Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom du groupe centriste, je tiens d'abord à saluer le travail effectué par notre rapporteur, Hervé Gaymard, sur l'avenir du livre dans la société numérique.
Ce travail et celui de la commission que vous présidez, madame Tabarot, ont abouti à un rapport qui démontre la pertinence de la prolongation de la loi Lang pour le livre physique, le livre papier. Un consensus s'est en effet exprimé sur l'opportunité de cette loi pour l'enracinement d'un réseau de libraires, indispensables conseillers de lecture, et la préservation de l'offre éditoriale du livre physique.
Ce n'était pas évident, notamment pour moi, qui avais été particulièrement choqué que l'on puisse mettre au pilon environ un livre imprimé sur cinq, soit 100 millions sur 500 millions.
Ce consensus sur la prolongation de la loi Lang pour l'avenir du livre papier, voilà l'acquis principal du travail d'Hervé Gaymard. Au nom du groupe Nouveau Centre, je tiens à l'en féliciter et à lui indiquer que nous partageons désormais cette conviction avec lui.
Mais tout autre est le livre numérique et, dans ce débat, pour l'instant très consensuel, je me permettrai, au nom des centristes, d'apporter un minimum de contradictions.
Voilà le secteur du livre confronté, à son tour, à la révolution numérique. La dématérialisation induit des mutations dans l'ensemble de la filière du livre : disparition et apparition d'acteurs, perte, création et déplacement de valeur, transformation de la chaîne de valeur, restructuration industrielle...
Disons-le d'emblée, les centristes sont réservés sur cette proposition de loi, qui consiste, en fait, à imposer à un marché naissant et plein d'avenir le cadre strict et, selon nous, inadapté de la loi de 1981 sur le prix unique du livre.
La loi Lang a été créée essentiellement pour réguler un marché sans internet et pour protéger les libraires contre la grande distribution. Reconnaissons que l'impossibilité de « casser le prix » du livre a évité la disparition des points de vente des libraires. Ainsi, en Grande-Bretagne, où la loi sur le prix unique a été abolie en 1995, on ne trouve quasiment plus que des grandes surfaces culturelles et l'offre éditoriale est appauvrie.
Mais l'enjeu du livre numérique n'est pas du tout le même, les acteurs sont différents, pour la simple raison – et cette proposition de loi l'ignore trop à notre avis – que le livre numérique est bien différent du livre physique. Le monde numérique n'est pas le monde des supports matériels traditionnels, il obéit à des modèles économiques nouveaux.
L'essor du livre numérique va se jouer autour de quatre enjeux : l'accès, l'objet lui-même, c'est-à-dire le terminal de lecture, le prix – qui, à notre avis, doit être nettement inférieur à celui du livre physique – et, enfin, le droit – européen et international.
Quel sens y a-t-il à décalquer un système basé sur le transfert de propriété d'un objet physique, matériel – le livre –, alors que les usages radicalement nouveaux de la lecture numérique créent d'autres écosystèmes : l'abonnement à un catalogue et non une lecture titre à titre, l'accès à distance depuis une carte de bibliothèque d'un établissement public, l'économie de la contribution.
Cette proposition de loi nous semble condamnée à l'impuissance faute d'une définition précise du livre numérique. Légiférer sur le livre numérique homothétique, n'est-ce pas avoir un train de retard ?
Le livre numérique n'est pas un simple fichier téléchargeable, c'est un ensemble de produits déclinés sous des formats multiples, adaptés aux différents canaux de lecture – liseuses, téléphonie mobile, ordinateurs – et aux spécificités de la lecture numérique, avec des liens hypertextes, des vidéos et une ouverture vers une profusion de contenus... Cette profondeur constitue la plus-value de l'objet numérique par rapport à son homologue en papier.
C'est pourquoi mon collègue Tardy a déposé un amendement afin d'intégrer dans le texte même de la loi une définition du livre numérique.
C'est, à notre avis, se tromper profondément sur l'enjeu du monde numérique que de considérer comme « accessoire», comme c'est le cas à l'article 1er, tout ce qui fait le fond de la démarche numérique, à savoir l'accès à des ressources hypertextes. C'est pour nous un basculement identique à celui qui s'est effectué de la copie des moines calligraphes à l'imprimerie de Gutenberg.
Cette proposition de loi se révèle par conséquent ambiguë puisque, d'un côté, elle protège des fichiers sans valeur ajoutée en réduisant le livre numérique à la numérisation d'un texte déjà imprimé tandis que, de l'autre, elle ne s'applique pas à des services qui constituent l'essence même du livre numérique !
De plus, de nombreuses questions restent non résolues. Si les textes récents, enrichis et insérés avec des liens hypertextes dans une offre à valeur ajoutée sont exclus de la loi, parce qu'ils n'ont pas été imprimés avant, des offres comme celles des bibliothèques numériques sont-elles soumises ou non à l'article 3 ? Qui définit la nature d'une offre commerciale et le degré de services permettant de l'exclure du prix unique numérique ?
Cette proposition de loi, en outre, s'adapte très mal – d'autres orateurs l'ont souligné – à la fois au droit européen et au droit international en ne visant – à l'article 3 – que les opérateurs « établis en France ». Le rapporteur nous en a donné les raisons mais elles ne me semblent pas suffisantes. Il faudrait, pour le moins, étendre le texte aux opérateurs commerciaux « exerçant en France » et « à destination d'acheteurs situés sur le territoire national ». On comprend bien pourquoi cela n'a pas été fait mais, en excluant les acteurs majeurs que sont Amazon, Google ou Apple, ce texte perd beaucoup de pertinence.
Reste d'ailleurs à savoir si une telle disposition ne serait pas invalidée au plan européen, à moins que vous ne fassiez la démonstration, monsieur le ministre, qu'elle relève d'une clause sur « la diversité culturelle ».
On peut donc douter de l'intérêt d'une loi française si de nombreux sites marchands étrangers proposent le même objet à des prix différents. Personnellement, je ne crois pas que le contrat de mandat soit la protection absolue…