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Intervention de Michèle Alliot-Marie

Réunion du 15 septembre 2009 à 15h00
Loi pénitentiaire

Michèle Alliot-Marie, ministre d'état, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés :

Depuis mon arrivée place Vendôme, j'ai pu, en me rendant dans plusieurs établissements, mesurer leur qualité. Nous pouvons vraiment leur rendre hommage.

D'ailleurs, en leur donnant le statut de « force de sécurité intérieure », le projet de loi reconnaît leur juste place au sein de la chaîne de la sécurité, dont, à travers les différentes fonctions que j'ai eu l'honneur d'exercer, je vous parle depuis plusieurs années, et dans laquelle nous sommes tous associés. Permettre à tous de vivre en sécurité implique en effet, au départ, la participation des familles, de l'école, des collectivités territoriales et notamment des communes, des associations, de la police et de la gendarmerie, de la justice, y compris de l'administration pénitentiaire, et des associations de réinsertion. On oubliait trop, peut-être, que, dans cette chaîne, le personnel pénitentiaire constitue un maillon important pour lutter contre la récidive.

Désormais, un code de déontologie encadrera l'administration pénitentiaire. Il garantira le respect des normes éthiques en milieu carcéral, il améliorera l'efficacité de cette administration, les conditions dans lesquelles elle exerce ses missions, ainsi que son image auprès de ceux qui ne la connaissent que de loin.

Ce projet de loi permet aussi de mieux définir les devoirs et les droits des détenus. Il fournit ainsi un cadre en adéquation avec notre société qui, tout comme la délinquance et le regard porté sur la prison, a évolué. Plus que jamais, nous avons sans doute besoin de la réconciliation de la nation autour d'un certain nombre de principes. La réinsertion des personnes qui, à un moment ou à un autre, ont eu affaire à la justice et à subir une peine de détention fait partie du devoir de préservation de l'unité nationale.

Nous devons tenir compte du fait que le profil des personnes détenues a évolué. Ces dernières sont désormais très diverses : aujourd'hui, on trouve en prison à la fois des détenus qui relèvent de la psychiatrie, et d'autres qui ont été condamnés pour délinquance astucieuse, des hommes et des femmes, des détenus très jeunes, des trafiquants de drogues, des auteurs de crimes passionnels. Évidemment, toutes ces personnes sont différentes, et c'est pourquoi leur sortie de prison ne peut être envisagée de la même manière : pour chacune d'elles, l'après emprisonnement se présente d'une façon spécifique.

Pour mieux préparer la sortie de prison, le parcours de détention doit donc être individualisé. Cela est prévu par le projet de loi, tant dans sa version d'origine qu'après son passage au Sénat. Le régime de détention doit ainsi s'adapter à la personnalité et à la dangerosité du détenu et prendre en compte ses efforts et ses capacités de réinsertion. C'est pourquoi, dès leur incarcération, tous les détenus devront adhérer à un parcours de peine personnalisé au sein duquel ils pourront se former, se soigner et travailler.

De nombreux détenus se retrouvent en prison sans aucune formation : nous sommes confrontés au problème de l'illettrisme, et l'échec scolaire se conjugue souvent avec l'échec social. Il est donc indispensable de faire un effort en matière de formation, tant scolaire que professionnelle.

Les détenus doivent pouvoir se soigner. Je soulignais l'existence de cas psychiatriques lourds en prison : il faut y ajouter le problème de la toxicomanie, que nous rencontrons de plus en plus fréquemment, et qui ne se posait pas avec la même force et la même fréquence il y a cinquante ans.

Enfin, il est prévu que les détenus puissent travailler. En effet, le travail améliore leurs capacités de réinsertion. L'individu qui travaille peut retrouver une valeur et imaginer son rôle dans la société. Le travail lui permet de préparer sa sortie et de trouver un emploi après sa libération.

Il sera ainsi mis un terme à un égalitarisme injuste et inefficace qui a prévalu jusqu'à ces derniers temps ; alors que les situations des détenus sont complexes et diverses, la réponse carcérale a trop eu tendance à être unique.

En ce qui concerne les devoirs et les droits des détenus, nous nous sommes divisés sur la question de l'encellulement individuel. Au-delà de l'énoncé du principe, je crois que cette question mérite un examen approfondi. Énoncer le principe de l'encellulement individuel, en effet, cela n'est acceptable – du simple point de vue du travail législatif – que si cela est réalisable. Quand nous faisons la loi, notre devoir est de prévoir qu'elle sera applicable. Si nous ne prenons pas cette précaution, le regard que le citoyen portera sur notre travail s'en ressentira. Faire des lois qui ne seront pas appliquées, ce n'est ni du bon travail législatif ni positif pour la démocratie.

Ainsi, je suis très gênée d'énoncer un principe et de prévoir immédiatement un moratoire pour son application. Or, en matière d'encellulement individuel, nous en sommes au quatrième ou au cinquième moratoire : comment voulez-vous que le citoyen réagisse quand nous affirmons un principe pour prévoir, dans la foulée, qu'il ne s'appliquera pas ?

Si nous voulons travailler sérieusement, il faut d'abord que les conditions matérielles permettent l'application du principe énoncé. De ce point de vue, les efforts importants consentis depuis 2002 nous placent aujourd'hui dans une situation plus favorable.

En effet, en 2012, l'achèvement du programme de construction en cours nous permettra d'atteindre un total de 63 000 places. Si l'on y ajoute le programme de 5 000 places supplémentaires, annoncé par le Président de la République – je compte uniquement les places supplémentaires, non les remplacements –, le nombre total de places devrait s'élever à 68 000 en 2017. Compte tenu des cas où l'encellulement individuel n'est pas souhaitable, le principe sera alors quasiment applicable. Notons d'ailleurs qu'il s'applique déjà largement, sinon totalement, dans les centres de détention, et que c'est dans les maisons d'arrêt que se pose encore le problème de surpopulation.

En la matière, il faut aussi prendre en compte la diversité des situations. Face à la fragilité de certains détenus et au risque de suicide – sujet auquel, je le sais, l'Assemblée est très sensible –, la cohabitation est parfois un gage de survie. Si elle n'empêche pas les tentatives de suicides, elle permet souvent de réagir rapidement et de sauver les personnes.

Par ailleurs, tout détenu devant un jour quitter la prison, il est indispensable de maintenir un lien social. Pensez-vous que cela puisse se faire dans une cellule individuelle où le détenu resterait seul vingt-deux heures sur vingt-quatre ?

Sur tous ces sujets, nous devons entamer une réflexion de fond. En tout état de cause, le choix du détenu doit être respecté. Précisons que l'alternative à la cellule individuelle n'est pas le dortoir, mais la cellule de deux personnes, les superficies des cellules étant évidemment différentes.

Certes, je vous le concède bien volontiers – pourquoi le cacherais-je ? –, nous sommes aujourd'hui encore bien loin d'une telle situation. L'efficacité exige que nous fassions le constat très clair, très concret, de la situation actuelle. Pour l'améliorer, il nous faudra ensuite construire davantage ; en prenant mieux en compte, dans les nouvelles constructions, les problèmes de qualité et de superficie ; en proposant des solutions variées, adaptées à des choix et à des besoins différents.

Un autre point sensible, en matière de devoirs et de droits des détenus, concerne le quartier disciplinaire, lieu symbolique de la prison. Il s'impose dans certains cas ; aucun de ceux qui connaissent bien le dossier – et c'est le cas de tous les députés présents sur ces bancs – ne le nient. Ce lieu est destiné à sanctionner des actes graves commis à l'intérieur de la prison. Il doit servir à une prise de conscience pour éviter la récidive. Cependant on déplore trop souvent, dans ces quartiers disciplinaires, des tentatives de suicide.

Il faut donc concilier le besoin de ce type de lieu et la nécessité de proposer une juste adaptation. Le Sénat a ainsi ramené la durée maximale de séjour en quartier disciplinaire de quarante-cinq à vingt jours. En cas de violence contre les personnels pénitentiaires, une durée plus longue de trente jours est toutefois prévue. Les personnels sont, en effet, au contact de tous les détenus, y compris les plus violents. Ils se trouvent souvent dans des situations extrêmement difficiles, d'autant que c'est d'abord contre eux que se tourne la violence des détenus. Il faut donc mettre en place un dispositif dissuasif.

Pour rénover le cadre d'exercice des devoirs et des droits des détenus, le projet de loi affirme que la prison est un lieu de détention, mais pas un lieu de non-droit. Les détenus ne passent généralement pas toute leur vie en prison. Il faut donc aussi penser à leur retour dans la société. Les conditions de la détention ne doivent pas leur enlever la conscience qu'ils sont des citoyens et qu'ils réintégreront la société à l'issue de leur peine.

Nous devons veiller à ce qu'un certain nombre de règles, de droits et de devoirs, restent en vigueur en prison, comme ils s'appliquent à la société tout entière.

Ainsi, pour que le lien du détenu avec la société dans laquelle il a vocation à revenir ne soit pas totalement coupé, il faut qu'il continue de bénéficier de droits qui n'ont pas de raisons de lui être retirés et qui n'ont rien à voir avec la détention. Ainsi la liberté d'opinion, la liberté de conscience et la liberté de religion sont-elles reconnues au détenu.

Dans la même logique de réinsertion, le projet de loi affirme également certains droits concrets, tel le maintien des liens familiaux. Si nous voulons que les détenus conservent un lien avec la société, il faut en effet s'appuyer sur le premier de ces liens : la famille. Nous avons donc décidé de faciliter le maintien des liens familiaux, notamment en permettant un accès élargi au téléphone.

L'accès au travail sera mieux reconnu et réglementé par un « acte d'engagement » et le niveau de rémunération indexé sur le SMIC. Cette mesure permettra non seulement de reconnaître le travail effectué par le détenu, mais aussi d'indemniser sa victime, grâce à un prélèvement sur la somme qu'il aura perçue.

Par ailleurs, force est de constater qu'un certain nombre d'individus arrivent en prison dans un dénuement total. Or, si nous voulons qu'ils retrouvent des repères et des références dans la vie sociale, nous devons lutter contre la pauvreté et la précarité. Une aide en nature ou en numéraire pourra donc être accordée aux détenus si leurs ressources ne leur permettent pas de vivre décemment. Ce faisant, nous leur éviterons également de tomber sous la coupe d'autres détenus qui leur fourniraient des moyens financiers ou des biens.

Enfin, les détenus ont parfois des démarches administratives à accomplir. Pour les faciliter, il leur sera possible d'élire domicile auprès de l'établissement pénitentiaire, ce qui sera particulièrement utile à ceux qui doivent rester un certain temps en prison.

Ces dispositions, qui seront bien entendu complétées par des textes réglementaires, traduisent une nouvelle conception du fonctionnement de la prison.

Le développement de sanctions alternatives ou complémentaires à l'emprisonnement est le deuxième objectif du projet de loi. Un double constat s'impose. Tout d'abord, l'incarcération n'est pas la seule sanction pénale possible : c'est une évidence. Ainsi les aménagements de peine concernaient 10 % des effectifs des condamnés en 2007 et plus de 13 % depuis le 1er janvier 2009. Quant au placement sous surveillance électronique, il s'est accru de 35 % en deux ans.

Ensuite, les sorties sèches – hypothèse dans laquelle le détenu se retrouve livré à lui-même à sa sortie de prison, comme on le voit dans certains films – ne sont pas une bonne solution. Une anticipation de la sortie au cours de l'incarcération est toujours préférable, car elle permet notamment au détenu d'imaginer ce qui se passera après sa sortie et de s'y préparer.

Le recours à des sanctions alternatives ou complémentaires à l'emprisonnement doit donc être recherché. En effet, chaque année, 30 000 condamnations prononcées par un juge ne sont pas exécutées,…

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