Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Christian Kert

Réunion du 15 février 2011 à 15h00
Prix du livre numérique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Kert :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, parler au nom de mon groupe du livre numérique ne me fait pas oublier notre engagement en faveur du livre écrit au sein de notre commission culturelle ni le débat que deux d'entre nous – dont M. Dionis du Séjour ici présent – avaient un peu involontairement déclenché en estimant souhaitable d'actualiser la loi de 1981 sur le prix unique du livre, ce qui nous avait permis de mesurer combien ce texte était désormais sanctuarisé.

Le prix unique du livre numérique se rapprochant de la volonté des auteurs de la loi de 1981, certains ont pensé qu'on aurait pu transposer au numérique ce qui concernait l'écrit, car sur quelque support que soit véhiculée la pensée que constitue un livre, c'est lui qui est au coeur de nos préoccupations. À cet égard, notre commission a relevé que la préservation d'un réseau diversifié de détaillants faisait toujours partie d'un corpus commun, affirmant bien par là que le développement du livre numérique ne doit pas se faire au détriment des libraires. Toutefois, vous avez bien, monsieur le rapporteur, résumé la problématique en précisant qu'une simple transposition ne constituerait pas la solution du fait que plusieurs dispositions de la loi de 1981 ne seraient d'aucun effet dans l'univers numérique. D'où la préférence donnée à un texte distinct, celui-là même que vous défendez aujourd'hui et dont la nécessité vous est apparue très rapidement.

Les rapports sur le thème du livre numérique et ceux sur son prix se sont succédé ces trois dernières années. Le présent texte, qui leur fait suite, a donc vocation à prévenir une concurrence par les prix dont les conséquences ne pourraient être que néfastes pour les détaillants, qu'ils soient physiques ou en ligne. Notre groupe l'a affirmé dès le début de nos travaux en commission : nous approuvons cette démarche. D'autant que la concentration du secteur autour de quelques acteurs mondiaux importants disposant de pouvoirs de marché parfois excessifs, produirait des effets très négatifs sur la concurrence et appauvrirait à terme inexorablement la création éditoriale, ce que nous ne voulons en aucun cas, monsieur le ministre.

Il est opportun de voir combien les mêmes causes peuvent produire les mêmes effets sur des supports aussi différents que le papier et la mise en ligne. Ce doit être pour nous, membres de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée, une leçon à méditer pour d'autres thèmes liés à l'univers numérique, un univers qui, il faut le saluer au passage, occupe de plus en plus fréquemment les travaux parlementaires. Même si le marché du livre numérique est encore embryonnaire en France, il représente 1,5 % du chiffre d'affaires des éditeurs alors qu'il n'était que de 0,1 % en 2008. L'exemple américain nous montre combien les évolutions peuvent être rapides : le livre numérique représente déjà près de 10 % du marché du livre aux États-Unis.

S'agissant de cette initiative législative, il n'y a donc aucune réserve de la part de notre groupe sur son opportunité, dès lors que nous accompagnons ainsi une mutation technologique qui ouvre de nouveaux horizons tant aux professionnels qu'aux lecteurs, et qu'elle permet la mise à disposition d'un maximum d'oeuvres grâce à une offre abondante de livres numériques.

J'ajoute que ce texte veut également répondre à une autre préoccupation : que l'offre numérique respecte notre patrimoine et le droit d'auteur, non sans préserver la diversité de la création littéraire et l'aménagement culturel de nos territoires. En tant que député d'Aix-en-Provence, j'ai acquis, avec ma collègue de la circonscription voisine, MaryseJoissains-Masini, la certitude que les librairies situées au coeur de ville sont de véritables lieux d'appel à la vie sociétale et pas seulement culturelle.

Cette proposition de loi tend donc à fixer un cadre souple de régulation du prix, à mi-chemin entre l'organisation du marché par le contrat et l'encadrement trop strict d'un marché encore naissant : elle s'en tient uniquement au livre numérique homothétique, conformément à l'avis de l'Autorité de la concurrence. C'est ce sens de l'équilibre qui permet sans doute au texte de bénéficier d'un certain consensus, d'autant que ses auteurs postulent que la croissance du marché du livre sera à moyen terme tirée en France, comme elle l'est actuellement dans les pays anglo-saxons – les exemples que vous donnez dans votre rapport en attestent – par la vente à l'unité davantage que par le développement de modèles d'offre plus complexes.

De fait, le décor national du texte semble bien planté, ce qui permettra à notre groupe de le voter avec les amendements qui ont été retenus en commission et que vous avez rappelés, monsieur le rapporteur. Deux préoccupations doivent toutefois être relevées et font encore débat.

La première porte sur la notion de juste rémunération des auteurs. Elle est bien évidemment primordiale. L'article 7 tel qu'il a été adopté par notre commission permettra d'établir un rapport afin de vérifier cette juste rémunération. Même si celle-ci ne relève pas directement du domaine législatif, nous devons nous assurer de son effectivité. C'est dans cet esprit que nous avons amendé l'article 7 à votre demande, monsieur le rapporteur. Je précise qu'il est conforme aux négociations en cours entre les différentes parties prenantes.

Reste la préoccupation européenne. Nous sommes tous ici sensibles aux arguments, prévus par le droit communautaire, qui ont conduit les sénateurs, au nom de la diversité culturelle à laquelle nous tenons, à étendre les dispositions de la proposition de loi aux opérateurs établis hors de France. Le président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, Jacques Legendre, a évoqué une interprétation positive de la clause de diversité culturelle, mais il est de plus en plus clair que nous en sommes encore loin étant donné l'avis circonstancié transmis par la Commission européenne le 31 janvier dernier. L'application extraterritoriale du prix unique nous exposerait aujourd'hui à un avis négatif de la Commission et, par conséquent, à la procédure que nous connaissons devant la Cour de justice. Le droit communautaire n'autorise pas l'application d'un autre droit que celui du pays dans lequel une entreprise, comme un distributeur, est installée. Il paraît dès lors difficile, comme certains nous l'ont demandé, d'aller au-delà de ce que le texte propose.

Nous devons savoir également que les éditeurs utilisent communément le contrat de mandat pour les opérateurs établis hors de France. Cet outil leur permet de maîtriser le prix de vente et d'éviter une politique de bas prix, redoutée par certains. Il n'est pas de l'intérêt des éditeurs de pratiquer des prix différenciés entre opérateurs nationaux et ceux qui seraient établis hors de France. Notre rapporteur a parfaitement pris en compte cette fragilité juridique : raisonnablement, nous devons privilégier une application limitée à notre territoire national. J'ajoute qu'en cas de contentieux, les plates-formes installées à l'étranger en profiteraient pour ne pas appliquer la présente loi.

Pour terminer, un mot sur la mission de notre ancien collègue Jacques Toubon, qui a la lourde charge de convaincre les commissaires européens s'agissant de l'application d'un taux de TVA réduit sur le livre numérique. Cela demeure une condition essentielle au plein essor de ce marché, le livre étant ainsi vendu à un prix moindre d'environ 40 % du prix du livre papier. Là se situe l'attente des consommateurs et le succès du livre numérique. Ce succès, nous pouvons le construire avec le texte qui nous est présenté. Voilà pourquoi le groupe UMP le votera. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion