Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous discutons aujourd'hui d'une proposition de loi qui a plutôt fait consensus lors de son examen au Sénat. Pour autant, il ne faut pas perdre de vue une caractéristique inhérente à ce texte : il s'agit d'un premier pas, d'une première étape en vue de la régulation du marché du livre numérique. Pour ce qui nous concerne, nous pensons que la régulation est non seulement utile, mais nécessaire. Cela étant, il ne faut pas ou ne faudrait pas en rester à ce stade. Ne nous imaginons pas qu'une sorte de nouvelle loi Lang appliquée à ce nouveau secteur garantira la même réussite. Plusieurs exemples ont montré que le numérique n'était pas encore parfaitement appréhendé par le législateur – notre collègue Dionis du Séjour a souligné qu'il ne fallait pas édifier des lignes Maginot, qui seraient tout aussi illusoires dans le domaine du numérique qu'elles l'ont été dans celui de la défense nationale. C'est pourquoi je tiens à rappeler plusieurs enjeux auxquels il faudra être extrêmement vigilant dans un avenir proche.
Tout d'abord, le marché du livre numérique est encore peu connu en France, en tout cas, peu développé. Aux États-Unis, ce marché représente 10 % de parts de marché, contre seulement 1,5 % du chiffre d'affaires en 2010 en France mais ce pourcentage n'était que de 0,1 % en 2008. Au regard de la multiplication des outils technologiques sur le marché que sont les tablettes de lecture ou les tablettes multifonctions, qui ont connu un grand succès ces derniers mois, on peut légitimement penser que cette pratique est amenée à se développer. Nous devons donc rester attentifs à l'évolution de ce marché et ne pas nous faire surprendre. Il faut trouver un équilibre : ne pas tuer dans l'oeuf une nouvelle source d'accès à la culture, à l'écrit – à un moment, on a pensé que la télévision et internet tueraient l'écrit, ce qui est inexact à mon sens – sans pour autant se montrer trop laxistes.
Cela m'amène tout naturellement au deuxième point que j'aimerais évoquer. Avec la clause d'extraterritorialité invoquée par le Sénat, un élément essentiel du problème de cette proposition de loi est apparu : celui des entreprises basées à l'étranger. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le rapport des forces se fait largement au détriment des librairies françaises. Prenons l'exemple d'Amazon, leader ultradominant sur le marché à l'heure actuelle avec ses 50 à 55 % de parts de marché sur le secteur du livre numérique. La société s'est implantée au Luxembourg. Cela lui permet d'être imposée à hauteur de 3 % quand des sites français comme fnac.com connaissent une TVA de 19,6 % – et l'on pourrait multiplier les exemples. Pour ma part, et c'est le membre de la commission des finances qui parle, je pense qu'il faut adapter l'outil fiscal aux nouvelles technologies. C'est un enjeu de lutte contre l'évasion fiscale, mais également de concurrence loyale entre les différents sites de vente. Nous savons qu'il y a en Europe des pays qui pratiquent le dumping fiscal : la technologie permet de délocaliser virtuellement l'activité alors que celle-ci est pratiquée en France. La fiscalité doit donc s'adapter pour préserver l'avenir des librairies françaises.
Je m'interroge aussi sur l'évolution des métiers du secteur du livre. Quelle place demain pour les libraires nationaux face aux grands distributeurs ? Il me semble indispensable de les accompagner, de les encourager à mettre en place des outils leur permettant d'entrer sereinement dans l'ère du numérique. Les exemples étrangers, notamment allemands, sont à étudier.
J'en terminerai par les métiers du livre qui comptent parmi eux les bibliothécaires et archivistes notamment. Ils sont un échelon important du secteur et il convient de les prendre en compte dans leurs revendications et propositions. Ainsi, l'IABD – l'Interassociation Archives Bibliothèques Documentation via son président Dominique Lahary, qui était présent lors de la consultation des différents acteurs du secteur – met le doigt sur un point pertinent. Il concerne l'opportunité du prix unique dans le cadre de collectivités territoriales, de collèges ou de lycées. Cela a d'ailleurs donné lieu à un amendement déposé par nos collègues socialistes. À plus ou moins court terme, les ouvrages numériques peuvent devenir des supports pédagogiques importants, diversifiés et très demandés. La flexibilité du prix dans le cas d'établissements publics me semble intéressante. Il ne faut pas concevoir l'acte d'achat d'une collectivité ou d'une bibliothèque comme un acte de consommation.
Dans le rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2011 qu'elle a remis au ministère de la culture, notre collègue Monique Boulestin prônait la numérisation patrimoniale,…