Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 15 septembre 2009 à 15h00
Loi pénitentiaire — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Certes, nous dira-t-on peut-être, un texte décevant à certains égards, lacunaire à d'autres, ne vaut-il après tout pas mieux que pas de texte du tout ?

Une telle interprétation, pragmatique, aurait sans doute pu se défendre si ce projet de loi n'avait pas aussi insidieusement consacré quelques régressions majeures dont nous ne saurions en aucun cas nous satisfaire.

Il y a d'abord, évidemment, le principe de l'encellulement individuel, que le Gouvernement cherche en réalité à supprimer de notre code de procédure pénale.

Madame la garde des sceaux, je ne sais où vous avez trouvé cette idée de choix des détenus ; mais, personnellement, dans les prisons que j'ai visitées, j'ai rencontré plus de détenus qui refusaient de réintégrer leur cellule pour ne pas subir la surpopulation que de volontaires pour les occuper ! J'en ai même rencontré qui étaient prêts à payer leur fronde du quartier disciplinaire plutôt que de subir l'encellulement collectif qui leur était imposé.

Nous sommes donc profondément attachés au principe de l'encellulement individuel. D'abord parce qu'il garantit des conditions de détention respectueuses de la dignité de la personne ; ensuite parce qu'il il implique de lutter contre la surpopulation carcérale, à l'origine de bien des difficultés des établissements pénitentiaires dans notre pays. L'objectif de l'encellulement individuel doit donc continuer à guider notre politique pénitentiaire – ce qui, pardonnez-moi de le préciser, ne serait pas le cas si l'encellulement collectif était admis au même titre que l'encellulement individuel.

Par ailleurs, le texte étend considérablement le champ des restrictions autorisées à l'exercice des droits fondamentaux des personnes détenues.

En l'état actuel du droit, seules sont prises en considération les contraintes inhérentes à la détention – selon un arrêt du Conseil d'État en date du 27 mai 2005. Demain, le juge administratif se devra, en outre, de tenir compte « du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes ». Ce n'est donc pas avec ce texte que nous mettrons fin à l'arbitraire en prison !

Vous introduisez aussi une obligation d'activité pour les personnes détenues. Ce qui ne manque pas de sel, dans la mesure où, en 2007, le taux d'emploi en détention s'élevait à seulement 27,6 %...

De fait, un nombre important de détenus qui, aujourd'hui, souhaitent travailler, n'obtiennent pas satisfaction, et les associations oeuvrant en milieu carcéral voient le plus souvent leurs initiatives bridées, faute, le plus souvent, de salles d'activités en nombre suffisant.

Je souligne encore que la réglementation actuelle rend seulement possible la retenue de publication écrites ou audiovisuelles en cas de « menaces précises contre la sécurité », et seulement sur décision du ministre de la justice.

Demain, peut-être, ce projet de loi élargira considérablement le champ des restrictions en intégrant les « propos ou signes injurieux ou diffamatoires à l'encontre des agents et collaborateurs du service public pénitentiaire ainsi que des personnes détenues ». Et surtout, il confiera au chef d'établissement la fonction de censeur. Faut-il y voir un progrès ? Pas à nos yeux.

De même, aujourd'hui, la rétention d'un courrier ne peut être pratiquée que si celui-ci contient des « menaces précises contre la sécurité des personnes ou celles des établissements ». Le texte qui nous est soumis prévoit le recours à une telle procédure dès que la correspondance « paraît compromettre gravement [la] réinsertion [du détenu] ou le maintien du bon ordre et la sécurité. »

Une nouvelle fois, vous renforcez considérablement le pouvoir discrétionnaire de l'administration pénitentiaire en la matière.

Mais j'en viens à l'un de nos principaux griefs à l'encontre de ce texte. Il figure à l'article 51 du projet de loi.

Madame la garde des sceaux, vous nous le présentez sous le vocable inoffensif et fédérateur de « parcours individualisé ». Il est vrai que votre argumentation est séduisante. Mais on peut y voir aussi la légalisation de la différenciation des régimes de détention selon la personnalité et, surtout, selon la dangerosité présumée des détenus.

Nous avons souvent eu ce débat dans l'hémicycle : qu'est-ce que la dangerosité présumée ? L'ambiguïté des termes– mettons-nous au moins d'accord là-dessus – nous conduit à faire de son rejet une question de principe.

Sur le plan éthique d'abord, l'instauration d'un tel dispositif reviendrait à abolir toute référence à une norme générale et impersonnelle dont la personne détenue pourrait revendiquer le respect. Et tout cela pour instaurer un régime mouvant, fluctuant, répondant aux seules exigences de l'administration pénitentiaire.

Mais c'est aussi pour des raisons pratiques que nous ne voulons pas de ces régimes de droits différenciés. Leur expérimentation depuis des années – en dehors de tout cadre légal – dans des centres de détention a déjà démontré leur nocivité. Ils ont, en effet, pour conséquence d'imposer à un grand nombre de condamnés le régime des maisons d'arrêt, avec isolement cellulaire de jour comme de nuit et accès réduit aux activités collectives.

Par ce truchement, nous craignons qu'à très court terme, ce soit l'ensemble de la population carcérale qui ne se trouve exposée à un durcissement potentiel de ses conditions de détention.

Il est intéressant de souligner que dans les pays où ils sont en vigueur, comme aux États-Unis et au Royaume-Uni, les régimes différenciés ont indéniablement constitué un facteur déterminant dans la dégradation de la vie carcérale.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion