La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
La parole est à M. Frédéric Cuvillier, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Il y a quelques jours, nous avons appris le rejet par la justice mexicaine de l'amparo, forme de pourvoi en cassation, contre la condamnation de la jeune Florence Cassez à soixante ans d'enfermement. Or, nous le savons, Florence Cassez est innocente. Du reste, les soutiens sont de plus en plus nombreux, y compris au Mexique – l'ancien garde des sceaux notamment, mais aussi des élus, des intellectuels, des politiques, des médias.
Au nom de mon groupe, mais également de toute la représentation nationale, je souhaite témoigner à Florence notre soutien et notre amitié. À ses parents, ici présents dans les tribunes, j'adresse nos encouragements. Quant à ses amis et à son avocat, je les assure de notre fidélité dans leur combat. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Il y a quelques minutes, M. l'ambassadeur du Mexique s'adressait à la France comme à un pays ami. Il indiquait que la France et le Mexique avaient en commun des valeurs, les valeurs des droits de l'homme et de justice.
À aucun moment, nous n'avons porté atteinte à la souveraineté du Mexique ou fait preuve d'ingérence. Cependant, nous disons aux responsables mexicains que des pays amis se doivent de respecter le droit international, notamment la Convention de Strasbourg, qui permet le rapatriement de personnes condamnées.
Aussi, monsieur le Premier ministre, je souhaite que vous assuriez à la représentation nationale, à la France, à Florence et à ses parents, que tout sera mis en oeuvre au plan diplomatique pour lui venir en aide et faire triompher le droit. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)
La parole est à Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes.
Monsieur le député, je veux d'abord exprimer – comme chacun sur ces bancs – notre solidarité à Florence Cassez, sa famille et ses proches.
L'amitié que nous avons pour le Mexique et le peuple mexicain n'empêche pas aujourd'hui l'indignation. En effet, aucun des éléments graves qui ont pesé sur la régularité de la procédure n'ont été pris en compte.
Oui, monsieur le député, le Mexique est signataire de la Convention de Strasbourg, qui permet à une personne condamnée d'effectuer sa peine dans son pays. Depuis longtemps maintenant, nous avons demandé le transfèrement de Florence. Mais notre demande a été rejetée et nous ne comprenons pas pourquoi. Il s'agit d'une demande raisonnable permettant de trouver une solution humanitaire dans le cadre du droit et des conventions internationales.
Bien sûr, il existe des différences entre nos systèmes juridiques, mais c'est justement parce qu'il y a des différences que ces conventions internationales ont été établies.
Oui, monsieur le député, nous continuerons de demander le transfèrement en France de Florence. Tous, nous continuerons de nous mobiliser afin qu'une issue conforme à la justice et au droit soit reconnue et mise en oeuvre.
Soyez-en assurés, nous n'abandonnerons pas Florence Cassez. Nous comptons sur la solidarité de tous, sur tous les bancs, pour faire savoir aux Mexicains que nous voulons le retour de Florence en France. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Jean-Paul Garraud, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le garde des sceaux, le 1er février, le corps découpé de Laetitia Perrais était retrouvé dans un plan d'eau près de Pornic. Les circonstances de son assassinat sont tout simplement horribles.
Le multirécidiviste suspecté de l'avoir commis a été libéré en février 2010 sans faire l'objet d'aucun contrôle, alors même que, quatre mois auparavant, il avait été noté dans son dossier qu'il était urgent de le prendre en charge.
Tout cela a bouleversé la France, à commencer par le Président de la République. Et ce n'est pas faire preuve de populisme que de dénoncer ce qui est inadmissible et de rechercher les causes des dysfonctionnements.
Parlons franchement : l'arsenal législatif permettant de lutter contre ces récidivistes existe. Nous avons eu le courage de l'élaborer, et de briser des tabous en tirant toutes les conséquences des évaluations de dangerosité. Il ne s'agit pas de lois de circonstances, mais bien d'une évolution législative laquelle a commencé non pas en 1998, par la loi sur le suivi socio-judiciaire de Mme Guigou, mais en 1997, plus précisément le 29 janvier, avec le projet de loi de Jacques Toubon.
Les problèmes de moyens dans le domaine de la justice ne peuvent pas tout justifier. Du reste ils ne sont pas nouveaux et nous avons connu d'autres manifestations dans le passé. Je me souviens notamment de François Mitterrand assiégé à la Cour de cassation, en 1991, par des magistrats en colère, qui se heurtaient aux CRS. Je me souviens aussi d'Élisabeth Guigou : après la loi du 15 juin 2000, lors de manifestations place Vendôme, des magistrats jetaient leurs codes sous ses fenêtres. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Depuis lors, le budget de la justice a progressé : il a notamment augmenté de 40 % depuis 2002 et certains services pénitentiaires fonctionnent très bien alors qu'ils n'ont pas plus de moyens que les autres. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Que l'opposition et le Syndicat de la magistrature arrêtent donc d'accuser le Président de la République de tous les maux : travaillons vraiment ensemble pour lutter contre ces multirécidivistes.
Monsieur le garde des sceaux, hier, vous avez reçu les organisations syndicales.
Pouvez-vous dire à la représentation nationale ce que vous envisagez ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Comme vous l'avez indiqué, monsieur le député, dès l'affaire de Pornic connue, j'ai diligenté deux missions d'inspection, tandis que le ministre de l'intérieur en organisait une.
Hier, pendant trois heures, j'ai présenté aux organisations syndicales du monde judiciaire les deux rapports émanant l'un de l'inspection des services judiciaires, l'autre de l'inspection des services pénitentiaires. Dans quelques heures, je les présenterai en détail à la commission des lois de l'Assemblée nationale.
Ces deux rapports montrent plusieurs dysfonctionnements, notamment, en ce qui concerne le milieu pénitentiaire, une véritable coupure entre le milieu fermé et le milieu ouvert, une culture trop axée sur le premier au détriment du second, alors que le milieu ouvert doit être le cadre normal de la sortie de prison pour tout détenu. En outre, ces rapports font tout naturellement état de comportements qui peuvent poser problème.
J'ai donc l'intention de saisir le Conseil supérieur de la magistrature, conformément à l'article 65 de la Constitution, à propos du fonctionnement du service public de la justice.
Je compte également étudier toutes les questions individuelles que soulève le rapport pénitentiaire, dont, je le répète, je présenterai ce soir l'essentiel à la commission des lois de l'Assemblée nationale.
Un chapitre sera bien entendu consacré aux moyens, monsieur Le Roux.
Dès hier, le Premier ministre m'a autorisé à annoncer que des moyens d'urgence seraient octroyés. D'autres le seront de manière durable une fois les dysfonctionnements corrigés. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Depuis 2007, ce gouvernement nous a habitués à mélanger allègrement intérêts publics et intérêts privés (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP), ce qui a conduit à des situations inacceptables et à des décisions dangereuses.
Ainsi, la loi sur les jeux en ligne a permis à quelques amis du Président de la République de régulariser les sociétés dans lesquelles ils avaient pris des parts.
De même, la réforme des retraites, en encourageant le développement des fonds de pensions, va directement bénéficier au frère du Président.
Celui-ci, délégué général du groupe Malakoff-Médéric, vient en effet de lancer, au début de cette année, un fonds de pension en association avec la Caisse des dépôts et consignations. Quel flair ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Un autre exemple, plus dramatique, nous est fourni par l'affaire du Mediator, produit par les laboratoires Servier, dont deux salariés étaient des conseillers de M. Bertrand lors de son premier passage au ministère de la santé. (Huées sur quelques bancs des groupes GDR et SRC.)
Les lobbies, notamment ceux de la finance, sont au coeur du pouvoir. Le dossier de la dépendance risque de nous en fournir un nouvel exemple. L'obstination de Nicolas Sarkozy, du Gouvernement et de Mme Parisot à offrir la dépendance aux assureurs privés, alors même que 75 % de nos concitoyens sont favorables à sa prise en charge solidaire et publique, s'éclaire d'un jour particulier lorsqu'on sait que le directeur général du principal réassureur des mutuelles a travaillé sur ce dossier pour trois ministres du travail successifs, dont M. Bertrand, et que l'ancien directeur général de la cohésion sociale, autre ex-collaborateur de M. Bertrand (Exclamations sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC), a rejoint depuis peu l'assureur privé Groupama.
Monsieur le Premier ministre, allez-vous enfin décider de mettre un terme aux conflits d'intérêts ?
Sur le dossier de la dépendance, allez-vous décider de résister aux lobbies ?(Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur de nombreux bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement.
Madame Fraysse, cessez de formuler des accusations inutiles,…
… indignes des enjeux du travail législatif qui tend à définir des bornes plus strictes en matière de conflits d'intérêts.
Entendons-nous ensemble sur la définition des conflits d'intérêts, sur le périmètre d'une réforme qui ne doit pas déboucher sur une forme de criminalisation de la vie politique, car cela ne serait pas plus acceptable que les faits qui ont été dénoncés et qui ont pu choquer l'opinion publique.
Vous avez pris certains exemples ; nous pourrions en citer d'autres, à rebours.Prenons celui du directeur de cabinet d'un ministre important, qui a autorité sur le secteur bancaire, et dont le fils, ayant fait des études, se destine à une carrière dans ce même secteur.
Voilà qui débouchera sur une confrontation curieuse, une subversion moderne de Kramer contre Kramer car, si l'on mène jusqu'à son terme la logique de certains ayatollahs, la criminalisation de la société française par l'intermédiaire de la responsabilité publique, …
… ce sera la carrière du père contre celle du fils.
Je souhaite que la consultation effectuée ici par des membres de l'UMP et du Parti socialiste – Mme Grosskost et M. Balligand – et au Sénat, par parallélisme des formes, grâce à la coordination entre la majorité et l'opposition, permette de définir les contours de ce qui est acceptable dans la société moderne, aujourd'hui, en 2011.
Il s'agit de déterminer des frontières afin d'éviter, en effet, toute porosité entre activité publique et activité privée.
Mais, de grâce, ne nous engageons pas sur une voie qui nous mènerait beaucoup trop loin, ce que nous regretterions, alors qu'un consensus est à portée de main,…
…et que l'on peut parvenir à une évolution respectable, pour les responsables politiques comme pour toute la haute fonction publique. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
Monsieur le garde des sceaux, vous venez de répondre à notre collègue Jean-Paul Garraud à propos de l'affaire Laetitia et vous allez très bientôt faire part à la commission des lois des résultats de l'inspection que vous avez organisée.
Au nom de mes collègues du groupe Nouveau Centre, je voudrais revenir sur les dysfonctionnements de la justice. Nous estimons que le principal d'entre eux est l'inexécution des décisions de justice. Comme le Président de la République l'a rappelé jeudi dernier à la télévision, sur les 100 000 peines d'emprisonnement prononcées chaque année, 33 % ne sont jamais exécutées.
Les députés du Nouveau Centre vous ont demandé à plusieurs reprises dans cet hémicycle de faire de l'exécution des peines une priorité et de faire en sorte que la dangerosité des détenus soit prise en compte dans la procédure de remise de peine, aujourd'hui automatique. Il s'agit de deux pistes importantes à même de prévenir la récidive.
Samedi dernier, dans la région parisienne, deux jeunes enfants ont failli être enlevés par un individu, condamné en 2000 à dix-huit ans de réclusion criminelle mais remis en liberté au début de l'année.
Monsieur le garde des sceaux, au-delà de la question des moyens sur laquelle vous allez vous exprimer tout à l'heure devant la commission des lois, que comptez-vous faire pour améliorer l'exécution des peines qui constitue pour les députés du Nouveau Centre le meilleur moyen de prévention ? (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)
La parole est à M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Je considère comme vous, monsieur Hunault, que trop de peines prononcées ne sont pas exécutées. Votre question me permet d'affirmer très clairement que, contrairement à ce qui est dit parfois, les magistrats ne sont pas laxistes en France.
Ils appliquent les lois telles que vous les avez votées. Je veux le dire devant la représentation nationale. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Reste que beaucoup de condamnations prononcées ne sont pas exécutées. J'ai pris des mesures car je considère, comme vous, monsieur le député, que l'une des exigences essentielles de la démocratie est de faire en sorte que les peines prononcées soient exécutées. Quatorze juridictions parmi les plus en retard vont faire l'objet de contrats d'objectifs dans les mois qui viennent et bénéficieront de moyens supplémentaires pour mettre un terme à leur retard et faire en sorte que les peines soient correctement exécutées dans leur ressort.
Nous développerons une coopération avec les services d'enquêtes afin de permettre une recherche plus efficace des condamnés. Le nombre de places de prison sera, quant à lui, augmenté grâce à la mise en oeuvre du programme immobilier.
L'intensification des aménagements de peine doit être menée à bien, mais elle doit essentiellement passer par un renforcement de la concertation entre les magistrats et l'administration pénitentiaire, laquelle constitue l'un des principaux dysfonctionnements relevés dans l'affaire de Pornic. En outre, des mesures de surveillance électronique seront développées afin de passer de 5 000 à 12 000 bracelets électroniques fixes d'ici à la fin de l'année. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)
La parole est à M. Gérard Bapt, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Ma question s'adresse à M. le Premier ministre et concerne le drame sanitaire qu'a entraîné le Mediator.
L'enchevêtrement des événements, dysfonctionnements et carences ayant conduit à ce drame apparaît particulièrement complexe. Le ministre de la santé a affirmé au nom du Gouvernement que sa volonté était d'aller vers une totale transparence, en soulignant, à la suite du rapport de l'inspection générale des affaires sociales, la responsabilité première du laboratoire Servier.
Aujourd'hui, l'urgence est à la solidarité que doit manifester la nation envers les victimes auxquelles nous devons une double réparation, matérielle et morale.
La réparation matérielle doit passer par la mise en place rapide d'un fonds d'indemnisation pour venir en aide aux familles mises en difficulté par un décès ou une maladie grave. Pouvez-vous nous indiquer à cet égard, monsieur le Premier ministre, quand un tel fonds sera créé et comment il sera financé ? Il serait inacceptable que ce financement se fasse sur le compte des assurés sociaux et ne relève pas dans sa totalité du laboratoire impliqué.
La réparation morale doit passer par la justice rendue. À cet égard, il faut rappeler que le veuf d'une victime de l'Isoméride, petit cousin du Mediator, ne s'est vu rendre justice qu'après dix ans de procédure. Avez-vous l'intention, monsieur le Premier ministre, d'agir afin que les meilleures conditions soient mises en oeuvre pour que les procédures puissent se dérouler dans des délais moins choquants ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
santé. Monsieur le député et président de la mission parlementaire, nous l'avons dit et nous le répétons, il est essentiel qu'il y ait une indemnisation juste et rapide. Tous les délais liés aux drames sanitaires passés montrent bien qu'il n'est plus possible d'attendre des années avant que justice soit rendue.
Vous avez raison de souligner les deux aspects de cette affaire : une exigence morale qui implique de déterminer précisément les responsabilités et une exigence de réparation et donc d'indemnisation.
Nous avons souhaité, après en avoir parlé avec les membres de la mission parlementaire, vous-même et son rapporteur, M. Jean-Pierre Door, poser la question de savoir s'il fallait créer un fonds spécifique dont la création serait soumise à votre assemblée, à travers notamment un vote dans le cadre du PLFSS – ce qui ne le rendrait effectif qu'à la fin de l'année –, ou utiliser les dispositifs existants afin d'avancer dans le processus d'indemnisation.
Avec Michel Mercier, nous avons confié une mission à Claire Fabre, présidente de la chambre commerciale de la Cour de cassation, afin de pouvoir faire suite aux propositions du laboratoire Servier, le 24 janvier, d'entrer dans le processus d'indemnisation. Un premier montant a été indiqué qui, à mes yeux comme aux yeux des associations, ne peut constituer qu'un début. Mme Fabre rendra ses conclusions dans le courant du mois de février de façon que nous puissions revenir vers vous et envisager les meilleures modalités à appliquer.
Dans mon esprit, la solidarité nationale pourra certes anticiper mais le responsable devra lui-même assumer l'intégralité des frais.
Les choses doivent être claires pour chacun d'entre nous. Si la solidarité doit intervenir afin de ne pas laisser les victimes dans le désarroi, c'est le fabricant du Mediator qui devra assumer le poids de ses responsabilités. Ce sera bien sûr à la justice d'intervenir en ce sens. Différentes options sont ouvertes ; nous souhaitons que tout soit fait le plus rapidement et plus justement possible. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Thierry Lazaro, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Madame la ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, nous sommes 225 députés à soutenir notre compatriote Florence Cassez. À l'initiative de Serge Grouard, j'invite la représentation nationale à se retrouver devant l'Assemblée, à l'issue de cette séance de questions d'actualité, pour appuyer ce soutien.
Incarcérée au Mexique pour y purger une peine d'emprisonnement de soixante ans pour de prétendus faits qu'elle a toujours contestés avec vigueur, elle est innocente.
Comment croire en l'impartialité de trois juges mexicains qui ont renvoyé, en moins de deux heures, Florence dans le couloir de la mort, lorsque l'on sait que le chef de la police, Garcia Luna, qui a truqué son arrestation et fabriqué son dossier, n'est autre que l'actuel ministre de la sécurité publique qui dicte l'action du président mexicain Calderon ? (Murmures sur les bancs du groupe SRC.) Garcia Luna ne peut pas rester impuni. Une action va être engagée à son encontre.
Par ailleurs, en application de la convention internationale de Strasbourg ratifiée par le Mexique, Florence peut et doit obtenir son transfèrement en France afin d'y purger sa peine.
Alors que la France a toujours respecté ses engagements bilatéraux, les autorités mexicaines n'ont jamais honoré la promesse écrite faite par le président Calderon.
Or nous apprenons aujourd'hui que, au lendemain des déclarations du Président de la République française, le Président mexicain refuse tout transfèrement de Florence.
Le Gouvernement mexicain persiste à violer la convention de Strasbourg et les droits de l'homme. Nous exhortons le peuple mexicain, un peuple ami, à demander à ses dirigeants de faire respecter la parole internationale de cette grande nation.
Madame la ministre d'État, on le sait, Florence a été injustement condamnée par la justice mexicaine ; elle est innocente. Je vous demande de bien vouloir éclairer la représentation nationale sur ce que fera l'État français en ce qui concerne son transfèrement. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes.
Monsieur le député, votre question me permet de marquer une nouvelle fois notre solidarité à l'égard de Florence et de sa famille et de saluer aussi la mobilisation en faveur de Florence de nombreux parlementaires sur l'ensemble de ces bancs.
L'amitié que nous avons pour le Mexique et le peuple mexicain ne peut empêcher l'indignation. Au cours de ces derniers mois, un grand nombre d'éléments ont été mis en lumière dans la procédure : montage policier, violation de la présomption d'innocence, absence d'enquête véritable, mise à l'écart de témoignages en faveur de Florence et maintien de témoignages contre elle malgré leur incohérence.
De nombreuses personnalités mexicaines, à la fois civiles et religieuses, ont d'ailleurs apporté leur soutien à Florence Cassez et appelé au respect de l'État de droit. Aucun de ces éléments n'a été pris en compte. Nous explorons toutes les voies de droit pour accompagner les actions que Florence Cassez décidera d'entreprendre.
Par ailleurs, j'ai écrit, hier soir, au gouvernement mexicain pour lui demander instamment que Florence Cassez bénéficie de conditions de détention qui garantissent son intégrité et sa santé.
Nous allons tous continuer à nous mobiliser pour qu'une issue conforme à la justice et au droit soit trouvée. Nous voulons que Florence Cassez soit transférée en France.
Mesdames, messieurs les députés, nous avons besoin de votre solidarité sur tous ces bancs. Ensemble, nous soutiendrons Florence Cassez et nous ne la laisserons jamais tomber. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et SRC.)
Ma question, à laquelle s'associent mes collègues Francis Vercamer et Stéphane Demilly, s'adresse à Mme Morano, ministre chargée de l'apprentissage et de la formation professionnelle.
L'emploi et le chômage sont l'une des problématiques importantes des Français. Actuellement, notre pays compte plus de 2,7 millions de chômeurs…
…avec une augmentation majeure en 2010 de 120 000 demandeurs d'emplois.
Il y a un peu plus d'un an, le 24 novembre 2009, nous avons voté une loi relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie qui vise à pouvoir harmoniser l'offre et la demande. Les trois piliers de cette loi sont la sécurisation des parcours professionnels, la transparence et la rénovation de la formation professionnelle, enfin son financement.
Madame la ministre, vous avez mis en place la préparation opérationnelle à l'emploi le 26 janvier 2011, de façon à pouvoir garantir à toutes les personnes une formation pouvant aller jusqu'à 400 heures. Un an après l'adoption de cette loi et peu de temps après la mise en place de cette mesure qu'est la préparation opérationnelle à l'emploi, pourriez-vous dresser un bilan de la situation et nous dire quels espoirs ces mesures peuvent susciter en matière d'emploi, et surtout d'emploi des jeunes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)
La parole est à Mme Nadine Morano, ministre chargée de l'apprentissage et de la formation professionnelle.
Monsieur le député, vous avez raison de rappeler que la lutte contre le chômage est la priorité absolue du Gouvernement. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Le Président de la République l'a rappelé au cours de l'émission télévisée de la semaine dernière.
Combien de fois monsieur Jardé, et vous tous ici, avez-vous reçu dans vos permanences ou vu sur le terrain des chefs d'entreprise nous dire qu'ils voudraient embaucher…
…mais qu'ils ne trouvent pas de candidats directement opérationnels aux postes proposés ? (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Vous avez raison, il nous faut mieux mettre en adéquation l'offre et la demande. C'est dans cet esprit et face à ce constat qu'a été mise en place la préparation opérationnelle à l'emploi, à l'initiative d'ailleurs des partenaires sociaux qui vont y consacrer 25 millions d'euros cette année, à travers le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels issu de la loi de novembre 2009 et porté par Laurent Wauquiez. Cette préparation opérationnelle à l'emploi, à travers une formation de 400 heures et avec, à l'issue, un CDD de douze mois ou un CDI, permettra à de nombreux demandeurs d'emplois de pouvoir retrouver un emploi.
J'ai signé avec Pôle Emploi et l'AGEFOS-PME une première convention pour que, en 2011, 5 000 préparations opérationnelles à l'emploi puissent être effectuées avec l'AGEFOS-PME.
Le 19 mars prochain, je réunirai les autres organismes paritaires collecteurs pour les mobiliser et les inciter à avoir un maximum de préparations opérationnelles à l'emploi. (Murmures sur les bancs du groupe SRC.)
C'est comme cela que nous permettrons à ceux qui cherchent un emploi de pouvoir en trouver un et d'être directement opérationnels. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Jean-Pierre Kucheida, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Monsieur le ministre de l'éducation – je ne sais pas si l'on peut encore dire : « nationale » (« Non ! » sur les bancs du groupe SRC) –, quand un enfant sait qu'il est en train de mal agir, il se retranche derrière des mensonges, des non-dits, il use de subterfuges pour cacher ses bêtises. Vous agissez comme cet enfant, monsieur le ministre.
Lycée Condorcet de Lens : 20 élèves supplémentaires et 3 enseignants en moins. Lycée Béhal de Lens : 15 postes supprimés. Lycée Henri-Darras de Liévin : 35 élèves en plus et 8 postes supprimés. Lycée d'Avion 5 postes supprimés. Collège d'Hersin-Coupigny : troisième d'insertion supprimée. Mme le recteur fait bien le sale travail !
L'iceberg des suppressions est devant nous. Pour éviter le naufrage, vous nous le cachez, comme cet enfant. Pourquoi ? Parce que, fin mars, il y a les élections cantonales.
On compte 1 170 suppressions de postes dans le Nord-Pas-de-Calais : c'est un traumatisme qui ne se balaiera pas. Et c'est ainsi dans toutes les régions de France.
Aussi, je vous poserai trois questions auxquelles, pour une fois, j'attends des réponses sincères. Est-ce possible ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Pourquoi vous acharnez-vous à démolir un système éducatif que l'Europe nous enviait il y encore peu ? Comment pouvez-vous vous satisfaire d'une politique qui gratifie ses exécutants les plus zélés de primes exorbitantes au mépris de l'avenir des élèves ? Quand prendrez-vous conscience du fait que l'avenir des élèves dépend des conditions de travail de leurs enseignants, conditions que le Gouvernement ne cesse de détériorer ?
Cerise sur le gâteau : laissez-moi vous informer que le dernier rapport de l'OCDE place le taux d'encadrement des écoles primaires de notre pays en dernière position. Merci, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
La parole est à M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.
Monsieur Kucheida, et si nous ouvrions les yeux ensemble ? (Exclamations et rires sur de nombreux bancs du groupe SRC.)
Peut-on se satisfaire d'avoir augmenté de 80 % le budget d'enseignement par élève depuis trente ans et de voir la France, cinquième puissance économique mondiale, arriver au vingt-deuxième rang dans l'appréciation de son système éducatif ? La réponse est non.
Peut-on accepter l'idée que, pendant des années, nous avons recruté des dizaines de milliers d'enseignants supplémentaires…
…et que, dans le même temps, le nombre d'élèves par génération qui atteint le baccalauréat n'a pas augmenté depuis 1995 ?
Peut-on se satisfaire de l'augmentation continue du budget du système éducatif alors que, chaque année, 120 000 jeunes sont laissés au bord du chemin ?
La réponse ne consiste pas à ajouter des moyens aux moyens.
Du reste, je vous encourage à lire un ancien ministre socialiste de l'éducation nationale, M. Claude Allègre,…
…qui, cette semaine, dans Le Point, montre très bien que le budget de l'éducation est colossal mais que les résultats ne sont pas à la hauteur. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Cela signifie qu'il faut procéder d'une autre manière, qu'il faut nous montrer capables d'encourager les initiatives des enseignants, qu'il faut faire de la différenciation, qu'il faut personnaliser les parcours. (Mêmes mouvements.)
C'est ce défi que nous avons choisi de relever. C'est ainsi que nous améliorerons les performances du système éducatif. L'avenir de nos enfants mérite mieux que les polémiques que vous ne cessez de distiller. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à M. Bernard Perrut, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le ministre du travail, de l'emploi et de la santé, le Président de la République a annoncé, la semaine dernière, des mesures fortes et des moyens exceptionnels – un effort sans précédent – à hauteur d'un demi-milliard d'euros supplémentaires pour la politique de l'emploi.
Plus que jamais, l'heure est à la mobilisation face à un chômage que nous devons faire baisser. Le Président, le Premier ministre et vous-même, M. Bertrand, nous l'avez dit : cet effort sera concentré sur les jeunes et sur les chômeurs de longue durée.
J'évoquerai les jeunes qui, grâce au développement de l'alternance, avec l'apprentissage – Mme Morano y travaille –, accéderont plus facilement à un métier. Il nous faut agir, chers collègues, pour tous les jeunes – quels que soient les communes et les quartiers qu'ils habitent – qui veulent accéder à l'autonomie : ils sont aujourd'hui trop nombreux sans qualification, sans perspectives d'embauche, sans avenir.
Avec le développement des contrats aidés, avec l'accompagnement renforcé des chômeurs de longue durée, avec un meilleur rapprochement des besoins des entreprises et des demandeurs d'emplois, vous suscitez l'attention des acteurs de l'emploi.
La cohésion de tous autour des objectifs du Gouvernement est également indispensable, qu'il s'agisse de Pôle emploi, des missions locales, des structures d'intérim, des organismes de formation, des chambres consulaires, des partenaires sociaux et, bien évidemment, de nos entreprises que nous devons soutenir dans leur développement.
Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, quelles sont les mesures concrètes que le Gouvernement va mettre en oeuvre, comment seront utilisés ces moyens financiers supplémentaires importants ? Quelles méthodes nouvelles seront mises en place sur chaque bassin d'emploi, privilégiant la proximité et l'efficacité, avec quels objectifs et quelles ambitions pour soutenir efficacement nos concitoyens à la recherche d'un emploi ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
Monsieur le député Perrut, il fallait des moyens supplémentaires pour faire face à cette priorité absolue : faire reculer le chômage en 2011. Ces crédits supplémentaires feront l'objet de réserves d'autres crédits, parce qu'il n'est pas question de laisser filer les déficits.
Cela étant, vous l'avez évoqué, il y a plusieurs priorités et notamment l'emploi des jeunes. Nous aurons, avec Nadine Morano, l'occasion de détailler, auprès des partenaires sociaux, de nouvelles mesures qui, ensuite, seront soumises à votre examen. Le projet de loi tendra à simplifier les dispositifs d'alternance. Nous débloquerons des moyens supplémentaires et mobiliserons des fonds du Grand emprunt.
S'agissant du chômage de longue durée, point sur lequel nous insistons car il n'est pas question de laisser nombre de nos compatriotes basculer dans l'exclusion, il s'agit de prévoir une prise en charge individualisée par les services de Pôle emploi, un accompagnement et la proposition soit d'une formation soit d'un emploi.
Nous avons fait le choix de donner davantage de contrats aidés au nom d'un principe simple : mieux vaut un contrat aidé avec une rémunération, un salaire, qu'une allocation, une indemnisation sans activité. C'est la valeur travail, à laquelle nous croyons depuis 2007, que nous entendons promouvoir jusqu'au bout.
Nous souhaitons par ailleurs un autre pilotage de la politique de l'emploi. J'ai visité hier le service public de l'emploi à Albertville. C'est en effet sur le terrain, dans les bassins d'emploi, que l'on sait le mieux quelles solutions locales apporter. Or notre pilotage reste encore soit trop national, soit trop régional. Ainsi, pour ce qui est des métiers en tension, métiers dont on a besoin et qui ne trouvent pas aujourd'hui les demandeurs d'emploi à même de pourvoir les postes en question, c'est sur le terrain, autour des sous-préfets, notamment, qui jouent un rôle de coordination, que nous pourrons agir.
J'aurai l'occasion, avec l'accord du Premier ministre et du ministre de l'intérieur, de réunir l'ensemble des sous-préfets avant la fin du mois de février pour mettre en place ces nouvelles orientations pour plus d'efficacité.
La parole est à Mme Pascale Got, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
En 2010 : fortes hausses des prix du gaz, de l'électricité, du fuel, de l'essence, des loyers. Début 2011 nouvelles hausses en perspective : transports, énergie, assurances, dépenses de santé et produits alimentaires.
Toutes ces augmentations portent sur des dépenses incompressibles pour les ménages. Elles pénalisent évidemment les plus défavorisés et, de plus en plus, les classes moyennes. Les familles ne supportent plus cette précarité financière. Pour beaucoup d'entre elles, la coupe est pleine.
Rien ne compense ces hausses de prix. Aucun coup de pouce significatif n'a été donné au SMIC, ni à l'augmentation des salaires, la plus faible depuis dix ans. Les plus fragiles et les classes moyennes s'enlisent dans la chute de leur pouvoir d'achat. L'ascenseur social est vraiment tombé en panne, cette fois.
De plus, vous avez ajouté plus de vingt nouvelles taxes depuis trois ans (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC) et le Président Sarkozy n'a pas rejeté le principe de la TVA sociale. Sans doute repousse-t-il le débat après 2012.
Alors, comment allez-vous enrayer la paupérisation des plus fragiles et des classes moyennes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur de nombreux bancs du groupe GDR.)
La parole est à M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation.
Madame la députée, la défense du pouvoir d'achat est une priorité du Gouvernement. (Rires et vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Les chiffres parlent d'eux-mêmes : en 2007, hausse de 3,1 % du pouvoir d'achat ; pendant la crise, en 2009, la hausse a été de 1,6 %, et elle a été de 1,4 % durant les trois premiers trimestres de 2010.
Ce n'est pas le fruit du hasard. Je vous rappelle ainsi les mesures relatives aux heures supplémentaires. Je vous rappelle la division par trois des marges arrière, avec plus de concurrence. Je vous rappelle que, sur les produits de grande consommation, le rythme de l'augmentation des prix était, jusqu'en 2008, de 3,1 %, alors qu'à la fin de 2010, ils avaient baissé de 0,2 %.
Sur ces questions, l'action du Gouvernement est donc constante. Je ne vous rappellerai pas le RSA ; je ne vous rappellerai pas la prime à la casse (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC), et tous les dispositifs anti-crise qui ont permis de venir au secours des plus modestes. (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
En ce qui concerne l'un des sujets que vous avez évoqués, celui de l'énergie, l'action du Gouvernement a été constante. Je pense à la prime à la cuve et au tarif social du gaz.
Vous parliez de dépenses contraintes. Vous-mêmes, mesdames, messieurs les députés, avez voté, lorsque j'étais parlementaire, un amendement sur le tarif social du mobile que j'avais présenté. Nous travaillons, avec Éric Besson, à l'instauration d'un tarif social sur internet.
Sur la question des produits alimentaires, qui est essentielle pour nos compatriotes, j'ai lancé le débat. J'ai une réunion dans deux jours avec les distributeurs (Rires sur les bancs du groupe SRC) sur un panier de produits essentiels. Tous les Français, y compris les plus modestes, ont le droit de manger à leur faim, et de manière équilibrée (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) : un fruit, un légume, une viande, un produit laitier.
Vous voyez, il y a ceux qui parlent, et il y a ceux qui agissent.
La parole est à M. Philippe Meunier, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, l'Italie subit actuellement une vague d'immigration massive provenant de Tunisie.
Si certains de ces immigrants souhaitent rester en Italie, un grand nombre d'entre eux veulent se rendre en France.
Alors que le chômage frappe très durement les peuples européens et que nos déficits publics et sociaux sont abyssaux, alors que la Tunisie a mis fin au pouvoir du clan Ben Ali et qu'un élan démocratique s'installe dans ce pays, nos compatriotes ne comprendraient pas une absence de réaction forte de la part de la France et de l'Europe. Le Gouvernement de la France doit rappeler que nous ne pouvons pas accueillir ces personnes sur notre territoire.
Monsieur le ministre, pouvez-vous indiquer à la représentation nationale quelle est la teneur de vos discussions avec vos homologues italiens et tunisiens à ce sujet, et dans quel délai les mesures de reconduites aux frontières de ces immigrants illégaux seront mises en oeuvre ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.
Monsieur le député, le peuple tunisien est un peuple ami, et notre rôle est naturellement d'accompagner le grand mouvement démocratique qui s'est exprimé dans ce pays.
Par ailleurs vous avez eu raison de le souligner, l'Italie doit faire face à un afflux massif de migrants clandestins en provenance de Tunisie. Ce sont 5 500 migrants qui se sont arrivés sur les côtes italiennes, notamment sur l'île de Lampedusa, depuis le 1er janvier. À titre indicatif, ce chiffre est à rapprocher de celui de l'année 2010 durant laquelle cet afflux s'était limité à 4 400 personnes.
Face à cela, nous devons naturellement agir. D'ailleurs, les autorités tunisiennes l'ont elles-mêmes bien compris, puisqu'elles ont réagi avec beaucoup d'efficacité. Il n'y a plus, depuis lundi matin, d'arrivées de migrants sur ces côtes italiennes, du fait des mesures que les autorités tunisiennes ont prises elles-mêmes.
Ensuite, la réponse doit être européenne. Parce que la politique d'immigration est une politique concertée, partagée, qui s'appuie principalement sur le Pacte européen que la France a fait adopter pendant sa présidence, à l'unanimité, par tous les gouvernements, quelle que soit leur sensibilité.
Cette politique européenne nous donne les moyens d'agir, notamment au travers de l'agence FRONTEX, qui a des moyens opérationnels pour faire face à ce type de défis.
Enfin, monsieur Meunier, je vous assure que la règle qui s'appliquera sera celle de notre politique migratoire : un étranger en situation irrégulière a vocation à être reconduit dans son pays d'origine, sauf situation humanitaire particulière. N'en doutez pas, chacun doit bien en avoir conscience, ce n'est l'intérêt ni de la Tunisie, qui l'a parfaitement compris, ni de l'Europe, ni de la France, que d'encourager et d'accepter ces migrations clandestines. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. François Brottes, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Monsieur le Premier ministre, tout semble indiquer que nous nous trouvons aujourd'hui à la veille d'un changement de régime.
Un rapport a dû atterrir sur votre bureau, qui préconise la fin d'un régime national, codifié dès 1827 ; un rapport qui annonce la suppression de l'un des derniers services publics dans les communes rurales : je veux parler du régime forestier.
Avec Jean-Louis Bianco, nous pensons que le régime forestier est à la forêt française ce que la sécurité sociale est à notre système de santé. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Il s'applique à toutes les forêts publiques, et assure leur gestion durable par la mutualisation.
La forêt, c'est le tiers du territoire national continental, et 11 000 communes forestières dans nos cantons. La forêt, c'est un bien commun universel qui, au-delà de la production de bois, rend un service considérable à la société : lutte contre l'effet de serre, protection des nappes et des sols, préservation de la biodiversité et des paysages, activités de loisirs gratuites et ouvertes à tous.
Le rapport qui vous a été remis propose de mettre fin au régime forestier, de privatiser la gestion forestière de l'ONF, et donc de privatiser les usages de la forêt.
Monsieur le Premier ministre, L'État a-t-il l'intention de remettre en cause sa solidarité à l'égard des communes forestières ? Votre gouvernement a-t-il l'intention de renoncer à la gestion équilibrée et durable des forêts publiques que garantit depuis toujours le régime forestier ? Attention : ma question porte bien sur le service public de la forêt publique, et non sur la filière bois. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement.
Monsieur le député François Brottes, je tiens en premier lieu à excuser M. Bruno Le Maire, qui est retenu à Bruxelles pour les négociations de la politique agricole commune, et qui partage avec moi la compétence sur la forêt.
Le Gouvernement n'abandonnera pas la forêt française, filière stratégique d'avenir, et particulièrement pas en 2011, date de l'année internationale de la forêt. Je rappelle à ce propos que la France est dotée du troisième patrimoine forestier d'Europe. C'est une filière qui génère plus de 400 000 emplois.
En mai 2009, dans son discours d'Urmatt, le Président de la République rappelait toute l'importance qu'il attachait à la forêt, comme filière forestière créatrice d'emplois, et aussi comme patrimoine français.
Depuis lors, de nombreux travaux ont été engagés. Vous faites état d'une note interne. Il y a eu beaucoup d'autres travaux, par exemple le rapport d'Hervé Gaymard, président de l'Office national des forêts, ou les assises de la forêt. C'est dans le prolongement de ces travaux, et sur la base de la lettre de cadrage que Bruno Le Maire et moi avons adressée au directeur général de l'ONF le 15 décembre dernier, que vient de commencer l'élaboration du prochain contrat d'objectif 2012-2016. Naturellement, tous les sujets touchant aux orientations stratégiques de l'ONF seront étudiés à cette occasion.
Il existe beaucoup d'opinions diverses sur ce sujet, et vous faites état d'une note interne de la direction générale du Trésor, je veux vous rassurer : il ne s'agit que d'une note de travail qui ne préjuge en rien des choix qui seront faits en juillet prochain. Le modèle financier de l'ONF est bien sûr étudié. Nous prendrons en compte la rémunération des services environnementaux et sociaux, ou encore l'adaptation de la forêt française au changement climatique.
Vous l'avez compris : la politique forestière française est une grande politique d'État. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Jean-Luc Reitzer, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le ministre chargé des affaires européennes, jamais sans doute les relations franco-allemandes n'ont été aussi importantes, bien sûr pour l'avenir de l'Europe, mais aussi pour notre capacité à répondre à la crise internationale.
C'est d'ailleurs dans cet esprit que le groupe UMP organise aujourd'hui une rencontre avec le bureau du groupe CDU-CSU du Bundestag, montrant ainsi les liens privilégiés qui existent entre nos deux mouvements. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
Récemment, les responsables politiques français et allemands ont souhaité se doter d'un agenda commun, servant de feuille de route ambitieuse et précise pour de nouveaux projets de coopération franco-allemands.
En choisissant 2020 comme horizon pour la mise en oeuvre de cet agenda, nos gouvernements ont mis en exergue l'importance d'un investissement constant et soutenu dans la réalisation des projets de coopération franco-allemands.
De plus, dans la perspective du sommet de la zone euro qui se tiendra en mars prochain, les leaders européens ont confirmé qu'ils souhaitaient finaliser un pacte anticrise ambitieux voulu par le couple franco-allemand.
Monsieur le ministre, nous présidons le G20. Au moment où nous savons combien l'Europe peut apporter une réponse bienvenue à la crise économique mondiale ; au moment où nous savons aussi que nous avons besoin d'une relation transatlantique plus équilibrée entre l'Europe et les États-Unis ; au moment enfin où nous savons que l'Europe peut inspirer une refondation, pourriez-vous nous préciser les éléments de cette stratégie commune franco-allemande dans les négociations à venir ?
La parole est à M. Laurent Wauquiez, ministre chargé des affaires européennes.
Monsieur Reitzer, vous l'avez rappelé, la relation entre la France et l'Allemagne a rarement été aussi forte. Et vous avez également rappelé que rarement l'Europe n'a autant eu besoin d'un engagement de la France et de l'Allemagne.
Cette relation franco-allemande est d'abord faite de coopérations concrètes : entre nos universités, entre nos entreprises, entre nos collectivités locales, notamment dans votre région, et également au niveau parlementaire, grâce à des parlementaires comme vous, qui êtes engagé dans cette relation, et je tiens à vous en remercier.
Dans cette période, nous sommes parvenus à détacher un certain nombre de convergences de vue : sur la politique agricole commune, où la France et l'Allemagne ont la même position ; sur la politique budgétaire au niveau de l'Union européenne, où nos positions sont les mêmes ; des convergences sur la politique de l'immigration sur laquelle Brice Hortefeux a travaillé. Bien entendu, sur chacun de ces sujets, les intérêts nationaux ne sont pas toujours les mêmes, les intérêts de la France ne sont pas toujours ceux de l'Allemagne. Mais notre démarche est de toujours essayer de dégager des points de convergence.
En réalité, la crise nous a rapprochés, parce qu'elle a obligé la France et l'Allemagne à souder les rangs pour défendre ensemble l'euro. En ce moment même, Christine Lagarde travaille de façon très étroite avec Wolfgang Schäuble pour mettre au point l'appropriation collective des propositions qui ont été faites par la France et l'Allemagne.
Alors, bien entendu, quand nos deux pays avancent, cela créé des réactions. Mais quand ils ne se mettent pas d'accord, cela aboutit à des reproches. Ne reprochons donc pas à la France et à l'Allemagne de faire des propositions, ce ne sont que des propositions, elles ne consistent pas à imposer les vues de ces deux pays, et ayons conscience que dans cette période, heureusement que nous avions Angela Merkel et le Président de la République pour défendre l'Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme Annick Le Loch, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation.
En ce début d'année 2011, le prix des matières premières alimentaires a connu dans le monde une hausse inédite et vous nous préparez, semble-t-il, à une hausse des prix de l'alimentation. Les consommateurs en feront bien sûr les frais, mais les producteurs en subissent aussi les conséquences, parfois très brutalement.
La loi de modernisation de l'économie était censée assurer un équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs. Force est de constater qu'elle a échoué ; aujourd'hui, ce rapport de forces se fait largement en faveur des distributeurs. La loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, qui avait notamment vocation à garantir un revenu décent aux producteurs agricoles, n'a pas rempli ses promesses.
Où sont les données fiables et critiques de l'observatoire des prix et des marges ?
Compte tenu de la hausse des prix des matières premières, les éleveurs verront leur activité menacée si le prix d'achat de leur production n'est pas revalorisé. Il y a quelques jours, lors d'une réunion au ministère sur la crise de la filière porcine, vous proposiez aux élus de cosigner un courrier à l'attention des grands distributeurs et industriels, les appelant « à leur sens des responsabilités » et à faire preuve de «solidarité » vis-à-vis des producteurs.
Pensez-vous réellement que la démarche soit à la mesure de l'enjeu ? Croyez-vous sincèrement qu'un tel courrier puisse engendrer un quelconque mouvement de « solidarité » des distributeurs envers les producteurs ? Nous avons besoin, au contraire, de régulation. Pourquoi pas un coefficient multiplicateur sur les prix des produits alimentaires bruts ou peu transformés ? Nous avons aussi besoin d'observation, d'un rééquilibrage effectif des rapports entre les différents acteurs de la chaîne qui sont tous en colère devant l'incohérence de votre politique.
Monsieur le ministre, vous avez affirmé il y a quelques jours que « les hausses des prix alimentaires doivent être justes et contrôlées ». Quelles mesures allez-vous mettre en oeuvre à ces fins ? Comment comptez-vous garantir le pouvoir d'achat des Français sur les produits alimentaires de première nécessité ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Écoutez la réponse avant de manifester !
Madame Le Loch, vous avez adressé votre question à M. Bruno Le Maire. Nous avons présidé, ensemble, il y a quelques semaines, une réunion à laquelle participaient les distributeurs, les fournisseurs, les producteurs, nota mment les agriculteurs.
La tension sur les matières premières est une réalité, chacun le sait. C'est l'une des raisons pour lesquelles le Président de la République et Mme Lagarde ont fait de la lutte contre la spéculation un enjeu essentiel du G 8 et du G 20.
À propos des négociations en cours, qui se termineront à la fin du mois de février, nous avons avec M. Bruno Le Maire indiqué que, à partir du moment où il y avait tension sur les matières premières, il fallait penser aux répercussions sur les petits agriculteurs et les producteurs. Il faut donc que les négociations soient justes et transparentes. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.) J'ai rappelé ces deux points à l'ensemble des négociateurs.
Un dispositif voté dans la loi Chatel prévoit qu'en cas de tensions sur les matières premières, il ne doit pas y avoir abus du côté de la puissance d'achat, avec des prix abusivement bas. À cet égard, je n'hésiterai pas à agir (Rires sur les bancs du groupe SRC), y compris en référé, si c'est nécessaire. Cette façon de faire peut en effet entraîner jusqu'à deux millions d'euros de pénalités.
En ce qui concerne l'observatoire des marges et des prix, j'ai demandé à la DGCCFR de regarder la construction des prix. Nous ne laisserons pas un certain nombre d'industriels s'abriter derrière la hausse des matières premières pour augmenter n'importe quoi.
Là encore, il y a ceux qui parlent et ceux agissent.
Madame la ministre de l'écologie et du développement durable et de l'aménagement du territoire, un projet de recherche de gaz de schiste sur 6 780 kilomètres carrés en région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, dont 75 % sur le territoire varois, a été déposé au ministère, entraînant de nombreuses interrogations et inquiétudes de l'ensemble des élus, de la population et la création de collectifs hostiles.
Le gaz de schiste représente sans doute une ressource considérable au niveau mondial. Cependant, la technique de fracturation hydraulique utilisée pour exploiter les gisements fracture la roche, en envoyant des milliers de mètres cubes d'eau, de sable et divers produits chimiques en sous-sol. Cette eau usée, qu'il est difficile et coûteux de traiter, engendre un risque de pollution des eaux souterraines. En Amérique du Nord, notamment aux Etats-Unis, ces forages ont déjà provoqué la pollution de nappes phréatiques, rendues aujourd'hui impropres à la consommation.
Madame la ministre, quel est le cahier des charges de la mission que vous avez créée le 4 février dernier ? Toutes les études préalables et les mesures de sécurité permettant de garantir la protection des populations et de l'environnement pour ce type d'exploitations seront-elles bien examinées et prises en compte ? Comment les élus et la population seront-ils consultés et informés ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement.
Madame Pons, de plus en plus d'inquiétudes se font jour et des interrogations légitimes sont posées sur l'exploitation du gaz de schiste.
Ces inquiétudes s'appuient sur les techniques utilisées aux États-Unis entraînant, c'est exact, la destruction de paysages et des risques pour l'environnement, en particulier pour la ressource en eau.
Aujourd'hui, il n'existe pas d'exploitation en France, mais seulement des permis d'explorations. Je le redis solennellement : il n'est pas question d'autoriser en France une exploitation à l'américaine. Éric Besson et moi-même avons confié une mission au conseil général de l'industrie et au conseil général du développement durable sur les enjeux économiques, sociaux et surtout environnementaux d'une exploitation des gaz et des huiles de schiste.
Cette mission s'interrogera évidemment sur le potentiel et sur les enjeux géopolitiques, mais, surtout, sur les risques environnementaux globaux – avec un lien sur le changement climatique – et sur les risques locaux sur le paysage et la ressource en eau.
Nous avons à résoudre une question centrale : est-il possible d'exploiter les gaz de schiste, proprement, sans risque pour l'environnement, autrement qu'à l'américaine ?
Un rapport d'étape sera remis le 15 avril et le rapport final doit être déposé le 31 mai. Ils seront publics. Les industriels se sont engagés à ne réaliser aucune opération nouvelle de fracturation hydraulique – technique que vous avez citée – dans le cadre de ces permis d'exploitation, avant que les conclusions des rapports n'aient pu être tirées. Les industriels seront surtout obligés de coopérer avec la mission que nous avons mise en place. Ils assurent pouvoir exploiter proprement les éventuels gisements. À eux de le prouver ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
Gaz de schiste
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze.)
J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant de sa décision de charger M. Louis Giscard d'Estaing, député du Puy-de-Dôme, d'une mission temporaire auprès de Mme la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes UMP et NC.)
Dans les explications de vote, la parole est à M. Olivier Jardé, pour le groupe Nouveau Centre.
Monsieur le président, monsieur le ministre du travail, de l'emploi et de la santé, madame la secrétaire d'État chargée de la santé, qu'est-ce que la bioéthique ? C'est une conception de notre société, une construction de notre avenir ; ce sont surtout les rapports entre l'homme et la science, et le respect de la dignité de l'homme, cet homme qui aspire tant à échapper aux contraintes naturelles, qui veut avoir l'assurance de ne courir aucun risque, qui veut tout maîtriser, le début comme la fin. Je rends hommage au professeur Mattei qui a été l'initiateur des lois de bioéthique.
Le groupe Nouveau Centre se réjouit que la procréation médicalement assistée soit conçue comme le traitement d'une stérilité médicalement reconnue ; il ne souhaitait pas que la PMA servît au traitement d'une stérilité « sociétale ».
Le groupe était totalement opposé à la possibilité des gestations pour autrui.
S'agissant du don de gamètes, nous sommes restés fidèles à la fois à l'anonymat du don et à sa gratuité.
Nous nous réjouissons de ce que les dons croisés d'organes vont favoriser l'augmentation du nombre de donneurs potentiels. L'an dernier, 277 décès ont résulté d'une absence de don. Grâce aux dons croisés les chances seront accrues, même si nous savons qu'il reste encore 13 000 demandeurs sur nos listes d'attente et que le taux de refus avoisine encore les 30 %. Un effort important était nécessaire, il a été fourni au cours de l'examen de ce texte.
S'agissant de la problématique du diagnostic des maladies génétiques graves, nous nous réjouissons que nos amendements permettent tant l'information de la parentèle que le respect du secret médical.
À titre personnel, j'avais proposé deux amendements. L'un, que je soutenais avec Martine Aurillac, portait sur la fécondation post mortem. L'autre visait à supprimer l'ordonnance relative à la biologie médicale.
Une question interpelle notre groupe : faut-il réviser, à date fixe, les lois de bioéthique ? Même si l'on ne peut pas dire que l'on ait, cette fois-ci, fait des avancées majeures, la discussion a été tout à fait bénéfique. Elle a entraîné un questionnement de notre société, de notre pays. Se réinterroger ainsi à date fixe est peut-être une bonne chose, et, dans l'ensemble, notre groupe regrette l'abandon de ce réexamen périodique.
À titre personnel, j'avais défendu la possibilité d'une expérimentation sur l'embryon qui soit encadrée et non plus interdite avec dérogations. J'entends les arguments qui m'ont été opposés : il y a eu quatre-vingt-huit dossiers de bonne qualité depuis 2004 et le régime en vigueur n'a pas empêché ces expérimentations. Néanmoins, je pense qu'un encadrement est parfois beaucoup plus sérié et beaucoup plus limitatif que cette interdiction avec dérogations. Je reste persuadé que cette expérimentation est aujourd'hui nécessaire, car il n'existe pas, actuellement, de possibilité de la faire sur d'autres matériaux et elle est toujours bénéfique pour nos enfants et pour nous-mêmes.
Je tiens, enfin, à saluer le président de la mission d'information et de la commission spéciale Alain Claeys et le rapporteur Jean Leonetti. Ils nous ont permis, à la fois, de nous exprimer, de nous écouter et de discuter dans un climat de grande sérénité.
Pour toutes ces raisons, le groupe Nouveau Centre ne votera en aucun cas contre ce texte. Au contraire, il se prononcera très majoritairement pour cette révision des lois de bioéthique. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur quelques bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la bioéthique est un sujet très important pour l'avenir de notre société et en débattre est tout à l'honneur de notre démocratie.
Parce que les progrès de la science engagent le devenir de l'humanité, nous avons le devoir, en tant que législateurs, de nous prononcer sur les questions éthiques liées à l'impact des évolutions scientifiques sur le début de la vie, car, si les progrès techniques sont, de manière générale, souhaitables et bénéfiques pour l'homme, il faut néanmoins veiller à ne pas en devenir tributaires. En effet, tout ce qui est techniquement réalisable n'est pas forcément conforme aux principes fondateurs de notre société.
Bien souvent, lorsque l'on aborde les questions d'aide médicale à la procréation, de recherche sur les embryons ou de don d'organes, des situations humainement difficiles sont évoquées. Néanmoins, bien que chaque parcours de vie, chaque désir ou chaque souffrance soit éminemment respectable, le législateur se doit d'agir en gardant à l'esprit l'intérêt général, c'est-à-dire l'intérêt des individus transcendé par celui de la collectivité.
L'examen de ce texte a donné lieu à de vrais échanges, intenses, parfois même passionnés. Les questions de bioéthique font appel à des principes, des convictions, qui dépassent les clivages partisans et, si des points de vue divergents ont été exprimés, nous avons aussi su nous retrouver pour défendre des positions communes.
Réévaluer la loi de bioéthique, c'est faire des choix profondément politiques, car c'est affirmer les valeurs de notre société. Certains s'étonnent de voir que l'important travail de préparation de cette révision, mené, notamment, grâce aux états généraux de la bioéthique, au Conseil d'État ou à la mission d'information parlementaire, mais aussi grâce à cette première lecture – car ce n'est qu'une première lecture –, a abouti à un texte relativement court, apportant seulement quelques ajustements à la précédente loi. Le projet de loi présenté aujourd'hui s'inscrit dans la lignée de ceux de 1994 et 2004. Il réaffirme ainsi plusieurs principes qui forment le socle de notre législation : la non-marchandisation et la non-patrimonialité du corps humain ; l'anonymat et la gratuité du don ; le caractère libre et éclairé du consentement ; la protection de l'embryon ; le respect dû au corps. Pourquoi donc changer en profondeur la loi de bioéthique puisque notre société demeure attachée à ces valeurs sur lesquelles elle repose ?
Si certains pays ont pris le parti d'une approche éthique moins exigeante et moins régulatrice que la nôtre, la France, quant à elle, a de nouveau choisi de respecter ces valeurs essentielles qui fondent notre vivre ensemble, consacrant par là même leur intangibilité. Légiférer en faveur du mieux-disant éthique revient à défendre la dignité humaine. Ce n'est pas une attitude rétrograde ; bien au contraire, c'est faire preuve d'audace.
Comme l'a rappelé le Premier ministre, il ne saurait être question de consignes de vote sur ce projet de loi qui renvoie à la conscience de chacun. Cependant, le texte présenté aujourd'hui est équilibré et s'appuie sur des principes auxquels nous sommes tous très attachés. Aussi, chers collègues de l'UMP, je vous invite à vous prononcer au regard de ces valeurs qui nous unissent, au-delà de nos divergences d'opinions. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et NC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe SRC votera, en cette première lecture, contre ce projet de loi.
Comme mon collègue, je me félicite de la qualité de nos débats. Quelles que soient nos positions, nous avons en commun un certain nombre de valeurs : le respect de la dignité de la personne humaine ; la non-marchandisation. Tout au long du débat, sur l'ensemble de ces bancs, nous avons réaffirmé ces valeurs.
Nous avons arbitré sur le maintien de l'anonymat. Bien que certains parlementaires, y compris dans mon groupe, aient défendu sa levée partielle, nous sommes globalement favorables au maintien de l'anonymat.
Concernant les questions sociétales, le groupe SRC a ouvert le débat sur l'assistance médicale à la procréation, je souhaite qu'il puisse être prolongé dans les mois et années qui viennent.
Nous avons eu un débat sur la gestation pour autrui, globalement rejetée, même si, cette fois encore, un certain nombre de parlementaires ont défendu un autre point de vue.
Il y a désaccord entre nous – je le dis avec quelque gravité – sur un sujet : la recherche sur les cellules embryonnaires, pour laquelle la majorité a choisi une formule d'interdiction avec dérogations. C'est, je vous le dis simplement, une formule de tous les dangers, car on s'est rendu compte – que ce soit en commission spéciale ou dans cet hémicycle, en séance plénière – que vous aviez deux interprétations différentes de cette formule, et je ne crois pas déformer votre pensée à ce propos. Pour les uns, l'interdiction avec dérogations, c'était, avant tout, l'interdiction : interdire les recherches sur les cellules souches embryonnaires, limiter au maximum le diagnostic prénatal et le diagnostic préimplantatoire et parfois, au détour d'une phrase, rouvrir la question de l'avortement médical.
Ces positions ont été affirmées clairement. De l'autre côté, par la voix du rapporteur, l'interdiction avec dérogations procédait d'une volonté d'affirmer la protection de l'embryon. Pour avoir travaillé ces sujets, Jean Leonetti le sait très bien : cette interdiction n'offre aucune protection, car la transgression a lieu en amont, sur les embryons surnuméraires, qui sont voués à la destruction.
Monsieur le ministre, je crois que la solution raisonnable est aujourd'hui d'autoriser les recherches sur les cellules souches embryonnaires, car elles sont utiles pour la recherche fondamentale et, demain, d'éventuelles applications thérapeutiques. Il y a aujourd'hui des millions d'hommes et de femmes qui nous entendent, qui attendent nos décisions, parmi lesquels des chercheurs. Nous devons les respecter.
Je défends d'autant plus cette solution que l'encadrement, en France, à travers l'Agence de la biomédecine, est sûrement le plus sérieux et le plus efficace.
Je le dis en toute amitié à Jean Leonetti, je préfère la position qu'il a exprimé le 7 novembre 2010 dans un grand journal du week-end. Il déclarait dans ses colonnes : « Laissez les chercheurs travailler. […] Il faut en finir avec l'obscurantisme. […] Pour moi, il est […] urgent d'autoriser la recherche sur l'embryon […], de permettre […], en mettant à bas le système actuel de dérogations, la recherche sur les cellules souches embryonnaires. »
J'espère, Jean Leonetti, que vous arriverez à convaincre votre groupe d'ici à la deuxième lecture, car je crois que c'est la solution de sagesse.
Je rappelle à la majorité actuelle que, sous une autre majorité, en janvier 2002, il y a eu un vote sur les lois bioéthiques. Ce n'était pas le groupe UMP, à l'époque, c'était le groupe RPR. Cinquante députés ont voté très simplement, très clairement, pour l'autorisation de la recherche sur les cellules souches embryonnaires avec encadrement. Parmi eux figuraient Nicolas Sarkozy, François Fillon, Alain Juppé, Philippe Séguin, Roselyne Bachelot, Christian Jacob et le président Bernard Accoyer. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, comme cela a été dit par les orateurs précédents, il est très compliqué de se livrer à une explication de vote tant il est vrai que ce sujet fait appel à notre conscience. C'est la raison pour laquelle, dans notre groupe de la gauche démocrate et républicaine, certains s'abstiendront, d'autres voteront pour, d'autres encore voteront contre. Je suis dans ce dernier cas, comme mes collègues Yves Cochet et François de Rugy.
À ce stade de notre discussion, et alors que le texte va être transmis au Sénat, nous avons le sentiment d'avoir assisté à une occasion manquée, une sorte de grand gâchis qui aboutit à un statu quo. Or, sur ces questions qui ont des implications sociétales très importantes, le statu quo vaut recul et même, d'une certaine manière, se transforme en un véritable carcan.
Certes, les uns et les autres, nous avons affirmé des valeurs universelles auxquelles nous croyons dans cette démocratie : le respect de la dignité humaine et la non-marchandisation du corps. Mais si le législateur prend du retard par rapport au progrès technique et scientifique, il est condamné au suivisme et il ne peut pas fixer le cadre que l'on est en droit d'attendre dans un état de droit pour le progrès scientifique. Jacques Ellul, un philosophe précurseur, est celui qui a sans doute le mieux analysé ce que nous appelons aujourd'hui la société technicienne ; il soutenait que le progrès technique n'entraînait pas forcément le progrès humain et que, s'il n'était pas contrôlé démocratiquement, il pouvait se retourner contre nous et contre notre liberté.
Sur des sujets aussi importants que l'aide médicale à la procréation, la recherche sur les embryons, la gestation pour autrui ou la fin de vie, nous avons manqué l'occasion de débattre et de décider. Je regrette que le périmètre de révision des lois de bioéthique ait été si limité. Nous avons été quelques-uns à vouloir poser le débat sur la gestation pour autrui, sur la question de la fin de vie pour aller au-delà de ce que l'on appelle aujourd'hui les lois Leonetti. Nous avons été quelques-uns à nous interroger sur la possibilité de connaître ses origines et nous avons essayé d'avoir un débat clair sur cette question des origines et de la filiation. Malheureusement, une majorité d'entre vous s'est prononcée contre la levée de l'anonymat, confondant la question des origines et de la filiation.
Voilà pourquoi certains d'entre nous voteront contre ce texte, considérant qu'il a été, d'une certaine manière, prisonnier de la biomédecine, limitant à des questions médicales une loi qui a des conséquences sur notre mode de vie, sur notre conception de la société et sur la conception de la famille qui a beaucoup évolué.
Comme je le disais au début de mon intervention, nous avons, au cours d'une discussion marquée par un respect mutuel, manqué l'occasion d'examiner les lois bioéthiques au regard de l'évolution de la société. Certains de nos collègues ont préféré pratiquer la politique de l'autruche et faire des cadeaux aux ultras de la majorité pour pouvoir, à la veille des élections de 2012, aller dans le sens de ceux qui, dans leurs circonscriptions, sont conduits par des convictions religieuses, plutôt que de rechercher l'intérêt général et de construire l'état de droit. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Bref, vous avez manqué une occasion de légiférer pour la société.
J'ai le sentiment, sur des sujets aussi importants que ceux-là, mais il y en a d'autres et la preuve en sera malheureusement apportée, que nous sommes, dans cette assemblée, cachés derrière les ors de la République, un peu « hors-sol », que nous ne voyons pas la société telle qu'elle est (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe UMP) et que nous sommes en retard par rapport à ce qu'elle demande et à ce qu'elle attend de nous.
C'est la raison pour laquelle, avec mes collègues de Rugy et Cochet, je voterai contre. Notre collègue Poursinoff a décidé de s'abstenir. Nos collègues communistes, républicains et du Parti de gauche se partagent entre l'abstention…
Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. On s'en fout !
Non, on ne s'en fout pas ! Je m'exprime au nom de mon groupe et il est tout à fait normal que j'indique les intentions de vote de ses principales composantes. Par conséquent, certains s'abstiendront, d'autres voteront pour ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR et SRC.)
Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur l'ensemble du projet de loi.
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 547
Nombre de suffrages exprimés 488
Majorité absolue 245
Pour l'adoption 272
Contre 216
(Le projet de loi est adopté.)
Vote sur l'ensemble
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Marc Laffineur.)
Monsieur le président, j'ai demandé à faire ce rappel au règlement en application de l'article 58, alinéa 1, relatif au déroulement de la séance, pour m'étonner, au nom de mon groupe, du dépôt tardif, peu de temps avant cette séance, de deux amendements sur cette proposition de loi. Nous n'avons donc pu en prendre connaissance en commission qu'au dernier moment. Ces deux amendements identiques – l'un, signé par le rapporteur de cette proposition de loi, M. Gaymard, et l'autre, par le groupe socialiste – semblent tout à fait étrangers à l'objet de ce texte. Nous voulons, par conséquent, dire notre surprise que ces amendements, pour le moins cavaliers, aient été déclarés recevables. Il semble qu'ils visent à outrepasser l'annulation d'un permis de construire délivré pour la construction d'une fondation dédiée à l'art contemporain – la Fondation LVMH – dans le jardin d'acclimatation, au milieu du bois de Boulogne, propriété de la ville de Paris.
Je vous demande, en conséquence, une suspension de séance de quelques minutes pour réunir mon groupe, afin d'examiner en détail les implications de ces amendements.
Madame Amiable, cela ne soulève aucun problème. En effet, aux termes de l'article 45 de la Constitution, les amendements sont tout à fait recevables en première lecture.
La parole est à M. Frédéric Mitterrand…
La parole est à M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.
Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, la proposition de loi examinée aujourd'hui constitue, je le crois, une étape majeure pour le développement d'une offre légale de livres numériques, une offre attractive, diversifiée, une offre qui soit aussi rémunératrice pour les créateurs. Comme vous le savez, depuis mon arrivée au ministère de la culture et de la communication, la numérisation du patrimoine, notamment le patrimoine écrit, mais aussi l'accompagnement de la filière du livre dans ce nouvel environnement, constitue l'une des grandes priorités de mon action. Je tiens donc à saluer l'attention soutenue que la représentation nationale, notamment au sein de cette assemblée, porte à de tels enjeux. Elle s'est traduite non seulement par un travail d'instructions et d'auditions menées par les commissions concernées, mais aussi à travers différentes initiatives, au premier rang desquelles celle qui nous réunit aujourd'hui.
La proposition de loi sur le prix unique du livre numérique a été portée simultanément sur le bureau des deux chambres. Elle s'inscrit pleinement dans la ligne des exigences formulées par plusieurs rapports importants : le rapport Patino remis à Mme Albanel en juin 2008 ; le rapport de la mission « Création et internet » de MM. Zelnik, Toubon et Cerruti, qui m'a été remis en décembre 2009 ; enfin, le rapport de Christine Albanel sur le livre numérique, remis au Premier ministre en avril 2010. Elle répond aux voeux exprimés par le Président de la République. Le 7 janvier 2010, il avait, en effet, indiqué son souhait qu'une telle loi puisse être adoptée rapidement pour le livre numérique homothétique, autrement dit la version numérique du livre papier pouvant éventuellement comporter des éléments accessoires propres à l'édition numérique.
Cette proposition de loi est donc l'aboutissement d'un solide processus de réflexion. Elle a été préparée par des discussions interprofessionnelles approfondies qui se sont tenues sous l'égide de mon ministère. À la suite de l'adoption du texte à l'unanimité au Sénat, au mois d'octobre dernier, des échanges se sont aussi engagés avec la Commission européenne, concernant la portée de cette mesure au regard de la politique communautaire de concurrence et du marché intérieur. L'objectif partagé par tous les participants à la discussion interprofessionnelle a été de parvenir à un texte équilibré, un texte qui préserve l'action de l'ensemble des acteurs de la chaîne du livre – auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires – sans brider la volonté d'innovation des entrepreneurs ni la demande des internautes.
Le texte examiné aujourd'hui suscite, je le sais, de nombreux avis, des interrogations, des controverses, voire certaines inquiétudes. C'est légitime : c'est la traduction d'un débat sain et de qualité face à un enjeu majeur des prochaines années pour notre politique du livre. Je souhaite affronter ce débat et je veux, mesdames et messieurs les députés, expliquer la position qui sera celle du Gouvernement.
Nous savons à quel point le bilan de la régulation introduite par la loi Lang de 1981 sur le prix unique du livre, cette loi de développement durable de la filière du livre, est positif. Le rapport remis en 2009 par M. le rapporteur Hervé Gaymard l'a illustré d'une manière éloquente et avec une remarquable précision. Je suis convaincu que la plupart des objectifs de la loi Lang de 1981 demeurent pertinents pour le livre numérique.
Je suis convaincu également qu'une régulation rapide du prix du livre numérique est nécessaire pour préserver la diversité culturelle et pour assurer le développement du marché dans les meilleures conditions de sécurité pour les acteurs. En effet, tant pour le livre numérique homothétique que pour le livre physique, les effets néfastes d'une concurrence par les prix sont avérés. En témoigne la guerre des prix exacerbée que se sont livrée les principaux réseaux de vente de livre numérique aux États-Unis en 2009 et 2010. Cette dernière a conduit certains opérateurs à pratiquer de considérables rabais, voire des ventes à perte sur les meilleures ventes, au détriment, bien sûr, de l'ensemble de la chaîne du livre.
Dans ce contexte, il s'agit d'abord de préserver la diversité de la création éditoriale grâce au contrôle du prix par l'éditeur, afin d'éviter l'effondrement du prix des meilleures ventes et de financer ainsi les nouveaux talents ou ceux qui n'obtiennent pas le statut enviable de best-seller. Il s'agit également de préserver la diversité des détaillants, des canaux de vente dans l'univers numérique comme dans l'univers physique en évitant le risque d'une concentration du marché entre les mains de quelques acteurs. Cette situation est une source d'appauvrissement de l'offre éditoriale. Elle mettrait en cause le rôle essentiel de médiateurs culturels joué par les libraires, pour qui le livre n'est évidemment pas seulement un produit d'appel. Au contraire, grâce au prix unique, la concurrence entre librairies s'exerce non par le prix, mais par la qualité de service, sur lequel nous devrons certainement réfléchir afin d'accompagner les libraires dans les mois qui viennent.
Dans mon esprit, la promotion de la diversité éditoriale doit s'appuyer sur la complémentarité entre réseau physique et réseau numérique. On constate, en effet, que les découvertes sont le plus souvent le fait de libraires indépendants, les grands réseaux ne faisant qu'amplifier le mouvement une fois qu'il est lancé. Cela a été précisément le cas, en France, avec le succès international de la trilogie Millenium, découverte et lancée en premier lieu dans le réseau de la librairie indépendante. Comme le directeur de la bibliothèque de Harvard, le grand historien américain Robert Darnton, le dit, je crois à la vertu d'un modèle mixte, imprimé et numérique, où chaque version d'une même oeuvre, avec ses atouts propres, s'efforce à sa manière de transmettre à des publics parfois distincts une même histoire, une même trajectoire du sens et du symbole.
La régulation proposée par ce texte contribuera, par ailleurs, à préserver une assiette stable pour la rémunération des ayants droit, en particulier les auteurs qui doivent pleinement bénéficier de cette nouvelle frontière du monde de l'édition.
La proposition de loi contribuera, enfin, à créer les conditions du développement d'une offre légale abondante, mettant fin à l'incertitude juridique qui pénalise le marché français du livre numérique. La montée en puissance de l'offre légale est d'autant plus importante que le téléchargement illégal prend de l'ampleur, ainsi qu'on l'observe dans des proportions préoccupantes sur le marché américain. Ne nous méprenons pas. L'objectif n'est pas de maintenir en l'état la chaîne du livre ni de figer des positions ou intérêts établis. Il est probable que l'arrivée du numérique s'accompagnera de transferts de valeurs à l'avantage d'acteurs nouveaux. Pour autant, il convient de veiller à ce que cette transformation n'aboutisse pas à une baisse globale de la valeur produite, comme ce fut le cas pour la musique. Il convient d'éviter que des détaillants en position de force n'imposent des conditions défavorables à toute la chaîne du livre. Dans cette perspective, cette loi d'accompagnement de la transition numérique privilégie une approche simple et souple. C'est une loi qui régule, mais c'est une loi qui est attentive à la réalité du marché, tout en respectant les nouveaux modèles qui pourront apparaître.
En premier lieu, elle ne s'applique qu'au livre homothétique, c'est-à-dire au livre qui peut être imprimé sans être dénaturé, sans perte substantielle de sens, en dépit d'enrichissements accessoires éventuels propres à l'édition numérique. Bien entendu, le développement du livre numérique ira au-delà du livre homothétique, mais l'objet du texte, aujourd'hui, n'est pas de réguler ce qui n'existe pas encore. Du reste, il est probable que le marché du livre numérique sera pour l'essentiel un marché de livres homothétiques dans les quatre à cinq années à venir. C'est bien l'horizon de la loi : elle ne prétend pas réguler le marché pour le très long terme et assume une forme de modestie raisonnable en présence d'une économie en pleine construction.
Le texte s'applique essentiellement au commerce du livre à l'unité qui constituera sans doute l'essentiel du marché à moyen terme. Mais les bouquets ne sont aucunement interdits et peuvent se développer dès maintenant, dès lors qu'il y a accord entre éditeurs et opérateurs sur les conditions commerciales.
La loi s'appliquera aux seuls acteurs établis en France. Sans doute ce champ d'application inquiète-t-il les acteurs français de la vente de livres. Ils craignent que les grands opérateurs de l'internet, établis hors de notre territoire pour des raisons essentiellement fiscales, bénéficient de conditions commerciales plus avantageuses. Je souhaiterais répondre à ces acteurs, car leurs préoccupations sont légitimes. Il est, à mes yeux, tout à fait normal et tout à fait souhaitable que les éditeurs soient en mesure de contrôler la valeur du livre quel que soit le lieu d'implantation du diffuseur, préservant ainsi une concurrence équitable entre ces derniers.
Je rejoins donc entièrement l'objectif que les distributeurs établis en France puissent jouer à armes égales avec ceux établis hors de nos frontières. Il nous faut pourtant adopter l'approche la plus pertinente, la plus habile, pour atteindre cet objectif qui est partagé, j'en ai encore eu la confirmation aujourd'hui même, par une grande partie de la filière.
Comme vous le savez, ce sujet est suivi avec une grande attention par la Commission européenne, qui a rendu deux avis très réservés sur la proposition de loi française et pour qui l'application extraterritoriale de la loi serait un élément dirimant.
Après avoir transmis à la Commission européenne les différents états du texte, je me suis longuement entretenu de ce sujet avec les commissaires les plus concernés, en allant notamment les voir à Bruxelles. Je crois les avoir convaincus de l'intérêt de légiférer en France sur le prix du livre numérique, et ce n'était pas facile. Je pense aussi qu'en allant au-delà de notre territoire, nous nous exposerions très certainement à un recours de la part de la Commission devant le juge de l'Union en manquement de nos obligations communautaires, notamment le respect de la liberté de prestation de services dans l'espace de l'Union européenne.
Dans ces conditions, et en l'état actuel du droit communautaire, appliquer le présent texte au-delà de nos frontières irait frontalement à l'encontre de l'objectif recherché. Cela reviendrait, non pas à établir un cadre juridique serein pour la filière, mais à créer, au contraire, un contexte d'insécurité juridique. Au demeurant, la loi Lang elle-même n'a été validée par le juge européen que pour autant qu'elle ne s'imposait pas aux opérations d'import et d'export de livres français sur notre territoire.
L'objectif qui est le nôtre doit donc être poursuivi selon d'autres modalités s'agissant des opérateurs non établis sur le territoire national. Ces modalités existent désormais, elles ont démontré leur pertinence et leur efficacité.
En effet, l'application en France du prix unique du livre numérique n'exclut pas les rapports conclus entre nos éditeurs et les diffuseurs étrangers sur le modèle du contrat de mandat, comme cela se pratique outre-Atlantique et outre-Manche avec les grands opérateurs de la vente de livres numériques.
Cet outil contractuel, qui assure une maîtrise des prix par l'éditeur, est en voie de généralisation sur les marchés américains et anglais du livre numérique, où les éditeurs ont fini par l'imposer aux grands distributeurs en ligne, ce qui a mis fin à la politique de prix au rabais pratiquée pour les livres numériques.
Le contrat de mandat a certes pour effet de réduire l'autonomie du détaillant. C'est précisément ce qui conduit à privilégier pour notre territoire la voie législative débattue aujourd'hui, seule à même de garantir le rôle de médiation culturelle des libraires. Pour autant, ce modèle fait ses preuves, aux États-Unis notamment, où il donne satisfaction aux grands opérateurs de l'internet. Pour ce qui concerne la France, il a été validé dans son principe par l'Autorité de la concurrence dans son avis de décembre 2009. La Commission européenne, dans les deux avis qu'elle vient de rendre sur la proposition de loi, ne remet nullement en cause sa validité.
Il y a donc toutes les raisons de penser que le contrat de mandat permettra l'égalisation des prix de vente des livres français, quel que soit le diffuseur. Il y a aussi toutes les raisons de considérer que la relation entre, d'une part, les éditeurs français, qui sauront, je n'en doute pas, présenter un front uni, parce que tel est bien leur intérêt, et, d'autre part, les grands opérateurs établis hors de France se fera sur un mode équilibré. Les éditeurs m'ont donné toute assurance à cet égard.
Je voudrais, enfin, souligner l'importance de la clause de rendez-vous prévue à l'article 7 de la proposition de loi.
Sur un sujet d'une telle importance, et s'agissant d'un texte dont l'élaboration a bénéficié des efforts de l'ensemble des acteurs nationaux de la politique culturelle, le dialogue le plus régulier et le plus approfondi entre le Parlement et le Gouvernement est assurément la meilleure des choses.
Mesdames, messieurs, vous avez manifesté toute l'attention que vous portez à la politique du livre numérique, mais aussi, à plusieurs reprises, une très forte réactivité, par exemple en matière de TVA applicable au livre numérique. Je sais que vous ferez preuve de la même attention et de la même réactivité dans le suivi de l'application de la loi, en particulier pour les conditions de la concurrence entre diffuseurs.
Face aux interrogations qui se sont manifestées sur le champ d'application de la loi, je veux dire aussi l'attention très forte qui sera celle du Gouvernement sur ce point. Je ferai entendre notre voix au plan politique, auprès de la Commission européenne mais aussi des parlementaires européens. Il faut en effet faire évoluer le cadre européen sur ce point, mais par un véritable travail de conviction et non par un affrontement devant la Cour de justice.
Sachez que le Gouvernement sera également attentif à ce que la rémunération des acteurs de la chaîne numérique du livre évolue favorablement. Je veillerai à ce que l'instauration d'un prix unique serve cet objectif.
Dans cette perspective, le Gouvernement apportera son soutien aux amendements déposés qui, sans se substituer au domaine de la négociation entre les professionnels, vont dans le sens d'une rémunération « juste et équitable de la création et des auteurs ».
Cette proposition de loi trouve sa place, une place éminente, dans la stratégie globale sur le livre numérique que je mets en oeuvre et dont je voudrais vous rappeler brièvement les grandes lignes.
L'abaissement de la TVA sur le livre numérique en constitue l'une des premières priorités. Comme vous le savez, le livre numérique, analysé comme un service fourni par voie électronique, ne peut actuellement bénéficier du taux réduit dont bénéficie le livre lorsqu'il est commercialisé sur un support physique. Il est clair pourtant que le taux de TVA d'une oeuvre devrait être identique, quel que soit le support utilisé ou la voie retenue pour la transaction, dès lors que l'oeuvre est pour l'essentiel identique.
L'extension du taux réduit au livre numérique, y compris fourni par voie électronique, est de surcroît une condition nécessaire à l'indispensable développement d'une offre légale d'ouvrages sous droit. En effet, le développement du marché du livre numérique passe notamment par une offre de prix publics plus bas que ceux du livre physique. Or il est difficile pour les éditeurs et les distributeurs de proposer pour les livres numériques des prix inférieurs à ceux des livres physiques alors que le taux de TVA des premiers est supérieur de plus de 14 % à celui des seconds.
Je souhaite donc saluer la mesure courageuse prise par le Parlement, dans le sillage d'un amendement porté par le rapporteur Hervé Gaymard…
…et Michel Herbillon – honneur aux auteurs – lors de la discussion de la loi de finances pour 2011, amendement qui permettra une application de la TVA réduite au 1er janvier 2012.
Le Gouvernement a, par ailleurs, confié à Jacques Toubon une mission d'ambassadeur auprès de la Commission et des États membres pour aller plaider ce dossier. J'ai eu, pour ma part, il y a quelques jours, un échange très encourageant avec trois commissaires européens, Mme Vassiliou, Mme Kroes et Michel Barnier. J'ai trouvé chez eux une grande qualité d'écoute et même un soutien clair.
Un autre chantier essentiel que j'entends mener concerne l'adaptation de la librairie traditionnelle au numérique.
La librairie traditionnelle a pris du retard sur le marché du commerce électronique du livre physique. Le marché du livre électronique, encore balbutiant, peut lui permettre de prendre des positions non négligeables.
Le site 1001libraires. com, qui entend fédérer sur internet l'offre du plus grand nombre de libraires, doit être fortement encouragé. Le Centre national du livre accompagne ce projet avec un prêt de 500 000 euros, aux côtés de l'Association pour le développement de la librairie de création et du Cercle de la librairie. Je ferai également en sorte de soutenir l'examen de ce projet très avancé dans le cadre des investissements d'avenir de l'emprunt national.
La poursuite d'une politique ambitieuse de numérisation de livres constitue, bien entendu, un axe majeur de l'action de mon ministère.
Le développement de l'offre légale est soutenu principalement par la mise sur le marché des nouveautés publiées sous la forme de livre numérique. Je suis cependant convaincu que la numérisation des corpus plus anciens et du patrimoine littéraire y contribuera également de manière remarquable. Vous le savez, la France est le seul pays d'Europe à avoir mis en place un système de financement ambitieux de numérisation des livres, à travers les taxes affectées perçues par le CNL.
Opérationnel depuis 2007, ce dispositif a permis de numériser les fonds patrimoniaux libres de droit d'auteur de la Bibliothèque nationale de France pour un total de 300 000 documents à ce jour et plus de 22 millions de dépenses. Il a également permis de numériser les catalogues papier « vivants » des éditeurs, lesquels représentent un total de 600 000 titres.
Ce schéma mixte, associant aides patrimoniales et aide au secteur marchand, constitue une véritable originalité enviée par les acteurs étrangers. Le dispositif reste pleinement d'actualité, et le CNL souhaite renforcer ses aides aux catalogues d'éditeurs, en les orientant de préférence vers les petites maisons.
Je m'attache enfin à promouvoir une adaptation innovante et maîtrisée du droit d'auteur à l'univers numérique.
Entre les livres patrimoniaux du domaine public et la production actuelle de nouveautés sous format digital, le XXe siècle représente un territoire largement inexploré par le numérique. Une grande partie des titres publiés au XXe, toujours protégés par le droit d'auteur, sont aujourd'hui indisponibles dans les librairies et les lieux de diffusion du livre, compte tenu notamment de la difficulté de réactualiser les contrats de manière simple et commode pour les éditeurs.
Au terme d'une année de préparation, j'ai eu la joie de signer il y a quelques jours, avec René Ricol, commissaire général à l'investissement, Antoine Gallimard, président du Syndicat national de l'édition, Jean-Claude Bologne, président de la Société des gens de lettres, et Bruno Racine, président de la Bibliothèque nationale de France, un accord-cadre de portée historique sur la numérisation de ces livres indisponibles. Cet accord permettra de donner une nouvelle vie, sous forme numérique, à un corpus de 500 000 livres, qui pourra être proposé à la vente au cours des prochaines années. Ce projet a une portée considérable : au regard de la stratégie de Google, cette initiative est une réponse, une voie française sur le terrain de la numérisation des oeuvres écrites. Il marque une étape essentielle dans la mesure où il traduit la capacité des ayants droit à mieux se faire entendre et ouvre la voie à un règlement sur ce terrain.
Ces livres seront en effet exploités dans le cadre d'une gestion collective assurant aux éditeurs et aux auteurs, représentés à parité, une rémunération équitable dans le strict respect des droits moraux et patrimoniaux. Parce qu'il nécessite aujourd'hui un aménagement du code de la propriété intellectuelle, cet accord manifeste notre capacité à favoriser la numérisation des oeuvres grâce à des solutions juridiques innovantes tout en étant respectueuses du droit d'auteur.
Est-il objet culturel plus précieux que le livre, « la plus sacrée, la plus inattaquable et la plus personnelle de toutes les propriétés », pour reprendre les mots de Beaumarchais ? La préservation et la diffusion de ces oeuvres de l'esprit à l'heure numérique relèvent de notre responsabilité. C'est une responsabilité considérable à l'heure où les moyens électroniques de communication démultiplient les possibilités de l'outil mis en place par Gutenberg il y a plus de cinq siècles.
Compte tenu de l'ensemble des éléments qui ont été rappelés et des principaux axes de la politique que je mène en faveur du livre numérique, je suis, vous l'aurez compris, très favorable à la proposition de loi dont nous allons débattre aujourd'hui.
Je suis persuadé que cette loi constitue un accompagnement efficace des acteurs du livre vers le numérique. Elle crée les conditions d'une évolution équilibrée de l'ensemble de la filière, notamment au bénéfice des consommateurs, que je préfère pour ma part appeler lecteurs, ceux à qui l'écrivain permet de « comprendre le monde comme une question », pour citer Milan Kundera. Pour l'invention des modèles économiques de demain, le législateur se doit d'être non seulement présent mais également le plus clairvoyant possible. Dans le domaine de la numérisation de l'écrit, anticiper, c'est se donner les moyens de choisir entre ce que nous désirons et ce que nous ne devons et ne pouvons pas subir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Hervé Gaymard, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, chers collègues, il faut toujours légiférer en tremblant, avec circonspection et mesure. C'est une règle générale de conduite, mais elle est encore plus pertinente quand on considère l'univers numérique, en perpétuelle évolution, notamment pour ce qui concerne le livre.
Parfois, à Saint-Germain-des-Prés, le vertige vous prend à la terrasse des cafés. Soudain, l'été dernier, la rumeur enfla. La météorite numérique allait fracasser l'univers du papier et le livre disparaître, détrôné par l'écran. Entre la grande peur, sûrement injustifiée, et la négligence insouciante, évidemment suicidaire, feuilletons donc la table des matières de ce nouveau monde que nous devons construire, car le laisser-faire généralisé dans la jungle numérique aliénerait cette irremplaçable « liberté grande » que le livre nous a donnée pour nous construire.
Le numérique est déjà là, bien sûr, particulièrement dans le droit, la médecine, les sciences. Il se développera, c'est certain, mais il est difficile de savoir dans quelles proportions et à quel rythme. Il aura sûrement un impact différent selon les genres : majeur pour les ouvrages techniques, les romans populaires, la bande dessinée, variable pour les sciences humaines, plus faible sans doute pour la littérature de qualité. Mais ce ne sont que des conjectures. Tout dépendra de la qualité des liseuses numériques, de l'appétence des lecteurs à s'affranchir du papier et surtout de l'offre légale qui leur sera proposée.
Assistera-t-on à un grand basculement, à l'instar de ce qui s'est passé en musique à l'arrivée du couple Ipod-MP3, ou à l'apparition d'une « économie d'estuaire » où le papier et le numérique cohabiteront de manière mouvante comme la terre et l'eau ? Nul ne le sait aujourd'hui. D'autant que le numérique peut être l'allié du livre, couplé à l'impression à la demande, pour rendre disponible des oeuvres épuisées ou trop savantes pour faire l'objet d'une édition classique. Pour les oeuvres tombées dans le domaine public, le patrimoine, il faut conduire une politique active de numérisation, ce qui suppose, comme le souligne le rapport Tessier, un pilotage clair et des moyens budgétaires importants, y compris en mobilisant le grand emprunt et des fonds européens. Monsieur le ministre, je vous félicite pour votre action en ce domaine.
Le programme français Gallica 2 doit être renforcé, tout comme doit être réorienté et approfondi le projet Europeana. Il n'est d'ailleurs pas scandaleux que des partenariats puissent être noués avec des opérateurs privés, y compris Google, à condition d'être très vigilant dans les cahiers des charges s'agissant de l'accès, de l'indexation et de la propriété des fichiers. Il faut traiter également la question de l'intégrité et de la fiabilité des oeuvres numérisées, ainsi que de la sécurité des archivages sur le long terme, car on sait que le papier est beaucoup plus durable qu'un fichier numérique. Le point le plus délicat concerne, bien sûr, les oeuvres sous droit, les plus menacées, si ce nouveau monde numérique n'est pas organisé, car c'est la liberté et la diversité de la création qui est en jeu.
Il faut d'abord défendre le droit d'auteur, quelle que soit sa forme juridique, différente de part et d'autre de l'Atlantique. C'est dire l'importance de la bataille juridique aux États-Unis et en Europe contre Google, qui numérise des oeuvres sans l'accord de leurs auteurs contre une indemnisation forfaitaire dérisoire, acceptée d'ailleurs par la guilde des auteurs américains, de guerre lasse, faute de pouvoir payer les frais d'avocats. Le département de la justice américain, l'Union européenne, le gouvernement français, les éditeurs ont été réactifs et avisés, dès l'été 2008, pour faire valoir leur position.
Il faut ensuite que tous les irremplaçables acteurs de la chaîne du livre organisent ce changement plutôt que de le subir, car cette révolution numérique va impacter tout le monde. « L'édition sans éditeurs », pronostiquée il y a une dizaine d'années par André Schiffrin, et sans libraires, ne relèverait donc plus du fantasme, l'auteur vendant directement son livre au lecteur, via internet. C'est pourquoi il faut défendre le travail méconnu d'édition, de mise au point du manuscrit, indispensable pour maintenir la qualité des oeuvres. Les libraires, confortés par la loi sur le prix unique et la récente loi sur les délais de paiement, irremplaçables eux aussi, doivent anticiper les évolutions, en devenant les guides avisés dont nous avons besoin dans le foisonnement de l'univers numérique, en développant leur offre et en proposant l'impression à la demande, quand son modèle économique sera calé, qui ouvre de nouveaux champs aux imprimeurs. Et que deviendra « l'hypocrite lecteur » dans ces bouleversements ? Bien présomptueux qui peut le dire aujourd'hui. Espérons qu'il gardera du plaisir et continuera à construire, en tâtonnant, sa « liberté grande ».
Il faut enfin que l'offre légale puisse se déployer. C'est d'abord l'affaire des éditeurs, qui doivent, dans une économie de marché, s'organiser pour peser face aux distributeurs, en construisant des plates-formes de téléchargement légal qui aient la masse critique, du point de vue de leur catalogue et surtout de leur promotion.
Mais il revient aussi au législateur de fixer le cadre afin que puisse se développer une offre légale attractive.
La première condition est que l'environnement fiscal soit le même que celui du livre papier. C'est pourquoi nous nous sommes battus, nombreux, dans un scepticisme généralisé et vaguement bienveillant, il faut bien le dire, pour que le taux réduit de TVA soit applicable au livre numérique homothétique. C'est désormais chose faite, même si nous aurions préféré que les dispositions adoptées dans la loi de finances pour 2011, reprenant ma proposition de loi, soient immédiatement applicables, plutôt que d'être décalées au 1er janvier 2012.
La seconde condition est que les éditeurs gardent la maîtrise du prix de leurs fichiers numériques. Tel est l'objet de la présente proposition de loi, cosignée par de nombreux parlementaires, élaborée dans la concertation entre le Gouvernement, le Parlement, et les acteurs de la chaîne du livre, et déposée dans les mêmes termes à l'Assemblée nationale et au Sénat.
À l'issue de la première lecture au Sénat, deux dispositions font débat, non sur les objectifs à atteindre, qui font l'objet d'un consensus général, mais sur les voies et moyens pour y parvenir.
Je veux parler, bien sûr, d'abord du droit d'auteur. Notre combat va clairement dans le sens de la diversité culturelle et d'une rémunération juste et équitable de la création. Il est évident que sans auteurs, il n'y aurait pas de livres et qu'il ne doivent pas être la variable d'ajustement de l'économie numérique. Je le dis très clairement : telle est ce que l'on appelle l'intention du législateur. Mais faut-il aujourd'hui légiférer sur ce sujet, s'immiscer dans des relations contractuelles dont on sait qu'elles doivent être rénovées ? Je ne le pense pas. C'est pourquoi je propose que, dans le cadre de l'indispensable clause de rendez-vous législatif prévue par l'article 7 de la proposition de loi, cette problématique soit régulièrement évoquée.
Je veux ensuite parler de la fameuse clause d'extraterritorialité, qui fait tant débat depuis quelques jours, et qui est, nous le savons, contrainte par le contexte juridique européen. Je crois tout simplement qu'il ne faut pas céder à la peur et considérer sereinement ce dossier.
Que voulons-nous ? Que l'éditeur puisse fixer le prix de vente de son fichier numérique, afin que la marge ne soit pas captée par les quelques puissants distributeurs numériques qui sont dans une situation de quasi-monopole et qui ne créent pas de valeur pour le secteur de la création.
Quels sont les moyens pour atteindre cet objectif ? Dans l'espace juridique français, c'est évidemment l'adoption de la présente proposition. Mais se pose, bien sûr, la question de la vente légale des fichiers numériques, par des plates-formes domiciliées à l'étranger comme Amazon ou Apple. La réponse à cette objection pertinente est le contrat de mandat que l'éditeur est à même d'imposer à son distributeur. Depuis que six éditeurs américains l'ont retenu, dans un univers pourtant complètement dérégulé, la part de marché de l'acteur quasi-monopolistique qu'était à l'époque Amazona été divisée par deux ! Cela prouve son efficacité. Par ailleurs, la réponse de la Commission européenne sur cette question, reçue le 31 janvier dernier, est claire : les dispositions telles qu'adoptées par le Sénat sont contraires au droit européen. Si nous les maintenions, nous serions à coup sûr passibles d'une procédure d'infraction et c'est l'ensemble du dispositif législatif qui serait invalidé. Nous ne pouvons prendre ce risque. C'est pourquoi, il me semble aujourd'hui prématuré, et pratiquement inopérant de légiférer sur ce point.
Deux cas de figure se présenteront donc : en France, un encadrement législatif du prix du livre numérique et à l'étranger, un encadrement contractuel, de la responsabilité des éditeurs français, qui plaident d'ailleurs tous, petits et gros éditeurs confondus, en ce sens. Je ne vois pas pourquoi ils braderaient leurs fichiers aux distributeurs étrangers, car ce serait scier la branche sur laquelle ils sont assis. Cela rendrait la présente loi ineffective et forclose. Par ailleurs, si le droit européen évolue dans un sens favorable à un tel encadrement, le rendez-vous législatif périodique sera l'occasion de mettre cette question à l'examen.
Trois propositions résument l'esprit du présent texte : résolution à défendre la diversité et la rémunération de la création ; humilité dans notre rôle de législateur ; pragmatisme qui nous conduira sans doute à adapter notre cadre légal dans un univers en perpétuelle mutation.
Sous réserve de l'adoption de deux amendements, je vous propose donc d'adopter cette proposition de loi dans sa rédaction issue de notre réunion de commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme Michèle Tabarot, présidente de la commission des affaires culturelles et de l'éducation.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, l'entrée du livre dans l'ère du numérique est porteuse de promesses.
D'un point de vue culturel, cette évolution répond à notre désir de soutenir la démocratisation des oeuvres. Elle offrira à tous la possibilité d'accéder à des ouvrages remarquables de notre patrimoine, jusqu'à présent réservés à quelques initiés ou professionnels. Elle procurera aussi le plaisir de pouvoir découvrir, en n'importe quel point du globe, des livres devenus rares ou des éditions épuisées.
D'un point de vue économique, cette nouvelle manière de lire, et toutes les potentialités qui s'y attachent, portent également l'espoir de toucher de nouveaux publics.
Notre commission s'intéresse depuis longtemps à la dématérialisation des oeuvres culturelles. Nous avons organisé de nombreuses rencontres pour la musique, le cinéma et le livre.
Nous avons régulièrement débattu des enjeux de la numérisation, et encore très récemment à l'occasion d'une table ronde conjointe avec la commission des affaires européennes. Nous connaissons donc les interrogations et surtout les inquiétudes suscitées par la numérisation des livres.
Ces questionnements sont légitimes face à une évolution qui doit être pleinement accompagnée et maîtrisée, si nous ne voulons pas qu'elle se fasse au détriment des différents acteurs concernés : les auteurs, les éditeurs, les libraires, et même les lecteurs qui pourraient souffrir d'une paupérisation de l'offre.
Je tiens, dès lors, à remercier Christian Jacob, le président du groupe UMP, d'avoir accepté d'inscrire cette proposition de loi à l'ordre du jour de cette séance d'initiative parlementaire. Je remercie également le rapporteur Hervé Gaymard. Nous connaissons l'attachement qu'il porte au secteur du livre, et je veux souligner la qualité de ses travaux.
Ce texte, déposé à la fois à l'Assemblée et au Sénat, était très attendu. Il contribue à conférer au livre numérique un statut particulier. En effet, la proposition ne concerne que le livre numérique homothétique. Le livre physique reste soumis à une réglementation qui, dans l'ensemble, fonctionne bien. Le rapporteur l'a d'ailleurs souligné avec justesse dans un rapport qu'il a rendu en 2009 sur le prix unique du livre.
À travers cette loi, nous allons donc étendre à la sphère numérique un dispositif qui a montré sa pertinence.
Notre commission a adopté ce texte lors de sa séance du 2 février. Nous pouvons retenir de nos travaux que le développement du livre numérique n'a pas modifié la relation entre éditeur et auteur : l'auteur a toujours besoin d'un éditeur et d'une plate-forme pour faire connaître et commercialiser son oeuvre. Ce schéma est essentiel pour la pérennité de la première industrie culturelle de France, dont le chiffre d'affaires est proche de 4 milliards d'euros par an. À travers ce texte, nous avons donc l'opportunité de soutenir l'industrie du livre à propos de laquelle certains acteurs nous ont fait part de leurs inquiétudes face aux nouvelles perspectives ouvertes par la numérisation.
En définissant un prix unique du livre numérique, la France peut une nouvelle fois être précurseur, comme elle l'a été, par le passé, avec la bibliothèque numérique Gallica qui a permis la création de la plate-forme Europeana, dont nous sommes les principaux contributeurs. Je veux d'ailleurs, à cet égard, saluer, monsieur le ministre, la signature d'un accord-cadre avec la Bibliothèque Nationale de France, que vous avez évoqué, concernant la numérisation du patrimoine écrit du XXe siècle qui n'est plus disponible. Cet accord assurera aux éditeurs et aux auteurs une rémunération équitable tout en rendant accessibles de très nombreuses oeuvres épuisées. Nous aurons l'occasion d'en reparler puisque vous avez annoncé certaines réformes du code de la propriété intellectuelle dont notre commission pourrait être saisie.
Mes chers collègues, cette proposition de loi nous permet de mesurer à quel point les enjeux économiques liés à la numérisation des livres sont déterminants. Il nous faudra y porter une attention continue et toute particulière pour préserver les équilibres de ce secteur, sans omettre les librairies, pour lesquelles nous avons récemment adopté une proposition de loi afin d'adapter les délais de paiement à la réalité du marché. La commission des affaires culturelles et de l'éducation restera attentive et à l'écoute de cette industrie du livre qui fait, à juste titre, notre fierté, pour veiller notamment à l'évolution de la rémunération des ayants droit, à la question, également sensible, des oeuvres épuisées et des oeuvres libres de droit, et faire ainsi en sorte que l'univers du livre puisse bénéficier pleinement de ce virage numérique. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, parler au nom de mon groupe du livre numérique ne me fait pas oublier notre engagement en faveur du livre écrit au sein de notre commission culturelle ni le débat que deux d'entre nous – dont M. Dionis du Séjour ici présent – avaient un peu involontairement déclenché en estimant souhaitable d'actualiser la loi de 1981 sur le prix unique du livre, ce qui nous avait permis de mesurer combien ce texte était désormais sanctuarisé.
Le prix unique du livre numérique se rapprochant de la volonté des auteurs de la loi de 1981, certains ont pensé qu'on aurait pu transposer au numérique ce qui concernait l'écrit, car sur quelque support que soit véhiculée la pensée que constitue un livre, c'est lui qui est au coeur de nos préoccupations. À cet égard, notre commission a relevé que la préservation d'un réseau diversifié de détaillants faisait toujours partie d'un corpus commun, affirmant bien par là que le développement du livre numérique ne doit pas se faire au détriment des libraires. Toutefois, vous avez bien, monsieur le rapporteur, résumé la problématique en précisant qu'une simple transposition ne constituerait pas la solution du fait que plusieurs dispositions de la loi de 1981 ne seraient d'aucun effet dans l'univers numérique. D'où la préférence donnée à un texte distinct, celui-là même que vous défendez aujourd'hui et dont la nécessité vous est apparue très rapidement.
Les rapports sur le thème du livre numérique et ceux sur son prix se sont succédé ces trois dernières années. Le présent texte, qui leur fait suite, a donc vocation à prévenir une concurrence par les prix dont les conséquences ne pourraient être que néfastes pour les détaillants, qu'ils soient physiques ou en ligne. Notre groupe l'a affirmé dès le début de nos travaux en commission : nous approuvons cette démarche. D'autant que la concentration du secteur autour de quelques acteurs mondiaux importants disposant de pouvoirs de marché parfois excessifs, produirait des effets très négatifs sur la concurrence et appauvrirait à terme inexorablement la création éditoriale, ce que nous ne voulons en aucun cas, monsieur le ministre.
Il est opportun de voir combien les mêmes causes peuvent produire les mêmes effets sur des supports aussi différents que le papier et la mise en ligne. Ce doit être pour nous, membres de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée, une leçon à méditer pour d'autres thèmes liés à l'univers numérique, un univers qui, il faut le saluer au passage, occupe de plus en plus fréquemment les travaux parlementaires. Même si le marché du livre numérique est encore embryonnaire en France, il représente 1,5 % du chiffre d'affaires des éditeurs alors qu'il n'était que de 0,1 % en 2008. L'exemple américain nous montre combien les évolutions peuvent être rapides : le livre numérique représente déjà près de 10 % du marché du livre aux États-Unis.
S'agissant de cette initiative législative, il n'y a donc aucune réserve de la part de notre groupe sur son opportunité, dès lors que nous accompagnons ainsi une mutation technologique qui ouvre de nouveaux horizons tant aux professionnels qu'aux lecteurs, et qu'elle permet la mise à disposition d'un maximum d'oeuvres grâce à une offre abondante de livres numériques.
J'ajoute que ce texte veut également répondre à une autre préoccupation : que l'offre numérique respecte notre patrimoine et le droit d'auteur, non sans préserver la diversité de la création littéraire et l'aménagement culturel de nos territoires. En tant que député d'Aix-en-Provence, j'ai acquis, avec ma collègue de la circonscription voisine, MaryseJoissains-Masini, la certitude que les librairies situées au coeur de ville sont de véritables lieux d'appel à la vie sociétale et pas seulement culturelle.
Cette proposition de loi tend donc à fixer un cadre souple de régulation du prix, à mi-chemin entre l'organisation du marché par le contrat et l'encadrement trop strict d'un marché encore naissant : elle s'en tient uniquement au livre numérique homothétique, conformément à l'avis de l'Autorité de la concurrence. C'est ce sens de l'équilibre qui permet sans doute au texte de bénéficier d'un certain consensus, d'autant que ses auteurs postulent que la croissance du marché du livre sera à moyen terme tirée en France, comme elle l'est actuellement dans les pays anglo-saxons – les exemples que vous donnez dans votre rapport en attestent – par la vente à l'unité davantage que par le développement de modèles d'offre plus complexes.
De fait, le décor national du texte semble bien planté, ce qui permettra à notre groupe de le voter avec les amendements qui ont été retenus en commission et que vous avez rappelés, monsieur le rapporteur. Deux préoccupations doivent toutefois être relevées et font encore débat.
La première porte sur la notion de juste rémunération des auteurs. Elle est bien évidemment primordiale. L'article 7 tel qu'il a été adopté par notre commission permettra d'établir un rapport afin de vérifier cette juste rémunération. Même si celle-ci ne relève pas directement du domaine législatif, nous devons nous assurer de son effectivité. C'est dans cet esprit que nous avons amendé l'article 7 à votre demande, monsieur le rapporteur. Je précise qu'il est conforme aux négociations en cours entre les différentes parties prenantes.
Reste la préoccupation européenne. Nous sommes tous ici sensibles aux arguments, prévus par le droit communautaire, qui ont conduit les sénateurs, au nom de la diversité culturelle à laquelle nous tenons, à étendre les dispositions de la proposition de loi aux opérateurs établis hors de France. Le président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, Jacques Legendre, a évoqué une interprétation positive de la clause de diversité culturelle, mais il est de plus en plus clair que nous en sommes encore loin étant donné l'avis circonstancié transmis par la Commission européenne le 31 janvier dernier. L'application extraterritoriale du prix unique nous exposerait aujourd'hui à un avis négatif de la Commission et, par conséquent, à la procédure que nous connaissons devant la Cour de justice. Le droit communautaire n'autorise pas l'application d'un autre droit que celui du pays dans lequel une entreprise, comme un distributeur, est installée. Il paraît dès lors difficile, comme certains nous l'ont demandé, d'aller au-delà de ce que le texte propose.
Nous devons savoir également que les éditeurs utilisent communément le contrat de mandat pour les opérateurs établis hors de France. Cet outil leur permet de maîtriser le prix de vente et d'éviter une politique de bas prix, redoutée par certains. Il n'est pas de l'intérêt des éditeurs de pratiquer des prix différenciés entre opérateurs nationaux et ceux qui seraient établis hors de France. Notre rapporteur a parfaitement pris en compte cette fragilité juridique : raisonnablement, nous devons privilégier une application limitée à notre territoire national. J'ajoute qu'en cas de contentieux, les plates-formes installées à l'étranger en profiteraient pour ne pas appliquer la présente loi.
Pour terminer, un mot sur la mission de notre ancien collègue Jacques Toubon, qui a la lourde charge de convaincre les commissaires européens s'agissant de l'application d'un taux de TVA réduit sur le livre numérique. Cela demeure une condition essentielle au plein essor de ce marché, le livre étant ainsi vendu à un prix moindre d'environ 40 % du prix du livre papier. Là se situe l'attente des consommateurs et le succès du livre numérique. Ce succès, nous pouvons le construire avec le texte qui nous est présenté. Voilà pourquoi le groupe UMP le votera. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je veux d'abord saluer le travail de la commission et de son rapporteur. Comment aborder un texte qui porte sur le prix unique du livre sans rappeler que ce prix unique du livre est le fruit d'une histoire marquée par un gouvernement socialiste à qui nous devons la loi Lang ? Le 30 juillet 1981, le ministre de la culture s'exprimait ici même, rappelant que « Le droit à la culture, le droit du lecteur, le droit du citoyen, c'est de pouvoir là où il habite et, en tout cas, là où il vit, trouver un échantillonnage de livres aussi divers que possible. »
La diversité culturelle était l'objet de cette loi, elle est aussi celle de la proposition de loi sur le livre numérisé qui nous est soumise aujourd'hui. Jack Lang présentait alors le contexte économique par ces mots : « La diffusion du livre connaît depuis quelques années une mutation commerciale dont les conséquences sont loin d'être neutres sur le plan culturel. [...] la vente du livre a vu apparaître et se développer peu à peu de nouvelles formes de distribution, lesquelles ont engendré une concurrence très vive qui a porté parfois atteinte [...] à tout un ensemble d'ouvrages de grande valeur. »
Le raisonnement est-il si différent aujourd'hui ? Je ne le crois pas. Nous assistons à une nouvelle mutation commerciale, dont les conséquences sont loin d'être neutres sur le plan culturel. L'arrivée du numérique bouscule l'économie du livre : alors que les éditeurs fixent traditionnellement le prix du livre en fonction de critères de marché établis au fil des années en concertation avec les auteurs et les libraires, les grands acteurs mondiaux du numérique, eux, le définissent en fonction de critères différents. On passe ainsi d'une logique de l'offre à une logique de la demande, ce qui fait peser des dangers sur l'ensemble de la chaîne du livre et donc sur la diversité culturelle.
Sans nier le rôle de ces nouveaux acteurs, nous estimons que la création reste un métier d'offre dans lequel chacun des acteurs historiques de la chaîne du livre a un rôle fondamental à jouer.
À l'instar de la loi Lang de 1981, la proposition de loi sur le prix du livre numérique répond de cet objectif de préservation de la diversité culturelle, en proposant une régulation du secteur ne s'appliquant qu'au livre numérisé dit homothétique.
Sans préjuger de l'évolution du secteur, elle renvoie en son article 7 à un rendez-vous législatif annuel destiné à observer l'évolution des pratiques du marché et à étudier son impact sur l'ensemble de la filière.
Sans interférer sur un marché dont la vocation est de s'organiser et tout en saluant l'esprit des propositions, il convient néanmoins de prendre en considération certaines inquiétudes des professionnels et de proposer une régulation plus adaptée aux réalités nouvelles du secteur du livre. Notre commission a pu en prendre la juste mesure lors de la table ronde que vous avez organisée, madame la présidente, le 26 janvier dernier.
C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste propose des amendements tendant à préserver la spécificité de certains acteurs de l'édition. Il s'agit notamment d'aborder la question de la protection et de la rémunération des droits d'auteur dans l'univers numérique. Nous sommes étonnés, en effet, qu'aucune référence à l'auteur ne figure dans le texte qui nous est soumis, les modestes propositions sénatoriales sur le sujet ayant même été rejetées.
Avec la politique de numérisation massive, la question de la protection des droits d'auteur est posée plus encore, comme la protection de l'ensemble des acteurs traditionnels de la chaîne du livre.
Dans Les Échos de ce jour, on lit qu'Apple souhaite l'intégration à son système de facturation de toutes les applications permettant aux clients d'acheter des livres, ce qui lui permettrait de prélever au moins 30 % du prix d'achat de chacun des ouvrages. Peut-on laisser se mettre en place une telle disposition, manifestement attentatoire à la chaîne du livre ?
Récemment, le 4 février dernier, l'assemblée générale des auteurs sur les droits numériques, dite le collectif du 4 février, s'est tenue à l'hôtel de Massa. Les professionnels du livre ont échangé sur les problématiques soulevées par le changement de support, notamment pour les droits d'auteur. Les auteurs se sentent impuissants face au numérique. Leur difficulté majeure réside dans la récupération des droits. L'assemblée générale en concluait que la régulation des relations entre éditeurs et auteurs apparaissait primordiale. Nous ferons donc des propositions pour prendre en compte ces légitimes inquiétudes, tant pour aborder la question de la rémunération des auteurs à l'heure du numérique que pour la récupération des droits.
L'arrivée de l'économie numérique de la culture remet en question le rapport au savoir et le lien entre le statut du livre et les auteurs dans la société.
Il conviendrait aussi que la proposition de loi tienne compte des spécificités des offres proposées à des fins d'usages collectifs ou professionnels et permette un cadre de négociation des prix approprié à ces usages. Cet enjeu concerne les établissements publics de diffusion du savoir et de la connaissance comme les bibliothèques universitaires et de recherche, les centres de documentation et d'information et les autres bibliothèques de lecture publiques. Comment les bibliothèques pourront-elles mettre à disposition l'ensemble des livres numériques si la loi y met des barrières ? L'idée est que, sur les territoires, les savoirs numériques doivent être pleinement accessibles.
Les opérateurs numériques internationaux – dont vous avez cité quelques noms, monsieur le ministre et monsieur le rapporteur – sont en situation oligopolistique, et ils relèguent les biens culturels au rang de produits d'appel. Il s'ensuit une très forte dévalorisation des biens culturels concernés. Le rappel que je faisais sur Apple pour la commercialisation des livres en témoigne.
Bref, il nous paraît difficile de ne pas aborder la question des auteurs. Nous vous demandons, monsieur le rapporteur, de prendre en compte notre volonté à cet égard. J'ai cru comprendre que vous y étiez très sensible, monsieur le ministre, marquant votre fort intérêt pour les droits d'auteurs et appelant de vos voeux une action en faveur de leur reconnaissance.
De votre écoute, monsieur le rapporteur et mes chers collègues, dépendra notre vote : approbation ou abstention positive.
Par ailleurs, dans le contexte numérique, je veux souligner combien les négociations avec la Commission européenne revêtent une importance toute particulière. Le caractère transfrontalier de la culture numérique impose ces négociations à l'échelle de nos partenaires, sans lesquelles notre proposition de loi serait fortement affaiblie. Alors que nous légiférons ici dans le champ culturel et pas seulement économique, il est temps que soit trouvée une solution juridiquement acceptable et cohérente. Il s'agit ni plus ni moins d'éviter que le livre ne tombe entre les mains de quelques acteurs qui le conduiraient à sa perte.
Le développement de l'offre légale de contenus, qui n'est pas directement abordé dans ce texte, garde néanmoins toute son importance alors que le piratage constitue un risque réel pour l'ensemble des acteurs de l'écrit. Actuellement, le livre numérique atteint à peine 1 % du marché en France, contre plus de 10 % aux États-Unis et qu'il se développe rapidement au Royaume-Uni. En 2015, le numérique devrait atteindre 5 à 10 % du marché en France, si les choses n'évoluent pas plus vite qu'à l'heure actuelle.
L'inégalité de traitement fiscal opéré entre les services culturels ou de médias, selon que leur distribution se fait en ligne ou non, est source de distorsion de concurrence. Il s'agit là, au-delà d'une harmonisation répondant à un principe de neutralité technologique, de maintenir les conditions d'une réalité économique. Une étude Ipsos montre que les consommateurs attendent une baisse du prix du livre sous son format numérique d'environ 36 %, mais la différence de TVA appliquée entre le papier et le numérique annulerait une part significative de l'économie attendue du changement de support. Dans ce contexte, qui paiera la baisse de prix attendue en fin de chaîne par le consommateur ?
De surcroît, face à des acteurs mondiaux soumis à des taux de TVA très réduits – 3 % pour Amazon – ou non soumis à la TVA, qu'adviendra-t-il de nos sociétés nationales qui supportent un taux de 19,6 % ? La réalité du marché numérique implique une politique transfrontalière commune sans laquelle nos dispositions pourraient se révéler insuffisamment cohérentes.
Le Sénat avait adopté un amendement d'appel. Nous vous avons écouté, monsieur le ministre, mais nous attendons plus de vous. D'ailleurs, j'ai cru comprendre que la Commission européenne elle-même attendait de la France une démonstration forte de l'utilité de cet aspect transfrontalier.
Ce développement de l'offre légale nationale de livres numériques ne pourra être impulsé sans que soit réalisée une harmonisation fiscale rapide. Prévue au 1er janvier 2012 dans le cadre de la loi de finances pour 2011, cette extension du taux réduit dépend, là encore, des négociations européennes.
Sur ce sujet, le Gouvernement pourrait nous en dire plus, et nous informer notamment de l'état d'avancement des négociations entre la Commission européenne, les États membres et M. Jacques Toubon, nommé ambassadeur itinérant sur ce sujet. Nous souhaitons avoir une position plus offensive sur ces sujets, et ne pas nous contenter d'attendre Jacques Toubon.
Qu'adviendra-t-il des dispositions prévues dans la loi de finances pour 2011 si le Gouvernement ne parvenait pas à moderniser notre fiscalité culturelle ? Attendrons-nous jusqu'au 1er janvier 2015 que soient mises en oeuvre les dispositions du paquet fiscal TVA du 12 février 2008, imposant la taxation des services électroniques non plus dans le pays d'établissement mais dans le pays de consommation, pour que soit enfin négocié un taux réduit de TVA ?
Enfin, faut-il rappeler que la démocratisation de l'accès à la culture et au livre constitue une opportunité formidable ? À cet égard, il convient de ne pas placer le consommateur en dehors du dispositif. Ce dernier doit profiter, avec l'ensemble des acteurs de la filière, d'une offre légale de livres numériques diversifiée et dense.
Tel est notre souhait : que tous les acteurs de la filière et que tous les lecteurs que nous sommes puissent dire, à l'instar du Mahatma Gandhi : « Je ne veux pas que ma maison soit complètement entourée de murs, ni que mes fenêtres soient calfeutrées. Je veux pouvoir sentir le souffle des cultures du monde entier mais je ne veux pas être délogé par une bourrasque culturelle, d'où qu'elle vienne. » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi soumise aujourd'hui à notre discussion visait à réguler, de manière bienvenue, le secteur en plein essor du livre numérique.
Cependant, la majorité y a notamment inséré une clause de territorialité. En assujettissant seulement les éditeurs établis en France à l'obligation de fixer un prix de vente pour les livres numériques diffusés, celle-ci rendrait la loi inopérante : les quatre multinationales qui se partagent le marché français et mondial sont établies à l'étranger.
Dans la lettre qu'il vous a adressée il y a quelques jours, monsieur le ministre, le PDG de la FNAC estime que la proposition de loi « ouvrirait un boulevard au dumping culturel » des grands acteurs américains « avec les conséquences que l'on connaît en termes de concentration du marché et d'appauvrissement culturel. » Le syndicat des distributeurs de loisirs culturels s'est ainsi déclaré pour le prix unique du livre numérique pour tous, en dénonçant dans une tribune parue ce matin dans Le Figaro, des conditions de concurrence inéquitable.
La majorité a fait valoir que l'extraterritorialité soulevait une difficulté au regard du droit européen. Pourtant, en permettant l'extension au livre numérique du taux réduit de TVA – 5,5 % au lieu de 19,6 % actuellement – dans la dernière loi de finances initiale, le ministre du budget a fini par en accepter le principe au nom d'une certaine exception française en matière culturelle. De plus, le Président de la République a chargé un ancien ministre de la culture, M. Jacques Toubon, de négocier avec Bruxelles une harmonisation de la fiscalité culturelle.
Pourquoi ne pas engager les mêmes démarches en ce qui concerne le prix du livre numérique, même si, monsieur le ministre, j'ai bien entendu vos propos sur les négociations engagées ? Sinon, nous allons continuer d'alimenter la méfiance à l'égard de l'Europe.
Ne parler du livre numérique que sous son aspect commercial revient à le considérer seulement comme un bien marchand susceptible de s'échanger sur le marché de l'immatériel. Autrement dit, c'est approuver Christine Albanel qui, dans son rapport, avait écrit : « Le livre numérique est d'abord un marché. »
À coup d'offres d'appel, le livre numérique sera vraisemblablement acheté, mais sera-t-il lu ? La question est d'importance dans le contexte de déclin persistant de la lecture de quotidiens et de livres, au cours de la période 1997-2008. L'étude réalisée par le ministère sur les pratiques culturelles des Français à l'heure du numérique soulignait ce déclin : 53 % des Français déclarent lire peu ou pas du tout de livres, et cette tendance est encore plus forte dans les milieux les plus populaires.
Le développement du livre numérique se heurte aussi à des technologies balbutiantes dont on nous prédit l'amélioration. En l'absence de décisions, la fracture numérique continuera de toute façon d'empêcher l'accès d'un grand nombre à ces oeuvres de l'esprit.
De notre côté, nous proposerons de prendre en compte la spécificité des diffusions de livres numériques sous licences libres.
L'article 5 bis de la proposition de loi, issu d'un amendement adopté au Sénat, prévoyait une rémunération juste et équitable des auteurs dans le cadre de l'exploitation de leur oeuvre sur support numérique. Cet article ayant été supprimé, nous proposons de le rétablir en précisant que la rémunération ne pourra pas être inférieure à celle obtenue pour l'édition papier du même ouvrage.
Au lieu d'un mécanisme de prix, nous aurions tendance à défendre un mécanisme de financement public des coûts liés à la rémunération des auteurs et des intermédiaires et de tous les frais afférents à la production, à la diffusion ou au stockage des oeuvres, grâce à la mise en oeuvre d'une plate-forme publique.
Enfin, comme en début de séance, je m'étonne des deux amendements qui ont été déposés dans les mêmes termes par le rapporteur et par le groupe socialiste pour outrepasser la récente décision du tribunal administratif de Paris d'annuler le permis de construire de la Fondation LVMH au milieu du bois de Boulogne.
Avant leur examen, après l'article 8, nous attendons du président de l'Assemblée nationale qu'il nous donne des garanties, en application de l'article 41 de la Constitution et de l'article 93 de notre règlement, quant à la réalité législative d'une telle disposition, qui semble pour le moins relever d'une confusion des pouvoirs. Vous allez certainement pouvoir me donner des éclaircissements à ce sujet.
En conclusion, j'indique que le vote des députés communistes, républicains, citoyens et du parti de gauche sera conditionné à la prise en compte de leurs amendements au cours de l'examen du texte.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom du groupe centriste, je tiens d'abord à saluer le travail effectué par notre rapporteur, Hervé Gaymard, sur l'avenir du livre dans la société numérique.
Ce travail et celui de la commission que vous présidez, madame Tabarot, ont abouti à un rapport qui démontre la pertinence de la prolongation de la loi Lang pour le livre physique, le livre papier. Un consensus s'est en effet exprimé sur l'opportunité de cette loi pour l'enracinement d'un réseau de libraires, indispensables conseillers de lecture, et la préservation de l'offre éditoriale du livre physique.
Ce n'était pas évident, notamment pour moi, qui avais été particulièrement choqué que l'on puisse mettre au pilon environ un livre imprimé sur cinq, soit 100 millions sur 500 millions.
Ce consensus sur la prolongation de la loi Lang pour l'avenir du livre papier, voilà l'acquis principal du travail d'Hervé Gaymard. Au nom du groupe Nouveau Centre, je tiens à l'en féliciter et à lui indiquer que nous partageons désormais cette conviction avec lui.
Mais tout autre est le livre numérique et, dans ce débat, pour l'instant très consensuel, je me permettrai, au nom des centristes, d'apporter un minimum de contradictions.
Voilà le secteur du livre confronté, à son tour, à la révolution numérique. La dématérialisation induit des mutations dans l'ensemble de la filière du livre : disparition et apparition d'acteurs, perte, création et déplacement de valeur, transformation de la chaîne de valeur, restructuration industrielle...
Disons-le d'emblée, les centristes sont réservés sur cette proposition de loi, qui consiste, en fait, à imposer à un marché naissant et plein d'avenir le cadre strict et, selon nous, inadapté de la loi de 1981 sur le prix unique du livre.
La loi Lang a été créée essentiellement pour réguler un marché sans internet et pour protéger les libraires contre la grande distribution. Reconnaissons que l'impossibilité de « casser le prix » du livre a évité la disparition des points de vente des libraires. Ainsi, en Grande-Bretagne, où la loi sur le prix unique a été abolie en 1995, on ne trouve quasiment plus que des grandes surfaces culturelles et l'offre éditoriale est appauvrie.
Mais l'enjeu du livre numérique n'est pas du tout le même, les acteurs sont différents, pour la simple raison – et cette proposition de loi l'ignore trop à notre avis – que le livre numérique est bien différent du livre physique. Le monde numérique n'est pas le monde des supports matériels traditionnels, il obéit à des modèles économiques nouveaux.
L'essor du livre numérique va se jouer autour de quatre enjeux : l'accès, l'objet lui-même, c'est-à-dire le terminal de lecture, le prix – qui, à notre avis, doit être nettement inférieur à celui du livre physique – et, enfin, le droit – européen et international.
Quel sens y a-t-il à décalquer un système basé sur le transfert de propriété d'un objet physique, matériel – le livre –, alors que les usages radicalement nouveaux de la lecture numérique créent d'autres écosystèmes : l'abonnement à un catalogue et non une lecture titre à titre, l'accès à distance depuis une carte de bibliothèque d'un établissement public, l'économie de la contribution.
Cette proposition de loi nous semble condamnée à l'impuissance faute d'une définition précise du livre numérique. Légiférer sur le livre numérique homothétique, n'est-ce pas avoir un train de retard ?
Le livre numérique n'est pas un simple fichier téléchargeable, c'est un ensemble de produits déclinés sous des formats multiples, adaptés aux différents canaux de lecture – liseuses, téléphonie mobile, ordinateurs – et aux spécificités de la lecture numérique, avec des liens hypertextes, des vidéos et une ouverture vers une profusion de contenus... Cette profondeur constitue la plus-value de l'objet numérique par rapport à son homologue en papier.
C'est pourquoi mon collègue Tardy a déposé un amendement afin d'intégrer dans le texte même de la loi une définition du livre numérique.
C'est, à notre avis, se tromper profondément sur l'enjeu du monde numérique que de considérer comme « accessoire», comme c'est le cas à l'article 1er, tout ce qui fait le fond de la démarche numérique, à savoir l'accès à des ressources hypertextes. C'est pour nous un basculement identique à celui qui s'est effectué de la copie des moines calligraphes à l'imprimerie de Gutenberg.
Cette proposition de loi se révèle par conséquent ambiguë puisque, d'un côté, elle protège des fichiers sans valeur ajoutée en réduisant le livre numérique à la numérisation d'un texte déjà imprimé tandis que, de l'autre, elle ne s'applique pas à des services qui constituent l'essence même du livre numérique !
De plus, de nombreuses questions restent non résolues. Si les textes récents, enrichis et insérés avec des liens hypertextes dans une offre à valeur ajoutée sont exclus de la loi, parce qu'ils n'ont pas été imprimés avant, des offres comme celles des bibliothèques numériques sont-elles soumises ou non à l'article 3 ? Qui définit la nature d'une offre commerciale et le degré de services permettant de l'exclure du prix unique numérique ?
Cette proposition de loi, en outre, s'adapte très mal – d'autres orateurs l'ont souligné – à la fois au droit européen et au droit international en ne visant – à l'article 3 – que les opérateurs « établis en France ». Le rapporteur nous en a donné les raisons mais elles ne me semblent pas suffisantes. Il faudrait, pour le moins, étendre le texte aux opérateurs commerciaux « exerçant en France » et « à destination d'acheteurs situés sur le territoire national ». On comprend bien pourquoi cela n'a pas été fait mais, en excluant les acteurs majeurs que sont Amazon, Google ou Apple, ce texte perd beaucoup de pertinence.
Reste d'ailleurs à savoir si une telle disposition ne serait pas invalidée au plan européen, à moins que vous ne fassiez la démonstration, monsieur le ministre, qu'elle relève d'une clause sur « la diversité culturelle ».
On peut donc douter de l'intérêt d'une loi française si de nombreux sites marchands étrangers proposent le même objet à des prix différents. Personnellement, je ne crois pas que le contrat de mandat soit la protection absolue…
…si de nombreux sites marchands étrangers proposent le même objet à des prix différents sans protection aucune – alors que cette proposition de loi visait à répondre aux acteurs français du livre qui craignent un dumping sur l'offre de livres numériques de la part des géants américains.
Enfin, la variété des oeuvres nous impose d'avoir une vision fine et différenciée du livre numérique. Un roman, un essai de sociologie, un manuel de cuisine, un beau livre richement illustré, une bande dessinée : autant de livres différents, autant de process de production différents. Par exemple, l'édition numérique des poésies de Philippe Jaccottet ou d'Yves Bonnefoy, ces merveilleux auteurs restés marginaux, a peu à craindre d'un modèle de commercialisation tel que celui qui émerge, parmi d'autres, aujourd'hui. Mais la question ne se pose pas dans les mêmes termes pour un polar de Mary Higgins Clark ou un roman de Marc Lévy, ou encore pour les manuels universitaires. Dans ce dernier secteur, les particuliers, et principalement les étudiants, représentent l'essentiel du marché et le manque à gagner pour les éditeurs serait important.
Fixer aujourd'hui un prix unique ne va-t-il pas tuer dans l'oeuf ces nouveaux modes de création et d'exploitation ? Ce ne serait guère dans l'intérêt de notre pays, des créateurs concernés et du public. Se pose également la question des oeuvres numériques libres ou ouvertes, qui pourraient bénéficier des cas d'exemption prévus à l'article 2.
Enfin, cette proposition de loi ne tient pas compte du modèle économique du livre numérique, qui induit une chaîne de la valeur radicalement nouvelle. Comme dans tous les secteurs économiques, internet va balayer les intermédiaires dont la valeur ajoutée est contestable.
Qu'on le veuille ou non, l'éditeur, dont la fonction est de sélectionner, promouvoir, imprimer, diffuser, est objectivement en turbulences dans la chaîne de valeur internet, qui va se recentrer progressivement autour d'un tandem auteur-distributeur électronique.
Dès lors, avec le débat que nous avons ici, l'État ne se trompe-t-il pas d'enjeu ? Plutôt que de protéger l'éditeur, l'État ne devrait-il par initier au contraire une loi forte qui protège l'auteur, le créateur, et pose la question fondamentale de l'évolution du droit d'auteur dans nos sociétés numériques ? Cette proposition de loi ne revient-elle pas à mener une bataille de retardement ?
Que cela nous plaise ou non, les distributeurs se retrouvent en position de force sur le modèle du livre numérique. C'est déjà ce qui se passe aux États-Unis. La situation risque d'être très similaire à celle de la grande distribution, qui impose ses conditions à ses fournisseurs. C'est pourquoi nous soutiendrons plusieurs amendements visant à poser un garde-fou destiné à protéger l'amont de la filière du livre, notamment les auteurs, de demandes excessives de la part des distributeurs.
Dans un univers bouleversé par le numérique, où les modèles économiques associés sont complexes et mouvants, nous estimons indispensable que les nouveaux modèles de création et d'exploitation aient le droit de se faire entendre au même titre que les modèles traditionnels. Il y va de la compétitivité économique et culturelle de notre pays.
La plupart des études récentes sur l'état de la culture française font le même constat : celle-ci perd du terrain et, si elle ne réagit pas, elle continuera à être marginalisée. Notre culture, déjà en difficulté dans le rapport de force des grandes langues internationales, n'a donc pas besoin qu'on mette de nouveaux freins à son accès, notamment celui prévu dans la proposition de loi, à savoir l'institution d'un prix unique qui risque d'être plus élevé que celui de ses homologues édités en langue anglaise ou espagnole.
Je conclus, monsieur le président.
Convaincu que la transposition de la loi Lang de 1981 aux usages du XXIe siècle marque plus une inquiétude de certains professionnels de la filière du livre qu'une analyse d'avenir de ce secteur et qu'en cela, elle relève plus du syndrome de la ligne Maginot que d'une véritable vision culturelle de la société numérique le groupe Nouveau Centre est réservé sur la proposition de loi qui nous est présentée et sera très attentif à la teneur des débats et au vote des amendements.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à défaut de livre numérique, vous me permettrez de m'exprimer devant vous en lisant ce discours numérique, ce qui est une première à la tribune de l'Assemblée nationale. (M. Tardy est monté à la tribune avec une tablette numérique.)
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui n'est qu'une facette d'un ensemble beaucoup plus vaste, qui vise à faire entrer le monde du livre et de l'édition dans l'ère du numérique. C'est par une large concertation, par l'évolution des usages professionnels, par la libre négociation entre les différents acteurs du livre, et pas seulement par le biais d'une loi que les choses doivent évoluer.
Même si les techniques numériques sont présentes depuis bien longtemps dans ce secteur, l'arrivée du livre numérique est un bouleversement qui nécessite des adaptations. Un livre numérique ne se fabrique pas comme un livre papier, car les potentialités d'enrichissement par du son, de la vidéo ou des images animées, sont énormes. C'est là que se situera la valeur ajoutée, la partie purement texte n'étant qu'un élément parmi d'autres,...
…dans un produit final que l'on trouvera incongru, dans dix ou vingt ans, d'appeler livre !
Pour les éditeurs, c'est un nouveau métier, avec de nouvelles compétences à développer, des partenariats à passer avec d'autres secteurs.
La distribution va également changer. Les libraires seront totalement écartés de la distribution du livre numérique.
L'internaute téléchargera ou lira directement les livres sur sa tablette de lecture, en se reliant à une plateforme de téléchargement.
C'est déjà le modèle développé par Apple avec son iPad, par Amazon avec son Kindle. À ces deux gros acteurs, il faut ajouter Google et éventuellement un acteur français.
Là encore, il faut que le monde du livre, des éditeurs et des libraires se lance dans cette activité, avant que les grandes plateformes anglo-saxonnes ne prennent toute la place. C'est à la profession du livre, et particulièrement aux éditeurs, d'innover, de s'adapter.
Le législateur n'est là que pour les accompagner, pour adapter la loi aux évolutions, pour corriger éventuellement celles qui n'apparaissent pas souhaitables. Cette proposition de loi m'apparaît comme une première étape, un texte provisoire visant à assurer une transition douce des habitudes de consommation du livre papier vers le livre numérique. L'intention est bonne, mais la réalisation risque d'être plus problématique.
J'ai soulevé des questions en commission, certaines ont obtenu des réponses, d'autres pas. J'espère que nos débats en séance me fourniront ces réponses, mon but étant comme vous tous, mes chers collègues, d'aboutir a une loi applicable.
Je souhaite aussi soulever, à l'occasion de cette discussion, des questions touchant à l'adaptation du monde de l'édition au numérique.
Un toilettage du code de la propriété intellectuelle sera nécessaire pour prendre en compte les spécificités du numérique, où la notion d'oeuvre épuisée n'a pas de sens et où il n'y a pas de « pilon ».
Il va être également indispensable d'intervenir sur les pratiques commerciales des grandes plates-formes de distribution. Actuellement, le système complètement fermé mis en place par Apple pose un problème.
Dans le même ordre d'idée, il faudra veiller de très près à ce que les pratiques en vigueur dans la grande distribution ne se mettent pas en place entre éditeurs et plates-formes de distribution. Les marges arrière peuvent complètement vider de sa substance la protection apportée à l'éditeur par le système du prix unique.
Enfin, je souhaite terminer mon intervention en lançant un message aux professionnels du livre : c'est à eux de prendre en main leur destin. Il ne faut pas attendre du législateur qu'il construise des lignes Maginot pour les protéger du numérique, pour leur éviter d'avoir à évoluer. Cela ne fonctionne pas !
Ils doivent donc sans tarder proposer une offre abondante, variée, facile d'accès, à un prix jugé raisonnable par le consommateur. Sinon, la sanction arrivera très vite, par le développement d'une offre illégale, contre laquelle le législateur est totalement impuissant.
Ils doivent également prendre en main leurs relations avec la distribution, sans attendre l'intervention du législateur car les grandes plates-formes de distribution sont américaines, donc en partie hors de notre portée.
Nous devons aider et accompagner l'édition française, Mais c'est aussi aux éditeurs et aux professionnels du livre de faire le nécessaire de leur côté. C'est la condition de la réussite du tournant numérique de l'édition française, dont nous souhaitons tous la réussite car la préservation de la richesse et de la diversité de la production littéraire française est un objectif politique fort, partagé par tous, sur tous les bancs de cette assemblée. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Monsieur le président, permettez-moi, avant d'en venir à mon propos, de faire respectueusement remarquer à notre collègue Tardy, avec lequel nous avons mené quelques combats législatifs, qu'il a prononcé non un discours numérique, mais un discours sur support numérique.
Nous attendons le moment historique où un discours numérique sera prononcé du haut de cette tribune. J'espère qu'il sera compréhensible par tous.
Chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui a, initialement, suscité un réel intérêt de toute la filière du livre. Elle a même levé un espoir chez les auteurs dont certains dénonçaient, en décembre dernier, « les inéquitables droits du livre numérique ». D'ailleurs, plusieurs d'entre eux nous ont collectivement interpellés en créant le collectif du 4 février, comme le rappelait Marcel Rogemont. Or force est de constater que le risque est grand de les décevoir si le texte de la commission est adopté en l'état.
De quoi s'agit-il aujourd'hui exactement ? Il est question de proposer, et c'est ce qui nous rassemble dans cet hémicycle, un prix unique pour le livre numérique. Nous partageons naturellement le souci majeur visant à réguler ce marché naissant en imposant un prix unique pour tous les revendeurs et détaillants. Dans notre esprit, il s'agit de prolonger les objectifs de la loi Lang afin de maintenir la diversité de l'offre et des points d'achats ; en bref, de continuer à préserver le cercle vertueux mis en oeuvre en 1981 pour toute la chaîne du livre en France.
À l'évidence, le numérique bouleverse les usages et les modèles économiques. Nous sommes dans une réelle mutation et il est d'ailleurs très difficile de définir aujourd'hui ce que sera le livre numérique au sens large du terme. En effet, nous nous attachons aujourd'hui aux livres dits « homothétiques », livres publiés sous format numérique présentant un contenu intellectuel et répondant à un principe de réversibilité – c'est-à-dire également imprimés ou imprimables sans perte significative d'information –, ce qui correspond à un segment seulement de ce que peut recouvrir la dénomination du livre numérique.
À cet égard, est renvoyé à un décret le soin de préciser les caractéristiques des livres entrant dans le périmètre d'application de la proposition de loi. Dans cette attente, et en l'absence de précisions, nous avons déposé un amendement visant à ce qu'il soit, à ce stade, clairement indiqué dans le texte qu'il ne s'applique pas à une oeuvre dont la diffusion commerciale autorise, sans limitation quantitative, la copie et la redistribution du livre par tout acquéreur, c'est-à-dire les oeuvres sous licences libres comme les licences copyleft du type Creative Commons, Art Libre, etc. Une certaine inquiétude a pu naître à laquelle il nous a semblé utile de répondre.
De la même manière, nous jugeons important d'exclure explicitement les bibliothèques publiques et les offres destinées à d'autres niveaux que l'enseignement supérieur, comme les collèges et les lycées.
Au-delà, il sera nécessaire de bien évaluer les contours de l'application de cette loi. Nous avons, à cet égard, entendu la préoccupation d'acteurs du secteur tels que la coopérative publie.net. Dans le même état d'esprit, je crois qu'il faudra veiller à ce que le livre numérique soit, après son achat, « interopérable », condition nécessaire à son réel développement.
Revenons à la question de la rémunération des auteurs, essentielle pour nous. Le modèle n'est pas consolidé, nous dit-on. Il faut laisser aux professionnels du secteur du temps pour se mettre autour de la table, et donc attendre. Mais c'est justement parce que le modèle est en train de se mettre en place sous nos yeux que notre rôle de législateur est aujourd'hui de lui donner un cadre et de rappeler la nécessité de rémunérer les auteurs autrement, alors même que les coûts de fabrication changent.
Par ailleurs, nous regrettons vivement la rédaction issue de la commission visant à exclure du champ d'application de cette loi, les plates-formes de vente de livres numériques établies hors de France et vendant à des acheteurs français. Car, par définition, la concurrence en la matière est aussi extraterritoriale et il serait contreproductif de fixer un cadre contraignant pour les libraires nationaux quand les grandes plates-formes étrangères en seraient exclues.
Alors que nous voyons, en ce moment même, les effets des méthodes d'Apple concernant la vente de la presse en ligne, nous ne pouvons pas ne pas tenter de leur imposer le cadre législatif que nous sommes en train d'élaborer. Nous souhaitons ainsi, et nous espérons vivement être entendus, que le prix de vente qui sera fixé s'impose à toutes les personnes proposant des offres de livres numériques aux acheteurs situés en France et établis ou non dans notre pays.
Comment capituler avant d'avoir livré bataille ? Nous considérons que la France doit défendre à Bruxelles cette disposition en la fondant sur l'objectif de promotion de la diversité culturelle et linguistique prévu par le droit communautaire. Et nous rejoignons nos collègues sénateurs qui ont vu dans cette disposition une occasion de vérifier que la Commission européenne fait bien de cette clause de la diversité culturelle l'interprétation positive que la totalité des États, ou presque, a souhaitée. Et puisqu'une réunion aura lieu à la Commission européenne avec les ministères de la culture des vingt-sept États membres le 24 février prochain, il nous semble plus que jamais opportun de voter aujourd'hui ces dispositions pour vous aider, monsieur le ministre, à brandir l'exception de diversité culturelle, à nos yeux, fondamentale.
Nous saisissons cette occasion car nombre d'acteurs culturels de notre pays regrettent trop souvent l'absence d'une voix forte pour les défendre au niveau européen.
J'en veux pour preuve le vote récent de notre assemblée, au mois de janvier dernier – j'y étais, comme on dit ! – à l'occasion d'un texte visant à l'adaptation de notre législation au droit européen en matière de santé, de travail et de communications électroniques. La majorité a été amenée à adopter une disposition qui a créé une distorsion entre les entrepreneurs de spectacles établis en France, qui sont soumis à un régime d'autorisation, et les entrepreneurs de spectacle européens établis hors de France, qui sont désormais seulement soumis à un régime déclaratif. Il me semble, mais peut être cela a-t-il été fait dans la plus grande discrétion, que le ministère aurait pu faire valoir quelques solides arguments pour écarter cette inégalité de traitement caractérisée.
Alors, plutôt que d'élargir les missions de la HADOPI en permettant au Syndicat national de l'édition de faire appel à un prestataire pour relever des infractions sur internet concernant le livre numérique – dispositif qui, de notre point de vue, sera bien coûteux pour le SNE au regard des bénéfices escomptés –, il serait plus judicieux, comme nous en avons toujours été convaincus, de créer les conditions d'un développement d'une offre légale et d'une meilleure rémunération des auteurs à l'ère numérique.
Une fois de plus, cette question, pourtant essentielle, est renvoyée à un « plus tard » dont on devine qu'il veut dire jamais ou, tout au moins, trop tard.
Inévitablement, nous allons être amenés à légiférer à nouveau en raison des évolutions numériques. Les occasions reviendront donc, mais nous sommes de ceux qui pensent qu'il faut rapidement faire évoluer le cadre contractuel collectif des contrats d'édition et que le législateur doit être garant de nouvelles règles équilibrées. C'est de notre responsabilité. C'est ainsi que nous réussirons cette nécessaire adaptation, tout en maintenant la pluralité de la production et de la diffusion éditoriales, et en ayant toujours à l'esprit d'en faire bénéficier tous les acteurs de la chaîne du livre.
Oui, au prix unique du livre numérique. Mais pas pour chacun : pour tous ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous discutons aujourd'hui d'une proposition de loi qui a plutôt fait consensus lors de son examen au Sénat. Pour autant, il ne faut pas perdre de vue une caractéristique inhérente à ce texte : il s'agit d'un premier pas, d'une première étape en vue de la régulation du marché du livre numérique. Pour ce qui nous concerne, nous pensons que la régulation est non seulement utile, mais nécessaire. Cela étant, il ne faut pas ou ne faudrait pas en rester à ce stade. Ne nous imaginons pas qu'une sorte de nouvelle loi Lang appliquée à ce nouveau secteur garantira la même réussite. Plusieurs exemples ont montré que le numérique n'était pas encore parfaitement appréhendé par le législateur – notre collègue Dionis du Séjour a souligné qu'il ne fallait pas édifier des lignes Maginot, qui seraient tout aussi illusoires dans le domaine du numérique qu'elles l'ont été dans celui de la défense nationale. C'est pourquoi je tiens à rappeler plusieurs enjeux auxquels il faudra être extrêmement vigilant dans un avenir proche.
Tout d'abord, le marché du livre numérique est encore peu connu en France, en tout cas, peu développé. Aux États-Unis, ce marché représente 10 % de parts de marché, contre seulement 1,5 % du chiffre d'affaires en 2010 en France mais ce pourcentage n'était que de 0,1 % en 2008. Au regard de la multiplication des outils technologiques sur le marché que sont les tablettes de lecture ou les tablettes multifonctions, qui ont connu un grand succès ces derniers mois, on peut légitimement penser que cette pratique est amenée à se développer. Nous devons donc rester attentifs à l'évolution de ce marché et ne pas nous faire surprendre. Il faut trouver un équilibre : ne pas tuer dans l'oeuf une nouvelle source d'accès à la culture, à l'écrit – à un moment, on a pensé que la télévision et internet tueraient l'écrit, ce qui est inexact à mon sens – sans pour autant se montrer trop laxistes.
Cela m'amène tout naturellement au deuxième point que j'aimerais évoquer. Avec la clause d'extraterritorialité invoquée par le Sénat, un élément essentiel du problème de cette proposition de loi est apparu : celui des entreprises basées à l'étranger. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le rapport des forces se fait largement au détriment des librairies françaises. Prenons l'exemple d'Amazon, leader ultradominant sur le marché à l'heure actuelle avec ses 50 à 55 % de parts de marché sur le secteur du livre numérique. La société s'est implantée au Luxembourg. Cela lui permet d'être imposée à hauteur de 3 % quand des sites français comme fnac.com connaissent une TVA de 19,6 % – et l'on pourrait multiplier les exemples. Pour ma part, et c'est le membre de la commission des finances qui parle, je pense qu'il faut adapter l'outil fiscal aux nouvelles technologies. C'est un enjeu de lutte contre l'évasion fiscale, mais également de concurrence loyale entre les différents sites de vente. Nous savons qu'il y a en Europe des pays qui pratiquent le dumping fiscal : la technologie permet de délocaliser virtuellement l'activité alors que celle-ci est pratiquée en France. La fiscalité doit donc s'adapter pour préserver l'avenir des librairies françaises.
Je m'interroge aussi sur l'évolution des métiers du secteur du livre. Quelle place demain pour les libraires nationaux face aux grands distributeurs ? Il me semble indispensable de les accompagner, de les encourager à mettre en place des outils leur permettant d'entrer sereinement dans l'ère du numérique. Les exemples étrangers, notamment allemands, sont à étudier.
J'en terminerai par les métiers du livre qui comptent parmi eux les bibliothécaires et archivistes notamment. Ils sont un échelon important du secteur et il convient de les prendre en compte dans leurs revendications et propositions. Ainsi, l'IABD – l'Interassociation Archives Bibliothèques Documentation via son président Dominique Lahary, qui était présent lors de la consultation des différents acteurs du secteur – met le doigt sur un point pertinent. Il concerne l'opportunité du prix unique dans le cadre de collectivités territoriales, de collèges ou de lycées. Cela a d'ailleurs donné lieu à un amendement déposé par nos collègues socialistes. À plus ou moins court terme, les ouvrages numériques peuvent devenir des supports pédagogiques importants, diversifiés et très demandés. La flexibilité du prix dans le cas d'établissements publics me semble intéressante. Il ne faut pas concevoir l'acte d'achat d'une collectivité ou d'une bibliothèque comme un acte de consommation.
Dans le rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2011 qu'elle a remis au ministère de la culture, notre collègue Monique Boulestin prônait la numérisation patrimoniale,…
… qui permettrait de mettre à disposition des ouvrages uniques, rares ou en mauvais état. Il s'agirait de constituer un archivage historique de la littérature, ce qui enrichirait les bases de données des bibliothèques. Si l'on veut que cette numérisation ait un sens, il convient de la rendre abordable pour les différents centres de ressources ; voilà pourquoi la flexibilité des prix dans certains cas, qu'il faut préciser dans cette loi, peut représenter une solution.
Tels sont les quelques points sur lesquels je souhaitais insister afin de poser les termes du débat.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis quelques années, les conditions d'accès à la culture ont profondément évolué. Le développement d'internet a notamment levé de nombreuses barrières, en permettant à tous d'accéder à des contenus culturels à domicile, à des coûts parfois plus faibles.
De plus, les outils multimédia connaissent aujourd'hui un très fort développement ; des téléphones portables aux consoles de jeux en passant par les toutes nouvelles tablettes, la culture doit être transportable. Autant d'évolutions technologiques qui modifient notre manière de consommer les produits culturels.
Mais l'usage du vocabulaire marchand est trompeur. Loin d'être une marchandise, la culture constitue une richesse inestimable, que nous devons protéger. Nous savons tous ici combien les Français sont attachés à la spécificité culturelle que notre pays a réussi à cultiver.
Le défi que le législateur que nous sommes doit relever consiste à créer les conditions d'émergence et de croissance de toutes les solutions commerciales assurant à la fois une démocratisation de la culture et une juste rémunération des créateurs de contenus.
Tel est l'objet de cette proposition de loi, qui s'attache à encadrer un secteur essentiel, bien qu'embryonnaire : le livre numérique.
Notre commission des affaires culturelles…
… s'est intéressée très tôt à cette question. En organisant des tables rondes, par exemple en novembre 2009, sur la numérisation du patrimoine écrit, ou encore le 2 juin 2010, lors de l'audition de Christine Albanel à propos de son rapport au Premier ministre intitulé « Pour un livre numérique créateur de valeurs », les commissaires ont ainsi pu cerner les problèmes dont la vente de contenus numériques est porteuse lorsqu'il s'agit du livre. Tous ces travaux s'accordent à reconnaître la nécessité de mieux encadrer la révolution numérique que connaît aujourd'hui le monde de l'édition.
Dans un contexte de relatif consensus et de travail collectif avec les acteurs du secteur du livre, le Gouvernement et la Haute assemblée ont choisi de défendre deux mesures : d'une part, l'instauration d'une TVA à 5,5 % sur le livre numérique ; d'autre part, l'adaptation des dispositions de la loi relative au prix du livre votée en 1981.
La première mesure a été inscrite dans la loi de finances pour 2011 ; c'est la seconde attente, très forte, que la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui permet de satisfaire.
Le principe de la fixation d'un tarif unique du livre par l'éditeur a été salué à maintes reprises, notamment parce qu'il a permis de maintenir un réseau de libraires indépendants, ce qui encourage la diversité de la création littéraire. Cependant, ces acteurs essentiels devront s'adapter à un secteur numérique complexe, mais doté d'un très fort potentiel de croissance : entre 2008 et 2010, le chiffre d'affaires des éditeurs a été multiplié par dix pour ce qui est de la vente des livres numériques.
Toutefois, nous le savons, légiférer sur des sujets liés à internet et aux technologies de l'information et de la communication pose plusieurs problèmes, sur lesquels nous devons travailler.
Le premier est celui de la territorialité. Je me suis personnellement demandé quel peut être l'effet de cette loi alors qu'il est possible d'acheter des ouvrages numériques sur des plates-formes internet basées à l'étranger. Mais l'arsenal juridique existe, même s'il est difficile à appliquer.
L'évolution des technologies de l'information et de la communication doit elle aussi être au coeur de nos préoccupations. Nous connaissons régulièrement de grandes révolutions technologiques qui accélèrent le rythme auquel obéissent certains secteurs économiques. Cela a été le cas pour la musique et le film, dont les opérateurs principaux n'ont pas été capables de suivre les attentes des consommateurs. Nous allons connaître le même phénomène pour le plus vieux support, le livre. Mais le livre homothétique n'est qu'une étape dans la diffusion du livre numérique. Progressivement, les contenus s'enrichiront et le livre deviendra multimédia.
Légiférer sur internet et l'usage des technologies pose le problème du rôle du législateur et de sa méthode. Cette proposition de loi montre combien il est important d'adopter une démarche caractérisée par l'humilité. Les décisions d'aujourd'hui ne seront peut-être plus les bonnes dans un an ou deux. Tel est le sens de l'article 7, qui instaure une clause de rendez-vous absolument indispensable au législateur. Il faut aussi tout simplement intégrer l'idée que la loi peut, et parfois doit, laisser les acteurs eux-mêmes se déterminer.
Cette proposition de loi constitue une très belle occasion, que nous devons tous soutenir, même s'il nous faut prendre conscience de son caractère éphémère. Les évolutions technologiques nous imposeront d'être attentifs afin de ne plus nous laisser dépasser par un phénomène dont les contours sont toujours flous. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, le livre électronique n'est plus aujourd'hui un objet de science-fiction ou un gadget réservé à quelques amateurs curieux de nouveauté. Désormais accessible au plus grand nombre, il fait son apparition aux devantures des librairies, figure sur les catalogues des éditeurs, et les bibliothèques lui font toute sa place sur leurs étagères virtuelles.
De fait, le livre numérique reste avant tout un livre, c'est-à-dire une oeuvre de l'esprit. À ce titre, il ne change pas de nature en changeant de support – papier ou fichier numérique. Voilà pourquoi les très nombreux rapports consacrés à la révolution numérique ont montré la nécessité d'un encadrement législatif du prix du livre numérique.
Le rapport Patino a été le premier à insister sur la nécessité de réguler le marché en reprenant l'esprit de la loi Lang, relative au prix unique appliqué en 1981 au livre imprimé.
Puis le rapport « Création et internet » a ensuite estimé qu'il était nécessaire d'instaurer rapidement une régulation du prix du livre numérique, tout en conseillant d'en réduire le champ d'application au titre homothétique tel qu'il est aujourd'hui défini.
Enfin, le rapport Albanel, reprenant les propositions précédentes, a également appelé de ses voeux une loi instaurant un prix unique du livre numérique et une harmonisation des taux de TVA.
La proposition de loi que nous examinons se fonde donc sur la nécessité d'accompagner une mutation technologique grâce à laquelle le plus grand nombre doit désormais pouvoir accéder à une offre légale abondante autour du livre numérique. Elle insiste également sur l'importance du respect de notre patrimoine et du droit d'auteur. Elle se préoccupe enfin de la préservation de la diversité de la création littéraire et de l'aménagement de notre territoire, grâce notamment à ce que l'on appelle la chaîne du livre.
Il nous semble cependant qu'il est nécessaire de l'enrichir, d'une part, pour respecter non seulement les droits d'auteur, mais la rémunération juste et équitable due aux auteurs ; d'autre part, pour maintenir tous les maillons de la longue chaîne du livre, au travers notamment des bibliothèques universitaires, scientifiques et publiques. Tel est le sens des amendements qui ont été présentés en commission.
Monsieur le ministre, tous ont en mémoire la très belle destinée de la nouvelle de Giono L'homme qui plantait des arbres. L'auteur avait renoncé à ses droits sur cette oeuvre afin, disait-il, d'en favoriser la diffusion. Il ajoutait : « J'ai donné mes droits gratuitement pour toutes les reproductions. C'est un des textes dont je suis le plus fier. » Toutefois, Giono ne put empêcher certaines revues et certains éditeurs de faire de son texte un usage très commercial. Cette belle histoire nous montre combien le contrôle qu'exercent les auteurs sur leurs créations reste fragile et combien il importe toujours de les protéger.
Peut-être faudra-t-il un jour reconnaître l'existence d'un domaine public volontaire à côté du domaine public classique. Mais il s'agit d'un autre chapitre.
Par ailleurs, la diffusion des oeuvres est non seulement une extension, mais aussi une condition de la création, dont elle détermine in fine le statut. Ainsi, nous devons nous préoccuper du marché physique du livre, car l'apparition du livre numérisé aura des effets considérables sur toute la chaîne du livre, notamment sur les librairies et les bibliothèques.
Car les bibliothèques, les centres de documentation et les archives sont des lieux d'accès à la culture pour tous, très largement concernés par la diffusion des oeuvres numériques. Il va donc devenir nécessaire de créer des modèles économiques et juridiques qui satisferont à la fois les besoins des professionnels du livre et les attentes du public.
Monsieur le ministre, loin de vouloir contester cette proposition de loi, nous cherchons à ne pas figer, en imposant un modèle unique, un processus promis à évoluer. Avant que les usages ne se stabilisent, le livre homothétique ne doit être qu'une étape provisoire, préalable à d'autres formes de livres numériques. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le contexte dans lequel nous examinons la présente proposition de loi est entièrement nouveau.
Au cours de la décennie passée, la dématérialisation des contenus, conjuguée au fantastique essor de l'outil internet, a profondément modifié nos manières de nous informer, de consommer, de nous divertir. Tour à tour, la musique, le cinéma et l'audiovisuel sont entrés, non sans difficultés, dans l'univers numérique. C'est à présent le tour du livre et de toute sa filière économique d'être concernés par ce qui constitue sans doute le changement le plus profond depuis la révolution de l'imprimé de Gutenberg.
Ces dernières années, de nombreux travaux de qualité nous ont éclairés sur les enjeux de ce phénomène ; je songe notamment aux rapports Patino, Gaymard, Gaillard, Albanel et Zelnik. Tous s'accordent sur la nécessité d'instaurer rapidement une régulation afin que cette filière culturelle puisse s'organiser et satisfaire les attentes des consommateurs, dans le respect le plus strict du droit de la propriété intellectuelle.
En effet, ce n'est pas parce que le marché du livre numérique est encore embryonnaire dans notre pays – il représente environ 1,5 % du chiffre d'affaires des éditeurs – que le législateur ne doit pas organiser dès à présent les conditions d'un développement économique harmonieux et prometteur, bien au contraire.
Conformément au souhait du Président de la République, et conformément à votre volonté, monsieur le ministre, cette régulation doit permettre de définir un cadre suffisamment souple pour aborder sereinement cette nouvelle donnée numérique. Cette proposition de loi – à propos de laquelle je salue à mon tour le travail remarquable de notre rapporteur – repose ainsi sur deux axes complémentaires.
Le premier concerne le champ de la régulation envisagée. Le texte ne vise en effet que le seul livre homothétique, c'est-à-dire la reproduction reprenant strictement et fidèlement le livre imprimé. Quelques esprits chagrins le regrettent. Mais il me semble à la fois essentiel et sage, dans un premier temps, de limiter notre action au livre homothétique clairement identifié, afin de sécuriser un marché naissant, comme l'a du reste recommandé le Conseil de la concurrence.
L'objet numérique enrichi n'est donc pas concerné. Mais, dans la mesure où il constitue une réalité commerciale appelée à se développer, notre Parlement devra naturellement s'y intéresser attentivement et rapidement.
Le second axe touche aux modalités de fixation du prix du livre numérique. Le texte transpose, dans l'environnement numérique, le principe selon lequel il revient à l'éditeur de fixer le prix du livre numérique. En ce sens, il prolonge directement la loi sur le prix du livre du 10 août 1981, dite loi Lang, dont le bilan a été salué par tous les acteurs de la filière et par les rapports précités. Ce garde-fou indispensable contribuera, j'en suis convaincu, à garantir aux ayants droit une rémunération pérenne.
En outre, par un amendement présenté conjointement avec notre rapporteur et adopté par la commission, nous avons souhaité instituer une exception pour les livres numériques intégrés dans des offres groupées et proposées sous la forme de licences d'utilisation destinées à un usage collectif dans un but de recherche et d'enseignement.
Si, du fait de notre responsabilité de législateur, il nous incombe de créer les conditions favorables au développement du marché du livre numérique, nous ne saurions toutefois nous substituer aux acteurs économiques de la filière.
Je veux notamment m'adresser ici aux éditeurs : c'est à eux de prendre conscience que le livre numérique n'est pas un épiphénomène mais qu'il ouvre au contraire de nouvelles perspectives de croissance.
La clé, c'est bien le développement d'une offre légale qui soit suffisamment riche et donc attractive pour le consommateur. C'est la meilleure – mais pas l'unique – réponse à apporter au téléchargement illégal qui commence lentement mais sûrement à menacer la filière.
Je me réjouis d'ailleurs que nos collègues socialistes – n'est-ce pas, cher Marcel Rogemont – se rendent enfin compte que le téléchargement illégal constitue une menace très sérieuse pour notre exception culturelle et qu'il importe de le combattre. J'aurais simplement aimé qu'ils se soient montrés aussi volontaristes quand il s'est agi de défendre les filières musicales, cinématographiques et audiovisuelles lors du vote de la loi HADOPI. Mais ne boudons pas notre plaisir !
Quant à vous, monsieur Bloche, je ne renonce pas à vous convaincre enfin. Je suis favorable à ce que l'activité de la HADOPI puisse inclure prochainement le livre numérique.
Enfin, il importe à mon sens que notre action ne se limite pas à une simple régulation ; il faut aller plus loin et créer un écosystème favorable au développement du livre numérique.
Certes, il conviendra naturellement de s'assurer du bon fonctionnement de la loi mais aussi, grâce au travail de Jacques Toubon, de veiller à une application de certaines règles au niveau communautaire.
Mes chers collègues, notre filière du livre a besoin d'une stratégie globale pour le livre numérique. Cette proposition de loi va en ce sens et c'est la raison pour laquelle je la soutiens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, dans cette enceinte, il est des textes qui, s'ils suscitent sur le moment un désaccord, finissent, après leur promulgation, par faire l'unanimité dans l'ensemble de la classe politique et par constituer le bien commun de tous les Français. Il en est ainsi de la loi Lang du 10 août 1981 relative au prix du livre. Celle-ci a eu le mérite d'avoir attiré l'attention de la majorité d'alors sur ce qui allait constituer l'un des éléments clés de notre politique d'exception culturelle.
Évoquer aujourd'hui comme une évidence la loi sur le prix unique du livre, c'est aussi rendre hommage à ceux qui, les premiers, ont réfléchi à la question et ont soufflé à l'oreille du législateur l'idée d'un texte sur ce sujet : je veux parler de Jérôme Lindon et de Christian Bourgois. Tous deux furent des éditeurs furieusement attachés à l'indépendance des éditeurs et des libraires laquelle constituait, selon eux, le terreau fécond d'un paysage éditorial français unique. Ce furent les déclarations et l'action de René Monory, ministre de l'économie de 1978 à 1981, en faveur de la liberté des prix qui les conduisirent à réfléchir à un prix unique du livre. Il leur avait semblé que cette liberté-là ne pouvait être que préjudiciable à un bien aussi spécifique que le livre.
Les débats qui eurent lieu ici même en 1981 servirent de modèle, y compris à des pays qui pratiquaient déjà l'unicité du prix du livre sans avoir nécessairement recours à la loi. En ce sens, la France a été l'inspiratrice de bon nombre de pays dans leur désir d'adopter une législation similaire sur ce sujet.
Aujourd'hui, la France doit être à nouveau à l'avant-garde législative en ce qui concerne la traduction de la loi Lang à l'ère numérique. C'est la raison pour laquelle nous examinons aujourd'hui un texte qui se situe dans la continuité de notre tradition de défense des auteurs et des éditeurs et non en rupture.
Je crois que ce texte se fait l'avocat convainquant des éditeurs en leur donnant le pouvoir de déterminer eux-mêmes le prix de vente de leur livre au format numérique.
Pour ce qui est des auteurs, comme de nombreux orateurs l'ont rappelé, il conviendrait de montrer plus d'ambition en matière de rémunération. Si les montants forfaitaires sont souvent préconisés lorsqu'il est question de droits d'auteurs sur internet – souvenons-nous des débats sur la licence globale –, on peut douter qu'ils soient les plus appropriés pour rémunérer les auteurs.
En effet, l'économie de l'édition, qui obéit à un système très particulier d'à-valoir, d'avances et de pourcentages, montre que la majorité des auteurs perçoivent très peu.
Mais je suis interrompue par un homme du nouveau monde, qui est peut-être du côté des marchands et des vendeurs !
L'économie du livre n'est pas celle de la chanson ou du cinéma et les sommes en jeu sont très majoritairement bien en deçà de celles qui prévalent dans le domaine de la musique et de l'audiovisuel. C'est la raison pour laquelle je serais heureuse, ainsi que mes collègues du groupe SRC, si le législateur pouvait adopter des dispositions permettant aux auteurs de bénéficier d'une rémunération proportionnelle et non pas forfaitaire, selon une doctrine héritée de l'ancien monde, j'en conviens, monsieur Dionis du Séjour. (Sourires.)
Par ailleurs, ce texte nous place devant une certaine impuissance à laquelle je souhaiterais que nous trouvions une parade. De nombreuses plates-formes de vente situées à l'étranger devront se plier à notre réglementation. Comment agir, monsieur le ministre, pour qu'elles puissent le faire efficacement ?
En outre, si nous parvenons à trouver un accord avec les opérateurs les plus éminents du secteur, comment pourrons-nous combattre des opérateurs indélicats ou des particuliers qui, sur des sites sis à l'étranger, proposeraient gracieusement des ouvrages piratés ?
Il me semble important qu'à ce sujet, nous faisions preuve d'une extrême vigilance et d'une grande fermeté. J'ai bien entendu les partisans d'une économie ouverte selon lesquels la magie d'internet rend urgent de ne rien réguler.
C'est exactement ce contre quoi la loi Lang, dans un contexte fort différent, entendait agir : le laisser-faire qui fait le jeu d'un ultralibéralisme menaçant notre identité culturelle. Il est temps de faire preuve à nouveau de volonté et de courage politique. Vous n'en manquerez pas, monsieur le ministre, j'en suis certaine. Il importe de ne pas céder à ceux qui nous disent que l'on ne peut rien faire ou plutôt importe-t-il de les écouter mais de leur démontrer qu'ils ont tort.
Il serait souhaitable que, au nom de la diversité culturelle, la France, par votre voix, monsieur le ministre, s'exprime fermement. Les arguments ne manquent pas en matière d'extraterritorialité. Quel crédit accorderait-on à notre volonté de maintenir le précieux maillage des librairies indépendantes de notre pays si, dans le même temps, nous avantageons de manière disproportionnée Amazon par rapport à la FNAC ?
La France doit aujourd'hui se faire la voix des éditeurs et des auteurs et obtenir l'établissement d'un prix unique pour le livre numérique tout en garantissant des revenus suffisants aux auteurs et en luttant contre des opérateurs qui arguent de leur extraterritorialité pour se soustraire à notre législation.
Rappelons que le monde entier attend de la France qu'elle fasse entendre la voix des créateurs et défende la spécificité culturelle. À quand, monsieur le ministre, une loi Mitterrand destinée à réguler le marché du livre numérique qui, sans être un épiphénomène, n'est encore qu'en devenir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, les évolutions technologiques génèrent un nombre croissant d'innovations tous domaines confondus. Ces évolutions, les biens culturels, à l'image des biens de consommation, les subissent ou en profitent, suivant l'appréciation que l'on porte. À cet égard, il nous apparaît important de rappeler que l'expérience des applications numériques aux biens culturels a laissé de douloureux souvenirs, notamment dans le domaine de la musique.
Forts de cette expérience, nous ne pouvons que nous féliciter qu'une démarche proactive ait été engagée s'agissant du marché émergent dans lequel s'inscrit le livre numérique.
Révolution ou évolution ? Il n'en reste pas moins que nous sommes face à une innovation que l'on peut envisager de deux manières différentes : elle sera considérée comme radicale par ceux qui estiment qu'elle constitue une rupture avec le marché existant et comme incrémentale par ceux qui considèrent qu'elle vient compléter ce dernier. Mais qu'elle soit radicale ou incrémentale, le seul juge demeure le consommateur.
Les acteurs de la filière ont pris la pleine mesure de cette situation et s'accordent pour constater que le degré d'intégration technologique a pour vocation de servir et de valoriser l'offre globale. La problématique qui en découle consiste à positionner cette nouvelle offre par rapport à l'offre matérialisée que représente le livre papier sur un marché de 3,5 milliards euros.
Dans le même temps, les différents rapports soulèvent la question récurrente du risque de cannibalisation du livre papier par le livre numérique. Mais tenter d'évaluer ce risque, c'est considérer que le marché du livre papier est substituable au livre numérique. Dans ce cas, il est postulé que les « consommateurs » présentent des caractéristiques identiques et que leurs aspirations se réduisent à un simple besoin de lecture, à l'image d'un besoin primaire.
Cependant, assimiler le lecteur à un consommateur apparaît bien réducteur, car c'est ignorer ses attentes et le potentiel que ces dernières peuvent représenter en termes d'opportunités pour le développement de l'offre numérique. Cette situation conduit à comparer les éléments de différenciation entre l'offre intervenant sur le marché du livre papier et l'offre orientée vers le livre numérique, en situation a priori ultra-concurrentielle.
Il existe un impact direct sur la variable produit de l'offre dématérialisée, compte tenu du fait qu'elle relève du support et non de l'oeuvre elle-même : l'offre numérique comporte des services associés que le support physique n'est pas en mesure d'apporter. De même, on peut considérer que cette variable est intimement liée au support de lecture et au confort qu'il peut proposer. D'un autre côté, le support papier stimule un champ sensoriel qui agit incontestablement dans l'acte d'achat, effet que la forme dématérialisée ne peut susciter.
La variable distribution se distingue sur le marché du livre par un aspect singulier qui lui permet d'être l'élément essentiel de la mise en oeuvre de la politique de promotion.
Ces deux marchés spécifiques, regardés comme opposés dans un premier temps, entrent toutefois en interaction pour ce qui est de la promotion du produit. Les professionnels s'accordent à constater que le livre sous sa forme papier reste la vitrine la plus efficiente du livre dématérialisé, ce qui en fait un garant de la pérennité du chiffre d'affaires de ce marché.
Au-delà de la situation de concurrence ou de complémentarité de ces deux marchés, il reste une variable discriminante dont on ne peut s'affranchir : le prix. À un niveau de satisfaction comparable, la situation de concurrence entre les deux formes de marché ou à l'intérieur même du marché numérique nécessite une cohérence garante de la dynamique du marché.
La présente proposition de loi intègre les éléments de différenciation et prend en compte l'impérieuse nécessité d'appliquer un cadre législatif au prix du livre numérique, facteur de développement de ce marché et garant d'une production créative de qualité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, si l'on a dit que les livres faisaient les époques et les nations, comme les époques et les nations faisaient les livres, il convient d'attacher la plus grande importance à la révolution que provoque l'instauration de la technologie numérique en ce domaine.
Le Gouvernement souhaite encourager toutes les formes de diffusion légale des oeuvres sur les réseaux numériques. La révolution numérique qui a successivement touché la presse, la musique et le cinéma va également avoir un impact décisif sur les secteurs de l'édition et de la librairie.
L'utilisation grandissante d'internet dans la commercialisation du livre n'est qu'un des changements induits par le développement du numérique. Plus fondamentalement, l'autre évolution prévisible passe par la dissociation entre l'imprimé et l'écrit et l'émergence d'outils électroniques de lecture : je veux parler du livre numérique.
Cette évolution, voire révolution, va aboutir non seulement à des changements de nature industrielle mais également à la remise en cause des flux financiers classiques qui permettent de financer la création éditoriale, littéraire ou scolaire.
Par conséquent, une attention toute particulière doit être portée à la concurrence nouvelle qui pourrait s'exercer entre les détenteurs de droits que sont les auteurs et les éditeurs et les détenteurs d'accès et de réseaux.
Dans ce contexte, deux éléments sont essentiels : la propriété intellectuelle doit demeurer la clé de voûte de l'édition et les éditeurs doivent conserver un rôle central dans la détermination des prix.
À cet égard, je souhaite vous alerter sur le régime de concurrence déloyale entre les libraires nationaux et les plates-formes établies dans d'autres pays membres de l'Union européenne qui pourrait s'instaurer si le texte était adopté en l'état. En effet, selon le schéma envisagé par l'amendement du rapporteur à l'article 3, seuls les libraires nationaux seront tenus d'appliquer le prix unique du livre numérique, avec les obligations légales qui en découlent, alors que les plates-formes étrangères pourront négocier des conditions commerciales plus avantageuses à travers leurs contrats de mandat avec les éditeurs. La fixation du prix échappera à terme aux éditeurs nationaux et les libraires français n'auront d'autre issue que de disparaître face à cette concurrence déloyale. C'est exactement ce qui s'est produit pour le marché du téléchargement de musique en ligne.
Ainsi, je préconise l'extension du prix unique du livre numérique aux plates-formes étrangères avec la suppression, à l'article 3, de la mention « établies en France ».
Rappelons aussi que la Commission européenne a émis deux avis négatifs sur la proposition de loi telle qu'elle nous est soumise et sur le texte voté au Sénat, en raison des exceptions qu'ils comportent aux directives « Services » et « e-commerce ».
Le rapport Gaymard indique que le Gouvernement envisagerait de porter le dossier à Bruxelles le 24 février prochain, afin de faire admettre qu'il est possible d'appliquer la loi du pays de consommation du service à la vente en ligne. Ce débat nous renverrait à la révision de la directive « e-commerce » en 2015. Il est évident que les libraires ne peuvent attendre cette issue incertaine.
Il nous faut sauver la librairie nationale, conserver nos valeurs culturelles. Tant les éditeurs que les libraires se doivent d'organiser le changement engendré par cette révolution numérique. Ils ne peuvent le subir. Le travail méconnu de l'édition, de mise au point du manuscrit est gage de la qualité des oeuvres. La variété de l'offre chez un libraire est aussi gage de la satisfaction du lecteur.
Je suis, comme la majorité de mes collègues, de la génération du livre papier. Je ne suis pas contre cette évolution mais il faut pouvoir garder, avec cette révolution, avec cet autre support virtuel, informatique, numérique, la magie de la lecture. Un livre, qu'il soit sous une forme numérique ou papier, doit toujours pouvoir nous transporter dans un autre univers, nous faire rêver, voyager ou fantasmer. La vertu paradoxale de la lecture est de nous abstraire du monde pour lui trouver un sens, affirme Daniel Pennac.
Enfin, il ne faut absolument pas occulter les retombées économiques et sociales de cette révolution. Le support papier, de la forêt à la fabrication même de la feuille, l'impression et le recyclage, en passant par les emplois liés à l'édition et à la distribution des livres, représente 300 000 emplois. Notons aussi qu'aux États-Unis, le secteur en question commence à payer la montée du numérique, et souffre de ne pas avoir anticipé cette révolution. Le libraire américain Borders est sur le point de déposer le bilan et a annoncé, cette semaine, la fermeture de 250 de ses 674 magasins. Quant à Apple, il met la pression aux éditeurs, en voulant intégrer les applications permettant d'acheter des livres avec son propre système de facturation, et ce, évidemment, en prélevant un droit de passage de 30 % sur chaque achat. Et je ne vous parle pas des conditions de travail des ouvriers qui fabriquent en Asie le matériel numérique.
C'est la raison pour laquelle il faut absolument organiser et anticiper cette révolution au mieux pour l'ensemble des acteurs. N'oublions pas qu'un livre, c'est un peu comme un homme politique en démocratie : il n'est rien sans l'électeur. (Sourires. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
J'appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Sur l'article 1er, je suis saisi de l'amendement n° 25 .
La parole est à M. Lionel Tardy.
L'article 1er est essentiel car il définit le périmètre d'application de ce texte. Qu'est-ce qu'un livre numérique, un livre homothétique ? À la lecture de cet article, je ne le sais pas puisque tout est renvoyé à un décret. J'aimerais pourtant savoir ce que l'on entend par « éléments accessoires propres à l'édition numérique » et si les éléments de l'instruction fiscale, seuls éléments de définition d'un livre, seront repris.
Défavorable.
Je sens bien une volonté assez partagée d'accélérer le débat. (Sourires.)
Essayons de prendre le temps de définir ce qu'est un livre homothétique.
Le livre numérique, sans la profondeur hypertexte, ce n'est rien. Avez-vous déjà vu une encyclopédie avec des vidéos, des photos ? On est en train de légiférer pour pas grand-chose. Si vous voulez nous convaincre de voter ce texte, il va falloir aborder le fond du débat. Quel intérêt de faire une loi pour le livre homothétique numérique, alors que l'on sait qu'un livre numérique c'est, par définition, le lien hypertexte dans toute sa diversité ?
Sur l'article 2, je suis d'abord saisi de l'amendement n° 2 .
La parole est à M. Marcel Rogemont.
Cet amendement vise à étendre l'application de la proposition de loi aux éditeurs établis hors de France mais exerçant leur activité d'édition en vue de leur commercialisation sur le territoire national.
Ce point de vue mérite d'être défendu vaillamment car une récente recommandation de la Commission européenne enjoint au Gouvernement français de faire la démonstration que les mesures qui seraient prises seraient nécessaires et proportionnées à l'objectif poursuivi, celui de la diversité culturelle. Cette recommandation nous invite donc à ne pas baisser les bras et, au contraire, à défendre le fait qu'un bien culturel comme le livre fait partie de l'exception culturelle.
Tel est le sens de cet amendement que je défends au nom du groupe socialiste.
La commission a repoussé cet amendement. Je profite de cette occasion pour revenir sur ce sujet que différents orateurs ont déjà évoqué.
Chacun s'accorde à reconnaître qu'il est important que l'éditeur ait la maîtrise du prix du fichier numérique. Se pose ensuite la question des voies et moyens pour y parvenir.
Dans l'espace juridique national, le moyen qui sera opérant sera cette loi, si elle est adoptée et promulguée. Nos divergences portent sur la question des plates-formes de téléchargement qui seront situées hors de nos frontières. À cet égard, il faut distinguer celles qui sont hors de nos frontières nationales mais dans l'Union européenne, et celles qui sont hors des frontières de l'Union européenne. En général, l'internaute ne sait pas si la plate-forme de téléchargement qu'il utilise est située aux États-Unis ou au Luxembourg.
Bien sûr, on pourrait être tenté de retenir le principe d'extraterritorialité, afin que la loi française soit applicable hors de nos frontières, c'est-à-dire qu'elle soit valable pour un acheteur qui est physiquement en France mais aussi pour quelqu'un qui serait à l'étranger et qui achèterait en France. Il existe un moyen pour parvenir à cet objectif commun : le contrat de mandat.
Monsieur Calméjane, je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous affirmez qu'avec le contrat de mandat, le prix du fichier numérique sera moins cher à l'étranger qu'en France. Je ne vois pas pourquoi l'éditeur, qui fixe son prix de vente, vendrait son fichier moins cher à l'étranger qu'en France, sinon il se ruinerait lui-même et le présent texte ne servirait à rien. Il y va de l'intérêt bien compris de l'éditeur de vendre le fichier numérique par contrat de mandat au prix qui lui semble juste. C'est du reste ce qui s'est passé aux États-Unis.
Dans ce pays où il n'y aucune régulation, que ce soit pour le livre papier ou pour le livre numérique, un bras de fer a eu lieu, il y a deux ans, entre Amazon et certains éditeurs américains qui ont refusé de passer sous les fourches caudines d'Amazon, c'est-à-dire de vendre leur fichier au prix de 9,99 dollars plutôt qu'à 13,99 ou 14,99 dollars. Dans un premier temps, Amazon a voulu déréférencer, mais il n'a pas pu le faire car il avait besoin de vendre les livres que les acheteurs demandaient. Résultat de cet épisode : six des plus grands éditeurs américains ont décidé de vendre leurs fichiers numériques par contrat de mandat, c'est-à-dire qu'ils ont obtenu que les distributeurs vendent leurs fichiers au prix qu'ils avaient fixé. En moins d'un an, la part de marché d'Amazon est passée de 85 % à 45 ou 50 %. Cela montre bien que le contrat de mandat est un système opérant.
En proposant une disposition qui remettait en cause ce qui avait été adopté par le Sénat, j'ai voulu faire preuve de pragmatisme et mettre en valeur les outils qui permettent à l'éditeur de pouvoir continuer à fixer le prix du livre numérique.
J'en viens à l'aspect juridique européen.
Comme l'ont souligné certains orateurs, il s'agit toujours d'un sujet compliqué. Cela avait déjà été le cas s'agissant de la loi Lang avec la fixation du prix unique du livre qui a finalement été plus ou moins acceptée par l'Union européenne. À la lecture de l'avis émis par la Commission européenne qui est, comme vous le savez, très négatif sur la clause d'extraterritorialité mais plus compréhensif sur l'économie générale de la loi qui vise à donner à l'éditeur la possibilité de fixer le prix du fichier, je pense qu'il est de bon commerce d'adopter une position pragmatique.
Enfin, il paraît indispensable, au-delà de ce texte de loi qui est minimaliste et qui le revendique – c'est une étape, il y en aura d'autres, peut-être dans six mois ou un an – d'engager auprès de Bruxelles, notamment par rapport à la directive « Services », une démarche visant à faire reconnaître l'exception culturelle. C'est la condition pour pouvoir légiférer durablement en la matière.
Au fond, je crois que nous sommes tous d'accord, même si nous divergeons sur les voies et les moyens. Légiférer sur la clause d'extraterritorialité c'est se faire plaisir, mais cela est inopérant, car je ne vois pas comment on pourra imposer à une plate-forme de téléchargement de respecter une loi française. Bien évidemment, je le souhaiterais, mais il faut être pragmatique et réaliste. Seul le contrat de mandat peut permettre de respecter la volonté de l'éditeur. Même si cet outil n'est pas parfait, il a le mérite d'exister et d'avoir prouvé son effectivité dans le contexte américain.
La définition du livre homothétique parle d'elle-même. Si on lit À la recherche du temps perdu sur une tablette, on ne lira que ce livre plus les notes éventuelles de l'édition de La Pléiade.
En revanche, le débat qui vient d'être engagé me paraît d'une très grande importance. Si j'ai été très partagé sur la question, le travail, les réflexions, le raisonnement du rapporteur me convainquent.
Certes et je peux concevoir que cette conviction ne soit pas partagée.
Il faut laisser aux contrats de mandat la chance de faire leurs preuves au moment où le système en est encore à ses débuts. On doit se laisser le délai bref qui permettra de vérifier s'il fonctionne. Si c'est le cas, on pourra engager les débats avec la Commission européenne dans une atmosphère plus ouverte dans la mesure où l'on souhaite obtenir d'elle des éléments dont on ignore peut-être même l'existence tant on est, j'insiste, à l'aube d'une véritable révolution générale de la communication dans la manière d'appréhender la lecture.
Deux solutions sont envisageables.
La première consisterait à suivre exactement le Sénat. On n'est pas absolument sûr que ce soit efficace mais cette attitude permettrait d'affirmer une position de principe assez rigide qui susciterait évidemment une opposition très forte de la Commission européenne. Au moins aurait-on fait valoir un principe avec fermeté et ainsi, peut-être, pourrait-on négocier en position de force. Reste, j'insiste, que l'efficacité de cette option n'est vraiment pas assurée.
Au contraire, avec le contrat de mandat, dans une logique de dialogue courtois mais permanent avec la Commission européenne, les chances d'obtenir ce qu'on lui demande sont plus grandes.
Par ailleurs, puisque le texte prévoit une clause de rendez-vous, autant suivre les préconisations du rapporteur et se donner le délai, je le répète, assez bref, qui permettra de vérifier si les contrats de mandat fonctionnent.
Pour ces raisons, le Gouvernement est défavorable à l'amendement.
Je reviens à quelques considérations générales sur l'article 2 sur lequel j'étais inscrit.
Cet article ainsi que l'amendement de nos collègues MM. Gaymard et Riester font ressortir deux publics distincts : la vente aux particuliers et les offres groupées, et les abonnements de l'édition universitaire et scientifique. Pour la première fois, certaines plates-formes de commerce en ligne ont annoncé qu'en 2010 la vente de tablettes et supports numériques avait dépassé celle de livres papier sur le marché américain. L'une de ces sociétés affiche un ratio de 115 livres numériques vendus pour 100 livres de poche et de 143 éditions électroniques pour 100 livres grand format à couverture cartonnée.
Les ventes exponentielles de ce type de support aux États-Unis préfigurent un développement similaire de ventes de tablettes en France et, par effet induit, des ventes des livres numériques. Même s'il est difficile d'évaluer précisément le potentiel du livre numérique au sein du marché du livre en raison de l'absence, jusqu'à la présente proposition de loi, de définition même du livre numérique, force est de constater qu'il était temps de se pencher sur le prix de vente de ce nouveau type de support.
Je suis donc favorable à la fixation d'un prix de vente unique du livre numérique aux particuliers, dans l'esprit du modèle économique issu de la loi de 1981 relative au prix du livre, dont le bilan largement positif est reconnu par la presque totalité des professionnels du livre. Cette disposition va dans le bon sens en protégeant à la fois l'éditeur et le lecteur final et en garantissant une liberté d'accès de tous les citoyens à la culture.
Toutefois, la présente proposition ne peut être la simple transposition du texte de 1981…
…du fait du modèle économique existant dans l'édition universitaire et scientifique, fondé notamment sur des oeuvres groupées et des abonnements.
Si j'ai donné la parole à M. Morenvillier, c'est parce qu'il était préalablement inscrit sur l'article et qu'il ne s'était pas encore exprimé.
…casser la cohérence de notre échange avec M. le rapporteur et M. le ministre.
Nous aurions pu discuter de l'extraterritorialité davantage à l'article 3 qu'à l'article 2, le premier concernant les personnes établies et vendant en France alors que celui-ci traite des éditeurs établis hors de France. Or c'est en matière de plates-formes que nous souhaitons que la France ne baisse pas la garde et mène la bataille à Bruxelles, parce que cela en vaut la peine, notre pays s'étant déjà montré capable de livrer de belles batailles de conviction auprès de la Commission européenne.
Toute perspective n'est pas fermée, loin de là. La Commission a émis des réserves, considérant que le dispositif prévu par les articles 2 et 3 n'est pas proportionnel à l'objectif visé de promotion de la diversité culturelle et linguistique. J'insiste : elle n'a émis que des réserves ; elle a interpellé le Gouvernement. Or, comme vous vous rendrez à Bruxelles, monsieur le ministre, fin février, pour rencontrer vos homologues des autres pays de l'Union européenne afin d'évoquer cette question auprès de la Commission, le calendrier est parfait. Que nous puissions ici, aujourd'hui 15 février, débattre de ce texte est parfait ! S'exprime ainsi la volonté de la représentation nationale qui tire la force de sa légitimité du suffrage universel.
Cette force, monsieur le ministre, saisissez-la pour exprimer une volonté politique simple : des dispositions franco-françaises s'appliqueront, le moment venu, à l'échelle de l'Union européenne. Telle est l'ambition que nous poursuivons par le biais de nos amendements.
Je veux revenir sur le contrat de mandat qui serait paré de toutes les vertus et pourvu de toute l'efficacité à même de régler la question du prix du livre numérique. Dès lors, pourquoi examiner un texte sur le prix unique du livre, un texte tendant à étendre le prix unique du livre à l'ère numérique pour le livre homothétique dont nous donnerons prochainement la définition à l'attention de Jean Dionis du Séjour ?
Si l'on pare le contrat de mandat de toutes les vertus, on répond de fait aux réserves de la Commission européenne. C'est pourquoi je préfère de loin la position exprimée à l'instant par Patrick Bloche, position offensive que le ministre avait même un temps partagée, pensant qu'avec l'appui de l'Assemblée la parole de la France serait mieux entendue à Bruxelles.
Je souhaite que, sur cette clause d'extraterritorialité, le ministre nous suive, nous, plutôt que le rapporteur.
Le ministre et le rapporteur ont raison de nous faire part de leurs craintes quant à l'« eurocompatibilité » du présent texte. N'avons-nous tout de même pas le choix ? La proposition est nulle et non avenue si des plates-formes francophones distribuent des fichiers numériques à des prix inférieurs…
J'y viens.
Si, après accord avec le distributeur, l'éditeur diffuse un livre numérique sur des plates-formes francophones à des prix inférieurs au prix unique français, on propose pour réponse le contrat de mandat qui, comme par magie, donnerait un prix identique au Luxembourg et en France.
Si ce n'était pas le cas, nous nous trouverions dans une impasse et si cela était le cas, la question de M. Rogemont serait bonne : pourquoi ne pas appliquer le contrat de mandat sur le territoire national ?
Vous devez nous expliquer pourquoi il faut instaurer le prix unique sur le territoire national si le contrat de mandat est si efficace à l'extérieur de nos frontières ? Un problème de cohérence globale semble se poser.
En ce qui concerne le contrat de mandat, il n'existe pas d'outil magique ; il ne faut donc pas le parer de toutes les vertus.
Le législateur national souhaite simplement qu'une loi symboliquement très importante prévoie que le prix du fichier numérique soit fixé par l'éditeur. Ensuite, nous savons, au moment où nous nous exprimons, que ce texte n'est pas applicable à des acteurs étrangers qui ne sont pas soumis à l'ordre juridique national.
Le seul moyen de le rendre effectif au niveau international est le contrat de mandat puisque c'est l'éditeur qui fixe le prix dans le contrat.
On peut bien faire un procès d'intention aux éditeurs mais qu'est-ce qui permet à certains d'entre vous d'avancer que le prix du fichier numérique par contrat de mandat sera moins élevé à l'étranger qu'en France ? Cela signifierait que les éditeurs, selon vous, vendront le fichier moins cher à l'étranger que sur le territoire national.
Mais non ! Ou alors c'est d'un autre sujet qu'il est question, celui du piratage !
Si l'on se situe dans un cadre légal, l'éditeur est libre ou non de vendre son fichier numérique à une plate-forme de téléchargement domiciliée à l'étranger et au prix où il l'entend.
Par ailleurs, monsieur Bloche, la Commission a émis deux avis : le premier, auquel vous vous référez, date du 13 décembre et ménage des espaces de tolérance et de négociation ; le second, du 31 janvier dernier, ne laisse en revanche aucune incertitude sur la clause d'extraterritorialité que la Commission considère très nettement comme inacceptable.
En commission, nous avons exclu du périmètre du prix unique les offres à destination de l'enseignement supérieur et de la recherche. Cet amendement prévoit d'étendre ce dispositif aux offres destinées à l'enseignement en général car la rédaction actuelle du texte exclut par exemple, les offres destinées à l'enseignement primaire et secondaire, relevant pourtant, en la matière, de la même logique que l'enseignement supérieur.
La commission n'est pas favorable à cet amendement. Il part certes d'un principe louable, mais l'exception est actuellement prévue pour les seules bibliothèques de recherche et les bibliothèques universitaires car ce type d'offre leur est presque uniquement destinée, les bibliothèques scolaires n'utilisant pas cette sorte de service.
En outre l'adoption d'un tel amendement viderait de son sens le dispositif en étendant démesurément les exceptions.
Je rappelle d'ailleurs que l'utilisation conjuguée des alinéas 1 et 2 de l'article 2 permet aux bibliothèques scolaires de bénéficier de prix adaptés dans le cadre d'achats de livres groupés, ou d'offres plus complexes, comme les encyclopédies, puisqu'il est prévu que le prix fixé par l'éditeur « peut différer en fonction du contenu de l'offre et de ses modalités d'accès ou d'usage ».
Défavorable.
L'exclusion du champ de la loi des offres à destination des bibliothèques scolaires n'est pas justifiée. Si certaines offres ne peuvent, sans mettre en cause les modèles économiques déjà établis, entrer dans le champ de la loi, elles ne concernent pas, à ce jour, les marchés de livres fournis aux bibliothèques de l'enseignement primaire ou secondaire.
Par ailleurs, l'application du régime de prix unique aux ventes à ces institutions ne bloque pas la possibilité de négocier les prix selon les services proposés et la communauté desservie. L'alinéa 2 de l'article 2 précise en effet que ce prix « peut différer en fonction du contenu de l'offre et de ses modalités d'accès ou d'usage ».
(L'amendement n° 24 n'est pas adopté.)
Cet amendement propose d'introduire une exemption afin que la loi prenne en considération et protège les droits des auteurs ayant recours aux nouveaux modèles de création et d'exploitation des oeuvres au travers des licences libres.
L'association des développeurs et des utilisateurs de logiciels libres pour l'administration et les collectivités territoriales et l'association francophone des utilisateurs de logiciels libres, notamment, et, derrière elles, une bonne partie des défenseurs des licences libres, se sont émues à juste titre de la rédaction du texte, dans la mesure où elle va imposer des obligations tarifaires dans des licences par définition libres.
Marie-Hélène Amiable a très bien posé le problème. J'espère que vous nous écouterez d'une oreille attentive, monsieur le rapporteur, parce que nous avons retravaillé, si j'ose dire, l'amendement que nous avions déposé pour l'examen du texte en commission.
Il s'agit vraiment d'une demande qui pourrait recevoir un accueil favorable du Gouvernement et du rapporteur. Comme cela vient d'être souligné, en effet, la numérisation a donné lieu à de nouveaux modèles de création et d'exploitation, souvent qualifiés d'ouverts ou de libres. Une fois que nous avons dit cela, on voit bien que l'application trop stricte de la loi, donc de la fixation de ce prix unique du livre numérique, remettrait en cause ces nouveaux modèles.
Au nom de la défense du libre, si j'ose ainsi m'exprimer, et pour respecter les auteurs qui font ce choix de travailler sous licence libre, nous demandons à ce qu'une exemption soit prévue dans la loi.
Défavorable, parce que rien dans le texte de la loi n'interdit ce qui est proposé par les auteurs de ces amendements. La loi ne prend pas position sur la question des DRM, donc de la reproductibilité de l'oeuvre, si l'auteur est d'accord pour que son oeuvre soit reproductible à l'infini, sans rémunération. Ces amendements, respectables, me semblent donc sans objet.
La parole est à Mme Monique Boulestin pour défendre l'amendement n° 4 .
Je vais être amenée à reprendre certains des arguments avancés tout à l'heure par notre collègue M. Tardy.
L'application du prix unique aux offres destinées non à des consommateurs individuels mais à des collectivités n'est pas opportune, notamment parce qu'elle bloque la possibilité de négocier les prix selon les services proposés et la communauté desservie.
Cette situation concerne déjà les bibliothèques universitaires et de recherche, ainsi que les centres de documentation, qui ont besoin de cette flexibilité pour acquérir dans les meilleures conditions la documentation scientifique et technique indispensable à leurs usagers. Cependant, il importe également que d'autres bibliothèques puissent bénéficier de cette marge de manoeuvre et que des modèles d'offres appropriées de livres numériques puissent leur être proposés.
Ces besoins sont aussi ceux de l'enseignement des autres niveaux, en particulier les lycées et collèges.
L'application stricte du prix unique aux offres groupées destinées aux bibliothèques et à l'enseignement des premier et second degrés aurait pour effet de limiter l'émergence de nouveaux modèles économiques, à une étape charnière où il importe au contraire de pouvoir tester différentes formules de mise à disposition du livre numérique dans un cadre collectif.
(L'amendement n° 4 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
(L'article 2 est adopté.)
L'article 3 dispose que « le prix de vente, fixé dans les conditions déterminées à l'article 2, s'impose aux personnes établies en France proposant des offres de livres numériques aux acheteurs situés en France. » Nous proposons, par cet amendement, de supprimer les mots : « établies en France ».
Cet amendement vise à étendre l'application de la proposition de loi à toute personne, y compris celles établies hors de France, qui exerce une activité de commercialisation de livres numériques à destination d'acheteurs situés sur le territoire national.
Si le texte n'était pas modifié, deux poids, deux mesures seraient appliqués : d'un côté, les distributeurs de produits culturels régulièrement établis sur le sol français, contributeurs fiscaux et créateurs d'emplois et de richesses pour le pays, seraient obligés de suivre une législation contraignante ; de l'autre, les grandes plates-formes situées hors de France, comme Apple, Amazon ou Google, seraient de fait exemptées de tout cadre réglementaire pour leurs ventes en France. Or l'on sait que, par exemple, Apple a déjà conquis 80 % du marché français de la musique dématérialisée et Amazon 50 % du marché de la librairie en ligne.
Vous allez me répondre que cela est difficile à faire. Pourtant, le paquet TVA du 12 février 2008 prévoit que, le 1er janvier 2015, la taxation des services électroniques ne sera plus établie dans le pays d'établissement de l'entreprise, mais dans le pays de consommation. Nous proposons, de manière analogue, que le prix de vente s'impose de la même manière que le vendeur soit établi en France ou non.
La parole est à Mme Marie-Hélène Amiable, pour soutenir l'amendement n° 27 .
Nous sommes également farouchement opposés à cette clause de territorialité appliquée aux distributeurs. Comme nous l'avons déjà souligné, elle rend la loi inopérante puisque les multinationales qui se partagent le marché français et mondial sont établies à l'étranger.
Ainsi, pour les acteurs non établis sur le territoire national, le contrat de mandat, qui permet à l'éditeur de fixer le prix de vente au public, continuera à s'appliquer. Tel qu'il a été modifié en commission, ce texte s'inscrit profondément dans le droit communautaire, notamment dans la ligne de la directive « Services » et des directives sur le commerce électronique.
Or il s'agit ici de s'engager au-delà des « difficultés posées au regard du droit européen », ainsi que l'a caractérisé le rapporteur en commission. Puisque cette difficulté semble « dépassable » s'agissant de l'harmonisation de la fiscalité culturelle, nous insistons auprès du Gouvernement pour qu'il s'engage fermement dans la défense de l'ensemble des acteurs de la chaîne du livre travaillant en France.
Cet amendement vise donc à élargir le champ d'applicabilité de la loi à toutes les personnes commercialisant des livres numériques en France, et non pas uniquement à celles qui y sont établies. Si le texte était maintenu en l'état, certaines auraient des contraintes importantes et d'autres aucune.
Vous aurez évidemment compris que le sort qui sera réservé à cet amendement déterminera notre vote sur l'ensemble du texte.
Défavorable, pour les mêmes raisons que celles que j'ai indiquées il y a quelques instants.
Défavorable, pour les raisons que nous avons exposées précédemment.
Il est essentiel que nous allions jusqu'au bout de ce débat, surtout s'agissant de l'article 3, puisque cela concerne les plates-formes de vente en ligne.
Les chiffres qu'évoquait à l'instant Marcel Rogement sont tout de même significatifs : 80 % de la musique en ligne, c'est Apple ; 50 % de la librairie en ligne, c'est Amazon. À partir de là, au nom des libraires, ainsi que de grandes enseignes de distribution de livres en France – on peut citer la FNAC, mais pas seulement –, nous estimons que les dispositions de ce texte, en écartant la clause d'extra-territorialité qu'avait pourtant introduite le Sénat, crée une inégalité manifeste.
J'ai repris votre rapport, monsieur le rapporteur, ce qui m'amène à insister sur le fait que le 31 janvier dernier, la Commission européenne, après avoir déjà donné une première réponse, s'est contentée d'émettre des réserves. Cela veut dire que l'affaire n'est pas bouclée, à l'heure où nous parlons.
Ces plates-formes de vente en ligne établies hors de France bénéficient déjà, souvent, d'un régime fiscal plus favorable que celles établies en France. Ce texte, s'il n'était pas amendé, leur donnerait un nouvel avantage en les faisant échapper à ce dispositif de prix unique du livre. C'est pour cela qu'il est pour nous essentiel, dans cet article 3 – et même en laissant de côté l'article 2 – de voter cet amendement. Il faut, monsieur le ministre, que vous puissiez aller à Bruxelles le 24 février prochain en étant fort de la force que nous vous aurons donnée par le vote de cet amendement. Vous savez qu'en ce domaine, la volonté politique est déterminante. On ne peut pas, d'un côté, entendre M. le Président de la République dire que la fiscalité appliquée à Google est inacceptable, et que cela va changer, ou encore avoir vécu ensemble le débat sur la loi HADOPI, et, d'un autre côté, ne pas mener la bataille là où l'on peut la mener.
Monsieur le ministre, vraiment, nous voudrions vous convaincre de la pertinence de nos arguments. Le sort de cet amendement déterminera le vote de notre groupe sur la proposition de loi.
(Les amendements identiques nos 5 et 27 ne sont pas adoptés.)
La référence du texte aux « acheteurs situés en France » me paraît inappropriée. Si l'on en fait une lecture littérale, cela impliquerait qu'un acheteur situé à vingt mètres de nos frontières, mais à l'étranger, ne serait pas concerné. À mon avis, nous irions au-devant de contestations juridiques sans fin, avec des problèmes de preuve insolubles.
Mieux vaut parler des offres de livres numériques « destinées au marché français », notion plus facile à cerner et sur laquelle il y a déjà une jurisprudence abondante et stabilisée.
Défavorable. Comme je vous l'ai déjà indiqué en commission, cher collègue Lionel Tardy, la référence aux « acheteurs situés en France » nous semble plus claire au regard des récentes jurisprudences relatives à la détermination de la loi applicable aux sites internet. La Cour de cassation retient en effet la compétence des juridictions françaises dès lors que le site est destiné au public du territoire français, c'est-à-dire qu'il est accessible sur le territoire français.
Pour les raisons que vient d'indiquer M. le rapporteur, l'avis du Gouvernement est défavorable.
(L'amendement n° 23 n'est pas adopté.)
(L'article 3 est adopté.)
Par deux arrêts de 2009 et 2010, la CJCE a déclaré exhaustive la liste des pratiques commerciales interdites inscrite dans l'annexe I de la directive de 2005. La vente à primes ne figure pas dans cette liste. On ne peut donc ni l'interdire ni la restreindre. L'article L. 121-35 du code de la consommation, qui traite des ventes à primes, est d'ailleurs en cours de modification dans le cadre de la proposition de loi de simplification du droit. Après cette modification, les ventes à primes ne seront interdites que si elles revêtent un caractère déloyal.
J'avais déjà déposé cet amendement en commission, mais je n'avais pas eu de réponse. Pourtant, il s'agit d'une question de fond, car, à la moindre contestation, les tribunaux écarteront l'application de cet article pour s'en tenir au droit européen, selon lequel la vente à primes ne peut pas être restreinte, sauf si elle revêt un caractère déloyal.
Je vais répéter ce que j'ai dit en commission, mais l'hémicycle a plus de majesté que la salle du sous-sol !
Je ne pense pas que la jurisprudence de la Cour de justice sur les pratiques commerciales déloyales soit applicable au sujet qui nous intéresse. En outre, la directive de 2005 que vous citez sur les pratiques commerciales déloyales ne vise que les pratiques commerciales des entreprises vis-à-vis des consommateurs. Or la loi de 1981, comme la proposition de loi que nous examinons, visent à régir les relations entre éditeurs et détaillants.
Je précise par ailleurs que nous ne cherchons pas à transposer au livre numérique les dispositions du code de la concurrence concernant les ventes à primes. En réalité, l'article 4 de la proposition de loi transpose au livre numérique les dispositions très particulières de l'article 6 de la loi sur le prix du livre de 1981 qui autorisent, s'agissant des livres papier, ce type de ventes, mais seulement à certaines conditions.
L'article 6 de la loi de 1981 prévoit ainsi que les ventes à primes ne sont autorisées que si l'éditeur ou l'importateur les propose « simultanément et dans les mêmes conditions à l'ensemble des détaillants », ou si elles portent sur des livres faisant l'objet d'une édition exclusivement réservée à la vente par courtage, par abonnement ou par correspondance.
L'article 4 de la proposition de loi prévoit des dispositions partiellement similaires pour les livres numériques puisque les ventes à primes de livres numériques ne seront autorisées que si elles sont proposées par l'éditeur, simultanément et dans les mêmes conditions à l'ensemble des détaillants. Cela signifie que les détaillants ne seront pas autorisés à proposer des ventes à primes. Il s'agit, comme ce fut le cas pour les livres papier, de préserver la diversité des réseaux de distribution et d'éviter que l'esprit de la loi ne soit détourné par le biais des ventes à primes.
Pour les arguments développés par le rapporteur, l'avis du Gouvernement est défavorable.
J'obtiens les réponses à mes questions, c'est parfait. Je retire donc l'amendement.
(L'amendement n° 22 est retiré.)
(L'article 4 est adopté.)
Il s'agit encore d'un sujet abordé en commission et sur lequel la réponse donnée ne m'avait pas semblé suffisante. Nous sommes pourtant au coeur du problème, à savoir l'équilibre des relations commerciales entre les éditeurs et les plates-formes de distribution sur internet.
Nous recopions l'article de loi autorisant les marges arrières sans se demander s'il est adapté aux équilibres économiques qui se dessinent dans le numérique. Le problème se pose lorsque le distributeur est en mesure d'imposer le niveau des marges arrières. Dans le livre papier, c'est l'éditeur qui est en position de force face au libraire. Il n'y a donc pas de risque majeur.
En revanche, dans le cadre de la distribution numérique, nous risquons de nous retrouver face à trois acteurs américains : Google, Apple et Amazon, qui ne feront aucun cadeau, bien au contraire. Nous avons vu ce qui s'est passé aux Etats-Unis : nous aurons un prix unique fixé par l'éditeur que les plates-formes respecteront et, derrière, lorsqu'il s'agira de se partager l'argent, les éditeurs se feront imposer des marges arrières qui feront la part belle aux plates-formes. Il faut donc être d'une très grande prudence si l'on ne veut pas que cet article se retourne contre les intérêts économiques des éditeurs, lesquels se retrouveront coincés par cet article dans leurs négociations.
Monsieur Tardy, puis-je considérer que vous avez également défendu l'amendement n° 20 ?
J'admire la manière extraordinairement précise dont M. Tardy, grâce à sa tablette magique, parvient à désosser entièrement les propositions de M. Gaymard. (Sourires)
Oui, et c'est très bien !
Ce ne sont pas les propositions de M. Gaymard, mais celles de la commission, rapportées par M. Gaymard. Il s'agit d'un travail d'équipe.
Merci de le préciser et de me le rappeler.
Quand bien même la proposition de loi ne parviendrait pas à instaurer une diversité suffisante de diffuseurs, la suppression de l'article 5, lequel prend en compte le qualitatif dans le calcul de la remise, constituerait une prime au plus gros opérateur, ce qui irait dans le sens d'une concentration croissante du marché. Pour cette raison, et pour d'autres, le Gouvernement donne un avis défavorable.
(L'amendement n° 21 n'est pas adopté.)
Je suis saisi de quatre amendements portant articles additionnels après l'article 5.
La parole est à M. Lionel Tardy pour défendre l'amendement n° 19 .
Avec cet amendement, je reviens sur la question des pratiques commerciales des plates-formes de services sur internet.
Le problème, nous le savons tous, est aigu, notamment avec Apple. Il se reproduira avec plus ou moins d'acuité avec d'autres plates-formes. Cette entreprise cherche en effet à développer un modèle complètement fermé dans lequel les utilisateurs de l'iPad, la tablette numérique d'Apple, ne pourront qu'acheter des produits proposés par la boutique d'Apple. Cela permet à cette entreprise d'imposer ses conditions, aucun fournisseur de contenu ne pouvant se permettre d'être absent de cette plate-forme.
Un véritable bras de fer a lieu actuellement à ce sujet, les conditions posées par Apple étant largement inacceptables : en plus d'un prélèvement de 30 % sur les recettes, Apple conserve absolument toutes les données sur les acheteurs. De telles pratiques auront également cours pour le livre numérique, n'en doutons pas un seul instant.
Par cet amendement, je propose de donner un outil de plus aux éditeurs, pour renforcer leur position dans les négociations qui auront lieu dans les mois et années à venir, avec les grandes plateformes de diffusion de contenu écrit. J'insiste sur cet aspect relation commerciale, qu'on ne peut pas laisser de côté. La clé de la survie économique des éditeurs est là.
Avis défavorable : cet amendement a été repoussé par la commission.
La demande légitime de M. Tardy est satisfaite par la législation existante relative aux pratiques anticoncurrentielles. L'article L. 420-2 du code de commerce prévoit en effet déjà que : « est prohibée (...) l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées ».
Par ailleurs la notion de « position prépondérante » n'est pas juridiquement définie et il n'est donc pas opportun de créer un dispositif particulier en cas de refus de vente.
M. le rapporteur ayant donné tous les détails de la réponse que le Gouvernement s'apprêtait à faire, l'avis du Gouvernement est défavorable.
(L'amendement n° 19 n'est pas adopté.)
Par cet amendement, je veux attirer l'attention sur la question du droit moral et son adaptation au numérique. Je sais que c'est un sujet sensible ; les adaptations seront sans doute nécessaires dans les esprits, mais aussi dans la loi.
Aujourd'hui, l'oeuvre littéraire est assez largement fermée. Le lecteur n'a pas la possibilité de la modifier ; toute réutilisation demande un effort et peut représenter un coût qui freine largement les usages. Dans le numérique, au contraire, la réutilisation d'un texte est très facile, puisqu'un simple copier-coller suffit. D'autres usages que ceux pensés par l'auteur deviennent possibles, nous sommes dans le domaine de l'oeuvre ouverte.
Certains auteurs, qui refusent cela, peuvent être tentés de verrouiller leur oeuvre par toute une série d'interdictions, au point d'en compromettre l'exploitation numérique.
Par cet amendement, je propose une adaptation très minime, afin que les auteurs ne puissent pas interdire, au nom du droit moral, les modifications de leur oeuvre qui pourraient être strictement nécessaires à leur exploitation numérique. Cela peut être l'ajout de quelques liens hypertexte, un changement dans la mise en page et la présentation formelle. Bien entendu, je ne suis pas pour la suppression du droit moral, mais une évolution semble inéluctable.
(L'amendement n° 17 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Le premier alinéa de l'article L. 132-17 du code de la propriété intellectuelle dispose que le contrat d'édition prend fin lorsque l'éditeur procède à la destruction totale des exemplaires.
Il allait de soi jusqu'ici que l'on parlait des exemplaires papier. Or, avec le livre numérique, la notion de destruction des exemplaires n'a plus de sens. On n'envoie pas au pilon un livre numérique. Il convient donc, dans un souci de précision juridique, de faire clairement figurer dans le texte de la loi qu'il s'agit des exemplaires papier. Le risque serait que la conservation d'une version numérique d'un livre empêche l'auteur de constater la fin du contrat, alors même que les exemplaires papier ont été envoyés au pilon.
La commission a repoussé cet amendement. L'article L 132-17 du code de la propriété intellectuelle pose le principe de la fin du contrat d'édition en cas de destruction totale des exemplaires de l'oeuvre par l'éditeur.
Cet amendement, avant de nombreux autres, propose de modifier le code de la propriété intellectuelle sur une question relative aux droits d'auteur et non à la régulation du prix du livre numérique. Je vous rappelle donc ce que j'ai déjà dit en commission : si nous devons effectivement réfléchir à l'avenir du système français des droits d'auteur à l'ère numérique, effectuer de telles modifications au détour d'une proposition de loi sur le prix du livre numérique n'est pas adapté. Les enjeux à traiter sont trop importants.
Sur le fond, il ne me semble pas souhaitable de modifier aujourd'hui ponctuellement certaines clauses relatives au contrat d'édition qui figurent dans le code de la propriété intellectuelle sous peine de modifier l'équilibre général de ces dispositions légales. Cette modification est prématurée dans le contexte actuel. Les principes, posés par le code de la propriété intellectuelle, qui doivent guider les relations contractuelles entre auteurs et éditeurs, sont adaptables aux évolutions technologiques par l'ajustement des usages professionnels existants.
Par ailleurs, des négociations sont engagées entre auteurs et éditeurs sur la question des droits numériques. Elles sont actuellement menées entre le conseil permanent des écrivains et le syndicat national de l'édition. Il convient d'être attentif à leur bon déroulement et, le cas échéant, d'en tirer des conséquences législatives dans le cadre de la clause de rendez-vous que pose l'avant-dernier article de la présente proposition de loi.
Là encore, l'essentiel a été dit par M. le rapporteur ; l'avis du Gouvernement est donc défavorable.
(L'amendement n° 16 n'est pas adopté.)
L'article L. 132-17 du code de la propriété intellectuelle dispose que le contrat d'édition peut être résilié de plein droit par l'auteur, si l'éditeur n'a pas procédé à la publication ou à la réédition en cas d'épuisement.
En cas de publication uniquement sur support numérique, cette disposition est totalement inopérante, car une oeuvre numérique n'est jamais épuisée, par définition. En revanche, elle peut être enfouie au fin fond des catalogues numériques, et être de fait introuvable, sauf à la chercher très précisément. Nombre d'oeuvres pourtant disponibles vont tomber dans l'oubli, faute d'efforts de l'éditeur pour les faire remonter dans les pages des moteurs de recherche.
Face à cette inertie de l'éditeur, qui ne veut pas dépenser d'argent en promotion, l'auteur n'aura pas le droit de demander la résiliation de plein droit, alors qu'il le pourrait en cas d'inertie de l'éditeur d'un livre papier. Cet amendement propose donc d'établir pour le livre numérique une possibilité de résiliation de plein droit. Les critères seront fixés par la profession, qui déterminera à partir de quand on peut estimer qu'un éditeur a abandonné toute exploitation d'une oeuvre numérique, et qu'il est juste de rendre sa liberté à l'auteur.
Il n'est pas souhaitable de modifier aujourd'hui certaines clauses relatives aux contrats d'édition qui figurent dans le code de la propriété intellectuelle, sous peine de modifier l'équilibre général de ces dispositions légales.
Cette modification apparaît donc prématurée dans le contexte actuel. Les principes posés par le code de la propriété intellectuelle, qui doivent guider les relations contractuelles entre auteurs et éditeurs sont adaptables aux évolutions technologiques par l'ajustement des usages professionnels existants.
Je rappelle que le conseil permanent des écrivains et le syndicat national de l'édition ont entamé une négociation interprofessionnelle sur les modalités d'exploitation des droits numériques. Il convient de les laisser se poursuivre sereinement. L'avis du Gouvernement est donc défavorable.
(L'amendement n° 15 n'est pas adopté.)
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion de la proposition de loi relative au prix du livre numérique ;
Proposition de loi tendant à améliorer le fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées ;
Deuxième lecture des projets de loi organique et ordinaire relatifs au Défenseur des droits.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma