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Intervention de Patrick Bloche

Réunion du 11 mars 2009 à 15h00
Protection de la création sur internet — Exception d'irrecevabilité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Bloche :

Une autre rupture d'égalité réside dans le choix de la sanction par l'HADOPI, tant le texte laisse, en la matière, un champ très large à son pouvoir d'appréciation. L'internaute pourra ainsi recevoir un premier mail de recommandation, puis un deuxième mail qui pourra être assorti d'une lettre remise contre signature ou de tout autre moyen prouvant sa réception par l'abonné. Une fois ce second mail reçu, l'HADOPI pourra choisir, à discrétion, entre une sanction de suspension de la connexion Internet assortie d'une interdiction de souscrire un autre abonnement ou une procédure d'injonction dont la définition est, une fois de plus, particulièrement floue puisqu'elle vise à obliger l'internaute à « prendre des mesures de nature à prévenir le renouvellement du manquement constaté et à en rendre compte à la Haute autorité, le cas échéant sous astreinte ».

S'agissant de cette injonction, nous nous interrogeons, comme le souligne d'ailleurs le rapport de la commission des lois, sur « les délais au terme desquels l'absence de mise en oeuvre des mesures de nature à éviter le renouvellement d'un manquement sera considérée comme une inexécution de la transaction ». Là encore, rien n'est spécifié dans le projet de loi. L'arbitraire régnera ainsi à toutes les étapes décisionnelles de l'HADOPI. Le principe d'égalité devant la loi de tous les citoyens nécessite, au minimum, de fixer un délai qui s'appliquera à tous.

Il en est de même pour la procédure dite de conciliation : celle-ci peut être proposée ou pas à un internaute passible de sanction, sans cadre défini. Pourquoi ouvrir la possibilité d'une transaction à l'un et pas à l'autre ? Nous ne le savons pas.

Inégalité entre les internautes toujours en fonction de leur abonnement. Car, cerise sur le gâteau et spécificité notable de ce texte qui, vous en conviendrez avec moi, innove, il est explicitement prévu qu'une fois l'accès suspendu, l'internaute devra continuer à s'acquitter du prix de son abonnement. Il sera donc contraint par la loi de payer pour un service dont il ne bénéficie plus !

De la double peine créée par la possibilité de cumuler une sanction administrative et une sanction pénale, nous passons avec cette sanction financière à une triple peine. Et comme tous les abonnements ne sont pas régis par un tarif unique, le coût financier de cette sanction ne sera pas le même.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit la création d'un traitement automatisé des données à caractère personnel qui permettra la mise en oeuvre des mécanismes d'avertissement, de transaction et de sanction. Ce traitement permettra notamment de répertorier les personnes faisant l'objet d'une suspension de leur abonnement, ce qui les empêchera de conclure tout nouveau contrat avec un fournisseur d'accès.

À nouveau, rien n'est précisé quant à la durée de conservation de telles données personnelles. Nous considérons comme une évidence que cette durée ne doit pas excéder la période pendant laquelle l'abonné fait l'objet d'une mesure de la part de l'HADOPI. Or il est laissé à un décret en Conseil d'État le soin de fixer ce délai de conservation. Nous nous inquiétons d'autant plus que le délai suggéré – trois ans selon le rapporteur de la commission des lois – est largement excessif au regard des délais de suspension prévus, qui sont d'un mois à un an.

Il est nécessaire de rappeler les prescriptions de la loi Informatique et libertés qui soumettent la mise en oeuvre des traitements de données à caractère personnel au respect d'une condition : « Les données sont conservées sous une forme permettant l'identification des personnes concernées pendant une durée qui n'excède pas la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées. » Par conséquent, ces données personnelles devraient être détruites dès la fin de la procédure liant un abonné à l'HADOPI. Si tel n'était pas le cas, des personnes pourraient continuer à se voir interdire la conclusion d'un nouveau contrat avec un fournisseur d'accès, alors même qu'elles ne feraient plus l'objet d'aucune mesure de la part de l'HADOPI.

Je souhaite, avant de conclure, alerter notre assemblée sur l'isolement de notre pays dans ce dossier. Le Gouvernement veut nous faire croire qu'il existerait une solution française que le monde nous envie. Madame la ministre, vous avez fait référence, en commission, aux baisses de téléchargements obtenues en Nouvelle-Zélande avec la riposte graduée. Mal vous en a pris ! La mise en oeuvre de ce système était fixée au 28 février et a finalement été suspendue par le Premier ministre néozélandais.

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