Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, la proposition de loi examinée aujourd'hui constitue, je le crois, une étape majeure pour le développement d'une offre légale de livres numériques, une offre attractive, diversifiée, une offre qui soit aussi rémunératrice pour les créateurs. Comme vous le savez, depuis mon arrivée au ministère de la culture et de la communication, la numérisation du patrimoine, notamment le patrimoine écrit, mais aussi l'accompagnement de la filière du livre dans ce nouvel environnement, constitue l'une des grandes priorités de mon action. Je tiens donc à saluer l'attention soutenue que la représentation nationale, notamment au sein de cette assemblée, porte à de tels enjeux. Elle s'est traduite non seulement par un travail d'instructions et d'auditions menées par les commissions concernées, mais aussi à travers différentes initiatives, au premier rang desquelles celle qui nous réunit aujourd'hui.
La proposition de loi sur le prix unique du livre numérique a été portée simultanément sur le bureau des deux chambres. Elle s'inscrit pleinement dans la ligne des exigences formulées par plusieurs rapports importants : le rapport Patino remis à Mme Albanel en juin 2008 ; le rapport de la mission « Création et internet » de MM. Zelnik, Toubon et Cerruti, qui m'a été remis en décembre 2009 ; enfin, le rapport de Christine Albanel sur le livre numérique, remis au Premier ministre en avril 2010. Elle répond aux voeux exprimés par le Président de la République. Le 7 janvier 2010, il avait, en effet, indiqué son souhait qu'une telle loi puisse être adoptée rapidement pour le livre numérique homothétique, autrement dit la version numérique du livre papier pouvant éventuellement comporter des éléments accessoires propres à l'édition numérique.
Cette proposition de loi est donc l'aboutissement d'un solide processus de réflexion. Elle a été préparée par des discussions interprofessionnelles approfondies qui se sont tenues sous l'égide de mon ministère. À la suite de l'adoption du texte à l'unanimité au Sénat, au mois d'octobre dernier, des échanges se sont aussi engagés avec la Commission européenne, concernant la portée de cette mesure au regard de la politique communautaire de concurrence et du marché intérieur. L'objectif partagé par tous les participants à la discussion interprofessionnelle a été de parvenir à un texte équilibré, un texte qui préserve l'action de l'ensemble des acteurs de la chaîne du livre – auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires – sans brider la volonté d'innovation des entrepreneurs ni la demande des internautes.
Le texte examiné aujourd'hui suscite, je le sais, de nombreux avis, des interrogations, des controverses, voire certaines inquiétudes. C'est légitime : c'est la traduction d'un débat sain et de qualité face à un enjeu majeur des prochaines années pour notre politique du livre. Je souhaite affronter ce débat et je veux, mesdames et messieurs les députés, expliquer la position qui sera celle du Gouvernement.
Nous savons à quel point le bilan de la régulation introduite par la loi Lang de 1981 sur le prix unique du livre, cette loi de développement durable de la filière du livre, est positif. Le rapport remis en 2009 par M. le rapporteur Hervé Gaymard l'a illustré d'une manière éloquente et avec une remarquable précision. Je suis convaincu que la plupart des objectifs de la loi Lang de 1981 demeurent pertinents pour le livre numérique.
Je suis convaincu également qu'une régulation rapide du prix du livre numérique est nécessaire pour préserver la diversité culturelle et pour assurer le développement du marché dans les meilleures conditions de sécurité pour les acteurs. En effet, tant pour le livre numérique homothétique que pour le livre physique, les effets néfastes d'une concurrence par les prix sont avérés. En témoigne la guerre des prix exacerbée que se sont livrée les principaux réseaux de vente de livre numérique aux États-Unis en 2009 et 2010. Cette dernière a conduit certains opérateurs à pratiquer de considérables rabais, voire des ventes à perte sur les meilleures ventes, au détriment, bien sûr, de l'ensemble de la chaîne du livre.
Dans ce contexte, il s'agit d'abord de préserver la diversité de la création éditoriale grâce au contrôle du prix par l'éditeur, afin d'éviter l'effondrement du prix des meilleures ventes et de financer ainsi les nouveaux talents ou ceux qui n'obtiennent pas le statut enviable de best-seller. Il s'agit également de préserver la diversité des détaillants, des canaux de vente dans l'univers numérique comme dans l'univers physique en évitant le risque d'une concentration du marché entre les mains de quelques acteurs. Cette situation est une source d'appauvrissement de l'offre éditoriale. Elle mettrait en cause le rôle essentiel de médiateurs culturels joué par les libraires, pour qui le livre n'est évidemment pas seulement un produit d'appel. Au contraire, grâce au prix unique, la concurrence entre librairies s'exerce non par le prix, mais par la qualité de service, sur lequel nous devrons certainement réfléchir afin d'accompagner les libraires dans les mois qui viennent.
Dans mon esprit, la promotion de la diversité éditoriale doit s'appuyer sur la complémentarité entre réseau physique et réseau numérique. On constate, en effet, que les découvertes sont le plus souvent le fait de libraires indépendants, les grands réseaux ne faisant qu'amplifier le mouvement une fois qu'il est lancé. Cela a été précisément le cas, en France, avec le succès international de la trilogie Millenium, découverte et lancée en premier lieu dans le réseau de la librairie indépendante. Comme le directeur de la bibliothèque de Harvard, le grand historien américain Robert Darnton, le dit, je crois à la vertu d'un modèle mixte, imprimé et numérique, où chaque version d'une même oeuvre, avec ses atouts propres, s'efforce à sa manière de transmettre à des publics parfois distincts une même histoire, une même trajectoire du sens et du symbole.