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Intervention de Michel Vaxès

Réunion du 15 septembre 2009 à 15h00
Loi pénitentiaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Vaxès :

Que de temps avons-nous attendu avant de pouvoir discuter d'une loi pénitentiaire ! Les rapports alarmants sur la situation de nos prisons se sont succédé, tous partageant le même constat. Les condamnations de la France se sont elles aussi succédé, confirmant l'urgence de légiférer et de repenser tant nos prisons que notre politique pénitentiaire. Il nous a fallu attendre 2009 pour que le Parlement puisse enfin débattre d'une réforme.

Que d'espoirs avons-nous mis dans cette réforme ! Espoirs vite déçus à la lecture du projet de loi soumis par la garde des sceaux d'alors, Mme Dati. De l'avis des professionnels comme des associations, les réponses apportées par son ministère n'étaient pas à la hauteur de l'enjeu.

Certes, l'enjeu était de taille, tant la misère carcérale est une humiliation pour notre pays et notre République. Les chiffres alarmants de la surpopulation, le nombre de suicides, celui des détenus en grande difficulté psychique ou psychiatrique, le poids de l'indigence entre les murs des prisons, en sont autant d'indicateurs.

Autant dire que nous attendions tous avec une grande impatience ce « grand rendez-vous de la pénitentiaire avec l'histoire ». Nous sommes alors allés de déception en déception. Après de multiples reports, le projet de loi qui nous a finalement été présenté était très éloigné non seulement des travaux du comité d'orientation restreint mis en place par le ministère de la justice en 2007, mais aussi des règles pénitentiaires européennes acceptées par la France, ainsi que des nombreuses recommandations faites par les différents rapports publics ou par les états généraux de la condition pénitentiaire.

Ajoutons à cette déception sur le contenu celle de la déclaration d'urgence pour l'examen de ce texte au Parlement. Une urgence qui s'est accommodée des six longs mois ayant séparé l'examen au Sénat de celui à l'Assemblée nationale !

Alors, par où commencer ? Peut-être par l'essentiel : le sens de la peine. Comment concevoir une réforme pénitentiaire sans même s'interroger sur le sens de la peine ? Autrement dit : pourquoi punir ? Qui punir ? Comment punir ? À ces questions, aucune réponse n'a été apportée par le projet de loi initial. Pourtant, une réflexion sur le sens de la peine devrait être au coeur d'une réforme digne de ce nom. Or, il nous a fallu attendre l'intervention des sénateurs pour qu'un article effleure cette question pourtant fondamentale.

Malheureusement, cet article reste largement insatisfaisant. D'abord parce qu'il ne pose pas un préalable indispensable, celui du sens : la peine d'emprisonnement ne doit se concevoir que comme une sanction de dernier recours. Si nous sommes soucieux des principes fondamentaux des droits de l'homme et si nous cherchons à mieux protéger la sécurité publique par une approche pragmatique, nous devons développer et crédibiliser les mesures alternatives à la peine d'emprisonnement. C'est indispensable.

Le régime d'exécution de la peine de privation de liberté, dans la majeure partie des cas, n'est en mesure ni d'assurer dans le temps la protection effective de la société, ni de préparer la personne détenue à sa réinsertion. On sait trop, en effet, combien la prison prolonge et renforce aujourd'hui la logique de délinquance, au point de transformer le rôle éducatif de la sanction en son contraire. Le film Un prophète, bien qu'il soit une fiction, l'illustre magistralement.

Si vous ne confondiez pas effets et causes, vous conserveriez à l'esprit que les risques de récidive sont, comme la primo-délinquance, d'autant plus grands lorsque l'on est sans argent, sans famille, sans amis, sans formation, sans emploi, sans projet, et vous comprendriez mieux que la détention aggrave cette vulnérabilité sociale et professionnelle.

Dans de nombreux cas – c'est l'évidence –, la privation de liberté n'est pas la sanction appropriée à la rupture des règles sociales. La demande sociale d'enfermement n'assurera pas la sécurité revendiquée par ailleurs. Françoise Tulkens, juge à la Cour européenne des droits de l'homme, le dit sans ambiguïté : « Non, sauf rares exceptions, la vie en prison ne permet pas de responsabiliser les auteurs d'actes criminels ou délictueux, ni de les faire entrer dans un processus de réparation, que ce soit vis-à-vis de la victime ou de la société. Les objectifs abstraits de la réhabilitation et du traitement sonnent creux face à la réalité concrète de l'enfermement et de ses effets dévastateurs. »

Cette analyse s'applique aux 93,87 % de peines de prison de moins de deux ans prononcées chaque année. N'en déplaise à votre majorité, madame la garde des sceaux, les mesures alternatives à l'incarcération sont les seules susceptibles de donner un véritable sens à la peine pour ces condamnés.

« Au XXIe siècle, enfermer quelqu'un dans une prison, ce n'est pas le punir : c'est agir par paresse et par prolongement d'un système archaïque, dépassé et inadapté aux sociétés post-modernes », écrit M. Jaffelin, professeur de philosophie. Pour lui, c'est par paresse que notre République met en prison la majeure partie de ses délinquants et qu'elle vide de sens la punition. En effet, il ajoute : « Punir signifie accueillir celui qui a mal agi pour l'inciter à mieux agir. Il n'y a pas de punition sans volonté de correction, c'est-à-dire sans projet de relever celui qui est tombé. » Mais votre posture vengeresse vous rend imperméable à toute visée rédemptrice ! Je le reconnais, concevoir ainsi la peine serait une véritable révolution, qui demanderait beaucoup de courage et exigerait de la pédagogie pour expliquer à nos concitoyens que c'est l'unique solution pour la protection de la société, de la sécurité publique et de leur propre sécurité. Mais ils le comprendraient, j'en suis certain.

Si nous ne sommes pas surpris que le Gouvernement n'ait pas eu ce courage, nous espérions, à tout le moins, pouvoir discuter d'un projet de réforme tendant à rendre la peine de prison plus utile et nos prisons plus acceptables, une réforme qui refuserait d'ajouter à la peine privative de liberté d'autres souffrances innombrables. M. Delarue, notre excellent Contrôleur général des lieux de privation de liberté, énumère une grande partie de ces doubles peines : « la promiscuité, la difficulté de toute intimité, l'extrême difficulté de prendre des initiatives, la soumission constante, les aléas des contacts avec l'extérieur, l'indigence des relations entre personnes, et surtout la violence, les trafics, l'exacerbation des hiérarchies sociales et des tensions dominatrices ».

Or votre texte n'est pas à la hauteur de l'ambition que vous affichez. Il ne mettra pas fin à la situation honteuse, inacceptable, de notre système carcéral. Ce qu'il donne d'une main, il le reprend de l'autre : le texte « consacre la possibilité [...] de restreindre de manière discrétionnaire les droits des personnes détenues », analyse la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Il reste donc bien trop frileux sur toutes les questions qui touchent aux droits et au respect de la dignité des détenus. De même, il ne répond pas aux besoins des services de réinsertion et des personnels de surveillance, qui sont pourtant la clef de voûte d'une prison utile, d'une prison ayant un sens. Enfin, il n'accorde que trop peu d'attention à la mission essentielle qui devrait être celle de la prison : la réinsertion.

Seules les dispositions relatives aux aménagements de peine et au principe de l'encellulement individuel auraient pu nous inciter à porter un regard approbateur sur ce texte. Las, elles ont été rayées d'un trait de plume par le Gouvernement et la commission. Nos collègues sénateurs s'étaient pourtant attachés à nous présenter un texte plus ambitieux que celui du Gouvernement. En commission, votre majorité a pratiquement réduit à néant leurs efforts. Dans le cadre de cette discussion, nous reviendrons sur chacune de ses dispositions pour souligner, au pire, leur indignité, au mieux, leurs insuffisances ; parfois, mais trop rarement, nous saurons saluer de maigres avancées.

Peut-être nous trouvez-vous sévères, mais nous ne le sommes pas plus que les acteurs du monde carcéral qui, quasi unanimement, dénoncent un texte vide et sans ambition. Vous nous aviez donné rendez-vous avec l'histoire : c'est un rendez-vous manqué. Pourtant, les syndicats de l'administration pénitentiaire, de magistrats et d'avocats, les associations et les intervenants, l'Observatoire international des prisons, les institutionnels, dont la CNCDH et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, étaient à l'heure pour ce grand rendez-vous. Avec eux, nous sommes profondément déçus et nous attendons encore une avancée. Mais est-il encore temps que le débat qui s'ouvre vous fasse évoluer dans la bonne direction ? Hélas, j'en doute, tant la question des moyens nécessaires a été peu évoquée ! Les seuls amendements qui abordaient cette question ont été écartés au titre de l'article 40 – j'aurai l'occasion d'y revenir. Les moyens accordés à notre système pénitentiaire ne permettront pas aux agents qui ont en charge ce service public d'accomplir les missions qu'ils veulent être les leurs. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

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