Je dresse simplement un état des lieux.
Selon nous, votre procédure de nomination conduit inéluctablement à rattacher le Défenseur au pouvoir exécutif.
Je citerai, à ce propos, ce qu'a écrit un juriste en 1982 à propos du Défenseur du peuple espagnol, qui se mettait alors en place : « Il est à peine besoin de préciser que son titulaire, dans sa personnalité, déterminera la trajectoire de l'institution. Suivant la confiance qu'il inspirera à ceux qu'il est chargé de protéger et l'influence qu'il affirmera dans sa magistrature, il permettra à l'institution de se renforcer ou, à l'inverse, affaiblira son autorité. » Ce qui était valable pour l'Espagne postfranquiste l'est aussi pour la France de 2011. Tout devoir au Président ne prédispose pas à l'ingratitude. Cela porte plutôt en germe l'inéluctabilité d'un affaiblissement préjudiciable des droits.
J'entends bien l'argument selon lequel les autorités administratives sont déjà nommées aujourd'hui par le Président de la République : la HALDE, la Commission nationale de déontologie de la sécurité – CNDS. Certes, mais la multiplicité même de ces structures rendait proprement inconcevable toute tentative d'assujettissement par le pouvoir exécutif.
En revanche, s'il n'y a plus qu'une seule institution, la tentation sera forte de verrouiller le dispositif. Peut-être y résisterez-vous, ce que j'espère. Mais il vous suffira, pour ce faire, de désigner à ce poste unique une personnalité pleinement dévouée.
Le fait que votre texte soit, comme je viens de le démontrer, à la fois décevant et inquiétant suffirait pour le renvoyer en commission.
Mais ce n'est malheureusement pas tout. Il est également en contradiction avec les engagements du Gouvernement, avec vos propres écrits, monsieur le ministre, et avec les traités internationaux, comme je vais m'employer de le démontrer dans les dix minutes qui me restent.
Votre texte est en contradiction avec les déclarations des gardes des sceaux qui se sont succédé depuis trois ans.
Au coeur des débats sur la réforme constitutionnelle, Mme Dati, garde des sceaux, avait affirmé dans cet hémicycle, le 29 mai 2008, que la naissance du Défenseur ne signifierait pas la disparition du contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Quelques mois plus tard, le 23 juillet 2008, alors que notre assemblée débattait du projet de loi portant approbation du protocole facultatif se rapportant à la convention contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, le ministre Bockel avait, en réponse à une question de Jean Glavany, renouvelé le soutien plein et entier du gouvernement à la spécificité et à l'autonomie du contrôleur général.
Un an plus tard, en septembre 2009, lors de l'examen de la loi pénitentiaire, nous faisions part au garde des sceaux d'alors, Mme Alliot-Marie, de notre inquiétude de voir le Défenseur des droits absorber le contrôleur général des lieux de privation de liberté. Mme Alliot-Marie nous garantissait qu'il n'en serait rien.
Vérité en 2008. Vérité en 2009. Mais, en 2011, on efface tout ! Ceux qui sont attachés à la parole des ministres sont un peu surpris de ce changement de pied.
Votre texte est également en contradiction avec vos propres écrits, monsieur le ministre.
Que lit-on dans l'étude d'impact de ce projet de loi qui, sauf erreur de ma part, est censée traduire le point de vue du Gouvernement ?
Il y est écrit que le regroupement des missions de médiation avec les missions de contrôle, de décision ou de sanction, qui sont de nature différente, « pourrait s'avérer contreproductif : l'efficacité de l'action du Défenseur des droits ne serait que difficilement garantie dans certains domaines d'intervention marqués par une technicité particulière ».
Sage recommandation, que le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe exprimait déjà en 2008 lorsqu'il attirait l'attention sur « les difficultés à concilier les attributions de médiature et celles de contrôle ». C'est sans doute pourquoi, en 2008, le Constituant avait rejeté cette perspective.
Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la loi constitutionnelle, précisait également que le rôle du Défenseur est délimité très précisément par l'article 71-1 de la Constitution car « il est chargé de défendre les droits des citoyens dans leurs relations avec les services publics ». Autrement dit, l'article 71-1 constitutionnalise simplement le médiateur. Il n'est aucunement question de lui donner une fonction de contrôle comme vous voulez le faire aujourd'hui.
Il y a d'ailleurs une très grande différence entre le travail du médiateur de la République et celui, par exemple, du contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans le domaine qu'ils ont en partage. Le médiateur est dépourvu d'activité en l'absence de toute saisine ou de tout différend qui conduirait à le saisir d'office. À l'inverse, en l'absence de toute saisine ou de tout différend dans les lieux de privation de liberté, tout le travail du contrôle général est encore à faire.
Ainsi, dans les prisons, les délégués du médiateur agissent sur plaintes, viennent rencontrer les auteurs au parloir, essaient de trouver un règlement avec la direction, lorsqu'ils l'estiment nécessaire. Le contrôleur, en revanche, intervient quand il veut, va où il veut, rencontre qui il veut à l'intérieur des établissements de privation de liberté.
Nous sommes convaincus que, si les missions de médiation et de contrôle étaient confondues, pour des raisons d'organisation, chacune d'entre elles y perdrait sur le fond.
Votre projet est aussi en contradiction avec les engagements internationaux de la France.
La France a signé, le 16 septembre 2005, le protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements dégradants, et elle l'a ratifié en 2008.
Ce protocole prévoit la mise en place, dans chaque État, d'un « mécanisme national de prévention » indépendant, chargé d'examiner régulièrement la situation des « personnes privées de liberté sur l'ordre d'une autorité publique ou à son instigation, ou avec son consentement exprès ou tacite ».
Chaque État peut mettre en place ce mécanisme soit en donnant des pouvoirs nouveaux à une institution existante, soit en créant un nouvel organe chargé exclusivement de cette mission.
Dans son rapport daté du 18 septembre 2007, Philippe Goujon, qui était le rapporteur du texte, se félicitait que la France ait fait le choix d'une institution autonome. Il estimait en effet qu'il n'était pas bon d'étendre les compétences d'un organe existant et qu'il était préférable de créer une institution spécifique.
L'été dernier, en août 2010, le rapporteur spécial des Nations Unies contre la torture confirmait cette position et reconnaissait publiquement que « la France donnait l'exemple » avec son mécanisme national de prévention.
Quand la France donne l'exemple, la réponse du gouvernement français est de tourner le dos au dispositif qualifié d'exemplaire et de supprimer le contrôleur…
L'annonce de sa suppression en 2014 affaiblit sa position dès 2011. Si, lors de la visite d'une maison d'arrêt, il fait une remarque, l'administration sera tentée de ne pas en tenir compte au motif qu'il ne sera plus là dans trois ans.