Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j'ai l'honneur de défendre devant vous, au nom du groupe SRC, une motion de rejet préalable.
Elle vise d'abord – j'allais dire évidemment – à sanctionner une fois de plus – une fois de trop – l'usage par le Gouvernement de la procédure d'urgence. Adopté par le Conseil des ministres le 28 juillet 2008, ce texte n'a curieusement été jugé prioritaire que sept mois plus tard, en pleine période de suspension des travaux du Parlement, alors même que le Sénat allait débuter son étude. Et, bien que ce dernier l'ait adopté le 6 mars, il a fallu attendre encore sept mois pour le voir inscrit à l'ordre du jour de notre Assemblée. Autant dire que la notion d'urgence, telle que la conçoit le Gouvernement, ne se laisse pas volontiers appréhender conformément au sens commun : entre le moment où la ministre de la justice a présenté son projet en Conseil des ministres et aujourd'hui, il s'est écoulé près de quatorze mois.
Si l'objectif était d'oeuvrer avec célérité, il n'est assurément pas atteint. Au demeurant, je doute que tel fût effectivement le but escompté. Comme ce gouvernement est coutumier du fait, chacun sait bien ici que la proclamation de l'urgence répond davantage au souci de limiter le débat parlementaire à une seule lecture dans chaque chambre, qu'elle obéit en d'autres termes à la volonté de restreindre autant que possible la capacité du législateur à réformer en profondeur les règles applicables au milieu carcéral.
Et, pour le coup, le succès est presque là. Comment, en effet, pourrait-on travailler, je n'ose même pas dire dans de « bonnes conditions », mais simplement dans des « conditions acceptables », dans les délais que vous nous avez imposés la semaine dernière ? La commission des lois s'étant réunie le mardi toute la journée, nous n'avons pu disposer du texte adopté que dans la soirée du lendemain, le 9 septembre à vingt heures, et encore fallait-il être à cette heure-là devant notre ordinateur et connecté à internet.
Nous n'avons donc eu que deux jours pour préparer les amendements que nous souhaitions déposer sur les cent articles que comporte maintenant le texte : cent articles quand, à l'origine, le projet gouvernemental n'en comptait que cinquante-neuf, devenus quatre-vingt-treize après l'adoption du texte par le Sénat ; deux jours pour réexaminer les 368 amendements que nous avions défendus en commission, afin de déterminer leur pertinence, à l'aune des quelques rares réponses que vous avez bien voulu nous apporter – quoique je ne doute pas que vous soyez plus diserts si notre motion n'est pas adoptée. En outre, sur les cent articles, seuls vingt-trois sont identiques à ceux que le Sénat avait adoptés. Même quand on se consacre entièrement à la fonction de législateur n'exerçant qu'un seul mandat, comme c'est mon choix, ce rythme est insupportable et peu propice à la sérénité qui devrait présider à nos échanges.
Cette seule raison, ce peu de considération que le Gouvernement témoigne au Parlement suffirait à plaider pour le rejet de votre texte. Mais il y a plus grave. En l'état, le texte adopté en commission des lois et ici discuté ne réglera aucune des questions auxquelles il prétend s'attaquer. Madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, nos prisons sont pleines, mais elles sont vides de sens. Aussi notre défi, ici, ensemble, est-il de répondre à cette question toute simple : comment faire pour rendre la prison enfin utile, pour qu'elle se transforme en école de la réinsertion, alors qu'elle n'est aujourd'hui que l'antichambre de la récidive, pour que le nécessaire temps de la sanction ne soit plus celui du châtiment ou de l'expiation, pour qu'enfin notre pays abandonne ce que notre collègue Christophe Caresche a un jour baptisé très justement sa « culture du cachot » ?
Ces objectifs, madame la garde des sceaux, nous prétendons les partager, nous utilisons d'ailleurs parfois les mêmes mots pour les décrire. « Une majorité d'idée » peut donc naître selon nous dans cet hémicycle, répondant ainsi à l'appel lancé autour de Pierre-Victor Tournier, par quinze associations, syndicats, clubs de réflexion, et plus de cinq cents personnalités.
Sans doute stimulé par la mise en oeuvre de la nouvelle procédure parlementaire, conformément aussi à sa tradition volontiers frondeuse à l'égard de l'exécutif, le Sénat a montré la voie. La « loi Lecerf », comme l'avait judicieusement baptisée Robert Badinter, modifiait substantiellement et souvent dans le bon sens le très décevant projet du Gouvernement. Mais, si les sénateurs ont fait ce qu'ils pouvaient, eu égard à la teneur du projet de loi qui leur était soumis, il était assurément difficile d'en attendre des miracles. Quelques gouttes d'eau versées dans un désert aride n'ont jamais eu pour effet de le transformer en pays de cocagne.