La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
Mes chers collègues, vendredi dernier (Mmes et MM. les députés, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent), deux de nos jeunes compatriotes ont été enlevés au Niger. Ils ont été assassinés par leurs ravisseurs le lendemain. La France tout entière a été bouleversée par ce drame. En votre nom, je tiens à saluer leur mémoire. Ils sont les victimes de la barbarie terroriste. J'adresse à leurs familles les condoléances de la représentation nationale.
C'est pour lutter contre le terrorisme que nos soldats, sous mandat de l'ONU, sont engagés en Afghanistan. Je veux ici saluer leur dévouement et leur action courageuse. Nous avons appris, avec une profonde émotion, que l'un d'entre eux avait trouvé la mort, le 8 janvier, à la suite d'une opération. Je rends hommage à sa mémoire et à celle de tous ses camarades tombés avant lui dans ce pays.
L'Assemblée nationale a également eu la grande tristesse de perdre l'un de ses membres en la personne deGabriel Biancheri, député de la quatrième circonscription de la Drôme. Je prononcerai prochainement son éloge funèbre.
Je vous invite à observer une minute de silence.
(L'Assemblée observe une minute de silence.)
La parole est à M. François Loncle, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Monsieur le président, comme vous venez de le rappeler avec une émotion que nous partageons unanimement, avec l'enlèvement – en plein centre de Niamey, la capitale du Niger –, puis, très probablement, l'assassinat de deux jeunes compatriotes, Antoine de Léocour et Vincent Delory, auxquels nous rendons un hommage unanime, notre pays vient de connaître un nouveau drame consécutif à l'action terroriste d'Aqmi au Sahel : méthodes barbares, horreur des enlèvements, horreur des conditions de détention, horreur enfin des exécutions de sang-froid.
Monsieur le Premier ministre, dans le cadre du dialogue que vous avez bien voulu nouer avec des représentants du Parlement, nous sommes convenus hier soir que la responsabilité, la solidarité, l'unité des Français et de leurs représentants politiques doivent en ces circonstances prévaloir sur toute démarche polémique ou politicienne.
Mais cela ne doit pas empêcher le nécessaire questionnement ; c'est le rôle en particulier des parlementaires. C'est pourquoi je vous poserai deux questions.
La France, à travers votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, a-t-elle changé de stratégie dans le traitement extrêmement délicat des prises d'otages ? De la libération de M. Camatte, en novembre 2009, à l'action militaire entreprise avec la Mauritanie en juillet dernier, action qui a précédé l'assassinat de M. Germaneau, puis à la capture de cinq Français d'Areva à Arlit, et enfin à l'opération des 7 et 8 janvier, y a-t-il une évolution dans la stratégie, un changement dans l'attitude du gouvernement français ?
Ma seconde question porte sur le niveau de coopération, de coordination avec les pays concernés, avec nos partenaires européens et avec les Américains, eux aussi présents au Sahel. Vous jugiez vous-même, en juillet dernier, que la coopération était insuffisante et inefficace. Qu'en est-il aujourd'hui ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le député, la France est bouleversée par l'assassinat de Vincent et d'Antoine, deux jeunes Français généreux, heureux de vivre et de partager. Ils s'étaient réunis en vue du mariage d'Antoine avec Rakia, une jeune Nigérienne : quel symbole ! celui d'une humanité rassemblée, celui d'un monde sans frontières ethniques et sans frontières culturelles. Je présente aux familles et aux proches des victimes le témoignage de la compassion et de l'amitié fraternelle de la nation tout entière.
Monsieur François Loncle, je vous remercie, ainsi que toutes les formations politiques de notre pays qui ont choisi, comme vous, de faire preuve de solidarité dans l'épreuve que nous traversons. Je vais être clair : quand on prend une décision aussi lourde que celle que nous avons prise, le Président de la République, le ministre de la défense, les responsables de nos armées et moi-même, et qu'à l'issue de sa mise en oeuvre, nous connaissons le drame que nous venons de connaître, cela fait chaud au coeur d'entendre, dès dimanche matin, plusieurs responsables de l'opposition manifester un grand sens des responsabilités et de l'intérêt général. Il aurait été tellement facile d'exploiter une telle situation. Vous et vos collègues ne l'avez pas fait, c'est tout à votre honneur, tout à l'honneur des responsables politiques, tout à l'honneur de notre pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP, NC et SRC.)
J'ajoute que c'est la meilleure réponse à apporter à la violence des terroristes car ce qui est visé dans leurs attaques, ce n'est pas le gouvernement français : c'est la France et, plus largement, la démocratie, les valeurs que nous représentons. En faisant preuve d'une grande unité nationale, nous contribuons beaucoup à combattre ce terrorisme et à accroître la sécurité de nos concitoyens à travers le monde.
Monsieur François Loncle, je vais vous répondre aussi clairement que je l'ai fait hier : nous n'avons pas changé de stratégie. La France se refuse à entrer dans une logique binaire. À chaque prise d'otage, nous étudions donc les possibilités de monter une opération de sauvetage, et à chaque fois nous essayons d'évaluer quelles sont les chances de réussir. Je tiens à vous rappeler que nous sommes parmi les premiers à avoir conduit des opérations de sauvetage contre les pirates somaliens. Lorsque les deux journalistes ont été enlevés en Afghanistan, nous avons, pendant plusieurs jours, mis en place les moyens nécessaires pour conduire une opération de sauvetage, que, malheureusement, nous n'avons pas pu réaliser en raison de la situation. Lorsque des Français ont été enlevés à Arlit, nous avons préparé une opération de sauvetage, mais n'avons pas pu repérer les véhicules des ravisseurs, qui se sont évanouis dans le désert, et l'opération n'a donc pas pu être menée à bien.
Vous le voyez, pour nous, il n'est pas possible de s'en tenir à une attitude de principe. Bien sûr, nous défendons d'abord les valeurs qui ont les nôtres et nous refusons le chantage des terroristes. Mais, en même temps, nous sommes attachés à la vie de nos concitoyens, et chaque fois que c'est nécessaire, nous engageons les discussions pour assurer leur sécurité.
Enfin, s'agissant de la coopération avec les pays de la région, je souligne que l'attitude du gouvernement nigérien est exemplaire. C'est d'ailleurs une des raisons qui nous a conduits à décider de cette opération, conformément à la demande du gouvernement nigérien. Il faut aider les gouvernements de cette région, qui ont énormément de difficultés à faire face, en raison notamment de la pauvreté. Il faut les aider à consolider l'État de droit parce que, si les forces terroristes gagnent du terrain au Sahel, c'est la souveraineté même de ces États, c'est-à-dire leur existence, qui est menacée. Nous avons donc entrepris, avec l'Union européenne, une démarche commune pour augmenter notre effort en matière de développement et de sécurité auprès de ces pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP, NC et SRC.)
Otages assassinés au Niger
La parole est à M. Christian Vanneste, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Ma question s'adresse, elle aussi, à M. le Premier ministre.
Ces deux jeunes hommes, dont les familles habitent Linselles, dans ma circonscription, vivaient à quelques dizaines de mètres l'un de l'autre. C'étaient deux grands amis. Ils ont été enlevés et assassinés au Niger. Antoine était au Niger au service d'une ONG, Aide Médicale Internationale, et comptait s'établir là-bas après son mariage. Vincent l'avait rejoint pour être son témoin ; arrivé depuis une heure, il attendait avec Antoine, au restaurant, l'arrivée d'un troisième ami, Louis, pour participer à la fête.
On mesure la cruauté de leur mort : des amis réunis pour une fête, dont Antoine, passionné par l'Afrique, qui mettait sa vie au service du développement de ce continent ; tous les deux originaires de Linselles, commune qui mène une politique de coopération décentralisée exemplaire avec une ville du Burkina-Faso. La cruauté des événements a touché deux familles françaises, nordistes, qui ont réagi avec beaucoup de dignité, tout le monde s'en est rendu compte. À Linselles, un registre a été ouvert, et une marche blanche aura sans doute lieu dimanche.
Le poids du pouvoir politique, c'est le poids des choix difficiles, vous l'avez dit vous-même, monsieur le Premier ministre : faut-il négocier avec des barbares et des lâches, et augmenter ainsi leur pouvoir, ou bien choisir l'action, avec les risques qu'elle implique ? La solidarité et la dignité du peuple français sont une réponse à cette question.
Aussi, monsieur le Premier ministre, je vous demande de nous éclairer sur les faits et de nous indiquer les mesures que le Gouvernement compte prendre pour que les assassins soient punis et que de tels événements ne se répètent plus. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Monsieur Christian Vanneste, je vous remercie d'avoir aussitôt, avec le maire de Linselles et le préfet de la région, transmis l'amitié et la fraternité de la République aux familles éprouvées.
Je rappelle les faits : vendredi, deux jeunes Français ont été enlevés dans un restaurant, en plein coeur de Niamey, une zone qui n'était pas considérée jusqu'alors à hauts risques ; très vite, les ravisseurs ont été poursuivis par les forces de sécurité nigériennes et celles-ci ont aussitôt fait une demande officielle auprès du gouvernement français pour obtenir l'assistance militaire de la France ; nous l'avons apportée sous forme de renseignements, les avions d'observation ont décollé et nous avons mis en alerte des forces capables d'intervenir. Une première tentative visant à stopper les ravisseurs a été faite par les forces nigériennes : elle a échoué. Au cours de cette tentative, un officier nigérien a été blessé. Au moment où nous avons constaté que les ravisseurs quittaient le territoire du Niger et s'engageaient au Mali pour se rapprocher des zones refuges où sont sans doute retenus les otages français enlevés à Arlit, nous avons pris la décision d'intervenir car nous savons qu'elles sont extrêmement difficiles d'accès. Trente militaires français, héliportés et parachutés, sont entrés en contact avec cette colonne. Il y a eu des combats extrêmement violents quoique très brefs, à l'issue desquels les ravisseurs ont été neutralisés. Mais nos soldats ont découvert les corps sans vie des deux Français qui, selon toutes les indications qui m'ont été fournies à la fois par les militaires français et par les médecins qui les ont examinés, avaient été exécutés. Une autopsie aura évidemment lieu dans le cadre de l'enquête en cours. Quatre ravisseurs ont été tués et deux autres faits prisonniers. Ils ont été remis aux autorités nigériennes, qui les interrogent actuellement, avec le concours de la justice française.
Je le redis : il s'agissait d'une décision difficile, mais nous ne pouvions pas en prendre une autre. Pour plusieurs raisons.
Première raison : cette décision répondait à une demande expresse de la part du gouvernement nigérien. Je rappelle que chaque jour, depuis plusieurs années, nous demandons aux gouvernements de cette région de s'organiser pour lutter efficacement contre le terrorisme. À cet effet, nous les aidons à former leurs forces de sécurité et nous leur fournissons du matériel. Ce n'est pas au moment où un de ces gouvernements engageait clairement une action contre des ravisseurs que nous devions refuser de l'aider.
Deuxièmement, nous savions que nous avions plus de chances de sauver la vie des deux otages avant que les ravisseurs passent la frontière malienne.
Enfin, la meilleure façon d'assurer la sécurité des Français dans cette région, c'est aussi de montrer de la fermeté dans son engagement, aux côtés des pays de la zone, à lutter contre le terrorisme. C'est aussi en pensant à la sécurité de nos concitoyens dans les autres pays de cette région que nous avons décidé d'agir.
Voilà, mesdames, messieurs les députés, ce qui s'est produit. Les aléas de toute opération militaire n'ont pas permis que celle-ci se termine heureusement, mais, avec le Président de la République et l'ensemble du Gouvernement, j'assume la décision qui a été prise parce que nous luttons contre des terroristes qui combattent les valeurs qui sont les nôtres : la liberté, le progrès, la tolérance, et nous ne devons pas piétiner ces valeurs. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP, NC et SRC.)
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre des affaires étrangères, mes chers collègues, notre groupe partage les sentiments qui se sont exprimés à l'égard des familles de nos compatriotes assassinés au Niger.
Permettez-moi d'exprimer, solennellement aussi, la solidarité du peuple français au peuple tunisien et à sa jeunesse en particulier, qui se trouve au coeur d'une révolte légitime face au régime dictatorial incarnés par le président Ben Ali et un clan familial dont le caractère mafieux n'est plus à démontrer. Son caractère brutal non plus, d'ailleurs. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
La répression policière des manifestations de ce week-end a fait plus d'une vingtaine de morts, auxquels s'ajoutent une série de suicides sans précédent. Ces gestes d'extrême désespoir ne sauraient nous laisser insensibles.
De la même manière qu'en Algérie, cette crise sociale est également d'ordre politique. Les manifestants appellent à la justice sociale et à la liberté d'expression. Au chômage de masse s'ajoute l'absence de toute perspective politique. Le régime repose sur le principe de la répression systématique de toute opposition critique. La liberté de la presse demeure inexistante. L'opposition est bâillonnée et maltraitée au nom du sacro-saint objectif de stabilité.
Ce raisonnement est partagé de manière cynique par les capitales occidentales, qui estiment que la démocratie présente trop de risques pour certains peuples et que la dictature est « le moins mauvais des régimes » – je cite – pour des pays comme la Tunisie ou l'Égypte.
Dans une prise de position déjà remarquée à l'époque, et ce lors d'une visite à M. Ben Ali qu'il qualifie d'ami, Nicolas Sarkozy avait jugé qu'en Tunisie « l'espace des libertés progresse ».
Aujourd'hui encore, alors que notre pays est si prompt à s'exprimer sur la situation démocratique en Côte d'Ivoire, ce même cynisme conduit Nicolas Sarkozy à garder un silence assourdissant sur la tragédie qui se joue à quelques kilomètres de nos côtes. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Madame la ministre des affaires étrangères, comment justifiez-vous cette incohérence de notre pays : d'un côté la France appelle au respect de la démocratie en Côte d'Ivoire alors que de l'autre elle soutient de manière indéfectible la dictature de M. Ben Ali ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
La parole est à Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes.
Monsieur le député, oui la Tunisie comme l'Algérie connaissent en ce moment des mouvements sociaux de grande ampleur et qui touchent particulièrement les jeunes. Face à cela, plutôt que de lancer des anathèmes,…
…notre devoir est de faire une analyse sereine et objective de la situation.
Parlons du fond, tout d'abord. Il est vrai que dans ces deux pays, il y a énormément d'attentes – notamment de la part des jeunes, et en Tunisie particulièrement de jeunes formés – de pouvoir accéder au marché du travail.
Or c'est un problème pour ces pays. C'est bien la raison qui nous porte à souligner le bien-fondé de la volonté du Président de la République de répondre, dans le cadre du G8 et du G20, aux préoccupations et aux besoins de ces pays. Il s'agit, en particulier, de toutes les conditions nécessaires que la communauté internationale tout entière doit mettre pour permettre aux jeunes et aux jeunes diplômés de pouvoir accéder au marché du travail.
Le deuxième problème est effectivement celui des décès et des violences constatées à l'occasion de ces manifestations.
On ne peut que déplorer des violences concernant des peuples amis.
Pour autant, je rappelle que cela montre le bien-fondé de la politique que nous voulons mener quand nous proposons que le savoir-faire de nos forces de sécurité, qui est reconnu dans le monde entier, permette de régler des situations sécuritaires de ce type.
C'est la raison pour laquelle nous proposons aux deux pays de permettre, dans le cadre de la coopération, d'agir dans ce sens, afin que le droit de manifester soit assuré de même que la sécurité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Comme vous l'avez rappelé, monsieur le Premier ministre, ce qui s'est passé au Niger est terrible. L'émotion ressentie est encore plus forte avec le retour des corps des deux otages qui vont être rapatriés sur le territoire national.
Monsieur le président, vos premiers mots ont été adressés aux familles qui ont vécu l'horreur ; nous devons d'abord penser à elles et au drame qu'elles vivent.
Monsieur le Premier ministre, tous les groupes vous ont assuré de leur soutien hier. Je voudrais vous redire que le Nouveau Centre soutient de façon pleine et entière la résolution du Gouvernement et du Président de la République de lutter contre le terrorisme.
C'est aussi l'occasion de rappeler le rôle et l'importance de la France et de nos armées. Par notre prise de parole, nous devons assurer nos soldats de notre soutien parce qu'ils combattent au nom de valeurs démocratiques que nos partageons.
Comme vous l'avez rappelé, monsieur le Premier ministre, nous devons d'abord garantir la sécurité de nos compatriotes, sachant que les voyageurs doivent faire preuve de responsabilité en ne se rendant dans cette région que s'ils y sont obligés.
Cela étant, la réponse au terrorisme ne peut être strictement française, elle doit aussi être européenne. Monsieur le Premier ministre, vous avez d'ailleurs rappelé la mission confiée par l'ensemble des diplomaties européennes à Mme Ashton, lui demandant de définir une stratégie européenne destinée à garantir une sécurité, une stabilité, un développement et une bonne gouvernance dans la zone du Sahel.
Monsieur le Premier ministre, il est urgent que l'Europe se manifeste clairement. Pouvez-vous nous donner des précisions concrètes sur l'engagement européen aux côtés de la France ? Quelles initiatives comptez-vous prendre pour qu'il n'y ait plus seulement un face à face entre la France et les terroristes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)
Monsieur le président Sauvadet, il n'est pas facile de répondre trois fois sur le même sujet, mais j'ai tenu à le faire afin de manifester ma gratitude à votre groupe pour sa position.
Vous me permettrez d'abord de rendre hommage aux militaires français, à ceux qui ont été engagés dans cette opération comme à tous ceux qui assurent la sécurité de nos concitoyens partout à travers le monde.
Ce matin, j'ai rendu visite aux deux militaires français qui ont été blessés, relativement légèrement, lors de cet affrontement, et qui sont hospitalisés à Paris. Une nouvelle fois, j'ai pu constater la force de caractère et la qualité d'engagement de nos soldats.
Je voudrais aussi que nous ayons une pensée pour tous ceux qui, notamment dans cette région, nous permettent d'accéder aux renseignements, ce qui constitue la première réponse à la violence du terrorisme.
Ensuite, je voudrais dire que, sous l'autorité de Mme Alliot-Marie, nous avons donné des consignes extrêmement fermes à nos compatriotes, pour qu'ils réduisent au maximum leurs déplacements dans cette zone.
D'abord, nous avons étendu la zone orange, celle où les déplacements ne sont conseillés que pour des raisons impératives, ce qui exclut le tourisme et les voyages évitables.
Les tours opérateurs seront réunis dans quelques jours. Devant vous, j'indique très solennellement que leur responsabilité personnelle est engagée. Depuis plusieurs mois, nous avons mis en garde les tours opérateurs contre les voyages dans cette région. Certains acceptent les conseils du Gouvernement ; d'autres considèrent qu'ils connaissent mieux la région que nos diplomates et nos experts. Je veux leur rappeler que leur responsabilité pénale sera engagée en cas d'accident.
Ensuite, nous avons demandé aux entreprises françaises qui emploient des personnels dans cette zone, de prendre toutes les mesures nécessaires à leur sécurité. Là aussi, les entreprises ont une responsabilité : elles ne peuvent pas envoyer des personnels dans n'importe quelles conditions.
Enfin, nous avons demandé aux gouvernements des pays concernés d'accroître la sécurité autour des zones fréquentées par des Français. C'est notamment ce que M. Juppé a fait hier au Niger.
Pour conclure, je rappelle qu'à l'initiative de la France, huit pays européens ont signé une lettre commune à Mme Ashton dans le courant de l'automne, lui demandant de présenter au Conseil européen un plan complet de soutien au développement et à la sécurité dans les pays du Sahel. Ce plan sera présenté en février. Je pense qu'il permettra de concrétiser un engagement beaucoup plus fort de l'Europe en faveur de cette région. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Monsieur le Premier ministre, vous avez, à la suite du chef de l'État, exprimé le voeu que l'année 2011 soit utile pour la France. Nous en partageons le souhait, même si nous ne donnons pas au mot « utile » le même sens.
En effet, était-il utile aux Français que M. Copé et M. Jacob proposent de supprimer toute sanction pénale pour les députés qui fraudent délibérément sur leurs déclarations de patrimoine ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.– Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Était-il utile aux Français de proposer d'abroger la durée légale du travail…
…et d'effacer les 22 milliards d'allégement de charges sur les bas salaires que M. Copé attribue aux 35 heures ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Vous êtes le mieux placé, monsieur le Premier ministre, pour savoir que tout cela est faux : depuis 2003, ces 22 milliards correspondent à une ristourne unique, dégressive pour toutes les entreprises, qu'elles soient aux 35 heures ou non.
Était-il utile aux Français, enfin, que M. Jacob s'interroge sur la pertinence de l'embauche à vie des fonctionnaires, c'est-à-dire sur le statut protecteur de la fonction publique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Toutes ces déclarations viennent contredire les promesses du Président Sarkozy élu en 2007, qu'il s'agisse de la « République irréprochable » ou encore du slogan qui a fait sa fortune politique mais pas celle des Français, « travailler plus pour gagner plus ».
Qui devons-nous croire, monsieur le Premier ministre ? Qui dit la vérité ? Qui nous dit qu'il ne s'agit pas d'un savant partage des rôles entre les trois principaux dirigeants de la majorité, partage des rôles encouragé, soutenu par le Président de la République ?
En clair, ces propos de M. Copé et de M. Jacob représentent-ils de simples dérapages ou annoncent-ils d'ores et déjà le vrai programme de Nicolas Sarkozy pour 2012, un projet qui aggraverait les inégalités et l'injustice sociale d'une politique mise en oeuvre depuis 2007 dont une grande majorité de Français ne veut plus ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.– Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement.
Je vous souhaite, tout d'abord, cher Jean-Marc Ayrault, une bonne année, à vous-même et aux membres de votre groupe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe NC.)
Est-il utile pour 2011 que le Gouvernement propose à la représentation nationale d'organiser la nouvelle gouvernance mondiale, une réflexion sur les conséquences de la crise mondiale et un nouvel ordre monétaire dans le cadre du G8 et du G20 ? La réponse est oui.
Est-il utile que nous engagions, enfin et de manière stable, pour donner un élément de confiance à nos compatriotes, une réforme juste, équilibrée, qui nourrisse la compétitivité de nos entreprises sur le plan international et assure la stabilité des financements publics ? La réponse est oui. La réforme fiscale est, de ce point de vue, un rendez-vous important.
Est-il utile de s'interroger durablement sur l'évolution du compteur de la vie et, partant, sur celle de la société, de la démographie de notre pays et du pacte social ? Est-il utile de réfléchir sur le rôle, la place et le devenir de nos aînés qui nous ont précédés et ont contribué à l'élaboration de notre modèle social, en posant la question de la dépendance ? La réponse est oui.
Est-il utile de poursuivre la politique actuelle de sortie de crise budgétaire pour maîtriser nos finances publiques ? La réponse est oui.
Sur tous ces sujets, monsieur Ayrault, nous vous donnons rendez-vous.
Est-il utile, enfin, de réfléchir sur l'organisation d'une formation politique et les vertus du débat ? La réponse est oui.
Au fond, monsieur Ayrault, la politique est assez simple : il faut un chef, une équipe, un projet !Le chef, nous l'avons : c'est le Président de la République. L'équipe, elle est devant vous : elle assume ses responsabilités, sous l'autorité du Premier ministre. Quant au projet, la formation politique de l'UMP nourrira utilement le débat de la société pour la respiration démocratique de l'année prochaine.
Sur la question du chef, je comprends que vous soyez gênés : vous n'en avez pas un ; vous en avez dix. Sur la question de l'équipe, je comprends que vous soyez ennuyés : vous n'en avez pas une, vous en avez vingt, qui ne s'entendront jamais. Quant au projet, nous l'attendons toujours ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe NC.– Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à Mme Nicole Ameline, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Ma question s'adresse à Mme Michèle Alliot-Marie, ministre des affaires étrangères et européennes.
« La France veut travailler main dans la main avec les États-Unis », a indiqué hier le Président de la République Nicolas Sarkozy lors d'une rencontre avec son homologue américain Barack Obama à Washington. Si l'entretien a été principalement consacré au G8 et au G20, présidés cette année par la France, les questions internationales – Côte d'Ivoire, Iran, Proche-Orient, Pakistan-Afghanistan – ont également été abordées lors de cette réunion. Ainsi, la lutte contre le terrorisme islamiste a tenu une large place dans les discussions entre les deux présidents alors que la France se trouve confrontée à la disparition tragique de deux de nos jeunes compatriotes samedi dernier au Niger.
Plus largement, dans le cadre des consultations internationales entreprises par le Président de la République, les objectifs de la présidence des G20 et G8 ont été sur la table. Ces objectifs sont clairs pour la France. Nous les connaissons parfaitement : il s'agit de réformer le système monétaire international, dont les désordres actuels fragilisent la croissance, de lutter contre la volatilité des prix des matières premières et d'assurer le financement du développement. Chacun le voit bien aujourd'hui, ces déséquilibres mondiaux ne se résorbent pas d'eux-mêmes. Ils accusent les inégalités et appellent des correctifs puissants fondés sur des objectifs clairs et des réformes structurelles. Ainsi, le G20 doit mettre ce sujet à l'ordre du jour en plaidant notamment pour un rôle accru du Fonds monétaire international et pour le développement international d'autres monnaies que le dollar, dont le yuan chinois.
Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer les niveaux de convergence et d'engagement des États-Unis auprès de la France dans le cadre de ces propositions ?
La parole est à Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes.
Madame Ameline, dans un contexte dramatiquement marqué par l'assassinat de nos deux compatriotes et par un autre qui a eu lieu aux États-Unis dans le cadre d'une réunion électorale, le Président de la République et le Président Obama ont réaffirmé leur solidarité et, en particulier, leur détermination à lutter contre toutes les formes de terrorisme.
Les Présidents ont, ensuite, échangé sur les sujets internationaux, notamment sur la situation en Côte d'Ivoire, sur l'Afghanistan, le Proche-Orient, l'Iran et sur d'autres États.
Ils ont également, comme vous l'avez souligné, abordé la question de la préparation du G20 et du G8. Ce que je peux dire, sans entrer dans les détails, c'est que cette rencontre a permis de souligner la très large convergence de vues entre nos deux pays sur la situation économique mondiale, sur la nécessité de dynamiser et de rendre plus durable la croissance, afin de pouvoir, dans tous les pays, créer plus d'emplois. Au cours de cette rencontre, il a également été insisté sur la nécessité de renforcer la coopération internationale pour réduire les déséquilibres économiques et financiers.
Le Président de la République et le président Obama sont convenus de poursuivre une collaboration très étroite sur l'ensemble de ces sujets pour apporter des idées et des réponses nouvelles à ce qui constitue les véritables défis du XXIe siècle et qui nous concerne tous, sur tous ces bancs, et où la solidarité doit être totale pour trouver les solutions les plus adaptées aux risques que nous encourons tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe NC.)
Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et concerne le désordre monétaire international.
Madame la ministre, la situation de la zone euro est préoccupante. La BCE est intervenue massivement hier pour acheter des titres du trésor portugais afin de freiner l'envolée des taux et d'éviter une intervention identique à celle menée il y a quelques semaines pour sauver l'Irlande.
Le rendement des emprunts portugais à dix ans est ainsi retombé hier après-midi en dessous des 7 %, seuil qu'il avait franchi à la hausse vendredi dernier. Cela faisait craindre, à terme, une intervention du Fonds monétaire international et du Fonds de sauvetage européen.
Au groupe Nouveau Centre, nous considérons que la crise monétaire actuelle appelle une réponse globale. En effet, rien ne changera tant que les autorités européennes ne seront pas parvenues à une solution plus complète pour limiter les retombées de la crise de la dette. Ces difficultés illustrent également la nécessité d'une plus grande cohésion au niveau de la zone euro dans le but de sécuriser notre devise commune.
Face au désordre monétaire actuel et à ce qui s'apparente de plus en plus à une crise des dettes souveraines, il est urgent d'agir. La tâche est complexe et implique une action coordonnée entre les principaux acteurs, américain, chinois et européen.
Aussi ma question est-elle simple, madame la ministre : au lendemain de la rencontre entre les présidents Sarkozy et Obama à Washington et à deux semaines du lancement officiel de la présidence française du G20, quelles pistes le Gouvernement envisage-t-il pour s'atteler à la révision du système monétaire international et quelles sont les mesures prises pour redonner à la zone euro des gages de stabilité et de crédibilité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)
La parole est à Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le député, (M. Maxime Gremetz chantonne : « Tout va très bien… ») le Président de la République et le Président des États-Unis se sont concertés, hier, sur l'ensemble des questions internationales, notamment les questions économiques et financières. Le Président de la République a ainsi pu partager sa vision d'un agenda du G20 tout à la fois ambitieux et efficace. C'est un agenda ambitieux, parce qu'il a pour objet de restaurer les conditions d'une croissance qui soit solide, durable et mieux équilibrée. Évidemment, les questions financières sous-tendent celle de la croissance. Les présidents ont donc pu évoquer également l'efficacité de cet agenda du G20 : l'efficacité pour ramener de la stabilité sur les marchés financiers, et l'efficacité pour permettre que l'ensemble des participants – notamment les grands pays émergents, parmi lesquels la Chine – puissent participer utilement à ces réunions qui se tiendront tout au long de l'année 2011 sur les questions économiques, financières et de développement.
Vous avez également évoqué, monsieur le député, l'Europe et la zone euro. La zone euro et l'euro sont l'affaire des Européens, mais bien sûr ils concernent tout le monde. À cet égard, nous avons pu rappeler au Président Obama toutes les démarches engagées pendant l'année 2010 pour leur redonner de la stabilité, notamment la création de ce fonds de soutien qui a aidé à la fois la Grèce et l'Irlande. Puis nous avons évoqué l'ensemble des travaux en cours pour modifier structurellement la situation et faire en sorte que cette zone monétaire soit une zone de cohésion sur le plan de la gouvernance économique. De ce point de vue, deux grandes mesures sont envisagées : d'une part, un fonds systémique européen qui prenne le relais après 2013 de ce fonds de soutien temporaire ; d'autre part, une restructuration de la gouvernance économique et la mise en place, grâce à six directives actuellement en cours d'examen, d'une gouvernance économique commune. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Dominique Souchet, au titre des députés non inscrits.
Ma question s'adresse au secrétaire d'État chargé des transports et porte sur l'avenir de l'axe ferroviaire atlantique Nantes-Bordeaux par la Vendée et la Charente-Maritime.
Cet avenir paraissait assuré grâce à une excellente initiative du Gouvernement : la convention de service public État-SNCF visant à pérenniser les lignes ferroviaires d'équilibre du territoire.
Par ailleurs, le lancement d'une étude de modernisation co-financée par l'État et les collectivités avait pour objectif de redonner à cette liaison des perspectives de développement conformes à la croissance démographique de la façade atlantique.
Deux sources d'inquiétude viennent cependant d'apparaître. Elles mobilisent, notamment à la gare de Luçon, de très nombreux élus et usagers de Vendée qui ne comprennent pas comment l'État s'est laissé imposer l'exclusion du train Lunéa Nice-Nantes du champ de la convention. Il rendait pourtant de très grands services à la population, notamment aux étudiants. La réintroduction de cette desserte dans la convention doit donc être rapidement réexaminée ; nous comptons, monsieur le secrétaire d'État, sur votre pugnacité.
Quant à l'étude de modernisation, elle doit être totalement réorientée vers un rétablissement de l'équilibre de l'offre et aussi vers la réalisation rapide de travaux substantiels de modernisation des infrastructures, pour rendre la liaison ferroviaire, dans l'esprit du Grenelle, compétitive avec le trajet autoroutier.
Le comité de pilotage se réunit le 10 février prochain. Nous comptons, monsieur le secrétaire d'État, sur votre volontarisme bien connu pour que l'État, qui a repris la main sur ces liaisons ferroviaires, y défende une politique ambitieuse. On peut, on doit viser l'équilibre financier, non plus par le démantèlement, comme l'a fait la SNCF durant trop d'années, mais par la cohérence retrouvée des dessertes, par leur régularité, leur ponctualité et leur rapidité.
Nous comptons sur vous, monsieur le secrétaire d'État, pour défendre avec nous cette ligne d'avenir. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Thierry Mariani, secrétaire d'État chargé des transports.
Monsieur le député, j'ai effectivement signé, le 13 décembre 2010, avec le président de la SNCF Guillaume Pépy, la convention relative à l'exploitation des trains d'équilibre du territoire. Elle permet, vous le savez, de pérenniser pour les années à venir quarante liaisons ; cela représente, chaque jour, environ 340 trains qui relient plus de 360 villes et transportent 100 000 voyageurs. Le train de nuit Nantes-Nice que vous évoquez a effectivement fait l'objet d'informations sur sa fermeture auprès des collectivités locales et ce dès 2008. Il a été supprimé, sous la responsabilité de la SNCF, à l'automne 2010, du fait de son très faible remplissage. Pour ces raisons, il n'est pas inclus dans la convention des trains d'équilibre du territoire.
Toutefois, à la suite, notamment, de vos nombreuses interventions, nous avons compris le problème que cette suppression posait à des étudiants qui, comme vous venez de le dire, empruntaient régulièrement le train le lundi matin pour aller de Luçon à Nantes. C'est pourquoi, à titre de solution transitoire, la SNCF a mis en place un TER pour remédier à cette situation jusqu'à l'été 2011. La SNCF en assure provisoirement le financement sur ses fonds propres. Au-delà, il reviendra à la région Pays de la Loire (Protestations sur les bancs du groupe SRC) et à la SNCF de se mettre d'accord sur une solution pérenne qui assure cette desserte régionale.
Vous mentionnez enfin la réunion du 10 février prochain. Je suis tout à fait d'accord pour vous rencontrer d'ici là et voir avec vous comment progresser dans le cadre du Grenelle de l'environnement et dans le souci du bien-être des usagers. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Jean-Pierre Balligand, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
À partir du 19 décembre, vous avez pu le voir à la télévision, le département de l'Aisne a été le centre de plusieurs épisodes neigeux, qui ont aussi concerné tout le tiers nord de la France. La neige a bloqué de nombreuses personnes chez elles pendant plusieurs jours, jusqu'au 3 janvier. Ensuite, un épisode pluvieux, combiné à la fonte rapide de la neige, a entraîné les inondations que nous connaissons.
Au-delà de la demande de solidarité de tous ces territoires, je voudrais appeler l'attention du Gouvernement sur les graves dysfonctionnements qui sont apparus pendant cette crise. Dysfonctionnements d'abord sur la route, plus précisément sur la route nationale 2 Paris-Bruxelles. Et, alors que nous sommes en Picardie, le commandement est à Reims – RGPP et économies obligent ! – et le commandement suprême à Lille. Personne ne connaissait le département de l'Aisne ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Dans cette affaire, c'est, bien sûr, le problème de la RGPP et de la diminution des moyens qui est posé.
Par ailleurs, le dysfonctionnement a été total sur la voie ferrée, Paris-Laon-Hirson et Paris-Saint-Quentin. La raison est simple : il n'y a plus d'agents de catégorie B et C sur les routes ni sur les voies ferrées. (« Très juste ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe GDR.)
Ces dysfonctionnements, graves en ce qu'ils isolent de plus en plus les populations des départements ruraux, appellent à une remise en questiondes politiques que vous avez mises en place. Nous vous demandons de remettre rapidement des moyens au service de ces populations. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe GDR.)
La parole est à M. Thierry Mariani, secrétaire d'État chargé des transports.
Monsieur Balligand, je ne crois pas qu'il y ait des problèmes de RGPP en Belgique, en Grande-Bretagne ou en Allemagne : pourtant, ces pays ont, eux aussi, connu des problèmes lors de l'épisode neigeux. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP. - Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) L'honnêteté consiste à dire qu'il ne s'agit pas d'une question de moyens, mais d'organisation au service des usagers.
Nous avons réuni hier, avec Nathalie Kosciusko-Morizet et Frédéric Lefebvre, une table ronde, suite aux intempéries du mois de décembre, afin d'arrêter des mesures précises pour améliorer l'organisation des transports durant ces périodes de crise. Nous avons tiré des leçons sur les dysfonctionnements constatés au niveau des routes et des voies ferrées.
Je voudrais simplement évoquer quelques-unes des dix propositions qui ont été faites : premièrement, renforcer les échanges entre la météo et les PC de zones pour que la coordination sur les routes soit meilleure ; deuxièmement, définir les voies de bus prioritaires pour le déneigement ; troisièmement, fiabiliser, par exemple, le matériel roulant ferroviaire, qui aujourd'hui est insuffisamment préparé aux conditions hivernales ;…
…quatrièmement, renforcer les capacités de l'infrastructure ferroviaire. Enfin, comme l'a dit le Président de la République, l'absence d'informations a donné l'impression à certains de nos concitoyens qu'ils étaient abandonnés. Aussi, il faut renforcer tout ce qui, dans le ferroviaire ou dans le routier, peut développer l'information en situation de crise. On peut comprendre qu'en cas d'intempéries, il y ait des problèmes, mais pas qu'une partie de la population, sans informations, se sente abandonnée.
La parole est à M. Axel Poniatowski, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Ma question s'adresse à Mme la ministre des affaires étrangères.
Je voudrais revenir sur la situation préoccupante en Tunisie, mais aussi en Algérie, en précisant que c'est du fait des difficultés sociales engendrées par la crise économique que les jeunesses algérienne et tunisienne sont descendues à plusieurs reprises dans la rue. Ces émeutes ont en effet pour principale origine les difficultés économiques qui avivent les frustrations d'une jeunesse nombreuse, de mieux en mieux éduquée, formée et légitimement impatiente d'accéder au niveau et au mode de vie d'une société moderne.
Notre pays est à l'avant-garde de la politique européenne en direction de l'Afrique du Nord, afin que l'Union européenne accompagne à moyen et à long terme les efforts de réforme. C'est tout l'objet de l'Union pour la Méditerranée, initiée par le Président de la République.
Dans cet esprit, la France doit, me semble-t-il, exprimer ses préoccupations avec mesure. Nous ne pouvons ignorer les aspirations de la jeunesse algérienne et tunisienne, mais nous ne pouvons pas non plus mésestimer toutes les difficultés des réformes à mener dans ces deux pays et surtout pas nous ériger en donneurs de leçons.
Compte tenu de ces deux écueils, j'aimerais, madame la ministre, que vous précisiez le message que compte délivrer la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes.
Monsieur le président Axel Poniatowski, vous avez bien décrit la situation et sa complexité. Vous avez également rappelé que les attentes des populations, et notamment celles des jeunes, sont de pouvoir trouver des emplois en adéquation avec les formations. Dans ce cadre, notre double présidence du G 8 et du G 20 aura bien pour objectif de rechercher, avec l'ensemble de la communauté internationale, les conditions permettant une croissance plus forte, notamment dans les pays d'Afrique du Nord, et particulièrement en Tunisie et en Algérie, pour pouvoir répondre aux attentes des populations. D'ailleurs, la priorité sera donnée à l'emploi et en particulier à l'accès des jeunes au marché du travail.
C'est également dans le cadre de notre coopération bilatérale et dans un cadre européen que nous agissons. Dans le cadre de notre coopération bilatérale, tout ce qui concerne la formation professionnelle et la formation technique va être renforcé. De la même façon, une seconde édition du forum pour l'emploi doit se tenir à Tunis les 3 et 4 mai prochains et nous allons y participer.
Aujourd'hui, face à cette situation, la priorité doit aller à l'apaisement après des affrontements qui ont fait des morts, un apaisement qui peut reposer sur des techniques de maintien de l'ordre. J'ai fait part tout à l'heure de notre proposition, puisque nous avons des savoir-faire en la matière. De la même façon, il est évident que doivent être prises en compte les réponses apportées par les gouvernements eux-mêmes.
De toute façon, en ces circonstances difficiles, notre premier message doit être celui de l'amitié entre le peuple de France et le peuple de ces pays.
Et l'État tunisien ? Et la répression ? Vous oubliez qu'il y a eu cinquante morts !
Sans nous ériger en donneurs de leçons, comme vous l'avez dit, monsieur Poniatowski, face à des situations dont nous mesurons la complexité, nous invitons les pays à toujours mieux prendre en compte les attentes de leurs peuples. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Ma question s'adresse à M. le Premier ministre et a trait à la Tunisie. Ce que je viens d'entendre n'est, en effet, pas pour nous rassurer, car la description des événements semble laisser oublier les dizaines de victimes de la répression qui se produit en ce moment dans ce pays. Ces événements sont, c'est vrai, la conséquence d'une situation économique particulièrement dégradée, mais elles sont surtout la conséquence du malaise profond que ressent une population condamnée à la pauvreté et au chômage, alors que le produit des ressources naturelles de ce pays est partagé par une petite minorité. Ces événements sont d'autant plus choquants qu'ils s'accompagnent d'une impossibilité de communiquer. Je rappelle qu'il a été interdit à un journaliste d'un grand journal français de se rendre en Tunisie pour apporter une information complète sur ces événements. Ceux-ci ne peuvent donc qu'être très douloureusement ressentis par tous ceux qui sont attachés à la Tunisie et, par conséquent, par la France en raison des liens historiques qui unissent ces deux pays. De ce point de vue, tous ceux qui défendent les Droits de l'Homme, comme ceux qui sont conscients des enjeux pour l'avenir des relations entre le nord de l'Afrique et l'Europe, ne peuvent qu'être déçus par la prudence des propos et les omissions de Mme la ministre.
Je veux le dire ici très clairement : la réponse que la France apporte aujourd'hui à ces sujets n'est pas à la hauteur de l'amitié que notre pays porte à la Tunisie et au peuple tunisien. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Ce gouvernement doit donc se ressaisir et s'exprimer de manière forte pour condamner les violences et apporter sa contribution à un processus de réforme indispensable, sauf à devoir comprendre qu'il considère qu'il n'y a pas d'autre alternative que l'islamisme à des régimes autoritaires et souvent corrompus. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe GDR.)
La parole est à M. Laurent Wauquiez, ministre chargé des affaires européennes.
Monsieur le député Gaëtan Gorce, vous avez rappelé, les difficultés auxquels se heurte ce pays à l'heure actuelle, et les mouvements de contestation sociale qu'il connaît.
Lors de ses précédentes interventions, Michèle Alliot-Marie a souligné à quel point ces difficultés avaient été nourries par les très fortes attentes d'étudiants qui ont suivi de longues années de formation, universitaire notamment, et qui se heurtent à un cycle économique particulièrement dur…
…qui ne leur permet pas de trouver de débouchés à la hauteur de leurs attentes en termes d'emplois.
Michèle Alliot-Marie a très clairement rappelé que la France déplorait que ces affrontements aient fait des victimes. La France a très clairement redit, par sa voix, que sa priorité était à l'apaisement et que nous attentions, de la part des gouvernements, que les mesures annoncées y contribuent.
L'Europe peut également être associée à notre action. Parallèlement à l'aide qui peut être apportée dans le cadre du G8 et du G20 et à l'aide de la France aux politiques d'emplois et de formations, notamment en Tunisie, grâce à des politiques de coopération par le biais de l'AFPA,…
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Et les Droits de l'Homme ?
…l'Union européenne est aussi en mesure d'apporter sa pierre à cet édifice. De ce point de vue, nous souhaitons que des négociations avec la Tunisie soient engagées et qu'elles soient précisément ciblées sur les avancées concrètes dans le domaine de la formation, de l'accès à l'emploi…
Plusieurs députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Et les Droits de l'Homme ?
…et, notamment, de l'insertion des jeunes dans le tissu économique.
Tout cela peut nous permettre de renforcer, comme vous y avez appelé, car vous connaissez bien ces pays, monsieur Gaëtan Gorce, les liens d'amitié qui unissent les deux rives de la Méditerranée. Je pense que sur ce terrain, au moins, nous pouvons nous retrouver. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Jean-Philippe Maurer, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Ma question s'adresse à M. le ministre chargé des affaires européennes et porte sur la situation inquiétante et dramatique des chrétiens d'Orient dans un certain nombre de pays où ils font l'objet d'un véritable harcèlement, ponctué d'attentats mortels. Si la situation en Irak est affligeante, elle touche également d'autres pays et l'actualité, hélas, abonde. Pour la France, patrie des Droits de l'Homme, et donc de la liberté religieuse, ces faits constituent l'une des expressions les plus insidieuses de la haine de l'autre, qui doit être condamnée avec la plus grande fermeté. Derrière ce visage de la haine, se cachent des actes terroristes, une idéologie barbare – celle d'Al-Quaïda – qui a inspiré ceux qui ont sauvagement assassiné les deux Français le week-end dernier au Niger.
Ceux qui assassinent les chrétiens essayent de déclencher une guerre de religion. Nous ne devons pas tomber dans ce piège absurde. Au contraire, il faut appeler les musulmans et les chrétiens à s'unir pour dénoncer ces actes atroces et barbares qui déciment aujourd'hui les chrétiens d'Orient. S'exprimer à ce sujet manifeste le témoignage d'une solidarité, fait reculer le mur de l'indifférence et place la liberté religieuse comme la mise en oeuvre de la liberté de conscience. Les chemins de l'exode ne peuvent être une fin en soi, même si, en Irak, près de 150 familles quittent chaque semaine ce pays pour se réfugier en Turquie.
Nous avons pris, en France, le chemin d'une société de la diversité et nous ne pouvons que nous inquiéter de ces extrémistes de par le monde qui voudraient établir une dictature de la pensée. Aujourd'hui, monsieur le ministre, alors que des menaces ont été proférées contre l'Église Copte de France, quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour les protéger ? Quelles actions seront mises en place pour contribuer à protéger la vie des chrétiens d'Orient ? Enfin, quelles mesures la communauté internationale envisage-t-elle pour soutenir ces États, afin de contribuer, là aussi, à protéger ces populations particulièrement victimes d'actes de terrorisme ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Laurent Wauquiez, ministre chargé des affaires européennes.
Monsieur le député Jean-Philippe Maurer, le sujet que vous évoquez est grave et je pense que nous avons tous ressenti, comme tous les Français, une profonde émotion face à ces images inacceptables des attentats dont ont été victimes les chrétiens en Orient ; des images inacceptables, parce qu'elles ont frappé des familles dans un moment de recueillement, de paix, lors d'une célébration religieuse. Ces attentats sont d'autant plus inqualifiables qu'ils sont la négation même de l'identité du Moyen-Orient. Celui-ci s'est construit sur la diversité religieuse. Il est la région du monde qui a accueilli l'émergence des trois grandes religions monothéistes et il n'a de sens que dans le maintien de cette diversité religieuse. Tel est le message que la France et l'Europe doivent porter.
Il s'agit, bien sûr, de soigner les blessés et d'accueillir ceux dont la vie est menacée, mais il convient avant tout de défendre les chrétiens en Orient. Michèle Alliot-Marie, qui a fait de ce sujet le fil rouge de la politique étrangère de la France, a souhaité qu'il soit également porté au niveau de l'Union européenne en demandant, de la part de Mme Ashton, que des propositions concrètes soient faites, le 31 janvier, lors de la prochaine réunion des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne. Elle l'évoquera également demain à Doha, lors du « Forum pour l'Avenir ».
Mesdames et messieurs, il n'y a pas de place pour le silence. Il n'y a pas de place pour l'inaction, car elle signifie la victoire pour les terroristes. Nous n'avons pas à nous excuser de défendre les chrétiens en Orient ni à le faire sur la pointe des pieds. C'est de façon claire, déterminée et offensive que nous devons défendre cette place des chrétiens en Orient parce que la diversité spirituelle est en jeu ! C'est le message de la France et de l'Europe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe NC.)
La parole est à M. Gérard Bapt, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Ma question s'adresse à M. le ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
Monsieur le ministre, parmi les différents épisodes dramatiques dont notre communauté nationale a souffert au cours des dernières semaines, chacune et chacun d'entre nous a pu mesurer dans sa circonscription, à l'occasion de l'interruption de nos travaux, la profondeur et l'ampleur du drame sanitaire que connaissent des familles à la suite de ce que l'on appelle l'affaire du Mediator.
Vous avez diligenté une mission d'information de l'inspection générale des affaires sociales en exigeant toute la transparence. Le Parlement prendra toute sa place, et notamment, dans l'opposition, le groupe socialiste, pour concourir à établir la transparence exigée à l'évidence par la communauté nationale.
Toute la lumière devra être faite sur ce qui a pu dysfonctionner dans les rouages des agences et des autorités administratives, mais il faudra trouver aussi, enfin, une solution aux conflits d'intérêts qui, de drame sanitaire en drame sanitaire, minent la confiance de l'opinion publique en la parole des autorités sanitaires.
Dans l'immédiat, un certain nombre de familles souffrent physiquement et moralement des conséquences de ce drame ; certaines d'entre elles, plus modestes, sont dans la plus grande gêne matérielle et sociale en raison d'une intervention chirurgicale lourde ou bien encore, malheureusement, d'un décès. Avez-vous l'intention de prendre une initiative législative pour que des mesures d'indemnisation puissent leur apporter immédiatement confort et réconfort, par exemple au travers des commissions d'indemnisation des victimes placées auprès des tribunaux d'instance ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
Ce dossier, monsieur le député, vous le suivez depuis longtemps, et vous savez que notre priorité, ce sont encore et toujours les victimes.
J'ai décidé que tout patient ayant pris du Mediator, qui doit consulter et, si nécessaire, être ausculté davantage, serait intégralement pris en charge par l'assurance maladie. La question des frais à supporter est donc réglée, l'assurance maladie engagera ensuite les actions nécessaires.
Quant à la question de l'indemnisation, j'ai l'intention de l'aborder dès demain avec les associations de patients dans le cadre du comité de suivi des patients que je réunirai. Je veux également avoir ce débat avec les parlementaires, députés, sénateurs, s'il y a une mission d'information, pour savoir comment garantir que l'indemnisation sera juste et, surtout, rapide.
Outre l'indemnisation, nous avons aussi l'exigence morale d'établir clairement les responsabilités. C'est un point important pour les familles de victimes et pour les patients.
Voilà pourquoi, au-delà de la mission de l'IGAS, qui va pointer les dysfonctionnements administratifs, il y aura aussi des pistes sur lesquelles pourra travailler la mission parlementaire. En complément des actions judiciaires, elle pourra auditionner les ministres et des représentants du laboratoire Servier, ce qui permettra de faire toute la lumière sur ce dossier, et j'ai l'intention de parler de ce sujet avec vous.
Vous avez évoqué les conflits d'intérêt. Je pense qu'il nous faut aller plus loin encore sur cette question. Vous l'avez souligné dans une interview ce matin, il faut de la transparence, notamment au niveau des agences de santé. Vous avez parlé d'allers retours entre les cabinets ministériels, les laboratoires pharmaceutiques et les agences. Je souhaite qu'il y ait une totale transparence, que les membres des cabinets aient maintenant l'obligation de faire des déclarations d'intérêt, ceux qui suivent la politique du médicament comme ceux qui ne la suivent pas.
Si l'on veut de la confiance, il faut de la clarté et de la transparence. Je souhaite que nous allions beaucoup plus loin sur les déclarations d'intérêt pour éviter tout conflit d'intérêt. C'est le prix de la confiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Mediator
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt-cinq.)
J'ai reçu, en application des articles L.O. 176 et L.O. 179 du code électoral, une communication de M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, en date du 29 décembre 2010, m'informant du remplacement de Gabriel Biancheri, député de la quatrième circonscription de la Drôme, par Marie-Hélène Thoraval.
Ce matin, la conférence des présidents a pris les décisions suivantes concernant l'ordre du jour pour les séances du 24 janvier au 3 février.
Le lundi 24 janvier, des séances sont ouvertes l'après-midi et le soir pour permettre la suite de l'examen du projet de loi sur la garde à vue.
Pour la semaine de contrôle, quatre débats sont organisés.
Mardi 1er février, l'après-midi, après les questions au Gouvernement : débat sur la politique de la ville.
Mercredi 2 février, l'après-midi, après les questions au Gouvernement : débat sur l'OTAN et les orientations données aux forces armées.
Jeudi 3 février, à quinze heures : débat sur les dix ans de la loi SRU et débat sur le fonctionnement de l'hôpital.
Il n'y a pas d'opposition ?
Il en est ainsi décidé.
L'ordre du jour appelle les explications de vote communes et les votes par scrutin public sur le projet de loi organique relatif à l'élection des députés (nos 1887, 3025), le projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2009-936 du 29 juillet 2009 relative à l'élection de députés par les Français établis hors de France (nos 1894, 3026) et la proposition de loi portant simplification de dispositions du code électoral et relative à la transparence financière de la vie politique (nos 2562, 3027).
Dans les explications de vote communes, la parole est à M. Michel Hunault, pour le groupe Nouveau Centre.
Monsieur le président, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, monsieur le ministre chargé des collectivités territoriales, mes chers collègues, j'ai en effet l'honneur d'être l'orateur du Nouveau Centre pour expliquer le vote de notre groupe sur ces trois textes.
En ce qui concerne l'élection de députés par les Français établis hors de France, il s'agit d'adapter notre code électoral à l'entrée en vigueur, à compter du prochain renouvellement général de notre assemblée, de la disposition de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 prévoyant que nos compatriotes établis hors de France feront désormais l'objet d'une représentation spécifique sur les bancs de cet hémicycle. Le Nouveau Centre votera en faveur de ce texte.
Les deux autres, sur l'élection des députés et sur la transparence financière de la vie politique, ont été longuement débattus dans l'hémicycle avant l'interruption de nos travaux pour les fêtes de fin d'année. Il s'agissait de transposer dans notre droit la proposition actée par le Premier ministre à la Commission pour la transparence financière de la vie politique et tendant à créer une incrimination spécifique pour sanctionner les déclarations mensongères de patrimoine par les députés.
Ce sujet avait donné lieu à un large consensus et la commission des lois s'était accordée sur un texte d'équilibre. J'ai exprimé la réprobation que nous a inspirée l'amendement déposé par notre collègue Christian Jacob au nom de quelques députés de l'UMP, et qui visait dans un premier temps à retirer cette incrimination. Cette incrimination a finalement été votée, ce dont le Nouveau Centre se réjouit, car c'était une promesse du Premier ministre. Néanmoins, comme je l'ai indiqué, nous avons un différend à propos des sanctions, en raison notamment du mauvais signal qui a été donné lorsque ont été écartées les peines de prison pour ne retenir que la non-éligibilité.
Je rappelle que l'incrimination a été assortie de deux conditions. Tout d'abord, il faut un élément intentionnel, alors que nous savons tous qu'il s'agit d'un élément constitutif de l'infraction. J'ai eu l'honneur d'être le rapporteur de cette assemblée pour les textes relatifs au blanchiment et à la corruption ; or nous avons refusé, sur ces textes, de préciser l'élément intentionnel. Cet élément a été introduit en commission des lois pour les députés.
En outre, la déclaration mensongère devait porter sur une part importante du patrimoine.
Notre groupe ne comprend pas que l'on ait pu, par le biais d'un amendement déposé au titre de l'article 88 du règlement, juste avant l'ouverture du débat dans l'hémicycle, remettre en cause un texte qui avait été très largement débattu et sur lequel nous avions dégagé un consensus.
C'est pourquoi, sur ces deux textes, nous ne pourrons pas voter comme nos collègues de l'UMP. Nous nous abstiendrons (Exclamations sur quelques bancs du groupe UMP), en espérant que, dans sa sagesse, le Sénat rétablira la peine d'emprisonnement, comme le Premier ministre et le ministre ici présent l'y invitent. Nous espérons pouvoir voter en deuxième lecture un texte qui fasse consensus. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)
La parole est à M. Christian Jacob, pour le groupe Union pour un mouvement populaire.
Je ne suis pas malheureux que ce moment de vérité arrive, au contraire.
Certains députés de l'opposition – pas tous – ont voulu faire croire à l'opinion publique que les députés cherchaient à se protéger et à se placer au-dessus des lois.
Plusieurs députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Pas les députés : vous !
Ce chemin est celui de la démagogie. Je constate que certains s'y sentent bien. (Exclamations sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
C'est un mensonge, et je souhaite vous rappeler quelques événements historiques : la Commission pour la transparence de la vie politique existe par la volonté de cette majorité. Elle a été mise en place en 1988 sous le gouvernement de Jacques Chirac, et renforcée en 1996 par le gouvernement d'Alain Juppé, et c'est aujourd'hui encore sur les bancs de la majorité UMP que l'initiative est prise.
Je voudrais à cette occasion saluer particulièrement notre rapporteur, qui a fait un travail remarquable dans ce domaine.
Cette commission créée en 1988 est aujourd'hui renforcée dans plusieurs domaines. Jusqu'à présent, un élu était condamné pour fraude ou tricherie, c'est-à-dire en cas d'abus de bien social, de prise illégale d'intérêts ou d'escroquerie : c'était extrêmement rare, mais, dans tous les cas, il y a eu condamnation. Nous avons décidé de créer une nouvelle incrimination liée à la déclaration de patrimoine. L'élu est un justiciable comme les autres, il encourt les mêmes condamnations et les mêmes peines, mais des devoirs supplémentaires s'imposent à lui : ainsi, il doit remplir une déclaration de patrimoine. Nous avons donc décidé de sanctionner les omissions dans cette déclaration. La sanction nouvelle n'est pas anodine : perte des droits civiques, c'est-à-dire inéligibilité immédiate, et amende de 30 000 euros.
Fallait-t-il y ajouter la peine de prison ? Nous ne le pensons pas, car, à tout moment, si elle a le moindre doute, la commission peut transmettre ces éléments au parquet qui est habilité à requérir des peines de prison ou d'amende lorsqu'il y a abus de bien social, prise illégale d'intérêts ou autre.
D'autre part, la commission pourra avoir accès à l'ensemble du dossier fiscal. Nous avons accepté cette mesure en votant un amendement du rapporteur qui permet de poursuivre les membres de la commission qui ne respecteraient pas les règles les plus évidentes de confidentialité. Le secret fiscal est encadré de la même façon pour tous nos concitoyens, mais il doit permettre de vérifier qu'il n'y a pas eu tricherie. La commission a donc la possibilité d'accéder directement au dossier fiscal.
Je remarque également que la commission des lois a accepté un amendement que nous avions proposé et qui vise à supprimer la possibilité pour la commission d'exiger communication du patrimoine des conjoints séparés, des concubins, des enfants mineurs : certains avaient même imaginé la suppression des droits familiaux pour une omission sur une déclaration de patrimoine. On peut pousser la démagogie très loin, mais il y a un moment où il faut savoir agir de manière responsable.
Ces mesures, nous les assumons pleinement. Les élus sont des citoyens comme les autres. Leur statut justifie des obligations supplémentaires, parfaitement légitimes, qui peuvent entraîner de nouvelles sanctions, tout aussi légitimes. C'est ce que nous avons décidé en renforçant les droits de la commission. Rien ne justifie d'aller sur le chemin de la démagogie ou du populisme comme certains d'entre vous ont cherché à le faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Rendre les élus suspects par nature, c'est attaquer la démocratie : voilà ce qu'ont fait certains d'entre vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Les scrutins publics sont annoncés dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Bernard Roman, pour le groupe SRC.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, tout allait bien le 20 décembre dernier, jusqu'à la tenue de la commission réunie en vertu de l'article 88.
Sous la houlette du président Warsmann et du rapporteur de La Verpillière, majorité et opposition étaient parvenues, en commission des lois, à un compromis sur ces trois textes dans l'intérêt bien compris de la démocratie parlementaire.
Le groupe socialiste était a priori favorable à ces textes, puisque plusieurs de leurs dispositions reprenaient des propositions de lois que nous avions défendues et que la majorité avait rejetées. Sur l'ensemble de ces textes, en particulier les dispositions relatives à la transparence de la vie financière, nous avions, avec notre président de groupe Jean-Marc Ayrault et avec le trésorier du parti, finalisé des propositions précises et consensuelles, non partisanes et bénéfiques au fonctionnement démocratique et transparent de tous les partis.
C'est donc dans un climat serein que nous abordions cette séance plénière du 20 décembre lorsque, de manière inattendue et aujourd'hui encore inexpliquée – car il est difficile de ramer quand on a fait soi-même un trou dans la chaloupe –, M. Jacob est arrivé avec un amendement cosigné par M. Copé, déposé au titre de l'article 88 et tendant à annuler une disposition que nous étions parvenus à rédiger collectivement de manière unanime en commission des lois et qui créait une nouvelle infraction pénale visant les déclarations de patrimoine délibérément falsifiées. Cette incrimination pénale adaptée à la gravité des faits était de 30 000 euros d'amende, une mesure d'inéligibilité, et une peine pouvant aller jusqu'à deux ans de prison.
Contrairement à ce que vous venez d'expliquer, monsieur Jacob, vous n'avez pas créé cette infraction pénale, mais vous êtes arrivé en séance pour demander sa suppression. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Tel était le but de votre premier amendement, que nous vous avons fait retirer au bout de deux heures de débat.
Vous êtes revenu en séance avec une seconde forfaiture pour remplacer la première, visant à supprimer la peine de prison et à sanctionner l'infraction pénale de 30 000 euros d'amende seulement.
Je vous souhaite bien du courage pour expliquer à nos concitoyens que, lorsque l'on vole une mobylette, on risque trois ans de prison, mais que, lorsque l'on est député et que l'on triche délibérément, on ne risque rien. Vous pourrez donner toutes les explications du monde, vous n'arriverez pas à masquer l'incurie de votre proposition.
Nous étions prêts à nous reconnaître dans ces textes et à les voter. Aujourd'hui, c'est impossible. Non seulement nous ne voterons pas ce texte, mais nous voterons contre ces trois textes, en souhaitant que, au cours de la navette, un peu de bon sens revienne, que l'on réconcilie la morale et la politique et que l'on revienne à cette sanction que nous avons unanimement proposée au sein de la commission des lois, contre cet amendement scélérat que MM. Jacob et Copé ont proposé. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
À l'origine, les textes soumis à notre examen en décembre, en particulier la proposition de loi de nos collègues Warsmann et de La Verpillière, avaient pour objectif de reprendre certaines des recommandations formulées par le groupe de travail dirigé par Pierre Mazeaud sur le financement des campagnes électorales, et de prendre en compte les propositions de réforme formulées dans les rapports successifs de la commission pour la transparence financière de la vie politique.
Ce débat aurait donc pu être l'occasion de garantir une plus grande transparence du financement de la vie politique et de donner à la Commission pour la transparence financière de la vie politique les moyens d'assurer convenablement ses missions, ainsi qu'elle le réclame depuis des années.
On se souvient que Philippe Séguin, membre de droit de cette commission, avait en son temps déploré que celle-ci soit privée depuis son origine des moyens de contrôler et sanctionner efficacement les fraudeurs. Son constat était sans appel : « La commission ne contrôle rien. Elle ne fait que recevoir des déclarations, c'est tout. C'est un confessionnal. Ces déclarations peuvent être entièrement fausses sans que rien ne permette d'en détecter l'artifice. »
Tous, députés de la majorité et de l'opposition, nous avons le devoir de faire évoluer la législation. Nous le devons à nos concitoyens, par fidélité aux principes fondateurs de notre pacte républicain.
Le texte initial de MM. Warsmann et de La Verpillière proposait des modifications qui, bien qu'insuffisantes, allaient manifestement dans le bon sens.
Malheureusement, les débats de décembre, en commission comme dans l'hémicycle, ont été ternis par ceux de nos collègues qui, au sein de la majorité, ont oeuvré à amoindrir la portée du texte.
Soucieux à bon droit de réparer ce qu'ils appellent « l'injustice Fenech », certains députés, tels MM. Copé et Jacob, ont saisi ce prétexte pour servir des réflexes corporatistes que nous jugeons parfaitement inacceptables.
La proposition de loi initiale exigeait que la déclaration remise à l'issue du mandat renseigne le « détail des revenus » perçus pendant son exercice. Elle prévoyait une obligation de transmettre les déclarations de l'impôt sur le revenu et, le cas échéant, d'impôt sur la fortune ainsi que la communication de la situation patrimoniale du conjoint.
Ces demandes formulées de longue date, rapport après rapport, par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et la Commission pour la transparence financière de la vie politique ont été purement et simplement balayées d'un revers de main par la majorité.
Est-ce avec ce type de manoeuvre que vous pensez redorer l'image des élus auprès de nos concitoyens ? Nous pensons au contraire que votre attitude et le refus de la transparence nourrissent leur méfiance.
Le fait d'avoir délibérément, par voie d'amendement, soustrait toute peine de prison à l'incrimination pénale des députés fraudeurs est un autre scandale. Il est vrai que MM. Copé et Jacob proposaient d'aller plus loin encore et de supprimer l'incrimination pénale elle-même.
Le Gouvernement et la majorité ont une fois de plus piétiné les valeurs de justice et d'égalité. Il n'est pas acceptable de tenter de soustraire aux sanctions pénales les députés qui ont fait de fausses déclarations, de jeter, ainsi que vous le faites, le voile sur la corruption, comme si elle n'existait pas !
Vous portez déjà une lourde responsabilité dans la dégradation du climat politique, dans le peu de confiance que nos concitoyens manifestent à l'égard des institutions et de leurs représentants.
Le débat qui s'est tenu en décembre dernier aggrave encore le sentiment qu'« il y a quelque chose de pourri dans le royaume du Danemark », comme l'écrivait Shakespeare. Alors que nous pouvions légitimement attendre de ce débat qu'il soit l'occasion de renforcer les pouvoirs de la Commission pour la transparence de la vie politique, c'est elle qui s'est retrouvée sur le banc des accusés. Alors que l'occasion nous était offerte de prévoir de justes sanctions à l'encontre des députés fraudeurs, ceux-ci échapperont finalement aux peines de prison, contrairement à ce qu'il advient de tout citoyen se livrant à de semblables escroqueries.
Il n'est pas tolérable que les députés puissent échapper à toute peine de prison lorsqu'ils fraudent, quand un simple vol à la tire peut valoir à son auteur trois ans d'emprisonnement.
Nous n'acceptons pas semblable injustice.
C'est la raison pour laquelle, en dépit de modestes avancées proposées çà et là au fil de ces différents textes, le groupe GDR votera contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
Nous allons procéder au scrutin public sur l'ensemble du projet de loi organique relatif à l'élection des députés.
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 544
Nombre de suffrages exprimés 538
Majorité absolue 270
Pour l'adoption 305
Contre 233
(Le projet de loi organique est adopté.)
Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur l'ensemble du projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2009-936 du 29 juillet 2009 relatif à l'élection de députés par les Français établis hors de France.
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 544
Nombre de suffrages exprimés 537
Majorité absolue 269
Pour l'adoption 309
Contre 228
(Le projet de loi est adopté.)
Nous allons enfin procéder au scrutin public sur l'ensemble de la proposition de loi portant simplification de dispositions du code électoral et relatif à la transparence financière de la vie politique.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 546
Nombre de suffrages exprimés 516
Majorité absolue 259
Pour l'adoption 275
Contre 241
(La proposition de loi est adoptée.)
(Huées sur de nombreux bancs des groupes SRC et GDR.)
Vote sur l'ensemble de la proposition de loi
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à seize heures cinquante-cinq.)
L'ordre du jour appelle la discussion des projets de loi organique et ordinaire, adoptés par le Sénat, relatifs au Défenseur des droits (nos 2573, 2991, 2574, 2992).
La conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.
M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, assistant en ce moment même à l'audience solennelle de rentrée de la cour d'appel de Paris, la parole est à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement. M. le garde des sceaux nous rejoindra tout à l'heure.
La parole est à M. Patrick Ollier, ministre chargé des relations avec le Parlement.
Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir excusé le garde des sceaux. Les hasards de l'agenda ont fait que M. Mercier devait assister, en même temps qu'à notre séance, à la prise de fonction du président de la cour d'appel. Il nous rejoindra vers dix-huit heures trente.
Monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, les deux textes soumis à votre examen s'inscrivent dans la démarche du Président de la République et du Gouvernement visant à renforcer la garantie des droits et libertés de nos concitoyens, démarche dont la question prioritaire de constitutionnalité ou la réforme de la garde à vue sont d'autres marqueurs essentiels.
Sur proposition du comité Balladur, qui avait été chargé de réfléchir à la modernisation et au rééquilibrage des institutions de la Ve République, la révision constitutionnelle votée en juillet 2008 a consacré, à l'article 71-1, une institution nouvelle, le Défenseur des droits, dont elle a fixé le cadre des attributions et des modalités d'intervention. L'objet des projets de loi organique et ordinaire dont nous débattons aujourd'hui est d'en préciser les contours et les prérogatives.
Le rapporteur Pierre Morel-A-L'Huissier, dont je suis heureux de saluer le travail déjà très riche et très approfondi, en partage, je crois, les grands objectifs. Je voudrais également remercier le président de la commission des lois, qui a conduit les débats avec beaucoup d'autorité et de discernement.
Il s'agit en premier lieu d'instituer une autorité au périmètre large pour apporter plus de clarté et plus de force dans la défense des droits et des libertés.
La création d'autorités administratives indépendantes multiples – il en existe plus de quarante – a répondu à des besoins divers apparus au fil du temps, toujours différents. Il s'agissait de protéger au cas par cas les droits et libertés du citoyen face au poids de l'administration ou au développement de certaines technologies.
Cependant, la multiplication et la fragmentation de ces autorités créent incontestablement des difficultés. D'une part, l'organisation actuelle manque de clarté pour nos concitoyens. Quelle autorité saisir ? Comment la saisir ? À qui s'adresser en cas de difficultés ? Les interrogations sont nombreuses. D'autre part, la diversité des structures peut nuire à la cohérence d'action des différentes autorités. Recentrer permet d'être plus efficace.
Le projet apporte des réponses à ces difficultés. Il crée une structure d'autorité constitutionnelle – j'insiste sur ce point – transversale, plus visible et plus facilement identifiable. Compte tenu des travaux du Sénat et de votre commission des lois, celle-ci exercera les compétences aujourd'hui dévolues au Médiateur de la République, à la Commission nationale de déontologie de la sécurité, au Défenseur des enfants, à la HALDE et même, à compter de l'expiration du mandat de son actuel titulaire, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Sa saisine par le citoyen sera directe et gratuite, sans aucune entrave, y compris, bien sûr, pour les mineurs, étant précisé que le Défenseur aura en outre la possibilité de s'autosaisir dans tous les domaines de sa compétence.
Doté d'un large périmètre d'intervention, le Défenseur aura par ailleurs des prérogatives fortes pour une protection plus efficace des droits et des libertés.
Sa nomination contrôlée par les commissions compétentes de chaque chambre – en application de l'article 13, alinéa 5, de la Constitution –, les immunités dont il bénéficiera et les incompatibilités auxquelles il sera soumis contribuent à la force de son statut.
Il jouira surtout de pouvoirs étendus par rapport aux autorités administratives dont il reprend les attributions.
Le Défenseur aura des pouvoirs d'investigation et de contrôle, par des vérifications sur place et, le cas échéant, des visites inopinées, des sanctions pénales étant en outre prévues pour quiconque y ferait opposition sans raison valable. C'est considérable !
Il sera investi d'un pouvoir d'injonction, pour le cas où ses premières recommandations resteraient sans effet, assorti d'une possible publication du dossier au Journal officiel.
Il pourra proposer à l'auteur de la réclamation et à la personne mise en cause de conclure une transaction pour mettre fin au litige qui les oppose.
Il aura la possibilité de présenter des observations dans les instances en cours devant les juridictions, non pas bien sûr à la place des parties, auxquelles il n'a pas vocation à se substituer, mais en tant qu'intervenant.
Il pourra saisir le Conseil d'État afin de faire trancher par celui-ci une question sur l'interprétation de textes législatifs ou réglementaires applicables.
Le Défenseur des droits sera aussi une véritable force de proposition pour améliorer les textes en vigueur. Il s'appuiera à cette fin, comme dans l'exercice de l'ensemble de ses attributions, sur d'importants moyens d'expertise ; les collèges et ses adjoints lui apporteront leurs compétences dans chacun de ses différents domaines d'intervention.
Une attention toute particulière est portée à ce titre à la protection des mineurs : conformément à une disposition introduite par le Sénat, un adjoint portera le titre de Défenseur des enfants et sera chargé de seconder le Défenseur des droits dans ses missions. Ceux qui souhaitaient une identification du Défenseur des enfants pour que ces derniers puissent éventuellement le saisir peuvent donc être rassurés.
M. le garde des sceaux aura l'occasion de vous répondre, monsieur Urvoas !
Au nom du Gouvernement, je veux remercier la commission des lois, son président Jean-Luc Warsmann et son rapporteur Pierre Morel-A-L'Huissier pour avoir considérablement enrichi le texte…
…au cours de débats que le président Warsmann a animés avec beaucoup d'autorité. Les modalités d'articulation entre le Défenseur des droits, ses adjoints et les collèges ont été notablement clarifiées et simplifiées. Ces collèges ont pour objet de garantir la visibilité de l'action conduite dans tel ou tel domaine, et d'assurer la réunion, autour du Défenseur, des compétences nécessaires, sans pour autant alourdir à l'excès le fonctionnement de l'institution.
Les pouvoirs d'investigation de la nouvelle autorité constitutionnelle ont par ailleurs été renforcés, avec par exemple la possibilité de faire des vérifications sur place, même inopinées et sans possibilité d'opposition.
Une attention toute particulière a été portée à la protection des enfants, avec l'adoption d'une série de mesures telles que l'assistance apportée par le Défenseur des droits aux enfants qui le saisissent directement dans la constitution de leur dossier ; la saisine obligatoire, par le Défenseur des droits, des autorités locales compétentes, sur tout élément susceptible de justifier une intervention du service d'aide sociale à l'enfance ; la remise par le Défenseur des droits d'un rapport consacré aux droits de l'enfant pour la journée internationale des droits de l'enfant.
Enfin, le périmètre d'intervention du Défenseur des droits a été étendu par votre commission des lois. Ainsi, à partir de 2014, les missions dévolues au Contrôleur général des lieux de privation de liberté y seront enfin intégrées.
Néanmoins, certains points de désaccord subsistent,…
…mais nous sommes ici pour y travailler et je me doute que ce travail va permettre de progresser. C'est en tout cas le souhait du Gouvernement qui a déposé plusieurs amendements. Certains sont de portée limitée et visent à clarifier les modalités pratiques de fonctionnement de l'institution. Nous proposons ainsi de conférer aux présidents de chacun des collèges une voix prépondérante.
D'autres amendements, plus importants, visent à revenir sur des dispositions adoptées par la commission. Celle-ci a ainsi prévu que le Défenseur des droits puisse demander des études non seulement au Conseil d'État, à la Cour des Comptes, ainsi que le Médiateur de la République le peut actuellement, mais également à la Cour de cassation. Or les études de la Cour de cassation n'interviennent jamais à la demande d'une autorité administrative, garantissant ainsi son indépendance. C'est pourquoi le Gouvernement proposera un amendement de suppression et j'espère que vous accepterez de le voter.
Il en est de même pour la procédure d'action collective en contentieux administratif, introduite à l'initiative du rapporteur. La réflexion sur l'action collective est en cours, mais, à ce stade, il est prématuré, aux yeux du Gouvernement, d'adopter une telle procédure en droit administratif alors même qu'elle n'a pas été mise en oeuvre en matière civile. Vous le savez, monsieur le rapporteur, certaines commissions, dont l'une ne vous est pas tout à fait étrangère, ont beaucoup travaillé sur la mise en place de ce dispositif. Laissons progresser la réflexion pour ensuite accéder à votre souhait mais selon un calendrier un peu décalé.
Enfin, je souhaitais revenir sur les incompatibilités applicables au Défenseur des droits. Afin de garantir son indépendance, il est prévu que le Défenseur des droits, autorité de rang constitutionnel, ne pourra exercer aucun mandat électif, aucune fonction, emploi public ou activité professionnelle. Ce régime d'incompatibilité s'étend également, conformément aux voeux du Sénat, à l'exercice de tout mandat social dans une société.
Ces conditions sont certes contraignantes, et davantage même que celles applicables actuellement au Médiateur de la République ou au Défenseur des enfants. Mais gardons à l'esprit que ces autorités ne sont pas de même nature : le Défenseur des droits, institué par la Constitution, a une autorité supérieure à une autorité administrative indépendante créée par la loi. Par ailleurs, ses compétences et ses pouvoirs seront beaucoup plus étendus que ceux des autorités auxquelles il va se substituer.
Garant des droits de nos concitoyens, y compris dans le cadre de leurs relations avec les collectivités locales, le Défenseur des droits ne saurait cumuler cette fonction avec un quelconque mandat électif local.
Le Gouvernement a également déposé un certain nombre d'amendements au projet de loi ordinaire, relatifs à la CNIL et s'inscrivant dans la logique du rapport de MM. Vanneste et Dosière. Là aussi, le régime des incompatibilités avec la fonction de président de cette autorité serait renforcé, puisque celle-ci serait désormais incompatible avec toute activité professionnelle, tout mandat électif national, tout autre emploi public et toute détention, directe ou indirecte, d'intérêts dans une entreprise du secteur des communications électroniques ou de l'informatique. Le développement de ces incompatibilités est rendu nécessaire par le fait que la présidence de cette commission sera désormais occupée par le titulaire d'un emploi public, à plein temps, ce qui apparaît tout à fait nécessaire au regard du rôle croissant que joue la CNIL eu égard à l'évolution des technologies numériques.
Surtout, ces amendements visent à mettre en conformité l'organisation de la CNIL, dans l'exercice de son pouvoir de sanction et d'enquête, avec les exigences découlant de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Le Gouvernement propose ainsi de clarifier la composition de la formation restreinte, afin que l'autorité qui décide de la mise en demeure – le Président – ne soit pas celle qui prononce la sanction – la formation restreinte. En outre, pour que les sanctions aient plus de poids, elles pourront désormais être rendues publiques. Reconnaissez, monsieur Urvoas, que c'est une évolution.
Je sais enfin que plusieurs d'entre vous ont manifesté leurs inquiétudes quant à la pérennité de la mission de défense et de promotion des droits des enfants. Je veux ici les rassurer. Le Gouvernement, approfondissant la logique de son projet initial et conformément aux équilibres retenus par le Sénat, entend préserver la spécificité et la visibilité de cette mission. Le Défenseur des enfants reste le seul adjoint nommément identifié, ce qui lui confère une visibilité forte.
C'est ce que vous souhaitez ; c'est ce qu'on lit dans la presse ! Le Gouvernement répond donc à cette demande. Cette identité reconnue rendra encore plus forte l'action de cet adjoint Défenseur des enfants.
Le Défenseur des droits disposera de tous les pouvoirs de l'actuel Défenseur des enfants : il pourra alerter sur des cas individuels ou collectifs, proposer des modifications de la réglementation et sensibiliser l'opinion.
Il jouira, de surcroît, de pouvoirs supplémentaires que n'a pas actuellement le Défenseur des enfants, lui permettant d'agir directement et rapidement à l'encontre de tous ceux qui méconnaissent les droits des enfants et portent atteinte à leurs intérêts. En effet, il disposera de pouvoirs d'injonction, de saisine des autorités disciplinaires et d'intervention en justice. Il bénéficiera de moyens d'investigation comprenant un droit d'accès à des locaux, mêmes privés, les entraves à son action étant en outre pénalement sanctionnées. Il pourra intervenir dans toutes les hypothèses, que la méconnaissance des droits des enfants soit le fait d'une administration ou d'une personne privée. Je le répète, ces dispositions ont une portée considérable. Ce qui importe, c'est que les droits des enfants soient encore mieux défendus que par le passé, et ce sera le cas. C'est à l'honneur du Gouvernement et de la commission des lois que d'avoir pu faire émerger ce texte.
En ce qui concerne la saisine du Défenseur des droits, l'article 5 du projet de loi organique est très clair : l'enfant pourra saisir directement le Défenseur des droits. En outre, les représentants légaux de l'enfant, les membres de sa famille, les services médicaux ou sociaux ou certaines associations pourront saisir le Défenseur des droits. Nul ne comprendrait, dans ces conditions, que le progrès que représente la création du Défenseur des droits ne profite pas pleinement et immédiatement aux enfants.
À l'attention de tous ceux qui craignent une régression en matière de droits et libertés fondamentales, je souhaite, pour conclure, réaffirmer que ces droits seront, tout au contraire, renforcés et mis en lumière par la création du Défenseur des droits, autorité constitutionnelle. Pour la première fois, la défense de ces droits est reconnue par la Constitution. Le Gouvernement n'organise pas la disparition d'autorités administratives indépendantes en les regroupant au sein du Défenseur des droits. L'intégralité de leurs compétences est préservée, et leurs moyens d'action sont élargis, puisque le Défenseur des droits dispose d'une gamme de pouvoirs qu'aucune autre autorité administrative indépendante ne possédait dans son entier.
Voilà le progrès que souhaite réaliser le Gouvernement avec votre commission des lois et le soutien de l'Assemblée. S'agissant d'un tel texte, il serait bon de parvenir à un consensus résultant des améliorations que, tout au long de la discussion, vous allez pouvoir concrétiser.
Attendez, le débat vient à peine de commencer !
Je pense qu'il est toujours possible de se rattraper. Confiant dans la discussion qui s'ouvre et qui permettra de lever les quelques malentendus qui subsistent encore, je tiens sincèrement à vous remercier de m'avoir écouté et souhaite, comme le rapporteur et le président de la commission des lois, que nos débats soient aussi enthousiasmants que productifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Pierre Morel-A-L'Huissier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
(M. Jean-Pierre Balligand remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, lors de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, nous avons introduit dans la Constitution un nouvel article 71-1, qui crée une nouvelle autorité constitutionnelle : le Défenseur des droits, chargé de veiller au respect des droits et libertés par les administrations de l'État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que tout organisme investi d'une mission de service public.
Cet article de la Constitution donne un cadre pour le mode de nomination du Défenseur, à savoir l'application de la procédure de nomination par le Président de la République, après avis des commissions permanentes compétentes des deux assemblées du Parlement.
Cet article renvoie dans le même temps à la loi organique le soin de préciser le champ effectif des compétences du Défenseur des droits, ses modalités de saisine, ses attributions et ses modalités d'intervention, ainsi que son assistance éventuelle par un collège. Nous avons donc la tâche difficile de prévoir en loi organique une architecture simple et des instruments efficaces, pour que le Défenseur des droits remplisse pleinement la mission importante qui lui est confiée et qu'il apparaisse réellement comme un moyen pour les citoyens d'obtenir des réponses en équité, dans des délais raisonnables et avec un minimum de procédure.
En tant que rapporteur, j'ai eu le souci de privilégier une approche ouverte, en auditionnant non seulement les présidents des autorités administratives indépendantes incluses dans le champ du projet de loi organique, mais également des AAI connexes, compétentes en matière de droits et libertés, comme la CNIL, la CADA ou la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. L'audition de Mme María Luisa Cava de Llano, Défenseur du peuple espagnol, a également été éclairante, en nous montrant que le Défenseur peut vraiment exercer une magistrature d'influence, même en l'absence de pouvoirs coercitifs, par le seul biais de son pouvoir de recommandation et de ses avis publics.
De surcroît, j'ai pris l'avis de plusieurs spécialistes, universitaires ou délégués de la HALDE, ainsi que du Médiateur et de M. Robert Badinter.
En préambule à nos débats, je voudrais, mes chers collègues, vous persuader que la création, au sein de nos institutions, d'un Défenseur des droits doté de pouvoirs et de moyens d'action sans précédent constitue, au même titre que la question prioritaire de constitutionnalité, un tournant dans l'histoire de la protection des droits fondamentaux dans notre pays. Conjugués à l'autorité morale qu'il tirera de son assise constitutionnelle, ses moyens et pouvoirs lui permettront, dans tous les domaines où il exercera sa compétence, de trouver, au cas par cas, les solutions les plus adaptées et les plus efficaces pour faire progresser le respect des droits de chacun.
Ce texte, je le sais, fera date dans notre histoire – même M. Urvoas en est convaincu. (Sourires.) Il s'inscrit dans la lignée des textes qui ont fondé nos libertés. De la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 à la Charte de l'environnement incluse dans la Constitution en 2005, en passant par le préambule de la Constitution de 1946, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notre droit n'a cessé d'améliorer la définition et la protection des libertés fondamentales. La révision constitutionnelle de juillet 2008 ne déroge pas à ce principe.
Montesquieu écrivait : « La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent. » Encore faut-il qu'une autorité en soit le garant. Notre tâche à nous, législateur, est donc primordiale ; prenons-en pleinement conscience aujourd'hui encore. C'est aux lois qu'il appartient de donner corps à ce que nous appelons la liberté. Seule une démocratie peut définir pour l'ensemble des individus ces droits essentiels pour eux, mais également les outils pour les garantir efficacement.
Je regrette que certaines AAI, que certains agents de ces AAI et certaines personnalités aient tenté, par des affirmations dénuées de tout fondement, d'instruire des procès d'intention uniquement sous-tendus par des considérations politiciennes. Des associations et des organismes nationaux ou internationaux ont voulu dénaturer la réalité de ce projet de loi et des travaux que j'ai menés dans la concentration,…
…alors que, je le redis, les débats ont été particulièrement ouverts et fructueux. C'est donc avec beaucoup de solennité que je rapporte aujourd'hui ces deux textes devant vous.
Les apports de la commission des lois aux textes transmis par le Sénat ont été très nombreux. Les propositions de l'opposition ont été souvent prises en compte : nous avons adopté vingt-neuf amendements du groupe socialiste et trois du groupe GDR. Les modifications ont porté sur quatre aspects : le champ de compétences du Défenseur des droits, son architecture, ses pouvoirs d'information et d'investigation et enfin ses moyens d'intervention.
En ce qui concerne la question des compétences, à l'issue de la discussion des projets de loi en première lecture au Sénat, le Défenseur des droits avait un périmètre encore plus large que celui initialement prévu par le Gouvernement, incluant non seulement les compétences actuelles du Médiateur de la République, du Défenseur des enfants et de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, mais également celles dévolues aujourd'hui à la Haute autorité de lutte contre les discriminations.
Nous avons souhaité transférer également au Défenseur des droits la mission de contrôle des conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de garantir le respect de leurs droits fondamentaux, actuellement assuré par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Ce transfert sera effectif à compter de la fin du mandat de l'actuel Contrôleur général, en juin 2014.
Nous verrons cela au cours du débat, monsieur Urvoas.
En ce qui concerne l'organisation interne du Défenseur des droits, son « architecture » pour ainsi dire, nous avons créé, dans un nouvel article 11 B du projet de loi organique, une réunion conjointe de l'ensemble des collèges et des adjoints, pour les questions transversales ou d'une difficulté particulière. Nous avons modifié la composition des collèges, afin d'en réduire le nombre de membres – désormais des personnalités qualifiées – et d'affirmer explicitement leur fonction consultative. Dans le même temps, nous avons rétabli l'existence d'un collège compétent en matière de protection des droits de l'enfant, à l'article 12 du projet de loi organique – et cela, personne n'en parle ! L'irrévocabilité des membres des collèges, introduite sur proposition de MM. René Dosière et Christian Vanneste, est assortie d'une faculté de sanction en cas d'absences répétées aux réunions du collège. Il est bien beau en effet d'avoir des collèges mais, s'ils sont incomplets, cela ne sert pas à grand-chose.
En ce qui concerne les pouvoirs d'information et d'investigation conférés au Défenseur des droits, il a été prévu, sur proposition du groupe socialiste, que le Défenseur pourrait assister aux travaux de la CADA et demander des études au premier président de la Cour de cassation – j'ai bien entendu le ministre, mais je tiens à cette consultation de la Cour de cassation.
La commission des lois a également souhaité que le juge des référés, saisi par le Défenseur des droits d'une opposition à une convocation en audition ou à une demande de transmission de pièces ou informations, statue selon une procédure non contradictoire et dans un délai de quarante-huit heures.
Nous avons prévu une compétence en matière de visite des lieux de privation de liberté aussi large que celle aujourd'hui attribuée au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, et permis des vérifications sur place dans des locaux administratifs sans possibilité d'opposition, lorsque le Défenseur des droits intervient au titre de sa compétence en matière de déontologie dans le domaine de la sécurité.
Enfin, en ce qui concerne les modalités d'intervention du Défenseur des droits, nous avons étendu à d'autres parties de son champ de compétences, en particulier à la protection des droits de l'enfant, des pouvoirs ou des missions que le Sénat lui avait attribués en matière de lutte contre les discriminations en reprenant des dispositions de la loi de 2004.
Sur la proposition du groupe socialiste, nous avons ainsi permis au Défenseur des droits de faire des recommandations tendant à remédier à toute pratique qu'il estime contraire à l'intérêt de l'enfant, de conduire dans l'ensemble de son champ de compétences des actions de communication et d'information, auxquelles ses délégués territoriaux pourront participer ; nous avons prévu par ailleurs qu'il devra assister les enfants qui le saisissent dans la constitution de leur dossier. Toujours à l'initiative du groupe socialiste, nous avons également fait obligation au Défenseur des droits de saisir les autorités locales compétentes de tout élément susceptible de justifier une intervention du service d'aide sociale à l'enfance.
La commission a par ailleurs souhaité donner une plus grande visibilité à l'action du Défenseur des droits dans chacun de ses domaines de compétences, sans remettre en cause l'unité de l'institution. Son rapport annuel devra par conséquent comporter une annexe thématique relative à chacun de ces domaines, et le Défenseur des droits pourra remettre un rapport consacré aux droits de l'enfant pour la journée internationale des droits de l'enfant : cela était demandé ; c'est chose acquise.
Au-delà de ce travail d'harmonisation et de renforcement des modalités d'intervention prévues par le Sénat, la commission des lois a doté le Défenseur du pouvoir de faire des observations à l'issue de la visite d'un lieu de privation de liberté et de les rendre publiques, comme le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut le faire aujourd'hui.
Avant de conclure, je voudrais, monsieur le ministre, attirer votre attention sur la délicate question de la recommandation en équité, que les Médiateurs de la République successifs ont abordée à plusieurs reprises dans leurs rapports annuels. Fondement même des ombudsmans, la recommandation en équité du Médiateur de la République aujourd'hui et du Défenseur des droits demain peut conduire une administration à s'écarter de la stricte application de la règle de droit. Or, il ne faudrait pas que le fait de suivre une recommandation en équité du Défenseur des droits puisse conduire à la mise en cause de la responsabilité de l'administration ou du comptable public. M. Delevoye a beaucoup insisté sur cette question lors de son audition, et je souhaiterais que nous y réfléchissions, afin d'éclaircir ce point fondamental.
Au seuil de notre discussion, les deux textes que la commission des lois vous demande d'adopter mettent en oeuvre fidèlement l'article 71-1 de la Constitution. Ils permettront, j'en suis convaincu, de créer une autorité efficace et réactive au service de la protection des droits et des libertés. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
J'ai reçu de M. Yves Cochet et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de rejet préalable déposée, en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement, sur le projet de loi organique.
La parole est à M. Noël Mamère.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi organique qui nous est aujourd'hui présenté vise à donner corps à l'existence constitutionnelle du Défenseur des droits prévue par la loi du 23 juillet 2008.
Cette future institution, issue de la révision constitutionnelle, avait à l'origine pour objectif de regrouper les attributions du Défenseur des enfants, du Médiateur de la République et de la Commission nationale de déontologie de la sécurité. La commission des lois du Sénat lui a rattaché, l'an passé, la HALDE, qui avait pourtant en peu de temps réussi à gagner en visibilité et dont le travail est reconnu par l'ensemble des acteurs de la lutte contre les discriminations.
« La création du Défenseur des droits vise à donner plus de cohérence et plus de lisibilité à l'ensemble institutionnel chargé de la protection des droits et libertés, et à doter la nouvelle institution de pouvoirs et de moyens d'action renforcés », affirme le Gouvernement. Les attributions du Défenseur des droits s'étendront non seulement à celles aujourd'hui exercées par le Médiateur de la République, mais elles seront également élargies à celles du Défenseur des enfants et de la Commission nationale de déontologie de la sécurité.
Pour que son action puisse bénéficier de toutes les compétences utiles, le Défenseur sera assisté de deux collèges de trois personnalités qualifiées, qui seront obligatoirement consultées sur le traitement des réclamations en matière, d'une part, de déontologie de la sécurité et, d'autre part, de protection de l'enfance. Le Défenseur des droits « chapeautera » également la HALDE.
Rappelons que la création de ce nouveau mastodonte administratif n'a été précédée d'aucune concertation sérieuse. Aucun des responsables des institutions concernées n'a en effet été consulté. Et pour cause ! En fait, avant la mise en place du comité présidé par l'ancien Premier ministre Édouard Balladur, personne n'avait préconisé la création d'une telle instance. Le rapport Gélard de 2006 sur les autorités administratives indépendantes, par exemple, n'avait aucunement émis l'idée de créer un Défenseur des libertés appelé à rassembler l'ensemble des autorités administratives agissant dans ce domaine.
Pourquoi faudrait-il perdre les acquis indéniables de ces organismes – acquis reconnus par tous, y compris au-delà de nos frontières – au profit d'une instance, le Défenseur des droits, qui cumulerait plusieurs fonctions et aurait à connaître entre 50 000 et 100 000 affaires par an ?
À la volonté de reprise en main semble s'ajouter une raison d'ordre économique. Une institution unique coûterait moins cher que plusieurs instances. Outre que l'argument économique doit parfois s'effacer devant des choix politiques, il n'est pas certain que le dispositif soit plus économique, compte tenu du coût de la mise en place d'une nouvelle instance, de nouvelles campagnes publicitaires, de la reprise des personnels – à moins que l'on ne veuille réduire considérablement les dépenses.
La condamnation est donc unanime, et tous dénoncent la disparition d'outils dont l'utilité n'a jamais été remise en cause. C'est une critique en règle contre la dilution des compétences et la reprise en main par le pouvoir d'organismes dont les avis et les recommandations avaient manifestement fini par déplaire en haut lieu.
Soulignons que ces critiques ne sont aucunement de nature politicienne ; elles proviennent de celles et de ceux que le Gouvernement a nommés à la tête de ces organismes et qui appartiennent, pour la plupart, à votre famille politique, monsieur le ministre.
Pour mémoire, Jeannette Bougrab, aujourd'hui membre du Gouvernement, s'était émue d'une possible disparition de la HALDE, affirmant ne pas « comprendre » que l'on « veuille remettre en cause une institution qui fonctionne ». « Supprimer la HALDE serait un très mauvais signe politique pour les plus fragiles », s'était-elle insurgée. Elle avait même affirmé : « Ce n'est pas souhaitable, car il y a un véritable problème de garantie de l'État de droit ».
En effet, sous couvert de mettre en cohérence la lutte contre les discriminations et la défense des droits, le Gouvernement s'est engagé dans une voie périlleuse : faire taire des voix indépendantes et diminuer les moyens budgétaires de la lutte contre les discriminations et de la défense des droits.
Selon le projet de loi, « la réunion des compétences du Médiateur de la République, de la CNDS et du Défenseur des enfants devrait favoriser une meilleure allocation des moyens, qui permettra au Défenseur des droits d'exercer ses nouveaux pouvoirs moyennant un accroissement modéré de l'enveloppe budgétaire totale ». Cette novlangue est en réalité une langue de bois : qui peut sérieusement croire de telles affirmations, alors que la volonté de contrôler davantage des institutions dont les prises de position sont parfois gênantes et de faire main basse sur ces contre-pouvoirs semble si manifeste ?
Par ailleurs, comme l'a rappelé Robert Badinter au Sénat, c'est la première fois qu'une grande institution compétente en matière de libertés, naît constitutionnellement sans que ses compétences aient été définies au préalable. Au fond, ce n'est pas très surprenant, car réduire au silence des organismes indépendants semble avoir été le principal objectif de ce Gouvernement dès le début de cette triste aventure institutionnelle.
La définition qui figure à l'article 71-1 de la Constitution est en effet très loin d'apporter les réponses nécessaires.
En quoi ce qui nous est proposé sert-il la cause des libertés et des droits ? C'est pourtant la seule question qui vaille. Elle est au fondement de notre question préalable. Et c'est bien là que le bât blesse. Si nous opposons la motion de rejet préalable au projet de loi organique, c'est tout simplement parce qu'il nous paraît méconnaître la finalité recherchée : améliorer la défense des droits des citoyens, de ceux qui sont appelés à le devenir et des personnes étrangères résidant en France.
La situation actuelle n'était pas de nature à justifier à la fois le mépris pour la concertation et l'empressement du Gouvernement sur ce dossier. Il existe un certain nombre d'autorités administratives compétentes dans des domaines particuliers et pour des missions spécifiques. Dans cette constellation, se détache très largement le Médiateur de la République, créé en 1973, comme une variante limitée de l'Ombudsman des Danois. Les titulaires successifs du poste, auxquels nous pouvons rendre hommage, ont su, grâce à leurs efforts, acquérir une vraie reconnaissance. Souvenons-nous du dernier rapport de M. Delevoye sur l'appauvrissement des Français et de l'inquiétant appel qu'il avait lancé à la solidarité envers ces familles qui ne savent pas comment elles vont finir le mois faute de 30 ou 40 euros. Malheureusement, ce rapport important est resté dans les tiroirs de la République, car ce Gouvernement préfère favoriser ceux qui sont déjà privilégiés.
De fait, si l'on avait proposé la constitutionnalisation de la fonction de médiateur, en élargissant sa saisine, en développant ses pouvoirs, en renforçant ses prérogatives, tout le monde aurait sans doute été d'accord. Au lieu de cela, vous avez voulu tout rassembler dans une main et vous supprimez la spécificité du Médiateur.
Dois-je vous rappeler un autre exemple européen, celui de la Constitution espagnole de 1978 ? L'instauration du Défenseur du peuple avait été rendue nécessaire pour une raison simple : le franquisme avait régné sans partage depuis la guerre civile et cela faisait trente ans que l'administration espagnole était sous sa coupe. En 1978, comme il n'était pas question, pour le gouvernement démocratique, de purger l'administration, il fallait bien placer, face à celle-ci, un organe doté de pouvoirs importants. C'est la raison – raison historique tout à fait particulière – pour laquelle le gouvernement espagnol a créé le Défenseur du peuple. La structure administrative de cette institution exemplaire, sur laquelle nous aurions pu prendre exemple, est totalement différente de celle que vous proposez : aux côtés du Défenseur du peuple lui-même, des organes similaires sont présents dans chacune des communautés autonomes, qui sont en fait des provinces dotées d'une complète autonomie.
Encore une fois, ce qui doit nous guider, c'est l'efficacité dans la défense des droits des administrés. À cet égard, la voie que vous avez choisie conduit, si ce n'est à l'impasse, du moins à la confusion et à la bureaucratisation. Chacune des autorités existantes que vous êtes en train de fusionner a acquis, à des titres divers, une reconnaissance nationale et même internationale. Vous avez néanmoins décidé de les supprimer.
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui sera absorbé à partir de 2014 dans la nouvelle entité, a été institué par la loi du 30 octobre 2007, après un vote consensuel des deux assemblées. La France reconnaissait ainsi la spécificité des espaces de privation de liberté et s'engageait à faire évoluer les conditions de prise en charge des personnes qui y sont maintenues. L'enjeu était de taille, nous le savons, tant ces espaces fonctionnent de manière dérogatoire au droit commun. Ceux d'entre nous qui ont participé à la commission d'enquête sur les prisons ont pu constater l'étendue des dégâts, si je puis dire. En créant cet organe de contrôle indépendant et spécifique, la France se mettait enfin en conformité avec le protocole additionnel à la convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains et dégradants, du 18 décembre 2002, qui établit « un système de visites régulières, effectuées par des organismes internationaux et nationaux indépendants, sur les lieux où se trouvent des personnes privées de liberté, afin de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». L'intégration des missions du Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans une autorité héritière de l'actuel Médiateur de la République met pourtant gravement en cause la spécificité d'une autorité voulue par le Parlement il y a tout juste trois ans et dont tous, ici, nous saluons les vertus.
La confusion entre résolution des litiges et prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants est un véritable risque. Héritier de l'actuel Médiateur de la République, le Défenseur des droits aura avant tout une mission de résolution des litiges, c'est-à-dire de médiation : il interviendra comme tiers dans la résolution de conflits entre un individu et une administration. À l'inverse, les fonctions du Contrôleur consistent à contrôler les conditions dans lesquelles des personnes sont privées de liberté, dans un souci de prévention des atteintes aux droits de l'homme ainsi que des traitements inhumains et dégradants. Le Contrôleur général n'a pas vocation à résoudre des situations individuelles mais bien, comme il l'a lui-même indiqué, à « faire un travail de prévention pour empêcher que, dans les établissements privatifs de liberté, les droits fondamentaux des personnes soient méconnus ». La Commission nationale consultative des droits de l'homme a souligné, dans son avis du 4 février 2010 sur le Défenseur des droits, la distinction entre ces deux approches : « La médiation est l'intervention d'un tiers, par la voie du dialogue, de l'incitation et du compromis, pour faciliter la circulation d'informations ou le règlement d'un différend. Le contrôle permet de surveiller la bonne application d'une règle de droit et d'en sanctionner la violation. » Si le Contrôleur général venait à disparaître, c'est l'effort global de transformation des lieux de privation de liberté qui s'en trouverait affaibli. Maintenir la spécialisation du contrôle des lieux de privation de liberté est une nécessité.
Les lieux de privation de liberté sont par nature des espaces particuliers nécessitant des mécanismes de contrôle spécifiques et autonomes. Matériellement et juridiquement clos, les prisons, les centres hospitaliers, les zones d'attente, les locaux de garde à vue et les centres ou locaux de rétention administrative se dissimulent au regard de la société et fonctionnent trop souvent de manière exorbitante du droit commun. On a tout lieu de craindre que le Défenseur des droits ne puisse maintenir le niveau de spécialisation nécessaire concernant la privation de liberté.
La Commission nationale consultative des droits de l'homme soulignait d'ailleurs dans une note du 20 mai 2008 relative au Défenseur des droits le « risque de dilution des mandats spécifiques attribués à des institutions spécialisées, dans une institution polyvalente et tentaculaire », alors que cette spécialisation est gage d'une meilleure réponse aux besoins de protection des droits de l'homme, notamment en matière d'enfermement : la pertinence du contrôle tient en grande partie à la compétence des contrôleurs et donc à la spécialisation des fonctions de cette instance. Sans la Commission nationale de déontologie de la sécurité, devenue un rouage essentiel de notre vie publique, un certain nombre d'affaires n'auraient pu être révélées. Ses recommandations et ses avis sont notamment à l'origine d'une prise de conscience par les responsables politiques et par l'opinion des problèmes posés par les conditions de la garde à vue, les suicides en prison, l'interpellation et la détention des mineurs, l'usage du Tonfa et du Taser, les fouilles corporelles, la rétention des étrangers. Certaines affaires portées à la connaissance du public ont largement défrayé la chronique et poussé à des réformes indispensables, comme l'a rappelé Lionel Jospin dans une tribune remarquée.
À plusieurs reprises et encore récemment, la Cour européenne de justice ou le comité des droits de l'homme de l'ONU se sont d'ailleurs fait l'écho des mêmes préoccupations que celles exprimées par la CNDS. L'utilité de cette dernière n'est donc plus à démontrer. En supprimant cet organisme, le Gouvernement donne le sentiment détestable de vouloir ne plus agir contre les débordements, emboîtant ainsi le pas au ministre de l'intérieur.
À la différence de ce qui était le cas pour la CNDS, qui comportait des membres élus par le Parlement sur une base paritaire entre la majorité et l'opposition, des membres de la Cour de cassation, du Conseil d'État et de la Cour des comptes ainsi que des personnalités qualifiées cooptées – médecins, éducateurs, ex-commissaires de police –, le mode de désignation prévu ne garantit plus l'impartialité subjective et objective de l'institution. Le Défenseur des droits arrêtera ses décisions de façon personnelle, sans collégialité : l'impartialité des avis et recommandations qu'il prendra en souffrira. En outre, ses pouvoirs d'enquête se trouvent limités par rapport à ceux de la CNDS.
Le projet de loi prévoit que les autorités mises en cause par une réclamation pourront interdire au Défenseur des droits toute investigation sur place, en invoquant des motifs tenant à « la sécurité publique » – on a déjà entendu cela au sujet d'autres lois – ou « à des circonstances exceptionnelles » – on l'a déjà entendu pour d'autres lois également. Souvenons-nous de la triste discussion que nous avons eue sur la protection du secret des sources des journalistes. Le projet dispose que, en cas de procédure judiciaire, le secret de l'enquête pourra être opposé au Défenseur, ce qui le privera de l'accès aux pièces du dossier. Enfin, il indique que le Défenseur n'a pas à motiver ses rejets. Voilà donc un contrôleur de la déontologie de la sécurité empêché de tous côtés de contrôler les services de sécurité et un Défenseur des droits qui n'a pas à justifier en droit ses propres décisions ! Dans l'état actuel, la loi organique entraîne donc des régressions inacceptables.
L'institution de défense des droits des enfants existe depuis 2000. Depuis sa création, elle a géré près de 20 000 situations d'enfants dont les droits ont été bafoués ou négligés, et a réalisé des actions de promotion des droits de l'enfant via son réseau de cinquante-cinq correspondants territoriaux et de trente-quatre jeunes civils volontaires, les JADE.
Le Défenseur des enfants intervient – parfois sur saisine directe des enfants eux-mêmes – dans des domaines très sensibles : séparations conflictuelles, enlèvements, placements, séjour en centre de rétention. Ce Défenseur intervient auprès des administrations ou des institutions publiques ou privées, voire auprès des familles, en rappelant le droit français et sa jurisprudence, ainsi que la convention internationale des droits de l'enfant, que la France a ratifiée, en mettant en place des médiations inter-institutionnelles ou familiales, en donnant l'alerte et en promouvant auprès des professionnels et des parents l'intérêt supérieur des enfants dans chaque situation. Dans la plupart des pays européens qui ont des Défenseurs des droits, il existe aussi des Défenseurs des enfants autonomes. Là encore, le regroupement au sein d'un même organisme ne s'explique pas.
En ce qui concerne la HALDE, la situation est pour le moins limpide. Il s'agit, purement et simplement, d'une punition infligée à une institution qui avait fini par irriter la majorité et le plus niveau de l'État. Rappelons les déclarations du président de la commission des lois du Sénat qui, en mars 2010, justifiait les critiques contre la HALDE : « Ils se sont mis au-dessus du Parlement et du Conseil constitutionnel, en 2007, dans l'affaire des tests ADN imposés aux candidats à l'immigration. Ils ont poussé le bouchon un peu loin. »
Le projet de loi contient des dispositions qui conduisent à croire que ce qui a été fait par la HALDE depuis cinq ans ne sera pas, loin de là, poursuivi par le Défenseur des droits. Ainsi, ce dernier, nommé par le Président de la République, sera seul doté du pouvoir de décision ; il pourra décider en opportunité, sans que ses décisions puissent être contestées et, dans le même temps, il pourra opérer un tri selon les dossiers ou les critères discriminatoires en jeu. Il pourra librement opter pour la médiation dans le règlement des litiges, sans dire le droit.
Non seulement la saisine du collège par le Défenseur des droits sera facultative, mais l'avis rendu ne sera que consultatif. La prise de décision collégiale est donc remise en cause. La société civile disparaît purement et simplement du paysage puisque, en l'état, le texte n'a pas prévu de créer un comité consultatif susceptible de faire le lien entre l'institution et les organisations et associations, riches de leurs expériences de terrain.
À ces règles de fonctionnement qui, du reste, interrogent la compatibilité du texte avec le droit communautaire, mais aussi avec la Constitution, se mêle un contexte politique de dénigrement du travail mené par la HALDE, qui a pourtant été saisie de 12 000 réclamations en 2010.
Les autorités indépendantes dont nous parlons, en particulier la CNDS et le Défenseur des enfants, vont donc perdre une grande part de leur lisibilité pour les citoyens. Comme le rappelle Mme Dominique Versini : « La lisibilité du Défenseur des droits sera réduite pour les enfants alors qu'ils peuvent s'adresser aujourd'hui en direct, ainsi que leurs parents, les professionnels de l'enfance ou encore les associations, à un Défenseur des enfants clairement identifié comme étant en charge de défendre et promouvoir tous leurs droits. »
Le mode de désignation est également problématique. Il n'y aura qu'un Défenseur des droits nommé par le Président de la République qui aura le dernier mot, même si celui-ci ne peut procéder à une nomination lorsque les trois cinquièmes de l'Assemblée et du Sénat s'y opposent. On retrouve la logique qui fut appliquée au CSA : au prétexte qu'il n'aurait pas été indépendant, on a supprimé son pouvoir de nomination.
Toutes ces institutions, constituant un outil très important pour la protection des droits et des libertés, sont intégrées dans un grand Défenseur des droits qui n'aura absolument plus les mêmes pouvoirs et qui, ayant été nommé par le Président de la République, se trouvera dans une relation de dépendance directe. À nouveau, la situation est comparable à celle de l'audiovisuel public, puisque ce dernier nomme et révoque les responsables de ce secteur selon son bon plaisir. Voyez jusqu'où va la soumission d'un certain nombre d'outils démocratiques au pouvoir actuel !
La collégialité, qui a cours à la fois à la HALDE et à la CNDS, ne sera plus de mise. La création proposée correspond à celle d'une très grande entité : le Défenseur se trouve au sommet d'une structure pyramidale, puisqu'il nomme des adjoints et préside des collèges consultatifs. Une telle organisation aura, à l'évidence, les conséquences que chacun peut imaginer. Au sein de cette structure pyramidale seront réunies des missions tout à fait différentes, voire hétérogènes et contradictoires. Je le répète : on ne peut comparer la fonction de médiation et celle de contrôle.
En outre, une telle organisation a fatalement pour conséquence une dilution des responsabilités. Conflits de compétences, conflits de personnes, conflits d'autorités inévitables dans les grandes structures bureaucratiques seront le lot du futur organisme. Loin d'être un outil efficace, c'est donc un mastodonte bureaucratique lesté de toutes les pesanteurs inhérentes à ce type d'administration qui va naître.
Le Défenseur des droits devra remplir de nombreuses obligations : gestion, représentation, présidence des collèges, même si certaines attributions pourront être déléguées aux adjoints. Il devra aussi se plier à l'inévitable obligation de remettre à l'exécutif un rapport qui sera ensuite présenté devant le Parlement ; il devra évidemment entretenir avec ces deux pouvoirs, législatif et exécutif, les relations institutionnelles que lui impose sa fonction.
Le Défenseur des droits, contrairement au Médiateur, ne sera donc plus « au contact », c'est-à-dire qu'il ou elle n'aura plus avec les administrés la relation aussi directe que possible que ceux-ci attendent. Or la proximité est un atout et même une nécessité.
L'institution d'un Défenseur des droits est une erreur. Constitutionnaliser le Médiateur de la République, élargir ses pouvoirs ; préserver les instances existantes, quitte éventuellement à mieux délimiter leurs missions, en tout état de cause conserver à chacune des attributions spécifiques, telle était sans doute la meilleure solution.
Il est à craindre que cette nouvelle institution n'apporte que confusion, lourdeur bureaucratique et déresponsabilisation des acteurs. Il est à craindre que la défense des droits et des libertés, comme la lutte contre les discriminations, ne connaisse un véritable coup d'arrêt.
Chers collègues, pour toutes ces raisons, je soumets à votre approbation cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
M. Mamère a dit un certain nombre de contrevérités.
Je me dois donc de rétablir la vérité.
Monsieur Mamère, vous dites qu'il n'y a pas eu de concertation. Pourtant, les préconisations du comité Balladur sont à l'origine des textes que nous examinons…
…et vous ne pouvez pas ignorer que ce comité a procédé à de très nombreuses auditions, tout comme la commission des lois. On ne peut donc pas dire qu'il n'y a pas eu de concertation en amont de cette réforme.
Vous prétendez que nous perdrons le bénéfice de l'existence des autorités indépendantes supprimées dans le dessein de faire des économies. En fait, il n'y aura aucune économie ni aucune perte d'expérience, puisque les services, les dossiers et les personnels seront repris par le Défenseur des droits afin d'assurer une parfaite continuité. Les choses se poursuivront donc comme par le passé, mais différemment.
En effet, le Défenseur des droits bénéficiera d'une autorité constitutionnelle dont ne disposaient pas les autorités indépendantes. Il faut que vous en preniez conscience : ce poids constitutionnel modifie la nature même de l'organisme concerné.
Je peux comprendre qu'on soit opposé à la réforme et que l'on affirme à ce sujet des positions de principe…
…mais vous ne pouvez pas ignorer qu'une autorité constitutionnelle a tout de même un peu plus de poids qu'une autorité administrative indépendante simplement créée par la loi.
Vous avez évoqué la nécessaire efficacité de la protection des droits et des libertés. À ce sujet, je veux seulement m'étonner de votre audace : je ne sais pas si tout le monde a bien entendu, mais vous avez fait un parallèle pour le moins hasardeux avec le régime franquiste.
Monsieur Mamère, permettez-moi de revenir sur ce que je considère, sur le plan historique, comme une énormité. Pour ma part, je n'accepte pas que l'on fasse un parallèle entre les initiatives du Gouvernement et le régime franquiste. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
Dans ce cas, monsieur Mamère, c'est que vos propos étaient d'une telle clarté que nous n'y avons rien compris.
Si, plusieurs années après la fin du régime franquiste, il a fallu créer en Espagne un Défenseur du peuple, c'est que ce dernier était nécessaire pour que le peuple puisse obtenir des droits. Nous créons aujourd'hui en France un Défenseur des droits car, dans notre régime démocratique, le peuple dispose déjà de ces droits. Il s'agit simplement de les défendre et d'en assurer une application efficace. Monsieur Mamère, votre posture est extrêmement politicienne. On peut la comprendre, mais, personnellement, je ne l'accepte pas.
Par ailleurs, vous avez déploré que le Défenseur des droits soit désigné par le Président de la République.
La question n'est plus à trancher, puisque ce mode de désignation a été choisi par le constituant lors de la révision de 2008. Cela dit, je vous signale que, si le Président de la République détient bien le pouvoir de nomination, le Parlement est associé à cette procédure grâce à l'évolution constitutionnelle que notre majorité a su mettre en oeuvre. En effet les commissions compétentes des assemblées exprimeront leur avis. On imagine mal que le Président de la République nomme une personnalité dont la candidature aura été rejetée par un vote concomitant des commissions du Sénat et de l'Assemblée.
On comprend que l'opposition use d'artifices politiciens, mais je tenais à rétablir la vérité sur certains points afin que la majorité vote contre cette motion de rejet préalable.
Dans les explications de vote sur la motion de rejet préalable, la parole est à M. Pascal Clément, pour le groupe UMP, pour deux minutes.
Monsieur le président, vous reconnaîtrez que deux minutes c'est un peu bref pour répondre à l'ensemble des arguments évoqués par M. Mamère.
Selon notre règlement, l'objet de la motion de rejet préalable « est de faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ou de faire décider qu'il n'y a pas lieu à délibérer ». Vous avouerez, monsieur Mamère, que cette précision est amusante. En effet, si on peut concevoir qu'il n'y ait pas lieu à délibérer, ce n'est en tout cas pas ce que vous avez dit ; quant au caractère inconstitutionnel, on peut difficilement l'opposer au législateur organique que nous sommes, puisque nous devons expliciter une révision récente de la Constitution.
Il reste que j'ai écouté vos objections à cette réforme. Je vous rends hommage – une fois n'est pas coutume –, car vous les avez présentées de façon modérée. Mais je veux tenter d'y répondre.
Le projet de loi organique initial prévoit la fusion de plusieurs autorités indépendantes dont la CNDS et le Défenseur des enfants. S'il n'y a jamais eu de contestation de l'action de ce dernier, cela a bien été le cas, pendant plusieurs années, pour celle de la HALDE, dont le Sénat a transféré les attributions au Défenseur des droits.
Je précise que la commission des lois de l'Assemblée nationale a ajouté à la liste le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, ce dont je tiens à remercier son président, M. Jean-Luc Warsmann. En effet, lorsque j'étais garde des sceaux, j'avais pris la même décision, mais il a fallu que mon successeur revienne dessus. Je suis heureux de voir que nous revenons au bon sens : les services chargés du contrôle de la détention relèvent du successeur du Médiateur de la République, le Défenseur des droits.
Monsieur Mamère, à vous entendre, une première question se pose : est-ce que cela sera moins bien qu'avant ?
Au contraire, le Défenseur des droits aura plus de pouvoirs et plus de visibilité en tant qu'autorité constitutionnelle. Par ailleurs puisqu'un adjoint du Défenseur des droits sera nommé Défenseur des enfants, une personnalité reconnue sera effectivement chargée de défendre et de promouvoir les droits de l'enfant. En conséquence, l'objection selon laquelle les enfants ne sauraient pas à qui s'adresser tombe.
Une deuxième question a été posée : le Défenseur des droits sera-t-il moins indépendant que les autorités qui le précédaient ?
Monsieur Mamère, j'ai été frappé que vous ayez également rendu hommage à M. Jean-Paul Delevoye et à Mme Jeannette Bougrab qui, elle aussi, a défendu l'institution dont elle avait la charge. Vous voyez bien que la question n'est pas de savoir si une personnalité est d'un bord ou de l'autre ; en fait, elle assume la responsabilité qui lui est conférée lors de sa nomination et très vite elle devient indépendante, confer les membres du Conseil constitutionnel.
Une troisième question concerne la légitimité du Défenseur des droits. Dès lors qu'il s'agit d'une autorité constitutionnelle, la discussion est close. La question n'est pas de savoir si nous avons tous pu donner notre avis devant le comité Balladur ; le Défenseur de droits est inscrit dans la Constitution, la loi d'airain de notre droit, notre colonne vertébrale. Que l'on soit d'accord ou pas, nous n'avons plus le droit de changer d'avis.
Monsieur Mamère, vous avez raison d'être inquiet, mais le seul élément qui n'était pas prévu par le projet de loi organique a été traité par le Parlement : la défense des enfants est renforcée et personnalisée. Lors de l'audition du candidat au poste de Défenseur des droits par les commissions des lois de l'Assemblée et du Sénat, celles-ci pourront poser des conditions et dire leur souhait d'une visibilité maximale de cette institution.
La parole est à Mme Catherine Coutelle, pour le groupe SRC.
J'espère qu'elle s'efforcera de faire mieux que M. Clément, qui a doublé son temps de parole. Nous sommes en début d'année, et je suis d'une grande mansuétude.
M. Clément vient de nous dire que nous avions des raisons d'être inquiets. La loi organique portant sur le Défenseur des droits a attendu deux ans et demi. Il est dommage que vous n'ayez pas mis ce délai à profit pour essayer de rédiger un texte consensuel.
En partant d'une idée qui aurait pu être bonne, vous parvenez à mobiliser contre vous toutes les autorités administratives concernées et l'ensemble des associations. Sa traduction législative inquiète en effet d'autant plus que la commission des lois de l'Assemblée a supprimé des avancées obtenues par le Sénat. Ainsi, le Défenseur des droits, qui devait réunir trois autorités indépendantes, en regroupera finalement cinq. De surcroît, ce regroupement n'atteint aucun des buts que l'on pouvait se fixer : non seulement il dégrade les droits des citoyens, mais il n'améliore ni la visibilité, ni l'efficacité et les moyens, ni l'indépendance de l'institution.
Tout d'abord, votre texte risque de faire perdre aux autorités la visibilité qu'elles avaient réussi à conquérir. Sur ce point, la critique la plus vive, et je la reprends à mon compte, émane de la Défenseure des enfants, qui craint d'être noyée et de devenir inaccessible aux enfants, qui, actuellement, la connaissent et la saisissent facilement. UNICEF France nous a, du reste, tous alertés à ce sujet.
Ensuite, le texte n'améliore pas l'efficacité de l'institution. Le nombre des saisines – 55 000 – a fortement augmenté, prouvant ainsi que les Français savent à qui s'adresser. Face aux discriminations, aux injustices, aux abus, nos concitoyens attendent une écoute et des réponses rapides. « Les discriminations sont telles dans notre pays […] que cela justifie bien d'avoir quelqu'un dont l'unique mission est l'égalité », déclarait l'ancienne présidente de la HALDE. Or, les moyens et le mode de fonctionnement prévus dans le texte nuiront à l'efficacité de l'institution. J'ajoute, car personne n'a évoqué ce sujet, que les représentants du Médiateur et de la HALDE dans les départements s'interrogent sur leur indépendance et sont très inquiets du caractère facultatif de leur nomination.
Enfin, la principale critique que l'on peut adresser à ce texte a trait précisément à l'indépendance. Nommé par le Président de la République, le Défenseur des droits perd en effet toute indépendance, quoi qu'en dise le Gouvernement. Les autorités actuelles sont, quant à elles, de réels contre-pouvoirs. Mais peut-être est-ce là que le bât blesse, car on ne peut s'empêcher de penser que leur liberté d'investigation, leurs propositions, leurs dénonciations de la politique toujours plus sécuritaire menée par le Gouvernement gênent celui-ci, qui veut les mettre au pas en les fusionnant. N'ont-elles pas dénoncé notamment l'état lamentable des lieux privatifs de liberté, les tests ADN, les rétentions abusives, en particulier d'enfants, les gardes à vue dégradantes, l'usage du Taser, les discriminations pratiquées dans les banques ? Qu'en sera-t-il, demain, quand le Défenseur des droits sera nommé par le Président de la République et quand ses adjoints, qui se substitueront aux autorités actuelles, seront de simples collaborateurs dont il pourra ne pas tenir compte des avis ? C'est une régression démocratique majeure !
Cette réforme, qui est une belle idée gâchée, marque un recul majeur de la protection des libertés. C'est la raison pour laquelle nous demandons son rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le ministre, il est vrai que ce projet de loi organique visant à instituer le Défenseur des droits aurait pu, après un débat passionnant, recueillir un consensus, tant les droits sont malmenés dans notre pays. Mais, partout, il suscite des inquiétudes, que ce soit dans les institutions, dans les associations ou même dans des organisations internationales. Ce n'est pas par principe que nous avons présenté cette motion de rejet préalable, mais parce que nous avons des arguments à vous opposer, arguments que mon collègue Noël Mamère a du reste excellemment exposés.
Les autorités indépendantes ont fait la preuve de leur efficacité auprès des usagers : dans ma circonscription, des familles qui avaient fait appel au Médiateur ou au Défenseur des enfants ont vu leur requête aboutir. Elles ont fait la preuve de leur capacité à connaître les problèmes, grâce à leur champ de compétences précis, réduit, qui leur a permis d'effectuer un travail de proximité : les femmes responsables de la défense des enfants étaient au contact de ces derniers sur l'ensemble de notre territoire. Elles ont fait la preuve de leur indépendance vis-à-vis de toutes les pressions, parvenant ainsi à créer un climat de confiance.
Or, à ces autorités, qui présentent un bon bilan, qui ont répondu aux attentes, rempli leur mission et atteint leurs objectifs, on nous propose de substituer une structure hypercentralisée qui, en raison de son champ de compétence extrêmement vaste, devra traiter des milliers de dossiers et qui sera organisée de manière très hiérarchisée sous l'égide d'un individu choisi par le Président de la République.
Monsieur le ministre, vous nous dites que cette réforme n'obéit à aucun motif d'ordre économique : les personnels et les moyens actuels seront maintenus, dites-vous – nous verrons ce qu'il en sera dans les années à venir. Serait-ce alors que les avis émis par ces autorités indépendantes, qui ont montré combien les discriminations et les attaques contre les droits sont une réalité dans notre pays, mettaient en cause de façon trop nette les politiques menées par le Gouvernement ?
Il s'agit, non pas de jouer un jeu politicien, mais de répondre à une exigence de notre siècle. Comment, face à toutes les régressions – sociales, économiques, démocratiques –, obtenir de nouvelles avancées, qu'il s'agisse des droits existants ou de droits nouveaux ? Parce que tel était l'objectif de ces autorités indépendantes, nous appelons l'Assemblée à voter cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Les questions posées par notre collègue Noël Mamère, et auxquelles Pascal Clément, ancien garde des sceaux, a répondu, sont tout à fait légitimes. Mais j'ai le sentiment que l'opposition a choisi pour orateurs des députés qui étaient opposés à la révision constitutionnelle. Or, je rappelle que cette révision, qui prévoyait la création d'un Défenseur des droits, a pu être votée grâce à une partie de l'opposition, puisqu'une majorité des deux tiers était requise au Congrès.
Les élus de la majorité se sont posé les mêmes questions que celles soulevées par M. Mamère, car les quatre autorités indépendantes qui vont fusionner ont joué leur rôle.
Mais je fais remarquer à nos collègues de l'opposition que c'est la majorité actuelle qui a fait progresser la garantie des droits. En effet, qui a créé, dans la loi pénitentiaire, le contrôleur général des lieux de privation de liberté ? Qui a institué la question prioritaire de constitutionnalité, qui permet à tout citoyen de saisir le Conseil constitutionnel pour qu'il se prononce sur la conformité d'une loi à la Constitution ? La majorité actuelle. Aujourd'hui, nous voulons permettre à tout citoyen de saisir le Défenseur des droits sans intermédiaire, alors que, pour saisir le Médiateur de la République, il était obligé de solliciter un parlementaire. Il s'agit, là encore, d'un progrès.
Encore une fois, M. Mamère pose des questions légitimes, mais les amendements apportés au texte par la commission des lois, et qui complètent le travail du Sénat, permettent de garantir la visibilité des missions des différentes autorités indépendantes existantes, dont nous louons le travail. La discussion en séance publique est donc nécessaire. C'est pourquoi il nous faut rejeter la motion défendue par notre collègue Noël Mamère. Au reste, je suis certain qu'à l'issue des débats, ses questions auront trouvé des réponses et que celles-ci conforteront l'excellent travail accompli par les différentes autorités dont il a relayé les inquiétudes dans cet hémicycle.
(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
Motion de rejet préalable
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de rejet préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement, sur le projet de loi relatif au Défenseur des droits.
La parole est à M. René Dosière.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que les choses soient claires : j'utilise les trente minutes qui me sont allouées au titre de cette motion de renvoi en commission afin d'évoquer un sujet, les autorités administratives indépendantes,…
…que mon collègue Christian Vanneste et moi-même connaissons bien, pour l'avoir étudié pendant un an de manière approfondie, à la demande du comité d'évaluation et de contrôle. Il m'a donc semblé utile d'apporter quelques précisions à cette assemblée.
Au fond, le débat sur le Défenseur des droits est, à un double titre, un exercice d'application de la réforme constitutionnelle : d'une part, parce qu'il s'agit de mettre en oeuvre des dispositions qui visent à renforcer la protection des droits des citoyens ; d'autre part, parce que ce sujet a fait l'objet d'une réflexion menée au sein d'une nouvelle structure de l'Assemblée nationale, le comité d'évaluation et de contrôle, qui a choisi, parmi les thèmes de ses premiers travaux, les autorités administratives indépendantes.
Tout d'abord, il me paraît utile de rappeler, à travers quelques citations, quel est le rôle de ce comité. Lors de sa première réunion, le président de l'Assemblée nationale, qui préside également le comité, a déclaré : « La création du CEC résulte de la dernière révision constitutionnelle, qui a confié au Parlement de nouvelles missions en matière de contrôle et, surtout, d'évaluation. » Jean-François Copé, qui était alors président du groupe UMP, s'inscrivait dans la même démarche, puisqu'il estimait : « Nous sommes nombreux autour de cette table à avoir travaillé activement à la création de ce comité, qui sera un instrument fondamental pour le contrôle de l'action du Gouvernement et pour l'évaluation des politiques publiques. Le CEC suscite beaucoup d'attentes, dont nous devrons nous montrer dignes. Pour y parvenir, il faudra que nous adoptions une démarche transpartisane. La crédibilité du CEC dépendra de l'objectivité et de l'impartialité de ses rapports d'évaluation. » Quant à vous, monsieur le ministre, vous insistiez lorsque vous étiez président de la commission des affaires économiques, sur le fait que « tout ce qui relève du contrôle doit être transpartisan et transparent ».
Ces quelques citations démontrent combien la création, dans le cadre de la modernisation du Parlement, du comité d'évaluation et de contrôle traduisait la volonté que le travail d'évaluation et de contrôle prenne une part de plus en plus importante et que, pour être efficace, il soit mené de manière transpartisane. Majorité et opposition, qui y sont représentées à égalité, travaillent ainsi ensemble sur des sujets choisis d'un commun accord.
C'est ce que Christian Vanneste et moi-même nous sommes efforcés de faire pendant un an, en procédant à quarante et une auditions, en nous rendant au Québec et au Canada, puis en Suède – pays qui présentent un intérêt certain du point de vue des autorités administratives indépendantes –, en organisant quatre réunions de travail informelles, en élaborant une série de questionnaires, puis en publiant, il y a quelques semaines, un rapport.
Si l'on a dit beaucoup de bien de ce rapport, ce n'est pas toujours pour les bonnes raisons : certains peuvent être tentés de l'instrumentaliser, ce que j'entends également dénoncer en prenant la parole.
Il ressort de notre travail que les autorités administratives indépendantes sont amenées à intervenir dans deux domaines : d'une part, les libertés publiques – ce qui nous intéresse particulièrement aujourd'hui –, d'autre part, la régulation économique. Là où elle est mise en oeuvre – ce qui est assez largement le cas parmi les pays démocratiques –, la création d'une autorité administrative indépendante chargée des libertés publiques est fondée sur la volonté d'échapper au soupçon de partialité qui pèse sur tout exécutif, qu'il soit de type présidentiel ou parlementaire. Nous avons pleinement reconnu l'intérêt et l'efficacité de telles autorités administratives, ce que confirme l'avis des usagers eux-mêmes, qui, à quelques critiques près, sont généralement satisfaits de leur fonctionnement.
Cela ne signifie pas pour autant qu'il n'y ait rien à changer. Comme nous l'avons indiqué, certaines améliorations nous ont semblé nécessaires. La première de ces améliorations consiste en la nécessité, en une période où la dépense publique doit être fortement maîtrisée, de soumettre les dépenses de ces autorités aux impératifs de régulation budgétaire qui s'imposent par ailleurs. Si, en valeur comme en personnel, leur masse budgétaire cumulée reste relativement faible, les budgets de ces autorités augmentent à un rythme important – bien plus important, par exemple, que celui de l'Assemblée nationale. Par principe, rien ne justifie que ces autorités ne soient pas soumises à l'effort imposé à l'ensemble des ministères.
La deuxième amélioration que nous avons estimée souhaitable est celle d'un renforcement de la collégialité des autorités, gage d'une plus grande efficacité – bien entendu, il convient que cette collégialité soit effective, c'est-à-dire que les personnes désignées pour siéger au sein d'un collège y siègent effectivement, ce qui me paraît la moindre des choses.
Enfin, le nombre d'autorités administratives indépendantes ayant tendance à croître au fil du temps, il arrive que certaines compétences se recoupent. Il nous est donc apparu qu'il pouvait être procédé à un certain nombre de regroupements, pas seulement pour des raisons financières – l'un des regroupements ayant d'ailleurs abouti à des dépenses supplémentaires –, mais aussi parce que le citoyen peut trouver avantage, en termes de lisibilité et de masse critique, à avoir affaire à des entités moins nombreuses et plus importantes.
Notre rapport contient une proposition centrale, consistant à renforcer l'autorité et l'indépendance des autorités administratives indépendantes, tout spécialement celles concernant les libertés publiques, par l'élection des responsables de ces autorités à une majorité positive et qualifiée du Parlement : les commissions compétentes du Parlement désigneraient les responsables à la majorité des trois cinquièmes.
Cette solution présente plusieurs avantages. Premièrement, l'obtention d'une majorité des trois cinquièmes suppose un accord entre la majorité et l'opposition, donc le choix d'une personnalité incontestable, à l'autorité morale reconnue. C'est ainsi que les choses se passent dans les démocraties avancées où nous nous sommes rendus en mission, c'est-à-dire en Suède, dans la province du Québec et, au niveau fédéral, au Canada. En matière de libertés publiques, ce type de choix est fondamental, car il évite que ne prévale un point de vue partisan.
Deuxièmement, là où il est mis en oeuvre, ce mode de nomination fonctionne de manière parfaite : dès lors que la majorité et l'opposition se sont mises d'accord, c'est toujours à l'unanimité que les responsables sont désignés.
Troisièmement, cette solution présente l'intérêt de respecter l'intention fondamentale de la réforme constitutionnelle, consistant à revaloriser le rôle du Parlement. Pour cela, peut-on mieux faire que de donner au Parlement le pouvoir de nommer les responsables des autorités qui, sans cela, auraient tendance à vouloir prendre le pouvoir eux-mêmes ?
La proposition que Christian Vanneste et moi-même avons présentée devant le comité d'évaluation et de contrôle n'a suscité aucune réaction négative : personne ne nous a dit qu'il s'agissait là d'une proposition iconoclaste ! Notre rapport, intitulé : « Garantir l'indépendance des autorités administratives indépendantes sous la protection du Parlement », n'a soulevé aucune objection de la part de ce comité, pas plus que de la part de la commission des lois, où nous avons renouvelé notre présentation à la demande de son président. J'insiste sur ce point : personne n'a jamais laissé entendre qu'il valait mieux laisser à l'exécutif le soin de nommer les responsables des autorités administratives indépendantes.
Sans prétendre à la qualité d'experts du simple fait d'avoir rédigé ce rapport, nous avons cependant acquis quelques connaissances durant l'année de travail que cela nous a demandé, ce qui nous permet de porter une appréciation sur le texte qui nous est aujourd'hui soumis. Ce texte a-t-il pour objet de regrouper des autorités administratives indépendantes ? Oui, et nous n'y sommes pas hostiles, puisque nous l'avons proposé. Cela étant, nous l'avons proposé dans le but de renforcer la notoriété des autorités concernées, afin que le citoyen soit mieux à même de les identifier, donc que ses droits soient mieux protégés. Or, ce n'est pas vraiment ce qui nous est proposé avec ce texte !
Sur le périmètre, d'abord, nous étions opposés à l'absorption de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, investie de missions bien spécifiques, parmi lesquelles ne figure pas la médiation. Nous proposions donc que la CNDS soit regroupée avec le Contrôleur des lieux de privation de liberté, compte tenu de leurs affinités en termes de compétences. Pour éviter de « casser » le travail de ces deux petites instances, récemment mises en place, nous proposions que leur regroupement n'intervienne que beaucoup plus tard – à l'issue de l'actuel mandat du CGLPL – et que dans l'immédiat, la CNDS reste indépendante et continue, avec les très faibles moyens qui lui sont alloués – huit personnes et un budget de l'ordre de 700 000 euros – son excellent travail, fondamental dans notre démocratie. Seule une commission indépendante peut garantir le respect des règles de déontologie par la police – et si l'on veut que la police soit respectée, il faut qu'elle soit respectable.
Or, ce qui nous est proposé consiste en une absorption pure et simple de la CNDS par un vaste ensemble. Que va devenir cette autorité, avec les faibles moyens qui sont les siens, lorsqu'elle sera intégrée à une nouvelle entité composée de deux cents ou deux cent cinquante personnes et disposant d'un budget de 20 à 25 millions d'euros de budget ?
Je souligne par ailleurs que la CNDS est également compétente en matière de déontologie des polices privées, ce que l'on ignore souvent. Un reportage télévisé récemment diffusé montrait qu'en ce domaine, de nombreuses améliorations restaient à réaliser.
Notre deuxième motif de désaccord au sujet de ce texte porte sur le fonctionnement de la nouvelle autorité créée. Celle-ci sera dirigée par un seul patron, le Défenseur des droits – assisté, comme nous l'a précisé le garde des sceaux en commission, par des collaborateurs. Ces collaborateurs – un terme empreint d'une certaine connotation…
…seront nommés sur proposition du Défenseur des droits par le Premier ministre. À l'exception du Défenseur des enfants, qui conserve son titre, ils ne seront pas même identifiés : sans doute devra-t-on les désigner comme « adjoint A », « adjoint B », et caetera ! Christian Vanneste et moi-même avons proposé que ces adjoints soient identifiés, mais la commission a repoussé notre amendement.
Surtout, nous souhaitions que les adjoints soient nommés par une majorité qualifiée des commissions des lois du Parlement, à savoir une majorité des trois cinquièmes, afin d'équilibrer le fonctionnement de cette nouvelle institution. Le Défenseur des droits est nommé par le Président de la République. Certes, le Parlement peut s'y opposer par une majorité de trois cinquièmes – ce qui, impliquant que la majorité désavoue le Président de la République, me paraît plutôt de l'ordre du virtuel.
Je note d'ailleurs, monsieur le ministre, puisque vous en parliez tout à l'heure, que ce n'était pas du tout l'objet de la proposition de M. Balladur. Pour sa part, il proposait que le Défenseur des libertés soit nommé à une majorité des trois cinquièmes par le Parlement : nous sommes donc tout à fait fidèles à l'esprit de sa proposition.
Avec un Défenseur des droits nommé par le Président de la République et des adjoints nommés, eux, par le Parlement, nous retrouverions un équilibre souhaitable, qui conduirait le Défenseur des droits à négocier plutôt qu'à pratiquer une forme d'autorité verticale – celle-là même qui faisait horreur à Péguy.
Par la légitimité qu'elle leur confère, la nomination des adjoints par le Parlement constitue la garantie qu'ils exercent effectivement leurs responsabilités dans chacun des secteurs d'activité appelés à se trouver regroupés.
Autrement dit, il ne s'agirait pas à ce moment-là d'une fusion. J'ai plusieurs fois entendu ce mot, qui d'ailleurs m'inquiète : une fusion, cela veut bien dire que le résultat ne correspondra pas à ce qu'il y avait avant, alors que la proposition que nous faisions permettait justement, me semble-t-il, de garantir aux citoyens que, dans chacune des activités regroupées au sein du Défenseur des droits, les services seraient rendus avec sans doute encore plus d'efficacité compte tenu de la synergie que le regroupement aurait pu leur donner.
Dernier argument, une telle nomination par le Parlement implique un accord entre la majorité et l'opposition. Il faut bien, pour désigner quelqu'un aux trois cinquièmes, que la majorité et l'opposition discutent et que l'on finisse par trouver la personne qui correspond au schéma !
Évidemment, ce genre de consensus, s'agissant des libertés publiques, est assez nouveau chez nous.
Nous sommes une démocratie un peu particulière, mais dans certaines, peut-être plus jeunes – je pense au Québec –, ce système fonctionne de manière tout à fait satisfaisante.
Enfin, c'est une disposition qui renforce le rôle de l'Assemblée nationale. J'avoue que nous n'avons toujours pas compris, Christian Vanneste et moi-même, comment la majorité a pu repousser l'amendement en question, limitant ainsi elle-même, au fond, le pouvoir du Parlement, ce qui est en contradiction totale avec l'esprit de la réforme que vous avez votée !
Quel est, dans ces conditions, le risque qui va exister ? C'est celui d'une dilution des responsabilités dans cette institution énorme. Il y aura des différences très sensibles par rapport au fonctionnement actuel.
Regardons par exemple ce qui se passe aujourd'hui à la CNDS ou à la HALDE : les délibérations du collège sont prises à la majorité des voix des présents et, en cas d'égalité, la voix du président est prépondérante ; le collège est convoqué par le président ou certains de ses membres – trois pour la CNDS, la moitié pour la HALDE. L'ordre du jour est fixé par le président, mais peut aussi être proposé par un membre du collège dans le cas de la CNDS.
Autrement dit, on a là un travail collectif – ou collégial, si vous préférez –, ce qui constitue une richesse. Aujourd'hui, qu'est-ce que nous avons dans ce texte ? Lorsqu'il intervient au titre de sa compétence, le Défenseur des droits peut consulter un collège qu'il préside et dont on ne sait même pas, d'ailleurs, si les adjoints en font partie !
Nous préférons la pratique collégiale au pouvoir personnel. De ce point de vue, comme le Défenseur des droits ne pourra manifestement pas tout faire, alors même que le texte lui confie tous les pouvoirs, que se passera-t-il ? Eh bien, c'est la technostructure qui va prendre le pouvoir,…
…c'est-à-dire que ce ne seront même plus les membres des collèges qui dirigeront, mais les techniciens et les experts, bref les technocrates qui seront nommés dans ces institutions.
Dans un certain nombre d'autorités administratives, ils prennent déjà le pouvoir lorsque les élus en sont absents.
Je pense que ce texte, dans sa rédaction actuelle, loin de constituer un progrès, représente au contraire un recul en matière de droits pour les citoyens et de protection des libertés.
Il sera d'ailleurs, si les choses ne bougent pas, voté par la seule majorité, ce qui ne constitue pas un progrès en matière de démocratie, contrairement à ce qui s'était passé pour les textes initiaux, ceux qui avaient créé les autorités administratives que l'on veut regrouper dans le Défenseur des droits : ils avaient toujours été votés à l'unanimité car, s'il est arrivé au groupe socialiste de s'abstenir, il n'a pas voté contre.
Ce sera donc la première fois, en la matière, que l'opposition votera contre. S'agissant de libertés publiques, ce n'est pas un bon signal que nous donnons au monde entier, tout au moins aux démocraties ou aux pays qui se veulent démocratiques.
Voilà la vérité que je voulais vous exposer – « tristement la vérité triste », comme aurait dit Charles Péguy. En effet, je regrette, au fond, qu'une année de travail soit à ce point inutile. Cela pose par ailleurs la question de l'utilité du comité d'évaluation et de contrôle, puisque l'on voit bien ce qu'il est advenu de ses propositions, dont je dois dire qu'elles étaient consensuelles.
Christian Vanneste et moi-même formions un attelage improbable, comme la presse l'a caractérisé. Il est vrai que nous n'avions pas beaucoup de points communs, bien que nous nous soyons aperçus, à la fin de notre mission, qu'il y en avait un : Charles Péguy ! Nous ne le savions pas avant ; cela peut rapprocher… (Sourires.)
En tout cas nous sommes parvenus, à l'issue de cette année de travail, et alors que nous sommes si différents, à des propositions unanimes. Il est donc possible, en matière de libertés publiques, de réunir la majorité et l'opposition. Comment ? En écoutant, en dialoguant, en n'étant pas persuadé d'avoir toujours raison, et surtout en partageant la conviction selon laquelle, dans ce domaine, il faut absolument dépasser les clivages partisans. Or le Parlement, parce qu'il est le lieu où siègent la majorité et l'opposition, est précisément l'endroit où ces clivages doivent disparaître, dès lors que l'on évoque les libertés publiques.
Au fond, monsieur le ministre, ma plus grande tristesse, et sans doute celle de Christian Vanneste – mais il le dira lui-même –, c'est peut-être que nous ne soyons pas parvenus, sur ce texte, à dépasser les clivages partisans,…
…alors que tout nous y invitait. Pour la même raison, je regrette qu'on ait également négligé le travail préparatoire qui avait été accompli au sein du comité d'évaluation et de contrôle.
J'avoue que, lorsque j'entends dire, comme vous l'avez fait vous-même, monsieur le ministre, qu'il s'agissait là d'un travail remarquable, cela me fait penser aux mots que l'on prononce lors des enterrements : les gens que l'on enterre sont toujours remarquables ! (Rires.)
Je préférerais que l'on trouve notre travail un peu moins remarquable et que l'on suive davantage ses propositions. Voilà, mes chers collègues, ce que je tenais à vous dire, encore une fois avec beaucoup de tristesse. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Nous avons bien compris que le syncrétisme était si fort entre Charles Péguy et René Dosière que l'on pourrait appeler celui-ci Charles Dosière ! (Sourires.)
La parole est à M. le rapporteur.
Monsieur Dosière, je vous ai trouvé très plaintif dans votre intervention.
Vous avez d'abord rappelé ce qu'est le comité d'évaluation et de contrôle, présidé par le président de l'Assemblée nationale. Vous avez exprimé l'espoir qu'il poursuive sa mission et vous avez évoqué son rôle transpartisan. Personne ne remet en cause son intérêt et son utilité !
Personne n'a remis en cause votre travail – quarante et une auditions, des visites au Canada et en Suède, un rapport qui distingue ce qui est lié aux libertés publiques et ce qui est lié à la régulation économique.
Vous avez également parlé de l'intérêt des autorités administratives indépendantes, que personne ne remet en cause.
Vous avez aussi parlé de réformes nécessaires, en particulier d'économies à réaliser. Vous avez vous-même dit que ces AAI avaient des budgets qui étaient en augmentation exponentielle par rapport à ce que connaissent d'autres structures.
Vous avez souhaité renforcer la collégialité effective. Vous voulez également renforcer l'autorité et l'indépendance des AAI au moyen de la majorité qualifiée.
Ce que vous avez oublié de dire, c'est que nous sommes, avec le Défenseur des droits, dans un cas particulier : il s'agit ici de l'application de la Constitution. Celle-ci dit très clairement : « Le Défenseur des droits est nommé par la Président de la République pour un mandat de six ans non renouvelable, après application de la procédure prévue au dernier aliéna de l'article 13. »
Il n'y a donc pas lieu de revenir sur la procédure de nomination ou de désignation du Défenseur des droits.
Concernant le Défenseur des droits, vous parlez de votre volonté – exprimée aussi dans le rapport que vous avez fait avec M. Vanneste – de rapprocher la CNDS du contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Je voudrais dire à ce sujet à Pascal Clément que la proposition d'intégrer le contrôleur vient de votre rapporteur, et non pas du président de la commission des lois. J'y tiens ! (Sourires.)
Concernant la CNDS, je voudrais rappeler quelques chiffres. Il y a eu 228 saisines en 2009 et 153 dossiers traités, dont 111 concernent la police nationale, 19 la gendarmerie, 19 l'administration pénitentiaire, un seul la police municipale, un les services de sécurité privée, un les services de surveillance des transports et un les douanes.
Sur les 153 dossiers, 120 avis ont été émis, avec ou sans recommandations, dont 78 dans lesquels la commission a constaté un ou plusieurs manquements à la déontologie et 42 pour lesquels aucun manquement n'a été constaté ; 33 décisions d'irrecevabilité ont été rendues.
Le choix que nous avons fait, et qui avait déjà été celui du Gouvernement au niveau de la CNDS, est d'intégrer – je n'utilise pas le terme de « fusion », qui semble vous gêner – cinq AAI qui concernent toutes les libertés et les droits des citoyens.
Vous avez parlé du budget de la CNDS et des huit personnes qui y travaillent. Le ministre avait dit devant la commission qu'il n'y aurait aucune dilution des activités et des prérogatives des cinq AAI. C'est un constat.
Cela n'a aucune valeur : c'est le Défenseur des droits qui décidera tout seul !
Concernant le Défenseur des droits, vous avez parlé d'un seul patron. Là, il y a une différence totale entre vous, d'un côté, et, de l'autre, la commission et moi-même.
En effet, si je vous suis bien, vous voulez un Défenseur des droits qui serait un monstre à cinq têtes, avec des adjoints qui auraient une autonomie fonctionnelle.
C'est mieux qu'un monstre sans tête !
Nous, nous ne le souhaitons pas. Nous voulons une autorité d'assise constitutionnelle, avec des vrais pouvoirs que nous avons renforcés.
Il y a donc là une différence totale par rapport à votre orientation.
Concernant le travail collégial de la CNDS, vous l'avez dit vous-même : parfois, la collégialité est tout à fait fictive. Ce constat est souvent revenu dans les auditions que j'ai pu mener.
Par ailleurs, vous avez oublié de dire que, au-delà de ce travail collégial, il y a la possibilité pour le Défenseur des droits de déléguer une bonne partie de ses prérogatives à ses adjoints. La différence est donc totale entre votre approche et la nôtre.
Je vous comprends, monsieur Dosière : vous avez accompli un travail avec M. Vanneste. Nous sommes d'ailleurs très respectueux du rapport que vous avez fait. Je vous ai même auditionné, ce que vous n'avez pas dit.
J'ai essayé de scruter avec vous un certain nombre d'orientations.
En effet, M. Vanneste n'est pas très content non plus que l'on n'ait pas donné corps à ce qu'il souhaitait, mais nous avons discuté et après nous avons voté !
La parole est à M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Je voudrais d'abord vous prier, monsieur le président, ainsi que l'ensemble de l'Assemblée nationale, de m'excuser pour mon retard. J'assistais à l'audience de rentrée de la Cour d'appel de Paris. Il était tout à fait normal que le Gouvernement soit présent et rende hommage au travail des magistrats.
Si j'ai manqué une seule fois à ce devoir depuis que j'ai été nommé, je vous prie de bien vouloir me le dire ! Je ne crois que ce soit le cas ; ce n'est déjà pas mal.
Je voudrais faire une simple remarque. Je comprends très bien que MM. Dosière et Vanneste, qui ont beaucoup travaillé, soient aujourd'hui dépités. Ils considèrent qu'ils ont beaucoup travaillé et que leurs propositions n'ont pas été retenues.
Je voudrais simplement rappeler que nous ne sommes pas là en présence d'un acte habituel du Parlement : c'est le législateur organique qui est réuni aujourd'hui.
C'est une loi organique que vous êtes appelés à discuter ; c'est par délégation du constituant que le Parlement intervient.
Il n'y a donc pas de liberté pour inventer. L'invention juridique a eu lieu lors de la réforme de la Constitution.
Cette révision constitutionnelle a été votée par le Parlement réuni en congrès, à Versailles, et vous êtes désormais chargés de la mettre en oeuvre. (Exclamations sur divers bancs.) Je m'adresse à vous, monsieur Urvoas : vous êtes juriste comme moi, et vous savez que quand une disposition constitutionnelle est votée, elle est votée. Vous savez aussi que la Constitution est notre loi suprême, et que nous allons tous l'appliquer, dans toutes ses dimensions : cette semaine et la semaine prochaine, il s'agit du Défenseur des droits, et puis je rappelle que la question prioritaire de constitutionnalité, instaurée par la dernière réforme constitutionnelle, ouvre un champ nouveau aux libertés publiques, que nous serons tous heureux de conforter. Mais, aujourd'hui, nous sommes encadrés par ce qu'a décidé le constituant en ce qui concerne le Défenseur des droits : c'est un homme unique qui a le pouvoir de défendre les droits. Je tenais à apporter cette précision d'ordre juridique pour expliquer pourquoi je partage tout à fait l'avis du rapporteur.
Dans les explications de vote sur la motion de rejet préalable du projet de loi, la parole est à M. Pascal Clément, pour le groupe UMP. Cette fois-ci, il va respecter la limite du temps de parole fixée à deux minutes.
J'en suis sûr, monsieur le président.
Tout d'abord, je remercie le ministre d'avoir repris l'argument de la Constitution, qui règle le problème et devrait clore le débat.
Si, monsieur Vanneste. Je tiens à vous dire, ainsi qu'à notre collègue Dosière, que nous sommes tous admiratifs que vous ayez tous deux travaillé pendant un an sur le dossier des autorités administratives indépendantes.
Mais j'ai du mal à passer de vos prémisses à vos conclusions. Au départ, vous considérez qu'il y a beaucoup d'autorités, et que le but de la manoeuvre, c'est de regrouper certaines d'entre elles pour en faire des autorités plus visibles et avec plus d'autorité. Or je vois un balancement contradictoire dans vos arguments, monsieur Dosière : d'un côté, la fusion du Défenseur des enfants avec le futur Défenseur des droits constitue pour l'opposition une objection majeure au motif, et vous avez eu raison de le rappeler, que le Défenseur des enfants est une institution extrêmement connue, mais, de l'autre, vous prenez l'exemple de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, pour tenir le raisonnement inverse puisque vous dites : « Ils sont huit, dotés de 700 000 euros, complètement inconnus, ils vont donc être noyés dans la nouvelle institution. » Il faut être logique et sérieux : puisqu'ils sont inconnus, ils sont d'ores et déjà noyés dans l'anonymat, alors qu'ils pourront, grâce à l'autorité constitutionnelle du Défenseur des droits, trouver le lustre que vous leur reprochez de ne pas avoir.
On les fusionne avec le contrôleur général des lieux de privation de liberté ! Lisez d'abord le texte, monsieur Clément !
Monsieur Vanneste, ne fournissez pas un prétexte à M. Clément pour dépasser son temps de parole !
C'est un homme assez intolérant. J'admire M. Dosière d'avoir pu travailler un an avec lui.
J'ai dû vous supporter comme ministre, et j'en garde un très mauvais souvenir, monsieur Clément !
J'ai cru le comprendre, mais je n'y suis pour rien. Ne confondez pas le ministre et le juge qui vous a condamné.
Je conclus en disant qu'il est clairement utile pour ces autorités indépendantes de fusionner au sein d'une autorité constitutionnelle. Si l'on voulait bien dépassionner le débat, qui, à mes yeux, n'a lieu d'être qu'à propos du Défenseur des enfants, l'Assemblée nationale aurait l'opportunité de parvenir à un vote unanime. Si l'on n'y arrive pas sur ce texte, nous faire croire, monsieur Dosière, que ce sera possible un jour,…
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ces textes répondent à la question suivante : comment transformer l'or en plomb ?
L'or, c'était la constitutionnalisation d'un Défenseur des droits. Nombre de ceux qui ont participé aux débats sur la révision de la Constitution y avaient trouvé des raisons d'espérer dans cette réforme.
Le plomb, monsieur le garde des sceaux, c'est ce que vous faites de cette belle idée, de cette disposition d'une valeur essentielle. Le plomb, c'est la manière dont sera désigné le Défenseur des droits : il procédera exclusivement d'une personne – qui se trouve être au sommet de l'État –, alors qu'il aurait été possible de concevoir un lien plus organique entre le Parlement, les citoyens et le Défenseur.
Enfin, le plomb, c'est aussi le mode de fonctionnement prévu. Au-delà de tout ce qu'a très clairement exprimé René Dosière à propos du travail qu'il a fait en commun avec Christian Vanneste, il y a une contradiction entre ce que nous attendions tous du Défenseur des droits et le mode de fonctionnement dont vous avez décidé de le doter – je pense à ses adjoints, aux collèges, au caractère absolument anecdotique de ses prérogatives par rapport à ce qui était prévu et espéré s'agissant de la consultation, de la prise en compte de ses avis, de la réponse à ses saisines et de la transmission automatique à d'autres autorités administratives indépendantes.
Pour toutes ces raisons, mais également parce que cette journée est particulièrement illustrative de votre capacité de transformer en clivages une unanimité possible et de gâcher de belles idées par la mise en oeuvre que vous en proposez – les votes solennels de cet après-midi ont montré à quel point votre gouvernement ne tolère pas les contrepouvoirs qui ne sont pas sous pression de l'exécutif –,…
…nous voterons, non seulement avec tristesse mais aussi avec colère, la motion de rejet préalable défendu par René Dosière. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le garde des sceaux, tout d'abord, je tiens à vous dire que nous sommes satisfaits de voir qu'il y a au moins un membre du Gouvernement qui soutient les magistrats et qui ne passe pas son temps à dévaluer leurs fonctions, à les dénigrer et à afficher ses préférences pour la police.
Deuxième point : ce qu'a dit M. Dosière est en parfaite cohérence et en liaison directe avec ce que nous avons défendu dans notre motion de rejet préalable du projet de loi organique. En effet, très argumentée et présentée avec talent, sa lamentation devant la lente agonie du comité d'évaluation prouve à l'évidence que la loi constitutionnelle que l'on a voulu nous faire voter à Versailles n'était qu'un leurre. En fait, le Parlement est toujours considéré comme une armée des ombres, chargée seulement d'enregistrer des décisions qui sont déjà prises par le pouvoir. Sans faire référence à l'actualité, je rappelle que plusieurs décisions d'envoyer nos troupes à l'extérieur ont été prises sans l'accord du Parlement : on nous a seulement permis d'en débattre.
Il y avait pourtant un progrès manifeste dans la création d'outils de défense des droits et des libertés, en particulier le Défenseur des enfants et la CNDS. Nous sommes un certain nombre ici, de droite comme de gauche, à avoir éprouvé l'efficacité de la CNDS, notamment grâce à son indépendance. Elle a permis de faire comprendre à l'opinion française qu'il y avait un problème dans les rapports de la police aux citoyens, à savoir une entrave aux fonctions régaliennes de l'État dans le maintien de l'ordre public. La CNDS a aussi, avec le contrôleur général des prisons, mis le doigt sur les difficultés de la vie en prison, une vie exclue du droit commun.
En outre, M. Dosière, qui a participé à ce comité d'évaluation avec M. Vanneste, a pu faire du droit comparé, c'est-à-dire regarder ce qui se passe dans d'autres pays. Monsieur le garde des sceaux, vous pourrez dire à votre collègue chargé des relations avec le Parlement qu'en 1978, M. Franco n'était plus au pouvoir et que c'est un gouvernement démocratique qui a mis en place el Defensor del Pueblo, le Défenseur du peuple, qui, lui, bénéficie de vrais moyens et d'un statut qui assure son indépendance. Que demandait René Dosière ? Que demandions-nous en commission des lois ? Que les outils permettant d'assurer son indépendance soient donnés au Défenseur des droits, et que ses adjoints soient nommés par l'Assemblée nationale et par le Sénat à la majorité des trois cinquièmes pour qu'ils puissent se soustraire à la relation de dépendance d'un homme ou d'une femme nommé directement par le Président de la République.
Je le dis donc avec solennité, au nom du groupe auquel j'ai l'honneur d'appartenir : nous déplorons ce qui n'est qu'un leurre, cette dérive, ce recul pour les droits et les libertés. Nous voterons donc évidemment la motion de rejet préalable présentée par notre collègue Dosière.
Ce texte, lui aussi, est une occasion manquée. Il était en effet possible de trouver un compromis entre la droite et la gauche sur une question essentielle qui concerne les Français au quotidien.Marie-George Buffet le soulignait dans les explications de vote sur la motion de rejet du projet de loi organique : quand une certaine catégorie de Français est dans une telle situation d'injustice sociale, d'inégalité, de sentiment de déclassement, en butte au mépris, il faut renforcer les outils qui lui permette de se défendre. Or au contraire, les dispositions proposées les placent dans une situation de soumission, ce qui n'est pas acceptable. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Après Pascal Clément, j'annonce à mon tour que nous allons voter contre cette motion de procédure.
J'ai écouté attentivement notre collègue René Dosière, mais je vois une contradiction entre ses propos et les conclusions de son raisonnement. Il a dit que son groupe n'était pas hostile à regrouper les différentes autorités administratives indépendantes. À cet effet, comme le prescrit la Constitution, nous définissons le champ de compétences de la nouvelle institution par une loi organique. Ne lui faisons pas un procès avant même de l'avoir créée.
Je l'ai dit en réponse à la motion de rejet défendu par notre collègue Noël Mamère : nous nous sommes efforcés, en commission des lois, d'identifier et de conforter le rôle des institutions existantes. À cet égard, le travail de René Dosière et de Christian Vanneste sur le contrôle et l'évaluation des autorités administratives indépendantes montre qu'il faut les conforter. Mais la question, monsieur le garde des sceaux, est de savoir si la création du Défenseur des droits va effacer ce qui existe ou le conforter. Le but du constituant était de conforter les autorités existantes, mais nous sommes devant une interrogation tout à fait légitime : comment faire disparaître des autorités qui ont prouvé leur utilité et qui sont identifiées par nos concitoyens tout en voulant les conforter au sein du Défenseur des droits ? Le débat nous permettra de le savoir.
À ceux qui disent que seule la majorité votera pour, je rappelle que, pour l'instant, on a posé plus de questions que l'on n'a apporté de réponses concrètes.
C'est pourquoi il faut rejeter la motion préalable défendue par notre collègue René Dosière. Nous sommes aussi attachés que lui à conforter les libertés, mais je crois que la majorité, à travers la question prioritaire de constitutionnalité et la création du contrôleur général des prisons, a bien montré qu'elle avait, elle aussi, la volonté de conforter les droits de nos concitoyens.
Lui, au moins, n'est pas contre la règle des trois cinquièmes ! Lui, au moins, a lu le texte !
(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement, sur le projet de loi organique.
La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, chers collègues, sans être très original dans mes arguments, je vais m'efforcer d'apporter ma contribution au débat par des éclairages supplémentaires.
Monsieur le ministre, vous êtes le ministre des libertés et vous savez que, dans cet hémicycle, il y a une forte majorité, voire une unanimité potentielle, désireuse de voter pour une institution qui serait indépendante à l'égard des pouvoirs et dont la fonction serait de garantir le respect et la défense des droits fondamentaux.
Malheureusement, en l'état – je ne préjuge pas de votre compréhension à l'égard de nos amendements et de leur possible adoption –, ce texte ne permet pas le consensus. À ce stade, je le constate sans qualifier les raisons pour lesquelles il ne le permet pas.
Je veux vous dire que nous sommes disponibles pour bâtir un tribun au service du peuple, cher aux institutions romaines. En l'état de ce texte, vous nous proposez de créer un obligé, un agent du Président de la République.
Pourtant, le constat initial est partagé : il faut renforcer l'autorité et les moyens du médiateur. Les références que tous ici ont rappelées sont respectées : le Défenseur du peuple espagnol, l'ombudsman danois ou suédois.
La voie était tracée par les propositions de lois qui ont été déposées au cours des législatures antérieures et par les préconisations du comité Balladur. Toutes se retrouvaient sur la vocation de cette institution.
Comme cela a été rappelé, depuis la création de la question prioritaire de constitutionnalité, jamais terrain n'avait été aussi balisé que la naissance de ce Défenseur des droits pour permettre d'éviter les embûches.
Tout concourait à permettre un vote unanime. Il faut d'ailleurs souhaiter ce vote unanime : quelle force aurait alors cette institution ! Non seulement elle puiserait sa légitimité dans le texte constitutionnel, mais sa naissance serait portée par une Assemblée nationale unanime.
Un Parlement rassemblé pour protéger les droits fondamentaux des citoyens, pouvait-on rêver d'un meilleur départ ?
Non, pas à ses conditions mais avec la modeste contribution de l'opposition qui sait qu'elle est minoritaire et qui se doit donc d'être convaincante pour arriver à asseoir une majorité comme il nous arrive de le faire. J'espère que nous serons convaincants ce soir et demain.
C'est un vrai défi de faire taire les clameurs traditionnelles de cet hémicycle, de permettre la concorde républicaine, parce que ce projet n'est pas partisan. Il s'agit ici des libertés publiques et des droits fondamentaux.
À ce stade, je ne sais sous l'influence de quel mauvais génie ou de quel maléfice, vous allez transformer ce potentiel carrosse en citrouille. (Sourires)
Monsieur le ministre – je me permets de vous interpeller parce que vous êtes le ministre des libertés – j'ai lu un portrait de vous.
Je n'ai pas prétendu que le ministre était Cendrillon, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit !
Dans ce portrait, on évoquait la méthode Mercier en ces termes : « La méthode Mercier où l'intérêt partisan est toujours dépassé pour servir l'intérêt de tous, où cet homme de dialogue sait écouter ceux qui ne pensent pas comme lui, car ils expriment toujours une part de vérité. »
La source est fiable, monsieur le ministre, cet extrait étant tiré du site du candidat dont vous étiez le mandataire financier à l'occasion des dernières élections présidentielles.
Tout à fait !
Ce jugement est donc parfaitement respectable. Monsieur le ministre, je souhaite que vous fassiez preuve de cette qualité d'écoute pour retrouver la voie du consensus.
En effet, à nos yeux, comme l'ont déjà expliqué les orateurs de l'opposition, le texte actuel est un règlement de comptes. Pour le moment, il ne représente pas un progrès en faveur des droits du citoyen.
L'opposition n'est pas la seule à le penser. C'est ce que montrent les réactions de trois institutions que nous respectons tous ici, trois organisations généralistes qui se dévouent au bien commun et dont, d'ailleurs, nous sollicitons le point de vue à chaque fois que se pose une question concernant les libertés publiques.
La première a été citée par Noël Mamère : c'est la Commission nationale consultative des droits de l'homme, institution où travaillent beaucoup d'associations et où siègent des représentants de l'Assemblée nationale.
Que nous dit la CNCDH sur ce sujet ? « Au regard de l'effectivité de la protection des droits, l'institution d'un Défenseur des droits tel que prévu par le projet de loi organique est à la fois inutile, dangereuse et inefficace, et constituerait une régression par rapport aux acquis du système. »
Deuxième association, la Ligue des droits de l'homme estime que « le texte soumis au Parlement marque un recul dangereux du dispositif français ».
Troisième association, Amnesty International – dont j'imagine que tous ici reconnaissent les mérites – s'interroge sur « l'intérêt de la création du Défenseur qui, en l'état, se traduirait plus par une perte de garanties d'expertise et d'indépendance que par une amélioration de la protection des droits du citoyen. »
Je ne crois pas que vous puissiez balayer d'un revers de manche cette levée de boucliers. Plus qu'un avis sur un texte, ces positions traduisent un attachement au système français de protection non juridictionnelle des droits.
Ce système français, nous l'avons lentement confectionné. Il n'est pas né en un soir ou dans une loi, mais par une sédimentation aboutissant à une démarche qui fonctionne au bénéfice de tous.
Ce système est composé d'une pluralité d'instances spécialisées pour certains droits ou dans certains domaines, et dotées de pouvoirs spécifiques en vue de répondre au mieux – bien souvent sur intervention du législateur – aux missions qui leur sont confiées. D'un trait de plume, vous allez mettre à bas ce système pour de mauvaises raisons, et je vais essayer de le démontrer.
Ainsi vous nous expliquez – le ministre des relations avec le Parlement nous a indiqué qu'il reprenait vos mots – qu'il faut recentrer le système pour le rendre plus lisible, que la multiplication des autorités administratives nuit à la visibilité de l'ensemble, que le regroupement sous une seule férule sera plus efficace.
J'entends l'argument, mais il chute devant votre pratique. Depuis dix ans, votre majorité a créé vingt autorités administratives indépendantes. Je ne suis pas très bon en maths, mais vingt en dix ans…
Ça fait deux par an.
… ça fait deux par ans.
Pendant la dernière année, vous avez créé la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet, la fameuse HADOPI ; l'Autorité de régulation des activités ferroviaires, l'ARAF ; l'Autorité de régulation des jeux en ligne, l'ARJEL.
Analysant tout cela, le Conseil d'État a estimé que « s'il est une caractéristique dominante de ce mouvement, c'est bien celle du hasard ».
Je cite des institutions respectées de façon à ce que l'on ne nous taxe pas d'esprit partisan !
En admettant votre volonté de clarification, souffrez que nous soyons sceptiques sur sa subjectivité. En effet, votre Défenseur des droits n'avale pas le médiateur du cinéma, créé par la loi du 29 juillet 1982…
En voilà une bonne idée ! Rajoutez le médiateur du cinéma, monsieur le rapporteur !
… et qui a vocation à intervenir en cas de litiges sur la diffusion des films en salle qui opposent les exploitants aux distributeurs.
Le Défenseur des droits n'absorbe pas le médiateur national de l'énergie, créé par la loi du 7 décembre 2006…
… et qui recommande des solutions aux litiges relatifs à l'exécution des contrats de fourniture d'électricité ou de gaz naturel et participe à l'information des consommateurs sur leurs droits.
Le Défenseur des droits n'absorbe pas la commission de la sécurité des consommateurs, créée par la loi du 21 juillet 1983…
… et qui émet des avis destinés aux pouvoirs publics, aux professionnels et aux consommateurs, sur tous types de produits et de services présentant des risques.
Pourquoi donc votre absorption ne concerne-t-elle pas ces structures ?
Vous condamnez donc des autorités administratives indépendantes sans démontrer en quoi elles ont échoué.
Nous sommes, pour notre part, convaincus que si ce médiateur du cinéma ou celui de l'énergie échappent à votre voracité, c'est parce que M. Roch-Olivier Maistre et M. Denis Merville n'ont jamais dérangé votre majorité.
Leurs décisions n'ont jamais gêné le pouvoir, ce qui n'enlève rien aux qualités de ces deux éminents magistrats.
Cela étant, nous constatons que votre Défenseur des droits est un bâillon pour tenter de faire taire ceux qui ont pu contester votre politique.
Vous avez soulevé un deuxième argument tout à l'heure, monsieur le ministre : l'inscription dans la Constitution du Défenseur des droits garantit son indépendance. De fait, c'est la première institution constitutionnelle créée depuis 1958, ce qui n'est pas anodin. La dernière tentative remonte à 1993, il y a près de vingt ans, quand le comité Vedel avait échoué à faire constitutionnaliser le Conseil supérieur de l'audiovisuel.
C'est vrai que c'est quelque chose de novateur, d'important et même d'essentiel. Mais dans le cas d'espèce, vous l'avez indiqué tout comme M. Pascal Clément, la Constitution n'était qu'une coquille vide : elle fixait un cadre.
C'est d'ailleurs assez paradoxal – Robert Badinter l'a dit au Sénat mieux que je ne saurais le faire – de créer d'abord une institution et de se demander ensuite à quoi elle va servir, mais ne revenons pas sur le passé.
La loi fondamentale renvoie à cinq reprises dans les cinq alinéas de l'art. 71-1 – que vous avez sûrement tous relu – à des lois organiques. C'est le débat que vous avez lancé tout à l'heure, monsieur le ministre !
Je vais oser vous rappeler ce que disait Michel Debré des lois organiques dans son éminent discours devant le Conseil d'État, le 27 août 1958. Vous le savez aussi bien que moi, il disait que sont des lois dont le but est de faire « diminuer l'arbitraire ».
Oui !
Vous faites exactement l'inverse dans la loi organique que vous nous proposez ! Ce projet est non seulement décevant mais inquiétant parce que vous nourrissez un arbitraire que nous essayons, avec nos moyens, de combattre.
Pourquoi votre loi organique est-elle décevante ? Parce qu'elle est en retrait des propositions du comité Balladur.
Pour justifier le consensus possible et rendre à César ce qui est à César, je rappelle que la première proposition de loi constitutionnelle n'a pas été déposée à l'Assemblée nationale mais au Sénat – une assemblée que vous connaissez bien, monsieur le ministre –, le 12 juillet 2007, par le président du groupe socialiste, Jean-Pierre Bel.
Rendons-lui cette paternité. Le 8 février 2007, avant même de déposer la proposition de loi, il avait proposé de « transformer le médiateur de la République en Défenseur du peuple, doté d'un statut constitutionnel. »
Cela étant, le comité Balladeur avait fait une proposition très intéressante que vous avez abandonnée : la saisine du Conseil constitutionnel par le Défenseur des droits dans les conditions prévues à l'article 61 de la Constitution.
Ce contrôle a priori de la constitutionnalité des lois apparaissait pourtant comme un pouvoir très intéressant dont disposent les human rights ombudsmen qui existent à l'étranger : le Défenseur du peuple espagnol, le chancelier du droit estonien, l'avocat du peuple roumain et le procureur de la justice portugais. Tous possèdent ce pouvoir suivant des modalités diverses et nous disent qu'il constitue un outil essentiel de leur action. Et l'introduction dans notre système juridique de la question prioritaire de constitutionnalité ne fait pas perdre son intérêt à une telle disposition.
Refuser de donner ce pouvoir au Défenseur réduit donc substantiellement son rôle, d'autant qu'il peut exister, comme le souligne Olivier Schrameck dans sa contribution au rapport Balladur – et comme nous le savons bien – des « arrangements politiques qui expliquent que telle ou telle loi, bien que posant des problèmes juridiques, ne soit pas soumise au Conseil constitutionnel ».
Selon la Défenseure du peuple espagnole, le fait de pouvoir saisir le tribunal constitutionnel espagnol est l'un de ses moyens les plus efficaces. Il est donc très décevant de ne plus retrouver cette possibilité dans votre projet de loi organique.
Votre texte est d'autre part inquiétant du fait de la nomination du Défenseur des droits par le Président de la République. Je sais bien que nous ne pouvons en débattre à nouveau : c'est inscrit dans la Constitution. Mais ce n'est pas ce que proposait le comité Balladur. Celui-ci envisageait de faire élire le Défenseur par l'Assemblée nationale statuant à la majorité des trois cinquièmes. Ce n'était pas très original, puisque c'est le mode de désignation utilisé dans les autres parlements, mais c'est très efficace.
Monsieur le rapporteur, vous avez fait référence, dans votre intervention, à l'audition de Mme Maria Luisa Cava de Llano, la Défenseur du peuple espagnol, et souligné le fait qu'elle a déclaré être compétente de par les recommandations qu'elle émet. Elle a également précisé – j'assistais comme vous à cette audition – qu'elle tirait sa force de son élection par les Cortes Generales. Ancienne députée du parti populaire espagnol, c'est-à-dire du parti conservateur espagnol, elle a été élue aussi par les députés du PSOE, le parti socialiste ouvrier espagnol, si bien que, quand elle s'adresse au pouvoir exécutif, elle a la légitimité du Parlement derrière elle.
Ce mode de nomination conduit à une obligation du consensus qui garantit, sinon l'objectivité, du moins l'indépendance ou, en tout cas, la crédibilité de l'institution. L'homme ou la femme qui obtient ainsi la confiance ne peut être qu'une personnalité dotée d'une influence morale de nature à transcender les clivages partisans.
Vous n'avez pas eu cette audace. Vous avez préféré le confort d'une nomination présidentielle, ce qui fait douter de l'autonomie du Défenseur vis-à-vis du pouvoir. Peut-être vous faisons-nous un procès d'intention, mais notre inquiétude vient de ce qu'il vous est arrivé de nommer des personnalités dont l'indépendance est discutable.
Vous avez ainsi fait appel à un ancien secrétaire général du RPR pour présider la commission sur le redécoupage. Vous avez nommé une ancienne députée de l'UMP pour présider la HALDE et, dernièrement, vous avez fait rentrer au Conseil constitutionnel deux anciens parlementaires de votre majorité qui réunissent certes d'éminentes qualités, mais dont la caractéristique première était l'engagement.
Je n'ai pas dit que vous n'aviez nommé que des personnes de votre bord. Je signale simplement que vous l'avez fait aussi.
Ne fallait-il nommer que des personnes de gauche ? Voilà un raisonnement singulier. Il fallait oser !
Je dresse simplement un état des lieux.
Selon nous, votre procédure de nomination conduit inéluctablement à rattacher le Défenseur au pouvoir exécutif.
Je citerai, à ce propos, ce qu'a écrit un juriste en 1982 à propos du Défenseur du peuple espagnol, qui se mettait alors en place : « Il est à peine besoin de préciser que son titulaire, dans sa personnalité, déterminera la trajectoire de l'institution. Suivant la confiance qu'il inspirera à ceux qu'il est chargé de protéger et l'influence qu'il affirmera dans sa magistrature, il permettra à l'institution de se renforcer ou, à l'inverse, affaiblira son autorité. » Ce qui était valable pour l'Espagne postfranquiste l'est aussi pour la France de 2011. Tout devoir au Président ne prédispose pas à l'ingratitude. Cela porte plutôt en germe l'inéluctabilité d'un affaiblissement préjudiciable des droits.
J'entends bien l'argument selon lequel les autorités administratives sont déjà nommées aujourd'hui par le Président de la République : la HALDE, la Commission nationale de déontologie de la sécurité – CNDS. Certes, mais la multiplicité même de ces structures rendait proprement inconcevable toute tentative d'assujettissement par le pouvoir exécutif.
En revanche, s'il n'y a plus qu'une seule institution, la tentation sera forte de verrouiller le dispositif. Peut-être y résisterez-vous, ce que j'espère. Mais il vous suffira, pour ce faire, de désigner à ce poste unique une personnalité pleinement dévouée.
Le fait que votre texte soit, comme je viens de le démontrer, à la fois décevant et inquiétant suffirait pour le renvoyer en commission.
Mais ce n'est malheureusement pas tout. Il est également en contradiction avec les engagements du Gouvernement, avec vos propres écrits, monsieur le ministre, et avec les traités internationaux, comme je vais m'employer de le démontrer dans les dix minutes qui me restent.
Votre texte est en contradiction avec les déclarations des gardes des sceaux qui se sont succédé depuis trois ans.
Au coeur des débats sur la réforme constitutionnelle, Mme Dati, garde des sceaux, avait affirmé dans cet hémicycle, le 29 mai 2008, que la naissance du Défenseur ne signifierait pas la disparition du contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Quelques mois plus tard, le 23 juillet 2008, alors que notre assemblée débattait du projet de loi portant approbation du protocole facultatif se rapportant à la convention contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, le ministre Bockel avait, en réponse à une question de Jean Glavany, renouvelé le soutien plein et entier du gouvernement à la spécificité et à l'autonomie du contrôleur général.
Un an plus tard, en septembre 2009, lors de l'examen de la loi pénitentiaire, nous faisions part au garde des sceaux d'alors, Mme Alliot-Marie, de notre inquiétude de voir le Défenseur des droits absorber le contrôleur général des lieux de privation de liberté. Mme Alliot-Marie nous garantissait qu'il n'en serait rien.
Vérité en 2008. Vérité en 2009. Mais, en 2011, on efface tout ! Ceux qui sont attachés à la parole des ministres sont un peu surpris de ce changement de pied.
Votre texte est également en contradiction avec vos propres écrits, monsieur le ministre.
Que lit-on dans l'étude d'impact de ce projet de loi qui, sauf erreur de ma part, est censée traduire le point de vue du Gouvernement ?
Il y est écrit que le regroupement des missions de médiation avec les missions de contrôle, de décision ou de sanction, qui sont de nature différente, « pourrait s'avérer contreproductif : l'efficacité de l'action du Défenseur des droits ne serait que difficilement garantie dans certains domaines d'intervention marqués par une technicité particulière ».
Sage recommandation, que le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe exprimait déjà en 2008 lorsqu'il attirait l'attention sur « les difficultés à concilier les attributions de médiature et celles de contrôle ». C'est sans doute pourquoi, en 2008, le Constituant avait rejeté cette perspective.
Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la loi constitutionnelle, précisait également que le rôle du Défenseur est délimité très précisément par l'article 71-1 de la Constitution car « il est chargé de défendre les droits des citoyens dans leurs relations avec les services publics ». Autrement dit, l'article 71-1 constitutionnalise simplement le médiateur. Il n'est aucunement question de lui donner une fonction de contrôle comme vous voulez le faire aujourd'hui.
Il y a d'ailleurs une très grande différence entre le travail du médiateur de la République et celui, par exemple, du contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans le domaine qu'ils ont en partage. Le médiateur est dépourvu d'activité en l'absence de toute saisine ou de tout différend qui conduirait à le saisir d'office. À l'inverse, en l'absence de toute saisine ou de tout différend dans les lieux de privation de liberté, tout le travail du contrôle général est encore à faire.
Ainsi, dans les prisons, les délégués du médiateur agissent sur plaintes, viennent rencontrer les auteurs au parloir, essaient de trouver un règlement avec la direction, lorsqu'ils l'estiment nécessaire. Le contrôleur, en revanche, intervient quand il veut, va où il veut, rencontre qui il veut à l'intérieur des établissements de privation de liberté.
Nous sommes convaincus que, si les missions de médiation et de contrôle étaient confondues, pour des raisons d'organisation, chacune d'entre elles y perdrait sur le fond.
Votre projet est aussi en contradiction avec les engagements internationaux de la France.
La France a signé, le 16 septembre 2005, le protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements dégradants, et elle l'a ratifié en 2008.
Ce protocole prévoit la mise en place, dans chaque État, d'un « mécanisme national de prévention » indépendant, chargé d'examiner régulièrement la situation des « personnes privées de liberté sur l'ordre d'une autorité publique ou à son instigation, ou avec son consentement exprès ou tacite ».
Chaque État peut mettre en place ce mécanisme soit en donnant des pouvoirs nouveaux à une institution existante, soit en créant un nouvel organe chargé exclusivement de cette mission.
Dans son rapport daté du 18 septembre 2007, Philippe Goujon, qui était le rapporteur du texte, se félicitait que la France ait fait le choix d'une institution autonome. Il estimait en effet qu'il n'était pas bon d'étendre les compétences d'un organe existant et qu'il était préférable de créer une institution spécifique.
L'été dernier, en août 2010, le rapporteur spécial des Nations Unies contre la torture confirmait cette position et reconnaissait publiquement que « la France donnait l'exemple » avec son mécanisme national de prévention.
Quand la France donne l'exemple, la réponse du gouvernement français est de tourner le dos au dispositif qualifié d'exemplaire et de supprimer le contrôleur…
L'annonce de sa suppression en 2014 affaiblit sa position dès 2011. Si, lors de la visite d'une maison d'arrêt, il fait une remarque, l'administration sera tentée de ne pas en tenir compte au motif qu'il ne sera plus là dans trois ans.
De même, la France a signé en 1990 la Convention internationale des droits de l'enfant votée par les Nations Unies en 1989. Notre pays a d'ailleurs été l'un des premiers à ratifier ce texte.
Nous sommes aussi signataires de la Convention européenne sur l'exercice des droits de l'enfance, ratifiée le 1er août 1997.
Le 22 juin 2009, le comité des droits de l'Enfant des Nations Unis notait « avec satisfaction que la Défenseure des enfants joue un rôle important dans le suivi de la mise en oeuvre des droits de l'enfant ». Il soulignait « la diversité des activités de la Défenseure des enfants dans la mise en oeuvre de la Convention, y compris son mécanisme de plaintes individuelles », et concluait en invitant « le Gouvernement à continuer à renforcer le rôle du Défenseur des enfants ».
Vous faites l'inverse. Vous faites marche arrière, en liquidant le Défenseur des enfants.
Dois-je ajouter que la France, membre de l'Union européenne, avait choisi, en 2004, de créer une Haute autorité chargée de lutter contre les discriminations ? Oh, ce n'est pas parce qu'elle trouvait que cela manquait. C'était uniquement pour se conformer à la directive du 29 juin 2000 relative à l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine.
Pascal Clément, alors rapporteur du texte, écrivait, le 22 septembre 2004, que cette autorité spécifique « venait utilement enrichir notre arsenal juridique ». Vous parliez d'or, cher collègue. Il faut, en effet, une institution autonome et indépendante. Or, voilà que, sept plus tard, vous vous apprêtez à biffer cette institution dont vous vantiez les mérites.
En contradiction avec les promesses du Gouvernement, avec vos écrits, monsieur le ministre, et avec les traités internationaux, ce texte cumule bien des renoncements, lesquels ne concourent certainement pas à son efficacité.
En effet le mode de gouvernance a déjà été dénoncé. J'y reviens brièvement pour regretter qu'il ne garantisse pas la collégialité. Il y a certes des collèges mais le Défenseur fera ce qu'il veut. Qu'il les réunisse ou non, que ces derniers émettent des avis ou non, ce sera pareil. Une collégialité factice n'est pas une collégialité. On ne peut parler en l'espèce de collèges, simplement d'organes consultatifs.
Vous avez, dans ce domaine, dégradé le travail du Sénat. Les adjoints, rebaptisés collaborateurs par le ministre, seront effectivement utilisés comme des collaborateurs. Le Défenseur les utilisera ou non. Il fera ce qu'il veut.
Il y a une espèce de confiance – assez touchante d'ailleurs – en l'homme ou la femme providentielle capable, du fait de sa seule volonté, de renverser des montagnes. C'est une attitude très française. Mais il n'est pas du tout certain que cette confiance induise un mode de gouvernance adapté au domaine qui nous occupe. J'ai plutôt tendance à y voir une transposition du bonapartisme dans le champ des droits fondamentaux. Et je doute que ce soit la bonne voie.
La probable inefficacité du Défenseur tient aussi à la monstruosité bureaucratique que vous allez créer. Comment pourra-t-il répondre à l'afflux de sollicitations, désormais directes, dont il ne manquera pas de faire l'objet ?
On cite souvent, comme modèle de réussite, le Défenseur du peuple espagnol. Mais on oublie de préciser que celui-ci ne traite qu'un nombre très limité d'affaires. Les communautés autonomes disposent de défenseurs régionaux, sans lien hiérarchique avec le Défenseur national, et ce dernier ne voit qu'une partie infime des dossiers traités par ces défenseurs régionaux.
Notre pays compte 65 millions d'habitants. Comment le Défenseur des droits pourra-t-il faire face à la vague de demandes qui ne va pas manquer de le submerger ?
Rien n'est précisé, dans votre texte, sur les réseaux dont disposaient les autorités qui vont être sacrifiées.
Le médiateur, la Défenseure des enfants et la HALDE possèdent des délégués sur l'ensemble du territoire. Le contrôleur général dispose de douze « contrôleurs » exerçant à temps plein, et de seize contrôleurs à temps partiel. Les futurs « délégués » du Défenseur évoqués dans l'article 20 du texte auront-ils la capacité de réunir toutes ces compétences ? Je ne le crois pas.
Une autre interrogation porte sur le budget dont disposera le Défenseur des droits. Il n'en est rien dit dans votre étude d'impact. Sera-t-il constitué de la somme des budgets des autorités administratives existantes ou se réduira-t-il, comme je l'ai lu, au seul budget du médiateur actuel, ce qui serait une catastrophe ?
Le Sénat a réalisé une étude financière. Je prends l'exemple du Sénat parce que vous êtes sensible aux arguments de la Haute assemblée, monsieur le ministre.
J'ai été également député.
C'est exact, mais les derniers travaux, notamment dans le domaine des libertés, ont été effectués au Sénat.
Or que nous dit le rapporteur du Sénat ? « 2012 et les années suivantes devraient se caractériser par un équilibre entre économies générées et dépenses nouvelles. »
Vous avez mis beaucoup de temps – on l'a dit – à nous présenter ce texte. Ce temps n'a cependant pas été utilisé à bon escient puisque le texte comporte des incertitudes et que nous n'en connaissons pas toutes les conséquences. C'est pourquoi nous vous présentons cette motion de renvoi en commission. Plus que d'un toilettage technique, c'est effectivement d'un travail en commission que ce texte a besoin.
Aujourd'hui, en fait d'ombudsman, nous avons plutôt un ombudsmanqué. Il faudrait y remédier. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le député, je vous ai écouté, nous sommes passés du carrosse à la citrouille, de l'or au plomb. Vous avez rappelé que le ministre Mercier était le ministre des libertés et vous avez déclaré que, si ce projet de loi aurait pu être un texte non-partisan, un texte de concorde, c'était finalement un texte de règlement de comptes. Votre posture m'étonne un peu car, pendant les auditions, vous aviez fait montre de plus d'ouverture. Moi-même, en tant que rapporteur, je vous ai incité à me faire un certain nombre de propositions.
Vous avez cité un certain nombre d'autorités administratives indépendantes, vous avez évoqué une vingtaine de celles-ci, mais, à ce propos, vous n'avez déposé aucun amendement visant à étendre le champ d'intervention du Défenseur des droits. Vous auriez pourtant pu nous solliciter (Protestations sur les bancs du groupe SRC) car vous avez regretté que certaines autorités n'aient pas été intégrées.
Au cours des auditions que nous avons pu mener – les auditions de M. Schweitzer, de Mme Bougrab, de Mme Versini et de M. Molinié –, je n'ai pas senti les crispations que vous avez suggérées ; Mme Versini et M. Molinié, que j'ai eus plusieurs fois au téléphone, ne m'ont pas dépeint le projet de loi comme vous venez de le faire aujourd'hui.
Rappelons quand même que nous avons obtenu un certain nombre de choses : saisine gratuite du Défenseur des droits, y compris par les mineurs ; autosaisine ; périmètre d'intervention élargi ; prérogatives fortes, notamment pouvoir d'injonction, avec rapport si les injonctions ne sont pas respectées ; immunité ; incompatibilités ; observations devant les juridictions ; saisine du Conseil d'État ; saisine de la Cour de cassation ; force de proposition ; vérifications inopinées, tant dans l'administration que dans le secteur privé ; simplification pour éviter le chevauchement de compétences des différentes autorités administratives, car le citoyen ne savait plus toujours s'il devait s'adresser à la HALDE, et celle-ci devait elle-même, dans certains cas, recourir au médiateur. Le travail que nous avons fait me semble avoir permis de traiter un certain nombre de problèmes.
J'ai moi-même rencontré Robert Badinter. Il m'a expliqué sa position, plutôt proche de celle du comité Balladur et de certains qui voudraient créer une autorité à leur image. Ce n'est pas l'orientation que nous avons retenue.
Je vous rappelle aussi que nous avons examiné 275 amendements et mené une vingtaine d'auditions, d'une durée totale de 15 heures.
Vous parlez, monsieur Urvoas, de bâillons et de procès d'intention ; je ne puis vous suivre. Nous nous acheminons vers la création d'une autorité constitutionnelle pour la défense des droits des citoyens et des droits de l'homme : je crois que nous faisons oeuvre utile.
Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. Pascal Clément, pour le groupe UMP.
Sur la forme, je rends hommage à M. Urvoas, qui est intéressant à écouter. Il est même brillant.
Malheureusement, la crédibilité du propos est faible. Ce qui me frappe dans le discours des socialistes en général – et vous ne faites malheureusement pas exception, monsieur Urvoas –, c'est ce désir délibéré de faire la morale. Vous êtes, vous, honnêtes, objectifs et indépendants, et nous sommes tout le contraire.
Cependant, malgré une réelle ancienneté dans cette maison et un effort de mémoire colossal, je n'ai pas trouvé un seul homme de droite qui ait été nommé par M. Mitterrand, que ce soit au Conseil constitutionnel ou dans toute autre structure ou autorité. Pas un !
M. Sarkozy, voué aux gémonies par l'ensemble du Parti socialiste, a, lui, initié une révision constitutionnelle qui vous a donné la présidence de la commission des finances ; vous n'en parlez jamais, vous engrangez. Le précédent président socialiste de la commission des finances est même devenu premier président de la Cour des comptes. Ce n'est tout de même pas mal ! Je me suis d'ailleurs réjoui – pour lui – de constater qu'il avait été directement promu commandeur de la légion d'honneur,…
Nous avons également donné des responsabilités à M. Hirsch, et M. Jouyet a pris la tête de l'autorité des marchés financiers. Bref, on ne compte plus le nombre de responsables à l'origine de gauche nommés par M. Sarkozy. Vous ? Jamais un homme de droite nommé !
Pourtant, vous prétendez que l'indépendance du futur Défenseur des droits pose problème. Vous trouverez cependant normal qu'il soit de gauche. Ce qui n'est pas normal, pour vous, c'est d'être de droite ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
On a mis cinquante ans à admettre cette institution qu'est le Conseil constitutionnel. Critique récurrente, ses membres étaient nommés par trois « présidents politiques » : le Président de la République, le président du Sénat et le président de l'Assemblée nationale. Cependant, qui oserait prétendre aujourd'hui que sa nomination par l'une de ces trois autorités priverait vraiment d'indépendance l'un des membres du Conseil constitutionnel ? Aujourd'hui, les décisions du Conseil constitutionnel font l'unanimité, et tout le monde les accepte. Dès lors que vous êtes nommé pour un mandat non renouvelable, votre indépendance est ipso facto assurée. Or le futur Défenseur des droits sera nommé pour une durée de six ans non renouvelable.
Vous en avez d'ailleurs donné des exemples tout à l'heure, en rendant hommage à M. Delevoye, qui n'est pourtant pas un homme de gauche, et à Mme Bougrab, qui avait commencé à contester ce projet de loi.
On devient donc indépendant dès sa nomination, et la crainte majeure que vous avez développée n'est donc pas fondée. Rassurons-nous : l'indépendance du Défenseur des droits est assurée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Je le redis ici : les textes issus des travaux de la commission des lois marquent un recul dans la défense des droits et libertés de nos concitoyens.
La création du Défenseur des droits aurait pu marquer une réelle avancée démocratique. Elle aurait pu – Jean-Jacques Urvoas l'a rappelé – faire l'objet d'un vrai consensus entre nous. Le groupe socialiste avait d'ailleurs proposé des amendements pour améliorer le projet. Or non seulement aucun de ces amendements de fond n'a été accepté, mais de surcroît un amendement du rapporteur a purement et simplement supprimé le contrôleur des prisons. C'est inacceptable, c'est même choquant, car la fonction de contrôleur général des lieux de privation de liberté répond à une exigence internationale et européenne de contrôle de tous les lieux de privation de liberté que sont les prisons, les centres de détention et les hôpitaux psychiatriques. Si vos projets de loi et de loi organique étaient adoptés en l'état, le futur Défenseur des droits absorberait les compétences non seulement du contrôleur général des lieux de privation de liberté mais aussi du médiateur de la République, du Défenseur des enfants, de la commission nationale de déontologie et de sécurité et de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité. Pas moins de cinq institutions seraient supprimées ! Le Défenseur des droits se substituerait à toutes ces autorités indépendantes qui ont fait la preuve de leur utilité et qui mènent des actions très diverses : la médiation et le contrôle n'ont rien à voir ! Ce sont deux fonctions très différentes. En outre, ces autorités agissent dans des domaines aussi spécifiques que la lutte contre les discriminations, la protection des droits de l'enfant, le respect de la déontologie des forces de sécurité et le contrôle des lieux de privation de liberté.
Cela conduira inévitablement à une dilution de missions très différentes, aujourd'hui remplies avec précision et efficacité par ces institutions spécialisées.
Voilà pourquoi il est essentiel, à nos yeux, de maintenir l'autonomie de ces institutions, en particulier du contrôleur des prisons. Je veux moi aussi, ici, lui rendre hommage : Jean-Marie Delarue a parfaitement accompli sa mission. Il a démontré à quel point cette fonction était nécessaire.
Il est aussi essentiel à nos yeux de maintenir la CNDS qui a su, avec mesure et fermeté, dénoncer certaines dérives et donner aux citoyens un droit de recours face aux détenteurs de la force publique.
Lors de la révision constitutionnelle de 2008, nous avons voté pour la création du Défenseur des droits, à condition que celui-ci ne fasse pas disparaître ces deux institutions que sont le contrôleur des lieux de privation de liberté et la CNDS. Nous ne pouvons accepter leur disparition, nouvelle preuve d'une dérive vers l'hypercentralisation du pouvoir et de votre volonté de faire disparaître tous les contre-pouvoirs.
C'est pourquoi le groupe socialiste demande le renvoi de ces textes en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera également pour cette motion.
Après la très bonne démonstration de notre collègue Jean-Jacques Urvoas, j'insiste à mon tour sur la question – déjà évoquée – de la différence entre l'affichage et la réalité. Il y a, d'une part, vos affichages, dont la constitutionnalisation du Défenseur des droits fait partie, et, d'autre part, une réalité, beaucoup moins positive ; en l'occurrence, elle est même franchement régressive.
Qu'en est-il de la question de l'efficacité du regroupement de tout ce qui était éparpillé auparavant ? C'est une bonne question, et tout le monde devrait être favorable à ce qui fait gagner en efficacité. Le problème est que les institutions concernées, comme le médiateur de la République, le Défenseur des enfants, la HALDE et les autres, ont fait la preuve de leur efficacité. Elles n'ont pas besoin d'être regroupées pour gagner en efficacité, d'autant que leurs missions sont très différentes. Les gains d'efficacité engendrés par le regroupement sont donc sans doute nuls ou, du moins, très faibles.
Le problème réside dans les pouvoirs de ces instances et dans les suites données à leurs rapports et avis. De ce point de vue, le fait qu'il ne subsiste que des collèges, qui ne seront pas indépendants et qui n'auront qu'un rôle consultatif, représente une vraie régression.
Au-delà du mode et des moyens de fonctionnement, se pose le problème de l'indépendance et de la nomination. C'est bien le mode de nomination qui, potentiellement, compromet d'emblée l'indépendance d'une institution, et, vous le savez très bien, mes chers collègues, l'histoire des trois cinquièmes est une telle mascarade ! Le Président de la République le sait si bien qu'il tente de faire croire qu'il faut l'accord des trois cinquièmes pour qu'une nomination soit acceptée. C'est lui-même qui le dit à la télévision, alors que tout le monde sait très bien que cette majorité qualifiée est requise pour récuser une personne nommée, ce qui prive de portée l'intervention du Parlement.
Ce que nous voulons, monsieur Clément, c'est un mécanisme durablement incontestable. Nous ne voulons pas de ces querelles consistant à s'envoyer à la figure les pratiques de nomination respectives des différentes majorités, ou alors je peux vous dire deux mots des pratiques de ces dernières années. M. Pérol est devenu président du groupe Banques Populaires Caisses d'Épargne, après avoir été conseiller du Président de la République, et M. Richard a pris la tête de France Telecom après avoir été directeur de cabinet de la ministre des finances. Vous avez parlé de l'autorité des marchés financiers, mais trouvez-vous satisfaisant qu'un ancien ministre passe directement du Gouvernement à ce poste ? Plus près de nous, Mme Bougrab passe directement de la HALDE, à la présidence de laquelle elle n'a siégé que quelques mois, au Gouvernement. Est-ce bien la preuve d'une indépendance ?
Oui, mes chers collègues, cela mériterait parfaitement un renvoi en commission. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)
(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi organique et du projet de loi relatifs au Défenseur des droits.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma