Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi pénitentiaire était très attendu : d'abord par les personnels pénitentiaires – surveillants de prison et conseillers d'insertion, personnels techniques et soignants – ; par les associations et militants des droits de l'hommes ; par les familles des victimes, qui ont sans doute compris, au-delà de toute démagogie, que la diminution du nombre de crimes et de délits passait d'abord par la réinsertion des condamnés et la prévention de la récidive ; par les principaux intéressés enfin et surtout, c'est-à-dire les quelque 63 000 détenus – le « stock », comme on dit, sans compter le « flux » – qui s'entassent au sein des prisons françaises dans des conditions souvent indignes de surpopulation et de promiscuité. Ces prisonniers attendent désespérément de devenir enfin des sujets de droit, des citoyens à part entière, et ce malgré leur punition, laquelle se limite à la privation de liberté.
En réponse à cette situation, le Gouvernement ne joue que sur deux paramètres : la rénovation de places existantes – ce que nous ne pouvons qu'approuver –, mais aussi, et ce point est plus problématique, l'augmentation du nombre de places nouvelles, laquelle, loin de constituer une réponse pénale satisfaisante, s'apparente à une fuite en avant qui empêche de s'interroger sur le sens de la peine. Que peut en effet apporter une peine de prison effectuée dans des conditions humiliantes ou indignes ? Car il s'agit bien d'humiliation et d'indignité, dès lors qu'un droit fondamental, le droit à l'intimité, est bafoué, sans parler du peu d'attention portée à la santé des détenus, problème auquel le texte ne remédie pas tout à fait.
L'un des symptômes très graves du mauvais état de notre système pénitentiaire est, comme vous l'avez vous-même observé, madame la garde des sceaux, l'augmentation effrayante du nombre de suicides en prison. Laissons les querelles de chiffres – 100, 110 ou 115 suicides au 31 août ? – ; le fait est que la France détient le plus fort taux de suicides parmi les détenus. J'ajoute que, pour une tentative malheureusement réussie, dix autres sont déjouées par les codétenus ou l'administration pénitentiaire. Je veux à cette occasion rendre hommage aux surveillants, parfois insuffisamment formés à la détection de ce type de drames.
Le rapport du professeur Albrand n'avait pas été suivi d'effets au printemps, et c'est à juste titre, madame la garde des sceaux, que vous avez voulu apporter des réponses d'urgence. Mais nous souhaitons que celles-ci s'accompagnent de mesures pérennes, et que le travail de prévention et de formation du personnel soit poursuivi.
Beaucoup de condamnés arrivent en prison dans un état de santé médiocre qu'aggravent encore les conditions de détention. Je ne répéterai pas les remarques formulées par Étienne Blanc dans son excellent rapport auquel nous avons tous participé, reconnaissant unanimement la gravité des problèmes sanitaires des détenus, dont 20 % à 40 % sont en grande difficulté psychique et psychiatrique. Ceux-ci, auparavant, auraient été soignées dans des établissements spécialisés. Certains d'entre eux sont dangereux pour eux-mêmes, pour leurs codétenus et pour les surveillants ; en tout cas leur place n'est pas dans ces lieux fermés, incompatibles avec un traitement, où les conditions de vie sont si difficiles et où règne la promiscuité. En outre, le développement des toxicomanies ou de l'alcoolisme déstabilisent hélas grandement les établissements pénitentiaires.
Nous avons souvent dénoncé l'insuffisance des moyens mis à la disposition de la psychiatrie pénitentiaire, et tous les professionnels de santé et du secteur social continuent de le faire. À ce problème majeur et urgent des établissements pénitentiaires et de la vie carcérale, le présent texte, je suis au regret de le dire, ne répond pas. Des amendements de bon sens déposés par le groupe SRC, qui auraient pu faire l'unanimité, proposaient un examen dentaire des détenus – dont on connaît l'état de dentition souvent dramatique – pendant la peine ; mais une interprétation extrêmement restrictive et un peu regrettable de l'article 40 les a rendus irrecevables. Nous souhaitons que le Gouvernement lève cet obstacle, car les problèmes en jeu sont importants.
Vous le savez, madame la garde des sceaux, la loi de 1994 avait fait rentrer la médecine pénitentiaire dans le droit commun. Il importe de poursuivre le développement des unités de consultation et de soins ambulatoires, de former mieux les personnels, de créer des UHSA – unités hospitalières spécialement aménagées – et des UHSI –unités hospitalières sécurisées interrégionales –, et de mieux impliquer le ministère de la santé dans les soins au détenu et la prévention.
Se pose en outre le problème du vieillissement de la population carcérale.