La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
La parole est à M. Gérard Bapt, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Monsieur le ministre chargé de l'industrie, vous avez annoncé la reprise partielle de l'usine Molex, sur le site de Villemur-sur-Tarn, par le fonds d'investissement américain HIG Capital. Or HIG Capital est un LBO, autrement dit un fonds dont le seul but est d'assurer à ses actionnaires une rentabilité maximum à court terme. Aussi les salariés réunis devant l'usine se demandent-ils quelle est la stratégie industrielle proposée par HIG Capital. Quelles garanties avez-vous reçues, monsieur le ministre, sur la pérennisation du site ? Le Gouvernement s'est engagé à prêter 6 millions d'euros à ce fonds pour la conservation de seulement quinze à vingt emplois… Cela fait un peu cher l'emploi préservé ! Ces 6 millions d'euros sont-ils un cadeau à HIG Capital ou sont-ils assortis de contreparties précises ? Quelles garanties avez-vous quant à la création de 200 à 300 emplois dans les deux ans sur ce site, comme vous l'avez annoncé ce matin sur France 2 ?
Par ailleurs, avez-vous vérifié qu'il n'existe pas de liens capitalistiques entre HIG Capital et Molex ? S'il devait s'agir d'un mano a mano, cela ne manquerait pas de sel… Fidèle à la méthode du Président, vous avez passé l'été à prendre nombre d'engagements à travers la France. Prenez garde, monsieur le ministre, de ne pas vous retrouver cet l'automne à faire le tour de France de la déception et de la colère ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Ce soir, à vingt et une heures, les salariés de Molex vont voter sur le plan social. On m'a rapporté leur stupeur ce matin en apprenant la préservation de seulement quinze à vingt emplois. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
De quoi s'agit-il ? L'entreprise américaine Molex, en Midi-Pyrénées, a décidé, voilà plusieurs mois, de cesser toute activité industrielle sur le site de Villemur. Il y a deux mois, ils annonçaient qu'ils mettraient fin le 15 septembre, autrement dit aujourd'hui, à toute discussion possible : plus aucun avenir industriel n'était envisageable à Villemur, l'entreprise Molex refusant toute discussion avec un repreneur, quel qu'il soit.
Le Président de la République et le Premier ministre ont fait savoir que, quelque amicales que soient nos relations avec une entreprise ou une nation étrangère, il était inacceptable qu'on ne respecte pas en France nos règles sociales et qu'une entreprise décidée à quitter notre territoire pour se délocaliser refuse toute discussion alors même qu'un repreneur s'est présenté. J'ai pu annoncer ce matin ce qui, il y a peu, semblait inenvisageable : nous avons réussi à obtenir un accord et la signature d'un protocole entre le fonds d'investissement HIG et l'entreprise Molex, qui porte sur soixante emplois, avec une montée en puissance, garantie par l'État, pour signer des contrats avec PSA, Renault, le secteur aéronautique à Toulouse et le CEA à Grenoble. Et puisque nous avons rendez-vous ce soir, dans mon cabinet, avec le président socialiste de la région, le président du conseil général et le président de la communauté urbaine socialiste, je compte sur vous, monsieur le député, pour les convaincre d'accompagner l'effort de l'État afin qu'il y ait plus de soixante salariés dès le départ ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Reprise de l'usine Molex
La parole est à Mme Brigitte Barèges, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le ministre chargé de l'industrie, un certain Sénèque écrivait, il y a bien longtemps : « Ce n'est parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles. » (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et NC.)
Le Gouvernement vient de démontrer dans l'affaire Molex, dont on vient de parler, et où la cause semblait perdue d'avance, que le volontarisme est toujours payant.
Je salue, à cet égard, l'intersyndicale exemplaire qui, depuis le début – depuis un an –, a adopté une démarche constructive dans l'unité pour préserver non seulement les emplois, mais aussi une activité industrielle majeure dans une région trop peu industrialisée.
À l'issue du sommet social qui s'est tenu à l'Élysée le 1er juillet dernier, le Président de la République s'est exprimé avec fermeté vis-à-vis de l'équipementier américain, en critiquant l'obstruction faite par la direction à la recherche d'un repreneur et en lui demandant d'assumer ses dettes vis-à-vis des salariés, qui, a-t-il souligné, « ne sont pas des marchandises ».
Le Président de la République s'est, par ailleurs, engagé à ce que l'État garantisse un éventuel repreneur.
Ma question est la suivante. En tant que maire de Montauban, où vivent 42 des 283 salariés de Molex et où sont implantés plusieurs sous-traitants, je souhaite connaître, monsieur le ministre, les conditions de l'accord conclu cette nuit. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
Madame la députée, vous défendez depuis plusieurs mois, en tant que député-maire de Montauban, le destin et le savoir-faire des ouvriers de Molex (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR) qui ont largement contribué à faire de Renault et de PSA leurs principaux clients. Je veux vous en remercier et souligner que, comme je l'ai rappelé à M. Gérard Bapt voici quelques instants, alors même que la reprise d'une activité industrielle à Villemur-sur-Tarn paraissait hors d'atteinte il y a peu, nous avons réussi à signer cette nuit un protocole d'accord qui garantit cette reprise…
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Non !
…et l'activité ne cessera, grâce aux garanties de l'État, de monter en puissance.
Quelles sont ces garanties ? Il s'agit, d'abord, de la garantie par Molex de 2,5 millions d'euros de chiffre d'affaires pendant deux ans, d'une participation immédiate de 5,4 millions de Molex, de 1 million d'euros en capital de la part du repreneur HIG, et, enfin, non pas d'un crédit, mais d'une garantie de l'État pour 6,6 millions d'euros. Tout cela permet aujourd'hui la reprise d'une activité qui montera en puissance. Je m'y engage comme je l'ai fait pour New Fabris à Châtellerault. J'avais annoncé, au mois de juillet, que des emplois seraient créés en septembre : 220 l'ont été grâce à l'implantation d'une activité de papeterie.
De plus, un plan social est aujourd'hui en discussion en assemblée générale et en comité d'entreprise. Les salariés doivent prendre, ce soir, une décision. Ce plan social de 28 millions d'euros comprend des primes extralégales, un accompagnement à la requalification, à la formation et au reclassement, une garantie de versement à 100 % des salariés pendant neuf fois.
Pour nous, il ne s'agissait pas de choisir entre un plan social et une relance de l'activité industrielle, mais de faire les deux ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Roland Muzeau, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Monsieur le Premier ministre, la crise n'a pas le même goût pour tous. En cette rentrée, le MEDEF et les banquiers se réjouissent d'avoir obtenu la baisse de la taxe professionnelle et d'avoir échappé à une loi limitant les rémunérations des dirigeants et les bonus des traders.
Pour d'autres, en revanche, c'est le chômage massif, la multiplication des licenciements économiques et des ruptures conventionnelles. Ce sont aussi les pressions et menaces sur les salariés du privé et du public pour qu'ils quittent leur emploi. Ce sont enfin des drames humains inédits : des dizaines de suicides au travail à France Télécom, après Renault et tant d'autres entreprises.
Votre majorité est comptable de ce désastre économique et social. Six Français sur dix jugent mauvaise la politique du Gouvernement. Ils sont 63 % à considérer que l'argent public est mal utilisé et mal dépensé.
Sur un an, le nombre total d'inscrits à Pôle emploi a bondi de 20,3 %. Le taux de chômage officiel dépassera les 10 % au quatrième trimestre.
Votre priorité devrait être de tout faire pour répondre aux besoins sociaux, notamment en protégeant les plus faibles. Or vous persistez à être le plus grand licencieur de France en programmant la suppression de 35 000 emplois publics en 2010, dont 16 600 dans l'éducation nationale.
Votre politique a pour résultat un déficit public de 125 milliards d'euros en 2009, de 20,1 milliards pour le régime général de la sécurité sociale.
D'autres solutions existent pourtant. Il faut réformer notre fiscalité dans son ensemble et mettre à contribution les riches. Il faut remettre en cause le bouclier fiscal comme la multitude de niches fiscales qui coûtent 70 milliards au budget de l'État. Il faut revoir l'injuste taxe carbone pénalisant les plus modestes, renoncer à augmenter le forfait hospitalier, renoncer à vos projets de recul de l'âge de la retraite et de suppression des bonifications de pension des mères de famille.
La Poste ne doit pas être privatisée, l'emploi public et privé doit être préservé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville.
Monsieur le député, face à la situation que connaissent aujourd'hui les entreprises et beaucoup de salariés, je ne crois pas que le dogmatisme et l'idéologie soient ici de mise ! (Protestations sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
L'économie française est confrontée, comme le monde entier, à des mutations difficiles et nécessaires. Les entreprises font évidemment en sorte de s'y adapter et d'être concurrentielles... (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)
…et elles veillent aussi à protéger leurs salariés.
Le devoir du Gouvernement est de faire en sorte que, face à cette concurrence, à ces évolutions et à ces mutations nécessaires, les droits des salariés soit protégé.
Vous avez cité l'exemple du drame qui s'est produit à France Télécom. Le rôle du Gouvernement est d'aider l'entreprise, de remédier à ses difficultés sur le plan social afin que de tels drames ne se répètent pas.
C'est pourquoi j'ai reçu, ce matin, M. Didier Lombard, président de France Télécom. Nous avons envisagé ensemble un certain nombre de pistes pour mieux associer les salariés à une réflexion sur la lutte contre le stress au travail,…
pour qu'une autre politique soit conduite en matière de médecine du travail, pour que soient prises un certain nombre de dispositions qui existent ailleurs – chez Alstom ou Renault, par exemple – afin que France Télécom trouve des réponses adaptées à une situation dramatique.
Mais, je le répète – et j'y reviendrai sans doute en réponse à d'autres questions sur la situation de France Télécom –, nous ne lutterons pas contre la concurrence internationale en nous contentant de dénoncer la manière dont les entreprises réagissent. (Interruptions sur les bancs du groupe GDR.) Vous devriez plutôt penser aux chefs d'entreprise qui font la richesse de la nation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Monsieur le ministre le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, vous êtes le ministre des comptes sociaux. Nos concitoyens, très attachés à la protection sociale, fondée sur la solidarité nationale, sont aujourd'hui inquiets : le déficit cette année atteindra probablement les 22 milliards d'euros.
Or les dépenses sont à peu près conformes aux prévisions : ainsi, les dépenses de santé n'augmenteraient que de 3 %. Autrement dit, le déficit est dû essentiellement à la crise, du fait de la diminution des recettes.
Quoi qu'il en soit, il n'est pas pensable de laisser nos enfants payer à notre place. Le Nouveau Centre propose que chaque génération assure ses propres dépenses. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe NC.) Comment pouvez-vous financer le déficit ? Allez-vous le transférer, comme cela est logique, à la CADES ? Allez-vous augmenter la CRDS ? Allez-vous en élargir l'assiette ?
Vous cherchez des recettes. L'augmentation du forfait journalier a été évoquée, une augmentation de 4 euros par jour a été avancée. Qu'en est-il ?
Certes, ce forfait a été institué par les socialistes, et il n'a pas été réévalué depuis trois ans. Reste qu'une augmentation de 4 euros devrait rapporter seulement 400 millions, loin des 22 milliards...
Il est vrai aussi que ce forfait est remboursé par les assurances complémentaires, qui risquent dès lors d'augmenter leurs cotisations. Mais surtout, on ne saurait oublier les 8 % de nos concitoyens dépourvus d'assurance complémentaire, qui auront encore plus de difficultés pour se soigner.
Prévoyez-vous de revaloriser le forfait journalier cette année ? Ne serait-il pas préférable, comme le propose le Nouveau Centre, de l'indexer sur l'inflation, ce qui serait compréhensible et juste ? (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)
La parole est à M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État.
Comme vous, monsieur le député, comme l'ensemble des députés et des Français, le Gouvernement est évidemment préoccupé par la santé financière de la sécurité sociale. Sa bonne santé financière est le garant de la bonne santé des Français ; autant dire que c'est fondamental.
Il n'est pas question de faire assumer à des générations futures le financement de la santé de nos générations, et nous avons bien l'intention de faire face à la situation très difficile due à la crise : entre 2005 et 2008, nous avions divisé par deux le déficit de la sécurité sociale pour l'assurance maladie. Aujourd'hui, il repart parce que les recettes chutent. Il y a en effet plus de chômage à cause de la crise. Nous devons y faire face.
Votre première question a trait à la dette sociale. Nous n'augmenterons pas la CRDS : ce serait un mauvais signe et probablement une bien mauvaise décision vis-à-vis des Français. Cela reviendrait d'une certaine façon à augmenter les impôts et nous ne le ferons pas. Nous cantonnerons cette dette dans les organismes de sécurité sociale, qui la financeront, comme nous en avons discuté avec l'ACOSS. Cela ne coûtera pas plus cher qu'un autre système et nous verrons en 2011, si la crise est passée, comment traiter définitivement le sujet.
Sur le forfait hospitalier, il faut être assez clair, comme sur l'ensemble de la sécurité sociale. Il n'y a pas de sujet tabou. Notre objectif est bien de maintenir un haut niveau de santé – je parle sous le contrôle de Roselyne Bachelot –, ce qui suppose un certain nombre d'ajustements et notamment de recettes. Le forfait hospitalier est une piste parmi d'autres. Il a été créé par le parti socialiste, qui n'a pas hésité à l'augmenter à de nombreuses reprises – et même une fois de 38 %... Nous n'avons donc aucune leçon à recevoir de ce côté-là. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Protestations sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Quel changement, monsieur le Premier ministre ! Le président du pouvoir d'achat et de la baisse des impôts est devenu « Monsieur Taxes » ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.) En deux ans, les Français se sont retrouvés ponctionnés 5 milliards d'euros à travers une quinzaine de taxes nouvelles, mais le pire est devant eux : avec le projet mal conçu de taxe carbone, vous défigurez la belle idée d'une fiscalité écologique capable de faire changer les comportements, en créant une charge supplémentaire de 5 milliards d'euros. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Avec la hausse du forfait hospitalier, vous continuez à rendre plus difficile l'accès aux soins pour les plus modestes, sans rien résoudre du problème du financement de la sécurité sociale. Avec la réforme de la taxe professionnelle, vous préparez un nouveau transfert d'impôt vers les ménages.
Comment justifier cette inflation de taxes lorsque, dans le même temps, vous inversez la solidarité au profit des mieux lotis ? Bouclier fiscal, paquet fiscal, niches fiscales, tous ces avantages dont profitent les plus fortunés, vous refusez d'y toucher. Et sur les 3 milliards de TVA donnés aux restaurateurs sans aucun effet sur les prix ou les salaires ? Vous fermez les yeux. Qu'importe ! Pour vous, la France paiera.
Eh bien non ! Pour les députés socialistes, radicaux et citoyens, il n'y a pas d'acceptation de l'impôt sans esprit de justice sociale. Là est le vrai combat, le vrai changement nécessaire en France. C'est un immense chantier auquel nous voulons travailler. Vous, vous tournez purement et simplement le dos à cette véritable ambition de progrès. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe GDR.)
Monsieur Ayrault, je vous remercie de cette question qui me permet, au moment où le Parlement recommence à siéger, de faire le point sur la situation économique de notre pays.
Cet été, nous avons enregistré un certain nombre de nouvelles encourageantes (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), qui placent la France au premier rang des économies européennes dans leur manière de résister à la crise. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Bien entendu, la crise n'est pas terminée : elle ne le sera pour moi que lorsque le chômage aura recommencé à baisser. Mais personne ne peut ignorer qu'avec une augmentation de la croissance au deuxième et au troisième trimestres, une augmentation de la production industrielle, une augmentation du pouvoir d'achat de 1,9 % sur l'année 2009, si l'on en croit les prévisions (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR), la France fait, avec l'Allemagne, le meilleur parcours en Europe face à la crise. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
On doit naturellement se poser la question de savoir pourquoi : c'est, monsieur Ayrault, parce que nous n'avons pas mis en oeuvre les solutions que vous proposiez. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Vous nous aviez demandé de supprimer les allégements fiscaux et sociaux qui ont été décidés en 2007 ; ce sont précisément ces allégements qui ont permis de soutenir le pouvoir d'achat (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR) et qui permettent à notre pays de mieux résister. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Vous nous aviez enjoint de baisser la TVA et de nationaliser les banques comme d'autres pays en Europe ; regardez les résultats de ces pays par rapport à ceux de la politique que nous avons conduite. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Vous nous avez accusés de ne pas avoir de plan de relance et vous vouliez en permanence que nous renforcions la politique menée en la matière alors que nous nous étions concentrés sur un seul objectif : mettre réellement et immédiatement en oeuvre la relance, ce qui a été fait sous l'autorité de Patrick Devedjian.
Telles sont les raisons pour lesquelles, aujourd'hui, la France résiste mieux à la crise.
Vous nous parlez des taxes et des prélèvements obligatoires. Puis-je vous faire remarquer que les prélèvements obligatoires ont été de 42,8 % en 2008 quand ils étaient montés jusqu'à 45 % en 1999 ? (« Hou ! » sur les bancs du groupe UMP.) La taxe carbone ne les augmentera en rien, car nous nous sommes engagés, et c'est vous qui le contrôlerez, à en restituer intégralement le produit aux Français, sous forme d'une baisse d'impôt sur le revenu, d'un crédit d'impôt ou par le biais de la réforme de la taxe professionnelle. Moi, je suis fier…
…que la France soit aujourd'hui à la tête du combat contre les changements climatiques.
Je suis fier aussi que le gouvernement que je dirige mette en oeuvre les engagements pris par le Président de la République dans sa campagne électorale. Car l'un des principes fondamentaux de la démocratie, c'est le respect des engagements que l'on prend. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Vous pourriez aussi vous en souvenir s'agissant de la taxe carbone. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à Mme Edwige Antier, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Madame la ministre de la santé et des sports (« Ah ! » sur les bancs du groupe GDR), nous sommes aujourd'hui confrontés au développement de l'épidémie de grippe A, dite H1N1. Il est important de lutter, comme vous le faites, contre la propagation de cette nouvelle grippe en enseignant certaines attitudes aux Français et en mettant à disposition les moyens d'éviter la propagation individuelle du virus d'une personne à une autre.
La question que je vous pose aujourd'hui, c'est celle non seulement d'une nouvelle députée, mais aussi d'un pédiatre, d'un médecin qui a pu voir sur le terrain combien les mesures mises en oeuvre et la pression exercée pour que les forces de santé soient efficaces ont été importantes. Nous, médecins, avons tous reçu ces informations sur le terrain, et nous savons qu'il s'agit d'un effort justifié et responsable.
Madame la ministre, je vous demande de dresser devant nous le bilan des mesures que vous avez prises : quelle est leur efficacité ? Pouvez-vous nous dire également les mesures que vous prévoyez en cas d'aggravation de l'épidémie ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports.
Madame la députée, la France se prépare depuis de nombreuses années à une pandémie grippale. Elle a élaboré un plan avec l'aide du Parlement, largement associé à sa préparation.
J'entends d'ailleurs poursuivre ce travail de transparence avec le Parlement. C'est ainsi que je serai longuement auditionnée demain, à l'invitation du président Méhaignerie, par la commission des affaires sociales, comme je m'y étais engagée au mois de juillet. À la demande du président Accoyer, ce débat sera diffusé sur La Chaîne parlementaire, afin que nos concitoyens bénéficient de l'information la plus large possible.
Madame la députée, vous avez raison de souligner les efforts considérables réalisés par les professionnels de santé, que ce soit en ville ou à l'hôpital ; je tiens moi aussi à les remercier.
Parce que nous sommes en présence d'un virus beaucoup moins sévère que ce que nous craignions, nous avons adapté notre dispositif, en passant le relais à la médecine de ville. Nous avons également, pour parer à toute éventualité, renforcé le système hospitalier, les centres 15 et les services de réanimation, élaboré les plans de continuité des administrations, enrichi l'information tant à destination des médecins que de nos concitoyens, en présentant les « gestes barrières », et préparé une campagne de vaccination.
Tout cela est conduit sous le pilotage du ministre de l'intérieur, Brice Hortefeux. (« Aïe, aïe, aïe ! » sur les bancs du groupe SRC.) Nous sommes pleinement mobilisés, mais vous avez aussi souligné à juste titre, madame la députée, qu'il s'agissait d'un effort collectif, auquel tous nos concitoyens sont invités à participer. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et NC.)
En l'absence de M. le ministre de l'agriculture, retenu à Rennes pour l'inauguration du Salon des productions animales, j'interrogerai M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le secrétaire d'État, au nom de mes collègues du groupe Nouveau Centre, je voudrais interroger une nouvelle fois le Gouvernement sur la situation préoccupante de l'agriculture, et en particulier sur la situation des producteurs de lait. Au cours de ces derniers mois, nous n'avons cessé d'interpeller le Gouvernement sur la baisse des revenus des producteurs laitiers et sur le prix anormalement bas payé aux producteurs.
Un accord a été signé le 4 juin dernier. Pouvez-vous nous faire le bilan de son application ? La situation est si difficile sur le terrain que bon nombre de producteurs se sont engagés dans une grève du lait ; il s'agit d'un acte de désespoir.
Des incertitudes pèsent sur l'avenir de tout le secteur laitier, notamment au plan européen, quant à la pérennité des mécanismes de régulation de la production. Il n'y a pas d'avenir pour notre industrie agroalimentaire, vous le savez, sans une agriculture qui assure aux producteurs un revenu décent.
Le Président de la République lui-même a annoncé la semaine dernière un projet de loi de modernisation de l'agriculture, qui sera l'occasion de fixer des objectifs à l'ensemble du monde agricole.
Dans l'immédiat, monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous faire part concrètement de l'action du Gouvernement, tant au plan national qu'européen, en faveur des producteurs laitiers ? (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur quelques bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation.
Monsieur le député Hunault, vous avez raison de poser cette question, tant la situation des producteurs laitiers est aujourd'hui difficile face à l'effondrement des cours des produits laitiers sur le marché mondial.
Le Gouvernement, sous la direction et l'impulsion du Premier ministre, a été réactif. Le 15 juillet, Bruno Le Maire et moi-même avons réuni l'ensemble des acteurs de la filière laitière pour dégager un certain nombre de solutions. Je vais vous en présenter un bilan d'étape.
Le 1er octobre, nous réunirons à nouveau l'ensemble des producteurs pour faire le point non seulement sur les mécanismes de contractualisation justes et efficaces des prix du lait, mais aussi sur les moyens de renforcer la compétitivité de la production et de la transformation.
À court terme, vous le savez, nous avons adopté un plan d'urgence en direction des jeunes agriculteurs. En outre, le 29 juillet, nous avons rendu publics, dans un souci de transparence, les prix et les marges dans le secteur. Enfin, une réflexion importante sera conduite sur l'étiquetage et l'origine nationale des produits laitiers.
Vous le voyez, monsieur le député, le Gouvernement déploiera tous ses efforts pour soutenir les producteurs laitiers français dans cette situation très difficile. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Bernard Cazeneuve, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Ma question, à laquelle j'associe mes collègues Jean Launay et Jérôme Cahuzac, s'adresse à M. le Premier ministre. Elle porte sur la crise très grave que traverse l'agriculture depuis plus d'un an, et qui affecte très profondément les exploitations de notre pays.
Cette crise est d'abord celle du libéralisme, mais elle est amplifiée par un certain nombre de décisions prises par votre gouvernement et par votre majorité depuis le début des années 2000. Prenons trois exemples concrets : était-il nécessaire en 2003, pour aider l'agriculture, que le ministre de l'agriculture de l'époque, Hervé Gaymard, accepte à Luxembourg la suppression des quotas laitiers, privant ainsi le gouvernement français de la possibilité d'obtenir le meilleur prix en régulant les quantités ? Est-il nécessaire, pour aider les agriculteurs, que la ministre de l'économie accepte la mise en place des préconisations de la direction générale de la concurrence visant à supprimer le comité interprofessionnel des prix ? Rappelons que ce comité assurait, dans une logique de filière, la possibilité pour la profession de réguler les prix pour que les agriculteurs obtiennent un juste revenu. Était-il nécessaire, quand on veut soutenir les agriculteurs, de mettre en place, il y a quelques mois, la loi de modernisation de l'économie ? Elle a totalement dérégulé les relations entre les producteurs et les distributeurs (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe SRC), au détriment des premiers et au profit des seconds, aboutissant à ce résultat peu heureux : aucune diminution des prix à la consommation, mais une baisse de 30 % des revenus des agriculteurs !
Monsieur le Premier ministre, votre gouvernement amplifie la politique libérale de la Commission européenne…
…en aggravant le sort des agriculteurs. Allez-vous renoncer à une telle politique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation.
Monsieur le député, je vous prie tout d'abord d'excuser Bruno Le Maire ; il aurait aimé vous répondre, mais il participe cet après-midi au Salon des productions animales à Rennes. Mais je tiens à vous annoncer qu'il a obtenu ce matin, lors du Conseil européen informel qui a eu lieu en Suède, que deux États membres supplémentaires se joignent aux seize autres pour signer une déclaration en faveur d'un plan franco-allemand visant à une régulation du système pour garantir de meilleurs revenus aux producteurs de lait.
Cette régulation, nous allons la mettre en oeuvre. Vous le voyez, notre action commence à porter ses effets. (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Je précise que la commissaire à l'agriculture, Marianne Fischer Boel, a indiqué à Bruno Le Maire qu'elle demanderait l'examen de la proposition franco-allemande devant les instances communautaires.
Vous avez parlé, monsieur Cazeneuve, de contractualisation et d'équité. À cet égard, je tiens à vous répondre que la LME n'a rien à voir avec la caricature que vous en avez faite. Avant la fin du mois, Christine Lagarde et moi allons déposer plainte contre plusieurs centrales d'achat de grandes surfaces en raison des contrats abusifs qui ont été passés entre producteurs et distributeurs.
Cette loi est équilibrée. Elle donne, certes, plus de possibilités de concurrence, mais elle permet aussi de veiller à assurer l'équilibre et l'équité des contrats entre producteurs et distributeurs. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Charles-Ange Ginesy, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire
Ma question s'adresse à Madame Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie auprès du Ministre d'État.
Madame la secrétaire d'État, j'enfonce une porte ouverte en disant que le réchauffement climatique est une évidence : la température de la terre a augmenté de 0,74 degré depuis un siècle, et les prévisions pour l'Europe font état d'une augmentation située entre 1,4 et 5,8 degrés à l'horizon 2100. Il serait présomptueux de prétendre que l'homme serait en totalité responsable de ce réchauffement….
…mais j'y vois le signal impératif d'une prise de conscience : il nous faut impérativement aboutir à une réduction de la production de carbone. Au passage, je félicite le Gouvernement, en particulier le ministre Jean-Louis Borloo, qui a su tirer la meilleure réflexion possible du Grenelle I.
Nous en sommes aujourd'hui à l'acte II du Grenelle de l'environnement, et la France a décidé de prendre les devants par l'instauration d'une taxe carbone – en fait une contribution climat-énergie beaucoup plus qu'une taxe. Quoi qu'il en soit, ce dispositif est absolument indispensable. Néanmoins, nous savons combien il est difficile pour les citoyens de percevoir les modalités pratiques de la mise en oeuvre de cette contribution. Chacun sait que les Français ne sont pas égaux en fonction du lieu de leur habitat, de leur niveau de revenus, de leur mode de chauffage et de leur mode de transport.
Je souhaiterais donc savoir, madame la secrétaire d'État, comment la compensation aux ménages et aux entreprises sera concrètement mise en oeuvre : pouvez-vous me confirmer que la collecte réalisée sera effectivement redistribuée dans l'objectif d'une diminution de la production carbone ? Les propos du Premier ministre vont dans ce sens et je l'en remercie. Par ailleurs, le Gouvernement envisage-t-il de mettre en oeuvre une différenciation entre ménages selon qu'ils sont ruraux, urbains, imposables ou non ? Enfin, la compétitivité des entreprises françaises s'en trouvera-t-elle diminuée ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie.
Monsieur Ginesy, je vous prie d'excuser l'absence de Jean-Louis Borloo, retenu au Sénat pour l'examen du projet de loi dit « Grenelle II ».
Vous avez eu raison de remettre en perspective le débat sur la taxe carbone. Il faut se souvenir que tous les candidats à l'élection présidentielle ont signé le pacte écologique qui prévoyait une telle taxe. La très grande majorité des députés l'ont également signé, et l'Assemblée l'a voté à la quasi-unanimité, dans le cadre du texte dit « Grenelle I ».
La taxe carbone, qu'est-ce que c'est ? Il s'agit tout simplement de la mise en place d'un signal-prix pour changer nos comportements. Il faut cesser de mentir aux Français : on ne pourra pas lutter contre les changements climatiques sans modifier profondément nos comportements. Le principe de la taxe repose sur la logique du bonus-malus.
J'ajoute que les recettes de la taxe carbone seront intégralement reversées aux Français ; pas un euro n'ira dans les caisses de l'État. Ce reversement intégral s'effectuera pour les entreprises via la réforme de la taxe professionnelle et, pour les particuliers, via un chèque vert – crédit d'impôt ou baisse de l'impôt sur le revenu. Je le répète : pas un euro supplémentaire dans les caisses de l'État.
De plus, la taxe carbone sera juste parce que nous tiendrons compte de la différence de situation entre les ruraux et les urbains, ainsi que de la situation familiale.
Et la compensation de la réduction de l'assiette de la taxe professionnelle ?
les classes moyennes et les plus démunis toucheront plus qu'ils ne dépensent actuellement, et s'ils adaptent leur comportement, ils auront encore un bonus.
Enfin, la taxe carbone sera efficace. On commence à 17 euros parce que l'on ne pourrait pas expliquer aux Français que les entreprises payent la moitié de ce qu'ils devraient, eux, payer. Mais pour que le dispositif soit efficace, le plus important, c'est sa progressivité, avec l'objectif de 100 euros en 2030. Cet objectif doit être inscrit dans le marbre. C'est ainsi qu'a procédé la Suède, aujourd'hui le meilleur élève de l'Europe, et dont le PIB a augmenté de 44 %.
Dans un tel débat, si l'on pense vraiment à nos enfants, il faut cesser les petites batailles et prendre ses responsabilités. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Philippe Vuilque, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Ma question s'adresse à Mme Alliot-Marie, garde des sceaux et ministre de la justice.
Notre assemblée a été victime en mai dernier d'une énorme bourde législative, aux conséquences désastreuses pour la lutte contre les dérives sectaires. Le président de la commission des lois, dans sa frénésie législative (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), nous a présenté une proposition de loi fourre-tout, dite « de simplification et de clarification du droit ». Une disposition de cette loi, votée sans débat le 12 mai dernier par votre majorité – le groupe socialiste, je le rappelle, s'est prononcé contre –, supprime en effet la peine de dissolution d'une personne morale pour escroquerie. Cette disposition était bien mal venue, au moment même ou le parquet de Paris requérait la dissolution de la scientologie pour escroquerie en bande organisée, dissolution qui va devenir impossible.
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Vous n'avez rien vu et rien dit !
Quand on veut simplifier et clarifier le droit, on corrige la forme, mais sans toucher au fond. À plusieurs reprises, en commission des lois, nous nous sommes élevés contre cette façon de travailler dans la précipitation permanente.
Cette affaire scandalise et consterne tous ceux qui, toutes tendances politiques confondues, luttent contre les dérives sectaires, dont mes collègues membres du groupe d'études sur les sectes que j'ai l'honneur de présider.
Je n'ose penser, madame la garde des sceaux, que la chancellerie, voire le Président de la République qui, en d'autres temps, recevait Tom Cruise, scientologue internationalement connu (Protestations sur les bancs du groupe UMP), cautionne cette disposition.
Ma question est simple : que comptez-vous faire pour remédier rapidement à une situation inacceptable et scandaleuse ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
La parole est à Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Monsieur le député, il est inexact de dire que l'Église de Scientologie…
…ne pourrait subir de sanctions du fait des accusations d'escroquerie qui pèsent sur elle.
Vous qui êtes un membre éminent, puisque vous en êtes secrétaire, de la commission des lois, laquelle a examiné la loi du 12 mai dernier,…
…vous devez savoir, car je ne doute pas que vous ayez attentivement participé à ses travaux…
…– et je ne fais peser sur vous aucune des suspicions que vous évoquiez quelque peu légèrement pour d'autres –, vous devez savoir, donc, que si la loi du 12 mai dernier n'a pas repris ni mentionné la dissolution, les textes en vigueur permettent néanmoins de sanctionner de tels actes.
En effet, ils permettent de faire peser sur tout groupement ou association soupçonné d'escroquerie des sanctions qui vont d'une amende ou de la fermeture des locaux jusqu'à l'interdiction définitive d'exercer une activité professionnelle ou sociale.
Les juges du fond n'étant pas tenus par les réquisitions du parquet, ils pourront le cas échéant prononcer l'interdiction définitive d'exercice sur le territoire national à l'égard de la Scientologie.
Cela étant, je suis tout à fait prête, comme j'ai eu l'occasion de le dire, à discuter avec la commission des lois, rapidement si besoin est, d'une nouvelle formulation de la dissolution, en espérant que vous serez présent lors de ce débat. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à M. Jean-Pierre Door, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Ma question s'adresse à monsieur le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville.
Monsieur le ministre, en dix-huit mois à peine, l'entreprise France Télécom a connu près de vingt-trois suicides parmi ses salariés. La semaine dernière, une jeune femme se défenestrait de son bureau à Paris. Hier encore, une salariée était retrouvée inanimée à Metz, après avoir absorbé une quantité importante de barbituriques.
Ces événements sont tragiques. Les familles qui sont touchées dans leur chair se posent toujours la même question : pourquoi ? À titre personnel, je sais qu'il n'y a souvent pas de réponse rationnelle à ces actes. En revanche, l'origine de ces tragédies successives survient dans une entreprise en pleine mutation, ce qui pose à l'évidence la question de l'accompagnement des salariés et celle de la prise en compte des risques psychosociaux dans l'entreprise.
Monsieur le ministre, face à cette situation, vous avez reçu ce matin M. Didier Lombard, président de France Télécom, qui vous a certainement présenté les mesures qu'il prendra pour éviter que d'autres drames se produisent. Pouvez-vous nous en dire davantage sur la teneur de vos discussions avec lui et, surtout, sur les décisions envisagées par l'État pour mieux accompagner les salariés et éviter d'autres drames ? Je vous remercie de votre réponse. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité.
Monsieur le député, je vous remercie de votre question.
Derrière de tels drames, derrière ces suicides et ces événements tragiques, il y a souvent des situations personnelles terribles, mais je pense d'abord aux familles et aux salariés de l'entreprise, qui doivent affronter des moments extrêmement difficiles. Je pense que toute la représentation nationale aura pour les salariés de France Télécom, comme pour les familles des victimes, une pensée émue.
Indépendamment de ce sentiment de partage, la répétition de ces événements ne peut pas nous laisser indifférents, et exige une volonté accrue de la part des pouvoirs publics. C'est pourquoi j'ai souhaité que nous travaillions – nous l'avons fait la semaine dernière avec le président de France Télécom – afin de présenter ensemble un programme d'action.
France Télécom a déjà pris des décisions, d'ailleurs en accord avec mes propres services. D'abord, elle a interrompu jusqu'à la fin du mois d'octobre l'ensemble des mobilités géographiques et professionnelles, des mutations, afin de stabiliser la situation des personnels inquiets au sujet de la suite de leur carrière.
Ensuite, a été mis en place un numéro vert anonyme permettant aux salariés qui ne se sentent pas bien de trouver un interlocuteur – médecin, psychologue, psychiatre – extérieur à l'entreprise, et capable de répondre à leur demande. Enfin, une étude très attentive va porter sur la communication autour des nécessaires mutations de l'entreprise.
De leur côté, les pouvoirs publics ont demandé trois choses. D'abord, j'ai incité très vivement France Télécom à transcrire rapidement l'accord interprofessionnel sur le stress au travail, qui date de 2008 et qui ne l'a pas été à ce jour. Ensuite, France Télécom est invitée à améliorer sa gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Enfin, j'ai demandé au directeur général du travail de suivre les travaux du comité d'hygiène, de sécurité et de conditions de travail de l'entreprise et de m'en rendre compte régulièrement. Nous travaillons la main dans la main. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Monsieur le Premier ministre, vous avez déclaré cet été, pour justifier l'arrivée de M. de Villiers dans la majorité présidentielle, que tous les républicains y avaient leur place. S'agissant de M. de Villiers, vous avez fait preuve soit de beaucoup d'humour, soit d'une bien étrange conception de la République (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et GDR – Exclamations sur les bancs du groupe UMP) ; mais le doute était encore permis. Lors de l'université d'été de l'UMP à Seignosse et depuis celle-ci, hélas, vos ministres ont fait assaut de « beauferie » et de poujadisme, illustrant ce qu'est, aujourd'hui, le centre de gravité politique de votre majorité. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Ainsi le ministre Besson, importuné par une question sur M. de Villiers, s'est permis des gestes obscènes à l'adresse d'une équipe de journalistes. Quant à celui qui fut le premier ministre de l'identité nationale de l'histoire de la Ve République, et qui est aujourd'hui en charge des cultes, il s'est livré à des échanges douteux que ses multiples et diverses explications n'ont fait qu'aggraver. (Vivez exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Quoi qu'il ait dit ou voulu dire, il n'a surtout rien trouvé à redire à ces militants UMP qui l'entouraient et le pressaient de faire une photo avec un jeune homme au motif que celui-ci était catholique, mangeait du cochon et buvait de la bière !
« Quand il y en a un, ça va, c'est quand il y en a plusieurs que ça pose des problèmes », a-t-on entendu. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Le doute n'est malheureusement plus permis, monsieur le Premier ministre : c'est bien plus qu'un malentendu qu'il vous faut dissiper. C'est à vous qu'il revient de clarifier les choses, puisque M. Hortefeux, refusant de présenter ses excuses, a seulement exprimé ses « regrets » devant l'émotion suscitée. (Vives exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Si votre vision de la nation n'est pas celle qui s'est exprimée à Seignosse… (Huées sur les bancs du groupe UMP.)
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Scandaleux !
Mes chers collègues, je vous en prie !
La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.
Madame la députée, vous avez évoqué les problèmes éthiques liés à certains comportements, et vous vous êtes faite l'écho d'une polémique sur laquelle certains membres de votre groupe se sont exprimés avec pondération et sens des responsabilités.
Hier soir, j'étais invité à un dîner de rupture du jeûne…
…aux côtés des responsables du culte musulman et de toutes les autorités religieuses, ainsi que d'un certain nombre de membres du groupe socialiste du Sénat. À cette occasion, j'ai exprimé mes regrets (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC)…
…s'agissant d'une polémique que j'estime violente, injuste et inutile. J'ai regretté qu'en raison d'une interprétation inexacte, certains aient pu être blessés dans leur être et leurs convictions ; j'ai également exprimé mon respect à l'égard de tous ceux qui vivent sur notre sol, quelles que soient leurs convictions et leur religion.
Mais l'éthique, madame la députée, ne s'applique pas seulement aux ministres : elle vaut aussi pour tous les responsables publics, pour tous les responsables des familles politiques, pour tous les élus. N'y voyez aucune agressivité, mais où sont les regrets de celui qui avait traité les harkis de « sous-hommes » ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe NC.) Où sont les explications, à l'heure où un livre dénonce des fraudes massives au sein d'une famille politique que vous connaissez bien ? (Mêmes mouvements.) La fraude, n'est-ce pas le contraire de l'éthique ?
L'éthique, madame la députée, ce n'est ni l'attaque ad hominem, ni le lynchage médiatique, ni la vindicte personnelle. Personne, je vous le dis très sereinement, ne me détournera de la mission que m'ont confiée le Président de la République et le Premier ministre : assurer la sécurité et la tranquillité des Français. (De nombreux membres du groupe UMP se lèvent et applaudissent longuement. – Applaudissements sur les bancs du groupe NC. – Exclamations sur plusieurs bancs des groupes SRC et GDR.)
La parole est à M. Bruno Bourg-Broc, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Madame la ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, notre assemblée va examiner cet après-midi le projet de loi pénitentiaire adopté par le Sénat.
Ce texte a été l'occasion d'engager une concertation très large avec les différents partenaires politiques, syndicaux et associatifs ; je me félicite donc de son aboutissement. L'amélioration des conditions de détention doit être l'une de nos priorités ; aussi les fortes attentes soulevées par ce projet de loi sont-elles à la mesure des grands enjeux qu'il engage.
Madame la garde des sceaux, le projet de loi pénitentiaire, mûrement réfléchi, est aujourd'hui très attendu car il est fondateur pour les prisons françaises. Pouvez-vous nous en indiquer brièvement les grandes lignes ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme la ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Le projet de loi pénitentiaire, monsieur Bourg-Broc, est en effet un texte important. Il tend à donner une réponse moderne aux trois finalités de l'incarcération, qu'il convient d'envisager globalement.
L'incarcération vise d'abord, ne l'oublions jamais, à protéger la société contre des personnes qui présentent un risque pour elle. Sa deuxième finalité est la sanction d'actes de délinquance ayant causé du tort à autrui, et la troisième, essentielle si l'on veut éviter la récidive, la réinsertion des détenus.
Telles sont précisément les trois finalités qui inspirent le texte. Son premier objectif est d'apporter une réponse au problème des sanctions prononcées par le juge puisque, chaque année, 30 000 d'entre elles ne sont pas exécutées : les aménagements de peine, et notamment le bracelet électronique, doivent y remédier.
Il va par ailleurs de soi qu'il faut préparer la réinsertion. Celle-ci est liée aux conditions d'accueil des détenus, auxquels doivent être réservées le nombre de places nécessaires. À cet égard, je le rappelle, c'est depuis 2002 que le plus gros effort de constructions a été fourni.
C'est aussi la qualité de l'accueil qu'il convient d'améliorer : le détenu ne doit pas être coupé de la société où il reviendra. Tel est l'objet des différents droits qui, parallèlement à ses devoirs, lui seront octroyés. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Monsieur le ministre du travail, le cinéaste Jean-Michel Carré a réalisé il y a quelques années un documentaire intitulé J'ai mal au travail. En France, aujourd'hui, on meurt du « mal au travail ». Contrairement à ce que vous avez dit, il ne s'agit pas simplement de mieux communiquer sur les mutations à France Télécom, mais de repenser l'organisation du travail dans cette entreprise. Il ne s'agit pas simplement de situations personnelles, mais d'un drame social.
Hier encore, à Metz, une salariée de France Télécom a fait une tentative de suicide. Après vingt-trois décès en dix-huit mois, il y a urgence sanitaire, monsieur le ministre. L'État est l'actionnaire principal de cette entreprise. Nous attendons donc des décisions immédiates.
Au-delà de France Télécom, le nombre de suicides liés au stress n'est pas connu en France : c'est, en soi, un scandale. On parle pourtant de trois cents, de six cents, voire de mille cas par an ! Le rapport Stiglitz, rendu hier, montre que la richesse d'un pays ne s'estime pas à l'aune de son seul PIB, mais aussi au regard du bien-être de sa population. Nous devons considérer le suicide au travail comme un problème social majeur, comme le symptôme d'une société qui dysfonctionne.
Le 12 mars 2008, après des suicides chez Renault, PSA, IBM et EDF, le rapport Nasse-Légeron a été remis au ministre du travail de l'époque, M. Xavier Bertrand. Ce rapport préconisait le recensement des suicides au travail, la pratique d'autopsies psychologiques et le lancement d'une campagne publique d'information sur le stress au travail. Or, rien n'a suivi.
Nous vous demandons de redonner toute sa place à la médecine du travail, qui perd ses effectifs, et d'encourager les travaux de l'Institut de veille sanitaire en ce domaine. À chaque suicide dans une entreprise, une enquête doit être réalisée par un médecin du travail, et ses recommandations impérativement mises en oeuvre. Monsieur le ministre, nous vous demandons de faire de la santé au travail une priorité de politique publique ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
La parole est à M. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville.
Comme vous l'avez suggéré dans votre question, madame la députée, l'heure n'est pas à dénoncer ou à chercher des responsables à tout prix et à créer un climat plus tendu encore au sein de France Télécom. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
En revanche, nous devons nous demander pourquoi le stress au travail et les maladies psychosociales pèsent aujourd'hui si lourd dans beaucoup de nos entreprises. Sur ce point, nous sommes d'accord.
Cependant, je ne peux pas vous laisser dire que la question n'a pas été prise à bras-le-corps par le ministère du travail, et ce bien avant mon arrivée. À la suite du rapport Nasse-Légeron, nous avons demandé un bilan du premier plan de santé au travail. Le deuxième plan de santé au travail, qui sera lancé dans quelques semaines, privilégie précisément le domaine des maladies psychosociales et du stress au travail dans le cadre de l'aide aux salariés.
Sans m'ingérer aucunement dans l'entreprise France Télécom, je vous accorde que toutes les grandes entreprises doivent à tout prix transcrire dans leurs règlements l'accord interprofessionnel sur le stress au travail. De même, je suis d'accord sur le fait que l'État doit être vigilant.
Voilà pourquoi, en accord avec Mme Lagarde, le représentant de l'État au sein du conseil d'administration de France Télécom, M. Bruno Bézard, suivra la situation avec la plus grande attention. Voilà pourquoi le directeur général du travail, M. Jean-Denis Combrexelle, me rendra régulièrement compte de la situation du travail à France Télécom. Enfin, je vous le répète, madame Filippetti, voilà pourquoi nous allons prendre très au sérieux la question du stress et des suicides au travail. Ce sera l'objet principal du deuxième plan de santé au travail qui sera lancé dès le mois de décembre.
La parole est à M. Michel Diefenbacher, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Chacun sait, madame le ministre de l'économie, que pour tenir le cap, il faut avoir une bonne boussole. De même, pour conduire une politique économique, il faut disposer d'un bon outil statistique.
En matière économique, l'instrument de mesure essentiel est le produit intérieur brut. Encore faut-il que le PIB, tel qu'il est calculé, rende vraiment compte de la santé d'une économie. C'est ce que conteste le remarquable rapport que vient de remettre au Président de la République le professeur Joseph Stiglitz, au nom de la commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social. Que dit ce rapport ? Deux choses, pour l'essentiel.
Il dit, tout d'abord, que le PIB mesure des richesses matérielles, alors que les richesses d'aujourd'hui sont de plus en plus immatérielles : ce sont la santé, la sécurité, la paix sociale, la qualité de la vie ou encore la protection sociale. Il dit, en second lieu, que, si l'activité économique d'aujourd'hui obère celle de demain, elle n'est plus une richesse, mais une menace. Là est toute la question de la durabilité des politiques économiques. À cet égard, le professeur Stiglitz propose une réflexion sur ce qu'il convient d'appeler une véritable refondation de notre appareil statistique.
Je vous poserai trois questions, madame le ministre. Le Gouvernement partage-t-il cette analyse ? Si oui, quelles suites donnera-t-il à ce rapport ? Enfin, notre réflexion ne pouvant demeurer franco-française dans une économie mondialisée, comment étendre les mesures que vous prendrez à l'Europe et au monde ? (Applaudissements sur quelques bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.
Vous avez raison de poser cette question, car la mesure que l'on fait de toute chose concerne directement votre assemblée. Comment pourrions-nous utiliser de mauvais instruments pour mesurer les effets des réformes que vous votez ? Voilà l'un des enseignements que l'on peut tirer du rapport Stiglitz, que vous avez évoqué.
Dès le mois de février 2008, le Président de la République avait demandé à M. Jean-Paul Fitoussi, à M. Joseph Stiglitz et au professeur Amartya Sen de rassembler cinq lauréats du prix Nobel, ainsi que d'autres économistes, afin de nous dire si nous mesurons correctement la croissance, la qualité et la valeur de notre économie. Quels enseignements pouvons-nous tirer de leur rapport ? J'en citerai deux.
En premier lieu, il convient d'accorder beaucoup plus d'importance au capital humain et à notre environnement. C'est exactement ce que nous faisons avec la réforme de la formation professionnelle, avec le Grenelle de l'environnement et avec la taxe carbone.
Ensuite, il faut accorder bien plus d'importance à la mesure médiane des revenus. C'est là aussi un enseignement que nous mettons en oeuvre en tentant d'éliminer un tiers de la pauvreté en France et en généralisant le revenu de solidarité active.
Il va de soi que nous entendons, à l'avenir, nous inspirer du rapport Stiglitz : j'ai demandé au directeur général de l'INSEE de prendre en compte ses douze recommandations, afin de modifier les instruments de mesure et de nous assurer que nous valorisons notre économie. Cela étant, il ne suffit pas de modifier nos propres instruments ; encore faut-il élargir cette mesure. J'ai donc suggéré au directeur général de l'OCDE de modifier un certain nombre d'instruments et de proposer ces modifications à la communauté internationale, afin que nous puissions mieux calculer ce que nous consommons, ce que nous produisons, ce que nous répartissons, et que nous puissions également multiplier les bonnes pratiques, au lieu de s'obstiner dans la mesure du seul PIB. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
Rapport Stiglitz
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze.)
Dans les explications de vote, la parole est à M. Philippe Gosselin, pour le groupe UMP.
Monsieur le président, madame la ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, monsieur le ministre de la culture et de la communication, monsieur le secrétaire d'État à la justice, mes chers collègues, après des dizaines d'heures de débats, de nombreuses répétitions…
…– je passerai sur le coup de théâtre du 9 avril dernier et la décision du Conseil constitutionnel ! – nous voilà donc enfin sur le point d'adopter ce fameux projet de loi.
Enfin, enfin, enfin ! Car, en effet, les dernières enquêtes sur la santé de la musique en France nous donnent raison : « 2009, nouvelle année noire pour l'industrie musicale » titre, le 11 septembre dernier, un journal du Midi. Au premier semestre, les CD continuent leur chute.
Les supports physiques – CD, DVD –, soit 83 % du marché, ont chuté de 21 %. Dans le même temps, la vente des musiques numériques n'a augmenté que de 3 % – on voit le delta extraordinaire ! Le chiffre d'affaires, quant à lui, a baissé de 50 millions d'euros en six mois, plongeant à un peu plus de 229 millions d'euros. Depuis 2002, la France est le pays qui a le plus souffert.
Par ailleurs, en 2008, pour la première fois depuis de longues années, le solde des contrats rendus à des artistes – quatre-vingt-quatre – et des contrats nouvellement signés – soixante-neuf – est négatif ! Voilà l'état de la création en France !
C'est dans ce contexte que le projet de loi intervient aujourd'hui. Si l'on veut protéger la création en France, les artistes, il faut être pédagogue,…
…faire comprendre aux gens, et pas seulement aux jeunes – comme a voulu le faire croire une certaine rhétorique –, que la propriété, fût-elle intellectuelle, donc immatérielle, est aussi à protéger et à défendre.
Internet est un formidable espace de liberté, c'est vrai, et, sur tous les bancs, nous y sommes très attachés. Mais ce ne peut être la loi de la jungle. Il ne peut y avoir de liberté sans responsabilité. Je m'étonne d'avoir entendu l'opposition rappeler plusieurs fois – et elle le répétera sans doute tout à l'heure – que l'encadrement qui nous paraît s'imposer est assez fâcheux, elle qui est d'habitude si prompte à défendre la régulation.
Internet ne peut être la liberté de tout faire. Sinon, c'est la fable du renard libre dans le poulailler libre : vous savez ce qu'il en advint.
Le texte que nous allons voter complète celui qui a été adopté en juin et tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel.
Il forme un ensemble pédagogique et dissuasif. Je ne reviendrai pas sur ses aspects techniques.
J'ajoute que la suite est déjà dans les tuyaux. On parle même de HADOPI 3. Le 3 septembre, le ministre de la culture a confié au producteur Patrick Zelnick une mission pour améliorer l'offre légale de musique et de films sur internet. Et il le faut, parce que l'offre doit être élargie, les prix doivent continuer à baisser, et l'on doit avoir un vrai choix.
Sans doute ce projet de loi n'est-il pas gravé dans le marbre de façon définitive. La technique, la technologie évoluant, il faudra sans doute s'adapter. Mais nous n'avons jamais prétendu le contraire. Peut-être les règles classiques de l'économie ne peuvent-elles être seulement celles du numérique. Sans doute faudra-t-il des ajustements. Cette économie numérique se cherche encore aujourd'hui. Il n'empêche : on ne peut se satisfaire de la loi du clic et du toc que semblent défendre certains. Voilà pourquoi, mes chers collègues, le groupe UMP votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, après le désaveu cinglant infligé au Gouvernement par le Conseil constitutionnel, lors de sa censure historique du 10 juin dernier, on aurait pu espérer que vous en resteriez là. Or, il n'en a rien été. Vous avez préféré récidiver et persévérer dans votre erreur. Sous pression élyséenne, HADOPI 2 a donc succédé à HADOPI 1. Et nous avons débattu, jusqu'à la dernière seconde de la session extraordinaire du mois de juillet, d'une nouvelle usine à gaz créant, sur le plan juridique, un véritable régime d'exception.
Pour contourner la décision du Conseil constitutionnel qui a estimé que seule l'intervention du juge permettait de garantir la liberté d'expression et de communication, vous avez délibérément fait le choix d'une justice expéditive.
Nous contestons totalement le recours aux ordonnances pénales tant les droits de la défense y sont réduits à portion congrue et parce que cette procédure concernait jusqu'à présent des infractions difficilement contestables, ce qui est tout le contraire lorsqu'il s'agit de téléchargements sur internet.
Un député du groupe UMP. C'est du vol !
Nous contestons vivement la modification soudaine du régime des ordonnances pénales, qui permettent au juge, en l'espèce seulement, de statuer en même temps au pénal et au civil.
Nous contestons fortement le fait que le juge sera pris en tenaille par la HADOPI en amont, puisqu'elle constituera le dossier visant à l'incrimination, et en aval, puisque – exception notable – elle fera exécuter les peines prononcées.
Nous contestons vigoureusement la création d'une sanction pour négligence caractérisée au seul motif de contourner la difficulté matérielle de prouver le délit de contrefaçon.
En recourant à nouveau à un dispositif qui permet de sanctionner un internaute qui n'est pas l'auteur du téléchargement contesté, vous violez de manière flagrante le principe selon lequel « nul ne peut être puni que de son propre fait ».
Nous nous insurgeons enfin contre ce texte parce que nous considérons qu'il faut être irresponsable pour bloquer ainsi stérilement la nécessaire adaptation du droit d'auteur à la révolution internet en cours. DADVSI en 2006, HADOPI 1 et 2 aujourd'hui ne sont, à cet égard, que des lois de retardement. Et durant tout ce temps perdu, les créateurs ne toucheront pas un euro de plus puisque vous avez constamment rejeté notre proposition de contribution créative. Là est le vrai scandale.
De plus, comme pour les tests ADN, seul l'effet d'annonce compte.
Vous vous préoccupez si peu de l'application des lois, ou alors vous croyez si peu aux effets des dispositions que vous nous faites voter, que, avant même l'adoption définitive de HADOPI 2, vous avez lancé une mission confiée à un trio Zelnick-Cerutti-Toubon aussi exotique que masculin. Cherchez l'erreur ! En l'occurrence, elle saute aux yeux, puisque vous avez une nouvelle fois écarté toute représentation des internautes et des consommateurs.
En ce qui nous concerne, nous considérons que, en révolutionnant les modes de production et de diffusion, internet permet d'atteindre ce qui est l'objectif central, que vous avez visiblement oublié, de toute politique culturelle : l'accès du plus grand nombre aux contenus du savoir, de la connaissance et des loisirs.
Nous voulons sortir de la logique actuelle perdant-perdant : perdant pour les internautes considérés comme des suspects en puissance ; perdant pour les artistes qui voient le temps passer, les lignes Maginot contournées les unes après les autres, et qui constatent qu'aucune rémunération nouvelle n'émerge.
Nous avons l'ambition d'inventer un nouveau modèle de régulation assurant à l'offre culturelle les financements dont elle a besoin pour se développer. À défaut, c'est la loi de la jungle assurée, qui permet déjà aux plus puissants de négocier, dans leur coin, des licences privées dont sont exclus les auteurs et les artistes. Or, c'est justement pour les protéger que le droit d'auteur a été créé.
En un mot, avec HADOPI 2 comme avec HADOPI 1, vous avez tout faux et c'est la raison pour laquelle notre groupe votera contre ce projet de loi qui, le moment venu, fera l'objet d'un recours devant le Conseil constitutionnel. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mes chers collègues, je fais d'ores et déjà annoncer dans l'enceinte de l'Assemblée nationale le scrutin public sur le vote de l'ensemble du projet de loi.
Pour le groupe GDR, la parole est à M. Jean-Pierre Brard.
Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, nous ne cacherons ni notre colère ni notre déception à quelques minutes d'un vote qui, à l'issue de plus de cent heures de débats, marquera cette législature d'un triste sceau.
Nous avions déjà consacré plus de soixante heures à DADVSI, qui se révéla, comme nous l'avions prévu – et pour cela nous n'avions pas besoin de boule de cristal ! –, totalement inutile et inapplicable. Mais, pressés par les appétits mercantiles des intermédiaires de l'industrie culturelle, majors de l'industrie du disque et gros producteurs de cinéma, Pascal Nègre et Marin Karmitz en tête, vous avez persisté en présentant HADOPI 1, une loi techniquement inadaptée et liberticide.
Sachant que 40 % des ordinateurs sont piratés et contrôlés à distance, nul ne devrait être tenu pour responsable des informations qui transitent sur sa connexion, ni être sanctionné par une coupure qui, comme le disait si justement notre collègue Didier Mathus, s'assimile à une mort sociale électronique.
La censure du Conseil constitutionnel est venue confirmer notre position et celle du Parlement européen : aujourd'hui, ne vous en déplaise, l'accès à internet est un élément constitutif des libertés fondamentales d'expression et de communication. La coupure de cet accès est donc une atteinte grave aux libertés et ne pouvait être prononcée que par un juge, non par une autorité administrative créée de toutes pièces. Cette HADOPI 1 était plus proche d'une milice des majors monopolistiques que d'une institution indépendante à visée pédagogique, comme le prétendait Mme Albanel et comme le répétait tout à l'heure M. Gosselin.
Monsieur Mitterrand, vous qui êtes le ministre des mots, je vous propose de créer un nouveau groupe nominal : « ministre émérite », titre que vous pourrez décerner à M. Donnedieu de Vabres et à Mme Albanel. Vous le savez bien, monsieur le ministre, malgré vos airs patelins, le Gouvernement n'est pas complètement coupable puisque, en violant la Constitution de la Ve République, vous obtempérez aux caprices du Président et à ses promesses de table au Fouquet's.
La dernière mouture du texte, ou HADOPI 2, est encore plus inefficace et scélérate que la précédente. Vous avez maintenu l'inversion de la charge de la preuve, maintenu la présomption de culpabilité doublée d'une procédure d'exception, l'ordonnance pénale, et alourdi les peines avec une amende de 1 500 euros qui concernera y compris les personnes âgées recevant leurs petits-enfants. Acharnés dans votre logique de répression, vous vous êtes rangés du côté de ceux qui placent le lucre, l'appât frénétique du gain au-dessus de la liberté et méprisent ceux-là mêmes qui les font vivre ; ceux dont les bénéfices, qui se chiffrent en millions d'euros, les conduisent dans les paradis fiscaux que sont la Suisse ou Monaco pour y placer leur magot.
Quelle différence entre les simples citoyens et les puissants ! Pour les uns, une justice expéditive et une insécurité juridique ; l'impunité totale pour les autres. Ceux-ci pourront continuer à étrangler les petits artistes et à vendre leurs CD à des prix prohibitifs, puisque vous vous chargez d'assurer la protection de leur chasse gardée. Comme il est écrit dans l'Ecclésiaste (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), « le riche commet une injustice, et il frémit d'indignation ; le pauvre est maltraité, et il demande pardon. » Quel rendez-vous manqué ! Le pouvoir a choisi le leurre et la facilité de la répression.
Nous aurions pu enfin rassembler les créateurs et les internautes, les artistes et leur public, pour inventer le droit d'auteur de demain et permettre l'accès du plus grand nombre à la culture,…
…ainsi que la rémunération des auteurs et des créateurs. Mais, face à des modèles innovants et plus égalitaires d'accès à la culture, vous vous êtes retranchés derrière des principes rétrogrades et des méthodes autoritaires. Comme l'écrivait Beaumarchais, « ne pouvant avilir l'esprit, on se venge en le maltraitant ».
Nous avons défendu les droits de toute la création, et pas seulement de la création lucrative, qui a les faveurs du Gouvernement et bénéficie de son attention.
Avec eux, nous avons harcelé le Gouvernement et nous allons à présent chanter le requiem de cette loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, nous écrivons aujourd'hui le dernier chapitre de la discussion du projet de loi HADOPI, dont les rebondissements et les discussions passionnées n'ont d'égal que ceux des séries télévisées à succès.
Je vous invite à prendre un peu de hauteur et à imaginer quelle sera la vie culturelle dans une vingtaine d'années, si nous laissons libre cours au téléchargement illégal. Quasiment plus personne n'achètera de CD ni de DVD. Les maisons de disques verront leur chiffre d'affaires disparaître, licencieront en masse et ne signeront plus de contrats avec de nouveaux artistes. Il n'y aura plus de maisons de disques indépendantes. Plus personne ne fréquentera les salles de cinéma. Est-ce ce que nous voulons pour nous, pour nos enfants et pour les générations à venir ? Pour en rester à la production française, êtes-vous prêts à accepter qu'il n'y ait plus de films d'Alain Resnais ou de Cédric Klapisch, plus d'Alain Souchon, plus de Christophe ? C'est finalement de la survie de l'exception culturelle française qu'il s'agit. L'enjeu n'est pas mince, et impose que l'on dépasse les clivages politiques.
Après avoir salué l'excellent travail de mon collègue et ami Jean Dionis du Séjour, qui a su poser au bon moment les bonnes questions (Applaudissements sur les bancs du groupe NC), je présenterai la position de ceux, majoritaires dans notre groupe, qui ont décidé d'adopter ce projet de loi. Oui, nous approuvons le choix de la pédagogie, de la prévention et de la responsabilisation.
Oui, la riposte graduée et progressive est une solution qui va dans le bon sens. Oui, ce texte est équilibré et garantit toutes les libertés : la liberté des créateurs et des artistes, avec des droits qu'il faut leur reconnaître, la liberté d'expression des internautes et les libertés fondamentales des citoyens garanties par l'autorité judiciaire.
Rappelez-vous la phrase de Lacordaire : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit ». La liberté des pirates s'exerce au détriment des artistes et conduira à leur disparition. Quand il n'y aura plus d'artistes, que feront les pirates ? Que pourront-ils télécharger ? On le voit bien, ce système fondé sur l'illégalité et le pillage court à sa propre perte.
Je rappellerai seulement que, au Nouveau Centre, certains avaient plaidé dès le début pour que ce soit le juge qui prononce la suspension de l'accès à internet. Nous avons également insisté pour renforcer les garanties apportées aux internautes.
Le projet de loi devrait contribuer à sauvegarder, en même temps que des milliers d'emplois,…
…la vitalité de la création qui caractérise notre pays. Ainsi, ce merveilleux vecteur de diffusion cessera de constituer une menace pour l'exception culturelle française. Nous gardons le bon Doctor Jekyll, et nous nous débarrassons du dangereux Mister Hyde.
Pour autant, ne croyons pas, monsieur le ministre de la culture, que nous sommes arrivés au bout du chemin. Il nous reste à définir l'après-HADOPI et le moyen d'assurer la pérennité du financement de la création, ainsi qu'à imaginer un nouveau modèle économique.
Parce que nous espérons que ce projet de loi garantira un nouvel équilibre entre les droits des auteurs créateurs et le droit des citoyens d'accéder à la culture, une large majorité des députés du groupe Nouveau Centre le votera. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très bien !
Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur l'ensemble du projet de loi.
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 527
Nombre de suffrages exprimés 510
Majorité absolue 256
Pour l'adoption 285
Contre 225
(Le projet de loi est adopté.)
La parole est à M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.
et de la communication. Mesdames et messieurs les députés, vos débats concernant la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet, interrompus le 24 juillet, ont été animés, passionnants, constructifs et parfois poétiquement décalés – n'est-ce pas, monsieur Brard ?
À l'issue de ce vote solennel, je tiens à remercier infiniment Mme la ministre d'État, garde des sceaux, Mme Alliot-Marie, qui m'a accompagné durant tous les débats. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Je remercie notre jeune et ô combien brillant rapporteur, M. Franck Riester. Nous avons été très impressionnés par sa maîtrise d'un dossier aussi complexe. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Je remercie enfin Mme Michèle Tabarot, présidente de la commission des affaires culturelles, M. Philippe Gosselin, orateur pour l'UMP, M. Yvan Lachaud, orateur pour le Nouveau Centre, ainsi que M. Jean-François Copé, pour son engagement particulier en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Et tonton ?
Les artistes se souviendront que nous avons eu le courage politique de rompre enfin avec le laisser-faire et de protéger le droit, face à ceux qui veulent faire du net le terrain de leur utopie libertarienne. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Grâce à vous, aujourd'hui, nous sommes en mesure de lancer l'étape suivante, de dégager de nouvelles ressources pour les créateurs et de proposer des offres plus intéressantes de musiques et de films pour les internautes. Ainsi, je vais pouvoir faire des propositions au Président de la République et au Premier ministre avant la fin de l'année, au moment où les lois HADOPI 1 et HADOPI 2 s'appliqueront. Tout sera alors régulé, car tout est lié. C'est de cette façon que nous ferons d'internet une opportunité pour tous, les artistes comme les internautes. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Vote sur l'ensemble
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à seize heures cinquante.)
J'ai reçu de monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement une lettre m'informant de la modification de l'ordre du jour du mardi 22 septembre pour les séances de l'après-midi et du soir.
La discussion sur le rapport de la commission mixte paritaire du projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet, qui était initialement prévue au début de la séance du soir, aura lieu l'après-midi, après le vote solennel sur le projet de loi pénitentiaire.
Le reste de l'ordre du jour de l'après-midi et du soir n'est pas modifié.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, surpopulation carcérale, conditions de détention parfois choquantes : on a dit bien des choses sur les prisons françaises. Mais, dans toute situation, il faut aller au-delà de l'indignation, même légitime, pour agir.
Aujourd'hui, notre responsabilité collective est de donner au service public pénitentiaire les moyens d'exercer ses trois missions : protéger la société en mettant en détention des personnes qui pourraient représenter un danger pour les autres citoyens ; sanctionner les actes de délinquance et les actes criminels ; aider à la réinsertion des détenus. Il ne faut oublier aucune d'entre elles.
C'est bien l'objectif du projet de loi pénitentiaire, adopté par le Sénat le 6 mars dernier. Il s'inscrit dans un processus de réformes engagé depuis sept ans. Depuis 2002 en effet, des efforts sans précédent ont été faits pour moderniser nos prisons. En 2009, la livraison de neuf établissements nouveaux offre 5 000 places supplémentaires. D'ici à 2012, le nombre de places correspondra au nombre de détenus.
La réforme des prisons ne saurait toutefois se limiter à la gestion immobilière. Le projet de loi a aussi pour objectif de répondre aux lacunes et aux insuffisances – il faut savoir reconnaître la réalité et la nommer – du droit pénitentiaire.
Ce droit est souvent régi par des normes réglementaires, alors qu'il porte sur l'exercice des libertés publiques, qui relèvent de la compétence du législateur. Il est complexe, mal ordonné, parfois obscur. Il est enfin, dans un certain nombre de cas, en décalage avec nos engagements européens.
Le projet de loi pénitentiaire vise à mieux définir les missions de l'administration pénitentiaire. Il détermine les devoirs et les droits fondamentaux des détenus. Il précise les régimes, modes de prises en charge et modalités d'action des personnels. C'est donc un texte important, qui marque une étape historique dans notre conception du droit pénitentiaire.
Je tiens à saluer le travail effectué par votre commission des lois, en particulier votre rapporteur, M. Jean-Paul Garraud. Les amendements de votre commission ont permis de mieux prendre en compte les attentes des Français, les besoins de l'administration pénitentiaire et la nécessité de réponses concrètes.
En commission, nos échanges ont été sérieux, constructifs, animés par un sens partagé de l'intérêt général sur ce dossier important pour notre société, qui touche à nos principes et qu'il faut aborder non dans une perspective idéologique, mais avec la volonté toute pragmatique de réaliser nos ambitions et de régler des problèmes qui se posent au quotidien. La qualité du texte reflète la qualité de ces échanges.
Certains qualifient la prison d'école du crime. Nous devons, ensemble, en faire l'école de la lutte contre la récidive. C'est dans cette optique que le projet de loi pénitentiaire vise à moderniser la vie en prison, à l'adapter à un certain nombre de réalités de la société, à développer et à encadrer des modes de sanctions alternatifs ou complémentaires à l'emprisonnement.
En premier lieu, améliorer la vie en prison concerne autant l'administration pénitentiaire que les détenus. Les personnels de l'administration pénitentiaire exercent un métier difficile, qui comporte de nombreux risques, un métier souvent mal connu, et même caricaturé par certains. Or ce sont eux qui font face aux enjeux que représente le milieu pénitentiaire pour notre société.
Permettez-moi – en notre nom à tous, je l'espère – de saluer le professionnalisme des directeurs, des surveillants, de l'encadrement, et du personnel administratif et technique que l'on oublie parfois.
Depuis mon arrivée place Vendôme, j'ai pu, en me rendant dans plusieurs établissements, mesurer leur qualité. Nous pouvons vraiment leur rendre hommage.
D'ailleurs, en leur donnant le statut de « force de sécurité intérieure », le projet de loi reconnaît leur juste place au sein de la chaîne de la sécurité, dont, à travers les différentes fonctions que j'ai eu l'honneur d'exercer, je vous parle depuis plusieurs années, et dans laquelle nous sommes tous associés. Permettre à tous de vivre en sécurité implique en effet, au départ, la participation des familles, de l'école, des collectivités territoriales et notamment des communes, des associations, de la police et de la gendarmerie, de la justice, y compris de l'administration pénitentiaire, et des associations de réinsertion. On oubliait trop, peut-être, que, dans cette chaîne, le personnel pénitentiaire constitue un maillon important pour lutter contre la récidive.
Désormais, un code de déontologie encadrera l'administration pénitentiaire. Il garantira le respect des normes éthiques en milieu carcéral, il améliorera l'efficacité de cette administration, les conditions dans lesquelles elle exerce ses missions, ainsi que son image auprès de ceux qui ne la connaissent que de loin.
Ce projet de loi permet aussi de mieux définir les devoirs et les droits des détenus. Il fournit ainsi un cadre en adéquation avec notre société qui, tout comme la délinquance et le regard porté sur la prison, a évolué. Plus que jamais, nous avons sans doute besoin de la réconciliation de la nation autour d'un certain nombre de principes. La réinsertion des personnes qui, à un moment ou à un autre, ont eu affaire à la justice et à subir une peine de détention fait partie du devoir de préservation de l'unité nationale.
Nous devons tenir compte du fait que le profil des personnes détenues a évolué. Ces dernières sont désormais très diverses : aujourd'hui, on trouve en prison à la fois des détenus qui relèvent de la psychiatrie, et d'autres qui ont été condamnés pour délinquance astucieuse, des hommes et des femmes, des détenus très jeunes, des trafiquants de drogues, des auteurs de crimes passionnels. Évidemment, toutes ces personnes sont différentes, et c'est pourquoi leur sortie de prison ne peut être envisagée de la même manière : pour chacune d'elles, l'après emprisonnement se présente d'une façon spécifique.
Pour mieux préparer la sortie de prison, le parcours de détention doit donc être individualisé. Cela est prévu par le projet de loi, tant dans sa version d'origine qu'après son passage au Sénat. Le régime de détention doit ainsi s'adapter à la personnalité et à la dangerosité du détenu et prendre en compte ses efforts et ses capacités de réinsertion. C'est pourquoi, dès leur incarcération, tous les détenus devront adhérer à un parcours de peine personnalisé au sein duquel ils pourront se former, se soigner et travailler.
De nombreux détenus se retrouvent en prison sans aucune formation : nous sommes confrontés au problème de l'illettrisme, et l'échec scolaire se conjugue souvent avec l'échec social. Il est donc indispensable de faire un effort en matière de formation, tant scolaire que professionnelle.
Les détenus doivent pouvoir se soigner. Je soulignais l'existence de cas psychiatriques lourds en prison : il faut y ajouter le problème de la toxicomanie, que nous rencontrons de plus en plus fréquemment, et qui ne se posait pas avec la même force et la même fréquence il y a cinquante ans.
Enfin, il est prévu que les détenus puissent travailler. En effet, le travail améliore leurs capacités de réinsertion. L'individu qui travaille peut retrouver une valeur et imaginer son rôle dans la société. Le travail lui permet de préparer sa sortie et de trouver un emploi après sa libération.
Il sera ainsi mis un terme à un égalitarisme injuste et inefficace qui a prévalu jusqu'à ces derniers temps ; alors que les situations des détenus sont complexes et diverses, la réponse carcérale a trop eu tendance à être unique.
En ce qui concerne les devoirs et les droits des détenus, nous nous sommes divisés sur la question de l'encellulement individuel. Au-delà de l'énoncé du principe, je crois que cette question mérite un examen approfondi. Énoncer le principe de l'encellulement individuel, en effet, cela n'est acceptable – du simple point de vue du travail législatif – que si cela est réalisable. Quand nous faisons la loi, notre devoir est de prévoir qu'elle sera applicable. Si nous ne prenons pas cette précaution, le regard que le citoyen portera sur notre travail s'en ressentira. Faire des lois qui ne seront pas appliquées, ce n'est ni du bon travail législatif ni positif pour la démocratie.
Ainsi, je suis très gênée d'énoncer un principe et de prévoir immédiatement un moratoire pour son application. Or, en matière d'encellulement individuel, nous en sommes au quatrième ou au cinquième moratoire : comment voulez-vous que le citoyen réagisse quand nous affirmons un principe pour prévoir, dans la foulée, qu'il ne s'appliquera pas ?
Si nous voulons travailler sérieusement, il faut d'abord que les conditions matérielles permettent l'application du principe énoncé. De ce point de vue, les efforts importants consentis depuis 2002 nous placent aujourd'hui dans une situation plus favorable.
En effet, en 2012, l'achèvement du programme de construction en cours nous permettra d'atteindre un total de 63 000 places. Si l'on y ajoute le programme de 5 000 places supplémentaires, annoncé par le Président de la République – je compte uniquement les places supplémentaires, non les remplacements –, le nombre total de places devrait s'élever à 68 000 en 2017. Compte tenu des cas où l'encellulement individuel n'est pas souhaitable, le principe sera alors quasiment applicable. Notons d'ailleurs qu'il s'applique déjà largement, sinon totalement, dans les centres de détention, et que c'est dans les maisons d'arrêt que se pose encore le problème de surpopulation.
En la matière, il faut aussi prendre en compte la diversité des situations. Face à la fragilité de certains détenus et au risque de suicide – sujet auquel, je le sais, l'Assemblée est très sensible –, la cohabitation est parfois un gage de survie. Si elle n'empêche pas les tentatives de suicides, elle permet souvent de réagir rapidement et de sauver les personnes.
Par ailleurs, tout détenu devant un jour quitter la prison, il est indispensable de maintenir un lien social. Pensez-vous que cela puisse se faire dans une cellule individuelle où le détenu resterait seul vingt-deux heures sur vingt-quatre ?
Sur tous ces sujets, nous devons entamer une réflexion de fond. En tout état de cause, le choix du détenu doit être respecté. Précisons que l'alternative à la cellule individuelle n'est pas le dortoir, mais la cellule de deux personnes, les superficies des cellules étant évidemment différentes.
Certes, je vous le concède bien volontiers – pourquoi le cacherais-je ? –, nous sommes aujourd'hui encore bien loin d'une telle situation. L'efficacité exige que nous fassions le constat très clair, très concret, de la situation actuelle. Pour l'améliorer, il nous faudra ensuite construire davantage ; en prenant mieux en compte, dans les nouvelles constructions, les problèmes de qualité et de superficie ; en proposant des solutions variées, adaptées à des choix et à des besoins différents.
Un autre point sensible, en matière de devoirs et de droits des détenus, concerne le quartier disciplinaire, lieu symbolique de la prison. Il s'impose dans certains cas ; aucun de ceux qui connaissent bien le dossier – et c'est le cas de tous les députés présents sur ces bancs – ne le nient. Ce lieu est destiné à sanctionner des actes graves commis à l'intérieur de la prison. Il doit servir à une prise de conscience pour éviter la récidive. Cependant on déplore trop souvent, dans ces quartiers disciplinaires, des tentatives de suicide.
Il faut donc concilier le besoin de ce type de lieu et la nécessité de proposer une juste adaptation. Le Sénat a ainsi ramené la durée maximale de séjour en quartier disciplinaire de quarante-cinq à vingt jours. En cas de violence contre les personnels pénitentiaires, une durée plus longue de trente jours est toutefois prévue. Les personnels sont, en effet, au contact de tous les détenus, y compris les plus violents. Ils se trouvent souvent dans des situations extrêmement difficiles, d'autant que c'est d'abord contre eux que se tourne la violence des détenus. Il faut donc mettre en place un dispositif dissuasif.
Pour rénover le cadre d'exercice des devoirs et des droits des détenus, le projet de loi affirme que la prison est un lieu de détention, mais pas un lieu de non-droit. Les détenus ne passent généralement pas toute leur vie en prison. Il faut donc aussi penser à leur retour dans la société. Les conditions de la détention ne doivent pas leur enlever la conscience qu'ils sont des citoyens et qu'ils réintégreront la société à l'issue de leur peine.
Nous devons veiller à ce qu'un certain nombre de règles, de droits et de devoirs, restent en vigueur en prison, comme ils s'appliquent à la société tout entière.
Ainsi, pour que le lien du détenu avec la société dans laquelle il a vocation à revenir ne soit pas totalement coupé, il faut qu'il continue de bénéficier de droits qui n'ont pas de raisons de lui être retirés et qui n'ont rien à voir avec la détention. Ainsi la liberté d'opinion, la liberté de conscience et la liberté de religion sont-elles reconnues au détenu.
Dans la même logique de réinsertion, le projet de loi affirme également certains droits concrets, tel le maintien des liens familiaux. Si nous voulons que les détenus conservent un lien avec la société, il faut en effet s'appuyer sur le premier de ces liens : la famille. Nous avons donc décidé de faciliter le maintien des liens familiaux, notamment en permettant un accès élargi au téléphone.
L'accès au travail sera mieux reconnu et réglementé par un « acte d'engagement » et le niveau de rémunération indexé sur le SMIC. Cette mesure permettra non seulement de reconnaître le travail effectué par le détenu, mais aussi d'indemniser sa victime, grâce à un prélèvement sur la somme qu'il aura perçue.
Par ailleurs, force est de constater qu'un certain nombre d'individus arrivent en prison dans un dénuement total. Or, si nous voulons qu'ils retrouvent des repères et des références dans la vie sociale, nous devons lutter contre la pauvreté et la précarité. Une aide en nature ou en numéraire pourra donc être accordée aux détenus si leurs ressources ne leur permettent pas de vivre décemment. Ce faisant, nous leur éviterons également de tomber sous la coupe d'autres détenus qui leur fourniraient des moyens financiers ou des biens.
Enfin, les détenus ont parfois des démarches administratives à accomplir. Pour les faciliter, il leur sera possible d'élire domicile auprès de l'établissement pénitentiaire, ce qui sera particulièrement utile à ceux qui doivent rester un certain temps en prison.
Ces dispositions, qui seront bien entendu complétées par des textes réglementaires, traduisent une nouvelle conception du fonctionnement de la prison.
Le développement de sanctions alternatives ou complémentaires à l'emprisonnement est le deuxième objectif du projet de loi. Un double constat s'impose. Tout d'abord, l'incarcération n'est pas la seule sanction pénale possible : c'est une évidence. Ainsi les aménagements de peine concernaient 10 % des effectifs des condamnés en 2007 et plus de 13 % depuis le 1er janvier 2009. Quant au placement sous surveillance électronique, il s'est accru de 35 % en deux ans.
Ensuite, les sorties sèches – hypothèse dans laquelle le détenu se retrouve livré à lui-même à sa sortie de prison, comme on le voit dans certains films – ne sont pas une bonne solution. Une anticipation de la sortie au cours de l'incarcération est toujours préférable, car elle permet notamment au détenu d'imaginer ce qui se passera après sa sortie et de s'y préparer.
Le recours à des sanctions alternatives ou complémentaires à l'emprisonnement doit donc être recherché. En effet, chaque année, 30 000 condamnations prononcées par un juge ne sont pas exécutées,…
… souvent faute d'un nombre suffisant de places. On cite parfois le chiffre de 82 000 condamnations, mais il faut distinguer entre le flux et le stock, car certaines peines sont exécutées plusieurs mois après avoir été prononcées. Certes, ce n'est pas une très bonne chose, mais ce qui est pire, c'est que des condamnations ne soient pas exécutées du tout. Dans ce cas, non seulement elles n'ont aucun sens pédagogique pour l'intéressé ni portée dissuasive pour son entourage, mais la victime a le sentiment que la justice n'a pas fait son travail et, finalement, c'est votre crédibilité, mesdames, messieurs les députés, et celle de la justice qui sont en jeu.
Les peines alternatives – je pense notamment au bracelet électronique – sont un moyen de remédier à cette situation. Je préfère en effet une peine substitutive à rien du tout. J'ajoute que, si, chaque année, ces 30 000 peines étaient exécutées, cela se ressentirait sur la situation sécuritaire générale.
S'agissant des condamnés qui sont incarcérés, que les choses soient claires : je veux modifier, le cas échéant, la mise en oeuvre de la sanction pour qu'elle soit efficace dans la prévention de la récidive.
Toutefois, se pose le problème des seuils de peine exigés pour qu'un condamné bénéficie d'un aménagement. Actuellement, les personnes condamnées à une peine inférieure ou égale à un an d'emprisonnement peuvent d'ores et déjà en bénéficier. Il a été proposé que ce seuil soit porté à deux ans, ce qui concerne environ 7 300 personnes. Je suis favorable à un tel seuil, mais à certaines conditions très précises.
En effet, les personnes condamnées à ce type de peines le sont rarement pour des vétilles et, parmi elles, beaucoup sont des récidivistes. En outre, il ne serait guère cohérent que l'on permette à ces derniers de bénéficier d'un aménagement de peine, alors que vous avez voté, il y a deux ans, une loi qui prévoit un dispositif – celui des peines plancher – destiné à alourdir les peines prévues pour les récidivistes.
Je ne crois pas que changer en permanence la loi, a fortiori de manière indirecte, contribuerait à envoyer un signal clair à l'opinion publique et aux délinquants.
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très juste !
Soyons cohérents : un condamné à une peine d'emprisonnement de moins de deux ans pourra bénéficier d'un aménagement de peine, à condition qu'il ne soit pas récidiviste, c'est-à-dire s'il ne relève pas du régime de la loi que vous avez votée.
C'est la moindre des choses que l'on puisse attendre du législateur.
Se pose également le problème des délinquants sexuels. J'ai pu constater, dans le cadre de mes fonctions antérieures, que les viols ou tentatives de viol sont principalement commis sur les personnes les plus fragiles, qu'il s'agisse d'enfants, d'adolescentes, de personnes handicapées ou, plus généralement, des femmes. L'incarcération ayant notamment pour mission de protéger, ne faut-il pas exclure les délinquants sexuels de ces aménagements de peine ?
Il est en tout cas de mon devoir de vous poser la question.
Par ailleurs, les procédures d'aménagement de peine sont actuellement lentes et lourdes. Je pense notamment à l'exigence d'un contrat de travail. Il est en effet difficile en période de crise, lorsque le taux de chômage augmente sensiblement, d'en faire une condition sine qua non à l'obtention d'un aménagement de peine. Il me semble donc que celui-ci doit être plutôt conditionné par un « projet sérieux d'insertion ». Cette extension me paraît mieux correspondre à la situation actuelle de notre société.
Ce projet sera soumis au contrôle des personnes qui sont le mieux à même de juger du sérieux et des capacités réelles du détenu. C'est donc au directeur du service pénitentiaire d'insertion et de probation que revient l'élaboration de l'aménagement de peine. Le projet de loi renforce son rôle, car il nous semble qu'il connaît bien le détenu.
Il reviendra ensuite au juge de l'application des peines de valider ou non la décision prise par l'administration.
Pour éviter les sorties sèches, même si aucun aménagement de peine n'a été prononcé, un placement automatique sous surveillance électronique est prévu. Le placement automatique sous surveillance n'est pas un aménagement de peine ; c'est, en quelque sorte, un nouveau régime de détention. Il est prévu dans deux cas : si le reliquat de peine est inférieur ou égal à quatre mois ou pour des condamnations inférieures à six mois, s'il reste les deux tiers de la peine à effectuer. Il s'agit d'éviter au détenu de quitter la prison et de se retrouver, du jour au lendemain, sans encadrement, en lui permettant de renouer progressivement des contacts avec la société.
L'automaticité de la mesure n'exclut pas pour autant les garde-fous. C'est pourquoi je veux permettre au parquet d'exercer un recours contre la décision du service pénitentiaire d'insertion et de probation. Il reviendra au juge de l'application des peines, monsieur Mamère, de décider s'il est opportun pour le détenu et pour la société d'appliquer la mesure.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, en améliorant les conditions d'incarcération des détenus, le projet de loi pénitentiaire veut donner tout son sens à la peine d'emprisonnement. Il ne s'agit pas de faire régresser le détenu, mais de faire en sorte, puisqu'il sortira forcément un jour, que cela se déroule dans les meilleures conditions possibles pour la société, afin d'éviter la récidive.
Le projet de loi renforce ainsi le cadre juridique de la sanction pénale, tout en réduisant les risques de récidive. En diversifiant les modes d'application de la sanction pénale, il adapte le service public pénitentiaire aux évolutions de la société. Il est de notre responsabilité de faire en sorte que notre débat soit lucide et serein. Je souhaite qu'il soit également dépourvu de tout a priori idéologique. C'est en tout cas dans cet esprit qu'a été élaboré le projet de loi et que j'aborde cette discussion. L'État et la société sortiront grandis si nous parvenons à agir de manière pragmatique et technique, tout en gardant une haute ambition humaniste. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Jean-Paul Garraud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, désigné depuis le tout début de cette législature rapporteur de la loi pénitentiaire, je mesure, après l'important travail réalisé, toute la dimension et les répercussions de cette loi fondamentale.Je mesure également l'étendue des attentes que suscite ce sujet, pourtant fort méconnu de nos concitoyens, mais qui les intéresse au plus haut point.
(Mme Catherine Vautrin remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)
À la convergence de nombreux impératifs qui peuvent sembler contradictoires, le monde pénitentiaire évolue et doit également faire évoluer ses détenus vers une réinsertion excluant tout risque de récidive.
Le temps est venu de doter la France d'une grande loi sur le service public pénitentiaire, qui doit répondre à une triple exigence. C'est d'abord une exigence morale : les conditions actuelles de détention ne sont pas satisfaisantes. Ce n'est pas l'administration pénitentiaire qui est en cause, elle qui a su progresser et améliorer les conditions offertes aux détenus. La prison cristallise les reproches de toutes les carences d'un système dont elle n'est pas seule responsable. Il faut dire que les défis auxquels elle est confrontée sont particulièrement lourds : l'accroissement de la population carcérale, son vieillissement et la dégradation globale de sa santé, notamment mentale.
Si les conditions générales de détention se sont améliorées au cours des années récentes, grâce aux fermetures d'établissements vieillissants et à l'ouverture ou à la réhabilitation, depuis 2002, de près de 10 000 places de détention, trop de personnes détenues sont encore incarcérées dans des cellules vétustes et surpeuplées. La prison a aujourd'hui besoin d'un second souffle. Une réponse du législateur est nécessaire, notamment pour proposer des alternatives à l'incarcération et pour mettre fin à l'encellulement collectif subi dans des cellules d'une surface inadaptée au nombre de personnes qui y sont hébergées.
La deuxième exigence est celle de l'adaptation du cadre juridique des prisons à l'exigence de respect de la hiérarchie des normes. En l'état actuel du droit, la plupart des normes régissant les droits et obligations des personnes détenues sont de nature réglementaire, alors même que l'article 34 de la Constitution donne compétence exclusive au législateur pour définir les règles relatives à l'exercice des libertés publiques. Les restrictions apportées aux droits fondamentaux induites par la privation de liberté doivent être fixées par le législateur. L'élévation de ces dispositions au niveau législatif doit être également l'occasion d'une réécriture d'ensemble assurant plus de lisibilité aux dispositions relatives au service public pénitentiaire.
La troisième exigence est internationale : la loi pénitentiaire doit permettre à la France de mettre ses règles pénitentiaires en conformité avec un cadre juridique européen et international de plus en plus contraignant. Les recommandations du Conseil de l'Europe sur les règles pénitentiaires européennes, déjà mises en pratique par l'administration pénitentiaire pour un certain nombre d'entre elles, doivent encore être traduites dans notre droit. Dans ce contexte, la loi pénitentiaire, fruit d'une longue maturation de la réflexion sur la nature et les missions du service public pénitentiaire – je ne rappellerai pas les conclusions rendues en 2000 par les commissions d'enquête de l'Assemblée et du Sénat –, est aujourd'hui très attendue.
Substantiellement enrichie par le Sénat – je salue d'ailleurs le remarquable travail de la commission des lois du Sénat et de son rapporteur Jean-René Lecerf –, cette loi sera une grande loi fondatrice pour les prisons, même s'il serait à l'évidence faux de penser qu'elle résoudra, à elle seule, tous les maux de la prison.
Le texte qui vous est soumis aujourd'hui résulte des riches travaux de notre commission des lois, qui s'est réunie pendant pas moins de neuf heures le 8 septembre dernier et a adopté 136 amendements, dont cinq du Gouvernement et dix des commissaires d'opposition.
Je voudrais vous présenter brièvement les principales modifications adoptées par la commission des lois. En ce qui concerne, tout d'abord, les droits des personnes détenues, j'ai fait adopter à l'article 10 un amendement tendant à améliorer la protection de la dignité des personnes détenues, par une obligation positive à la charge de l'administration pénitentiaire de garantir ce droit à la dignité. Cette disposition, très exigeante vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, aura des répercussions concrètes sur les conditions d'hébergement, qui devront désormais respecter la dignité des personnes détenues en vertu d'une disposition législative. Heureusement, le programme de construction et de restauration des prisons, décidé dès 2002 par cette majorité, produit ses effets et se poursuit. Une place par détenu, voilà l'un des objectifs premiers.
En matière de correspondance avec des autorités chargées de la protection des droits de l'homme, un amendement à l'article 17 a été adopté à mon initiative, qui élève au niveau législatif l'interdiction absolue pour l'administration pénitentiaire de contrôler les correspondances échangées entre les détenus et le contrôleur général des lieux de privation de liberté, le Médiateur de la République, la Cour européenne des droits de l'homme, les autorités judiciaires et les parlementaires, ainsi que d'autres autorités.
En ce qui concerne le contrôle et la connaissance des établissements pénitentiaires par les magistrats, l'article 3 bis a été complété par l'affirmation solennelle de l'obligation, pour tous les magistrats exerçant des fonctions les amenant à prononcer ou à requérir des peines d'emprisonnement ou des placements en détention provisoire, de visiter une fois par an les établissements pénitentiaires de leur ressort. Ainsi le juge des libertés et de la détention, qui procède aux incarcérations provisoires, est-il désormais concerné par cette obligation.
La commission des lois m'a par ailleurs suivi dans ma volonté de mieux affirmer la cohérence de notre politique pénale en excluant les récidivistes de l'extension à deux ans des peines aménageables.
Je rappelle que la loi du 10 août 2007 sur la récidive des majeurs et des mineurs a fait de la peine d'emprisonnement un principe en matière de récidive, et plus encore de nouvelle récidive légale. De fait, il est justifié que les récidivistes ne bénéficient pas du régime plus favorable des primodélinquants, pour qui la peine d'emprisonnement doit rester l'exception.
Dès lors, chaque fois que le texte élargit aux peines de deux ans le champ des aménagements, sont désormais exclus les récidivistes pour lesquels le seuil de un an reste la règle.
Pour ce qui est des procédures simplifiées d'aménagement de peine, à l'article 48, j'ai fait adopter une procédure assouplie qui permet à la fois de garantir la prééminence du juge de l'application des peines, mais aussi de donner la possibilité au service pénitentiaire d'insertion et de probation de rencontrer le condamné en premier si le JAP estime cela plus opérationnel ; le Sénat avait prévu une saisine conjointe, ce qui est sans doute plus déresponsabilisant que pratique et peut en outre s'avérer coûteux.
En ce qui concerne le placement sous bracelet électronique pour les quatre derniers mois de la peine, j'ai souhaité qu'il soit bien précisé qu'il ne s'agit en aucun cas d'un aménagement de peine, mais d'une modalité spécifique d'exécution de la fin de peine, tout en reprécisant clairement que le champ d'application de la mesure est réservé aux personnes qui ont été condamnées à cinq ans de prison au maximum et qui n'ont jamais bénéficié d'aménagement de peine jusque-là.
Le placement sera alors de droit, sauf en cas d'opposition du parquet. Dans ce cas, le condamné pourra saisir le juge de l'application des peines pour obtenir un aménagement de peine. Il ne s'agit en aucune façon d'une « grâce électronique », contrairement à ce que l'on entend parfois dire.
La commission des lois a également souhaité revenir sur la présomption d'urgence que le Sénat a instituée au sujet du placement en quartier disciplinaire et en quartier d'isolement. Il ne faut pas s'y tromper : c'est au juge des référés – que le détenu peut d'ores et déjà saisir – d'apprécier de l'urgence de la situation qui lui est soumise. C'est le droit commun du référé-liberté de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.
Toujours en matière d'isolement, le texte adopté par la commission des lois permet de combler une lacune de notre droit en matière d'isolement d'un prévenu décidé par l'autorité judiciaire – en l'occurrence le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention. Un arrêt du Conseil d'État d'octobre 2008 a en effet annulé l'article réglementaire qui en fixait le régime, au motif qu'il revient à la loi d'en fixer les grands principes. La commission des lois a adopté un amendement prévoyant expressément cette faculté donnée au juge d'instruction et au juge des libertés et de la détention, avec un recours devant le président de la chambre de l'instruction.
À l'article 39, la commission a par ailleurs adopté un amendement tirant toutes les conséquences d'une jurisprudence de la Cour de cassation, qui tirait elle-même les leçons d'une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme en matière de délais d'appel du procureur général ; celui-ci dispose aujourd'hui d'un droit d'appel de deux mois, bien plus long que celui des parties, qui est de dix jours. La commission a décidé de fixer ce délai d'appel à vingt jours, ce qui lui a semblé moins excessif et de nature à mieux répondre aux exigences d'un procès équitable.
Je m'arrêterai quelques instants sur le sujet assez polémique qu'est l'encellulement individuel. J'ai finalement décidé de revenir, en l'adaptant, sur la formulation du Sénat. J'ai donc déposé, en ce sens, trois amendements aux articles 49, 52 et 59, qui ont été adoptés par la commission des lois. Entre la formulation du Sénat et celle du Gouvernement tournée vers le libre choix du détenu, les différences sont, en pratique, infimes. Il fallait donc procéder à une synthèse en rappelant le principe de l'encellulement individuel et en l'assortissant de dérogations, dont celle du libre choix du détenu, qui peut souhaiter ne pas être seul en cellule.
Plutôt que de passer des heures sur un sujet certes important sur le principe, je souhaiterais plutôt insister sur d'autres dispositions qui concernent l'obligation d'activité. Il ne sert en effet à rien de consacrer l'encellulement individuel si le détenu reste inactif toute la journée dans sa cellule. Il faut que le temps passé en détention lui soit utile afin de préparer sa sortie et, ainsi, d'éviter la récidive. En ce sens, je privilégierai tout ce qui rendra l'obligation d'activité véritablement effective.
Un détenu totalement oisif dans sa cellule ne présentera certainement pas les meilleurs gages de réinsertion. Je préfère nettement celui qui suivra un apprentissage, une formation, un enseignement, celui qui travaillera dans des ateliers et reprendra ainsi la voie de la resocialisation.
Je sais bien que l'offre d'activités à la charge de l'administration pénitentiaire constitue un sujet difficile, surtout en période de crise économique, mais il s'agit d'un enjeu de tout premier ordre. J'espère que nous n'aurons pas, sur ce sujet comme sur d'autres, de débats d'ordre idéologique complètement décalés par rapport aux priorités que, pourtant, je crois que nous partageons tous.
D'autres sujets essentiels sont au coeur de cette grande loi pénitentiaire, comme la santé des détenus et la préservation de leurs liens familiaux, la sécurité des personnels et la revalorisation de leur statut et de leurs fonctions, la création d'une réserve civile pénitentiaire qui permettra à de jeunes retraités, non pas de prendre la place des actifs, mais d'apporter aux plus jeunes le fruit de leur expérience.
En conclusion, vous me permettrez de revenir sur le tout premier article du texte consacré à un titre préliminaire sur le sens de la peine de privation de la liberté. Si nous nous entendons sur cette définition, nous nous retrouverons forcément sur ses conséquences. Ceux qui veulent calquer totalement la situation du détenu sur celle d'un homme libre se trompent, car ils font abstraction de l'aspect punitif de la peine.
Pour pouvoir s'amender, il faut d'abord reconnaître sa faute, et en cela la peine a une valeur pédagogique, une valeur dissuasive et d'exemplarité.
Au principe de personnalité des peines, s'ajoute l'individualisation de la sanction : une peine proportionnée à la gravité des faits, adaptée à la personnalité du condamné, une application de la peine qui colle à l'évolution du détenu, à ses facultés de réinsertion.
Cela doit aller dans les deux sens : d'une part, les régimes différenciés en fonction notamment de la dangerosité et, d'autre part, toute la palette des aménagements de peine à disposition de l'autorité judiciaire, qui apprécie au cas par cas les garanties de réinsertion et l'absence de risque de récidive.
Je me situe dans cette logique : inspirateur, en 2006, de la loi sur la rétention de sûreté dans mon rapport au Premier ministre, intitulé Réponses à la dangerosité, j'estime, par ailleurs, tout à fait cohérent d'amplifier les aménagements de peine lorsque tous les éléments d'appréciation ont été fournis aux juges et qu'il leur appartient ainsi d'en tirer les conséquences en parfaite connaissance de cause.
C'est toute la logique de l'ensemble du système. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Guénhaël Huet, rapporteur pour information de la délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui un texte très important et très attendu.
Ce texte est très important, car il constitue une réelle avancée pour rapprocher les établissements pénitentiaires du droit commun et pour les soumettre à la règle de droit. C'est un texte très attendu, car il vise notamment à mettre en oeuvre les règles pénitentiaires européennes adoptées par la France et par les États membres du Conseil de l'Europe en janvier 2006. Il s'agit à l'évidence d'un texte très équilibré entre les deux fonctions principales, les deux finalités de la détention que sont la protection de la société et la réinsertion des personnes momentanément privées de leur liberté.
C'est enfin un texte important, car il fournit l'occasion à la délégation aux droits des femmes d'aborder le sujet spécifique de la détention féminine. Il s'agit en fait d'une réalité très méconnue, sans doute liée, pour une part, à la faible proportion de femmes dans le système pénitentiaire : celles-ci sont au nombre de 2 093 pour 62 252 hommes, ce qui représente 3,4 % de la population pénitentiaire. Ce constat numérique, ajouté au constat juridique tiré de l'article 248 du code de procédure pénale, qui pose le principe de non-mixité, explique la spécificité de la détention féminine, laquelle repose sur trois éléments principaux.
Elle se caractérise d'abord, à l'évidence, par de meilleures conditions matérielles d'incarcération, liées à l'absence, à quelques exceptions près, de surpopulation carcérale chez les femmes, mais elle est également marquée par un difficile accès aux activités de réinsertion et, enfin, par un isolement géographique et psychologique sans doute plus important que celui des hommes : en effet, l'inégale répartition des établissements pénitentiaires pour femmes sur le territoire national accroît les situations de rupture des liens avec la famille. À cela s'ajoutent une plus forte stigmatisation de la délinquance féminine et le rejet dont sont victimes les femmes qui se sont rendues coupables de crimes ou de délits. Pour résumer, les meilleures conditions matérielles de détention des femmes sont en quelque sorte l'arbre qui cache la forêt des difficultés physiques, psychologiques et morales des femmes qui sont placées en détention.
C'est pourquoi la délégation aux droits des femmes a formulé des recommandations visant à mieux prendre en compte les besoins des femmes placées en détention. Elle préconise tout d'abord une meilleure reconnaissance de leurs spécificités et de leurs besoins ; ensuite, une meilleure répartition géographique des centres de détention pour femmes et la prise en compte du maintien des liens familiaux dans le choix du lieu de détention, particulièrement pour les femmes détenues ayant de jeunes enfants.
Elle recommande aussi l'organisation d'activités mixtes dans les établissements, afin que les détenues puissent bénéficier des activités, des formations et des ateliers au même titre que les hommes ; l'élargissement des modalités d'exercice de l'autorité parentale et du suivi de la scolarité de son enfant par les personnes détenues ; l'extension des unités de vie familiale – qui sont un succès – notamment dans les établissements hébergeant des femmes.
Elle suggère enfin la recherche systématique pour les femmes enceintes ou ayant de jeunes enfants d'alternatives à la détention, comme la mise sous bracelet électronique que vous évoquiez tout à l'heure ; une meilleure communication entre les établissements et les familles, notamment pour la transmission d'informations rapides sur les permis de visite et sur les transferts ; l'amélioration du suivi médical des détenues et de ses conditions d'exercice ; la conclusion entre les départements et les établissements pénitentiaires disposant d'une nursery de conventions définissant l'accompagnement social proposé aux mères détenues avec leur enfant et prévoyant un dispositif permettant la sortie régulière des enfants à l'extérieur de l'établissement pour permettre leur socialisation.
Telles sont, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, les recommandations faites par la délégation au droit des femmes. Certaines ont d'ores et déjà été adoptées par la commission des lois la semaine dernière. Elles figurent dans le texte qui vous est soumis, et je m'en félicite. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j'ai l'honneur de défendre devant vous, au nom du groupe SRC, une motion de rejet préalable.
Elle vise d'abord – j'allais dire évidemment – à sanctionner une fois de plus – une fois de trop – l'usage par le Gouvernement de la procédure d'urgence. Adopté par le Conseil des ministres le 28 juillet 2008, ce texte n'a curieusement été jugé prioritaire que sept mois plus tard, en pleine période de suspension des travaux du Parlement, alors même que le Sénat allait débuter son étude. Et, bien que ce dernier l'ait adopté le 6 mars, il a fallu attendre encore sept mois pour le voir inscrit à l'ordre du jour de notre Assemblée. Autant dire que la notion d'urgence, telle que la conçoit le Gouvernement, ne se laisse pas volontiers appréhender conformément au sens commun : entre le moment où la ministre de la justice a présenté son projet en Conseil des ministres et aujourd'hui, il s'est écoulé près de quatorze mois.
Si l'objectif était d'oeuvrer avec célérité, il n'est assurément pas atteint. Au demeurant, je doute que tel fût effectivement le but escompté. Comme ce gouvernement est coutumier du fait, chacun sait bien ici que la proclamation de l'urgence répond davantage au souci de limiter le débat parlementaire à une seule lecture dans chaque chambre, qu'elle obéit en d'autres termes à la volonté de restreindre autant que possible la capacité du législateur à réformer en profondeur les règles applicables au milieu carcéral.
Et, pour le coup, le succès est presque là. Comment, en effet, pourrait-on travailler, je n'ose même pas dire dans de « bonnes conditions », mais simplement dans des « conditions acceptables », dans les délais que vous nous avez imposés la semaine dernière ? La commission des lois s'étant réunie le mardi toute la journée, nous n'avons pu disposer du texte adopté que dans la soirée du lendemain, le 9 septembre à vingt heures, et encore fallait-il être à cette heure-là devant notre ordinateur et connecté à internet.
Nous n'avons donc eu que deux jours pour préparer les amendements que nous souhaitions déposer sur les cent articles que comporte maintenant le texte : cent articles quand, à l'origine, le projet gouvernemental n'en comptait que cinquante-neuf, devenus quatre-vingt-treize après l'adoption du texte par le Sénat ; deux jours pour réexaminer les 368 amendements que nous avions défendus en commission, afin de déterminer leur pertinence, à l'aune des quelques rares réponses que vous avez bien voulu nous apporter – quoique je ne doute pas que vous soyez plus diserts si notre motion n'est pas adoptée. En outre, sur les cent articles, seuls vingt-trois sont identiques à ceux que le Sénat avait adoptés. Même quand on se consacre entièrement à la fonction de législateur n'exerçant qu'un seul mandat, comme c'est mon choix, ce rythme est insupportable et peu propice à la sérénité qui devrait présider à nos échanges.
Cette seule raison, ce peu de considération que le Gouvernement témoigne au Parlement suffirait à plaider pour le rejet de votre texte. Mais il y a plus grave. En l'état, le texte adopté en commission des lois et ici discuté ne réglera aucune des questions auxquelles il prétend s'attaquer. Madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, nos prisons sont pleines, mais elles sont vides de sens. Aussi notre défi, ici, ensemble, est-il de répondre à cette question toute simple : comment faire pour rendre la prison enfin utile, pour qu'elle se transforme en école de la réinsertion, alors qu'elle n'est aujourd'hui que l'antichambre de la récidive, pour que le nécessaire temps de la sanction ne soit plus celui du châtiment ou de l'expiation, pour qu'enfin notre pays abandonne ce que notre collègue Christophe Caresche a un jour baptisé très justement sa « culture du cachot » ?
Ces objectifs, madame la garde des sceaux, nous prétendons les partager, nous utilisons d'ailleurs parfois les mêmes mots pour les décrire. « Une majorité d'idée » peut donc naître selon nous dans cet hémicycle, répondant ainsi à l'appel lancé autour de Pierre-Victor Tournier, par quinze associations, syndicats, clubs de réflexion, et plus de cinq cents personnalités.
Sans doute stimulé par la mise en oeuvre de la nouvelle procédure parlementaire, conformément aussi à sa tradition volontiers frondeuse à l'égard de l'exécutif, le Sénat a montré la voie. La « loi Lecerf », comme l'avait judicieusement baptisée Robert Badinter, modifiait substantiellement et souvent dans le bon sens le très décevant projet du Gouvernement. Mais, si les sénateurs ont fait ce qu'ils pouvaient, eu égard à la teneur du projet de loi qui leur était soumis, il était assurément difficile d'en attendre des miracles. Quelques gouttes d'eau versées dans un désert aride n'ont jamais eu pour effet de le transformer en pays de cocagne.
Nous étions donc disposés à reprendre l'ouvrage que nous estimions au milieu du gué, et nous considérions le texte du Sénat comme une chance à saisir. L'immensité des questions à résoudre imposait l'esprit de responsabilité.
Chacun de nous connaît en effet la situation calamiteuse de nos établissements pénitentiaires. De notre première visite en détention, nous avons tous conservé une impression ineffaçable. Et je ne parle pas ici de l'odeur singulière de la prison, mélange d'air confiné, de relents de nourriture et de désinfectant ; je ne parle pas non plus du bruit, du claquement des serrures, de la fermeture des grilles, des portes, et des cris lancés par les surveillants ou les détenus dans les couloirs ou à travers les portes des cellules. Ce que j'évoque, c'est évidemment la surpopulation endémique des maisons d'arrêt, la vétusté des locaux, l'exiguïté des cellules, l'oisiveté des détenus, l'insuffisance des moyens. Mais il y a encore plus choquant : c'est notre acceptation collective et sociale de cet état de fait ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Il y a neuf ans, on discutait déjà des prisons dans cet hémicycle. Nous avons beaucoup parlé et beaucoup dénoncé, mais trop peu a été fait et rien n'a vraiment changé. Alors oui, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, le groupe SRC considère ce débat comme une occasion historique pour sortir des sentiers battus et trouver des réponses.
Évidemment, une partie de ces réponses ne sera possible que si la majorité sort de ses contradictions. Vous ne pouvez pas, d'un côté, au plan pénal, continuer à promouvoir une politique du « tout répressif » qui conduit, par l'accumulation d'une frénésie législative dont les peines planchers et la rétention de sûreté sont les symboles les plus sombres, à la surpopulation carcérale tout en cherchant, de l'autre, au plan pénitentiaire, face à la dégradation des conditions de détention et des conditions de travail des personnels, à diminuer discrètement la pression générée par cette inflation carcérale.
Cette contradiction aboutit au demeurant à un double échec : à l'évidence, la prison telle que vous l'envisagez est à la fois inefficace pour faire baisser la délinquance et incapable d'empêcher la récidive.
Elle ne fait guère baisser la délinquance, car il n'y a aucun fondement sérieux à l'affirmation selon laquelle l'efficacité d'une sanction dépendrait de sa sévérité ou de la souffrance qu'elle provoque. C'est dans les sociétés et les pays où les peines sont les plus cruelles que la criminalité est la plus développée. Vous ne pouvez donc pas trouver de corrélation entre l'augmentation du taux d'incarcération et la baisse du taux de délinquance. Votre politique démontre même l'inverse.
Elle n'empêche pas non plus la récidive, car rien ne démontre que les peines plus lourdes et, surtout, plus longues constituent un rempart efficace contre ce fléau. À l'inverse, toutes les études indiquent que l'enjeu essentiel est le suivi des condamnés dans et hors les murs de la prison. Cela suppose évidemment des moyens humains d'accompagnement psychologique et social.
Il faut donc changer de paradigme et chercher à rendre la prison utile. Car elle a une double mission : comme toutes les peines, elle est à la fois moyen de réparation pour les victimes et protection de la société. En cela, elle est un moyen de neutralisation des délinquants. Mais elle a aussi une fonction éducative : faire en sorte que les individus qui y sont momentanément enfermés retrouvent la liberté dans de meilleures conditions. Voilà pourquoi il ne faut pas faire des délinquants des victimes, mais les responsabiliser afin de les placer en position de préparer leur réinsertion.
C'est l'intérêt de la société, celui des victimes et des personnes détenues, car la privation de liberté ne s'accompagnerait plus de ces constantes atteintes à la dignité humaine dont les pouvoirs publics s'accommodent actuellement avec une confondante insouciance. C'est aussi l'intérêt des personnels qui remplissent une mission d'intérêt public dans des conditions de travail qui ne cessent ne se dégrader, en raison notamment de leur sous-effectif. Le mouvement de ce printemps a d'ailleurs démontré, s'il en était besoin, leur exaspération et leur détermination.
Le texte que vous nous proposez répond-il à cette ambition ? Hélas non.
Soulignons – car c'est révélateur – que l'image qu'il donne de la personne détenue est celle d'un homme, majeur, de nationalité française, pourvu d'un niveau adapté d'instruction et en bonne santé physique et psychique ; et malheur à celui ou à celle qui s'éloigne de ce profil type !
Est-il acceptable qu'un texte sur les prisons présenté en 2009 ne contienne aucune disposition relative aux détenus étrangers, alors même que ceux-ci représentent 20 % environ de la population carcérale du pays ?
Est-il recevable, de même, que ce texte se désintéresse totalement de ceux qui, sans être illettrés, n'en ont pas moins d'importants besoins en termes de formation – sachant que la commission nationale de suivi de l'enseignement en milieu pénitentiaire a évalué le taux de scolarisation en prison, pour l'année dernière, à 23 % seulement ?
Est-il concevable que ce texte fasse quasiment abstraction du problème posé par la détention des malades mentaux, alors que l'on connaît le jugement formulé par les organismes internationaux et nationaux sur l'état dramatique de la psychiatrie en milieu carcéral dans notre pays ?
Est-il supportable que ce texte reste quasiment muet sur la question cruciale de la prévention du suicide, alors même qu'au premier trimestre 2009quatre-vingt-deux détenus, dit-on, se sont donné la mort ? Et au problème du suicide de détenus s'ajoute celui du suicide des surveillants : à ma connaissance, quatorze d'entre eux se sont donné la mort.
Est-il excusable que ce texte ne propose aucune solution pour la dépendance en prison, alors que ces situations touchent un nombre croissant de personnes détenues, en raison du vieillissement de la population pénale, de la durée et de l'allongement des peines ?
Je pourrais continuer longtemps, et évoquer l'absence de toute mesure spécifique pour les femmes détenues, ou le manque d'ambition des mesures relatives aux mineurs.
Mais il n'est nul besoin de multiplier à l'infini les exemples – tant il apparaît déjà évident que ce projet de loi, sur bien des points cruciaux, passe complètement à côté de son sujet.
Certes, nous dira-t-on peut-être, un texte décevant à certains égards, lacunaire à d'autres, ne vaut-il après tout pas mieux que pas de texte du tout ?
Une telle interprétation, pragmatique, aurait sans doute pu se défendre si ce projet de loi n'avait pas aussi insidieusement consacré quelques régressions majeures dont nous ne saurions en aucun cas nous satisfaire.
Il y a d'abord, évidemment, le principe de l'encellulement individuel, que le Gouvernement cherche en réalité à supprimer de notre code de procédure pénale.
Madame la garde des sceaux, je ne sais où vous avez trouvé cette idée de choix des détenus ; mais, personnellement, dans les prisons que j'ai visitées, j'ai rencontré plus de détenus qui refusaient de réintégrer leur cellule pour ne pas subir la surpopulation que de volontaires pour les occuper ! J'en ai même rencontré qui étaient prêts à payer leur fronde du quartier disciplinaire plutôt que de subir l'encellulement collectif qui leur était imposé.
Nous sommes donc profondément attachés au principe de l'encellulement individuel. D'abord parce qu'il garantit des conditions de détention respectueuses de la dignité de la personne ; ensuite parce qu'il il implique de lutter contre la surpopulation carcérale, à l'origine de bien des difficultés des établissements pénitentiaires dans notre pays. L'objectif de l'encellulement individuel doit donc continuer à guider notre politique pénitentiaire – ce qui, pardonnez-moi de le préciser, ne serait pas le cas si l'encellulement collectif était admis au même titre que l'encellulement individuel.
Par ailleurs, le texte étend considérablement le champ des restrictions autorisées à l'exercice des droits fondamentaux des personnes détenues.
En l'état actuel du droit, seules sont prises en considération les contraintes inhérentes à la détention – selon un arrêt du Conseil d'État en date du 27 mai 2005. Demain, le juge administratif se devra, en outre, de tenir compte « du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes ». Ce n'est donc pas avec ce texte que nous mettrons fin à l'arbitraire en prison !
Vous introduisez aussi une obligation d'activité pour les personnes détenues. Ce qui ne manque pas de sel, dans la mesure où, en 2007, le taux d'emploi en détention s'élevait à seulement 27,6 %...
De fait, un nombre important de détenus qui, aujourd'hui, souhaitent travailler, n'obtiennent pas satisfaction, et les associations oeuvrant en milieu carcéral voient le plus souvent leurs initiatives bridées, faute, le plus souvent, de salles d'activités en nombre suffisant.
Je souligne encore que la réglementation actuelle rend seulement possible la retenue de publication écrites ou audiovisuelles en cas de « menaces précises contre la sécurité », et seulement sur décision du ministre de la justice.
Demain, peut-être, ce projet de loi élargira considérablement le champ des restrictions en intégrant les « propos ou signes injurieux ou diffamatoires à l'encontre des agents et collaborateurs du service public pénitentiaire ainsi que des personnes détenues ». Et surtout, il confiera au chef d'établissement la fonction de censeur. Faut-il y voir un progrès ? Pas à nos yeux.
De même, aujourd'hui, la rétention d'un courrier ne peut être pratiquée que si celui-ci contient des « menaces précises contre la sécurité des personnes ou celles des établissements ». Le texte qui nous est soumis prévoit le recours à une telle procédure dès que la correspondance « paraît compromettre gravement [la] réinsertion [du détenu] ou le maintien du bon ordre et la sécurité. »
Une nouvelle fois, vous renforcez considérablement le pouvoir discrétionnaire de l'administration pénitentiaire en la matière.
Mais j'en viens à l'un de nos principaux griefs à l'encontre de ce texte. Il figure à l'article 51 du projet de loi.
Madame la garde des sceaux, vous nous le présentez sous le vocable inoffensif et fédérateur de « parcours individualisé ». Il est vrai que votre argumentation est séduisante. Mais on peut y voir aussi la légalisation de la différenciation des régimes de détention selon la personnalité et, surtout, selon la dangerosité présumée des détenus.
Nous avons souvent eu ce débat dans l'hémicycle : qu'est-ce que la dangerosité présumée ? L'ambiguïté des termes– mettons-nous au moins d'accord là-dessus – nous conduit à faire de son rejet une question de principe.
Sur le plan éthique d'abord, l'instauration d'un tel dispositif reviendrait à abolir toute référence à une norme générale et impersonnelle dont la personne détenue pourrait revendiquer le respect. Et tout cela pour instaurer un régime mouvant, fluctuant, répondant aux seules exigences de l'administration pénitentiaire.
Mais c'est aussi pour des raisons pratiques que nous ne voulons pas de ces régimes de droits différenciés. Leur expérimentation depuis des années – en dehors de tout cadre légal – dans des centres de détention a déjà démontré leur nocivité. Ils ont, en effet, pour conséquence d'imposer à un grand nombre de condamnés le régime des maisons d'arrêt, avec isolement cellulaire de jour comme de nuit et accès réduit aux activités collectives.
Par ce truchement, nous craignons qu'à très court terme, ce soit l'ensemble de la population carcérale qui ne se trouve exposée à un durcissement potentiel de ses conditions de détention.
Il est intéressant de souligner que dans les pays où ils sont en vigueur, comme aux États-Unis et au Royaume-Uni, les régimes différenciés ont indéniablement constitué un facteur déterminant dans la dégradation de la vie carcérale.
C'est tellement vrai que les États-Unis ont entamé un vaste mouvement de réflexion visant à replacer la resocialisation au coeur de leur système pénitentiaire. Je vous invite, mes chers collègues, à vous y intéresser.
La Commission nationale consultative des droits de l'homme ne s'y est d'ailleurs pas trompée. Dans son avis du 8 novembre 2008, elle a exprimé sa ferme opposition à la légalisation d'un dispositif qui ne manquerait pas de « décupler les pouvoirs que détient l'administration sur l'individu incarcéré et d'accroître très nettement les risques d'arbitraire. »
De même, dans son mémorandum déposé à la suite de sa visite en France en mai 2008, le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, M. Thomas Hammarberg, a fait savoir qu'il resterait vigilant afin que « la mise en place des régimes de détention différenciés ne soit pas légalisée ». Et comme si cela ne suffisait pas, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, M. Jean-Marie Delarue, n'a pas non plus hésité, dans son premier rapport public, à évoquer ce système, qui relèverait, selon lui, « de la pure et simple ségrégation »…
Il va de soi que nous partageons pleinement ces réserves. Nous nous opposons à l'instauration de distinctions entre détenus sur la base de critères particulièrement subjectifs et qui dépendraient de l'appréciation souveraine de l'administration pénitentiaire.
Nous touchons là, au demeurant, au principal vice de conformation d'un texte qui, contrairement à vos affirmations, ne vient pas conforter les droits des détenus. En dépit des intentions affichées, il se traduirait au contraire, s'il était adopté, par des latitudes exorbitantes accordées au pouvoir réglementaires – latitudes déjà bien trop fortes. Y contribuent ces restrictions sans fin, laissées à l'appréciation de l'administration, des droits fondamentaux des détenus, au point de les vider pratiquement de leur substance.
En résumé, ce texte consacre le règne sans partage du « sauf si ». Dans le « droit du dehors » – celui sous lequel nous vivons – tout ce qui n'est pas explicitement défendu est autorisé. Dans le « droit du dedans » – celui de la prison – tout ce qui n'est pas explicitement prévu est interdit : on fait de la règle l'exception et de l'exception la règle. La lecture de ses quelque cent articles ne fait apparaître que restrictions résultant des contraintes inhérentes à la détention, réserves imposées par la sécurité et le bon ordre de l'établissement, que limites résultant de la nécessité de prévenir les infractions et de réinsérer le condamné, interdictions découlant des nécessités de l'information, prohibitions légitimées par la sauvegarde de l'ordre public… J'en ai dénombré pas moins d'une quinzaine, notamment dans le chapitre III consacré aux droits des détenus.
Eh bien, pour nous, un droit fondamental doit rester un droit fondamental en toutes circonstances, y compris en prison. Ce n'est pas une matière malléable à merci, soumise aux aléas du moment ou aux intérêts particuliers, aussi estimables soient-ils.
Tout en tenant naturellement compte des contraintes inhérentes au milieu carcéral, il me paraît dès lors contestable d'offrir la possibilité de restreindre ces droits sur une base éminemment incertaine. Notre déclaration des droits de l'homme conserverait-elle sa force et son prestige si son article Ier disposait que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits « sauf impératif spécialement motivé » ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe GDR.)
Ce qui serait si choquant hors les murs de la prison est choquant dans les murs de la prison. Nous ne saurions accepter un projet de loi qui, en dernier ressort, ravale le détenu au rang de citoyen de seconde zone, voire de banni de l'intérieur.
Le recours abusif, dans ce projet de loi, aux décrets témoigne de cette même volonté, ainsi que l'a d'ailleurs souligné la CNCDH dans son avis du mois de décembre 2008. En l'occurrence, le texte adopté par la commission renvoie, renvoie, pour les modalités d'application, dans le seul chapitre III, à sept reprises à un décret en Conseil d'État, et à treize reprises à un décret simple ! J'en ai même trouvé un autre : dans l'exposé des motifs de l'amendement à l'article 49, que vous avez déposé, madame la garde des sceaux, en commission des lois, vous nous annoncez un décret qui n'est même pas dans le texte de l'amendement !
Vous en avez évidemment le droit : il n'y a pas là de problème juridique – quoique l'article 728 du code de procédure pénale dispose « qu'un décret détermine l'organisation et le régime intérieur des établissements pénitentiaires ». Vous avez donc déjà la possibilité de prendre ces décrets.
Constatons que l'autorité administrative, le plus souvent avec la bénédiction du pouvoir exécutif, a su tirer pleinement parti des potentialités de cette disposition introduite à la fin des années 1950, et qui lui octroie une marge de manoeuvre à peu près illimitée. C'est à elle que nous devons cette pléthore de dispositions réglementaires du code de procédure pénale, cette profusion de circulaires et de notes de service qui régissent aujourd'hui la situation juridique d'un détenu.
Il n'en reste pas moins que la simple lecture de la Constitution – ce qui, dans cet hémicycle, doit avoir quelque résonance – peut faire douter de la légitimité de cet article.
La Constitution française prévoit en effet, dans son article 34, qu'il revient à la loi, et à la loi seule, de fixer « les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ».
On en vient dès lors à se demander si le respect de la hiérarchie des normes ne devrait pas, fort logiquement, nous conduire à rejeter un projet de loi qui maintient des pans entiers du droit dans le champ réglementaire alors même que sont constitutionnellement garantis les libertés et droits fondamentaux en découlant. Naturellement, poser une telle question, c'est déjà y répondre.
On notera d'ailleurs le récent revirement de la jurisprudence du Conseil d'État à ce propos. Après avoir longtemps admis la compétence du pouvoir réglementaire, celui-ci a en effet, dans quelques décisions récentes, exprimé le souhait d'en voir le champ d'application considérablement réduit. Je veux citer à l'appui de notre thèse les conclusions sur l'arrêt de la section du contentieux du Conseil d'État du 31 octobre 2008 : « Compte tenu de l'évolution du statut des détenus, nous n'excluons pas que l'article 728 du code de procédure pénale soit désormais entaché d'incompétence négative. »
De même, l'arrêt du Conseil d'État du 10 décembre 2008 dispose qu'il faut partir du principe qu'il en va de la libre disposition de leurs biens comme des autres droits et libertés fondamentaux des détenus. Autrement dit, sauf si la loi en dispose autrement, ceux-ci en jouissent comme toute autre personne, dans la seule limite des contraintes inhérentes à leur détention.
Peut-on dire que le texte qui nous est soumis confie bien au législateur une compétence exclusive pour fixer les restrictions apportées à l'exercice des droits et des libertés en milieu carcéral, renonçant donc au funeste usage de s'en remettre en la matière à l'administration pénitentiaire par l'entremise de décrets ou de circulaires ? Nous l'avons vu, la réponse à cette question est, hélas ! clairement négative.
Le rapport de l'Assemblée nationale, en 2000, sur les prisons justifiait le recours à une loi pénitentiaire par la nécessité de remédier au « nombre très important de contraintes, touchant à des libertés aussi essentielles que le droit à la vie privée ou le droit d'expression, [qui] sont régies – et ce n'est plus acceptable – par des dispositions réglementaires ou par la voie de circulaires ».
Cette loi pénitentiaire que vous nous proposez ne résoudra en rien ce problème capital qui avait été soulevé par les députés de 2000. Pire, elle accroîtra, dans des proportions redoutables, la place laissée à l'appréciation discrétionnaire au sein des établissements pénitentiaires.
Ce n'est pourtant l'intérêt de personne et principalement pas celui des victimes et de leur famille : qu'on le veuille ou non, il est dans la logique des choses que l'enfermement prenne fin un jour, que les détenus sortent. Or, nous le savons, un détenu libéré qui a perçu la prison non comme une école de la réinsertion mais comme un espace de relégation sociale soumis à l'arbitraire administratif est mûr pour la récidive. Il faudra bien un jour sortir de cette logique purement punitive qui, au nom de la protection des victimes, en génère toujours davantage.
Parce que ce projet de loi ne s'inscrit pas dans cette démarche, nous vous invitons, mes chers collègues, à voter cette motion de rejet préalable, afin de condamner sa teneur, triplement inacceptable.
Inacceptable pour les législateurs que nous sommes, car son adoption témoignerait de notre honteuse abdication devant la toute puissance du règlement et de la circulaire au détriment de la loi ;
Inacceptable pour les détenus, car ce texte ne contribuerait en rien à améliorer les conditions carcérales dans notre pays, en dépit des engagements contractés par celui-ci devant diverses instances nationales, européennes et internationales, de défense des droits de l'homme ;
Inacceptable pour les victimes enfin, car il se traduirait inéluctablement par une augmentation de leur nombre en cautionnant un système pénitentiaire qui, obsédé par les impératifs de sécurité, néglige sa mission fondamentale de réinsertion. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
De grandes envolées, c'est peut-être bien, encore faut-il qu'elles aient du fond et qu'elles correspondent à des réalités. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
La première réalité, mesdames et messieurs les députés, c'est celle de l'article 91 de votre règlement de l'Assemblée nationale qui, dans son cinquième aliéna, précise qu'une motion de rejet préalable a pour objet « de faire connaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ou de faire décider qu'il n'y a pas lieu à délibérer ».
Je vous ai écouté attentivement, vous l'aurez noté, monsieur Urvoas, et nulle part je n'ai trouvé – vous l'avez reconnu vous-même – contradiction par rapport aux dispositions constitutionnelles.
Quant au fait qu'il n'y aurait pas lieu à débattre, j'ai l'impression que votre intervention a montré, au contraire, que nous avions besoin de délibérer sur ce sujet, que vous avez ignoré quand vous étiez au pouvoir. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Vous avez même critiqué ce qui a été fait en 2000. Or il me semble bien que le Gouvernement, à l'époque, était socialiste. Ce n'est pas une bonne façon d'aborder les choses.
Ce que je viens de vous dire suffirait à montrer que cette motion de rejet n'a ni fondement ni contenu, et je pourrais me contenter de vous demander de voter contre. Mais je voudrais souligner quelques points parce que je pense que ce débat mérite mieux que des envolées, même si je veux bien saluer l'art oratoire de votre discours, et que le sujet mérite que nous traitions sérieusement les problèmes.
Il faudrait d'abord que vous renonciez à certaines contradictions. Pendant des semaines et des semaines, vous m'avez demandé quand le texte de loi pénitentiaire allait venir, et maintenant vous vous plaigniez de ce qu'il vient trop tôt ou trop vite ? Il y a un moment où il faut être cohérent avec soi-même ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
De la même façon, vous dites soupçonner le Gouvernement de vouloir limiter la capacité du législateur à discuter ? Mais tout le travail que nous avons fait en commission – j'ai passé une journée avec Jean-Marie Bockel à écouter et à répondre à vos questions et sur vos amendements – montre que nous n'avons nullement l'intention de museler le législateur mais qu'au contraire, nous voulons écouter et prendre en compte ce qu'il a à dire.
Vous regrettez que le secteur pénitentiaire dépende encore autant du domaine réglementaire ? Je suis la première à le dire ! L'intérêt de ce texte réside précisément dans le fait qu'un certain nombre de dispositions réglementaires ressortiront dorénavant du domaine de la loi et seront encadrées par la loi.
Alors, certes, vous pouvez tout critiquer systématiquement –honnêtement, j'ai entendu dans votre bouche plus de critiques que de propositions…
… mais, à moins d'exiger que le règlement intérieur de chaque établissement relève de la loi, vous devriez reconnaître que ce texte propose des avancées importantes en matière de légalisation de dispositions jusqu'à présent réglementaires.
Comment faire pour que la prison devienne vraiment utile, vous êtes-vous demandé ? C'est bien la question que nous posons, à nous comme à vous et qui, au-delà de l'idéologie, mérite des réponses concrètes, pragmatiques, positives. Ce n'est pas un sujet facile et il ne peut se contenter de grande envolées. Il exige que tout le monde fasse preuve de bonne volonté pour essayer de construire quelque chose en commun.
Vous critiquez la surpopulation. J'ai moi-même commencé mon intervention en évoquant ce problème. Mais permettez-moi, monsieur le député, de rappeler que nous avons sensiblement amélioré les choses en construisant beaucoup depuis 1987. Qui a été à l'origine de tous les plans de construction ? Qui, sinon cette partie de l'hémicycle ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Alors que vous avez longtemps été au pouvoir pendant cette période, reconnaissez que tous les plans de construction ont été initiés par la majorité actuelle ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Protestations sur les bancs du groupe SRC.)
Et c'est bien ce qui va nous permettre d'avoir 63 000 places en 2012, ce qui correspond aujourd'hui au nombre de personnes réellement emprisonnées.
Grâce à la décision du Président de la République, nous allons être effectivement à 68 000 places, sans compter toutes les constructions que nous permettront de fermer des cellules qui ne répondent pas aux conditions de respect de l'homme dont nous nous préoccupons tous.
Bien sûr, il n'est pas question de limiter une loi pénitentiaire à une simple question de gestion immobilière. Il faut aller plus loin et j'ai cru comprendre en commission que c'était le souhait de tous.
En effet, contrairement à ce que vous avez dit, la délinquance a baissé, et sensiblement, depuis 2002.
Pour autant, nous ne pouvons pas nous satisfaire de ce qui existe aujourd'hui. Il est important en particulier de voir comment il est possible de faire baisser le taux de récidive qui pose un véritable problème. Je partage ce constat avec vous : il n'y a pas assez de suivi avant et après la prison. D'où la nécessité, y compris pour l'allégement de peine, de mieux préparer la sortie avant, c'est-à-dire lorsque l'on peut utiliser notamment l'encadrement humain qu'offre la prison, et après pour que la personne ne se retrouve pas livrée à elle-même. Oui, nous avons besoin de susciter une réelle responsabilisation, une envie de responsabilisation chez les détenus. C'est un élément important.
Vous avez parlé ensuite de régressions majeures. Le constat, nous le partageons, mais, vraiment, je ne pense pas que l'on puisse dire que cette loi consacrerait des régressions majeures. Cette loi avance, au contraire, sur un certain nombre de points.
Que l'on se pose des questions sur l'encellulement individuel, c'est tout de même la moindre des choses. Mais je ne comprends pas comment on peut tout à la fois soutenir que l'enfermement individuel dans le quartier disciplinaire représenterait une atteinte supplémentaire aux droits de l'homme et exiger l'encellulement individuel à l'extérieur des quartiers disciplinaires !
Je vous l'ai dit tout à l'heure, je ne suis pas contre l'enfermement individuel. Simplement, je crois qu'il est important de tenir compte, là aussi, des réalités parce que si nous voulons légiférer correctement, il faut que les objectifs soient réalisables. Sinon, c'est la loi dans son ensemble qui se trouve mise en cause dans sa légitimité par l'ensemble des citoyens.
Aujourd'hui, nous avons des problèmes que nous sommes en train de traiter, non pas pour les centres de détention mais pour les maisons d'arrêt. Il faut continuer d'améliorer la situation. Toutefois, il ne faut pas non plus ignorer que les études et les enquêtes qui ont été menées montrent qu'un tiers des détenus souhaitent ne pas être enfermés seuls dans une cellule.
Bien entendu, il faut continuer à avancer dans ce domaine, c'est le but que je me suis fixé et qui est inscrit dans la loi mais il faut aussi travailler concrètement, dans le domaine de la formation, du travail, des activités, car si nous voulons redonner aux détenus à la fois la conscience de ce qu'ils sont, leur fierté et des perspectives d'avenir, il faut également les aider à se reconstruire dans tous les domaines.
Vous faites une critique assez curieuse. À vous entendre, nous n'aurions pas le droit d'affirmer le droit au travail dans la loi au motif que, finalement, il y a très peu de travail en prison – or, je vous l'ai dit, mon but est bien d'y parvenir. Mais vous n'êtes pas à une contradiction près : il faut affirmer, dites-vous, le principe de l'encellulement individuel même si on ne peut pas l'appliquer – c'est d'ailleurs ce qui a été fait depuis des années avec le moratoire automatique –, mais, de l'autre côté, il ne faut surtout pas parler de principe du travail en prison au motif que la situation actuelle ne permet pas à chacun d'avoir du travail !
Pour ma part, je suis concrète, pragmatique, et très volontariste : lorsque je me fixe un objectif, je fais ce qu'il faut pour y arriver. Et nous mettons en oeuvre des moyens très concrets pour y arriver, j'y travaille d'ailleurs depuis pas mal de temps, avec un certain nombre d'entreprises et notamment avec le MEDEF, et dans d'autres domaines, parce que je pense que nous pouvons faire preuve de plus d'imagination que cela n'a été le cas parfois.
Ce qui est important, monsieur Urvoas, c'est d'essayer de regarder clairement les choses et de ne pas s'en tenir aux critiques générales. Lorsque vous déniez la différenciation du régime de détention selon les détenus, vous déniez une réalité que je vous décrivais tout à l'heure, à savoir que tous les détenus ne sont pas les mêmes : la longueur de la peine, les caractéristiques psychologiques, voire psychiatriques, le sexe, l'âge, les capacités de réinsertion, sont autant d'éléments à prendre en compte.
(M. Marc Laffineur remplace Mme Catherine Vautrin au fauteuil de la présidence.)
Il importe également de prendre en compte la personnalité de chacun. C'est aussi cela, le respect de l'humanité qu'il y a en chaque homme que de savoir le distinguer des autres et ne pas le traiter de la même façon, comme un petit soldat de plomb. Il ne s'agit pas d'introduire l'arbitraire en prison puisque, de toute façon, les juridictions administratives peuvent se prononcer sur les modifications du régime de détention d'un détenu. Non, monsieur Urvoas, le droit ne s'arrête pas à l'entrée de la prison. Votre motion ne correspond en rien à ce qui est exigé par le règlement de l'Assemblée pour déposer une motion de rejet. Mais sur le contenu lui-même, sachant l'intérêt que vous portez à ces sujets, j'aurais espéré, au-delà de la critique générale, entendre des propositions. Or je n'en ai pas entendu.
J'aurais aussi souhaité peut-être un peu plus de respect à l'égard des personnels pénitentiaires. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. - Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) En multipliant les propos sur l'arbitraire, vous laissez à penser que les personnels pénitentiaires ne seraient pas sensibles à l'écoute des autres et ne seraient là que pour avoir une attitude arbitraire. Ce n'est pas ce que j'ai constaté, mais libre à vous de le penser !
S'il y a de l'arbitraire, où est-il, sinon dans celles et ceux qui font ce travail difficile et remarquable de la surveillance en prison et de l'aide aux détenus ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Nous en arrivons aux explications de vote.
Je vous rappelle que, pour ce texte, il n'y a pas de temps global. En application du nouveau règlement de l'Assemblée, chaque groupe dispose de deux minutes pour une explication de vote.
La parole est à M. Noël Mamère, pour le groupe GDR.
Je regrette l'arrogance dont Mme la ministre d'État a fait preuve à la tribune de l'Assemblée pour répondre à notre collègue Urvoas. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Vous êtes une référence en la matière, monsieur Mamère ! C'est l'hôpital qui se fout de la charité !
Au demeurant, le contenu de son intervention est à l'image de la considération que porte ce gouvernement à notre assemblée, autrement dit de son mépris, puisque vous nous obligez à examiner un texte que vous présentez comme une loi fondamentale dans le cadre de l'urgence.
Vous agrémentez votre intervention, madame la garde des sceaux, d'un brin de populisme en nous expliquant que nous montrons du doigt les personnels pénitentiaires. Il se trouve que certains d'entre nous visitent des centres de détention, des maisons d'arrêt (« Nous aussi ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP) : partout le personnel pénitentiaire se plaint de ne pas être en nombre suffisant. Hier, madame la ministre, j'étais au centre de détention de Salon-de-Provence où il y a un surveillant pour cinquante-quatre détenus. Vous ne pouvez pas nous dire que les moyens sont suffisants aujourd'hui pour mettre en oeuvre une loi pénitentiaire !
Je vous avais déjà accusée, madame la garde des sceaux, de schizophrénie politique, et je le répète ce soir au moment où vous nous présentez cette loi pénitentiaire alors que les lois votées par votre majorité depuis 2002 consistent à envoyer les gens en prison : je pense à la loi sur les peines planchers et à la rétention de sûreté. Vous ne pouvez pas, d'une main, mener une politique sécuritaire et du résultat en envoyant des gens en prison et, de l'autre, dire que vous améliorez la condition des détenus ! N'est-ce pas nous prendre pour des imbéciles lorsque vous nous expliquez, avec votre secrétaire d'État, que seulement 450 détenus ont demandé à être encellulés dans une cellule individuelle ? Comment pouvez-vous dire une telle ineptie ? Il y a 60 000 détenus pour 50 000 places, le taux de surpopulation atteint 200 % dans seize maisons d'arrêt et varie entre 100 et 200 % dans cinquante et un établissements…
Comment pouvez-vous dire que l'on réclame l'encellulement individuel alors que vous menez une politique d'enfermement ?
C'est la raison pour laquelle, avec le groupe GDR, nous voterons la motion de procédure présentée par notre collègue Urvoas. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Le groupe Nouveau Centre s'opposera à cette motion de rejet préalable. (« Pourquoi ? » sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Nous sommes tous d'accord sur le constat : lorsque vous étiez majoritaires, nous avions constitué une commission d'enquête parlementaire, mesdames les gardes des sceaux Lebranchu et Guigou. Pour notre part, bien qu'étant minoritaires, nous vous avions apporté nos réflexions afin d'améliorer les choses. Or que faites-vous aujourd'hui ? Vous ne cessez de critiquer et de combattre ce que fait la majorité ! (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) En réalité, vous êtes gênés ! Qui a créé le contrôleur général des prisons ? C'est cette majorité ! Qui a voté les 10 000 places dans les prisons ? Nous ! Vous refusez de voter tous les crédits de la justice et aujourd'hui, vous nous donnez des leçons ! Votre raisonnement consiste à rejeter la loi pénitentiaire alors qu'il faudrait améliorer les choses Pourquoi ne pas compter sur l'ensemble des députés pour améliorer le texte ? Quelle différence avec l'attitude de vos collègues, que ce soit au Parlement européen ou au Conseil de l'Europe, où il y a unanimité pour travailler ensemble et améliorer les choses ! Pour vous, une seule chose compte : il faut combattre ce texte.
Madame la garde des sceaux, les députés du Nouveau Centre vous soutiendront, et j'aurai l'occasion de le dire à nouveau lors de la discussion générale. Quant à vous, mes chers collègues de l'opposition, au lieu de voter votre motion de rejet, je vous propose d'apporter votre contribution afin d'améliorer le texte. Il y a urgence à voter cette loi pénitentiaire : contrairement à ce que vous soutenez, elle va définir et améliorer les droits et les devoirs du personnel pénitentiaire, mais aussi ceux des détenus. Cette discussion mérite mieux que la caricature brossée par le biais de votre motion. C'est pourquoi le groupe Nouveau Centre votera contre. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
Mes chers collègues, sur quel point vous fondez-vous pour dire que ce texte n'est pas conforme à la Constitution ? Si j'ai bien compris, vous nous cherchez sur la répartition entre les articles 34 et 37.
À l'évidence, l'élargissement du champ de l'article 34 répond parfaitement à l'exigence de défense des libertés publiques. C'est donc une mauvaise querelle que vous nous faites.
Vous affirmez ensuite que la situation est catastrophique et qu'il ne faut pas en débattre. Bien au contraire, c'est parce que la situation de nos établissements pénitentiaires n'est pas satisfaisante qu'il faut précisément en débattre.
Enfin, vous dites qu'il ne fallait surtout pas déclarer l'urgence. Mais enfin ! Jamais nous n'avons assisté à un débat aussi nourri en commission, et ce en présence de Mme la garde des sceaux.
Tous les arguments ont été discutés les uns après les autres, tous les amendements pesés et longuement débattus.
Nous avons obtenu des réponses à toutes nos questions.
Enfin, mes chers collègues, je vous invite à relire les débats du Sénat et à vous concentrer sur celui qui s'est tenu au sein de la Haute assemblée le 3 mars dernier. M. Badinter a conclu son propos en disant : « Je suis persuadé qu'il s'agit là d'une grande loi. »
Il parlait du texte voté par le Sénat, pas de celui que nous présente la commission !
Si c'est une grande loi, monsieur Urvoas, l'honneur voudrait que vous retiriez votre motion de rejet préalable et que nous abordions enfin le fond d'un débat essentiel pour la société française. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Je suis désolé de devoir contredire Etienne Blanc, que j'ai connu mieux inspiré ! Pourquoi faut-il adopter cette motion de rejet préalable ? Tout simplement parce que les arguments que vous avez défendus, cher collègue, à l'instar de Mme la garde des sceaux, sont spécieux !
M. Urvoas a eu raison de le souligner, l'article 34 de la Constitution place à un haut niveau – celui de la loi – les droits et les libertés fondamentales. Or notre collègue Urvoas a décompté une vingtaine de restrictions dans votre texte telles que « sous réserve de » ou « si cela peut se faire ». Des libertés fondamentales sont donc totalement entravées et ne peuvent s'exercer pleinement dans ces conditions.
Ensuite, indépendamment de notre Constitution, il y a les règles pénitentiaires européennes – que nous avons longuement évoquées et que nous continuerons à évoquer, car je ne me fais guère d'illusions sur le rejet de cette motion – qui ont fait l'objet d'un consensus au Conseil de l'Europe, Michel Hunault l'a souligné avec raison, et nous souhaitons tous aller dans ce sens.
Le problème est qu'une de ces règles pénitentiaires européennes, une des plus fondamentales, pose un principe intangible – ce qui fait, monsieur Blanc, que nous sommes en désaccord avec la conclusion de M. Badinter, non sur le texte du Sénat, mais sur celui qu'a produit la commission : je veux parler du principe de l'encellulement individuel. Certes, je n'en méconnais pas les difficultés pratiques et nous devons réfléchir au fait que certains détenus peuvent ne pas vouloir un encellulement individuel. On peut partir du principe selon lequel l'encellulement individuel est la règle et le fait de préférer être deux – pour des raisons psychologiques ou de santé – l'exception, mais de là à renverser les choses…
Enfin, nous ne pouvons pas laisser dire que les majorités de gauche n'ont rien fait. Je rappelle que le programme d'inauguration de 2002 a été lancé en 1997 par les gardes des sceaux successifs que vous avez cités.
Le rejet préalable s'impose, tout particulièrement au regard des conditions dans lesquelles se déroule le début de ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le sujet est grave. Mais paradoxalement, lorsqu'on aborde un sujet grave, viennent à l'esprit des images qui ne paraissaient pas s'imposer.
Ainsi, je ne peux m'empêcher de penser à ce pas de danse, le moonwalk, inventé par Michael Jackson et peut-être inspiré du mime Marceau. Ce pas très particulier consiste à prendre en compte la pesanteur et à avancer la jambe en glissant le pied en arrière. Au terme de ce pas, le danseur donne l'impression d'avancer tout en reculant. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Or j'ai tout à fait l'impression que nous sommes en présence d'un exercice de ce type…
En effet, votre premier discours, madame la ministre, était empreint d'ouverture, de modération et parfaitement audible. Nous pouvions alors être d'accord sur certains points. Mais nous avons le sentiment que vous êtes prisonnière de certaines contradictions et que vous êtes au bout de ce que votre politique a pu amener. Depuis six ans a été mise en place une politique assez répressive, parfois même très répressive, qui s'appuyait sur un discours efficace prenant compte la partie symbolique du crime, c'est-à-dire la blessure faite à la société. Ce discours s'est construit autour de figures délinquantes : le pédophile prédateur, le jeune voyou de cité.
Cela existe en effet, mais ce discours s'est construit sans forcément prendre en compte la réalité du phénomène. Aujourd'hui, vous êtes au bout de ce discours. Prisonnière des indicateurs que vous avez vous-même mis en place, autrement dit la statistique policière, qui n'a d'autre mérite que celui de mesurer l'activité policière, non la réalité de la délinquance, confrontée à des émeutes urbaines gravissimes, vous vous êtes laissée emporter dans un processus de durcissement pénal, lequel a abouti à un phénomène de surpopulation carcérale.
Qui plus est, cette surpopulation carcérale a été aggravée par une décision qui, sur le principe, était fondée et juste, mais dont l'application était erronée : l'actuel Président de la République avait indiqué, avant son élection, qu'il n'accorderait pas de grâce collective. Cette mesure, que nous connaissons tous, était prise tous les 14 juillet et accordait une réduction de peine automatique d'environ trois mois, variable selon les années, à l'ensemble des détenus. C'était par le biais de ce mécanisme que l'on régulait les flux et que l'on répondait en partie – mais en partie seulement – à la surpopulation carcérale. Si ma mémoire est bonne, ce mécanisme a été critiqué par les deux candidats à la présidence de la République : on lui reprochait son caractère indifférencié, la grâce collective s'appliquant à tout le monde, quelle que soit la situation du détenu qui en bénéficiait.
C'était incontestablement un mauvais système, mais un système tout de même : et lorsqu'il a été abandonné, rien n'a été mis en place pour le remplacer. Tant et si bien qu'aujourd'hui, nous nous trouvons face à une surpopulation carcérale insupportable. Quant à l'argument selon lequel seront créées demain, des places de prison permettant d'héberger ceux qui sont aujourd'hui en surnombre, nous l'avons entendu des centaines de fois : mais demain, les places de prison supplémentaires ne seront pas seulement occupées par ceux qui sont en surnombre aujourd'hui, mais seront déjà insuffisantes parce que, dès l'instant où l'on ouvre une place de prison, on ouvre une possibilité qui appelle immédiatement le prisonnier. En la matière, l'offre appelle la demande. Malheureusement, je ne sais pas pourquoi, en vertu de quelle loi non écrite, les prisons construites se remplissent et ne servent pas à absorber ceux qui couchent sur des matelas dans les prisons surpeuplées.
Voilà la situation dans laquelle nous nous trouvons.
Et, en dépit d'une certaine bonne volonté affichée dans le texte, nous avons donc le sentiment, madame la garde des sceaux, que vous êtes un peu prisonnière de ce discours, de ces figures, de cet appel à la répression qui a incontestablement contribué à remplir les prisons.
Le présent texte ne comporte pas assez d'avancées sur nombre de sujets.
S'agissant du premier d'entre eux – la question du travail – Jean-Jacques Urvoas a détaillé tout ce qui pouvait manquer en matière de droits.
Il eût fallu instaurer un droit au travail. Mesure certes symbolique : le contrat de travail aurait dû être aménagé, il n'aurait pas été question de congés payés, ni d'envoyer les détenus de La Roche-sur-Yon en vacances aux Sables-d'Olonne ou ceux de Vars à Juan-les-Pins, nous en sommes bien d'accord ! Mais il était nécessaire d'affirmer un principe pour que le dedans soit le plus semblable au dehors.
Il en va de même du RSA. Il aurait été nécessaire de préciser qu'il devait exister un revenu minimum à l'intérieur de la maison d'arrêt, au sein de la maison centrale et que, si le travail ne permettait pas de le percevoir, un RSA devait être nécessairement prévu. Quel était le lieu le mieux placé pour prendre en charge des gens en difficulté ? Quel était l'endroit où on les avait – permettez-moi l'expression – sous la main pour les prendre en charge ? Quel meilleur lieu que celui-ci, où les détenus sont rassemblés de force, pour entamer un travail de réinsertion bien souvent indispensable ?
Même remarque s'agissant de la santé : nous avons déposé une foultitude d'amendements sur ce sujet. En effet, le constat est général et partagé : la santé des détenus est mauvaise. D'où la nécessité d'un bilan de santé à l'entrée, tout comme de soins suivis, avec les possibilités d'aménagement en conséquence. Malheureusement, tous ces amendements ont été rejetés.
Peu de choses également sur cette question très difficile des suicides dans les prisons et si dramatiquement présente que l'on ne connaît pas exactement le nombre de victimes. Je veux bien admettre qu'une comptabilité macabre est compliquée à mettre place ; reste que cette question est si prégnante et les conditions de vie si difficiles que les conditions de travail des surveillants eux-mêmes en deviennent indécentes. Les syndicats indiquent que quinze de leurs membres se seraient suicidés depuis le mois de janvier de cette année.
Autrement dit, nous ne trouvons pas dans ce texte les avancées que nous espérions.
Même remarque pour ce qui touche aux régimes différenciés, question elle aussi très complexe : si l'intention est de dire qu'il y aura une progression, que les détenus, qui se trouvent dans une situation particulière, évolueront doucement vers un système qui les rapprochera de plus en plus de la sortie et des conditions normales de vie, les régimes différenciés sont évidemment une bonne chose.
Mais si ces régimes différenciés consistent à recréer des quartiers de sécurité renforcée où l'on pourra placer le détenu sans aucune espèce de garantie ni intervention extérieure, sans se préoccuper de la personnalité de l'intéressé, sans préciser comment ces endroits seront créés et gérés ni comment l'on pourra en sortir, la question du régime différencié se pose à l'évidence. Or ce texte ne contient aucun élément de nature à nous rassurer, à prouver que le régime différencié permettra de progresser, de passer de l'état le plus mauvais à l'état le meilleur et de se rapprocher doucement de la sortie et de cette vie respectueuse et digne dont parlent les règlements du Conseil de l'Europe.
Non seulement ce texte ne comporte pas suffisamment d'avancées, mais il marque une série de reculs par rapport à celui qu'a voté le Sénat. Ainsi sur la question de l'aménagement des peines : vous avez eu la sagesse de ne pas toucher pas au seuil de deux ans, objet de bien des discussions. Observons au passage que le seuil de deux ans n'est pas un aménagement automatique de la peine dès l'instant où l'on est condamné à moins de deux ans de prison : c'est simplement une faculté donnée au juge de l'application des peines. C'est la condition de recevabilité de la demande d'application des peines. Un juge de l'application des peines n'empêchera pas une entrée en prison dès lors qu'il a le sentiment d'être face à quelqu'un qui doit être forcément incarcéré. Autrement dit, c'est là une discussion quelque peu surréaliste, qui semble répondre à une posture idéologique consistant à faire semblant de croire que, dès l'instant où la peine est inférieure à deux ans, il y aura un aménagement automatique. Mais si vous avez eu la sagesse de ne pas revenir sur le seuil de deux ans, vous n'en avez pas moins tenté de l'aménager en précisant que le seuil de deux ans ne devait pas bénéficier aux récidivistes, voire aux agresseurs sexuels.
La question de la récidive et des récidivistes me paraît extrêmement « idéologisée ».
Idéologisée, disais-je, pourquoi ? Parce que le phénomène de' la récidive n'est compréhensible que par un juriste très chevronné. La récidive n'est aucunement dans le fait de recommencer à commettre des infractions.
C'est le fait de recommencer la même infraction, alors que l'on est déjà condamné à titre définitif. Cela ne concerne pas les gens qui commettent à chaque fois des infractions différentes. L'acharnement à l'encontre des récidivistes est donc à mon sens non seulement injuste, mais – et c'est beaucoup plus grave – totalement inefficace. Pourquoi ? Quittons un instant l'idée de celui qui recommence sans arrêt dès qu'il sort de prison. Que sont les récidivistes ? Je me réfère ici à l'annuaire statistique de la justice qui fait état des chiffres de 2006. Je n'en possède pas de plus récents. En 2006, on comptait 582 561 condamnations en correctionnelle, 44 928 récidives, 12 111 atteintes aux biens – par des cambrioleurs semi-professionnels – 24 806 atteintes à la circulation automobile, dont 19 467 conduites sous l'empire de l'alcool, 3 810 atteintes à la personne et 409 agressions sexuelles. Ces chiffres parlent simplement contre la décision d'exclure les récidivistes de toute possibilité d'aménagement de peine.
En effet, par cette décision, vous allez vous priver de contrôler les ressources du cambrioleur semi-professionnel, vous allez le laisser sortir dehors sans aucun aménagement, vous allez laisser les futures victimes être la proie de ces cambrioleurs semi-professionnels. Par cette décision, vous allez laisser les malades alcooliques sortir de prison sans contrôle, sans suivi, sans leur demander de se faire soigner, sans cette contrainte à même de les pousser à suivre une cure de désintoxication – je sais parfaitement que les psychiatres considèrent qu'il n'y a pas de cure valable sans maturation intérieure, mais je sais aussi que la contrainte extérieure favorise parfois la maturation intérieure. Autant d'opportunités dont vous voulez vous priver, au nom d'une posture idéologique : rien pour le récidiviste !
Ce n'est pas une posture idéologique, c'est de la cohérence juridique !
Je maintiens que ce n'est pas de la cohérence, mais de la posture idéologique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Enfin, dernier point, les 409 agresseurs sexuels, dont on ne sait pas si ce qu'ils ont commis est particulièrement grave.
Si le juge considère qu'il est face à des faits graves, il prononcera des peines supérieures à deux ans d'emprisonnement. Et si le juge d'application des peines considère que les faits sont graves, il prononcera ou laissera se mettre en place l'emprisonnement. Et au nom d'une vision idéologique qui voudrait voir dans ces 499 agresseurs sexuels, vous voulez modifier le régime de 44 928 personnes !
Soyons raisonnables, madame la garde des sceaux, chers collègues de la majorité ! Luttons contre le crime, luttons contre la délinquance ! Ne faisons pas semblant, en adoptant des lois sévères, d'être efficaces ! L'efficacité, c'est le suivi au quotidien, c'est le suivi à la sortie de la prison, c'est le contrôle, c'est la surveillance (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC), ce n'est pas cette radicalisation pénale !
Recul également sur l'encellulement individuel. N'en faisons pas un débat théorique, un débat sur le sexe des anges : poser en principe la question de l'encellulement individuel signifie que l'on va lutter contre la surpopulation carcérale, que l'on va consentir l'effort nécessaire. Il est bien évident que certains détenus, même s'ils sont plutôt minoritaires, préféreront ne pas être seuls en cellule ; il faudra aménager leur situation. Mais, aujourd'hui, nous ne disposons pas des éléments permettant de laisser le libre choix. La question du libre choix, pour l'instant, ne se pose pas. Si nous sommes si réactifs à cette question de l'encellulement individuel, c'est qu'elle pose celle de la surpopulation carcérale.
La surpopulation carcérale, c'est d'abord une promiscuité insupportable. Au moment où je vous parle, me reviennent en mémoire des souvenirs d'une vie antérieure. Je les évoquerai rapidement pour ne pas sombrer dans un pathos toujours délicat. Je revois cet homme au parloir : ce n'est pas un homme de bien, il a sept ou huit condamnations au casier, il a attaqué des banques, terrorisé des postiers, mais il a le bras cassé. Quand je l'interroge un instant, je comprends que c'est son complice qui lui a préventivement cassé le bras pour éviter qu'il ne parle. Dès que j'évoque la possibilité de déposer plainte, il se met à pleurer, à pleurer de peur. C'est cela, la promiscuité ! C'est cela, cette présence insupportable !
Je revois aussi un instant la terreur dans les yeux de ce détenu qui, pendant son sommeil, a d'un coup senti que son codétenu, devenu fou, lui arrachait l'oreille avec les dents. Je n'ai pas le talent oratoire pour vous raconter les hurlements dans la cellule, le bruit des codétenus qui crient dans les cellules d'à côté afin d'alerter le rondier, les tabourets que l'on tape contre la porter pour le faire venir, l'affolement du gradé de permanence chez qui on va chercher la clé, la panique des surveillants qui doivent ouvrir la porte et qui ont bien compris qu'une chose de grave est en train de se passer. Cet homme-là non plus n'était pas un pas un homme de bien, mais même ses victimes, les postiers qu'il avait terrorisés reconnaissent qu'il ne méritaient pas cela. Ces gens-là ne doivent connaître que la prison, pas cette promiscuité insupportable, cette violence insupportable, cette inquisition insupportable des codétenus qui te demandent pourquoi es-tu là, si c'est pour pour des affaires sexuelles, de ces « pointeurs », comme on les appelle dans le jargon des prisons, qui s'arrogent parfois le droit de juger les autres au motif qu'ils seraient des « gens d'honneur » parce que seulement voleurs ou agresseurs à main armée ! C'est tout cela, la surpopulation, cette promiscuité effroyable !
Vous appelez à une « pacification idéologique », vous nous demandez de participer à l'effort de réflexion. Nous le faisons bien volontiers : nous vous avons soumis un certain nombre de suggestions. La première a trait à la surpopulation. Elle est finalement assez simple : c'est ce que l'on appelle le numerus clausus. Avec ce processus, lorsqu'un détenu surnuméraire entre dans un établissement, le détenu le plus proche de la fin de peine bénéficie d'une mesure – et je suis d'accord sur ce point avec le vocabulaire employé par Mme la ministre d'État et M. le rapporteur – non pas d'aménagement, mais d'exécution de la peine à l'extérieur. C'est cela, la nouveauté : la peine ne se résume pas simplement à l'enfermement entre les murs, c'est aussi le contrôle à l'extérieur, la surveillance. Encore faut-il, nous y viendrons tout à l'heure, se donner les moyens de contrôler, de suivre et d'accompagner celui qui sort.
Ce processus permettrait de nous donner satisfaction dans un délai relativement bref : une place pour chaque détenu et des conditions de détention dignes. Cela changerait totalement la face des choses. Ensuite, chaque majorité serait libre de définir le nombre de détenus qu'elle estime nécessaire en construisant des places de prison, mais il n'y aurait aucun détenu en surnombre.
C'est de la gestion hôtelière ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)
Pas du tout, c'est l'application d'une pénalité moderne. Si c'était de la gestion hôtelière, elle serait déplorable, car il y a trop de clients et pas assez de lits, mais ce n'est pas le cas !
Deuxième réponse, la mise en place d'une surveillance à la sortie. Pour cela, il faut, et je reprends les termes que vous avez employés, une mesure d'exécution à l'extérieur. Nous proposons que ce soit automatique dès l'instant où deux tiers de la peine ont été accomplis. Nous développerions ainsi une pénalité moderne et nouvelle.
Troisièmement, il faudrait faire bénéficier les récidivistes de ces mesures d'exécution.
En 2006 – nous ne disposons pas de chiffres plus récents –, 85 375 personnes sont sorties de prison, dont 11 002 qui étaient en détention provisoire, le juge d'instruction estimant qu'il n'était plus nécessaire de les détenir, et dont le cas ne nous intéresse pas. Sont sorties 61 320 personnes en fin de peine et 6 057 qui bénéficiaient d'une libération conditionnelle. Près de 10 % des détenus seulement ont donc bénéficié d'une mesure permettant de les suivre à leur sortie de prison.
C'est dire les progrès immenses que nous avons à accomplir pour qu'il y ait un suivi à la sortie de prison. C'est ainsi que l'on garantit, en effet, les droits des victimes, que l'on peut faire baisser la délinquance et la récidive : par le contrôle et la surveillance. Tout cela nécessite évidemment de gros moyens. Or, à ce jour, il n'y en a pas, ou pas assez. Nous disposons de moins de 3 000 conseillers d'insertion et de probation, qui doivent suivre à la fois 63 000 détenus et 150 000 personnes en milieu ouvert. C'est très insuffisant.
Tel est le sens de nos propositions : lutter contre la surpopulation ; organiser une pénalité moderne ; en finir avec la culture du tout-enfermement en associer l'enfermement, qui peut être nécessaire à un moment, à un contrôle, une surveillance et un suivi ; débattre des moyens.
Le texte qui nous est présenté constitue une avancée, il permet de réfléchir pour essayer de voir les choses de façon différente, mais il ne va pas assez loin. Certains de nos amendements sont peut-être sujets à caution, certains sont peut-être sujets à discussion, mais il serait intéressant de les réexaminer, et c'est pourquoi nous vous demandons de renvoyer le texte en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
J'ai bien écouté les arguments que vous avez avancés, monsieur Raimbourg, mais j'avoue que je ne comprends pas bien.
Vous demandez le renvoi en commission. Vous estimez donc que le texte n'a pas été suffisamment travaillé. Je vous rappelle simplement que le projet de loi initial comportait cinquante-neuf articles et que nous en sommes maintenant, après les travaux du Sénat, qui l'ont enrichi, et ceux de la commission des lois, à près d'une centaine d'articles. Nous en avons examiné tous les aspects et nous en avons débattu encore pendant plus de neuf heures, le 8 septembre dernier, de façon très approfondie, en présence de Mme la garde des sceaux et de M. le secrétaire d'État. Ne serait-ce que pour cette raison, la motion de renvoi en commission doit être rejetée.
Vous avez évoqué pêle-mêle toute une série de sujets importants. Nous y reviendrons dans la discussion des articles, mais je voudrais évoquer deux ou trois éléments qui me tiennent à coeur.
Il y a derrière toute l'argumentation qu'ont développée M. Urvoas et, de façon plus mesurée, M. Raimbourg, une sorte de procès fait à l'administration pénitentiaire. Or, celle-ci a tout de même beaucoup évolué. Arrêtez de lui instruire ce procès d'un autre âge ! Ses personnels, les services d'insertion et de probation, exécutent un travail remarquable, trop souvent méconnu. Il faut en finir avec des clichés qui font plus de mal que de bien et, surtout, aborder les véritables problèmes.
Par ailleurs, vous n'avez pas véritablement compris un aspect très important, dont vous avez parlé en évoquant les grâces collectives. Vous avez reconnu que la fin de ces grâces collectives, qui avaient pour effet de remettre en liberté des individus sans les y préparer, était une bonne chose. À la suite des grâces collectives, il y avait, dans le passé, une augmentation des infractions, il y avait des récidives, car, de façon soudaine et sans préparation, un certain nombre d'individus se retrouvaient en liberté. La loi pénitentiaire, dans son essence même, dans le titre II, apporte toute une série de réponses pour éviter la sortie « sèche » et individualiser la sanction.
Vous avez évoqué les parcours différenciés. Nous y reviendrons, bien entendu, mais c'est le même principe, celui d'individualisation de la sanction, tenant compte de l'évolution du détenu lors de son parcours d'exécution de la peine.
Cela dit, je reconnais qu'il y a dans vos propos des aspects positifs. Ainsi, vous avez souligné qu'il n'y avait pas suffisamment d'avancées : c'est donc que, selon vous, il y en a, et c'est pour moi une satisfaction. Les débats que nous aurons nous permettront certainement de progresser. Pour toutes ces raisons, il me paraît indispensable de rejeter la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Votre propos, monsieur Raimbourg, était plus mesuré que ceux que l'on a pu parfois entendre avant. Vous paraissiez même ennuyé de devoir à tout prix trouver des éléments justifiant un renvoi en commission (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), alors même que vous reconnaissez l'intérêt du débat et les aspects positifs du texte.
Vous avez fait une comparaison audacieuse avec la danse. J'ai d'ailleurs parfois le sentiment, en vous écoutant les uns et les autres, qu'entre la valse et le tango, vous tournez un peu en rond alors que nous avons la volonté d'avancer. (Sourires sur quelques bancs.)
Vous prétendez que nous privilégions la répression. Ce n'est pas le cas. Ce qui est important pour nos concitoyens, ce qui est important également pour la compréhension de la peine et de son application, c'est qu'il y ait, à tout fait commis, une réponse à la fois rapide et adaptée. Le sentiment, trop fréquent, qu'il ne se passe rien, aussi bien lorsqu'il y a eu condamnation que lorsque la procédure n'a pas été menée jusqu'à son terme, est la pire des choses.
Nous vous proposons une politique pénale ambitieuse et une politique pénitentiaire volontariste, l'équilibre entre les deux étant l'un des éléments essentiels de ce texte : fermeté face à la délinquance, notamment envers les récidivistes, mais diversité dans la réponse pénale, avec les alternatives aux poursuites et les aménagements de peine, et en tenant compte, bien sûr, de la condition des personnes détenues.
Selon vous, notre plan de construction de prisons, dont vous êtes bien obligé de reconnaître l'ambition, nous oriente vers une sorte de « tout-carcéral ». Vous savez bien que ce n'est pas le cas. Même avec l'application des peines planchers, nous sommes très au dessous de la moyenne européenne, sans même comparer avec d'autres continents. Le plan engagé ne fera que nous rapprocher très progressivement de la moyenne des pays de l'Union européenne…
…et nous pourrons mettre en oeuvre l'encellulement individuel.
Quant aux régimes différenciés, il s'agit simplement de faire en sorte que les droits fondamentaux soient respectés. Les régimes différenciés, je vous le rappelle, sont mis en oeuvre dans la plupart des pays européens, pour lesquels les règles pénitentiaires européennes sont également la référence. Il s'agit en l'occurrence de tenir compte un certain nombre d'aspects qui vont dans le sens du respect des personnes détenues : non pas seulement le critère de dangerosité, même si celui-ci existe, mais aussi des éléments de personnalité, les efforts de réinsertion accomplis et, naturellement, les éléments liés à la santé des détenus.
Sur la question du travail, la loi constitue véritablement un progrès. Il est créé un acte d'engagement, qui est un lien juridique. Vous avez vous-même fait allusion à la difficulté de recourir au travail rémunéré dans le contexte économique actuel. Il est hors de question de décourager les partenariats possibles ; c'est pourquoi il faut avancer progressivement, et cet acte d'engagement constitue à cet égard un progrès.
Quant à la prévention du suicide, dont nous aurons l'occasion de reparler, je puis d'ores et déjà vous indiquer que Mme la garde des sceaux, à partir du constat actuel, a engagé et multiplié les discussions interministérielles, notamment avec le ministère de la santé, sur cette question essentielle.
Concernant la récidive, l'objectif du Gouvernement, vous le savez, n'est pas d'empêcher tout aménagement de peine pour les récidivistes, et ce que vous avez laissé entendre tout à l'heure n'est pas la réalité. Il s'agit simplement, compte tenu de leur profil, de ne pas prévoir, par exemple, une exécution automatique de la fin de peine sous surveillance électronique. Du fait de la personnalité de ces condamnés, de la récidive, de la nature de certains délits, notamment sexuels, il y aura débat contradictoire devant le juge de l'application des peines afin d'éviter une automaticité ou une quasi-automaticité, mais les récidivistes pourront naturellement bénéficier de tous les aménagements de peine si leur projet de sortie et l'analyse de leur personnalité le permettent.
Un mot sur l'encellulement individuel. Mme la garde des sceaux a fait état tout à l'heure des discussions qui ont eu lieu, des amendements qui seront présentés. Il y a aujourd'hui 60 000 détenus environ. Grâce au plan de construction, nous pourrons en quelques années, d'ici à 2012, disposer de 45 000 cellules individuelles.
Cela signifie que, pour la première fois, nous allons être en mesure d'assurer concrètement une véritable possibilité de choix. Sauf certaines conditions particulières qui seront précisées dans la loi, cette possibilité de choix sera effective ; contrairement à ce que certains ont prétendu, il n'y aura aucun arbitraire.
Nous menons donc un travail de modernisation, non seulement grâce à l'effort de construction, mais aussi grâce à ce texte qui, sur un sujet où nous avons tous la volonté d'avancer, constituera un réel progrès.
Comme l'a rappelé le rapporteur, le Gouvernement a été présent en commission ; nous avons pris notre temps, et nous avons eu un bon débat.
Les présupposés idéologiques ont pu le fausser par moments, mais ils n'ont pas empêché la qualité des échanges. Nous sommes allés dans le détail, au fond des choses,…
…et il n'y a donc pas la moindre raison de renvoyer ce texte en commission. Le débat en commission a permis d'éclairer le débat en séance, qui sera, je l'espère, riche, honnête intellectuellement et constructif. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Nous en arrivons aux explications de vote, pour une durée de deux minutes chacune.
La parole est à M. Michel Vaxès, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Le groupe GDR votera la motion de renvoi en commission. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC.)
M. le secrétaire d'État vient de faire la démonstration que le débat n'a pas eu lieu en commission : il n'aurait pas jugé indispensable, à l'occasion de cette motion de procédure, de refaire le débat si celui-ci s'était tenu en commission, comme cela aurait dû être le cas !
Notre collègue Dominique Raimbourg a évoqué une série de problèmes d'une extrême importance, qui auraient dû être débattus. Non seulement nous n'aurons pas de deuxième lecture, ici, pour en débattre sur le fond, mais nous n'avons même pas eu un tel débat en commission.
Le 8 septembre, nous avons examiné en commission cinquante-neuf articles et plus de 700 amendements en moins de six heures. C'est la raison pour laquelle je ne suis pas resté jusqu'au bout,…
…car travailler dans ces conditions, ce n'est pas travailler !
Pourtant, n'était-il pas question, avec la réforme de notre règlement – je cite le « guide de la réforme du règlement » du président Accoyer –, d'« améliorer les conditions de travail parlementaire pour renforcer la qualité de la loi, asseoir sa légitimité et, corrélativement, servir la sécurité juridique » ? Plus de cent amendements, plus de dix articles à l'heure : est-ce renforcer la qualité de la loi ?
Le temps passé en commission est désormais un indicateur fondamental puisque, je continue de citer la même source, « l'examen des textes par les commissions parlementaires est une étape essentielle pour l'élaboration de la législation. De ce point de vue, c'est d'abord au sein des commissions parlementaires que ce travail s'effectue. »
Et le président Accoyer de poursuivre : :…
…« Le souci de garantir aux assemblées, et donc aux commissions, le temps dont elles ont besoin pour effectuer un travail approfondi, est une dimension forte de la révision constitutionnelle. »
Eh bien, le texte issu de la commission était disponible à vingt et une heures, alors qu'il fallait avoir rédigé avant le lendemain à dix-sept heures les nouveaux amendements sur le texte ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
La parole est à M. Étienne Blanc, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Cette motion de renvoi en commission, nous dit-on, se justifierait, d'une part, parce que le texte n'irait pas assez loin et, d'autre part, parce qu'il serait en recul par rapport au texte du Sénat. On ne peut pas répondre en deux minutes à toute votre argumentation, cher collègue Raimbourg. J'ai donc choisi deux points, sur lesquels portera mon intervention.
Tout d'abord, vous affirmez que nous n'allons pas assez loin sur les soins. Il y a à ce sujet un véritable problème dans les prisons, nous en sommes d'accord. Nous avons d'ailleurs participé ensemble à une mission particulièrement intéressante sur les problèmes de pathologie et de psychiatrie en milieu carcéral.
Or nous avons prévu dans ce texte que les schémas régionaux d'organisation sanitaire devraient obligatoirement comporter un volet sur la santé et la psychiatrie en prison. C'est une avancée considérable. Aujourd'hui, sur les vingt SROS que compte la France, seuls quatre possèdent un volet pénitentiaire.
Le second point traduit une sorte d'obsession chez vous : alors que nous mettons en place un parcours individualisé, vous traduisez cette volonté en disant : « Vous allez être répressifs et restaurer les quartiers de haute sécurité ! » Dans quel article, dans quelle déclaration gouvernementale, dans quelle prise de position de la majorité avez-vous trouvé que nous allions rétablir les QHS ?
Notre philosophie est personnaliste : elle tient compte des différences entre les personnes.
Ce que nous disons, c'est que l'on doit tenir compte de ces différences en prison. Cela ne va pas au-delà.
Vous nous reprochez de reculer par rapport au texte du Sénat, notamment sur les deux ans permettant un aménagement de peine ab initio. Nous ne reculons pas : nous disons simplement qu'il faudra porter une attention plus particulière en cas de récidive. C'est de la cohérence législative ; on ne peut pas voter un texte sur les peines planchers et ne pas en tenir compte s'agissant des aménagements de peine.
Enfin, et Mme la garde des sceaux a parfaitement répondu sur ce point, nous sommes pour l'encellulement individuel, mais nous voulons être pragmatiques, et nous voulons surtout tenir nos engagements, ceux que nous prenons ici, à l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme George Pau-Langevin, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Sur un sujet aussi grave, nous avons besoin d'un débat de qualité, et ce n'est pas en se lançant à la tête des épithètes telles que celles que j'ai entendues tout à l'heure que nous y parviendrons.
Si nous demandons le renvoi en commission, ce n'est pas dans le but de faire un procès d'intention à qui que ce soit, mais parce qu'ayant constaté de nombreux reculs par rapport au texte du Sénat, nous sommes inquiets. Les débats en commission ont vidé de leur substance de nombreuses avancées auxquelles nous étions favorables. Nous demandons donc à la majorité de revenir à des mesures conformes à ce qu'appelle l'esprit du texte.
Vous nous avez rappelé les règles européennes, en soulignant qu'un accord existait entre les responsables des partis européens sur certaines notions. Mais en demandant le respect des droits des détenus, nous nous inspirons de ces règles, et ce qui nous inquiète, c'est justement que les modifications que vous avez introduites vont à leur encontre.
Enfin, vous avez tenté à plusieurs reprises de faire croire que nous étions, par nos observations, en train de critiquer le personnel pénitentiaire.
C'est grave, en effet, car vous savez pertinemment que nous avons un grand respect pour ces hommes et ces femmes qui sont au contact quotidien avec les détenus et qui essayent de rendre plus humaines leurs conditions de détention.
Nous savons qu'ils ne sont pas responsables des incohérences de votre politique. De grâce, lorsque nous critiquons les mesures gouvernementales, n'essayez pas de faire croire que ce sont les personnels pénitentiaires que nous attaquons. Vous savez parfaitement que c'est faux, et que, lorsque nous demandons que les détenus aient des droits, que les conditions de détention soient améliorées, nous voulons aussi permettre aux personnels pénitentiaires de travailler dans des conditions qui respectent leur propre dignité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
La discussion générale est ouverte.
La conférence des présidents ayant décidé qu'il n'y aurait pas de temps global sur ce texte, je devrai faire respecter les temps de parole.
La parole est à M. Michel Vaxès, pour dix minutes.
Que de temps avons-nous attendu avant de pouvoir discuter d'une loi pénitentiaire ! Les rapports alarmants sur la situation de nos prisons se sont succédé, tous partageant le même constat. Les condamnations de la France se sont elles aussi succédé, confirmant l'urgence de légiférer et de repenser tant nos prisons que notre politique pénitentiaire. Il nous a fallu attendre 2009 pour que le Parlement puisse enfin débattre d'une réforme.
Que d'espoirs avons-nous mis dans cette réforme ! Espoirs vite déçus à la lecture du projet de loi soumis par la garde des sceaux d'alors, Mme Dati. De l'avis des professionnels comme des associations, les réponses apportées par son ministère n'étaient pas à la hauteur de l'enjeu.
Certes, l'enjeu était de taille, tant la misère carcérale est une humiliation pour notre pays et notre République. Les chiffres alarmants de la surpopulation, le nombre de suicides, celui des détenus en grande difficulté psychique ou psychiatrique, le poids de l'indigence entre les murs des prisons, en sont autant d'indicateurs.
Autant dire que nous attendions tous avec une grande impatience ce « grand rendez-vous de la pénitentiaire avec l'histoire ». Nous sommes alors allés de déception en déception. Après de multiples reports, le projet de loi qui nous a finalement été présenté était très éloigné non seulement des travaux du comité d'orientation restreint mis en place par le ministère de la justice en 2007, mais aussi des règles pénitentiaires européennes acceptées par la France, ainsi que des nombreuses recommandations faites par les différents rapports publics ou par les états généraux de la condition pénitentiaire.
Ajoutons à cette déception sur le contenu celle de la déclaration d'urgence pour l'examen de ce texte au Parlement. Une urgence qui s'est accommodée des six longs mois ayant séparé l'examen au Sénat de celui à l'Assemblée nationale !
Alors, par où commencer ? Peut-être par l'essentiel : le sens de la peine. Comment concevoir une réforme pénitentiaire sans même s'interroger sur le sens de la peine ? Autrement dit : pourquoi punir ? Qui punir ? Comment punir ? À ces questions, aucune réponse n'a été apportée par le projet de loi initial. Pourtant, une réflexion sur le sens de la peine devrait être au coeur d'une réforme digne de ce nom. Or, il nous a fallu attendre l'intervention des sénateurs pour qu'un article effleure cette question pourtant fondamentale.
Malheureusement, cet article reste largement insatisfaisant. D'abord parce qu'il ne pose pas un préalable indispensable, celui du sens : la peine d'emprisonnement ne doit se concevoir que comme une sanction de dernier recours. Si nous sommes soucieux des principes fondamentaux des droits de l'homme et si nous cherchons à mieux protéger la sécurité publique par une approche pragmatique, nous devons développer et crédibiliser les mesures alternatives à la peine d'emprisonnement. C'est indispensable.
Le régime d'exécution de la peine de privation de liberté, dans la majeure partie des cas, n'est en mesure ni d'assurer dans le temps la protection effective de la société, ni de préparer la personne détenue à sa réinsertion. On sait trop, en effet, combien la prison prolonge et renforce aujourd'hui la logique de délinquance, au point de transformer le rôle éducatif de la sanction en son contraire. Le film Un prophète, bien qu'il soit une fiction, l'illustre magistralement.
Si vous ne confondiez pas effets et causes, vous conserveriez à l'esprit que les risques de récidive sont, comme la primo-délinquance, d'autant plus grands lorsque l'on est sans argent, sans famille, sans amis, sans formation, sans emploi, sans projet, et vous comprendriez mieux que la détention aggrave cette vulnérabilité sociale et professionnelle.
Dans de nombreux cas – c'est l'évidence –, la privation de liberté n'est pas la sanction appropriée à la rupture des règles sociales. La demande sociale d'enfermement n'assurera pas la sécurité revendiquée par ailleurs. Françoise Tulkens, juge à la Cour européenne des droits de l'homme, le dit sans ambiguïté : « Non, sauf rares exceptions, la vie en prison ne permet pas de responsabiliser les auteurs d'actes criminels ou délictueux, ni de les faire entrer dans un processus de réparation, que ce soit vis-à-vis de la victime ou de la société. Les objectifs abstraits de la réhabilitation et du traitement sonnent creux face à la réalité concrète de l'enfermement et de ses effets dévastateurs. »
Cette analyse s'applique aux 93,87 % de peines de prison de moins de deux ans prononcées chaque année. N'en déplaise à votre majorité, madame la garde des sceaux, les mesures alternatives à l'incarcération sont les seules susceptibles de donner un véritable sens à la peine pour ces condamnés.
« Au XXIe siècle, enfermer quelqu'un dans une prison, ce n'est pas le punir : c'est agir par paresse et par prolongement d'un système archaïque, dépassé et inadapté aux sociétés post-modernes », écrit M. Jaffelin, professeur de philosophie. Pour lui, c'est par paresse que notre République met en prison la majeure partie de ses délinquants et qu'elle vide de sens la punition. En effet, il ajoute : « Punir signifie accueillir celui qui a mal agi pour l'inciter à mieux agir. Il n'y a pas de punition sans volonté de correction, c'est-à-dire sans projet de relever celui qui est tombé. » Mais votre posture vengeresse vous rend imperméable à toute visée rédemptrice ! Je le reconnais, concevoir ainsi la peine serait une véritable révolution, qui demanderait beaucoup de courage et exigerait de la pédagogie pour expliquer à nos concitoyens que c'est l'unique solution pour la protection de la société, de la sécurité publique et de leur propre sécurité. Mais ils le comprendraient, j'en suis certain.
Si nous ne sommes pas surpris que le Gouvernement n'ait pas eu ce courage, nous espérions, à tout le moins, pouvoir discuter d'un projet de réforme tendant à rendre la peine de prison plus utile et nos prisons plus acceptables, une réforme qui refuserait d'ajouter à la peine privative de liberté d'autres souffrances innombrables. M. Delarue, notre excellent Contrôleur général des lieux de privation de liberté, énumère une grande partie de ces doubles peines : « la promiscuité, la difficulté de toute intimité, l'extrême difficulté de prendre des initiatives, la soumission constante, les aléas des contacts avec l'extérieur, l'indigence des relations entre personnes, et surtout la violence, les trafics, l'exacerbation des hiérarchies sociales et des tensions dominatrices ».
Or votre texte n'est pas à la hauteur de l'ambition que vous affichez. Il ne mettra pas fin à la situation honteuse, inacceptable, de notre système carcéral. Ce qu'il donne d'une main, il le reprend de l'autre : le texte « consacre la possibilité [...] de restreindre de manière discrétionnaire les droits des personnes détenues », analyse la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Il reste donc bien trop frileux sur toutes les questions qui touchent aux droits et au respect de la dignité des détenus. De même, il ne répond pas aux besoins des services de réinsertion et des personnels de surveillance, qui sont pourtant la clef de voûte d'une prison utile, d'une prison ayant un sens. Enfin, il n'accorde que trop peu d'attention à la mission essentielle qui devrait être celle de la prison : la réinsertion.
Seules les dispositions relatives aux aménagements de peine et au principe de l'encellulement individuel auraient pu nous inciter à porter un regard approbateur sur ce texte. Las, elles ont été rayées d'un trait de plume par le Gouvernement et la commission. Nos collègues sénateurs s'étaient pourtant attachés à nous présenter un texte plus ambitieux que celui du Gouvernement. En commission, votre majorité a pratiquement réduit à néant leurs efforts. Dans le cadre de cette discussion, nous reviendrons sur chacune de ses dispositions pour souligner, au pire, leur indignité, au mieux, leurs insuffisances ; parfois, mais trop rarement, nous saurons saluer de maigres avancées.
Peut-être nous trouvez-vous sévères, mais nous ne le sommes pas plus que les acteurs du monde carcéral qui, quasi unanimement, dénoncent un texte vide et sans ambition. Vous nous aviez donné rendez-vous avec l'histoire : c'est un rendez-vous manqué. Pourtant, les syndicats de l'administration pénitentiaire, de magistrats et d'avocats, les associations et les intervenants, l'Observatoire international des prisons, les institutionnels, dont la CNCDH et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, étaient à l'heure pour ce grand rendez-vous. Avec eux, nous sommes profondément déçus et nous attendons encore une avancée. Mais est-il encore temps que le débat qui s'ouvre vous fasse évoluer dans la bonne direction ? Hélas, j'en doute, tant la question des moyens nécessaires a été peu évoquée ! Les seuls amendements qui abordaient cette question ont été écartés au titre de l'article 40 – j'aurai l'occasion d'y revenir. Les moyens accordés à notre système pénitentiaire ne permettront pas aux agents qui ont en charge ce service public d'accomplir les missions qu'ils veulent être les leurs. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, enfin nous examinons le projet de la loi pénitentiaire dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale ! La situation des prisons françaises a été qualifiée de « honte » par le Président de la République lui-même, lors de son discours devant le Parlement réuni en congrès, à Versailles, au mois de juin dernier. On ne compte plus les rapports parlementaires, tant de l'Assemblée que du Sénat, ni les commissions d'enquête qui ont donné lieu à une prise de conscience et à des propositions concrètes pour remédier aux maux de la prison. On ne peut donc qu'apprécier que nous soyons enfin à même de discuter d'une loi pénitentiaire évoquée et appelée de leurs voeux par tous les députés depuis plus de dix ans.
L'examen de ce texte est à porter au crédit de la majorité gouvernementale et présidentielle, et s'inscrit d'ailleurs dans une longue série de décisions : le plan, d'une ampleur sans précédent, de construction de prisons, qui permettra, en 2012, à notre pays d'être doté de plus de 60 000 places – ce programme immobilier ayant été accéléré grâce au partenariat public-privé –, la création d'un poste de Contrôleur général des prisons – j'associe à cette décision, madame la garde des sceaux, votre prédécesseure, Mme Rachida Dati –, ainsi que l'allocation de crédits pour améliorer les moyens de l'administration pénitentiaire. Au nom des députés de Nouveau Centre, je vous apporte d'ores et déjà notre soutien, à vous et au Gouvernement, pour l'adoption de cette loi pénitentiaire.
Cela étant, faisons en sorte que cette loi ne soit pas un rendez-vous manqué.
À cet égard, j'aurais souhaité que l'examen de cette loi soit replacé dans son contexte européen. Il est vrai que le rapporteur vient de l'évoquer à la tribune. On ne peut en effet ignorer le rôle des institutions européennes, en particulier celui du Conseil de l'Europe, dont on célébrera, à la fin du mois de septembre, le soixantième anniversaire. Présenté comme la conscience de l'Europe, comme le dernier rempart contre l'arbitraire, le Conseil de l'Europe a largement inspiré, et contribué à élaborer, un cadre normatif exigeant. De même, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe et les instruments d'évaluation et de contrôle – je pense au comité de prévention de la torture – ont largement dénoncé la situation inadmissible des prisons, que ce soit en France ou dans d'autres pays d'Europe. J'aurais apprécié également que l'on soutienne les projets de recommandations sur la situation des prisons et le projet de charte pénitentiaire. Mais tout ce travail n'a pas été vain puisque les règles pénitentiaires ont été actualisées récemment.
Ce qui importe, madame la garde des sceaux, c'est de disposer d'un instrument normatif rappelant les droits et les obligations de chacun : ceux de l'État et de l'administration pénitentiaire, mais aussi ceux des détenus et du personnel pénitentiaire. Telle est bien la vocation du projet de loi pénitentiaire dont nous entamons la discussion cet après-midi. Je tiens à rendre hommage à mon tour, comme vous l'avez fait solennellement à cette tribune, au travail et à l'abnégation du personnel pénitentiaire, dont la mission est extrêmement difficile. L'amélioration des conditions de détention améliorera également les conditions de travail du personnel. Je veux aussi rendre hommage aux visiteurs de prisons, aux aumôniers et à toutes ces personnes qui, par leur visite et leur écoute, soutiennent les détenus.
Rappelons d'abord, avant d'entrer dans le détail du texte, une obligation : la nécessaire sanction de tous ceux qui, par leurs actes, ont commis des délits et des crimes. Nous ne pouvons faire l'impasse sur les victimes, ignorer ces personnes envers qui la société, vous l'avez rappelé, a des devoirs. La société doit aussi se protéger et sanctionner, il ne faut jamais l'oublier.
Mais la seule sanction doit être la privation de liberté, et non pas l'atteinte à la dignité de la personne détenue. C'est le fondement même de cette loi pénitentiaire. Nous avons réussi à élaborer un texte qui fait la synthèse entre l'exigence d'humanité et l'exigence de fermeté, qui n'est pas moindre. Oui, fermeté envers la délinquance, car rappelons les chiffres : plus de quatre millions de crimes et de délits sont commis chaque année, la capacité de jugement ne dépasse guère les 600 000 affaires, les peines d'emprisonnement prononcées sont de 100 000, et près de 40 000 peines de prison ne sont jamais exécutées ! Dans ce contexte, nous devons non seulement prendre en compte la dangerosité des détenus, mais aussi améliorer l'effectivité des peines – je sais que ce combat vous est cher, madame la garde des sceaux. C'est une question à la fois de bon sens, de crédibilité et de confiance dans les institutions de la République. Il nous faut développer les mesures alternatives à l'emprisonnement pour les auteurs de délits qui méritent certes une sanction, mais une sanction susceptible de se concrétiser en dehors de la prison. Je veux, à ce stade, saluer les travaux de la commission des lois, car nous y avons travaillé, ces dernières années, pour faciliter le recours aux peines alternatives, en particulier le placement sous bracelet électronique. À cet égard, on ne peut que regretter que les travaux d'intérêt général ne soient pas assez développés.
Par ailleurs, le projet de loi ne précise pas les moyens humains prévus pour faciliter l'accès aux soins des détenus qui relèvent plus de la psychiatrie que de la prison. Vous avez évoqué leur cas, madame la garde des sceaux, mais énumérer des règles et des principes est une chose, veiller à expérimenter et à donner les moyens financiers et humains pour appliquer ces principes en est une autre, et c'est un objectif auquel nous devons nous atteler. Il en va de la crédibilité du dispositif.
Il nous faut généraliser la formation et le travail en prison, car nous savons que cela constitue un facteur d'intégration et un moyen de lutter contre la récidive. Or qu'en est-il de la réalité des prisons ? Des cellules surpeuplées, avec 62 000 détenus pour 48 000 places, des télés qui diffusent en boucle toute la journée, une surpopulation et une promiscuité, source de violence. Le Sénat l'a prévu, et il faut aller dans ce sens : donnons aux régions, qui ont la compétence en matière de formation, les moyens d'expérimenter des actions de formation à destination des détenus. Vous avez abordé avec franchise, madame la garde des sceaux, la question de l'encellulement individuel, en disant que si ce doit être un objectif, encore faut-il laisser le choix au détenu. Je vais dans votre sens, mais à la condition que ce ne soit pas le moyen de retarder encore la résolution du problème de la surpopulation, voire de justifier encore plus longtemps l'arrivée de nouveaux détenus dans des cellules déjà surpeuplées.
J'ai visité des prisons à travers le monde entier. J'en ai retiré une expérience qui m'a marqué à jamais. L'atteinte à la dignité des prisonniers doit être combattue, et la France, pays des droits de l'homme, n'a hélas aucune leçon à donner aux autres pays du monde.
À l'occasion de la discussion de cette loi pénitentiaire, il faut nous inspirer des meilleures pratiques à l'étranger, tel le numerus clausus en Pologne, qui interdit l'emprisonnement s'il n'y a pas de place sauf, naturellement, pour les auteurs de crimes ou de flagrants délits ; j'aurais aimé que nous donnions plus de moyens au Contrôleur général des lieux de privation de liberté et au Médiateur de la République pour résoudre les conflits entre les prisonniers et l'administration pénitentiaire, à l'image de ceux dont dispose le médiateur en République Tchèque.
En outre, j'aurais souhaité – mais mes amendements ont été déclarés irrecevables – que l'on généralise les caméras dans tous les lieux publics de la prison, pour une question de sécurité mais aussi d'apaisement : dans les couloirs, la cour, les ateliers, le gymnase. J'ai vu des prisons apaisées du fait que les prisonniers quittent leur cellule le matin pour se rendre dans des ateliers de formation, et ne les regagnent qu'en fin de journée.
Il nous faut absolument, au-delà du vote des principes généraux contenus dans cette loi, mettre en place des mécanismes de contrôle plus efficace, et surtout, à l'avenir, consacrer les moyens financiers nécessaires pour faire respecter l'application desdits principes, motifs de notre soutien.
J'aurais également voulu, madame la garde des sceaux, que la France soit à l'initiative de la création d'un observatoire européen de tous les lieux de privation de liberté, pour aider et mettre en réseau tous ceux et toutes celles qui visitent les prisons, et pour s'inspirer des meilleures pratiques.
J'aurais souhaité que nous évoquions aussi l'accès et les visites des familles des prisonniers, qui généralement n'ont le droit qu'à quelques instants dans des parloirs dépourvus de toute intimité. À cet égard, certaines dispositions du projet de loi vont dans le bon sens.
Enfin, je voudrais évoquer les remises de peine. Devant vous comme devant vos prédécesseurs, je répète que je considère que la peine d'emprisonnement doit être réellement effectuée, que les remises de peine doivent tenir compte de la nature et de la dangerosité des détenus, être strictement encadrées et exclure les récidivistes en matière criminelle ainsi que les auteurs de délits sexuels – vous l'avez confirmé, madame la garde des sceaux, et je m'en réjouis. Je vous ai alertée car il n'est pas concevable qu'aux yeux de l'opinion publique cette loi pénitentiaire se réduise à la possibilité d'effectuer chez soi des peines de deux ans d'emprisonnement !
C'est pourquoi mon groupe sera très attentif à l'encadrement très strict des aménagements de peine, à l'exclusion de ce dispositif des récidivistes et des auteurs des crimes et délits sexuels, ainsi que vous l'avez rappelé tout à l'heure du haut de cette tribune. L'un de mes amendements prévoit de ramener de deux ans à un an la durée d'un possible aménagement de peine. Je suis ouvert à la discussion, à condition que la majorité appuie le Gouvernement pour que nous encadrions très strictement cette faculté.
Il nous faut également rappeler le scandale de la détention provisoire. Alors que des réformes récentes l'ont strictement encadrée pour la rendre très exceptionnelle, elle est trop communément prononcée, souvent à la suite d'aveux en gardes à vue – lesquelles ne sont elles-mêmes pas assez strictement encadrées.
Pour terminer, je voudrais remercier ceux et celles, notamment dans la presse écrite, qui n'ont cessé de dénoncer l'inacceptable.
Je me tourne vers les bancs de l'opposition pour remercier tous mes collègues qui ont eu le courage de s'attaquer à la situation dans les prisons. Élus du suffrage universel, nous savons bien que la cause des prisons n'est pas très populaire. En démocratie, l'attente légitime de nos électeurs nous fournit bien d'autres sujets de préoccupation : le logement, le transport, la solidarité. Il est néanmoins de notre devoir de veiller à l'humanisation des prisons, au respect de la dignité et de l'humanité de ceux et celles qui, par leur crime, ont perdu les leurs en un instant.
Étant originaire de l'ouest du pays, je voudrais aussi rendre hommage au président d'Ouest-France qui n'a cessé de dénoncer l'indignité des prisons françaises dans ses éditoriaux et ses combats. Madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, tous ces hommes et ces femmes ont aussi leur part au rendez-vous qui nous réunit cet après-midi dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale.
Tout à l'heure, mon collègue Dominique Raimbourg a parlé de son expérience et cité des prisonniers. Je ne vous citerai pas les témoignages que j'ai pu recueillir lors de visites de lieux de privation de liberté. Je les garderai pour moi. Mais, au moment de conclure, je me souviens de l'appel des victimes, notamment de parents qui ont perdu un enfant. Il faut dire que nous pouvons légiférer pour améliorer la situation dans les prisons, sans pour autant perdre les exigences de fermeté, de sanction, de protection de la société.
Sur l'essentiel, il n'y a ni gauche ni droite qui vaillent, seulement l'exigence suprême de veiller à légiférer pour l'homme. C'est pourquoi je vous apporte mon soutien. Lors de cette discussion, j'apporterai ma contribution à l'amélioration de ce texte. Je vous remercie de votre attention.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous devons bien constater aujourd'hui une réalité : la France n'est pas fière des conditions dans lesquelles les condamnés exécutent leur peine de prison, pas plus que des conditions d'accueil des prévenus dans les maisons d'arrêt.
Aujourd'hui, la majorité des Français s'accorde pour constater le décalage de notre système pénitentiaire par rapport à ceux de certains pays d'Europe et – ce qui est sans doute plus grave – par rapport à la mentalité d'une société qui a considérablement évolué sur le sens qu'elle veut donner à la peine d'emprisonnement.
Longtemps l'opinion publique a considéré que la peine de prison constituait exclusivement un châtiment et que le caractère dégradant, parfois inhumain, de son exécution n'était que la conséquence d'actes répréhensibles, voire monstrueux, méritant une punition sévère. Longtemps l'avilissement du condamné n'a pas choqué l'opinion.
Ainsi, l'encellulement collectif, les traitements dégradants, l'isolement au cachot constituaient pour l'opinion des éléments consubstantiels de l'exécution de la peine. C'est sans doute sous l'influence d'une multitude de rapports produits par des associations et par notre Parlement, et aussi sous l'influence du droit européen, qu'aujourd'hui notre pays exige une réforme de fond du système pénitentiaire.
Oui, il est temps de donner suite à cette résolution du Parlement européen qui invitait, en décembre 1998, les États membres à se doter d'une loi fondamentale sur les établissements pénitentiaires. Il est temps aussi de mettre en oeuvre ou de mieux prendre en compte les recommandations du Conseil européen sur les règles pénitentiaires européennes, comme il est temps de donner suite aux conclusions émises en 2000 par les commissions parlementaires d'enquête que présidaient Guy Cabanel et Jacques Floch.
C'est d'ailleurs ce que déclarait le Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles – un temps fort de notre vie publique – le 22 juin 2009. Je le cite : « Comment accepter que la situation dans nos prisons soit aussi contraire à nos valeurs de respect de la personne humaine. La détention est une épreuve dure. Elle ne doit pas être dégradante. Comment espérer réinsérer dans la société ceux qu'on aura privé pendant des années de toute dignité ? L'état de nos prisons, nous le savons tous, est une honte pour notre République, quel que soit par ailleurs le dévouement du personnel pénitentiaire. » Tout était dit dans ces quelques lignes.
Que se passe-t-il dans nos prisons françaises ? Entre 2003 et 2008, en moyenne 110 personnes se sont donné la mort chaque année. Le taux de suicide en prison est sept à dix fois supérieur à celui constaté dans la population générale.
C'est une population surexposée au VIH et aux hépatites. Quelque 50 % des entrants nécessitent des soins bucco-dentaires, dont 4 % dans l'extrême urgence. Un tiers des détenus sont des usagers de substances illicites ; 78 % présentent une addiction au tabac ; plus d'un tiers souffrent d'une consommation excessive d'alcool.
Le recours aux soins de santé mentale est dix fois supérieur à celui observé dans la population générale – rappelons que l'incarcération génère ou augmente les risques de fragilité psychique ou psychologique. Plus de 40 % des détenus présentent un état dépressif majeur et un tiers d'entre eux souffrent d'anxiété généralisée. Un quart sont atteints de troubles psychotiques et 7 % souffrent de schizophrénie, soit huit fois plus que dans la population générale.
Oui, la prison est peut-être devenue un hôpital ou un hospice recevant celles et ceux qui errent dans la rue en situation de marginalisation, qui ne trouvent plus de place dans notre société et commettent des infractions diverses. Malheureusement, la prison n'a pas les moyens des hôpitaux. Cela explique peut-être les 147 mouvements collectifs de contestation constatés dans nos établissements pénitentiaires en 2008 – dont 26 ont nécessité l'intervention de forces spéciales –, les 595 agressions graves commises par des détenus sur des personnels, les 465 actes de violences entre détenus.
Nous voudrions que, grâce au projet de loi pénitentiaire que vous nous soumettez, madame la garde des sceaux, les 66 000 personnes placées sous main de justice dans nos établissements pénitentiaires bénéficient d'un service public qui ne soit pas seulement destiné à les écarter de la vie civile, mais qui puisse garantir leurs droits, assurer leur sécurité, favoriser leur réinsertion tout en leur infligeant cette peine privative de liberté qu'ils doivent exécuter.
J'observe d'ailleurs que les principes généraux de ce texte – contrairement à ce qui a été soutenu dans les deux motions de procédure – recueillent l'assentiment d'une très large majorité sur tous les bancs de notre assemblée comme ce fut le cas au Sénat. L'esprit d'une loi étant souvent plus important que le texte lui-même ou certains points précis, je voudrais rappeler cette phrase de Robert Badinter qui, à mes yeux, est très significative. Il disait : « Je suis convaincu qu'il s'agira là d'une grande loi. » À l'UMP, nous partageons cette vision des choses.
Il s'agit tout d'abord de mettre en oeuvre les dispositions de l'article 34 de la Constitution : les principes qui fondent nos libertés publiques doivent être garantis en cas d'emprisonnement ; les mesures applicables doivent relever de dispositifs législatifs et non pas de l'article 37 de notre Constitution.
Deuxièmement, notre droit doit mieux intégrer les principes généraux des règles pénitentiaires européennes. Depuis quinze ou vingt ans, ces principes généraux ont déjà été pris en compte dans les règlements qui régissent nos établissements pénitentiaires, mais cette préoccupation est au coeur du texte que vous nous présentez. Je me permets de le dire : lors des congrès de jeunes avocats auxquels j'ai participé, nous n'étions pas très fiers, à l'époque, du retard pris par la France sur cette question essentielle.
Troisièmement, le texte fixe les cinq missions confiées au service pénitentiaire : l'exécution des peines, mais aussi la réinsertion, la prévention de la récidive, la sécurité publique et l'aménagement des peines.
Quatrièmement, le texte pose le principe selon lequel une personne détenue est bien privée de sa liberté de mouvement, mais uniquement de cette liberté. Ses autres droits, compatibles avec le régime de détention, sont maintenus. À ce titre, l'exercice des cultes, le régime des visites au parloir, le contrôle de la correspondance, les fouilles des locaux, des personnes et des vêtements seront désormais régis par la loi.
Cinquièmement, les régimes disciplinaires et d'isolement seront aussi régis par la loi : graduation des fautes, renforcement du principe de la procédure contradictoire et de l'exercice des voies de recours dans la mise en oeuvre des sanctions.
Sixièmement, la proposition de loi pose comme principe que l'emprisonnement est un ultime recours en matière correctionnelle et, tirant les conséquences de ce principe, assouplit les procédures d'aménagement de peines. Comme cela a été rappelé tout à l'heure, notre majorité s'interroge sur le fait de porter de un à deux ans l'aménagement ab initio. C'est pourquoi le groupe UMP soutiendra les amendements du rapporteur visant à limiter cet aménagement ab initio à celles et ceux qui ne sont pas en état de récidive.
Septièmement, ce texte réaffirme le principe de l'encellulement individuel auquel l'UMP est très attachée. Mais il n'est pas de bon principe qui ne soit suivi d'effet. Dans ce domaine, il faut tenir compte des contraintes juridiques, matérielles et – évidemment – budgétaires. En cela, nous soutiendront la proposition qui nous est faite de rappeler le principe de l'encellulement individuel pour l'avenir.
Madame la garde des sceaux, ce texte honore le Gouvernement et la majorité. Humainement et socialement, il constitue une avancée considérable pour notre pays, qui ancre ses traditions dans une vigilance scrupuleuse s'agissant du respect des droits de la personne humaine. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi pénitentiaire était très attendu : d'abord par les personnels pénitentiaires – surveillants de prison et conseillers d'insertion, personnels techniques et soignants – ; par les associations et militants des droits de l'hommes ; par les familles des victimes, qui ont sans doute compris, au-delà de toute démagogie, que la diminution du nombre de crimes et de délits passait d'abord par la réinsertion des condamnés et la prévention de la récidive ; par les principaux intéressés enfin et surtout, c'est-à-dire les quelque 63 000 détenus – le « stock », comme on dit, sans compter le « flux » – qui s'entassent au sein des prisons françaises dans des conditions souvent indignes de surpopulation et de promiscuité. Ces prisonniers attendent désespérément de devenir enfin des sujets de droit, des citoyens à part entière, et ce malgré leur punition, laquelle se limite à la privation de liberté.
En réponse à cette situation, le Gouvernement ne joue que sur deux paramètres : la rénovation de places existantes – ce que nous ne pouvons qu'approuver –, mais aussi, et ce point est plus problématique, l'augmentation du nombre de places nouvelles, laquelle, loin de constituer une réponse pénale satisfaisante, s'apparente à une fuite en avant qui empêche de s'interroger sur le sens de la peine. Que peut en effet apporter une peine de prison effectuée dans des conditions humiliantes ou indignes ? Car il s'agit bien d'humiliation et d'indignité, dès lors qu'un droit fondamental, le droit à l'intimité, est bafoué, sans parler du peu d'attention portée à la santé des détenus, problème auquel le texte ne remédie pas tout à fait.
L'un des symptômes très graves du mauvais état de notre système pénitentiaire est, comme vous l'avez vous-même observé, madame la garde des sceaux, l'augmentation effrayante du nombre de suicides en prison. Laissons les querelles de chiffres – 100, 110 ou 115 suicides au 31 août ? – ; le fait est que la France détient le plus fort taux de suicides parmi les détenus. J'ajoute que, pour une tentative malheureusement réussie, dix autres sont déjouées par les codétenus ou l'administration pénitentiaire. Je veux à cette occasion rendre hommage aux surveillants, parfois insuffisamment formés à la détection de ce type de drames.
Le rapport du professeur Albrand n'avait pas été suivi d'effets au printemps, et c'est à juste titre, madame la garde des sceaux, que vous avez voulu apporter des réponses d'urgence. Mais nous souhaitons que celles-ci s'accompagnent de mesures pérennes, et que le travail de prévention et de formation du personnel soit poursuivi.
Beaucoup de condamnés arrivent en prison dans un état de santé médiocre qu'aggravent encore les conditions de détention. Je ne répéterai pas les remarques formulées par Étienne Blanc dans son excellent rapport auquel nous avons tous participé, reconnaissant unanimement la gravité des problèmes sanitaires des détenus, dont 20 % à 40 % sont en grande difficulté psychique et psychiatrique. Ceux-ci, auparavant, auraient été soignées dans des établissements spécialisés. Certains d'entre eux sont dangereux pour eux-mêmes, pour leurs codétenus et pour les surveillants ; en tout cas leur place n'est pas dans ces lieux fermés, incompatibles avec un traitement, où les conditions de vie sont si difficiles et où règne la promiscuité. En outre, le développement des toxicomanies ou de l'alcoolisme déstabilisent hélas grandement les établissements pénitentiaires.
Nous avons souvent dénoncé l'insuffisance des moyens mis à la disposition de la psychiatrie pénitentiaire, et tous les professionnels de santé et du secteur social continuent de le faire. À ce problème majeur et urgent des établissements pénitentiaires et de la vie carcérale, le présent texte, je suis au regret de le dire, ne répond pas. Des amendements de bon sens déposés par le groupe SRC, qui auraient pu faire l'unanimité, proposaient un examen dentaire des détenus – dont on connaît l'état de dentition souvent dramatique – pendant la peine ; mais une interprétation extrêmement restrictive et un peu regrettable de l'article 40 les a rendus irrecevables. Nous souhaitons que le Gouvernement lève cet obstacle, car les problèmes en jeu sont importants.
Vous le savez, madame la garde des sceaux, la loi de 1994 avait fait rentrer la médecine pénitentiaire dans le droit commun. Il importe de poursuivre le développement des unités de consultation et de soins ambulatoires, de former mieux les personnels, de créer des UHSA – unités hospitalières spécialement aménagées – et des UHSI –unités hospitalières sécurisées interrégionales –, et de mieux impliquer le ministère de la santé dans les soins au détenu et la prévention.
Se pose en outre le problème du vieillissement de la population carcérale.
En effet, chers collègues de la majorité, si, du fait de vos lois répressives, davantage de personnes sont incarcérées et la durée des peines allongée, il y aura de plus en plus de personnes âgées et handicapées en prison.
Restent enfin des problèmes actuels dont je vous avais entretenue, madame la garde des sceaux.
Je conclus, monsieur le président.
Qu'avez-vous prévu, madame la garde des sceaux, pour la grippe A ? Comment stopper une contagion dans des cellules où cohabitent quatre, cinq ou six personnes ? Avec une telle promiscuité, je crains que la situation ne devienne dramatique et incontrôlable.
Face à ces défis, les élus du groupe SRC attendent des progrès significatifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, quel lieu plus mal-aimé, plus méprisé et plus ignoré que la prison, ce lieu où l'on met à l'écart délinquants et criminels qui, selon certains, ne mériteraient aucun égard ?
C'est bien pourtant de ce lieu que nous parlons aujourd'hui, nous qui représentons l'expression de la démocratie. Nous sommes bien en phase avec l'objet du projet de loi et de ce que sera notre discussion : c'est l'esprit de la démocratie qui doit désormais pénétrer nos prisons, car chacun s'accordera à déplorer que la violence et les inégalités sociales ou culturelles corrompent le système carcéral.
L'actualité nous rappelle chaque jour l'urgence d'agir en ce domaine. Tous les trois jours en moyenne, un détenu se donne la mort en France. Les agressions ne sont que trop nombreuses et les conditions de détention – qui, à n'en pas douter, expliquent cette triste réalité – nous horrifient à chaque fois qu'elles sont relayées par les médias.
Pour ne plus voir se multiplier les drames que notre République supporte chaque jour, et afin que la France ne soit plus condamnée pour les conditions pénitentiaires qu'elle « offre » à ses détenus, nous devons prendre nos responsabilités de parlementaires et faire du projet de loi pénitentiaire l'un des grands textes de notre législature.
Mes chers collègues, si, comme l'a affirmé Albert Camus, « une société se juge à l'état de ses prisons », il est aujourd'hui temps de prouver la force et la qualité de notre démocratie. C'est un sujet trop grave pour que la polémique s'installe dans notre débat.
L'enfermement dans l'une de nos prisons devra, s'il se veut efficace, être utile au détenu : en lui permettant tout d'abord d'acquérir des connaissances ou un savoir-faire qu'il pourra mettre à profit à sa sortie ; en organisant ensuite sa peine de manière à éviter la sortie « sèche », laquelle conduit bien trop souvent à la récidive. Combien a-t-on vu d'ex-détenus déposés sur le trottoir de la maison d'arrêt, avec quelques euros en poche, sans formation, sans suivi, bref, sans avenir ?
Ne nous y trompons pas : la prison, érigée en dernier recours, doit rester le lieu d'une privation temporaire de liberté, mais rien de plus. Le détenu doit pouvoir bénéficier de ses droits élémentaires de citoyen.
Sur le terrain, dans ma circonscription, je suis en première ligne pour mesurer le chemin qui nous reste à accomplir. Près de chez moi se trouve la maison d'arrêt de Loos-lez-Lille ; bientôt, celle d'Annoeullin, actuellement en construction, la complétera. Ma circonscription compte également le centre de semi-liberté d'Haubourdin, qui gère en outre la surveillance électronique des détenus : c'est un exemple de ce vers quoi nous devons tendre. Les centres de semi-liberté sont en effet des réponses à la surpopulation carcérale et aux difficultés de réintégration dans la société. Le régime aménagé qu'ils proposent permet à une personne condamnée à une courte peine de rester sans surveillance pour le temps d'une activité professionnelle, d'une formation, de soins médicaux et même d'une participation à sa vie de famille. Le projet dont nous discutons ce soir oeuvre également en ce sens et nous ne pouvons que nous en réjouir.
Entendons-nous bien : le condamné doit effectuer sa peine. Toutefois, l'enjeu principal n'est plus la simple réalisation de celle-ci, mais également la préparation à la remise en liberté. Un détenu qui a conservé un lien avec l'extérieur et a valorisé sa peine en exerçant une activité qui le rend apte à une meilleure socialisation aura moins de risques de récidiver qu'un détenu oisif, exposé quotidiennement aux violences d'une prison vétuste.
L'aménagement des peines est un enjeu central de cette réforme, de même que l'amélioration des conditions de détention. En effet, nous ne pouvons plus supporter les images de ces prisons d'un autre âge, de ces cellules de 9 mètres carrés où les détenus sont entassés à trois, quatre ou davantage. Le Gouvernement nous a annoncé la fermeture avant 2012 de 37 des 44 établissements avec dortoirs. C'est un premier pas indispensable, mais il doit en appeler d'autre. Notre maître mot, lors de cette discussion, doit être la dignité. Cette dernière ne peut s'exprimer dans nos prisons que si nous apportons aux détenus les conditions d'une incarcération digne. C'est un credo simple, mais nous devons tous l'avoir à l'esprit.
Le projet de loi pénitentiaire nous apporte à ce titre des réponses opportunes. Aujourd'hui, notre majorité agit pour améliorer la situation de nos établissements pénitentiaires et de leurs détenus. L'opposition a beau jeu de pointer la politique du Gouvernement, à ses yeux trop carcérale. Mes chers collègues, faudrait-il renoncer à punir les actes de délinquance et les actes criminels pour éviter l'encombrement des prisons ? Non, bien sûr. Pour autant, nous n'abandonnerons personne : ni nos concitoyens victimes de la délinquance, ni les détenus responsables de cette délinquance, qui, cependant – nous ne l'oublions pas – sont appelés à retrouver une place dans la société.
Gardons à l'esprit que la détention est l'affaire de la société dans son ensemble, et non des seuls détenus et surveillants pénitentiaires – ces derniers accomplissant, soit dit au passage, un travail remarquable dans des situations souvent difficiles. L'enjeu est aujourd'hui de fournir à notre démocratie les moyens de punir dans le respect des personnes tout en assurant de meilleures chances de réinsertion.
Il est de notre responsabilité d'adopter une réforme équilibrée qui prenne en compte les évolutions de notre société.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce projet de loi pénitentiaire restera dans l'histoire, j'en suis certain, comme celui grâce auquel notre pays en aura fini avec ce « monde carcéral », milieu fermé, tenu à l'écart, déshumanisant et finalement école de la récidive. Il fera apparaître un milieu carcéral humain, utile au détenu et à la société tout entière.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi pénitentiaire.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures dix.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma