Les deux rapporteurs ne sont pas d'accord, et il faudra bien qu'ils s'en expliquent. Mme Marland-Militello nous dit que la loi DADVSI est une page qu'il faut tourner, tandis que M. Riester, qui n'est pas là, indique dans son rapport qu'il ne faut pas toucher aux bons équilibres de la loi DADVSI.
Madame la ministre, la loi DADVSI est un fiasco législatif qui témoigne de l'impuissance publique – c'était d'ailleurs le titre prémonitoire, il y a vingt ans, d'un livre de Denis Olivennes – à appréhender les défis contemporains.
La loi DADVSI est inappliquée et inapplicable, se reposant sur la magie des DRM et proposant comme réponse miracle le mirage des plateformes de vente au morceau en ligne et défendant, comme vous le faites aujourd'hui, la sanction disproportionnée plutôt que l'innovation. Voilà pourquoi la loi DADVSI doit être abrogée. Nous avons déposé un amendement en ce sens.
Deuxième idée fausse : le faux consensus de l'Élysée devrait servir de rampe de lancement au présent texte. Les sociétés d'auteurs et les FAI se sont mis d'accord sur la « riposte graduée », pas sur une meilleure rémunération des artistes. S'y opposent ceux qui n'étaient pas conviés autour de la table, dont le tiers état des consommateurs et des citoyens. Mais aussi les artistes-interprètes qui n'étaient pas là. S'en démarquent plusieurs qui l'avaient signé sous intimidation, craignant les représailles – ils nous l'ont confessé. S'en distingue aussi M. Kosciusko-Morizet, au nom de 180 entreprises de l'Internet – il l'a déclaré hier.
Un accord interprofessionnel de cette nature peut-il à lui seul faire la loi au nom de l'intérêt général, en particulier pour régir les rapports avec le public ?
Troisième idée fausse : le téléchargement serait responsable de tous les malheurs de l'industrie culturelle en crise. Ce serait le bouc émissaire parfait. Henri Poincaré disait : « On fait la science avec des faits comme une maison avec des pierres ; mais une accumulation de faits n'est pas plus une science qu'un tas de pierres n'est une maison. »
Il est pratique de faire du téléchargement le bouc émissaire de la crise de la culture. Alors que le pouvoir d'achat des Français a fortement baissé depuis 2002, alors que les nouveaux moyens de communication, la téléphonie mobile en particulier, ou plus simplement le loyer ou le carburant grèvent une part sans cesse croissante du budget de nos concitoyens, nous sommes aujourd'hui sommés de voir dans le seul téléchargement le responsable de tous les maux de l'industrie du disque. C'est un peu court, pour ne pas dire choquant.
Depuis 2005, je demande, avec Patrick Bloche et mes collègues du groupe socialiste, qu'une mission d'information parlementaire dresse enfin un panorama plus juste et équilibré que celui brossé à grands traits dans des études commandées par quelques lobbies. Sans ce nécessaire travail préparatoire, nous ne construisons pas la nouvelle cité numérique où les auteurs et les artistes pourront se voir conférer de nouveaux droits.
Tant de causes expliquent en effet la crise de la musique : déclin du CD amorcé au début des années 2000, marketing des industries culturelles qui ne doivent s'en prendre qu'à elles-mêmes…
Quatrième idée fausse : la gratuité de l'accès rendrait la rémunération de l'artiste impossible. C'est un de vos leitmotiv, la gratuité c'est le vol. Non, madame la ministre, dans ce nouveau monde, la gratuité n'est pas le vol. Si elle n'est pas encore la règle, elle n'est plus l'exception. Le paiement sera-t-il un jour une relique du passé ? L'accès à la culture contre paiement est-il un modèle dépassé ? C'est ce débat-là que nous devrions avoir. Même si de nouvelles pratiques n'éradiquent jamais totalement les plus anciennes, ces questions méritent d'être posées et le constat d'une très large gratuité de l'accès aux musiques et aux films peut être dressé.
La publicité, bien qu'évacuée de la télévision publique, a droit de cité sur les sites musicaux. De nouveaux éditeurs tentent de valoriser les oeuvres et de créer des services autour de l'oeuvre elle-même. J'ai évoqué tout à l'heure les sites de streaming. Dans une telle situation, imaginer rétablir l'ordre ancien de la rareté des copies par une loi répressive, c'est comme puiser l'eau avec un filet à papillon. Pirater et stocker des fichiers n'est même plus nécessaire. Oui, la création mérite une rémunération équitable, mais celle-ci emprunte aujourd'hui d'autres voies.
Cinquième idée fausse : cette loi permettrait de créer plus de valeur et de mieux rémunérer les artistes. Je le dis solennellement au nom du groupe socialiste : on vend aux artistes une grande illusion sécuritaire là où il faudrait imagination et courage. C'est pourtant ce que persistent à vouloir Nicolas Sarkozy et ses ministres, jamais avares de textes inapplicables, en rédigeant de nouvelles lois prétendant endiguer l'irrépressible.
Madame la ministre, vous défendez une loi de circonstance et de commande, comme pour l'audiovisuel public, la commande du prince qui, déjà en place au ministère de l'intérieur, tenait conclave avec quelques amis du show-business.
Les lobbies, eux, adorent retarder. Ils trouvent toujours pour cela, ici et là, des partisans actifs ou des complices naïfs.
Quant aux artistes, ils ont raison de taper du poing sur la table, car le monde ancien s'effondre. Faut-il pour autant que de mauvaises réponses leur soient servies comme autant de somnifères ?
Sixième idée fausse : la « riposte graduée » serait un dispositif indolore. La surveillance généralisée du net est, au contraire, une horreur juridique et une redoutable transgression. Mille motifs conduisent à rejeter cette loi abusivement baptisée « Internet et création » : surveillance généralisée du net, absence de recours et de procès équitable avant coupure, identification hasardeuse des « coupables ». Il est assez simple d'y voir l'amorce sans précédent d'une surveillance automatisée des échanges. Comme si l'hypersurveillance était notre horizon inévitable ! La CNIL a eu des mots très durs que nous rappellerons dans le débat.
À cela, et comme l'a dit Patrick Bloche, s'ajoute la triple peine. En effet, à la suspension de la connexion s'additionnent la poursuite du paiement de l'abonnement suspendu et la persistance des poursuites civiles ou pénales.