un avis personnel complémentaire.
Cela est tout à fait dans l'ordre des choses, c'est conforme à nos usages, et il l'a fait avec la plus grande honnêteté. Poursuivez, et achevez, mon cher collègue.
Merci, monsieur le président. Je pense qu'il doit se dispenser de donner son avis personnel, dès l'instant où il rend compte du travail de ses collègues.
D'autre part, je m'interroge sur ce qui se passera lorsque notre règlement aura changé, c'est-à-dire lorsque le texte examiné en séance publique – et c'est déjà le cas au Sénat – sera celui adopté par la commission et non le projet de loi déposé par le Gouvernement. Quelle sera l'attitude des rapporteurs ? Diront-ils, par exemple, qu'ils ne défendent pas le texte adopté par la commission, et qu'ils préfèrent celui que le Gouvernement avait déposé ? Vous imaginez dans quel bazar – passez-moi l'expression – nous allons nous retrouver. Il faut donc que les rapporteurs sachent tenir correctement leur rang.
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
La parole est à M. Patrick Bloche.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, comme vous le savez sans doute, dans les séries américaines – qui sont d'ailleurs, nous dit-on, les oeuvres télévisuelles les plus téléchargées –, les « saisons » se succèdent. À cet égard, le débat parlementaire que nous commençons aujourd'hui s'apparente à la « saison 2 » d'un mauvais feuilleton dont la « saison 1 » a été la discussion, en 2005 et 2006, de la funeste loi dite DADVSI.
Il s'agissait alors de donner une sécurité juridique aux mesures techniques de protection, qui étaient, à cette époque, la solution à tout, le Graal du Gouvernement en la matière. Votre prédécesseur, madame la ministre, faisait ici même, non sans quelque grandiloquence, le pari que nos millions de concitoyens internautes allaient, une fois sa loi votée, migrer massivement vers les offres commerciales de téléchargement. Trois ans plus tard, force est de constater que le pari de M. Donnedieu de Vabres a été perdu : les éditeurs abandonnent, les uns après les autres, les fameuses DRM, et les internautes n'ont pas modifié leurs usages de l'Internet, tout particulièrement dans leurs moyens d'accès aux oeuvres de l'esprit. Craignez, madame la ministre, qu'il en soit de même aujourd'hui et que ce nouveau projet de loi soit d'ores et déjà un pari perdu d'avance.
Pourquoi est-il, selon nous, perdu d'avance ? Pour trois raisons au moins, qui constituent autant d'inconvénients majeurs.
On ne fait jamais de bonne loi en organisant la confrontation entre nos concitoyens, en l'occurrence, avec ce texte, en opposant les créateurs aux internautes, c'est-à-dire les artistes et leur public. Le droit d'auteur, ce n'est pas cela. Historiquement, et c'est la raison pour laquelle les socialistes y sont viscéralement attachés, le droit d'auteur a été conçu pour défendre les auteurs, les artistes, contre les abus des éditeurs et des producteurs, en un mot les petits contre les gros. C'est donc à un véritable détournement du droit d'auteur que nous assistons, pour la seconde fois, après la loi dite DADVSI.
Ce texte, pour notre groupe, est inutile à plusieurs titres : il est d'ores et déjà dépassé. Ainsi, il vise à réprimer le téléchargement et l'échange de fichiers au moment même où le streaming est en plein essor. Il est coûteux – d'ailleurs, qui va payer ? – ; il est inefficace, car contournable ; il est techniquement très difficile à mettre en oeuvre ; il est risqué pour nos concitoyens, tant il comporte d'aléas et d'incertitudes juridiques.
Non seulement ce texte crée une usine à gaz sur le plan juridique – j'y reviendrai –, mais en plus, il passe totalement à côté des vrais enjeux, c'est-à-dire avant tout l'adaptation du droit d'auteur à l'ère numérique. Ainsi, il ne rapportera pas un euro de plus à la création.
Mme Marland-Militello vient d'ailleurs de le confirmer. C'est la réalité de cet échec que vous auriez dû acter, madame la ministre, avant de nous proposer le présent projet de loi. Mais la vérité, c'est que vous n'avez pas osé lancer cette évaluation du dispositif, pourtant prévue par la loi dans les dix-huit mois suivant sa promulgation. Où est ce rapport ? Nous l'attendons encore.
À défaut, le Gouvernement a trouvé une nouvelle machine anti-téléchargement – qui s'enrayera comme la précédente –, s'appuyant cette fois, pour justifier le bien-fondé de sa démarche, sur les accords de l'Élysée.
Il n'est naturellement pas possible pour nous de cautionner la manière dont ont été signés, le 23 novembre 2007, ces accords que vous nous présentez encore aujourd'hui comme « historiques ». Le chef de l'État s'était alors bruyamment félicité du large consensus auquel il prétendait être parvenu. Et puis, patatras, quelques temps plus tard, le patron de la maison mère de Free, Xavier Niel, avouait avoir signé ce jour-là « une feuille blanche », remettant au passage en cause le contenu même des accords. Entre ceux qui ont signé une feuille blanche et ceux qui, comme les associations de consommateurs et d'internautes, n'ont tout simplement pas été invités, le consensus était effectivement facile à trouver. S'en enorgueillir encore aujourd'hui nous semble bien mal à propos.
Mais là où ce projet de loi est réellement décalé, c'est qu'il s'attache uniquement à la question du téléchargement. Or, nous savons bien que ce n'est déjà plus la vraie question. Aujourd'hui, le streaming commence à supplanter le téléchargement et, dans quelques mois, avec la diversification des terminaux, le téléchargement ne sera plus le mode le plus répandu pour avoir accès aux contenus. Les usages évoluent, le marché des ventes en ligne se développe. Avec la multiplication de plates-formes de type Deezer, la notion de captation de fichier est de moins en moins prégnante.
De plus en plus, y compris pour la VOD, nous basculons d'un système de stockage vers un système de flux.
À nouveau, vous avez un temps de retard, qui sera d'autant plus accentué que ce projet de loi ne pourra techniquement être mis en oeuvre dès qu'il sera voté. Tous les opérateurs s'accordent à dire que, dans la majorité des cas, il ne sera pas possible de couper l'abonnement Internet sans interrompre en même temps la connexion au téléphone et à la télévision de ceux qui ont choisi une offre triple play.
Selon l'ARCEP, ce sont trois millions de foyers qui se trouveront ainsi concernés. Les plus gros opérateurs pensent pouvoir surmonter ces obstacles techniques en y consacrant plusieurs millions d'euros et ce, tenez-vous bien, dans un délai de deux ans minimum.
Au moment où la loi sera techniquement applicable, la question sera plus que jamais ailleurs.
Nous nous interrogeons, en conséquence, sur le fait de savoir qui prendra en charge les coûts d'investissement nécessaires à l'adaptation des réseaux aux exigences de la loi.
Le récent rapport du Conseil général des technologies de l'information, organisme dépendant de Bercy, estime ainsi que les coûts globaux de mise en oeuvre s'élèveront pour les FAI à « un montant minimal » de 70 millions d'euros sur trois ans. Orange parle de 13 millions d'euros pour son seul réseau.
Qu'en sera-t-il des capacités de financement des opérateurs les plus modestes ? Votre absence de réponse, madame la ministre, à la question de savoir si ces coûts seront ou non pris en charge par l'État – ou par les FAI ? par les consommateurs ? – nous interpelle.
Plus grave encore, ce texte passe totalement sous silence la principale question qui nous préoccupe, et à laquelle vous feignez de répondre par ce seul projet de loi, je veux parler de la rémunération des auteurs. Il y a trois ans, on nous certifiait que le simple fait d'adopter la loi dite DADVSI allait mettre fin aux téléchargements illégaux, et que, de fait, tous les internautes allaient massivement basculer vers les offres légales, et qu'il était en soi totalement inutile de prévoir une rémunération nouvelle pour les créateurs.
Trois ans après, force est de constater que les effets escomptés ne se sont pas produits et que les auteurs, pendant tout ce temps-là, n'ont pas touché de rémunération complémentaire.
Nous avions, à l'époque, proposé de redistribuer aux créateurs de contenus une part, que nous estimions plus que légitime, des revenus de ceux qui possèdent les tuyaux. Nous avions alors reçu une fin de non-recevoir. Il fallait, nous disait-on, laisser à un nouveau modèle économique le temps de se développer. Il était donc inutile d'aller plus loin. L'ironie de l'histoire, madame la ministre, c'est que vous avez récemment préféré créer une taxe pour financer le manque à gagner publicitaire de France Télévisions, plutôt que de rémunérer la création. Et les fournisseurs d'accès à Internet, comme les opérateurs de télécoms, ne passeront pas une seconde fois à la caisse.
On pourrait se dire que l'expérience permet de progresser, d'évaluer et d'éviter de répéter inlassablement les mêmes erreurs. Mais non, vous restez arc-boutée, madame la ministre, sur une vision faussée d'Internet, et notamment en partant du postulat que ce sont principalement les jeunes qui seraient amenés à échanger des fichiers, mus qu'ils seraient par un désir irrépressible et absolu de gratuité. Étonnante vision que celle-là !
Je voudrais, à cet égard, relever un évident paradoxe. Vous pourfendez, avec le Président de la République, la gratuité sur Internet, assimilée à du vol. Mais parallèlement, les deux mesures phares en direction des jeunes qui ont été annoncées très médiatiquement par Nicolas Sarkozy en début d'année, et qui concernent précisément vos attributions ministérielles, visent justement à instaurer de la gratuité : la première autorise pour les jeunes un accès gratuit aux musées, et la seconde octroie pendant un an aux jeunes de dix-huit ans un abonnement gratuit à un journal quotidien.
En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas des idéologues de la gratuité. Au contraire, nous sommes en quête de nouveaux modes de financement de la création.
Car, à nouveau aujourd'hui, trois ans après le pari perdu de la loi dite DADVSI, le Gouvernement ignore totalement toute approche alternative qui pourrait être fondée sur la reconnaissance des échanges non lucratifs entre individus en contrepartie du paiement d'une contribution forfaitaire par les abonnés au haut débit.
Toute proposition qui pourrait amener une rémunération nouvelle des créateurs, un financement supplémentaire, précieux pour la production des oeuvres, est d'emblée balayée d'un revers de main par le Gouvernement, qui n'a d'ailleurs jamais commandé ne serait-ce qu'une seule étude sur le sujet.
Si nous proposons, par un amendement, la création d'une contribution créative, c'est avant tout pour ouvrir ici même le débat. Le souci premier de notre groupe reste bien de savoir comment financer la création à l'ère numérique.
Abordant à présent la question des principes fondamentaux du droit, je dirai que le projet de loi est, de notre point de vue, tout simplement irrecevable. Comment, malgré les nombreux avis concordants dont il a été destinataire, le Gouvernement peut-il se présenter aujourd'hui devant la représentation nationale avec un texte qui n'est qu'un meccano hasardeux, et dont les dispositions sont contraires aux droits garantis tant par la Constitution que par la convention européenne des droits de l'homme ?
Tout d'abord, nous ne pouvons que nous inquiéter que la prise de sanction, telle la suspension d'un abonnement à Internet, soit confiée à une autorité indépendante. La compétence exclusive du juge pour toute mesure visant la protection ou la restriction de libertés individuelles est pourtant un principe rappelé à maintes reprises par le Conseil constitutionnel. Les mesures entraînant une restriction de la liberté individuelle de se connecter à Internet, outil de plus en plus indispensable à la vie quotidienne de chacun, sont suffisamment sensibles pour être prises par le juge et non par une autorité administrative. Si le législateur peut confier à une telle autorité, dans le cadre de prérogatives de puissance publique, un pouvoir d'infliger des sanctions, c'est à la condition que celles-ci soient exclusives de toute privation de liberté.
Dans le cadre de la révision du Paquet Télécom au Parlement européen, les discussions de l'automne dernier ont débouché sur l'adoption, par 573 voix contre 74, de l'amendement n° 138 , présenté par Guy Bono et Daniel Cohn-Bendit.
Cet amendement visait à ce qu'aucune restriction des droits fondamentaux et des libertés des utilisateurs de services de communication au public en ligne ne puisse être imposée sans une décision préalable de l'autorité judiciaire. Son vote massif n'a fait que confirmer la nécessité de respecter le principe constitutionnel précédemment évoqué.
D'ailleurs, vous le savez parfaitement bien, madame la ministre, car tout en ayant déclaré officiellement que la portée de cet amendement n'était pas « suffisante pour remettre en cause notre démarche », vous n'avez pas ménagé votre peine, avec le Président de la République, pour tenter de réduire à néant cet amendement, en profitant de la présidence française de l'Union européenne à ce moment-là. Si la Commission n'a pas obtempéré, c'est du Conseil des ministres européens qu'est venu votre salut. Salut du reste très précaire, dans la mesure où l'amendement n° 138 vient de devenir l'amendement n° 46 ,…
…tout juste réintroduit par Catherine Trautmann, rapporteure du Paquet Télécom en deuxième lecture, et qui, faut-il le rappeler, madame la ministre, vous a précédée rue de Valois.
Outre cet amendement qui vous dérange tant, la Commission européenne reste très réticente à l'idée de laisser à un organe administratif un tel pouvoir de suspension, soulignant très justement que « la réalité de l'utilisation actuelle d'Internet dépasse largement l'accès aux contenus ». En effet, la Commission vous a rappelé, comme nous le faisons aujourd'hui, qu'un nombre grandissant de services au public est fourni par Internet, moyen qui se substitue de plus en plus aux canaux traditionnels de communication.
Je vous invite à lire ou à relire la résolution du Parlement européen, adoptée par 586 voix contre 36, le 10 avril 2008, sur les industries culturelles en Europe. Cette résolution met en avant deux principes intéressants. Tout d'abord, les députés européens ont souligné que « la criminalisation des consommateurs qui ne cherchent pas à réaliser des profits ne constitue pas la bonne solution pour combattre le piratage numérique ». Le Parlement européen a également engagé « la Commission et les États membres à éviter l'adoption de mesures allant à l'encontre des droits de l'homme, des droits civiques et des principes de proportionnalité, d'efficacité et d'effet dissuasif, telles que l'interruption de l'accès à Internet ». Jusqu'à quand le Gouvernement va-t-il faire comme si ces recommandations européennes n'existaient pas ?
La suspension de l'abonnement constitue une sanction disproportionnée. Cette appréciation est visiblement partagée jusque dans les rangs de la majorité, comme en témoigne l'adoption en commission d'un amendement visant à ce que la sanction de suspension relève de l'unique autorité judiciaire saisie par la commission de protection des droits, ainsi que d'un amendement remplaçant la procédure de la suspension par une amende.
Face à l'expression de ces doutes, vous avez, madame la ministre, lors de votre audition en commission, affirmé avec quelque légèreté qu'il ne s'agissait absolument pas d'une atteinte aux libertés, dans la mesure où l'internaute dont l'abonnement aura été suspendu aura toujours la possibilité de se rendre chez des voisins ou de la famille pour se connecter à Internet.
Certains y ont même vu une suggestion de contournement de votre propre loi.
Le texte pose donc des questions essentielles, notamment en ce qui concerne le non-respect des principes fondamentaux du droit. Nous contestons, vous l'avez compris, le caractère disproportionné de la sanction encourue par les internautes, encore aggravé par le fait que ces derniers ne pourront bénéficier des garanties procédurales habituelles. En effet, l'absence de procédure contradictoire, le défaut de prise en compte de la présomption d'innocence et du principe de l'imputabilité, ainsi que la possibilité de cumuler sanction administrative et sanction pénale sont, pour notre groupe, autant d'éléments d'irrecevabilité.
En matière de présomption d'innocence, tout d'abord, le fait que le titulaire de l'accès soit présumé responsable pose un réel problème. Le choix du Gouvernement de faire peser la charge de la preuve sur l'internaute et de la combiner à l'absence de possibilité de recours pour le titulaire de l'accès ignore tout simplement les droits de la défense. Dès lors, nous nous interrogeons sur ce qui se passera en cas d'erreur de transmission ou d'erreur dans la saisine initiale par les organismes de représentation des ayants droit. Le projet de loi ne dit pas comment la Haute autorité sera en mesure d'éviter les erreurs matérielles dans la gestion de l'envoi de recommandations, en particulier lorsque sera utilisée une procédure d'envoi systématique.
Le recours ne sera possible qu'après la suspension de l'abonnement à Internet – rien avant ! –, et il ne sera pas lui-même suspensif. Une fois leur abonnement indûment coupé, nos concitoyens devront attendre, nul ne sait combien de temps, que l'autorité judiciaire qu'ils auront alors pu saisir, constate la commission d'une erreur. Comme ils n'auront pu contester aux étapes précédentes, la sanction s'appliquera avant même qu'ils aient la possibilité de faire valoir leur bonne foi, en supposant, ce qui est loin d'être évident, qu'ils puissent le faire.
Dans notre droit, les décisions au fond doivent exclusivement s'appuyer sur des éléments de preuve sur lesquels les parties ont la possibilité de se faire entendre. Or, dans ce texte, les avertissements ou les recommandations ne sont pas de simples rappels de la loi ou d'innocentes mesures pédagogiques, comme vous essayez de nous le faire croire. Ils relèvent de la catégorie des actes administratifs qui vont produire des effets dans la sphère juridique des titulaires d'un accès à Internet. Le mail d'avertissement est en lui-même une étape qui conduit à la sanction future. Il devrait donc faire l'objet d'une contestation possible par l'internaute.
Aucun dispositif, ne serait-ce que d'accueil des internautes ainsi interpellés, n'est prévu pour répondre à leurs légitimes interrogations, demandes ou contestations. Il nous apparaît indispensable de créer au moins les conditions visant non seulement à la justification par la Haute autorité de son envoi, mais également à la possibilité de le contester. Cette demande est d'autant plus pertinente que, technologiquement parlant, le risque d'erreur est grand. D'autant que, si l'on se réfère aux chiffres que vous donnez vous-même, pas moins de 10 000 courriels de premier avertissement, 3 000 courriels ou lettres recommandées et 1 000 suspensions d'abonnements à Internet par jour ont été annoncés.
On ne compte plus les professionnels qui mettent en garde contre les obstacles techniques auxquels le dispositif prévu va se heurter. Comment va-t-on déterminer si l'internaute a ou non téléchargé illégalement ? Rien ne permettra de savoir si la personne qui se connecte par Wi-Fi sur la box d'un usager pour effectuer des téléchargements illégaux est un pirate extérieur ou l'usager lui-même ? Qui faudra-t-il croire ?
Quels seront les moyens de sécurisation prétendument absolue que l'Hadopi sera amenée à labelliser ? Sur quels critères le seront-ils ? Nous souhaiterions a minima que le secrétariat d'État à l'économie numérique publie une recommandation officielle sur la sécurisation des réseaux Wi-Fi. Quand, aujourd'hui, nombre d'entreprises emploient à plein-temps des experts pour sécuriser leur réseau sans obtenir malgré tout une sécurité totale, supposer que l'ensemble des particuliers y parviendra est absurde.
La recommandation de l'utilisation de pare-feu, visant à bloquer certains protocoles qui servent au piratage, ignore que ceux-ci sont utilisés pour bien d'autres services légaux, qui, de fait, ne seront plus accessibles. Une fois encore, le dispositif proposé apparaît aussi inefficace que disproportionné.
En ce qui concerne le téléchargement illégal via des réseaux publics, vous avez convenu, madame la ministre, lors de votre audition en commission, qu'il n'était pas prévu de suspendre les connexions Internet des collectivités territoriales et des entreprises, qui apprécieront sans doute ce traitement de faveur. Il reste qu'aucune précision de ce type n'apparaît dans le texte. Et comme les intentions n'ont pas force de loi, notre groupe a déposé un amendement qui, à ce stade de la discussion, nous le constatons avec regret, a été rejeté.
Vous nous avez également inquiétés, toujours lors de votre audition en commission, en proposant que les bornes Wi-Fi « ne permettent l'accès qu'à un nombre déterminé de sites »,…
…dont la liste « pourrait être établie en concertation avec toutes les parties – on se demande lesquelles –, de façon à ce qu'elles puissent permettre de répondre aux besoins de la vie quotidienne, sans qu'elles puissent servir de base de lancement du piratage, en quelque sorte ». En quelque sorte, comme vous dites, ce que vous proposez n'a pas grand sens. Qu'est-ce qu'un site qui répond ou non à un besoin de la vie quotidienne ? Comment établir une liste de tous les sites légaux mondiaux ? À vous entendre, on ne pourra plus accéder qu'à un Internet labellisé par une autorité officielle !
Sur un autre plan, le texte crée une réelle rupture d'égalité devant la loi en mettant en place, comme cela a déjà été évoqué, un double régime de sanction pour un même fait, en permettant la combinaison de poursuites pénales et de sanctions administratives.
Dans l'exposé des motifs, comme dans chacune de vos interventions sur ce texte, vous tentez, madame la ministre, de contourner l'inconstitutionnalité de cette mesure en présentant votre projet comme un dispositif « essentiellement pédagogique qui a vocation, en pratique, à se substituer aux poursuites pénales actuellement encourues par les internautes qui portent atteinte aux droits des créateurs ». Ces bonnes intentions ne sauraient masquer le fait qu'il s'agit bel et bien d'établir un double régime de sanction pour le même délit, avec la circonstance aggravante que le choix de requérir l'une ou l'autre, ou les deux, dépendra des seuls représentants des ayants droit, qui pourront en faire l'usage qu'ils voudront. Rien dans la loi ne s'oppose à ce qu'un procès en contrefaçon s'ajoute à la riposte dite graduée.
La CNIL s'en était d'ailleurs déjà émue. C'est la raison pour laquelle un de nos amendements propose tout simplement d'abroger les dispositions de la loi dite DADVSI.
Des ruptures d'égalité, il y en a lors de toutes les phases d'action de l'HADOPI. D'abord, entre les internautes selon que le fournisseur d'accès aura la capacité technique ou non de suspendre un abonnement.
Une autre rupture d'égalité réside dans le choix de la sanction par l'HADOPI, tant le texte laisse, en la matière, un champ très large à son pouvoir d'appréciation. L'internaute pourra ainsi recevoir un premier mail de recommandation, puis un deuxième mail qui pourra être assorti d'une lettre remise contre signature ou de tout autre moyen prouvant sa réception par l'abonné. Une fois ce second mail reçu, l'HADOPI pourra choisir, à discrétion, entre une sanction de suspension de la connexion Internet assortie d'une interdiction de souscrire un autre abonnement ou une procédure d'injonction dont la définition est, une fois de plus, particulièrement floue puisqu'elle vise à obliger l'internaute à « prendre des mesures de nature à prévenir le renouvellement du manquement constaté et à en rendre compte à la Haute autorité, le cas échéant sous astreinte ».
S'agissant de cette injonction, nous nous interrogeons, comme le souligne d'ailleurs le rapport de la commission des lois, sur « les délais au terme desquels l'absence de mise en oeuvre des mesures de nature à éviter le renouvellement d'un manquement sera considérée comme une inexécution de la transaction ». Là encore, rien n'est spécifié dans le projet de loi. L'arbitraire régnera ainsi à toutes les étapes décisionnelles de l'HADOPI. Le principe d'égalité devant la loi de tous les citoyens nécessite, au minimum, de fixer un délai qui s'appliquera à tous.
Il en est de même pour la procédure dite de conciliation : celle-ci peut être proposée ou pas à un internaute passible de sanction, sans cadre défini. Pourquoi ouvrir la possibilité d'une transaction à l'un et pas à l'autre ? Nous ne le savons pas.
Inégalité entre les internautes toujours en fonction de leur abonnement. Car, cerise sur le gâteau et spécificité notable de ce texte qui, vous en conviendrez avec moi, innove, il est explicitement prévu qu'une fois l'accès suspendu, l'internaute devra continuer à s'acquitter du prix de son abonnement. Il sera donc contraint par la loi de payer pour un service dont il ne bénéficie plus !
De la double peine créée par la possibilité de cumuler une sanction administrative et une sanction pénale, nous passons avec cette sanction financière à une triple peine. Et comme tous les abonnements ne sont pas régis par un tarif unique, le coût financier de cette sanction ne sera pas le même.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit la création d'un traitement automatisé des données à caractère personnel qui permettra la mise en oeuvre des mécanismes d'avertissement, de transaction et de sanction. Ce traitement permettra notamment de répertorier les personnes faisant l'objet d'une suspension de leur abonnement, ce qui les empêchera de conclure tout nouveau contrat avec un fournisseur d'accès.
À nouveau, rien n'est précisé quant à la durée de conservation de telles données personnelles. Nous considérons comme une évidence que cette durée ne doit pas excéder la période pendant laquelle l'abonné fait l'objet d'une mesure de la part de l'HADOPI. Or il est laissé à un décret en Conseil d'État le soin de fixer ce délai de conservation. Nous nous inquiétons d'autant plus que le délai suggéré – trois ans selon le rapporteur de la commission des lois – est largement excessif au regard des délais de suspension prévus, qui sont d'un mois à un an.
Il est nécessaire de rappeler les prescriptions de la loi Informatique et libertés qui soumettent la mise en oeuvre des traitements de données à caractère personnel au respect d'une condition : « Les données sont conservées sous une forme permettant l'identification des personnes concernées pendant une durée qui n'excède pas la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées. » Par conséquent, ces données personnelles devraient être détruites dès la fin de la procédure liant un abonné à l'HADOPI. Si tel n'était pas le cas, des personnes pourraient continuer à se voir interdire la conclusion d'un nouveau contrat avec un fournisseur d'accès, alors même qu'elles ne feraient plus l'objet d'aucune mesure de la part de l'HADOPI.
Je souhaite, avant de conclure, alerter notre assemblée sur l'isolement de notre pays dans ce dossier. Le Gouvernement veut nous faire croire qu'il existerait une solution française que le monde nous envie. Madame la ministre, vous avez fait référence, en commission, aux baisses de téléchargements obtenues en Nouvelle-Zélande avec la riposte graduée. Mal vous en a pris ! La mise en oeuvre de ce système était fixée au 28 février et a finalement été suspendue par le Premier ministre néozélandais.
Vous nous avez aussi fait part de l'intérêt que portaient les autorités allemandes à ce projet. Je vous accorde que Mme Brigitte Zypries, ministre de la justice allemande, s'y intéresse. Mais je crains que ce ne soit avant tout pour s'en inquiéter. Je vous laisse juge et je vais citer ses propos : « Je ne pense pas que la riposte graduée soit un schéma applicable à l'Allemagne ou même à l'Europe. Empêcher quelqu'un d'accéder à Internet me semble une sanction complètement déraisonnable. Ce serait hautement problématique d'un point de vue à la fois constitutionnel et politique. Je suis sûre qu'une fois que les premières déconnections se produiront en France, nous entendrons le tollé jusqu'à Berlin. »
En Angleterre, le 26 janvier dernier, David Lammy, ministre ayant en charge la propriété intellectuelle, excluait de légiférer sur un système à la française qu'il nomme : « Trois coups et vous êtes éjecté ! »
Désolé, madame la ministre, le monde n'attend rien de vous et surtout de votre projet de loi ! Le moins que l'on puisse dire c'est que ce texte n'est en rien avant-gardiste.
C'est plutôt une bataille de retardement. C'est une nouvelle ligne Maginot qui est édifiée.
Comme avec la loi DADVSI, il s'agit, une nouvelle fois, de gagner du temps. Cette constance à retarder systématiquement les vraies échéances pénalise gravement le financement de la création dans notre pays, une création qui, déjà, souffre tant du désengagement de l'État.
Nous ne nous satisfaisons pas d'avoir eu raison il y a trois ans. Nous ne nous satisfaisons pas de devoir à nouveau nous opposer à un texte qui s'inscrit dans la droite ligne de la loi DADVSI. Nous ne nous satisfaisons pas de devoir, dans un an, peut-être deux, faire le même et triste constat : les artistes n'auront pas touché un euro de plus, le contribuable aura financé cette gabegie.
Vous ou votre successeur n'osera même pas faire le bilan d'une loi aussi inefficace qu'inutile.
Pour toutes ces raisons, je vous invite, chers collègues, à voter l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
De très nombreux points ont été évoqués par Patrick Bloche et je voudrais d'abord lui rappeler que nous ne sommes pas du tout dans la loi DADVSI.
Aujourd'hui, la situation n'est pas la même. Elle est beaucoup plus grave. Tous ceux qui rencontrent les milieux de la musique, du cinéma, au MIPCOM, au moment des grandes manifestations nationales, voient qu'une immense inquiétude touche tout le monde, …
…y compris l'animation, les tout petits producteurs, les jeunes artistes. Lorsqu'une pétition est signée par 10 000 personnes, parmi lesquelles on trouve des personnalités comme Juliette, Thomas Dutronc et bien d'autres, dont les engagements à gauche sont parfaitement connus et qui nous mettent tous face à nos responsabilités, vous devriez être conscients de cette responsabilité partagée face à l'avenir de la création.
Lorsque Jack Lang prend position aujourd'hui pour le texte,…
…après le groupe socialiste du Sénat, je trouve que cela mérite aussi une interrogation. Et je regrette qu'en réalité, vous ne proposiez rien pour agir en faveur des artistes.
Nous avons, nous, un projet de loi. Je le crois équilibré, mesuré, pédagogique. Il est approuvé et bien plus compris qu'on ne l'imagine, également par les jeunes, qui savent bien qu'il n'est pas tout à fait normal de télécharger un film, et que, derrière, des professionnels sont gravement lésés. Récemment, des jeunes de ma connaissance m'ont demandé, en riant : « Quand est-ce qu'on arrête ? »
Cela signifie qu'ils sont peut-être prêts à se tourner vers des offres légales qui ne demandent qu'à se développer, si nous parvenons à réduire massivement le piratage. Nous allons nous y employer. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Je n'aurais pas fait ce rappel au règlement si Mme Albanel, qui a souhaité me répondre – et j'en suis très honoré –, n'avait à nouveau fait référence à une pétition signée par 10 000 artistes. Madame la ministre, vous vous sentez bien mal assurée dans cet hémicycle si vous devez appeler à la rescousse 10 000 artistes signataires d'une pétition. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Mes chers collègues, nous sommes dans cet hémicycle pour légiférer au nom de l'intérêt général, non pour défendre des intérêts particuliers, souvent commerciaux ou corporatistes. Et je trouve étonnant que soit envoyée chaque jour aux députés, sans doute davantage à ceux de la majorité que de l'opposition, une lettre électronique émanant du ministère de la culture et de la communication…
…et faisant référence à un site qui s'intitule, de façon insultante pour ceux qui n'approuvent pas ce projet de loi, jaimelesartistes.fr. Comme si nous n'aimions pas, nous aussi, les artistes ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Nous différons simplement sur les solutions.
Oui ! Nous voulons financer la création et l'art numérique. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Mais nous considérons que votre projet de loi n'apporte aucune solution pérenne et durable, fait perdre du temps aux artistes et aux créateurs.
Madame la ministre, je vous demande instamment, au nom de la séparation des pouvoirs et parce que vous êtes au banc du Gouvernement pour vous exprimer à tout moment en son nom, de suspendre l'envoi de cette lettre électronique quotidienne, qui fait un lien avec le sitejaimelesartistes.fr. Au nom de la séparation des pouvoirs, arrêtez de faire pression sur les députés pendant qu'ils légifèrent ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Vous pouvez prendre la parole à tout moment. Vous n'avez nul besoin d'une lettre électronique, ni d'un site dont le nom est insultant pour nous.
Dans les explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité, la parole est à M. Frédéric Lefebvre, pour le groupe UMP.
Monsieur Bloche, je vous ai écouté avec attention. Vous avez raison : c'est un feuilleton, un feuilleton dont le titre est « Défense de l'exception culturelle française ». (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.) La grande différence avec la première saison, c'est que le scénario et les acteurs ont changé.
Mais vous nous montrez malheureusement que vous, vous n'avez pas changé !
Au Sénat, le texte a été discuté avec passion et chacun a bien voulu reconnaître qu'il ne s'agissait pas de la même saison. La première saison c'était : « Deux mondes l'un contre l'autre » : le monde de la création contre le monde de l'Internet. Dans la saison 2, deux mondes – création et Internet – ont décidé ensemble, de manière consensuelle, de lutter contre ceux qui font illégalement perdre de la valeur à la fois au monde de la création et de la culture et aux acteurs légaux de l'Internet. Monsieur Bloche et monsieur Paul, si vous ne percevez pas cette réalité, c'est que vous avez un métro de retard.
Je vois avec quel énervement vous reprochez aux artistes de faire entendre leur voix. Nous voici à front renversé. Vous vous êtes glorifiés durant de très nombreuses années d'être les représentants du monde de la culture. Je veux dire aujourd'hui à quel point nous sommes fiers, au groupe UMP, de défendre l'exception culturelle française.
…qui est une valeur de notre droit, et en particulier la propriété intellectuelle. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Je vois bien que M. Paul peut avoir des difficultés sur le plan idéologique…
…avec la propriété. Mais vous allez devoir nous expliquer un élément que nous ne comprenons pas.
C'est le fait que le parti socialiste puisse ne pas reconnaître une valeur pourtant fondamentale de notre démocratie, à savoir que tout travail mérite salaire. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Ne détournez pas le débat ! On peut parler du président de Total : j'ai fait une déclaration à ce sujet.
Monsieur Bloche, lorsque cela vous fait mal, ne cherchez pas à dévier le débat ! Ce que je veux dire, c'est que les artistes, le monde de la création, travaillent chaque jour et doivent être rémunérés.
Aujourd'hui, la question de la culture se pose. Dans cet hémicycle, un certain nombre d'entre vous sont interdits de parole. Le groupe socialiste a interdit à un certain nombre de ses membres qui partagent le combat que nous menons de venir s'exprimer ici.
Allégation scandaleuse qui correspond bien à votre manière : le mensonge, l'intimidation !
…de se prononcer, et puisque le parti socialiste, au Sénat, a voté à l'unanimité ce texte et que le parti socialiste, à l'Assemblée nationale, nous annonce qu'il ne veut pas le voter, d'exprimer officiellement la position de son parti.
Si Mme Aubry exprimait une position claire, cela permettrait d'éviter que certains élus socialistes ne disent, au gré de leurs rencontres, aux responsables de l'Internet ce qu'ils ont envie d'entendre et aux responsables de la culture ce qu'ils ont, eux aussi, envie d'entendre. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur Bloche, vous n'avez pas compris qu'il s'agissait d'une saison différente. Aujourd'hui, les acteurs légaux de l'Internet sont les premiers à soutenir ce texte. La gratuité n'existe pas dans l'absolu. Mais il existe un modèle gratuit, que nous connaissons bien, qui est utilisé en grande partie par l'audiovisuel et qui est en réalité financé par la publicité. Certains grands acteurs d'Internet, Deezer par exemple, qui est le site de musique le plus visité, proposent la gratuité aux internautes…
La différence entre Deezer, que nous défendons, et les acteurs illégaux, que vous défendez, c'est que les acteurs illégaux mettent l'argent dans leurs poches ! Au lieu de rétribuer les ayants droit et le monde de la culture, à l'instar de Deezer, qui se finance par la publicité, ils font de la publicité à leur propre profit !
Je conclus, monsieur le président.
Ce qui compte, monsieur Bloche, ce n'est pas de déclarer son amour, c'est de donner des preuves d'amour ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
…vient de ravaler le débat à une médiocrité qui lui est également propre. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) En tant que vice-président de notre groupe, François Brottes demandera à rétablir les faits, M. Lefebvre ayant proféré un certain nombre de contrevérités.
Quant à la position du parti socialiste, mon cher collègue, elle est officielle depuis hier. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP.) Notre bureau national s'est exprimé et, réjouissez-vous, il soutient la position des députés socialistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.- Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Je voudrais dire à Mme la ministre à quel point nous éprouvons de la compassion à son endroit !
Chaque fois que nous sommes en sa présence, elle a la lourde tâche de défendre des textes pour lesquels elle n'a eu que peu de responsabilité, tout ayant, généralement, été décidé à l'Élysée. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
C'est faux !
L'audiovisuel public ou la loi Internet, ce sont les suites de la soirée du Fouquet's qui, décidément, coûte cher à la France ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Il a d'abord fallu donner suite aux promesses faites à vos amis du grand patronat, Martin Bouygues et quelques autres, s'agissant de l'audiovisuel public.
Cette fois, il faut honorer les promesses faites aux grands créateurs de l'UMP présents à cette fameuse soirée : Mireille Mathieu, Guy Montagné, Doc Gynéco, Didier Barbelivien, etc.
Bref, voilà une soirée qui aura coûté cher !
Contrairement à ce qui a été énoncé de façon fallacieuse à plusieurs reprises, la loi DADVSI s'applique toujours et les peines que, dans votre frénésie répressive, vous avez fait voter, se cumuleront avec celles qui sont prévues dans le présent projet de loi. On ne peut pas dire « DADVSI, c'est fini, vive HADOPI ! » Les deux se superposent. L'UMP s'enfonce donc dans une logique purement répressive.
Quant au respect de la propriété intellectuelle, vous êtes mal placés pour donner des leçons ! Ce n'est pas nous qui, en ouverture de nos meetings, avons diffusé Kids du groupe MGMT, mais bien l'UMP !
Xavier Bertrand a une notion approximative du respect de la propriété intellectuelle ! Alors, de grâce, ne vous drapez dans de grands principes que vous êtes les premiers à fouler aux pieds !
Nous voterons l'exception d'irrecevabilité défendue par Patrick Bloche, parce que ce projet de loi ne règle strictement rien. Confrontés à la révolution numérique, au lieu de proposer un modèle économique viable qui permettrait de rémunérer les créateurs et de prendre le bénéfice lié aux échanges sur Internet, vous vous contentez, une fois de plus, de prôner la répression. Pourtant, forts de l'expérience de la loi DADVSI, vous savez qu'une telle démarche est vouée à l'échec. En outre, Patrick Bloche l'a rappelé, les techniques du téléchargement sont désormais presque obsolètes, le streaming ayant pris le relais.
Votre projet de loi ne résout rien. Une fois de plus, avec la complaisance de quelques lobbies toujours prêts à cet exercice, il oppose les créateurs à leur public. Enfin, il n'apportera pas un centime supplémentaire aux créateurs. Vous avez tout misé sur la répression. Voilà pourquoi nous ferons, tout au long du débat, d'autres propositions. Voilà pourquoi nous défendrons pied à pied les libertés individuelles qui sont menacées par ce texte. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Voilà pourquoi, nous vous invitons à nous suivre et à voter l'exception d'irrecevabilité présentée par Patrick Bloche. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Sur le vote de l'exception d'irrecevabilité, je suis saisi par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Martine Billard, pour le groupe GDR.
Défendre la création et les droits d'auteur, nous y sommes tous attachés. Ce qui nous oppose, c'est que certains cherchent à reproduire un modèle obsolète, celui des supports matériels, en le transférant sur le support immatériel de l'Internet, mission évidemment impossible. Pour protéger la création et l'exception culturelle française ainsi que les droits d'auteur, il faut innover en tenant compte des nouveaux outils technologiques.
J'admire l'empressement de nos collègues de l'UMP à jeter aux orties la loi DADVSI de 2006, loi qui devait tout régler et qu'ils ont défendue avec le même enthousiasme qu'aujourd'hui la loi HADOPI, laquelle, de nouveau, réglera tout...
La réalité, c'est que les jeunes, comme les moins jeunes, achètent de moins en moins de CD. Ou ils téléchargent ou ils écoutent, de plus en plus, en ligne. Se fonder sur les baisses de vente de CD pour expliquer que l'industrie musicale est en crise est un non-sens, voire une tromperie.
En 2004, le Conseil constitutionnel déclarait : « Les données ainsi recueillies ne pourront, en vertu de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, acquérir un caractère nominatif que dans le cadre d'une procédure judiciaire. » Votre projet de loi prévoit de passer outre et de transférer ce qui relevait des procédures judiciaires à une autorité administrative. Voilà le premier point de désaccord qui nous conduira à voter l'exception d'irrecevabilité défendue par le groupe SRC.
Deuxièmement, comme vous ne pouvez plus rester dans le cadre de la loi relative à la lutte contre la contrefaçon, vous inventez une sanction pour manque de surveillance de la connexion Internet, avec l'obligation de sécuriser sa ligne, ce qui revient à une inversion de la preuve de responsabilité. Si, au sein d'une famille, les enfants téléchargent illégalement, il est normal selon vous, madame la ministre, que la famille soit responsable. Permettez-moi de vous soumettre un autre exemple, celui d'une famille qui est munie d'une live box – l'adresse IP étant celle de la live box – et dont les enfants majeurs téléchargent sur un ordinateur indépendant mais relié à la live box. En droit, madame la ministre, il faut une enquête de police pour identifier l'auteur d'un délit. Avec ce texte, vous décidez, bien que les enfants soient majeurs, que les responsables seront les parents. Une telle disposition est en contradiction avec notre droit.
Troisièmement, ce texte introduit une rupture d'égalité – Patrick Bloche l'a démontré – entre les internautes dont la ligne sera coupée, soit parce qu'ils ne disposent que d'une ligne Internet, soit parce que leur ligne est totalement dégroupée, et ceux qui seront épargnés parce qu'une coupure de la connexion entraînerait en même temps celle du téléphone et de la télévision. Inégalité entre internautes, d'une part ; inégalité territoriale, de l'autre.
L'inégalité existe également entre les ayants droit. Seuls les sociétés qui perçoivent les droits ou les organismes professionnels pourront saisir la commission de protection des droits. Quant aux petits ayants droit, ils n'auront pas forcément les moyens de le faire.
S'agissant enfin des fichiers, le rapporteur Franck Riester a indiqué que ces messages ne font pas grief. Peut-être, mais ils entraînent le fichage des internautes concernés, dès le premier avertissement. Ils n'auront aucun moyen de faire valoir leur bonne foi s'ils ne sont pas responsables du téléchargement, soit parce que leur connexion a été piratée ou qu'un wifi libre a été utilisé, etc. Ces internautes-là seront fichés sans raison. Nous ne connaissons que trop les garanties de sécurité liées à ce type de fichiers ! Je pense notamment, chers collègues, au fameux fichier STIC. Nombreux sont les cas de personnes qui se sont vu refuser un accès à un emploi parce que leurs coordonnées figuraient dans cette base de données alors que celles-ci auraient dû être effacées ou même ne jamais y figurer ! Quelle garantie avons-nous que ce fichier sera plus sécurisé que le STIC ? Aucune !
Au nom de ces quatre objections de nature constitutionnelle, nous voterons l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Patrick Bloche étant un bon connaisseur des enjeux techniques et économiques de l'Internet, il est toujours intéressant de l'écouter. Et nous, au Nouveau Centre, voire au-delà, nous partageons certaines de ses analyses.
Oui, la DADVSI a été un échec et notre rapporteur pour avis, Mme Marland-Militello, a eu le courage de le dire. Nous serions d'ailleurs bien inspirés d'analyser les raisons de cet échec.
Oui, il y a des comportements nouveaux qui sont porteurs d'avenir, par exemple le streaming, qui ringardise le téléchargement.
C'est de ce côté que doivent désormais se tourner les regards. Il faudra s'intéresser aux modèles économiques qui le feront vivre et qui permettront d'éradiquer définitivement le téléchargement.
Oui, la mise en oeuvre de la suspension sera coûteuse, longue à mettre en oeuvre et lourde en contentieux. Ce sera un point-clé de notre débat, toutes sensibilités politiques confondues. Les centristes plaideront en faveur de la substitution de l'amende à la suspension de l'abonnement.
Il faut entendre cette partie, consensuelle, du plaidoyer de Patrick Bloche, qui doit nous permettre de nous retrouver, toutes sensibilités confondues, pour bonifier le projet actuel.
Cela étant, les centristes ne partagent pas toutes les analyses de Patrick Bloche. Nous nous sommes clairement opposés à la licence globale en 2005, au cours d'un grand débat fort digne. Nous avons dit qu'il s'agissait d'une fiscalisation injuste des recettes culturelles, d'une spoliation des droits d'auteur et d'une fonctionnarisation douteuse de la répartition des recettes sans liaison directe avec la consommation culturelle. Pour ces raisons, nous maintenons notre opposition à toute résurgence de la licence globale.
Les principes fondateurs de votre projet de loi, madame la ministre, sont intéressants : promotion de l'offre légale d'un côté, volet dissuasif de l'autre. Nous sommes favorables à un volet dissuasif et, à cet égard, le concept de réponse graduée est judicieux.
La démarche suivie est meilleure, car plus raisonnable, que celle qui a présidée à la loi DADVSI. L'élaboration d'un rapport a été confiée à un professionnel reconnu. De larges accords socioprofessionnels ont ensuite été signés à l'Élysée. Pour la première fois, le monde de la culture et les FAI se sont parlé. Au terme de ce processus, le débat s'engage au Parlement.
Ce projet de loi s'appuie donc sur de bons fondamentaux, mais il présente également de gros défauts. Le Parlement a du pain sur la planche ; il doit assumer ses responsabilités. C'est la première raison pour laquelle nous ne voterons pas l'exception d'irrecevabilité.
La seconde est une raison de calendrier. Le temps presse, chers collègues. En juillet 2007, le Président de la République confie un rapport de sortie d'impasse de la DADVSI à M. Olivennes : il n'a pas perdu de temps. En décembre 2007 : cinquante socioprofessionnels signent les accords de l'Élysée : ils n'ont pas perdu de temps. Nous avons dû attendre mars 2009, quinze mois plus tard, pour trouver une fenêtre parlementaire, nous avons perdu du temps !
Pendant ce temps, la destruction de la valeur des industries culturelles se poursuit. Il y a urgence. Il faut traiter le problème et prendre nos responsabilités. C'est la seconde raison pour laquelle nous ne voterons pas l'exception d'irrecevabilité.
Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur l'exception d'irrecevabilité.
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 106
Nombre de suffrages exprimés 106
Majorité absolue 54
Pour l'adoption 26
Contre 80
(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)
M. Frédéric Lefebvre s'est livré tout à l'heure à une grave attaque portant sur le fonctionnement de notre groupe. Cela ne nous surprend pas outre mesure, la réputation de notre collègue n'étant plus à faire et ayant même franchi les frontières de la France métropolitaine, puisque nos compatriotes d'outre-mer ont récemment pu, eux aussi, apprécier le sens de la nuance et de la subtilité dont il a l'habitude de faire preuve.
Cela étant, M. Lefebvre sait fort bien que si un certain nombre d'amendements ont été adoptés en commission des affaires économiques, c'est parce que le groupe UMP est très partagé sur ce dossier. Par ailleurs, rien ne l'autorise à porter un jugement sur le fonctionnement du groupe socialiste : il n'en fait pas partie et n'était évidemment pas présent lorsque nous avons débattu, sous le contrôle du président Ayrault, du texte présenté aujourd'hui à l'Assemblée puis lorsque nous nous sommes prononcés contre à l'unanimité – comme l'a d'ailleurs également fait le parti socialiste lui-même.
J'ajoute que ceux de nos collègues qui souhaitaient émettre des réserves ont pu s'inscrire dans la discussion générale sans aucune difficulté.
Par conséquent, si M. Lefebvre peut dire tout ce qu'il veut au sujet du groupe UMP, nous l'invitons, en revanche, à s'abstenir de donner des leçons et, d'une manière générale, de faire des commentaires sur le groupe socialiste et son fonctionnement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
La parole est à M. Christian Paul.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous aimerions très sincèrement tourner la page obscure d'une époque où le Parlement n'est saisi de culture que pour surveiller et punir. Ce soir, pourtant, nous sommes invités à faire un choix de société, de civilisation, entre une culture numérique ouverte et cette fable archaïque qu'est la chasse aux pirates.
Le monde d'après s'invente aujourd'hui. Notre confrontation n'est pas une discussion de technophiles. Il n'y est pas simplement question de choix techniques, mais d'orientations plus fondamentales pour nos vies et pour la société que nous choisissons de bâtir. Il ne s'agit pas non plus de siffler la fin de la récréation – une récréation durant laquelle, selon les propagandes en vigueur, une génération de délinquants juvéniles aurait pillé sans scrupule la musique et le cinéma, comme des collégiens indélicats s'en seraient pris à l'étal du pâtissier ou aux rayons du libraire.
Nous ne sommes pas non plus ici pour graduer l'échelle des délits et des peines – comme vous l'avez fait il y a un instant, madame la ministre –, pour inventer des parades techniques toujours illusoires et toujours contournables, pour culpabiliser ou dénoncer, pour légiférer sans jamais rien régler. En vous écoutant tout à l'heure, j'éprouvais un étrange sentiment de malaise : j'avais l'impression que la place Vendôme, le ministère de la justice, s'était emparée du très beau ministère de la rue de Valois et y avait pris le pouvoir.
Non, madame la ministre, c'est un débat sur la société que nous voulons. Nous sommes à un tournant de l'histoire de la culture, pour écrire deux libertés – celle des artistes et celle du public – et pour les rendre mutuellement acceptables. Le débat que nous abordons ce soir est donc, j'ose le dire, le plus important débat de politique culturelle de cette législature.
Vous ne devriez pas dire cela trop souvent, on finit par ne plus y croire !
Depuis plus d'une décennie, ceux qui gouvernent la culture font preuve d'un redoutable aveuglement. La plupart des immenses débats sur l'accès du plus grand nombre aux créations artistiques, ces débats qui remuèrent le ciel d'Avignon au temps de Jean Vilar, sont aujourd'hui taris. Les choix innovants de soutien à la création, aux artistes, à l'économie culturelle, qui ont permis depuis les années quatre-vingt de maintenir une capacité de production musicale et cinématographique, ne trouvent pas aujourd'hui de dignes successeurs. Il est profondément regrettable que, faute pour certains d'avoir compris que pour une ou deux générations, l'éternel combat pour la démocratie et la culture se jouait là, avec la révolution numérique, les nouveaux défis se réduisent à d'interminables controverses pour ou contre le téléchargement.
À cette fable déjà dépassée, nous opposons un récit qui nous paraît autrement plus fondateur : celui de la révolution numérique, qui transforme les conditions de la création. Artistes et producteurs le reconnaissent : elle transforme l'accès aux oeuvres de l'esprit, devenu infiniment plus facile, et elle rend possible leur partage désintéressé et sans limites. Elle est l'occasion de conquérir de nouvelles libertés. Ce n'est pas la vulgaire aubaine du voleur de poules que décrivent jusqu'à la caricature les zélateurs de l'ordre ancien.
La révolution numérique transforme aussi les conditions de la diffusion des oeuvres. C'est pourquoi nous souhaitons offrir au débat une nouvelle vision des droits d'auteur. Nous pensons en effet que nous les défendons mieux, en les adaptant, que ceux qui tentent de les figer, de les congeler dans le passé, au risque d'être les bâtisseurs naïfs d'un rempart de papier.
Nous ne vous laisserons pas dire qu'au Parlement ou ailleurs, le clivage séparerait ceux qui défendent les droits d'auteur et ceux qui les contestent ou les ignorent au profit d'une consommation sauvage et sans règles. En réalité, le débat sera entre ceux qui se réfugient dans une croisade moyenâgeuse pour le statu quo et ceux qui recherchent un nouvel équilibre des droits.
Une croisade moyenâgeuse ? Vous n'êtes pas tendre avec vos collègues socialistes du Sénat !
Là est notre différence. Les droits d'auteur ont survécu depuis deux siècles pour protéger les créateurs contre des intérêts concurrents qui les appauvrissaient, et souvent pour protéger le faible contre le fort. Leur raison d'être n'est pas d'opposer les artistes au public.
À l'âge numérique, des droits d'auteur protecteurs et rémunérateurs sont tout aussi indispensables qu'au xxe siècle – non pas tant contre le téléchargement que contre les positions dominantes des majors, des opérateurs de télécommunications ou des géants de l'industrie numérique. Il nous faut, comme Beaumarchais, préserver les créateurs du bénévolat et de la mendicité, plutôt que de défendre les rentes de nouveaux féodaux.
…car j'aurais aimé lui dire que la révolution numérique nous oblige à imaginer une nouvelle exception culturelle, rendue possible par des rémunérations et des soutiens inédits à la création. La radio, la télévision, la vidéo n'ont tué ni le cinéma, ni la musique. À chaque étape, certes au prix d'adaptations radicales, la France a su envoyer un message positif et progressiste, plutôt que de nourrir d'improbables batailles d'arrière-garde.
De tout cela, il n'est malheureusement pas dit un mot dans la loi exclusivement répressive qui vient devant l'Assemblée nationale et qui divise tous les partis. Pourtant, l'urgence est là. Nous allons donc nous efforcer durant ce débat de vous ouvrir les yeux sur les usages et les nouveaux modèles économiques.
Votre texte nous invite à passer à côté de la transformation de l'économie qui renouvelle radicalement la création, l'édition, la diffusion et l'usage de la musique, du cinéma et, demain, des textes.
Avec les forfaits 3G illimités, avec la fibre optique à domicile, le haut débit quasiment partout, les objets nomades, la marche en avant des technologies se poursuit inexorablement. Elle ouvre, à domicile comme en mobilité, un champ immense de possibles. De nouvelles pratiques de consommation, de production et de diffusion des oeuvres émergent. Leur apparition est provoquée moins par l'accroissement vertigineux des débits que par l'assimilation progressive par notre société des principes fondateurs de l'Internet et des possibilités qu'ils ouvrent.
Tous les appareils interconnectés par le « réseau des réseaux » y sont en effet fondamentalement égaux. Ils peuvent être diffuseurs autant que lecteurs de tous types d'informations et de contenus – y compris de contenus culturels. La copie, à coût nul, le partage et l'échange non lucratifs ont pris une place grandissante dans nos vies quotidiennes.
Nous avons la chance fabuleuse d'être les témoins et, pour beaucoup d'entre nous, les acteurs de plus en plus nombreux d'une grande mutation dans notre rapport à l'information et à la culture. Nos petits-enfants trouveront probablement saugrenu, pour ne pas dire archéologique, que nous ayons eu à nous déplacer en magasin pour acheter un CD ou un DVD, afin d'écouter une chanson ou de visionner un film. Peut-être trouveront-ils également bien étrange l'idée qu'il leur aurait été interdit en ce temps-là – le nôtre – d'échantillonner, de mélanger, de modifier, de proposer leur version des oeuvres constitutives de leur culture ou des logiciels qu'ils utilisent dans leur vie quotidienne numérique. Cela rappellera un temps où nous étions des consommateurs très passifs, voire captifs, de culture et d'information. Ce temps paraîtra tellement figé et inconfortable !
C'est vrai, la musique cherche son futur. Les années récentes ont vu l'émergence et la cohabitation des nouveaux modèles : vente sur les plates-formes, iTunes en particulier, abonnements, sites gratuits de streaming financés par la publicité. La quasi-totalité des contenus musicaux sont aujourd'hui, légalement – au sens où vous l'entendez, madame la ministre – ou non, pour la plupart disponibles en ligne. Sous une forme souvent peu attrayante, en des copies de qualité aléatoire disponibles sur les réseaux peer to peer, ou via des offres innovantes, le plus souvent acquittées au forfait, qui séduisent peu à peu les Français. Pour ma part, j'aime fréquenter Jiwa, un site commercial gratuit, où l'on peut trouver des millions de titres en écoute libre, comme sur Deezer, cher à Patrick Bloche, ou musicMe, qu'affectionne Didier Mathus (Sourires).
Le site de Jiwa n'est pas pourchassé par les majors, il est même permis de penser que celles-ci l'ont inspiré et nourri. On gagnerait d'ailleurs à savoir comment, sur ce site comme sur les autres sites de streaming, sont rétribués équitablement les artistes. Ce site me permet d'écouter des albums entiers, sans limite, sans même avoir besoin de les télécharger. J'y ai découvert ainsi, au fil du temps, les artistes Camille ou Rokia Traoré. Comme j'en ai fait la confidence à Mme la ministre, j'y ai même écouté, gratuitement et en streaming, le dernier album de Carla Bruni ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
C'est dire, madame la ministre, à quel point la vraie vie est loin du protectionnisme de votre texte, devenu furieusement ringard. Mais puisque vous aimez parler de pédagogie, pouvez-vous me dire comment expliquer à un adolescent de quinze ans que, s'il peut écouter toute la musique du monde en streaming sans être inquiété, en revanche télécharger et partager les mêmes titres, même s'ils sont infiniment moins nombreux, est illégal et menace la connexion Internet de toute la famille ? Pour qu'une loi ait une valeur pédagogique, il faut qu'elle soit crédible et juste ! Votre loi, elle, fait déjà partie de la longue traîne des lois aveugles.
Par ailleurs, je veux rappeler à nos collègues de l'UMP que la pédagogie exige un minimum de vertu.
Peut-être l'UMP a-t-elle confondu téléchargement et contrefaçon, toujours est-il qu'elle s'est rendue coupable de contrefaçon en diffusant, sans autorisation, une chanson du groupe de rock MGMT lors de ses congrès.
Plus grave encore, l'interprétation du titre lors du meeting ne nécessitait pas l'autorisation de ce groupe, mais l'enregistrement du meeting et sa diffusion sur Internet l'exigeaient. C'est une première faute.
Deuxième faute, monsieur Riester : introduire la chanson sur un support vidéo diffusé sans autorisation peut être sanctionné, pour contrefaçon, de trois ans de prison et de 300 000 euros d'amende dans la législation actuelle. Législation que vous n'entendez pas abolir : c'est écrit dans votre rapport.
M. Xavier Bertrand s'est contenté de dire qu'il allait proposer un euro symbolique à MGMT. C'est ce qu'on appelle sans doute, à l'UMP, la responsabilisation et la reconnaissance pour les artistes.
J'en reviens, madame la ministre, à mon propos.
Il vaut mieux, en effet, aller à l'essentiel. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)
Je voudrais maintenant faire un voyage de quelques instants dans le cimetière des idées fausses, très nombreuses dans ce texte.
Les orientations que vous défendez exigent de notre part un réquisitoire global, argumenté et implacable. C'est une incroyable saga, avec tous ses rebondissements, que Patrick Bloche a résumée comme un feuilleton. Reconnaissez-le, vous aussi, la controverse traverse tous les partis. À cet égard, je salue la constance, depuis trois ans, de quelques mousquetaires de la majorité, qui sont restés fidèles à leurs convictions, malgré les pressions de M. Copé.
Les derniers jours ont amené l'extraordinaire coming out du rapporteur de la loi DADVSI, M. Vanneste, désormais adversaire irréductible de vos choix, et la vibrante dénonciation de Jacques Attali, qui avait d'ailleurs dénoncé ce texte dans son rapport, dont le Président de la République avait pourtant dit à l'époque : « Je prends tout le rapport Attali », y compris la critique de votre croisade anti-pirates. Les derniers jours nous ont encore amenés au plaidoyer très efficace de l'UFC-Que Choisir – je vous invite à le lire –ou au travail d'expertise citoyenne exceptionnel de la Quadrature du Net, porte-parole de millions d'internautes, et qu'on ne saurait mépriser et résumer, comme l'a fait un de vos conseillers auprès de l'AFP, à « cinq gus dans un garage ». J'ai pensé que c'était là la marque de mépris d'un cabinet ministériel – nous avons l'habitude. Mais vous-même avez évoqué ces millions de « parasites » – je crois que c'était votre terme – qui téléchargent.
Ce sont là des symptômes : il n'y a aucun consensus, ni en France ni en Europe, autour de ce texte. Il y a au contraire un rejet massif, de multiples origines.
Et puis s'est déployé un débat normal, passionnant, au sein des groupes parlementaires – y compris le nôtre –, parfois partagés, au sein des partis politiques. Faut-il s'en plaindre ? En tout cas, le mien a tranché, enfin, et dans la bonne direction. J'en suis fier.
Il n'a pas tranché de la même manière au Sénat et à l'Assemblée nationale !
M. Lefebvre, s'il était là, pourrait voir, sur la dépêche de l'AFP qui résumait hier soir notre position, comment le parti socialiste, avec Martine Aubry, vous reproche d'opposer le droit d'auteur à la protection de la vie privée des internautes. Le parti socialiste rappelait encore hier soir que ce texte ne rapportera pas un euro de plus à la création artistique et que c'était un pari perdu d'avance. Vous vouliez une position claire : vous l'avez !
Première idée fausse : la loi DADVSI de 2006 garderait toutes ses vertus. Eh bien non ! Madame la ministre, il faut avoir le courage du devoir d'inventaire, il faut faire haut et fort le constat d'échec de la loi DADVSI. Or ce sont les mêmes, dans cet hémicycle et dans l'industrie culturelle, qui ont conçu cette loi mort-née, qui veulent aujourd'hui nous imposer la loi abusivement appelée « Internet et création ».
Une évaluation sincère s'imposerait. Elle serait brève et peu coûteuse. L'autorité créée à l'époque ne s'est jamais réunie. Elle n'a pas travaillé. Pendant des années, cette question a été laissée à l'abandon. Les rapporteurs ne sont même pas d'accord d'entre eux. M. Riester, qui a disparu, un intermittent du banc peut-être (Protestations sur les bancs du groupe UMP)…
Quand on a l'honneur d'être le rapporteur d'un texte comme celui-là, on est assidu à son banc, monsieur Warsmann.
Monsieur Paul, la commission est représentée : son président est au banc et vous écoute !
Si vous considérez, encore une fois, que l'opposition est de trop dans cet hémicycle quand il s'agit de défendre les libertés, dites-le et je m'arrêterai ! Après le bâton, le bâillon : on connaît vos méthodes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Les deux rapporteurs ne sont pas d'accord, et il faudra bien qu'ils s'en expliquent. Mme Marland-Militello nous dit que la loi DADVSI est une page qu'il faut tourner, tandis que M. Riester, qui n'est pas là, indique dans son rapport qu'il ne faut pas toucher aux bons équilibres de la loi DADVSI.
Madame la ministre, la loi DADVSI est un fiasco législatif qui témoigne de l'impuissance publique – c'était d'ailleurs le titre prémonitoire, il y a vingt ans, d'un livre de Denis Olivennes – à appréhender les défis contemporains.
La loi DADVSI est inappliquée et inapplicable, se reposant sur la magie des DRM et proposant comme réponse miracle le mirage des plateformes de vente au morceau en ligne et défendant, comme vous le faites aujourd'hui, la sanction disproportionnée plutôt que l'innovation. Voilà pourquoi la loi DADVSI doit être abrogée. Nous avons déposé un amendement en ce sens.
Deuxième idée fausse : le faux consensus de l'Élysée devrait servir de rampe de lancement au présent texte. Les sociétés d'auteurs et les FAI se sont mis d'accord sur la « riposte graduée », pas sur une meilleure rémunération des artistes. S'y opposent ceux qui n'étaient pas conviés autour de la table, dont le tiers état des consommateurs et des citoyens. Mais aussi les artistes-interprètes qui n'étaient pas là. S'en démarquent plusieurs qui l'avaient signé sous intimidation, craignant les représailles – ils nous l'ont confessé. S'en distingue aussi M. Kosciusko-Morizet, au nom de 180 entreprises de l'Internet – il l'a déclaré hier.
Un accord interprofessionnel de cette nature peut-il à lui seul faire la loi au nom de l'intérêt général, en particulier pour régir les rapports avec le public ?
Troisième idée fausse : le téléchargement serait responsable de tous les malheurs de l'industrie culturelle en crise. Ce serait le bouc émissaire parfait. Henri Poincaré disait : « On fait la science avec des faits comme une maison avec des pierres ; mais une accumulation de faits n'est pas plus une science qu'un tas de pierres n'est une maison. »
Il est pratique de faire du téléchargement le bouc émissaire de la crise de la culture. Alors que le pouvoir d'achat des Français a fortement baissé depuis 2002, alors que les nouveaux moyens de communication, la téléphonie mobile en particulier, ou plus simplement le loyer ou le carburant grèvent une part sans cesse croissante du budget de nos concitoyens, nous sommes aujourd'hui sommés de voir dans le seul téléchargement le responsable de tous les maux de l'industrie du disque. C'est un peu court, pour ne pas dire choquant.
Depuis 2005, je demande, avec Patrick Bloche et mes collègues du groupe socialiste, qu'une mission d'information parlementaire dresse enfin un panorama plus juste et équilibré que celui brossé à grands traits dans des études commandées par quelques lobbies. Sans ce nécessaire travail préparatoire, nous ne construisons pas la nouvelle cité numérique où les auteurs et les artistes pourront se voir conférer de nouveaux droits.
Tant de causes expliquent en effet la crise de la musique : déclin du CD amorcé au début des années 2000, marketing des industries culturelles qui ne doivent s'en prendre qu'à elles-mêmes…
Quatrième idée fausse : la gratuité de l'accès rendrait la rémunération de l'artiste impossible. C'est un de vos leitmotiv, la gratuité c'est le vol. Non, madame la ministre, dans ce nouveau monde, la gratuité n'est pas le vol. Si elle n'est pas encore la règle, elle n'est plus l'exception. Le paiement sera-t-il un jour une relique du passé ? L'accès à la culture contre paiement est-il un modèle dépassé ? C'est ce débat-là que nous devrions avoir. Même si de nouvelles pratiques n'éradiquent jamais totalement les plus anciennes, ces questions méritent d'être posées et le constat d'une très large gratuité de l'accès aux musiques et aux films peut être dressé.
La publicité, bien qu'évacuée de la télévision publique, a droit de cité sur les sites musicaux. De nouveaux éditeurs tentent de valoriser les oeuvres et de créer des services autour de l'oeuvre elle-même. J'ai évoqué tout à l'heure les sites de streaming. Dans une telle situation, imaginer rétablir l'ordre ancien de la rareté des copies par une loi répressive, c'est comme puiser l'eau avec un filet à papillon. Pirater et stocker des fichiers n'est même plus nécessaire. Oui, la création mérite une rémunération équitable, mais celle-ci emprunte aujourd'hui d'autres voies.
Cinquième idée fausse : cette loi permettrait de créer plus de valeur et de mieux rémunérer les artistes. Je le dis solennellement au nom du groupe socialiste : on vend aux artistes une grande illusion sécuritaire là où il faudrait imagination et courage. C'est pourtant ce que persistent à vouloir Nicolas Sarkozy et ses ministres, jamais avares de textes inapplicables, en rédigeant de nouvelles lois prétendant endiguer l'irrépressible.
Madame la ministre, vous défendez une loi de circonstance et de commande, comme pour l'audiovisuel public, la commande du prince qui, déjà en place au ministère de l'intérieur, tenait conclave avec quelques amis du show-business.
Les lobbies, eux, adorent retarder. Ils trouvent toujours pour cela, ici et là, des partisans actifs ou des complices naïfs.
Quant aux artistes, ils ont raison de taper du poing sur la table, car le monde ancien s'effondre. Faut-il pour autant que de mauvaises réponses leur soient servies comme autant de somnifères ?
Sixième idée fausse : la « riposte graduée » serait un dispositif indolore. La surveillance généralisée du net est, au contraire, une horreur juridique et une redoutable transgression. Mille motifs conduisent à rejeter cette loi abusivement baptisée « Internet et création » : surveillance généralisée du net, absence de recours et de procès équitable avant coupure, identification hasardeuse des « coupables ». Il est assez simple d'y voir l'amorce sans précédent d'une surveillance automatisée des échanges. Comme si l'hypersurveillance était notre horizon inévitable ! La CNIL a eu des mots très durs que nous rappellerons dans le débat.
À cela, et comme l'a dit Patrick Bloche, s'ajoute la triple peine. En effet, à la suspension de la connexion s'additionnent la poursuite du paiement de l'abonnement suspendu et la persistance des poursuites civiles ou pénales.
Septième idée fausse : la « riposte graduée » serait un dispositif applicable et sincère. Ce système de contrôle est-il fiable ou au moins praticable ? On a beaucoup parlé de la wifi du voisin. Je vous renvoie au constat d'huissier que vous pourrez trouver sur le site de l'UFC-Que Choisir. Me Eric Albou, huissier devant le tribunal de grande instance de Paris, qui va entrer dans l'histoire grâce au Journal officiel, a en effet procédé à des tests qui l'ont conduit à dire que n'importe qui peut télécharger depuis votre connexion wifi, y compris quand cette dernière est munie d'une sécurité.
Deuxième constat de cet huissier : les bornes wifi sont de véritables paradis pour télécharger anonymement. Certaines sont sécurisées mais elles sont très souvent libres. Il y en a 37 000 en France.
Vous avez inventé un concept extraordinaire pour prévenir le téléchargement anonyme sur les bornes wifi. Devant la commission des affaires culturelles, qui ne s'en est pas remise – c'est si vrai que son président n'est pas là aujourd'hui –,…
… vous avez dit envisager la création de « listes blanches » prétendant sélectionner les sites dignes de l'intérêt de ceux qui se connectent à l'Internet par des points d'accès publics !
Je le dis aux milliers d'internautes qui assistent à ce débat grâce à l'Internet, qui n'est pas encore totalement filtré. C'est un non-sens absolu, une architecture ubuesque que la plupart des États autocratiques sentent eux-mêmes, et heureusement, hors de portée.
Il y a donc une disproportion totale entre cette confiscation des libertés numériques et les buts que vous poursuivez.
Le catalogue des idées fausses pourrait s'arrêter là. Patrick Bloche a évoqué les réactions européennes, je voudrais pour ma part évoquer la propagande abondante qui s'est abattue sur nous depuis quelques semaines. Elle prend la forme d'incroyables sophismes comme celui-ci : « La création va mal – c'est vrai ; le téléchargement, c'est le mal – ce qui est moins vrai ; donc, combattre le piratage, c'est faire du bien à la culture. » J'y vois une forme de jdanovisme mondain qui renseigne surtout sur la pauvreté de l'inspiration actuelle de notre politique culturelle.
Mais venons-en à nos propositions. Le temps est venu d'écrire les nouveaux droits d'auteur de l'âge numérique. Par un grand débat ici, puis par un débat international, et non par un faux consensus forcé, fût-il dicté par l'Élysée.
Où se situent les vraies priorités ? Nul ne conteste la nécessité de règles. Mais tout indique qu'elles doivent régir en priorité les rapports économiques, que vous avez laissés à l'état de jungle, entre les auteurs, les artistes – dont les interprètes –, les producteurs, les éditeurs, les géants du commerce informationnel et des réseaux de communication. Là, plus que dans ce que vous nommez « piratage », se trouve le triangle des Bermudes qui engloutit les droits des créateurs, le respect dû aux oeuvres de l'esprit et leur rémunération.
La bataille principale ne doit plus être livrée contre le piratage mais contre le contrôle des principaux canaux de diffusion de la musique, et demain du cinéma. Aujourd'hui, Apple a conquis la première place, presque monopolistique.
Il faut lever les blocages. Les créateurs et les artistes sont mal rémunérés dans les partages qui s'instaurent. Sur iTunes, près de 80 % des recettes vont au producteur et une petite minorité aux artistes ! La valorisation via l'offre commerciale ne décolle pas. En effet, les éditeurs peinent pour accéder aux catalogues à des prix décents, et le coût des bandes passantes facturé par les opérateurs de télécoms empêche les nouveaux modèles d'être rentables. Nombre d'artistes entreprennent d'ailleurs de se produire eux-mêmes pour échapper à ce qu'ils considèrent comme un racket.
Ainsi, pendant que l'on traque l'internaute qui partage des fichiers musicaux à des fins non lucratives, un monde mal régulé, celui des échanges culturels marchands, peine à rechercher un nouvel équilibre des droits.
Une nouvelle exception culturelle française est possible. Elle ne passe pas par une dérisoire « riposte graduée ». Ouvrons plutôt le chantier d'une contribution créative, dont les revenus manquent cruellement aux acteurs du monde de la culture et aux artistes.
Nous avons travaillé depuis quatre ans, et cette contribution créative n'est pas une version mise à jour de la licence globale. Il s'agit davantage de ce que les juristes nommeraient une licence collective étendue.
L'Internet doit financer la création, là est l'essentiel de la réponse ; comme la télévision a su financer le cinéma depuis les années quatre-vingt. Cela est possible en utilisant la taxe sur les opérateurs, votée ici même : il s'agissait d'une occasion historique, vous en avez fait un détournement de fonds, un racket d'État. Il y aussi les sommes importantes qui vont être engagées par le ministère de la culture pour mettre en place la haute autorité. Enfin, il y a encore les 60 millions d'euros que les FAI vont devoir débourser pour pourvoir à la mise en oeuvre de cette loi indigne.
En mettant bout à bout ces trois ressources, l'on assurerait un financement de la musique bien au-delà des désordres actuels : trois cents à quatre cents millions d'euros par an me semblent un objectif raisonnable.
Nous voulons défendre ici l'une des plus belles idées de notre temps : l'idée de l'alliance libre de l'Internet et de la culture. Ce sera notre contribution positive pour échapper à ce cauchemar législatif et surtout pour préparer des temps meilleurs. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. Christian Paul dit vouloir réaliser l'alliance de l'Internet et du monde de la culture. C'est précisément ce que nous avons fait avec les accords de l'Élysée.
Et nous y sommes parvenus précisément car nous sommes sortis de l'époque où les fournisseurs d'accès à Internet étaient les ennemis du monde de la création. Aujourd'hui, les uns ont besoin des autres, et les fournisseurs savent qu'ils ont besoin de contenu.
C'est là qu'est la modernité. La modernité n'est pas de prôner le laisser-faire en assénant des contrevérités. Comment peut-on prétendre, par exemple, que le téléchargement est sans conséquence sur la musique et le cinéma ? Comment peut-on affirmer que 800 000 piratages d'oeuvres musicales et 450 000 piratages de films par jour sont sans conséquence ?
Les films les plus piratés sont ceux qui font le plus d'entrées en salles !
Avant de vouloir mieux rémunérer les chanteurs, les cinéastes ou les artistes, il faudrait commencer par mettre un terme à leur pillage ! C'est ce que nous essayons de faire.
La modernité, c'est le développement de l'offre légale, et ce n'est pas en encourageant le piratage, contre l'intérêt des maisons d'édition, qu'on parviendra à développer des offres légales innovantes. Le streaming, déjà abondamment cité, est un modèle parmi d'autres, et nous sommes pour cette diversité de modèles qui rendent justice aux ayant droits et ne les exproprient pas. Là sont la modernité mais aussi l'imagination et le courage. Ils ne consistent pas à encourager les jeunes à poursuivre leurs pratiques illégales, mais à leur parler de responsabilité et des conséquences de leurs actes. On peut fort bien concilier la liberté sur Internet et le respect des créateurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Nous en venons aux explications de vote sur la question préalable.
La parole est à M. Patrick Roy, pour le groupe SRC.
Le repas du Fouquet's, au soir du second tour de l'élection présidentielle coûte décidément bien cher à ce pays, madame la ministre. Une fois de plus, après la funeste loi sur l'audiovisuel que vous avez si mal défendue (Protestations sur les bancs du groupe UMP), ce projet de loi est un nouvel avatar du pacte scellé cette nuit-là.
Les protestations de vos amis politiques témoignent d'ailleurs que mes arguments font mouche.
Cette nouvelle loi n'a en effet qu'un seul but : défendre les possédants, les nantis, tous ceux qui, dans le domaine de l'audiovisuel et de l'industrie du disque ou du cinéma, s'en mettent plein les poches depuis des années !
Vous nous parlez de la crise du disque, madame la ministre, mais il ne me semble pas vous avoir entendue évoquer les profits exorbitants réalisés par les majors avec l'apparition du CD. Souvenez-vous pourtant de l'époque où les ventes de CD ont explosé parce qu'il fallait remplacer les vinyles, alors même que les maisons de disques n'engageaient aucun frais. Vous êtes restée étrangement silencieuse sur le sujet.
Le problème aujourd'hui est surtout de financer la création, car c'est la création qui fait vivre la culture. Or votre texte fait preuve sur ce point d'un silence assourdissant. Bien que vous vous en défendiez par des arguments plus fallacieux les uns que les autres, il ne permet pas de financer la création.
Votre projet de loi est de surcroît dépassé. Vous voulez sanctionner le téléchargement – vous parlez d'éducation mais c'est bien de sanctions qu'il s'agit –, alors qu'aujourd'hui le streaming a envahi l'Internet et permet à n'importe qui de visionner le film ou d'écouter la musique qu'il désire, et ce en toute légalité, comme s'il avait le monde de la culture à sa disposition.
Ce texte confirme enfin l'échec annoncé de la loi de 2005. Je me souviens qu'à l'époque le ministre en charge de la culture avait voulu nous convaincre que son texte allait révolutionner la communication sur Internet grâce à une meilleure régulation ; nous lui avions prédit au contraire son échec, car la loi n'était pas applicable. Il a refusé d'écouter nos propositions. À peine quatre ans plus tard, la loi DADVSI est un échec sonnant !
L'échec est tel que vous refusez d'ailleurs de faire un rapport sur cette loi DADVSI, dont le plus étonnant est qu'elle est vouée à demeurer en vigueur malgré l'adoption du nouveau projet de loi que vous nous proposez aujourd'hui ; en d'autres termes, nous allons ajouter de l'échec à l'échec, de quoi aboutir à un beau pataquès !
Vous nous avez également parlé des dommages que pouvait causer le piratage, notamment à l'industrie du cinéma. C'est faux ! Vous savez parfaitement que les films les plus téléchargés sont ceux qui ont le plus de succès en salles. J'en veux pour preuve un film qui a mis en valeur ma région, Bienvenue chez les Ch'tis, qui a fait un triomphe et détient à ce jour le record d'entrées du cinéma français. Or ce film est aussi le plus téléchargé. Pourquoi ? Parce que, comme l'on dit chez moi : « Mi, j' vous l' dis, chi l' film y est biau, les gins y z'irotent l' vire. » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la ministre, comme l'a dit tout à l'heure l'un de nos collègues, Nicolas Sarkozy paie ses dettes !
Cessez d'invoquer les accords de l'Élysée. En situant un accord médiocre dans un lieu prestigieux, vous essayez de lui donner l'honorabilité qui lui manque. Or je ne connais qu'un accord qui mérite d'être localisé à l'Élysée, c'est le traité de 1963 entre le général de Gaulle et le chancelier Audenauer.
Assimiler comme vous le faites votre accord à celui-là est une atteinte portée à la mémoire du général, qui n'est plus une référence pour vous.
Monsieur Gosselin, les accents que vous utilisiez tout à l'heure me faisaient penser à Jdanov. Ce n'est pas parce qu'on est professeur de droit qu'il ne faut pas garder les pieds sur terre. Comme professeur de droit, vous devriez savoir qu'on ne fait pas rentrer le réel dans le droit, mais qu'on part de l'examen concret de la réalité concrète, comme disait Marx, pour en déduire le droit !
Nous vous avons craint définitivement gaulliste : nous voilà rassurés !
Mais vous pouvez être professeur de droit et être ignorant en philosophie.
Madame la ministre, vous avez évoqué la morale – vous l'avez suggérée plutôt que d'y faire explicitement référence. C'était effectivement préférable : la morale, on peut en parler, mais on n'est convaincant que si on la pratique. Or que faites-vous, en pratique ?
Vous voulez faire payer les internautes : vous ne le dites pas comme cela, mais tout votre projet va dans ce sens. Mais il faudrait vous comporter ainsi avec tout le monde ! Vous dites : pas de laisser-faire. Mais alors, pourquoi laissez-vous faire les banquiers ? Pourquoi laissez-vous faire Carlos Ghosn ? Pourquoi laissez-vous faire les actionnaires, les spéculateurs, les fraudeurs, les paradis fiscaux qui ruinent le pays ?
Ceux-là, ce sont les copains : on n'y touche pas. Vous vous acharnez donc sur ces pauvres internautes, qui ne sont pas de la même étoffe que vos amis.
Ils veulent simplement avoir accès à des chansons, à de la musique ou à des films – et vous voulez les en priver ?
Madame la ministre, vous faisiez tout à l'heure référence à ces dix mille signataires. Parlons-en : ce sont vos victimes, car ce sont pour beaucoup des intermittents du spectacle que vous avez crucifiés !
Pourquoi ont-ils signé ? Votre question est excellente, monsieur Apparu, et je vais vous répondre. Regardez comment fait le MEDEF : il met en avant les petits artisans et les petits patrons ; et pendant ce temps-là, Mme Parisot reste sur le mont Aventin, et regarde la progression de ces fantassins qui défendent des intérêts qui ne sont pas les leurs.
Eh bien, ces dix mille signataires sont aussi des fantassins : on ne leur a pas donné les moyens de comprendre.
Nous ferons des propositions pour protéger les internautes et aussi le droit d'auteur ; car nous défendons, nous, la création, et pas seulement les coffres-forts.
Pour être tout à fait sincère, les coffres-forts nous intéressent aussi, à condition de les ouvrir pour faire passer l'argent qu'ils contiennent vers les caisses publiques.
Madame la ministre, votre texte est irréel. Vous voulez encadrer le téléchargement ; mais on peut maintenant utiliser le streaming, et on peut le faire sans que vous puissiez rien contre !
On ne fait pas une loi quand la contrainte n'est pas crédible, quand la loi n'est ni réaliste, ni juste.
Quant aux bornes wifi, je vous fais une proposition : il faut installer une webcam au-dessus de la borne wifi, pour savoir qui va télécharger. Et vous inscrirez tout cela dans le fichier Edvige : vous ferez un fichier iconographique, avec la photo de tous ceux qui ont voulu télécharger.
Excellente idée ! Il faut absolument un amendement Apparu sur ce sujet !
Pourquoi est-ce que je traite votre loi par la dérision ? C'est parce qu'elle est dérisoire. On s'acharne sur les petits pour privilégier les gros, comme d'habitude ; mais les internautes n'accepteront pas le bâillon.
Je le dis encore, et je sais que vous êtes d'accord avec moi, monsieur le président : puisque vous prétendez parler pour les internautes, madame Albanel, je leur demande de faire entendre leur voix jusqu'au cabinet des ministres, pas loin d'ici. Bloquez le site de Mme la ministre, bloquez le site des rapporteurs, faites-vous entendre et nous allons porter votre voix, à vous qui ne pouvez pas vous exprimer dans cet hémicycle !
Sur le vote de la question préalable, je suis saisi par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le groupe Nouveau Centre.
Le plaidoyer de Christian Paul n'est pas sans souffle. Oui, internet est aussi une chance pour réduire la fracture culturelle : ne perdons pas de vue cette perspective.
Dans le combat pour la démocratisation de la société, qui est toujours devant nous, cette dimension de démocratie culturelle et de partage de la culture est sans doute un des défis les plus durs à affronter. Internet, c'est vrai, ouvre des perspectives en ce domaine.
Je le dis honnêtement : il n'est pas certain que notre collègue n'ait pas raison, mais sur le long terme. Mais gouverner, c'est aussi gérer le court et le moyen termes. Pardon de revenir à des préoccupations très terre à terre : y a-t-il aujourd'hui, oui ou non, destruction de richesses dans les industries culturelles ? Il faut s'expliquer. Notre réponse est oui, et la destruction de la richesse est un vocable bien technocratique ; il faut évoquer ce qu'il y a derrière : des emplois et des salaires perdus, de la souffrance.
Que faire devant cette destruction de richesses ?
Au milieu de la discussion, Christian Paul nous a annoncé des propositions. Souffle retenu, silence, roulements de tambours ! Et puis,…
…retour de la licence globale et taxation des fournisseurs d'accès. Nous voilà repartis pour un tour ! Je dis non.
On pourrait reprendre le débat que nous avons eu pendant quatre ans, mais il commence à sentir la nostalgie et le rétro-planning.
Il n'est pas simple de trouver un meilleur modèle que celui de la riposte graduée. Peut-être Didier Mathus nous fera-t-il des propositions dans la discussion générale mais, pour le moment, je n'ai rien entendu.
Nous pensons pour notre part que les fondamentaux de la loi sont bons. Nous pensons aussi que ce texte présente de gros défauts : la suspension de l'accès à Internet en est un, et nous plaiderons fortement pour l'amende.
Et malgré tous ses défauts, vous voterez quand même le texte ! C'est chaque fois le même cinéma.
Nous sommes libres, monsieur Emmanuelli ! Nous ne vous avons pas attendu.
Il est donc urgent de rentrer dans le débat, de faire notre travail de parlementaires au lieu de s'évaporer devant des perspectives qui sont lointaines. Il faut faire ce travail librement, fortement, et nous aurons des votes décisifs dans ce débat.
Christian Paul, non sans talent, nous propose le grand soir de la révolution numérique. Carrément. Mais l'histoire nous a appris à être prudents avec ces belles histoires de grand soir. C'est pourquoi nous ne voterons pas la question préalable.
J'oserais presque remercier notre collègue Jean-Pierre Brard pour le spectacle – que je ne qualifierai pas d'excellent – qu'il nous a donné tout à l'heure, et que l'on pourra télécharger tout à fait librement puisque l'accès au site de l'Assemblée est gratuit et libre de tous droits.
Je ne suis pas sûr qu'en se le passant en boucle on ne frise pas l'overdose, mais enfin ceux qui apprécieront pourront le faire. Par moments, en vous entendant, je souris en pensant à quelques titres de films, comme Le bon, la brute et le truand ; j'imagine que vous êtes le bon et que nous sommes les truands. Mais avec vous, c'est plutôt La grande vadrouille en permanence !
Hélas, j'ai suffisamment de kilos pour rester les pieds sur le sol et ne pas risquer de m'envoler.
En revanche, je trouve assez curieux que vous balayiez d'un revers de main un certain nombre d'arguments avancés par les uns et les autres : la richesse perdue, les difficultés rencontrées par nos entreprises cinématographiques, les emplois en France, le piratage, c'est-à-dire le pillage. Tout cela est passé sous silence, et naturellement on en revient au sempiternel procès en ringardisation de la droite. C'est si facile : la droite est coupée de la jeunesse, la droite n'a rien compris à l'évolution du monde moderne, la droite ceci ou cela !
Je constate que les sénateurs socialistes sont donc des gens ringards, qui n'ont rien compris…
Si j'étais sénateur, je serais inquiet, je raserais les murs, j'aurais peur que la jeunesse ne me descende en flammes ; mais aujourd'hui, heureusement, le bon sens est revenu dans l'hémicycle. Soyons tranquilles, amis internautes : la gauche va vous préparer quelque chose de formidable !
Quand il n'y aura plus de paiements, quand il n'y aura plus de salaires, quand la création n'aura plus aucune reconnaissance financière, quand le droit d'auteur n'existera plus, quand on aura tué la poule aux oeufs d'or, il n'existera plus rien : il n'y aura plus rien à télécharger ! Il n'y aura plus rien à faire puisqu'il n'y aura plus de production. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Voilà ce à quoi on risque d'aboutir si on entre dans votre logique, qui, excusez-moi de vous le dire, est un peu dépassée.
Bien sûr qu'Internet évolue et que le monde bouge ! Alors par pitié, faites-en autant et, de grâce, aidez-nous à évoluer et à avoir une industrie cinématographique et culturelle digne de ce nom en France.
Si aujourd'hui nous disposons du premier parc de cinémas d'Europe, c'est aussi parce que nous avons su mettre en place un cadre réglementaire et légal performant.
J'y reviendrai tout à l'heure. Mais vous avez déjà compris qu'évidemment, le groupe UMP ne votera pas la question préalable.
C'est faux !
Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur la question préalable.
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 100
Nombre de suffrages exprimés 100
Majorité absolue 51
Pour l'adoption 25
Contre 75
(La question préalable n'est pas adoptée.)
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures vingt-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma