La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, dans la vie d'une démocratie, la protection des sources des journalistes est une question fondamentale. C'est la garantie de l'indépendance et de la vitalité de la presse. C'est aussi la garantie d'une information de qualité. Durant la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy s'était engagé à faire adopter un texte assurant une véritable protection des sources. Le texte que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui est la réalisation de cette promesse.
La question du secret des sources a déjà fait l'objet de nombreux travaux et réflexions. Je pense aux travaux de vos collègues sénateurs, Paul Girod en 1989, Charles Jolibois en 1995 et, plus récemment, Louis de Broissia en 2007. Je pense au rapport d'information sur la déontologie des journalistes que Catherine Trautmann avait commandé au sociologue Jean-Marie Charon en 1999. Je pense à l'avis du 27 octobre 1999 rendu par le Conseil économique et social sur la liberté de communication. Cette question a également été débattue par le Parlement lors de l'adoption des lois sur la sécurité quotidienne en 2001 et sur la présomption d'innocence en 2002.
Le Gouvernement est déterminé à agir. Vous l'avez très bien rappelé, monsieur le député Étienne Blanc, dans votre excellent rapport : notre droit actuel est insuffisant et limité. Je vous propose aujourd'hui, mesdames et messieurs les députés, de remédier à ces lacunes.
Ce texte est attendu depuis longtemps par les journalistes et par leurs organisations professionnelles. Avec Christine Albanel, nous en avons souvent parlé. Il est aussi attendu par tous ceux qui sont attachés à la démocratie et à la liberté de l'information.
La protection des sources est l'une des pierres angulaires de la liberté d'expression. C'est une des conditions de l'exercice de la liberté de la presse et de la démocratie.
La liberté de la presse est la voix de la démocratie : elle exprime ses valeurs et la diversité de ses opinions.
La liberté de la presse est le coeur de la démocratie : elle éclaire l'opinion publique et diffuse l'information.
La liberté de la presse est le bras de la démocratie : elle dénonce l'arbitraire, condamne les dérives, participe à l'équilibre des pouvoirs.
Nous le savons tous : il ne peut y avoir de liberté de la presse sans une véritable protection des sources. Sans protection des sources, la liberté d'information est purement théorique. Pour bien informer, un journaliste doit lui-même être bien informé. C'est une évidence. Or qui accepterait de donner une information à un journaliste si sa vie ou sa liberté est en danger ? Quel journaliste accepterait en conscience de faire courir un tel risque à un informateur ?
Sans protection des sources, l'information ne peut être vérifiée, ne peut être contestée. Sans protection des sources, l'information n'existe plus.
Je ne pense pas qu'il y ait de clivages politiques sur ce point. Durant la campagne présidentielle, Ségolène Royal s'était également engagée à garantir la protection des sources.
Aujourd'hui, la protection des sources n'est pas garantie par la loi. Actuellement, un procureur de la République, un officier de police judiciaire ou un tribunal peuvent exiger d'un journaliste qu'il leur livre sa source. Il ne peut pas refuser de répondre à une question en invoquant le secret des sources. Et il ne peut pas refuser de remettre un document qui permettrait de remonter à sa source. Son refus l'expose à une amende de 3 750 euros. Telles sont les règles en vigueur.
Il n'y a qu'une exception. Nous la devons à Michel Vauzelle quand il était garde des sceaux : c'est la loi du 4 janvier 1993. Elle permet au journaliste, entendu comme témoin par un juge d'instruction, de refuser de livrer une information qui permettrait de connaître sa source d'information.
Cette loi a constitué une amélioration significative. Le dispositif reste cependant très incomplet. Le principe de la protection des sources n'est pas clairement énoncé dans notre droit ; le droit pour un journaliste de taire ses sources n'est prévu que dans une seule hypothèse, dans une seule phase du procès pénal : devant le juge d'instruction. C'est pourquoi le projet de loi pose le principe de la protection des sources et encadre davantage l'intervention de l'autorité judiciaire.
Ce principe sera désormais clairement inscrit dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. C'est l'article 1er du projet de loi, ainsi libellé : « Le secret des sources des journalistes est protégé afin de permettre l'information du public sur des questions d'intérêt général. »
C'est un principe général du droit qui est ainsi posé. Il est directement issu de la recommandation du Conseil de l'Europe du 8 mars 2000 sur le droit des journalistes à ne pas révéler leurs sources d'information. Il vaudra en toutes matières. Ce principe concerne la profession de journaliste dans une définition très étendue. Cette définition est plus large que celle du code du travail. Elle résulte de l'avis du Conseil d'État, que nous avons suivi.
Ainsi, peut se prévaloir du secret des sources tout professionnel qui recueille et diffuse de l'information au public, quel que soit le médium pour lequel il travaille – presse écrite, orale ou par internet, agences de presse –, qui exerce régulièrement cette activité et qui est rémunéré pour cela. Contrairement au droit du travail, il n'est plus exigé que l'activité journalistique procure au journaliste le principal de ses ressources. Sont donc concernés tous les journalistes au sens du code du travail, mais aussi les directeurs de rédaction et les correspondants de presse réguliers.
Ces dispositions sont une grande avancée pour notre droit. Elles étaient attendues. Le projet de loi qui vous est soumis donne une véritable assise juridique au secret des sources. Il devient un principe essentiel de notre droit. Je ne vois pas de meilleure garantie. Le projet de loi encadre en outre l'intervention de l'autorité judiciaire.
La démocratie a aussi besoin d'une justice efficace, d'une justice qui garantisse la sécurité de tous, d'une justice qui protège. Pour son action, la justice a aussi besoin d'accéder à certaines informations. Qu'on pense à la lutte contre le terrorisme : un attentat a été commis, qui a fait des victimes ; une enquête est en cours, les auteurs sont recherchés et l'on craint un nouvel attentat. Or un journaliste dispose d'informations qui peuvent permettre de localiser les terroristes et de les interpeller. Ce sont des questions difficiles. Mais ma conviction est que le secret des sources doit pouvoir être levé dans certaines conditions extrêmement encadrées. Il ne peut pas être absolu. Il doit y avoir un équilibre entre la protection des sources et ce que la Cour européenne des droits de l'homme appelle « un impératif prépondérant d'intérêt public ».
L'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme précise cette notion. Il prévoit que le secret des sources peut notamment être levé pour des mesures nécessaires à la sécurité nationale, à l'intégrité du territoire ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la garantie de l'autorité et de l'impartialité du pouvoir judiciaire.
Le projet de loi s'inscrit dans cette philosophie. Il précise qu' « il ne peut être porté atteinte au secret des sources que lorsqu'un intérêt impérieux l'impose ».
La justice ne pourra donc remonter à la source d'information du journaliste qu'à titre exceptionnel, que si la nature et la particulière gravité du crime ou du délit le justifient et que si cela est absolument nécessaire à l'enquête.
C'est un projet de loi équilibré, qui préserve efficacement la liberté d'information du public en même temps que les impératifs d'ordre public et de justice les plus importants.
Ainsi, il ne pourra pas être porté atteinte au secret des sources lors d'une enquête portant sur de simples vols, sur de petites fraudes ou escroqueries, sur des cercles de jeux clandestins ou sur des infractions au code de la route. La gravité des faits n'est pas suffisante. Il faut se garder d'établir une liste exhaustive de faits graves, mais il est impératif de laisser aux juges le soin d'apprécier au cas par cas s'il est justifié de lever le secret des sources.
Je prends un exemple concret : l'enlèvement avant sept jours de séquestration est un délit puni de cinq ans d'emprisonnement, soit la même peine que pour une escroquerie. Mais la peine encourue ne permet pas de dire qu'il s'agit d'un délit « grave » – car certains délits sont punis de sept ans ou dix ans – tel que certains amendements l'entendent. Pourtant un enfant est enlevé. Un journal reçoit une lettre du ravisseur. Il menace de tuer l'enfant dans les quarante-huit heures si la rançon n'est pas payée. Les services d'enquêtes n'ont pas d'éléments. Il est urgent d'agir pour sauver la vie de l'enfant. La communication de la lettre aux enquêteurs pourrait permettre d'identifier l'auteur – traces ADN, indices matériels, similitudes avec une autre affaire... Le journaliste oppose le secret des sources. Même si le délit n'est puni que de cinq ans d'emprisonnement, faut-il s'interdire de lever le secret ? Faut-il prendre le risque de laisser tuer cet enfant quand on sait que les enquêteurs n'ont aucune chance d'arrêter l'auteur par leurs propres moyens ? Dans ce contexte, il faut permettre la levée du secret. C'est une atteinte exceptionnelle et proportionnée au principe du secret des sources.
Le projet de loi est conforme à la lettre et à l'esprit de la Convention européenne des droits de l'homme. Il rapproche notre droit des autres législations européennes. Aux Pays-Bas, la jurisprudence considère que le droit de protéger ses sources cesse lorsque la sécurité de l'État est en péril. Au Luxembourg, la protection des sources ne s'applique pas aux crimes contre les personnes, au trafic de stupéfiants, au blanchiment d'argent, au terrorisme ou aux atteintes à la sûreté de l'État. En Allemagne, les tribunaux considèrent que le secret des sources peut être levé lorsqu'il s'agit de lutter contre la criminalité.
Le projet de loi ne constitue pas une demi-mesure. Il prend en compte tous les impératifs. Il fixe un cadre rigoureux à l'intervention du juge, garant des libertés individuelles.
Le principe général posé dans la loi de 1881 a des effets sur toute la procédure pénale. Tous les actes d'enquête et d'instruction seront soumis aux conditions restrictives qui permettent, à titre exceptionnel seulement, d'identifier la source d'un journaliste. Si ces conditions ne sont pas satisfaites, les enquêteurs et magistrats devront chercher à résoudre l'affaire sans passer en aucune façon par le journaliste. À défaut, leurs actes seront jugés non nécessaires et disproportionnés ; ils seront donc annulés.
Les journalistes se voient par ailleurs reconnaître un droit au silence absolu pour taire leurs sources en toutes circonstances. Un journaliste entendu comme témoin pourra invoquer le secret des sources à tous les stades de la procédure pénale : lors de l'enquête initiale, lors de l'information judiciaire devant le juge d'instruction et lors de l'audience devant le tribunal correctionnel ou la cour d'assises. Le journaliste n'encourra plus d'amende s'il se tait. Il en sera de même s'il refuse de fournir un document pour protéger ses sources.
Les journalistes ne seront donc jamais contraints à livrer eux-mêmes leurs sources.
Enfin, le projet de loi protège davantage les journalistes en cas de perquisition.
Actuellement, le code de procédure pénale prévoit que les perquisitions dans les entreprises de presse ou de communication audiovisuelle sont effectuées par un magistrat. C'est une disposition de la loi Vauzelle. Le projet de loi va plus loin puisqu'il prévoit d'étendre cette garantie aux agences de presse et au domicile des journalistes. C'est une nécessité et une attente très forte des journalistes.
Le magistrat effectuant la perquisition devra s'assurer que celle-ci ne porte pas atteinte de façon disproportionnée au secret des sources, au regard de la gravité et de la nature de l'infraction. Le journaliste pourra s'opposer, durant la perquisition, à la saisie d'un document qui permettrait d'identifier l'une de ses sources. Il appartiendra alors au juge de la liberté et de la détention de se prononcer sur la nécessité de saisir ce document et de le verser au dossier pénal.
Vous le voyez, c'est un projet de loi qui est plus protecteur pour les journalistes. C'est un projet de loi qui permet néanmoins une intervention encadrée de l'autorité judiciaire. C'est un projet de loi équilibré.
Je connais votre attachement à la liberté de la presse mais également votre attachement aux intérêts supérieurs du pays. Je ne doute pas que vous aurez à coeur de réunir ces enjeux en adoptant ce projet de loi. Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
La parole est à M. Étienne Blanc, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, un adage français affirme : « Qui cite ses sources les tarit ». De fait, la possibilité pour un journaliste de taire l'origine de ses informations peut permettre d'éviter un tarissement de ses sources et constitue une condition de la liberté d'informer et du droit des citoyens d'être informés. La protection du secret des sources des journalistes apparaît comme le corollaire direct du droit à l'information. Or notre droit actuel assure une protection trop partielle du secret des sources des journalistes.
La loi du 4 janvier 1993 a reconnu aux journalistes le droit de taire leurs sources lorsqu'ils sont entendus comme témoins : il s'agit d'un droit de non-divulgation qui laisse totale liberté au journaliste de révéler ou non ses sources. Le problème est que ce droit au silence, garanti par l'article 109 du code de procédure pénale, est aujourd'hui limité, du moins en droit, à la phase de l'instruction et ne s'applique pas à la phase de jugement.
Cette même loi de 1993 a en outre introduit un article 56-2 dans le code de procédure pénale relatif aux perquisitions dans les entreprises de presse, qui ne peuvent être réalisées que par un magistrat, chargé de veiller à ce que les investigations « ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession de journaliste ». Ces garanties procédurales apparaissent insuffisantes pour protéger efficacement les sources des journalistes.
Le droit actuel français est insuffisamment protecteur aussi au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
Notre législation en matière de protection du secret des sources est insuffisante notamment au regard de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, mais surtout d'une interprétation, très extensive, qui en a été faite par la Cour de Strasbourg.
La Cour européenne des droits de l'homme, au fil des années, a élaboré une théorie prétorienne de la protection des sources des journalistes. À travers quelques arrêts célèbres – l'arrêt Goodwin contre le Royaume-Uni, l'arrêt Roemen et Schmit contre le Luxembourg, l'arrêt Ernst et autres contre la Belgique –, la Cour a établi que la protection du secret des sources des journalistes constitue « l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse » et que ce principe doit être garanti pour permettre à la presse « d'informer le public sur des questions d'intérêt général ». Sans ce principe, la presse pourrait, selon les termes mêmes de la Cour européenne des droits de l'homme, « être moins à même de jouer son rôle indispensable de chien de garde » de la démocratie. Dès lors, les journalistes doivent être fondés à ne pas révéler leurs sources à l'autorité judiciaire, sauf à ce que cette atteinte soit justifiée par un « impératif prépondérant d'intérêt public » – je cite les termes de la Cour européenne des droits de l'homme.
Le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis tente de répondre aux insuffisances de notre droit au regard notamment de cette jurisprudence européenne. Madame la ministre, vous venez de nous exposer les dispositions qu'il contient, je n'y reviendrai pas.
Je voudrais en revanche présenter plus en détail les travaux qui ont été réalisés par la commission des lois à la suite de la quarantaine d'auditions auxquelles nous avons procédé voici un mois.
En premier lieu, la commission a adopté, lors de sa réunion du 2 avril dernier, dix-sept amendements, dont cinq l'ont été à l'unanimité. Ces amendements vont renforcer les garanties apportées par ce texte. Ils répondent à des interrogations, mais également à des objections qui nous ont été faites lors des auditions et qui nous ont permis de nourrir une réflexion de fond sur un sujet très important, qui touche aux fondements mêmes de notre démocratie.
La première question que nous nous sommes posée est celle des limites à apporter au principe de la protection du secret de sources et des critères qui autorisent une atteinte à ce principe. Lorsque l'on examine la législation des différents pays européens, on s'aperçoit qu'aucun d'entre eux n'a posé un principe sec et abrupt ; toutes les législations instaurent des exceptions. Si la très grande majorité des personnes entendues se sont accordées sur la nécessité de prévoir des cas exceptionnels de dérogation au principe de la protection du secret des sources, la notion d'« intérêt impérieux » qui figurait dans le texte initial, jugée trop floue, a été décriée. La commission a préféré lui substituer, par voie d'amendement, celle d'« impératif prépondérant d'intérêt public », reprenant mot pour mot la terminologie retenue par la Cour de Strasbourg.
La deuxième question est celle de la bonne adéquation du droit à l'état actuel de la pratique journalistique et aux évolutions technologiques.
Nous nous sommes ainsi penchés sur le cas des collaborateurs des journalistes, qui peuvent avoir accès aux sources et qui doivent donc bénéficier de la même protection pour que l'on ne puisse accéder à la source par leur intermédiaire.
Puis, nous avons abordé la question des véhicules professionnels, des cars régies notamment, dans lesquels peuvent être organisées des perquisitions.
Ensuite, nous nous sommes interrogés sur la nature des matériels utilisés par les journalistes – ordinateurs portables, téléphones mobiles et autres BlackBerry – qui peuvent être saisis lors des perquisitions.
Enfin, nous avons traité la question de la « traçabilité » accrue de l'activité journalistique, au travers notamment des remontées d'appels sur les portables, qui peuvent, sur réquisition adressée à un opérateur de téléphonie, faire apparaître l'identité d'une source.
Sur ces différents sujets, la commission des lois a adopté des amendements.
Un amendement prévoit que les critères de dérogation s'appliquent aussi aux atteintes indirectes, ce qui permet d'inclure les collaborateurs des journalistes. Ce ne sont pas les journalistes qui sont protégés en tant que tels, mais bien le secret des sources lui-même, quelle que soit la personne qui le détient.
Un amendement étend aux véhicules professionnels le champ des lieux dans lesquels les perquisitions doivent respecter les prescriptions particulières de l'article 56-2 du code de procédure pénale.
Un autre amendement étend aux différents matériels utilisés par les journalistes le champ des objets dont la saisie peut être contestée devant le juge de la liberté et de la détention.
Enfin, deux amendements portant articles additionnels prévoient que les procédures de réquisitions et d'écoutes judiciaires doivent respecter le principe du secret des sources posé par le nouvel article 2 de la loi de 1881.
La troisième question est celle de l'articulation entre les différents articles du projet de loi : le nouvel article 2 de la loi de 1881 pose un principe général, qui devra être appliqué en toute matière, et notablement en matière pénale, pour les perquisitions, les réquisitions ou les écoutes. Il ne doit en revanche pas remettre en cause le droit absolu des journalistes de taire leurs sources lorsqu'ils sont entendus comme témoins dans le cadre d'une instruction ou devant une juridiction de jugement, tribunal correctionnel ou cour d'assises. Nous avons apporté une réponse à cette inquiétude qui nous a été révélée par les avocats spécialisés dans le droit de la presse.
La quatrième et dernière question traitée par la commission n'est pas abordée par le texte, mais elle est en lien étroit avec la question du secret des sources puisqu'il s'agit du recel de la violation du secret de l'instruction.
Faut-il aller jusqu'à exclure les journalistes de toute poursuite sur ce chef d'accusation ? La commission des lois ne le croit pas. Cela induirait une inégalité devant la loi et emporterait à mon sens la fin du secret de l'instruction. En revanche, nous avons axé notre réflexion sur le cas des journalistes qui sont poursuivis pour diffamation. Aujourd'hui, ces journalistes sont placés dans une situation bien curieuse, et pour le moins incohérente. D'un côté, ils doivent prouver leur bonne foi ou faire la preuve de la vérité des faits diffamatoires ou qui leur sont reprochés comme diffamatoires en plaidant l'exceptio veritatis prévue dans la loi de 1881.
Mais s'ils apportent à l'appui de leur défense des documents couverts par le secret de l'instruction, ils peuvent être poursuivis pour recel de violation du secret de l'instruction. En somme, ils peuvent être sanctionnés soit, au titre de la loi de 1881, pour ne pas avoir prouvé l'exceptio veritatis, soit pour recel. Afin de remédier à cette situation, la Commission a adopté un amendement visant à exclure toute poursuite pour recel d'un journaliste poursuivi pour diffamation.
Voici donc un projet de loi qui, compte tenu des amendements adoptés par la commission, permet un véritable renforcement de la liberté d'exercice du métier de journaliste, et particulièrement du journalisme d'investigation, un accroissement de la crédibilité dont les journalistes peuvent se prévaloir auprès de leurs informateurs et, au total, une meilleure garantie de la liberté de la presse, dans le respect des principes posés par la Cour de Strasbourg.
Quelques critiques, qu'on a pu lire ou entendre, lui reprochent de ne pas aller suffisamment loin et prétendent que le texte demeure imprécis sur les exceptions à la règle de protection des sources. Mais ce n'est pas une petite réforme, ou une simple adaptation de nos règles de droit, que d'inscrire les mesures qu'il contient dans la loi du 29 juillet 1881. C'est bien un nouveau principe que nous instaurons au service de la liberté d'informer et de notre démocratie.
Il s'agissait d'un engagement du Président de la République. Si vous le voulez, il sera tenu. Aux yeux de la commission des lois, il représente une avancée très importante au service de la liberté de la presse et de la liberté de l'information en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour une durée ne puvant excéder trente minutes.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur Étienne Blanc, dont je salue le travail, mes chers collègues, nous avons l'honneur d'examiner un texte qui a vocation à modifier la grande loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Je dis l'honneur, car, depuis un siècle et demi, cette loi n'a été retouchée qu'une quinzaine de fois, essentiellement pour des raisons techniques : changement de nom d'institution, arrivée de nouvelles techniques ou pratiques journalistiques, évolution des peines. Par sa force et son aspect éminemment émancipateur, elle a survécu à un siècle qui fut souvent cruel pour les libertés. Elle s'est imposée comme l'un des piliers de notre République et comme un modèle pour une société démocratique.
C'est pourquoi il convient d'examiner tout projet visant à la modifier de manière substantielle avec une « attention scrupuleuse ». Cette expression n'est pas choisie au hasard, c'est celle qu'utilise la Cour européenne des droits de l'homme lorsqu'il s'agit d'évaluer l'opportunité d'autoriser des exceptions au principe de la protection des sources des journalistes et d'évaluer la balance des intérêts en présence.
L'objectif de votre texte, madame la ministre, est de mettre la France en conformité avec la jurisprudence de la CEDH, après plusieurs condamnations pour des poursuites à rencontre de journalistes, notamment en 2007 dans l'affaire Dupuis.
Si une lecture superficielle de l'exposé des motifs ne peut qu'entraîner une adhésion – éphémère – au projet de loi, une lecture plus attentive révèle soit une rédaction imprécise imputable au fait que la Chancellerie ait pris le pas sur le ministère de la culture et de la communication – je m'étonne d'ailleurs que Mme Albanel ne soit pas présente parmi nous, comme elle l'avait annoncé cette semaine dans les médias –,…
Elle est au Sénat !
…soit des intentions cachées. Cette imprécision est le fondement de la motion d'irrecevabilité que je défends. Que cette imprécision soit involontaire ou préméditée, le texte est inapplicable et régressif.
La profession s'est tout d'abord réjouie de l'inscription dans la loi de 1881 du principe de protection des sources journalistiques. C'était une promesse du candidat à la Présidence de la République. Celui-ci avait en effet déclaré qu'il accéderait à la revendication de longue date, formulée par les journalistes, de voir leurs sources d'informations protégées, face à la montée de la pression judiciaire et policière sur la presse dans différentes affaires. Je citerai en vrac Clearstream, avec la mise en examen de Denis Robert et les perquisitions au Canard enchaîné, Cofidis, avec les perquisitions au Point, à L'Équipe, et la garde à vue du journaliste et écrivain Guillaume Dasquié. Et la liste est longue.
Mais, s'il est aisé d'afficher en campagne un esprit libéral en promettant à la presse de renforcer sa liberté, il arrive parfois qu'à trop proclamer qu'on la protège, on en vienne à l'étouffer. Lorsque vient le moment d'examiner la lettre du texte, comme nous le faisons aujourd'hui, chaque détail peut se révéler une chausse-trappe. Chaque exception au grand principe proclamé peut pervertir, voire anéantir, l'ensemble du travail effectué.
D'autant que je ne peux passer sous silence, en préambule de notre débat, le contexte délicat dans lequel intervient l'examen du projet de loi. Sans entrer dans les polémiques, l'opposition s'inquiète des attaques répétées portées à l'indépendance de la presse, principe fondamental de notre République et de toute société démocratique. Je pense notamment aux critiques iniques adressées à l'AFP par des collègues de la majorité et aux attaques du Président de la République lui-même, que Mme la ministre de la culture s'est sentie tenue de relayer.
Au moment où la télévision publique et ses rédactions sont fragilisées par le projet de supprimer les recettes publicitaires, au moment où l'AFP négocie le renouvellement de son contrat d'objectifs et de moyens pour être à la hauteur de son statut de deuxième agence mondiale de presse, il est essentiel de rappeler que ce n'est pas au prince de tenir ou de retenir la plume des journalistes. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
On ne la retient pas ; on la critique, ce qui relève de la liberté d'expression !
La coïncidence entre l'examen de votre projet de loi et l'irruption de ces attaques contre la presse française ne laisse pas de nous interroger. S'agit-il d'une stratégie concertée ou de simples dérapages épidermiques ? Seraient-ce les prémisses d'une remise en cause plus fondamentale, notamment du financement de l'AFP, qui jouit d'un statut juridique exceptionnel issu de la Libération – sa première dépêche date du jour de la Libération de Paris –, même si cette remise en cause se dissimule derrière l'adoption d'un projet de loi au titre alléchant relatif à « la protection du secret des sources journalistiques » ?
Vous comprendrez, madame la ministre, notre vigilance à la lecture du texte que vous nous proposez. Ces questions liminaires ne sont pas anecdotiques dans un monde qui croule sous la rumeur présentée comme de l'information, via notamment l'offre en ligne. Sans journalistes indépendants, nulle garantie que cette information soit découverte, vérifiée, recoupée, sourcée, établie et hiérarchisée par un travail professionnel irremplaçable. Sans protection des sources des journalistes, nulle possibilité pour eux d'exercer sereinement leur mission de recherche et de transmission d'une vérité qui ne soit pas de l'histoire officielle.
Pourquoi indiquer les sources d'une information ? Pour permettre de valider le processus démocratique par lequel l'information est parvenue jusqu'au public. Mais parfois c'est l'exercice même de l'activité de journaliste qui rend impossible, voire dangereux, de citer explicitement ses sources. Sans une relation de confiance entre le journaliste et celui qui lui livre une information, aucune investigation n'est possible. Que ses sources soient licites ou non ne doit pas entrer en ligne de compte. La jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l'homme le rappelle : c'est l'exercice même de la liberté de la presse et du métier de journaliste qui est d'intérêt public. L'hermétisme absolu entre celui qui écrit et ses sources, mais aussi tout ce qui permet de remonter à celles-ci, doit primer sur les intérêts éventuellement menacés par ses investigations.
En 1976, dans l'arrêt Handyside, la CEDH a donné une définition extensive de la liberté d'expression : « La liberté d'expression est l'un des fondements essentiels d'une vraie société démocratique [...] et vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent. » La Cour ajoutait : « Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture, sans lesquels il n'est pas de société démocratique. »
Personne parmi nous ne réclame un statut de citoyen d'exception pour les journalistes. Mais ceux-ci, dans l'exercice de leur activité, doivent bénéficier de garanties particulières, y compris et peut-être même surtout contre la raison d'État. Rien non plus, dans les amendements que nous allons défendre, ne supprimera la possibilité d'intenter une action pour atteinte à l'intimité de la vie privée ou pour diffamation, comme il en existe aujourd'hui, mais nous refusons le caractère imprécis et arbitraire des exceptions qu'établit le projet de loi, fût-il amélioré par les amendements du rapporteur et de la commission des lois.
Nous sommes ici pour faire progresser la démocratie en affirmant des principes et en élargissant l'espace des libertés publiques. Il est si simple après tout de se dire que, si un journaliste détient des informations susceptibles d'intéresser police, justice, force publique, il suffit de lui demander de les livrer au nom de la sécurité de l'État ! Mais, comme le disait Rousseau, on vit en sécurité dans une prison. Le journaliste n'est pas et n'a pas à être un auxiliaire de police ou de justice. Il est un contre-pouvoir, un garde-fou contre les dérives toujours possibles ou, comme le dit la CEDH, un chien de garde de la démocratie.
En vertu de votre projet de loi, un journaliste qui aurait interviewé un indépendantiste algérien pendant la guerre d'Algérie aurait pu se voir obligé de livrer ses sources et d'indiquer la manière dont il était entré en contact avec elles. À l'époque, celles-ci étaient en effet qualifiées de « terroristes » par l'État français.
Or nous mesurons aujourd'hui combien il pouvait être important de leur donner la parole publiquement, dans la presse : c'était évidemment d'intérêt public.
Mais, au-delà des principes, entrons dans le détail du texte. Il saute aux yeux que celui-ci n'est pas à la hauteur des enjeux et qu'il s'avère finalement beaucoup moins protecteur que le droit interne et européen qui s'applique actuellement.
En droit interne, la liberté d'expression et la liberté d'information font aujourd'hui partie des grandes libertés fondamentales qui sont d'ores et déjà garanties par la Constitution. L'article XI de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 dispose de manière très explicite : « La libre communication des pensées et des opinions est l'un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi. »
Depuis, à de nombreuses reprises, le Conseil constitutionnel a qualifié cette liberté de « liberté fondamentale, d'autant plus précieuse que son exercice est l'une des garanties essentielles des autres lois et libertés ». Il place la liberté de la presse parmi les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
Certes, la liberté d'expression n'est pas un droit infini ni indéfini. L'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, après en avoir énoncé le principe, en marque les frontières en précisant, dans son deuxième paragraphe, les conditions dans lesquelles l'État peut la restreindre.
Néanmoins, les restrictions à ce principe doivent être encadrées sévèrement. Le 14 novembre 2006, la dix-septième chambre du tribunal correctionnel de Paris, dans une décision relaxant le magistrat Albert Lévy, accusé d'avoir transmis à un journaliste des documents confidentiels, affirme que « la condamnation d'un journaliste pour recel de violation de secret de l'instruction n'est pas nécessaire dans une société démocratique ». Or c'est aujourd'hui sous le chef de recel de violation du secret de l'instruction ou du secret professionnel que sont poursuivis la plupart des journalistes ; et votre texte ne fait rien pour y mettre un frein.
D'autre part, l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 30 octobre 2006 reconnaît que les perquisitions contre des journalistes sont des actes « d'une extrême gravité », constitutifs d'une ingérence dans la liberté de la presse, et qu'elles ne sauraient être justifiées autrement que par les principes de subsidiarité et de proportionnalité.
Elle a aussi rappelé que, toutes choses égales par ailleurs, la défense de la liberté de la presse devait, dans une société démocratique, primer sur les autres intérêts. Pour autant, en l'état du droit, elle avait considéré que les perquisitions effectuées au Point et à L'Équipe, dans le cadre de l'affaire Cofidis, étaient conformes à l'article 10 de la Convention européenne.
Or, là encore, votre texte ne changera rien, alors même que cette décision contredit les prescriptions de la cour de Strasbourg, qui, dans son arrêt Ernst contre Belgique, juge que « les perquisitions ayant pour objet de découvrir la source d'information des journalistes, même si elles restent sans résultat, constituent un acte encore plus grave qu'une sommation de divulguer l'identité de la source ».
Mais ce projet de loi est également en retrait par rapport au droit européen. La législation française est insuffisamment protectrice du secret des sources, au regard de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, et de l'interprétation, assez extensive, qu'en a faite la Cour de Strasbourg.
Dans l'arrêt Goodwin c Royaume Uni de mars 1996, cette dernière se prononce pour la première fois sur la protection des sources d'information des journalistes, qu'elle intègre dans le champ de l'article 10 de la convention. L'arrêt dit « Roemen et Schtmit c Luxembourg » de février 2003 établit que la protection du secret des sources des journalistes constitue « l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse », elle-même fondement indispensable de toute société démocratique.
Dans l'arrêt « Ernst et autres c Belgique », que j'ai déjà cité, la Cour met en cause le principe même des perquisitions en estimant que le gouvernement belge « ne démontre pas qu'en l'absence de perquisitions et saisies les autorités n'auraient pas pu rechercher si les requérants étaient impliqués dans ces infractions ». Elle souligne que « même si les motifs évoqués étaient pertinents, ils n'étaient pas suffisants pour justifier des perquisitions et saisies d'une telle envergure ». La Cour ajoute : « Les mesures employées n'étaient pas raisonnablement proportionnées à la poursuite des buts légitimes visés, compte tenu de l'intérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir la liberté de la presse. »
Il faut donc relever que l'évolution de la jurisprudence européenne – mais c'est également vrai pour notre jurisprudence nationale – va dans le sens d'une plus grande libéralisation et d'une meilleure protection des sources des journalistes. Or ce mouvement va à l'encontre du chemin qu'emprunte le projet de loi que nous examinons !
Lors de la condamnation de la France dans l'affaire Dupuis, le 7 juin 2007, la Cour invitait ainsi à la « plus grande prudence » concernant l'incrimination de recel de violation du secret de l'instruction. Elle citait l'annexe de la recommandation du Conseil des ministres du Conseil de l'Europe, qui réaffirme le droit du public à recevoir des informations sur les activités des autorités judiciaires et des services de police par l'intermédiaire des médias. Nous avons d'ailleurs déposé un amendement en ce sens, visant à supprimer, pour les journalistes, l'incrimination de recel de violation du secret de l'instruction et autres documents protégés.
Parmi les innombrables problèmes que soulève ce projet de loi, citons le fait qu'il ne précise ni ce qu'est une source ni qui sont les personnes protégées. Il ne dit rien, ni sur les écoutes téléphoniques ou électroniques, ni sur les interceptions de correspondances, notamment informatiques, ni sur le recel de violation de secret, qui constitue pourtant la principale menace pesant aujourd'hui sur la presse.
L'article 1er du projet de loi est une véritable jungle d'exceptions et de concepts creux. Ceux-ci ne feront qu'éreinter une liberté qui ne saurait se renforcer que dans la simplicité. Cet article prétend affirmer le principe du droit des journalistes à protéger leurs sources d'information. En réalité, il introduit subtilement, dès le début du projet de loi, une possibilité, pour les magistrats, d'entendre cette protection dans un sens restrictif, puisqu'elle serait réduite aux « informations d'intérêt général ».
L'article 2 justifie les perquisitions concernant les journalistes, sous couvert de les réglementer à la manière de celles visant les avocats, alors que les journalistes n'ont pas les garanties permises par la présence du bâtonnier.
Indépendamment de chacun des articles du texte, c'est son esprit même qui dérange. La Chancellerie présente un projet de loi dont le principal ressort est de remettre aux magistrats l'appréciation de l'opportunité de protéger, ou non, les sources des journalistes. La majorité se retranche derrière les magistrats pour se prémunir contre la presse ! Dans l'opposition, nous faisons confiance aux juges, mais nous refusons que la confiance que nous leur accordons dissimule une défiance vis-à-vis des journalistes.
Ce projet de loi touche à la loi de 1881, l'une des lois fondatrices de la République, en la vidant de son essence émancipatrice et démocratique. L'article 1er de la loi du 29 juillet 1881 précise : « L'imprimerie et la librairie sont libres. » Pourquoi, dès lors, ne pas affirmer, avec la même simplicité, que le droit au secret des sources est protégé par la loi, tout simplement ?
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme et les recommandations du Conseil des ministres du Conseil de l'Europe sont très claires. Elles considèrent la protection des sources comme un critère déterminant de l'état de démocratisation d'une société, et le droit à la protection des sources comme « la pierre angulaire de la liberté de la presse », fondement « indispensable à toute société démocratique ».
La législation belge, avec la loi du 27 avril 2005, est désormais la plus proche de ce modèle libéral. Cette loi reconnaît le droit à la protection des sources non seulement aux journalistes, mais aussi à leurs collaborateurs et aux directeurs de publication. Elle définit les sources comme étant tout ce qui peut permettre de remonter à l'origine d'une information ; elle refuse la possibilité d'incrimination de journalistes pour recel. Elle limite strictement la possibilité pour un magistrat d'invoquer une exception au grand principe de protection des sources aux seuls cas permettant d'empêcher la commission d'un crime portant atteinte à l'intégrité physique des personnes – exception admise que si, et seulement si, il n'existe aucun autre moyen d'avoir accès à une information. Cette loi belge interdit aussi écoutes téléphoniques et interceptions de correspondances, ainsi que tout autre moyen coercitif pour faire plier un journaliste dans l'exercice de ses fonctions.
Une loi de ce type honore le pays qui l'a adoptée car elle établit une relation de confiance entre la presse et la société, alors que cette dernière est trop souvent obsédée par la peur.
Mais il n'y a rien de tout cela dans le projet de loi français ! On sent, au contraire, dans chacune de ses phrases, combien il a été pensé et écrit pour les exceptions qu'il consacre. Le journaliste n'y est pas considéré comme une sentinelle de la démocratie, mais comme un potentiel suspect, complice de tous les crimes et délits dont il a le seul tort de rendre compte.
En l'état, le projet est non seulement en deçà des exigences du droit européen, mais aussi de celles du droit français en vigueur, qui garantit la protection des sources dans l'article 109 du code de procédure pénale, issu de la loi Vauzelle de 1993. Cette disposition, il faut le préciser, est toujours appliquée dans un sens extensif.
Je le répète : il ne s'agit pas de donner au journaliste un statut d'exception, ni de lui conférer le droit au secret professionnel, comme en Suède, où il est interdit aux journalistes de révéler leurs sources d'information. Nous souhaitons, en effet, que l'exceptio veritatis soit maintenue pour les cas de plaintes en diffamation contre des journalistes, afin de leur permettre de prouver la véracité de leur dire.
Votre projet de loi affirme que l'on pourra déroger au principe de la protection des sources en cas d'« intérêt impérieux » et, en matière pénale, « pour les nécessités particulières des investigations ». Mais l'enjeu est trop important pour laisser place à tant d'imprécisions juridiques et, par conséquent, à l'arbitraire des juridictions, qui ne disposent pas toutes d'une chambre spécialisée dans le droit de la presse.
Depuis quelques années, de nombreuses affaires médiatisées ont mis en lumière les pressions de plus en plus fortes que subissent les journalistes d'investigation. J'en ai déjà donné des exemples. En voici d'autres : des journalistes de France 3 qui avaient récupéré avant les émeutes le film de l'accident de Villiers-le-Bel ont été sommés d'en révéler l'auteur ; dans l'affaire Clearstream, Le Canard enchaîné n'a évité la perquisition que grâce à une collaboratrice qui avait opportunément perdu les clefs des bureaux ; quant à Guillaume Dasquié, que j'ai déjà cité, il a été placé en garde à vue pendant vingt-sept heures, pour recel de violation de secret défense.
En 1957, lors de la discussion législative portant sur le recel de violation de secret de l'instruction, le garde des sceaux avait expressément précisé que, « évidemment », la disposition ne concernait pas les journalistes. Pourtant, en 1998, le journaliste Gilles Millet, spécialiste des affaires corses, a été mis en examen pour ce chef d'accusation, parce qu'il détenait un procès-verbal émanant de l'office central de répression de la grande délinquance financière visant un militant nationaliste corse. Ce fut également le cas, en 2001, pour Jean-Pierre Rey, journaliste de l'agence Gamma dans l'affaire « Amsta Corsica », ainsi que pour des journalistes qui suivaient l'affaire Cofidis.
Tous ces exemples illustrent un conflit récurrent entre deux grands principes, celui du secret des sources et celui du secret de l'instruction. Mais dans l'affaire dite d'Outreau, peut-on regretter que Florence Aubenas ait eu accès aux procès-verbaux d'instruction et ait pu ainsi alerter l'opinion sur le scandale en cours ?
Pour continuer d'évoquer l'actualité récente, faut-il rappeler que les journalistes de France 3 Orléans ont été harcelés pour livrer les rushes de leur reportage sur les faucheurs d'OGM ?
Par ailleurs, le 6 mai dernier, la police a tenté de prélever les empreintes génétiques de tous les membres de la rédaction de la radio corse Frequenza Mora, la station locale de France Bleu. Les policiers avaient été saisis par la section anti-terroriste du parquet de Paris, après la réception d'un communiqué d'un groupe clandestin, et malgré le refus des journalistes ils ont procédé à quatre auditions, dont celle de la standardiste de la radio, entendue pendant une heure et demie !
Tous ces risques de dérives sont aussi accrus depuis l'entrée en vigueur de la loi Sarkozy du 18 mars 2003 qui renforce les possibilités de perquisition des forces de police, à laquelle s'ajoute la loi Perben du 9 mars 2004 qui oblige les « détenteurs d'information » à les communiquer « sans que puisse lui être opposée l'obligation au secret professionnel ».
Madame la ministre, l'opposition ne condamne pas par principe votre projet de loi : le droit au secret des sources des journalistes n'est pas un droit absolu. Mais les restrictions prévues doivent être précises et compatibles avec l'exigence de la jurisprudence, notamment celle de la CEDH. Or le texte que nous examinons aurait des répercussions extrêmement néfastes s'il était adopté en l'état.
Ce serait vrai, tout d'abord, en raison d'ambiguïtés rédactionnelles, par exemple sur la notion d'« intérêt impérieux ». Je rappellerai simplement que la chambre d'appel du Tribunal pénal international de Yougoslavie a précisé le 11 décembre 2002 qu'un correspondant de guerre ne pouvait être cité à comparaître que si, d'une part, la partie requérante démontre que le témoignage demandé présente un intérêt direct, et d'une particulière importance, pour une question fondamentale de l'affaire concernée et, d'autre part, si la partie requérante prouve que ce témoignage ne peut être raisonnablement obtenu d'une autre source. Ainsi, même pour les faits de guerre, le TPI estime que le secret de la protection des sources doit être respecté.
Les conséquences de l'adoption de ce projet de loi seraient aussi négatives en raison du manque d'ambition de ce texte. Ce qui manque à notre pays, c'est une vraie loi sur la presse. Or les questions essentielles relatives au statut du journaliste et à l'indépendance des rédactions – y compris leur indépendance financière – sont repoussées à plus tard.
Enfin, ce projet de loi souffre d'un manque d'effectivité : le décalage entre discours et les dispositions du texte est flagrant. C'est pourquoi, si les syndicats de journalistes s'étaient d'abord réjouis lors de vos premières annonces, madame la ministre, ils ont vite déchanté après un examen plus approfondi des mesures proposées.
Comme le rappelle Me Basile Ader, avocat au barreau de Paris, spécialisé dans le droit de la presse, le déplacement du régime de protection des sources dans la loi de 1881 tient essentiellement du symbole. Concrètement, tout dépend de la manière dont est rédigée la loi et de son interprétation. Il fallait un véritable saut qualitatif ; il fait défaut dans ce texte.
C'est pourquoi je défends l'exception d'irrecevabilité déposée par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Elle se fonde sur le non-respect du principe de légalité. Conformément à la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, le principe de légalité en droit constitutionnel est simple : les lois doivent définir les incriminations et les peines en termes clairs et précis.
L'article VIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est en effet ainsi rédigé : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires. »
Le Conseil constitutionnel lutte donc contre l'élasticité des incriminations et a ainsi déduit du principe de légalité, posé par l'article VIII de la Déclaration de 1789, la « nécessité pour le législateur de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire », selon sa décision du 20 janvier 1981 sur la loi dite « Sécurité et liberté ».
Madame Filippetti, votre temps de parole sera écoulé dans cinq minutes.
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est long !
Ce contrôle très précis de la qualité de la rédaction de la loi par le Conseil constitutionnel apparaît également dans sa décision du 18 janvier 1985, mais aussi dans celles du 3 septembre 1986 et du 16 juillet 1996.
Madame la garde des sceaux, nous souhaitons améliorer substantiellement votre texte et nous présenterons donc des amendements.
Ils porteront tout d'abord sur la définition qui fonde le principe du droit à la protection de source. Elle mérite d'être rappelée solennellement en tête de la grande loi de 1881 sur la presse ; elle sous-tend l'affirmation de la CEDH qui rappelle que c'est l'exercice même du métier de journaliste qui est d'intérêt général. La protection des sources ne doit pas se limiter à l'information qualifiée « d'intérêt général » qui ne correspond pas à une définition juridique rigoureuse.
Il convient également de définir exhaustivement les personnes qui bénéficient du droit au secret des sources. Les journalistes sont concernés, mais aussi les directeurs de publication ou l'ensemble de ceux qui travaillent dans les rédactions.
Le droit au secret des sources des journalistes n'est certes pas un droit absolu et il convient d'en fixer les limites, mais, faute de définir des notions aussi floues que « la particulière gravité » ou « l'intérêt impérieux », la rédaction proposée par le cinquième alinéa de l'article 1er du projet de loi ne respecte pas la jurisprudence de la CEDH.
Toute atteinte au droit au secret des sources s'analysant comme une « ingérence », nous proposons de ne retenir que des conditions cumulatives précises : la levée du secret ne serait possible que si elle est absolument nécessaire pour éviter une infraction constitutive d'une atteinte grave aux personnes, caractérisée par la peine encourue, à condition que l'infraction ne puisse être prouvée par un autre moyen.
S'agissant des perquisitions, on ne peut que s'étonner de voir cette procédure officialisée par son inscription dans la loi de 1881. La décision liée au droit de perquisition – qui, en toute hypothèse, doit être au moins motivée – est suffisamment grave pour impliquer un droit de recours pour les parties qui succombent.
Par ailleurs, les journalistes doivent bénéficier d'une protection en matière d'interceptions téléphoniques, comme les parlementaires, les avocats et les magistrats. Un texte qui n'assurerait pas une telle protection serait notoirement insuffisant.
Sur l'incrimination de recel, nous proposons de distinguer le cas des personnes qui disposent d'informations protégées selon qu'elles ont acquis celles-ci frauduleusement – par la corruption ou le vol – ou non, c'est-à-dire de bonne foi. Seront présumés de bonne foi ceux qui disposent d'un document qu'ils n'ont ni volé ni extorqué. Le responsable de la « fuite » n'est pas, en effet, le journaliste lui-même, mais le professionnel qui n'a pas respecté ses propres obligations.
Une bonne politique en la matière, madame la garde des sceaux, devrait allier protection et délimitation précise des exceptions au principe de la protection du secret des sources. Or votre texte manque de toute évidence de précision et n'offre qu'une protection de façade. C'est pourquoi, au nom du groupe socialiste, j'invite l'ensemble de mes collègues à voter cette motion d'irrecevabilité.
J'ajoute, pour conclure, que ce projet de loi n'est pas sans rappeler celui que nous avons examiné sur les archives et qui a consacré la notion d'archives « incommunicables » : il fleure la raison d'État. L'« intérêt impérieux », nouveau critère de jugement pour les magistrats, juxtapose deux notions jusqu'ici encore jamais liées par le droit. Qui ne voit que, derrière le terme d'« impérieux », c'est l'imperium romain qui ressurgit, c'est-à-dire le pouvoir lui-même, l'État en tant que puissance d'injonction ?
Le texte sur les archives comme ce projet de loi sont animés du même esprit de suspicion à l'égard de tous ceux qui font profession de remettre en doute les vérités de l'histoire officielle. Le premier créait une catégorie d'archives incommunicables, celui-ci rend des informations incommunicables sous peine de poursuites. Historiens, journalistes, chercheurs, intellectuels, critiques sont les cibles d'un pouvoir qui se veut fort et centralisé, qui prétend écrire seul sa propre histoire, mais qui n'en démontre que davantage, chaque jour, ses faiblesses et ses peurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, cette exception d'irrecevabilité s'appuie sur deux arguments essentiels.
Le premier est tiré de l'article VIII de la Déclaration de 1789 : en créant de nouvelles incriminations insuffisamment précises, nous fragiliserions notre droit. Or ce texte ne crée aucune incrimination nouvelle, il ne concerne que les procédures.
Ensuite, Mme Filippetti, que j'ai écoutée attentivement, estime que le projet de loi entraînerait une régression par rapport aux dispositifs existant en matière de protection de la liberté de la presse en France, notamment celui de la loi de 1881. C'est à croire que nous n'avons pas lu le même texte, ma chère collègue !
Nous allons inscrire de manière explicite dans la loi ce que le monde de la presse réclame depuis des années, à savoir que le secret des sources des journalistes est protégé.
Et nous l'inscrivons à l'article 2 de la loi de 1881, essentielle dans l'histoire de notre République, puisqu'il s'agit de la loi fondatrice de la liberté de la presse. Nous aurions pu choisir un article d'un autre texte : non, nous avons préféré l'inscrire dans cette loi symbolique.
En matière de perquisition, nous ajoutons un dispositif, qui permet de contrôler de manière extrêmement précise que les pièces saisies dans ce cadre sont utiles au regard des critères définis à l'article 2. Par ailleurs, nous prévoyons, et c'est essentiel, l'extension – que les journalistes réclament depuis des années – du droit au silence à l'ensemble de la procédure pénale. Dorénavant, les journalistes pourront refuser de révéler leurs sources devant les juridictions de jugement – tribunaux correctionnels et cours d'assises –, et non plus uniquement dans le cadre de l'instruction, comme c'est le cas aujourd'hui.
Quant à la diffamation et au recel de violation du secret de l'instruction, je les ai évoqués tout à l'heure. Actuellement, un journaliste poursuivi pour diffamation a le choix : soit il est condamné pour ne pas avoir apporté la preuve de la véracité des informations publiées, soit il plaide l'exception de vérité en produisant des pièces qui permettront ensuite de le poursuivre pour recel de violation du secret de l'instruction. Or nous allons inscrire dans le texte par voie d'amendement que, dorénavant, on ne pourra plus poursuivre un journaliste pour recel de violation du secret de l'instruction.
Ce texte ne fait que créer des droits et des libertés nouvelles au profit de la presse.
Second argument : les exceptions à la protection du secret des sources seraient imprécises. Je suis assez surpris par votre argumentation, madame Filippetti, car les syndicats de journalistes et les représentants du monde de la presse que nous avons auditionnés ont reconnu à la quasi-unanimité qu'il était parfaitement normal qu'il y ait des exceptions au principe de protection des sources. Au demeurant, ce débat n'est pas nouveau : au mois d'août 1789, lors des discussions sur la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen, il opposait déjà, au sein de l'Assemblée constituante, Robespierre et Rabaut-Saint-Étienne, d'un côté, à Mirabeau et au duc de La Rochefoucauld, de l'autre. À l'époque, on admettait déjà qu'il y ait des exceptions au principe de la liberté. C'est pourquoi l'article XI de cette déclaration proclame : « La libre communication des pensées et opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » C'est exactement l'objet de ce texte.
Pour ces différentes raisons, je vous propose de rejeter l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Dans les explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité, la parole est à M. Frédéric Lefebvre, pour le groupe UMP. (Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Mme Filippetti vient de nous donner une démonstration de la méthode socialiste, qui consiste à dire beaucoup et à ne rien faire du tout. Nous l'avions d'ailleurs déjà constatée en 2000, puisque la loi Guigou ne disait pas un mot de cette question qui, pourtant, taraudait les journalistes depuis 1996.
En effet – et Mme Filippetti l'a brillamment rappelé –, à compter de cette date, la Cour européenne a réclamé que les États légifèrent en matière de protection des sources journalistiques. Pourquoi n'avez-vous pas pris d'initiative dans ce domaine ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Vous avez beaucoup parlé, organisé des réunions, rencontré la presse et ses syndicats, mais, une fois de plus, vous avez beaucoup promis et vous n'avez rien fait. Aujourd'hui, il faut donc agir, pour la simple raison que les journalistes ont besoin de bénéficier d'un dispositif de protection efficace. Ainsi que l'a très justement rappelé le rapporteur, le choix du Gouvernement a été d'inscrire ce dispositif dans le texte le plus symbolique qui soit en la matière.
Néanmoins, j'ai compris que Mme Filippetti – qui est très honnête dans la défense de ces arguments – craignait que la notion d'« impérieuse nécessité », retenue par le Gouvernement, ne soit moins protectrice que la jurisprudence. Or notre rapporteur, qui a excellemment travaillé, a proposé que l'on retienne finalement la notion forgée par la jurisprudence d'« impératif prépondérant d'intérêt public ». Dès lors, si vous ne suivez pas la commission sur ce point, cela signifie que vous considérez la construction jurisprudentielle comme insuffisamment protectrice des journalistes et que vous ne faites pas confiance aux magistrats.
En tout état de cause, on aimerait savoir ce que vous souhaiteriez faire. On a l'habitude de vous entendre critiquer, mais, quand il s'agit de formuler des propositions, il n'y a plus personne !
J'ajoute, puisque vous n'avez manifestement pas confiance dans les magistrats, que si jamais, malgré les éléments de protection ajoutés par le texte, un doute subsistait sur la procédure, une action en nullité devant la Cour de cassation resterait possible, puisque nous sommes dans un État de droit.
Les journalistes le réclamaient, nous le faisons.
…mais il faut savoir parvenir à des textes équilibrés. Je sais que, pour vous, c'est compliqué !
Par ailleurs, vous avez évoqué à plusieurs reprises la question, importante à nos yeux, de l'objectivité de l'AFP. Certes, ce n'est pas le sujet de ce texte, mais, l'UMP étant, comme le parti socialiste, une des sources des journalistes, je serais tout de même tenté de demander, avec un peu d'humour, la protection de Mme la garde des sceaux. Vous savez, en effet, que nous avons été victimes de la non-utilisation par l'AFP, qui ne les a pas diffusés à ses clients – les journaux, les télévisions et les radios –, des communiqués que nous avions publiés. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) C'était une petite parenthèse humoristique, à laquelle je vois que Mme Filippetti n'est pas insensible.
Monsieur Mamère, si, comme moi et M. Bloche, vous vous intéressez un peu aux médias, vous connaissez certainement M. Schneidermann, qui est journaliste à Libération et pour qui j'ai beaucoup de respect, même si le moins que l'on puisse dire est qu'il n'est pas tendre avec nous. Eh bien, ce spécialiste des médias a indiqué, lors d'un chat auquel il a participé il y a deux jours et qui est consultable sur le site de Libération,…
…que l'AFP avait eu tort et l'UMP raison. Il ne le dit pas pour nous faire plaisir, car il est sans doute celui qui a critiqué le plus les relations de Nicolas Sarkozy avec la presse. Au reste, même certains de vos collègues – que je ne citerai pas –, monsieur Bloche, m'ont également dit dans les couloirs – et certains l'ont même reconnu devant des journalistes, lesquels ne manqueront certainement pas de s'en faire l'écho – que, dans cette affaire, l'UMP avait eu raison.
Le statut de l'Agence France-Presse lui impose de faire preuve d'objectivité ; c'est ce qui fait sa spécificité.
Le paysage médiatique évolue, ce qui impose à chacun de ses acteurs, y compris l'AFP, d'évoluer également, ce qui n'est pas forcément facile. Je reconnais que l'AFP a fait évoluer ses méthodes dans un domaine où elle a été déficitaire pendant tant d'années…
Il y a une chose que je veux dire à nos collègues de l'opposition : alors que vous critiquez beaucoup mais ne proposez rien, à l'UMP nous nous préoccupons avant tout de trouver, dans l'intérêt de la presse, un texte équilibré : lorsqu'il s'agit de terrorisme et d'infractions graves, la justice doit pouvoir faire son travail.
C'est la raison pour laquelle le groupe UMP repoussera évidemment cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur Lefebvre, à la fin de la séance vous pourrez expliquer à M. Myard ce qu'est un chat ! (Sourires.)
La parole est à M. Serge Blisko, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Pour ma part, afin d'être agréable à mon collègue Myard, je ferai mon explication de vote en français !
Le rôle d'un journaliste « n'est pas d'être pour ou contre, il est de porter la plume dans la plaie », aimait à dire le grand reporter Albert Londres.
Mais comment creuser la plaie pour mieux la nettoyer si le journaliste ne jouit pas de la pleine confiance de ses informateurs ? Et surtout, comment établir ce lien de confiance sans une protection effective, garantie par la loi, et aussi complète que possible, du secret des sources ?
Cette protection, nous ne le soulignerons jamais assez, est consubstantielle à la notion même de démocratie. C'est quand la démocratie est en régression que les journalistes se font arrêter, interroger, embastiller, et que l'on perquisitionne chez eux et ailleurs afin de connaître leurs sources. Un pays qui ne permet pas à un journaliste de protéger ses sources d'information n'est pas un pays totalement libre et, sans cette protection garantissant la liberté d'expression, aucune autre liberté ne saurait exister.
C'est dire à quel point cette proposition de loi était attendue. Comme l'a souligné Mme Filippetti, il y a eu des dérives graves, s'inscrivant dans le contexte d'une dégradation continue tout au long de ces dernières années. Les exemples frappants, et souvent consternants, que notre collègue a cités à la tribune démontrent la nécessité de ce texte.
L'objectif de protection des sources et des journalistes est-il aujourd'hui atteint ? Non, malheureusement. Dès le départ, ce texte, sous sa forme initiale, nous avait déçus par son manque d'ambition et ses ambiguïtés rédactionnelles. On a toujours l'impression que le point d'équilibre n'est pas entre la liberté et la lutte antiterroriste, mais entre les différentes fractions de l'UMP : ceux qui croient en la liberté et ceux qui y croient un peu moins, qui préféreraient la mise en place d'un régime plus autoritaire.
Vous qui êtes un bon juriste, monsieur Blanc, vous ne semblez pas avoir saisi ce qu'a dit Mme Filippetti : lorsque nous évoquons une régression, ce n'est pas par rapport à la loi de 1881 – qui, nous sommes tous d'accord sur ce point, est la loi princeps d'organisation de la liberté de la presse –, mais par rapport à la Cour européenne des droits de l'homme. D'où notre déception : nous espérions atteindre le standard européen en la matière !
Les notions d'« intérêt impérieux », de crimes ou de délits « à la particulière gravité », par leur caractère subjectif pouvant donner lieu à des interprétations très extensives, entraînent ipso facto un risque d'arbitraire. Il ne saurait y avoir de protection des sources si ce sont les humeurs du moment ou l'émotion publique qui en délimitent les contours.
À la lecture du texte, d'autres inquiétudes étaient nées, par exemple, de la définition très restrictive de la notion du métier de journaliste. Quelques-unes de ces réserves sont aujourd'hui levées. Devant la commission des lois, plusieurs des amendements présentés par M. le rapporteur ont permis de préciser et de clarifier certaines dispositions du texte qui paraissaient obscures. Toutefois, le point d'équilibre recherché ne nous semble pas encore atteint : la moitié du travail reste à faire, et nous comptons beaucoup, pour cela, sur la discussion parlementaire. Malheureusement, avec les nouvelles attaques contre l'AFP de la part de Frédéric Lefebvre, cela commence plutôt mal. En agissant de la sorte, vous ne tirez pas le texte vers le haut, cher collègue ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Ce projet de loi, même utilement amendé, n'en reste pas moins sur bien des aspects très en deçà de ce que nous étions en droit d'espérer. Il nous semble ainsi regrettable de lier la protection du secret des sources à l'information du public « sur des questions d'intérêt général ». Une telle formulation est particulièrement malheureuse, car elle permettra à la puissance publique d'interpréter de manière subjective la teneur de ces questions. Je le répète : rester dans le vague laisse la porte ouverte à tous les arbitraires. Vous réduisez du même coup l'ambition de ce texte en exposant les journalistes et leurs collaborateurs à une insécurité juridique très proche, en fin de compte, de celle qui prévaut aujourd'hui – même si telle n'était pas votre intention initiale.
En dépit d'un certain nombre d'avancées, nous considérons que ce texte mérite d'être revu. La loi belge du 7 avril 2005, accordant aux journalistes le droit de taire leurs sources d'information, a beaucoup été citée en exemple. En comparaison de ce qui se fait dans ce pays démocratique voisin, où la presse est libre et vigoureuse, force est de reconnaître, objectivement, que le texte qui nous est soumis fait figure de pâle copie, sans ambition, sans relief, mais, hélas, non sans ambiguïté.
C'est pourquoi, au nom du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, j'invite mes collègues à voter cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
La parole est à M. Noël Mamère, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Je pense que le travail sérieux qui a été mené par notre rapporteur Étienne Blanc méritait une meilleure explication de vote que celle donnée par le représentant de l'UMP, qui s'en est tenu à un verbiage stérile uniquement destiné à justifier ses attaques continues contre l'AFP. Certes, il n'est pas le seul auteur de ces attaques, puisque le porte-parole du Gouvernement, Luc Chatel, s'y est également livré hier à la sortie du Conseil des ministres, mais que l'on ne vienne pas nous dire, en revanche, qu'elles bénéficieraient de complicités sur les bancs de la gauche ! Ces attaques ne sont pas anodines : elles ont lieu précisément au moment où va être renégocié le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFP, dont on sait que l'État est l'un des premiers clients. Qu'elles soient le fait des « porteurs d'eau » de M. Sarkozy, de membres du Gouvernement ou du Président de la République lui-même, ces attaques contre l'AFP, qui, vaille que vaille, a réussi à protéger son indépendance depuis cinquante ans, sont un très mauvais signe quant à l'état d'esprit qui règne au sein de ce gouvernement et au plus haut sommet de l'État. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Le Président de la République a récemment affirmé devant des millions de téléspectateurs, lors d'une intervention qui n'était pas sans rappeler celles qui avaient lieu du temps de M. Peyrefitte, que « tout est en ordre ». Aujourd'hui, alors que vous multipliez les attaques contre l'AFP, donc contre l'ensemble de la profession des journalistes, sans doute convient-il de traduire par « tout doit être aux ordres » !
J'en reviens à ce qu'a dit le rapporteur en réponse à l'exception d'irrecevabilité défendue par Mme Filippetti – dont l'intervention était très argumentée, et basée sur les principes de la Cour européenne des droits de l'homme et les exemples donnés par d'autres pays de l'Union européenne, telle la Belgique, qui ont su protéger les sources des journalistes. J'ai l'impression que vous avez utilisé, pour ce projet de loi dont l'examen se fait en une période où vous vous livrez à des attaques quotidiennes contre la presse en général et l'AFP en particulier, la même méthode que pour un projet de loi dont le souvenir vous reste douloureux : je veux parler de ce qui s'est passé mardi dernier avec le projet de loi sur les OGM – un événement dont vous avez su tirer la leçon, car, aujourd'hui, « tout est en ordre », et vous êtes suffisamment nombreux sur les bancs de l'UMP pour être assurés d'avoir la majorité lors du vote.
Merci de nous avoir rendu ce service : nous n'avons peut-être pas eu de débat, mais nous y avons gagné la cohésion !
Vous nous promettez un encadrement à nul autre pareil en Europe ; vous accusez la gauche de refuser le débat – un argument également utilisé par M. Lefebvre au sujet de la protection des journalistes. Mais lorsque vient le moment de débattre du projet de loi en séance publique, on s'aperçoit que le projet proposé, loin d'être à la hauteur de vos promesses, n'est qu'un leurre, une opération de communication visant avant tout à satisfaire des lobbies !
Le projet de loi sur la protection du secret des sources des journalistes était attendu depuis longtemps. Contrairement à ce que prétend M. Lefebvre, nous n'en sommes pas restés à la loi Fillioud : il y a eu, depuis, la loi Vauzelle…
Par ailleurs, vous omettez de dire qu'il y a eu des lois votées par le Gouvernement que vous soutenez : je pense en particulier aux lois Perben, qui ont constitué autant de restrictions aux droits des journalistes. Mme Filippetti a cité, tout à l'heure, la succession de mesures prises à l'encontre des journalistes, qui ont remis en cause la protection des sources et la liberté de la presse.
Je conclurai en disant que l'on peut partir d'une bonne intention, faire croire au bon peuple de France qu'enfin les journalistes vont être libres et protégés grâce à M. Sarkozy. En réalité, c'est à une régression que l'on assiste, car le principe initial de protection est assorti de tant d'exceptions qu'il a finalement pour effet de maintenir les journalistes dans la vulnérabilité, au lieu de servir l'intérêt de la profession de journaliste en protégeant les sources.
C'est la raison pour laquelle j'appelle le groupe de la Gauche démocrate et républicaine à voter pour cette exception d'irrecevabilité.
Le mur de l'hémicycle auquel font face les députés est particulièrement symbolique, puisqu'il est orné d'une belle tapisserie représentant les philosophes grecs encadrée par deux statues représentant respectivement la liberté et l'ordre public. Au-dessus nous est rappelée la devise de la République : « Liberté, égalité, fraternité ». La liberté est consubstantiellement liée à la République, et l'un des garants de cette liberté accordée à chacun est la liberté de la presse, dont l'évocation donne parfois lieu à des échanges vifs et passionnés au sein de cet hémicycle depuis 1789. Comme nous, nos illustres prédécesseurs se sont efforcés – notamment avec la loi fondatrice de 1881 – de consacrer dans la loi ce principe fondamental qu'est la liberté de la presse.
Le Président de la République s'était engagé à faire évoluer le droit en vigueur afin de mieux assurer la liberté de la presse, au moyen d'une protection accrue des sources des journalistes. Il est toujours possible d'exprimer des réserves sur ce texte, de vouloir laver plus blanc que blanc, et de préférer considérer que le verre est à moitié vide. Mais à vouloir trop prouver, on ne prouve rien.
La démonstration de Mme Filippetti, pour être brillante dans la forme, n'est pas pour autant convaincante sur le fond, souffrant des contradictions qu'elle contient. C'est d'autant plus dommage que certains des arguments exposés m'ont paru tout à fait judicieux et raisonnables.
Au groupe Nouveau Centre, nous souhaitons poursuivre la discussion et présenter nos amendements – M. Hunault s'y emploiera. En effet, madame Filippetti, si l'Assemblée votait votre exception d'irrecevabilité, vous n'auriez pas, comme vous en avez manifesté la volonté, la possibilité d'enrichir le texte par vos amendements.
Grâce aux amendements que nous avons, les uns et les autres, déposés, ce projet, qui va dans le bon sens et qui constitue, quoi qu'on en dise, une réelle avancée, pourra être amélioré. N'oublions pas qu'il répond à une attente forte de la presse, de toute la presse. En l'occurrence, n'en restons pas au microcosme parisien. À côté de la grande presse nationale, il y a en effet la presse locale et les petites stations de radio. Et tous ces acteurs souhaitent que nous allions plus loin dans la protection des sources.
Monsieur le rapporteur, vos propos étaient très équilibrés. Cela se traduira d'ailleurs dans les amendements de la commission. La notion d'impératif prépondérant d'intérêt public sera ainsi mise en avant, ce qui limitera les risques potentiels en la matière.
Le groupe Nouveau Centre appelle l'Assemblée à rejeter cette exception d'irrecevabilité pour permettre la poursuite de la discussion.
Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.
(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)
J'ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
La parole est à M. Noël Mamère, pour une durée ne pouvant excéder trente minutes.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, enfin un projet de loi pour protéger le secret des sources des journalistes ! C'est ce que nous étions en droit de nous dire à l'annonce du projet du Gouvernement. Depuis les promesses de Pascal Clément il y a déjà deux ans, combien de journalistes ont-ils payé de leur personne et de leur crédibilité, victimes de perquisitions « hors mesure », de gardes à vue longues à en craquer et de condamnations injustes au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme !
À dire vrai, il ne fait pas bon être journaliste en France ces derniers temps. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Les attaques auxquelles s'est livré le Président de la République – et quelques-uns de ses porteurs d'eau – contre la presse, ces derniers jours, ne sont pas là pour nous rassurer. Pas plus que ce texte, qui reste en deçà des normes européennes et instaure une sorte d'exception française. En fragilisant le droit au secret des sources des journalistes, il affaiblit un principe démocratique essentiel : la protection du droit des citoyens à recevoir l'information. Quand le droit au secret n'est pas pleinement protégé, les sources se taisent.
Deux exemples, parmi les plus emblématiques, suffiront à illustrer mon propos. L'affaire du sang contaminé aurait-elle pu être portée à la connaissance des Français, avec les suites judiciaires que l'on sait, si des sources, se sachant protégées, n'avaient pas informé, preuves à l'appui, L'Express et Le Canard enchaîné de la cause réelle des contaminations ? Nixon aurait-il été contraint à la démission si les sources qui ont informé Woodward et Bernstein n'avaient pas eu la garantie du secret ? Évidemment, non ! La protection du secret des sources des journalistes est la clef du droit à l'information des citoyens, lequel est un des piliers de notre démocratie.
Trop de mises en cause de ce principe essentiel par le pouvoir actuel nous conduisent à douter de la sincérité du Gouvernement aujourd'hui. Ce sont peut-être ces atteintes répétées à la liberté de la presse qui expliquent la « peopolisation » de la plupart de nos médias. Certains journalistes ont en effet fini par céder à la frivolité dans un pays où les affaires privées ont des retentissements d'affaires d'État… quand les affaires d'État se font toutes petites pour passer inaperçues.
En effet, il est moins dangereux de consacrer une première page au week-end du Président à Disneyland qu'aux dessous de la venue de Kadhafi. Et tant pis pour le droit à l'information ! Quant à ceux qui se risquent à l'exercer quand même – et il y en a, fort heureusement ! –, ils voient des policiers débarquer à six heures du matin pour une perquisition et emporter leur ordinateur, leur téléphone, leur bloc-notes. Après ça, difficile de retrouver un informateur ! Le discrédit gagne et les informations se font plus rares quand les sources voient les journalistes comme des auxiliaires de la police.
Malgré quelques avancées, dues d'ailleurs au travail de notre rapporteur, Étienne Blanc, qui a enrichi le texte en commission, certaines améliorations doivent encore être apportées. Sans ces dernières, cette loi ne sera qu'une protection partielle et, j'ose le dire, partiale, tant l'imprécision qui demeure actuellement sur certains points est une porte ouverte à l'arbitraire.
Le tout n'est pas d'avoir de bonnes intentions. Quand on regarde ce texte d'un peu plus près, on ne peut que constater une certaine naïveté, si l'on est complaisant, ou une vraie négligence, si l'on est lucide. Suivant une méthode éprouvée du sarkozysme, dont vous êtes, madame la garde des sceaux, l'une des épigones, on commence par sonder l'opinion publique, on tire une idée porteuse, puis on bâcle une loi pour satisfaire la majorité. Le parallèle est facile avec la loi OGM. Certes, vous avez eu un petit problème mardi dernier avec vos amis de l'UMP. Mais la méthode est là : on sort un projet de loi, on l'égratigne, on l'écorche, on interroge les puissants, ils achèvent le sacrifice, et nous nous retrouvons devant un texte qui ressemble à une imposture politique tant il est contraire aux engagements initiaux.
Contrairement à ce que vous affirmez, ce texte n'est pas une renaissance du droit à l'information. Il restera un bricolage démocratique tant que nous n'y apporterons pas les aménagements nécessaires, qui ne figurent toujours pas dans la version qui nous est soumise aujourd'hui. Au nom des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, je voudrais ici en lister les faiblesses.
Les tâtonnements rédactionnels de la première phrase de l'alinéa 5 de l'article 1er témoignent déjà de la logique « un pas en avant, deux pas en arrière ». La version initiale, discutée le 5 février en réunion interministérielle était : « L'autorité judiciaire ne peut porter atteinte à ce secret qu'à titre exceptionnel, selon les modalités prévues par la loi, et lorsque la nature de l'infraction et sa particulière gravité le justifient. » Après son passage en « garde à vue ministérielle », il est quasiment dépouillé de toutes ses avancées et devient : « Il ne peut être porté atteinte à ce secret que lorsqu'un intérêt impérieux l'impose. »
Puis, à l'issue du bricolage de la commission, il est ainsi rédigé : « Il ne peut être porté atteinte à ce secret, directement ou indirectement, qu'à titre exceptionnel et lorsqu'un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie. »
Ces subtilités de vocabulaire ne sont pas innocentes. Premier tour de passe-passe rhétorique : l'autorité judiciaire, seule concernée par le droit à l'exception de porter atteinte, perd l'exclusivité que lui reconnaissait la version initiale du projet. Après le passage en commission, ce n'est plus « l'autorité judiciaire », mais un « il » très flou. Quelle précision !
Certes, notre rapporteur a proposé un amendement supprimant les termes « en particulier », mais l'ambiguïté demeure en partie sur « qui » peut porter atteinte au secret, et c'est très regrettable. En fait, le champ de ceux qui peuvent malmener le secret est bien trop large et laisse la porte ouverte à l'autorité administrative, militaire, la DST, la DGSE…
Si vous espérez que ce changement passera inaperçu auprès des députés, je doute que, de leur côté, les journalistes et leurs sources voient tout cela d'un très bon oeil. D'autant plus que le texte reste muet sur l'autorité qui dira, a posteriori, donc une fois que l'atteinte aura été portée, si l'on était en présence d'un impératif prépondérant d'intérêt public…
Ensuite, la mention « selon les modalités prévues par la loi » a été supprimée en réunion interministérielle. Nous souhaiterions avoir des éclaircissements sur ce retrait. Cela semblait plutôt pertinent de faire référence aux modalités définies par la loi. Quelle est donc la raison qui vous a fait préférer des notions plus vagues pour définir le cadre des exceptions à la règle ?
La commission a préféré ajouter une précision nécessaire en stipulant qu'il ne devait pas être porté atteinte à ce secret « ni directement ni indirectement », c'est-à-dire en ne faisant pression ni sur le journaliste ni sur ses proches. En effet, 1e projet de loi initial ne pointait pas suffisamment le vrai problème : le « contournement » du journaliste pour remonter à la source recherchée, en interrogeant ses proches par exemple, et notamment tous ceux qui sont mêlés, de près ou de loin, à son travail. D'où l'importance de cette nuance, qui devrait freiner les velléités des enquêteurs de contourner la loi.
Je regrette cependant que la commission n'ait pas choisi d'aller vers une protection encore plus précise en modifiant la définition des journalistes contenue dans l'alinéa 6 de l'article 1er. Elle a déjà corrigé une erreur importante, en rajoutant la communication audiovisuelle et les agences de presse, mais on aurait pu imaginer qu'elle aille jusqu'à citer l'ensemble des bénéficiaires de la loi, qu'il s'agisse des directeurs de la publication, des collaborateurs de la rédaction, des cameramen, des monteurs, des preneurs de son, des interprètes…
Notre rapporteur a jugé dangereuse cette proposition, au prétexte qu'il serait difficile d'être exhaustif. Admettons. Mais, à l'inverse, se limiter au terme « indirectement » dans l'alinéa précédent pour signifier que cette protection s'étend à l'entourage du journaliste, souffre, à mon sens, d'être bien trop vague.
Au lieu de fournir une définition des journalistes, ce qui est, a mon avis, problématique au regard de la mutation constante de la profession avec Internet, nous aurions dû chercher à définir l'ensemble des bénéficiaires de la loi, c'est-à-dire de tous ceux qui ont un rapport avec les sources et qui appartiennent à la chaîne d'une source, pour tendre à une protection maximale du secret de ces sources.
Une telle définition, directement incluse dans le texte de loi, dissuaderait définitivement les enquêteurs de la contourner pour obtenir les renseignements qu'ils cherchent. Je n'ai rien inventé, ce sont les revendications du SNJ, totalement légitimes. Les syndicats de journalistes demandent non pas un privilège, mais un cadre légal qui soit réellement protecteur pour tous ceux qui participent, de près ou de loin, à la mission d'informer. C'est indéniablement la condition sine qua non à une information fiable et de qualité.
Enfin, madame la garde des sceaux, permettez-moi de revenir sur cette fameuse notion d'« intérêt impérieux ». Faut-il vous rappeler, ici, sa définition ? Je vais le faire pour M. Vanneste, qui l'évoquait tout à l'heure. Elle nous vient du latin imperiosus, qui signifie « qui commande d'une façon absolue, qui n'admet ni résistance, ni réplique ; synonyme : tyrannique ».
Ainsi Napoléon Ier, qui disait : « Il n'y a rien de plus impérieux que la faiblesse qui se sent étayée de la force. » Formulation bien dangereuse donc. Par exemple, y avait-il « intérêt impérieux » quand le Président de la République a porté plainte contre un journaliste pour une histoire de SMS ? Le plus haut personnage de l'État a lui-même tenté de faire pression sur un journaliste pour qu'il livre ses sources, alors que, un mois auparavant, il déclarait que, même s'il lui arrivait « d'être mitigé sur le respect d'une certaine déontologie professionnelle de certains journalistes », il préférait « les excès de la presse à l'absence de la presse » !
M. Wauquiez, alors porte-parole du Gouvernement, avait justifié les termes « intérêt impérieux » au prétexte que « les seuls cas reconnus sont les affaires de terrorisme ou de crimes organisés ». Mme Filippetti a démontré l'exact contraire en défendant son exception d'irrecevabilité. Alors, pourquoi ne pas directement citer ces cas et dire tout simplement qu' « il ne peut être porté atteinte à ce secret que dans les affaires de terrorisme et de crimes organisés » ?
Même si la commission a tenté de contourner ce problème en choisissant la notion « d'impératif prépondérant d'intérêt public », qui devrait exclure les cas d'intérêt impérieux liés à des affaires sentimentales étatiques, on est encore loin de la précision de la loi belge, qui dit qu'on ne peut porter atteinte au secret des sources des journalistes que « si elles sont de nature à prévenir la commission d'infractions constituant une menace grave pour l'intégrité physique d'une ou de plusieurs personnes » et qui précise ainsi les conditions de levée du secret. Il faut que « les informations demandées revêtent une importance cruciale pour la prévention de la commission de ces infractions et ne puissent être obtenues d'aucune autre manière ». Deux conditions cumulatives qui s'ajoutent à un principe déjà fort et précis !
Notre collègue Étienne Blanc a bien cherché à introduire ce dernier point dans l'alinéa 5, en insistant sur le fait que l'atteinte doit être rendue « strictement nécessaire » par les circonstances. Mais, globalement, on est bien en deçà de la loi belge.
La différence est claire entre le texte belge et le projet que nous examinons aujourd'hui : d'un côté, on cherche à protéger les sources des journalistes ; de l'autre, on se contente de donner le change à la Cour européenne des droits de l'homme, avec une protection des sources a minima.
Dans un pays où tous les grands organes de presse sont dirigés par de grands groupes industriels : Bouygues, Lagardère, Dassault, Bolloré – tous grands amis du Président –, la protection du secret des sources doit être maximale. Comment, en effet, assurer un minimum d'indépendance pour la presse s'il y a – pardonnez l'expression triviale – « flicage » des sources, si les photos sont retouchées, si les « fuites » sont factices, juste bonnes à fournir la dose d'information nécessaire à une vitrine de liberté d'expression et de démocratie ? Je ne suis pas sûr que ce texte apporte à cette question une réponse satisfaisante.
Je me souviens de ce qu'a dit Guillaume Dasquié, journaliste au Monde, au sujet de sa garde à vue dans les locaux de la DST en 2007, pour la divulgation d'un document non déclassifié de la DGSE : « Je crois que le problème de fond est que la fuite de ce document n'était pas organisée par les cabinets ministériels, qui orientent les révélations, offrant des scoops prédigérés aux médias. Ce document-là n'était pas destiné à être rendu public. Mais c'est justement notre travail de journalistes d'investigation de nous affranchir de ces petits réseaux ministériels qui tentent de nous instrumentaliser. »
Nous le savons tous : le travail de journaliste ne peut être bien fait que si les journalistes et leurs sources sont couverts. Nous avons donc aujourd'hui le choix, qu'il faudra assumer devant les Français : soit nous voulons des journalistes serviteurs qui attendent une information qu'ils ont méritée, soit nous leur donnons les moyens d'être réellement ce que la Cour européenne des droits de l'homme appelle les « chiens de garde de la démocratie ».
Concernant l'article 2, il entend donner plus de protection au secret des sources des journalistes lors des perquisitions. Sur ce point, l'intention est louable, mais, là encore, certaines carences du texte sont une porte ouverte au détournement des recommandations législatives.
Le fait que l'alinéa 1 étende la protection des sources lors des perquisitions au domicile du journaliste est un vrai progrès. La commission, quant à elle, a rajouté les véhicules professionnels, qui sont indéniablement un lieu de travail : là encore, c'est une avancée. Les perquisitions seront faites en présence d'un magistrat, sur décision écrite et motivée.
Pourtant, à ce sujet, je ne peux m'empêcher de citer Mme Marion Jacquemin, qui avance, dans son ouvrage sur le secret des sources, que « la substitution d'un magistrat à la police judiciaire n'apporte qu'une différence de degré mais non une différence de nature ». Nous verrons bien si les intéressés se satisfont de cette disposition.
Mais des omissions gênantes persistent, ouvrant la porte à une interprétation très large des possibilités de saisie dans d'autres circonstances, où l'on pourra se passer de la présence d'un magistrat. Qu'en est-il, en effet, des perquisitions qui pourraient arriver sur la voie publique ou lors d'une garde à vue ? Qu'en sera-t-il du carnet d'adresses, du bloc-notes, de la carte de visite qu'on saisira sur un journaliste sortant d'un rendez-vous dans un lieu public ? Pas de magistrat, pas de scellés : l'affaire est dans le sac, pourrait-on dire… Dès lors, quoi de plus simple pour des inspecteurs de police que d'attendre patiemment que le journaliste sorte de son agence de presse ou de son véhicule ? Avec un peu de chance, il aura son ordinateur sur lui, ou au moins son téléphone portable, et quelques informations juteuses si la pêche est bonne. Les journalistes deviennent donc les appâts éventuels des enquêteurs en mal de renseignements, et il est pour cela essentiel d'encadrer ces cas-là pour une protection véritablement efficiente du secret des sources.
Concernant le troisième alinéa de l'article 2, je ne crois pas agir « de façon disproportionnée au regard de la nature et de la gravité de l'infraction » en avançant que les périphrases servant à désigner le respect dû à la protection des sources en cas de perquisition sont – le mot n'est pas trop fort – une vaste fumisterie, sachant qu'il n'y a pas plus mouvant que la notion de « gravité », implicitement liée à la sensibilité de l'opinion à un moment donné. De l'usage du flou pour mieux réduire nos libertés ! Par exemple, au moment des émeutes dans les banlieues, les violences contre la police revêtaient-elles une toute particulière gravité ? Après une agression contre un enseignant, les violences en milieu scolaire doivent-elles être considérées comme particulièrement graves ? Que devient la protection des sources des journalistes si elle doit subir les fluctuations de l'opinion publique ?
Ainsi énoncée, cette règle devient même un contresens total : c'est précisément lors des événements d'une « particulière gravité » qu'il est « particulièrement légitime » d'informer le public. Les journalistes doivent donc pouvoir disposer de la liberté d'informer et de la liberté de leurs informateurs à tout moment.
Pour ce qui concerne la décision du juge des libertés et de la détention, qui statue sur les pièces mises sous scellés, je déplore qu'il n'ait pas été choisi de donner une possibilité de recours contre son ordonnance. Pour rester dans le registre lexical du projet de loi, il semblerait en effet plus « proportionné » qu'un recours en nullité de l'ensemble de la procédure. Mais Mme la garde des sceaux nous répond qu'il faut respecter un certain « équilibre », puisque, selon ce nouveau sésame de la majorité, tous les projets de loi proposés sont des projets « équilibrés ». Il s'agit ici de l'équilibre entre la liberté de la presse et l'efficacité des investigations judiciaires : c'est bien ce que l'on vous demande, mais nous ne voyons pas le déficit au même endroit ! Et nous savons aussi que le rôle donné au juge des libertés et de la détention est aujourd'hui très critiqué par les magistrats eux-mêmes.
Pour finir, les amendements nos 16 et 17 du rapporteur, correspondant à des articles additionnels après l'article 3, cherchent à encadrer un peu plus la protection du secret des sources, en inscrivant dans le code de procédure pénale la règle selon laquelle une atteinte disproportionnée conduirait à la nullité des objets saisis en matière de réquisitions judiciaires et d'interceptions des communications. Cela suffira-t-il ? Nous en doutons, comme beaucoup de journalistes, depuis l'affaire du journaliste brestois, Hervé Chambonnière, qui a vu ses sources défiler les unes après les autres à la police judiciaire, alors qu'il ne les avait pas livrées.
Les journalistes savent à quel point il est facile, pour les enquêteurs, de demander une facture détaillée à un opérateur téléphonique, retraçant les appels entrants et sortants. Si Hervé Chambonnière a bien profité de son droit à se taire lors de sa convocation à la PJ de Brest, la procureure de la République a, elle aussi, su profiter de son droit d'« ingérence nécessaire et proportionnée à but légitime », consacré par un arrêt de la Cour de cassation, pour obtenir la liste des appels du journaliste auprès de l'opérateur Orange. Même si la loi exige l'accord du client pour délivrer la facture détaillée, cette société n'a pas vérifié que la police détenait bien cette autorisation. De beaux principes en somme, qui ont été contournés…
Dans la mesure où ce projet de loi mélange sensiblement les mêmes ingrédients, on est en droit de se faire du souci. Certes, le journaliste pourra encore plus qu'auparavant se taire ; certes, l'atteinte proportionnée à la protection des sources n'est plus une jurisprudence mais une loi ; certes, la police devra prouver comment elle a obtenu les sources et si c'était de manière légitime. Mais croyez-vous sérieusement à l'efficacité de ces principes ? Après tout, Hervé Chambonnière n'aurait jamais su que la police était remontée jusqu'à ses sources grâce à sa liste d'appels, si l'un de ses avocats, convoqué par la PJ, ne lui avait dévoilé le pot aux roses. Et la police aurait pu, quant à elle, affirmer qu'elle avait obtenu le nom des personnes convoquées par un autre moyen. Au fond, votre texte va pousser les enquêteurs à faire preuve d'un peu plus de prudence pour ne pas tomber sous le coup de l'annulation pour atteinte disproportionnée. La belle affaire !
Au-delà du problème des sources, se pose un problème plus large, qui tient à la menace actuelle pesant sur notre droit à l'information. Dans tous les domaines – scientifique, militaire, agricole, sanitaire, syndical –, ceux qui veulent informer les citoyens sont mis à l'écart, marginalisés, punis. Cela peut se traduire par des sanctions indirectes, comme pour les journalistes privés de sources, mais aussi conduire à des licenciements abusifs ou à des suppressions de budgets concernant des chercheurs.
Ce sont en fait tous les « lanceurs d'alerte » qui doivent être protégés, qu'ils soient journalistes, scientifiques, membres d'association ou simples citoyens. Ceux qui essaient courageusement de remplir leur mission d'information citoyenne ne sauraient être punis dans une démocratie comme la nôtre. Et pourtant, récemment encore, Stéphane Lhomme, porte-parole du réseau « Sortir du nucléaire », a été placé dix heures en garde à vue par la DST, à cause de la publication sur le site de son association d'un document classé « confidentiel défense » révélant la vulnérabilité du réacteur EPR en cas de crash suicide d'un avion de ligne. Pour la seule détention de ce document, il risque cinq ans de prison et 75 000 euros d'amende. On cherche à faire pression sur lui pour qu'il révèle qui lui a fourni ce document et on lui fait payer son silence. Ce genre de pratiques odieuses ne doit plus avoir lieu dans une démocratie comme la France !
Pensez-vous, sérieusement, madame la ministre, que votre nom deviendra éponyme de la loi qui a permis la renaissance du journalisme d'investigation ? Pensez-vous que la pseudo-protection des sources que vous nous proposez fera longtemps illusion ?
Non, vraiment, madame la ministre, le compte n'y est pas, et nous ne pouvons que regretter cette occasion manquée, qui n'honore pas notre pays quant à son exemplarité démocratique. « Il n'y a pas d'éloge flatteur sans la liberté de blâmer », disait Beaumarchais. Quand on considère la violence des attaques du Président et de ses proches contre la presse, tenue pour simple boîte aux lettres du pouvoir et de son bon plaisir, on est en droit de s'inquiéter d'un tel recul démocratique, qui révèle le vrai visage de ceux qui ne supportent plus « les chiens de garde de la démocratie » parce qu'ils les préfèrent à la niche. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Je proposerai le rejet de cette question préalable en m'appuyant sur trois arguments brefs et simples.
Je rappellerai en premier lieu que, dans toutes les législations que nous avons étudiées sur la protection des sources des journalistes, dans des pays que l'on ne peut en aucune manière soupçonner de porter atteinte à la liberté de l'information et à la liberté de la presse – je veux parler, entre autres, du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de la Belgique, des États-Unis, de la Suède, du Luxembourg, de l'Allemagne, du Portugal ou de la Suisse –, le principe de la protection des sources n'empêche pas les exceptions. Aucune législation n'a sanctuarisé la protection des sources.
On fait souvent référence à la Belgique et au droit belge, et cet exemple sera beaucoup cité dans la discussion des articles. Mais que dit le droit belge ? Que l'on ne peut plus forcer le secret des sources que si les données concernées sont susceptibles de prévenir des infractions représentant une atteinte sérieuse à l'intégrité physique d'une ou plusieurs personnes. Si nous nous trouvions au Parlement belge, nous ne manquerions pas de nous interroger sur ce qu'est une atteinte « sérieuse » à l'intégrité physique : une incapacité de plus ou de moins de huit jours, pour reprendre la limite qui, dans le code pénal, sépare les contraventions et les délits ? Chaque texte que nous écrivons est évidemment susceptible d'être interprété. C'est pour cela qu'il y a des juges et une jurisprudence.
En second lieu, je voudrais insister sur la reprise des termes de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, monsieur Mamère. Nous avons, dans toute une série d'amendements, repris mot pour mot les termes de la Cour européenne des droits de l'homme, qui, certes, ne figuraient pas dans le texte initial. Après discussion avec le Gouvernement et le cabinet de Mme la ministre, nous avons notamment décidé d'indiquer que la levée des sources ne pourra s'effectuer qu'à titre exceptionnel et lorsqu'un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie. C'est mot à mot la jurisprudence de la CEDH.
En troisième lieu, ce texte, je le répète, ne fait que renforcer la protection des sources. L'inscrire dans l'article 2 de la loi de 1880 n'est pas anodin, car c'est la loi fondatrice, et les magistrats y feront référence.
Nous encadrons beaucoup mieux les perquisitions, nous ajoutons le droit au silence à la phase d'audience alors qu'il n'est réservé pour l'instant qu'à la phase de l'instruction. Enfin, nous supprimons purement et simplement l'infraction de recel : c'était une demande pressante des journalistes et de leurs syndicats, et cela constituait en effet un anachronisme dans notre droit.
Le texte ne propose donc que des ajouts, sans aucune régression. C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous propose de repousser cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Dans les explications de vote sur la question préalable, la parole est à M. Frédéric Lefebvre, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire
Monsieur Mamère, vous m'avez demandé de réviser mes fiches et vous avez été obligé de remonter aux lois Fillioud et Vauzelle. Mais si vous m'aviez mieux écouté, vous auriez compris mon raisonnement, à savoir – et je connais votre honnêteté intellectuelle – que la loi Vauzelle date de 1993 et que la jurisprudence à laquelle Mme Filippetti a fait référence avec beaucoup de précision date de 1996. En d'autres termes, je voulais dire que, les uns et les autres, vous n'avez rien fait pour résoudre un problème qui devenait de plus en plus difficile à gérer s'agissant de la profession de journaliste, alors qu'une belle occasion d'agir s'était présentée à vous avec la loi Guigou de 2000. Soyons précis, monsieur Mamère : en faisant référence à ce qui avait été fait, je citais des faits et des textes très précis.
Monsieur Mamère, vous avez employé, en me visant, le qualificatif de « porteur d'eau ». De mon côté, j'hésite, vous concernant, entre boutefeu et producteur de vent – ça dépend des jours !
Effectivement, ce n'est pas si mal ! Je le dis pour vous faire plaisir, connaissant votre combat pour les éoliennes, monsieur Mamère !
Par contre, je n'hésite pas à mettre en exergue votre manque de sens de la mesure et votre capacité à inventer des histoires. Vous nous avez en effet raconté, en l'étayant de multiples exemples, l'histoire extraordinaire des journalistes appâts ! Ce projet de loi, nous expliquez-vous, permettrait à la justice et aux services de police d'utiliser les journalistes qui deviendraient des appâts ! Arrêtez d'inventer, monsieur Mamère !
Ce texte constitue une avancée, même si nous pouvons émettre des critiques, par exemple, qu'il ne va pas assez loin. La commission a d'ailleurs cherché à l'améliorer sur certains points, et c'est notre travail. Un consensus aurait donc dû être trouvé, et je regrette que cela n'ait pas été le cas. En fait, cette réforme est à mettre au crédit du Gouvernement, ce que vous avez du mal à accepter, surtout vous, monsieur Mamère, qui avez été un brillant journaliste. (Sourires sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Il y a, d'un côté, ceux qui agissent aujourd'hui – le Gouvernement, Mme Dati, le Président de la République et la majorité – et, de l'autre, ceux qui, comme d'habitude, regardent passer le train : les membres de l'opposition.
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe UMP repoussera cette question préalable.
La parole est à M. Roland Muzeau, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Merci, monsieur Balkany ! Venant de vous, ces propos me satisfont !
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis des mois, les organisations syndicales unies dans une plate-forme commune ne cessent d'appeler le Gouvernement à ne pas rater ce rendez-vous qu'ils attendent depuis si longtemps, à savoir une vraie protection du secret des sources. SNJ, SNJ-CGT, USJ-CFDT appellent à ce que cette protection du secret des sources soit – je les cite – « consacrée par la loi de façon exemplaire ». C'est bien de cela et de cette exigence d'exemplarité qu'il est question dans nos débats.
Des pays européens ont réussi, comme cela a été expliqué par M. Mamère et Mme Filippetti. La loi belge, dont le rapporteur vient de rappeler la portée, comme la CEDH ont apporté également un certain nombre de réponses et ont su consacrer cette même exemplarité. Mais il est vrai que le contexte politique français pèse durement : il y a des attaques, des accusations, des procès d'intention permanents contre le travail de nombre de journalistes ou de médias.
Une campagne est délibérément orchestrée par les fidèles du Président de la République, fustigeant les journalistes, les organes de presse et d'information et, dernièrement, contre l'AFP, dont le pouvoir voudrait faire une antenne de l'Élysée.
Noël Mamère, pour le groupe GDR, a pleinement explicité la problématique posée. Il a démontré les mécanismes qui pèsent sur une véritable liberté de l'information et formulé les réponses que le Parlement devrait adopter.
Enfin, sur la méthode, le Gouvernement ne cesse depuis des mois de revendiquer le dialogue social pour justifier l'adoption de tel ou tel projet de loi. Pourquoi n'a-t-il pas alors saisi la position commune des syndicats de journalistes, ceux que j'ai cités à l'instant, ce qui aurait pu avoir au moins l'immense avantage d'un consensus salvateur ?
Voilà pourquoi, chers collègues, le groupe GDR votera bien évidemment la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
La parole est à Mme Pascale Got, pour le groupesocialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Madame la garde des sceaux, je serais tentée de dire que, malgré la bonne volonté que vous affichez, malgré le travail effectué par M. le rapporteur, votre projet de loi n'en reste pas moins critiquable. Nos collègues ont d'ailleurs très bien mis en exergue ses faiblesses, qui restent très nombreuses.
Je ne reviendrai pas sur l'importance de la liberté d'information dans notre démocratie ; cela a été dit, et je pense que tout le monde, ici, en a bien conscience. Mais, comme cela a été fort justement démontré, votre texte est encore très loin du compte. Si les journalistes ne sont pas au-dessus des lois, ils participent amplement aux équilibres démocratiques.
Ils ne doivent donc pas continuer à remplir leur mission d'information et leur travail d'investigation à leurs seuls risques et périls.
Oui, un projet de loi est nécessaire. Oui, il est grand temps de se mettre en règle avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Mais le projet de loi que vous nous soumettez reste un texte en trompe-l'oeil, à l'évidence rédigé sans grande concertation – en tout cas, une concertation insuffisante –, et sa rédaction est bien trop approximative pour être pleinement crédible, efficace et recevable.
Votre texte n'apporte pas non plus de garantie pérenne sur la protection du secret des sources des journalistes. Ainsi, malgré les apparences, vous continuez de brider leur mission d'information.
Alors, nous sommes franchement en droit de nous interroger sur vos réelles intentions, comme les différents intervenants l'ont fort bien démontré.
Je ne souhaite pas revenir trop longtemps sur les propos critiques et justes – n'en déplaise à M. Lefebvre – qui viennent d'être tenus, mais je ferai tout de même quelques remarques.
Tel qu'il nous est présenté, le texte n'assure qu'une protection relative des sources et ouvre encore la voie à toutes les dérives potentielles. Sa rédaction approximative n'est pas acceptable. Des exceptions à la règle aussi vagues dans leur écriture sont directement susceptibles de faire voler en éclat la règle elle-même. Les syndicats des journalistes ne disent d'ailleurs pas autre chose : « On ne peut se satisfaire de l'imprécision de ces formulations car toutes les interprétations sont possibles » ; ils ont raison.
À l'évidence, ce texte mal préparé n'entend que très partiellement les demandes de la profession. Pis : il est susceptible d'aller à l'encontre du but recherché.
Continuons dans les insuffisances du texte.
Concernant les garanties nouvelles en cas de perquisition, tous les lieux de travail des journalistes ne sont pas protégés. S'agissant des perquisitions, elles seront effectuées par un magistrat : c'est bien, mais de quel magistrat s'agit-il ? Puisque c'est le magistrat qui réclame les documents du journaliste pour son enquête qui est aussi chargé de la protection des sources. Bref, c'est un magistrat qui devient juge et partie.
Au-delà de la protection des journalistes, quid des collaborateurs et des professionnels amenés à prendre connaissance de l'information dans l'exercice de leur fonction ?
Ce texte, madame la garde des sceaux, est imparfait dans sa rédaction et manque d'ambition sur le fond, alors qu'il concerne un aspect essentiel de la démocratie vivante. C'est un projet de loi faible, qui comporte trop de possibilités de contourner le principe posé du secret des sources.
Il ressemble davantage à un exercice contraint dans le contexte des affaires que subissent les journalistes actuellement, plutôt qu'à une véritable volonté de protection du secret des sources des journalistes et du respect réel de leur profession.
Ce projet de loi, bien que cherchant à harmoniser notre droit et à nous mettre en règle avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, joue l'affichage, pour ne pas dire l'opportunisme, mais il joue trop petit. Il peut laisser place à l'arbitraire et à la subjectivité. Il n'est pas assez rigoureusement défini.
Madame la garde des sceaux, le sujet mérite réflexion et non précipitation, et les améliorations apportées en commission ne suffisent pas. C'est pourquoi, au nom du groupe socialiste et pour toutes les raisons exposées précédemment par M. Mamère, nous voterons la question préalable présentée par le groupe GDR. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Au nom de mes collègues du Nouveau Centre, j'appellerai à voter contre la question préalable.
Monsieur Mamère, j'ai écouté vos propos avec beaucoup d'attention et je les ai trouvés, au pire, insultants, au mieux, provocants.
Vous avez fait une description de l'état de la presse de notre pays que je ne reconnais pas.
Quelle que soit notre place dans cet hémicycle, quelles que soient nos opinions, nous sommes tous ici les dépositaires d'un idéal, de valeurs universelles qui, vous le savez fort bien, sont une référence à travers le monde. Et nous sommes quelques-uns à siéger à la Délégation du Conseil de l'Europe. Vous avez fait référence, comme notre collègue socialiste, à la Cour européenne des droits de l'homme, au Conseil de l'Europe. Quand on regarde avec objectivité l'état de la presse dans le monde, quand on sait que, chaque année, dans le monde, plus de 150 journalistes sont tués dans l'exercice de leur mission, lorsque l'on sait que la presse est un élément essentiel de la démocratie, on ne doit pas tenir certains propos excessifs.
Vous avez dénoncé les perquisitions. Nous aussi, nous les regrettons ! Et qu'apporte ce projet de loi ? Mme la garde des sceaux l'a dit : promis par Nicolas Sarkozy lorsqu'il était candidat à la Présidence de la République, ce projet inscrit désormais dans la loi la garantie des sources des journalistes. Il constitue donc un progrès.
Sans doute faut-il l'améliorer. Les députés du Nouveau Centre y ont contribué lors de son examen en commission, et nous continuerons à le faire en précisant certaines notions dans le cadre des amendements. Nous avons d'ailleurs encore eu des discussions ce matin avec le rapporteur et le président de la commission, et je suis sûr que le Gouvernement est ouvert à certaines améliorations.
Comme l'a excellemment dit Frédéric Lefebvre, il devrait y avoir aujourd'hui un consensus sur la presse. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Ce qui est en danger dans notre pays, et vous le savez très bien, c'est le manque de lecteurs, c'est l'indépendance de la presse, ce sont les moyens donnés à la presse. Tous ces chantiers devraient nous rassembler, et non nous diviser ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
C'est pourquoi je terminerai par ces mots, monsieur Mamère – et vous savez la considération que je vous porte ainsi qu'à vos combats – : nous pouvons avoir un même idéal et choisir des chemins différents pour y parvenir. J'ai trouvé vos propos excessifs et choquants pour tous ceux qui soutiennent ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Je mets aux voix la question préalable.
(La question préalable n'est pas adoptée.)
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l'article XI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 pose le principe de la liberté de communication et précise qu'il revient à la loi de déterminer les cas où cette liberté peut être encadrée. Aux termes de cet article, la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.
C'est sur ce fondement que le législateur a été amené, principalement dans la loi du 29 juillet 1881, dite « loi sur la liberté de la presse », à encadrer l'exercice de la liberté de la presse pour éviter qu'elle n'empiète sur d'autres droits fondamentaux – je pense au respect de la vie privée, à l'interdiction de la diffamation et de l'apologie de la haine raciale.
La liberté de la presse ne se conçoit pas sans que soient apportées des garanties aux journalistes dans l'exercice de leur profession et sans que soit protégé le secret de leurs sources.
Madame la garde des sceaux, si la loi du 4 janvier 1993 que vous avez citée, celle de votre prédécesseur, Michel Vauzelle, pose un principe de non-divulgation des sources des journalistes lorsqu'ils sont entendus comme témoins dans le cadre d'une procédure d'instruction, il nous faut aujourd'hui poser le principe de la protection du secret de leurs sources. Et vous l'avez dit à cette tribune il y a quelques instants : la protection des sources des journalistes n'est pas, en l'état de notre droit, garantie par la loi.
Certes, notre démocratie est aujourd'hui confrontée à de nouveaux enjeux sécuritaires, à de nouvelles menaces contre lesquelles l'État se doit de protéger ses citoyens. Pourtant, face à cette exigence de protection, les libertés ne sauraient s'effacer. Dans un État de droit, nous devons veiller à la protection des libertés individuelles et des libertés publiques, au premier rang desquelles la liberté d'expression, la liberté de la presse.
Pourtant, la liberté de la presse ne saurait être vraiment effective sans que soient apportées de sérieuses garanties aux journalistes dans l'exercice de leur activité. Poser comme principe le droit pour le journaliste de protéger ses sources revient à donner aux témoins une protection sans laquelle ils ne pourraient dévoiler leur information en confiance.
En effet, comment la liberté d'information pourrait-elle s'exercer quand les informateurs risquent d'être inquiétés ? Or notre droit actuel n'assure qu'une protection partielle du secret des sources des journalistes. Même si elle ne leur reconnaît pas le droit au secret professionnel, la loi du 4 janvier 1993 constituait déjà une avancée en leur conférant le droit de taire leurs sources lorsqu'ils sont entendus comme témoins.
Cette même loi de 1993 a également permis d'encadrer le régime des perquisitions dans les entreprises de presse en ne donnant cette faculté qu'au seul magistrat. Les députés du Nouveau Centre considèrent toutefois que des garanties procédurales doivent être ajoutées pour protéger efficacement les sources des journalistes. Nous aurons l'occasion d'en débattre.
Madame la ministre, je souhaite saluer l'engagement du Président de la République, qui, lorsqu'il était candidat, avait promis de réformer le droit en vigueur afin de renforcer la liberté d'information et donc la démocratie. Aussi est-ce avec satisfaction que nous abordons l'examen de ce texte attendu. En effet, il constitue une innovation importante en consacrant comme un principe général, dans la loi sur la liberté de la presse, le droit pour les journalistes à la protection de leurs sources.
Nous estimons, au Nouveau Centre, que ce principe ne saurait s'exercer convenablement sans une définition précise de la notion de source. Cette absence de définition légale laisserait libre cours à une interprétation qui priverait de toute portée ce principe de protection. Qu'est-ce qu'une source ? Le Conseil de l'Europe la définit par l'identification de deux éléments : la source proprement dite, qui désigne toute personne qui fournit des informations à un journaliste, et les informations permettant d'identifier une source.
La législation de certains pays européens en propose une définition plus restrictive, comme le rapporteur l'a rappelé. C'est le cas du Luxembourg, qui, dans sa loi du 8 juin 2004 sur la liberté d'expression dans les médias, définit la source comme toute personne qui fournit des informations à un journaliste.
Pour notre part, nous aurions aimé aller plus loin en nous inspirant de la définition du Conseil de l'Europe. De même, nous avons souhaité préciser le type d'informations concernées par la protection offerte aux journalistes entendus comme témoins. Il doit pouvoir s'agir des informations recueillies par le journaliste par témoignage, conversation téléphonique et par échanges de courriels dans l'exercice de son activité. De même, le journaliste doit pouvoir rester libre de ne pas révéler son fichier personnel ou ses contacts téléphoniques. Ce point nous paraît essentiel.
Madame la ministre, un principe ne saurait souffrir de trop d'exceptions sans risquer de voir son existence même dénaturée. Ainsi, les « nécessités des investigations », qui peuvent, à titre exceptionnel, justifier qu'on porte atteinte au secret des sources, sont un concept que nous jugeons trop vague. Puisque l'article 1er tel qu'il est rédigé permet, selon nous, de déroger au principe de protection des sources qu'est pourtant censé garantir le projet, nous avons proposé en commission une rédaction alternative.
Par ailleurs, ce texte donne une définition légale et précise de la profession de journaliste, laquelle englobe les directeurs de publication. Cette définition est d'autant plus souple qu'elle n'exige pas que le journaliste professionnel tire l'essentiel de ses ressources de son activité, et c'est une très bonne chose.
Nous aurions souhaité pouvoir étendre le régime de protection des sources offert aux journalistes aux éditeurs, qui contribuent également à l'information et à la liberté d'expression. Nous avons, à cet effet, déposé un amendement.
Enfin, à l'image de ce qui prévaut pour les avocats, l'article 2 met en place un régime spécifique en matière de perquisitions au domicile et dans les locaux où les journalistes sont amenés à travailler, y compris les locaux des agences de presse.
Nous saluons une avancée notable, mais nous aurions souhaité – nous en avons discuté ce matin sans trop de succès – placer les perquisitions effectuées dans les locaux d'une entreprise de presse ou de communication audiovisuelle, d'une agence de presse ou au domicile d'un journaliste sous le même régime que celui en vigueur pour les cabinets d'avocats, qui requiert la présence du bâtonnier du barreau près le tribunal de grande instance du lieu de la perquisition. De même, j'aimerais que nous engagions une réflexion sur le secret professionnel. En effet, à la différence d'autres professions, celle de journaliste n'est pas régie par un code de déontologie et ne bénéficie pas du secret professionnel.
Voilà, madame la ministre, quelques réflexions que je voulais vous soumettre dans un esprit constructif au nom des députés du Nouveau Centre.
J'ai salué, lors de mon explication de vote sur la question préalable présentée par notre collègue Noël Mamère, l'avancée que constituait ce projet protecteur, puisque c'est la première fois qu'on garantit les sources des journalistes. Aussi, je regrette d'avoir perçu, tout à l'heure, dans le discours de M. Mamère, une mise en cause de la personnalité même du Président de la République et une injure faite à la liberté et à la qualité de la presse de notre pays. L'état de la presse, la liberté sont des sujets qui devraient être l'objet d'un certain consensus.
Même si notre collègue Folliot va défendre des amendements visant à améliorer le texte, reste qu'au nom de mes collègues, je voulais saluer cette avancée et vous dire que, en tout état de cause, les députés du groupe Nouveau Centre voteront votre projet.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, a souhaité que le Gouvernement travaille à la rédaction d'un projet de loi visant à assurer la protection du secret des sources des journalistes.
Lors du conseil des ministres du 12 mars 2008, Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, a présenté un texte en ce sens, déposé le jour même à l'Assemblée nationale, sous le n° 735, et renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. La commission des lois, saisie au fond, a nommé rapporteur notre collègue Étienne Blanc le 26 mars 2008. La commission a apporté au texte un certain nombre d'amendements. Il vous est proposé aujourd'hui en première lecture.
Il est évident que, dans toute société démocratique, les journalistes jouent un rôle primordial dans l'information de nos concitoyens. Il convient donc de protéger les sources d'information des professionnels de la presse.
La possibilité pour les journalistes de conserver le secret sur l'origine de leurs informations est indispensable pour que leurs sources ne se tarissent pas et pour garantir ainsi la liberté d'information reconnue par la Cour européenne des droits de l'homme par son arrêt Goodwin du 27 mars 1996 et confirmée par la charte des droits fondamentaux signée à Nice le 18 décembre 2000, dont l'article 11 proclame la liberté d'expression et d'information.
Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans ingérence d'autorités publiques ni considération de frontières. Ensuite, la liberté des médias et leur pluralisme doivent être respectés. Toutefois, le droit français ne traduit le principe du secret des sources qu'à travers des dispositions éparses et indirectes, insuffisantes pour assurer une véritable protection que nous, législateurs, devons offrir aux journalistes.
Ainsi, le présent texte légalise le principe de la nécessaire protection du secret des sources et complète les garanties existantes en matière de procédure pénale afin de protéger ce secret. Il prévoit également les conditions dans lesquelles l'autorité judiciaire peut, à titre exceptionnel, obtenir des informations nécessaires à la conduite des enquêtes.
Les principales dispositions du projet se déclinent en trois articles, que je vais brièvement vous exposer.
L'article 1er assure la consécration législative du principe du secret des sources. Il complète la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse par une disposition solennelle en établissant une nouvelle rédaction de l'article 2 de ce texte, qui précise désormais que « le secret des sources des journalistes est protégé afin de permettre l'information du public sur des questions d'intérêt général ».
Le deuxième alinéa de cet article 2 précise les conditions en vertu desquelles il est permis de porter atteinte au secret des sources, à savoir « à titre exceptionnel » et lorsqu'un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie. Il précise enfin qu'au cours d'une procédure pénale, l'origine d'une information journalistique ne peut être recherchée qu'à titre exceptionnel et si cela est justifié par la nature et la particulière gravité du crime ou du délit et par les nécessités des investigations.
Ainsi, en cas de poursuite pénale pour diffamation, pour établir la vérité ou la bonne foi, la production de pièces d'une procédure pénale couverte par le secret de l'enquête ou de l'instruction ne peut donner lieu à des poursuites pour recel. En outre, dans le cadre d'une enquête préliminaire ou d'une ouverture d'information, les éléments obtenus par réquisition judiciaire, à peine de nullité, ne doivent pas porter atteinte au secret des sources. Enfin, dans le cadre de l'instruction, les transcriptions des correspondances avec un journaliste, à peine de nullité là encore, ne doivent pas porter atteinte au secret des sources.
La consécration du secret des sources est donc encadrée de limites fondées sur le nécessaire équilibre entre la protection des sources et des nécessités impérieuses, telles que définies par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
Le sixième alinéa de l'article 1er du présent texte complète le nouvel article 2 de la loi de 1881. Il précise la mise en oeuvre du principe de protection des sources des journalistes en donnant, pour la première fois, une définition claire de leur métier : « Est considérée comme journaliste toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse ou de communication au public par voie électronique, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil et la diffusion d'informations au public. » Cette définition permet d'englober les directeurs de publication et n'exige pas du journaliste professionnel qu'il tire l'essentiel de ses ressources de son activité.
L'article 2 du projet concerne les procédures de perquisitions et précise les conditions dans lesquelles elles peuvent être autorisées, exigeant notamment la présence d'un magistrat. Le magistrat effectuant la perquisition devra veiller à ce qu'il ne soit pas porté atteinte de façon disproportionnée au secret des sources au regard de la gravité et de la nature de l'infraction recherchée.
De fait, les garanties existantes en matière de perquisition dont bénéficient les cabinets d'avocats sont étendues aux entreprises de presse et aux domiciles des journalistes. Ces garanties permettent la saisine du juge des libertés et de la détention en cas de contestation de la régularité de la saisie effectuée et, notamment, en cas de violation du principe de proportionnalité au regard de la protection due au secret des sources.
Les locaux susceptibles d'être perquisitionnés ne sont plus limités à ceux des entreprises de presse, mais concernent également le domicile des journalistes ainsi que les véhicules professionnels.
Le journaliste pourra s'opposer à la saisie de documents susceptibles de permettre l'identification de ceux qui le renseignent et pourra demander au juge des libertés et de la détention de trancher.
La modification des articles relatifs à la perquisition aura également pour conséquence de renforcer la protection des journalistes en matière de réquisition. Ceux-ci pourront, comme c'est le cas actuellement pour les entreprises de presse, invoquer les articles 60-1 et 77-1-1 du code de procédure pénale qui permettent à certaines personnes de refuser de remettre des documents à un officier de police judiciaire alors qu'elles en sont requises.
Enfin, la protection du secret des sources devra, même en l'absence de disposition particulière, être respectée dans la conduite de l'ensemble des actes d'enquête menés par l'autorité judiciaire, et notamment en ce qui concerne les interceptions des correspondances émises par la voie des télécommunications. De ce fait, toute écoute téléphonique visant à découvrir la source d'un journaliste dans une instruction ouverte sera illégale.
L'article 3, pour sa part, protège le secret des sources en cas d'audition d'un journaliste comme témoin. Actuellement, en vertu de l'article 109 du code de procédure pénale, le journaliste entendu en tant que témoin par un juge d'instruction ne peut être poursuivi s'il refuse de divulguer l'origine d'informations recueillies dans le cadre de son activité. Cette disposition est toutefois limitée puisqu'elle ne s'étend pas aux journalistes entendus comme témoins dans un cadre autre que celui de l'instruction.
Afin de remédier à cette omission, le présent projet de loi – et ceci est important – prévoit d'étendre cette protection en précisant qu'un journaliste entendu comme témoin devant le tribunal correctionnel ou la cour d'assises pourra également refuser de déposer en cas d'atteinte au secret de ses sources.
C'est déjà le cas pour les médecins – l'étant moi-même, je connais bien le problème. Désormais, ce sera également le cas pour les journalistes, tels que définis à l'article 2 de la loi sur la liberté de la presse.
Mes chers collègues, j'estime que ce texte est une avancée considérable, conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme,…
…conforme à la Charte des droits fondamentaux signée à Nice le 18 décembre 2000 et même, je dirais, dans la droite ligne du Traité constitutionnel de l'Union européenne.
En conséquence, le groupe UMP soutiendra énergiquement ce projet de loi et le votera.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, un pays où la protection de la liberté d'expression de la presse n'est pas pleinement assurée est une nation où toutes les autres libertés sont menacées.
Cette protection de la presse est directement liée à la pratique démocratique. Sans liberté d'informer, la démocratie n'existe pas.
Or, pour informer pleinement les citoyens, la presse – ses journalistes et tous ceux qui concourent avec eux à son existence et à sa réalisation – doit pouvoir faire état d'informations librement recherchées.
Si les sources de ces informations sont d'une quelconque façon menacées, la possibilité de recourir à de telles sources se tarira. C'est toute la liberté de la presse, et donc un pan entier de notre système démocratique, qui s'écroulerait.
Nous examinons ce texte, comme beaucoup trop souvent, dans des conditions qui n'ont pas facilité le travail parlementaire. Il a fait l'objet d'une succession de reports, d'inscriptions et de désinscriptions à l'ordre du jour, alors même qu'il s'agit d'un projet sensible, qui touche à un sujet complexe : la nécessité de garantir de manière inconditionnelle une information libre, d'une part, et les éventuels besoins de l'instruction judiciaire et de la protection individuelle, d'autre part.
Deux logiques se confrontent donc ici, autour de la question de la protection des sources, des logiques qui ont parfois conduit des journalistes à être injustement pris à partie par la justice, comme des citoyens ou des institutions ont pu l'être par des organes de presse.
Comment concilier les droits de la presse à informer librement, en recueillant ses propres sources, sans pour autant fragiliser la justice dans ses missions, qui sont de protéger l'ensemble de la société et chaque individu ?
La question était de savoir comment déterminer la protection convenable de la libre information en démocratie quand la mission de l'informateur, la presse, s'oppose aux intérêts de la société, ou à un secret partagé – secret de l'instruction ou secret d'initiés, par exemple.
Si la presse ne peut être placée au-dessus des lois, la protection de ses sources est un enjeu démocratique.
Depuis longtemps, les journalistes souhaitent une évolution de la législation, pour tendre à mieux protéger la confidentialité de l'origine de leurs sources. Leurs représentants avancent « le droit et l'obligation au respect de la confidentialité sur l'origine de ses informations, sans exception et sans possibilité de contrainte ». Ils demandent que « tout journaliste entendu à quelque titre que ce soit sur des informations recueillies dans l'exercice de son activité [puisse] ne pas en révéler l'origine » et que « nul ne [puisse] prendre des dispositions afin de l'y contraindre ».
Le Président de la République, Nicolas Sarkozy, déclarait ceci lors de la première conférence de presse qu'il a tenue après son élection : « Un journaliste digne de ce nom ne donne pas ses sources. Chacun doit le comprendre, chacun doit l'accepter. »
Ce texte parvient-il à répondre à de tels enjeux ? Je pense que non. En voici les raisons.
Si le principe de la protection du secret des sources des journalistes est reconnu par le projet de loi, son article 2 lui donne des limites qui en relativisent singulièrement la portée générale.
Ainsi, il est stipulé que cette protection ne s'applique que si elle doit « permettre l'information du public sur des questions d'intérêt général ». Cette formule laisse ouverte toute possibilité d'appréciation par la puissance publique de la qualité de l'information, y compris en fonction de son propre intérêt ou de ceux qu'elle entend spécifiquement protéger...
Qui plus est, l'atteinte à la protection du secret devient possible, en particulier dans le cadre d'une procédure pénale.
Aussi, la protection accordée devient très incertaine. Elle ne jouera pas, faute de défense d'intérêt général, dans des affaires dites privées, comme l'affaire du SMS qui aurait pu être adressé à Cécilia Sarkozy, ou encore dans les affaires commerciales, qui peuvent pourtant avoir de grands retentissements sur la société dans son ensemble.
À l'inverse, en raison de la sensibilité d'une affaire d'État, comme l'affaire des fichiers Clearstream, l'intérêt général pourrait continuer d'être invoqué pour gêner le travail d'investigation des journalistes, tout comme l'est aujourd'hui le « secret défense » dans l'affaire Guillaume Dasquié, qui est actuellement en cours d'examen par la chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris – celle-ci doit l'examiner, à huis clos, le 26 juin prochain –, et qui concerne des informations publiées dans le journal Le Monde le 17 avril 2007.
En outre, ce texte ne visant a priori que les affaires pénales, on pourrait craindre que les atteintes au secret des sources puissent ne pas être exceptionnelles dans des procédures autres que pénales, par exemple une enquête administrative.
De manière tout aussi problématique, nous pouvons déplorer une définition équivoque du journaliste protégé. Il doit être un professionnel, ce qui exclurait la protection des journalistes sans carte, des stagiaires et des rédacteurs occasionnels, notamment de certains éditorialistes exerçant une autre profession, par exemple des magistrats, des fonctionnaires, des élus, des médecins, etc.
Quid, également, des opérateurs de télécommunications, qui ne sont évidemment pas des journalistes, mais qui peuvent détenir de précieux renseignements concernant les communications données ou reçues par des journalistes ? Pourront-ils refuser de communiquer un état des communications du journaliste concerné ?
Dans la définition actuelle du statut de journaliste, il convient que celui-ci perçoive une rémunération régulière. Se pose donc la question du journaliste indépendant, du journaliste par ailleurs auteur d'ouvrages, ou même du journaliste pigiste qui exerce son métier à titre occasionnel dans la presse écrite ou dans les médias en ligne.
Quant aux garanties apportées par le texte dans le domaine des perquisitions, on peut noter quelques progrès sensibles, sauf en ce qui concerne la présence sur les lieux du procureur ou du magistrat instructeur, plutôt que du juge des libertés... Car comment protéger un secret s'il tombe directement sous les yeux des personnes intéressées ?
S'agissant de la procédure permettant au journaliste de contester devant le juge des libertés et de la détention la régularité de la saisie d'un document, elle ne semble pas susceptible d'appel. Et même si le bien-fondé de cette contestation est reconnu par le magistrat, cette procédure n'aura pas empêché les autorités enquêtrices d'avoir eu éventuellement accès à la source, cette protection intervenant alors trop tard pour ce qui concerne la sauvegarde du secret des sources !
Ce texte, en définitive, laisse intacte toute possibilité pour la justice d'incriminer un journaliste pour « faux et usage de faux », ou, bien entendu, pour « recel de violation du secret de l'instruction », ce qui permettra alors aux enquêteurs de chercher ce qu'ils voulaient savoir en matière de sources, même si, a posteriori, le délit s'avère ne pas être constitué !
Ne pas traiter cette question, c'est menacer un pan entier de la protection des sources des journalistes. Or tel semble pourtant le choix du Gouvernement. Madame la garde des sceaux, le 10 février, sur Europe 1, vous avez été claire à ce propos, puisque vous déclariez ceci : « Nous sommes sur la protection des sources s'agissant de la révélation de l'origine d'une information, pas de la révélation d'une calomnie, d'une contre-vérité ou d'un mensonge. » Voilà qui est révélateur de la véritable volonté du Gouvernement en matière de protection des journalistes, et qui est de nature à maintenir une inquisition permanente sur les journalistes et leurs collaborateurs.
Toute vérité qui ne serait pas « labellisée officiellement » serait vite considérée comme un soupçon de calomnie, une contre-vérité ou un mensonge, et laisserait s'opérer des pratiques encore en vigueur aujourd'hui, en dehors de toute décision de justice, qui seule devrait pouvoir déterminer la calomnie ou le mensonge.
Pour toutes ces raisons, ce texte est loin de nous satisfaire, malgré quelques-unes de ses dispositions. Et il est loin de satisfaire l'ensemble des intéressés. Nous devons lui manifester notre opposition, en raison de ses ambiguïtés, de ses imprécisions, ou en raison de la part trop belle laissée aux pouvoirs publics dans l'appréciation des méthodes de travail de la presse.
Il est dommage de passer à coté d'une occasion de rénover véritablement notre droit en ce domaine, comme ont su le faire nos voisins belges, par exemple.
Toutes les pratiques du pouvoir en place qui ont cours aujourd'hui pour tenir le plus possible la presse avec une muselière,…
…à entendre les déclarations du Président de la République et de certains porte-parole du parti majoritaire, aboutissent en fait à ce texte. Il ne peut y avoir consensus, comme l'a souhaité notre collègue Hunault, tant que de tels comportements perdureront.
Nous ne sommes évidemment pas satisfaits de votre projet de loi, et nous voterons contre, en espérant des jours meilleurs pour garantir une réelle protection des sources des journalistes et pour assurer la liberté de la presse, laquelle, encore une fois, est au fondement de notre démocratie.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est en aparté, « en off », quand le micro est éteint et le crayon posé sur la table, que nous avons tous et toutes eu l'occasion d'écouter les plaintes des journalistes, leurs inquiétudes, et même parfois leur désillusion sur un métier qui n'est plus tout à fait ce dont ils avaient pu rêver.
Bien évidemment, on n'en est plus, en France, à se battre pour les principes : la liberté d'expression et la liberté de la presse font depuis longtemps partie de notre patrimoine politique commun. Mais si ce socle de libertés est des plus solide, les problèmes n'en sont pas moins nombreux.
Tous les conflits de ces dernières années, aux Échos, à Libération, au Monde, tous portent les mêmes craintes et les mêmes exigences.
Ils portent les craintes d'une presse contrôlée, non plus par l'État, mais par de grands groupes privés – Dassault, Lagardère, Bouygues, Bolloré –, souvent liés à l'industrie de l'armement, et souvent, aussi, des obligés du pouvoir d'État.
Ils portent les craintes d'une trop grande dépendance éditoriale à l'égard de leurs actionnaires et de leurs annonceurs, qui pourrait être le prélude de nouvelles formes de censure.
Ils portent les craintes d'un pluralisme meurtri sous les coups que lui portent la concentration de ces groupes de presse, la définition de nouvelles règles de distribution, le renchérissement du coût de l'information.
Derrière ces craintes, il y a des exigences, de fortes exigences, pour que notre pays devienne une démocratie en tout point exemplaire, et pour que le métier de journaliste y devienne celui d'un ambassadeur de la liberté, de l'esprit critique, de l'intelligence. Le chantier est énorme.
Aussi, je ne peux que me féliciter de constater l'ouverture des travaux sur un point certes mineur : la protection du secret des sources des journalistes. Mineur mais essentiel !
Mais si j'ai pu me satisfaire du principe du dépôt du projet de loi, ma satisfaction est retombée quand j'ai lu le texte du Gouvernement.
En effet, le texte que vous nous présentez, madame la ministre, souffre d'une bien trop grande imprécision. En l'état actuel, disent certains, il serait même dénué de toute portée juridique. Il risquerait d'être un coup d'épée dans l'eau, disent d'autres, si nous n'avions la possibilité de l'amender largement.
J'espère donc – et le travail de la commission des lois peut éventuellement nous y encourager – que notre assemblée saura donner à ce texte la force qui devrait être la sienne, ce qu'attendent toutes les organisations syndicales de journalistes, le SNJ, le SNJ-CGT et l'USJ-CFDT.
Nous parlons de liberté, de liberté d'informer, de liberté d'expression, de liberté de la presse. Ces mots ne sont pas neutres. Ce sont des mots pour lesquels, aujourd'hui encore, sur tous les continents de notre planète, on peut être emprisonné, ou mourir.
Ils méritent donc respect et solennité, c'est-à-dire ce qui fait défaut au premier alinéa de l'article que vous voulez ajouter à la loi ô combien symbolique du 29 juillet 1881, cette grande loi d'une République enfin libérée des turpitudes monarchistes, cette grande loi d'une République alors suffisamment assise pour faire vivre les libertés ! Aussi, nous souhaiterions vraiment que notre assemblée donne à cet alinéa la hauteur qui devrait être la sienne.
Bien sûr, j'entends bien que la protection du secret des sources ne peut aller contre la progression d'une enquête anti-terroriste. Personne ne le demande, d'ailleurs. Et j'imagine mal un journaliste, sachant proche la survenue d'un attentat, cacher ses informations à la police. Car les journalistes sont aussi, avant tout, des citoyens responsables.
Mais les notions d'intérêt impérieux et de lutte contre le terrorisme sont loin d'être synonymes. Et les entorses possibles au principe de protection du secret des sources devraient donc être bien plus strictement limitées.
Ces dernières années, la justice a voulu enfreindre le secret des sources des journalistes : l'année dernière au sujet de l'affaire Clearstream, avec une perquisition au Canard enchaîné, en 2004 dans le cadre de l'affaire de dopage Cofidis, avec une perquisition au Point et à L'Équipe, c'est-à-dire dans des affaires menaçant d'abord des intérêts financiers ou personnels, mais dont rien ne nous dit aujourd'hui qu'ils ne pourraient être considérés, demain, comme « impérieux ». D'où la nécessité de poursuivre le travail de la commission.
Je crois d'ailleurs, madame la ministre, ne pas être seul de cet avis. Avec la mesure que lui impose sa fonction, c'est à peu près le même message que vous a adressé M. le rapporteur. Ses amendements adoptés en commission des lois ont d'ailleurs permis de sensibles avancées sur ce point, qui auront évidemment notre soutien.
Autre sujet d'inquiétude, la réécriture proposée du code de procédure pénale n'est qu'une invitation faite au juge de rester mesuré dans ces atteintes aux droits des journalistes. Aucune limite claire ne lui est posée dans le texte initial. Aucune référence n'est faite au principe pourtant déjà étriqué de protection du secret des sources que nous souhaitons tous et toutes introduire dans la loi sur la liberté de la presse. Vous prenez ainsi le risque de casser toute concordance entre cette loi et celle encadrant les pouvoirs du juge, le risque d'enlever toute effectivité pratique à la protection du secret des sources.
Là encore, j'ai pu constater que la commission des lois partageait ces craintes et avait amendé, dans un sens qui nous convient, ces parties sensibles du projet de loi. J'espère que notre assemblée saura reprendre à son compte les progrès qui ont été proposés en commission.
Malgré toutes les améliorations apportées en commission, nous n'en avons pas terminé avec ces imprécisions, qui risquent, au quotidien, d'altérer les principes que nous allons voter ce soir, en laissant à la seule appréciation des juges l'arbitrage entre la protection de ce secret et la vitesse de progression de leurs investigations – dans le sens que l'on imagine, évidemment.
Aucune disposition n'est prévue pour préciser la notion de « source », ouvrant évidemment la porte à une interprétation particulièrement restrictive de ce terme. Cette définition n'est pourtant pas si difficile à trouver. En 2000, le Conseil des ministres du Conseil de l'Europe en a adopté une, particulièrement claire et complète. Je n'ose imaginer que l'État français ait oublié son engagement ou même renié sa parole.
Et puis, madame la ministre, il y a ces sources dont votre texte ne parle pas. Votre projet de loi concerne le journalisme d'investigation. Je ne m'en plaindrai pas, tant ce journalisme mérite d'attentions, d'encouragements et de lettres de noblesse. Ces sources, qui sont l'outil de travail quotidien de tous les autres journalistes, méritent tout autant d'être protégées, parce qu'elles sont, elles aussi, fragilisées.
Je pense évidemment au devenir de l'Agence France-Presse, dont le maillage territorial, en France et dans le monde, se réduit au fur et à mesure que grandissent les préoccupations financières dans la gestion de ce groupe. Je pense aux risques croissants d'une information toujours plus uniformisée et limitée à ce que l'air du temps peut définir d'essentiel. Je pense aux projets non assumés d'une possible « évolution du statut de l'agence », pour reprendre les termes de son président – en clair, sa privatisation et sa soumission grandissante à d'autres impératifs que ses impératifs légaux d'information « complète et objective ».
Au-delà des déclarations d'intention de protection des sources des journalistes, beaucoup d'entre eux attendent des actes, comme l'engagement de votre gouvernement à préserver le statut de l'AFP et à lui donner les moyens d'assurer pleinement sa mission. C'est aussi de cette façon que l'on garantit la liberté d'information, le pluralisme dans les médias et, finalement, aussi toute la richesse d'une démocratie.
En conclusion, madame la ministre, vous aurez compris toute la détermination de mon groupe à garantir le droit et la liberté d'information dans notre pays et notre inquiétude devant le projet de loi que vous nous présentez. D'autres partagent notre détermination sur tous les bancs de cette assemblée, ce dont je me félicite. Je souhaite que nos débats permettent d'avancer et de résoudre positivement les difficultés importantes que nous avons soulignées et que, au nom de notre groupe, M. Mamère a longuement évoquées. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous étudions ne protège pas une profession, quasi sacralisée par certains, il garantit un principe fondamental de la démocratie : la liberté d'expression. Il faudrait dire : la liberté de communication, c'est-à-dire à la fois la liberté d'opinion de l'émetteur, mais aussi la liberté d'information du récepteur. C'est cette liberté-là que l'on garantit en protégeant les sources.
La démocratie exige à la fois que l'opinion ne soit pas entravée par des idéologies dominantes et que l'information du citoyen ne soit pas déformée par des pouvoirs attachés à protéger une opacité qui les renforce.
La transparence, ce que Guizot, ce grand ministre conservateur, appelait la « nécessité de publicité des affaires publiques », est une condition de la démocratie. La protection des sources de celui qui informe est, d'une manière un peu paradoxale, la condition de la transparence.
Un Président de la République fort soucieux quant à lui d'être informé par tous les moyens avait employé l'expression de « chiens » à l'encontre des journalistes. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme a depuis rectifié : ce sont les « chiens de garde de la démocratie ». Ce rôle est parfaitement joué lorsqu'un journaliste d'investigation révèle au public une information sur un dysfonctionnement des pouvoirs publics ou sur les errements d'une quelconque puissance. Cette révélation présente un intérêt général puisqu'elle permet d'améliorer le fonctionnement même de la société, voire de protéger le pouvoir contre lui-même, et il est logique que la source des informations soit mise à l'abri des pressions, voire des représailles.
Mais le chien de garde – ne soyons pas naïfs – n'est pas un archange. J'ai été frappé, monsieur le rapporteur, lors des auditions, par la méfiance qui s'est manifestée le plus souvent à l'encontre de la notion d'intérêt général. Beaucoup en ont souligné le caractère trop vague. Cette notion est pourtant invoquée par la jurisprudence européenne, notamment dans l'arrêt Fressoz et Roire cFrance. Je ne pense pas que cette contestation soit valable, et cela pour deux raisons.
D'abord, parce que la loi doit toujours être assez large pour qu'à la légalité du Parlement puisse succéder l'équité des tribunaux.
Ensuite, et surtout, parce que ce qui s'oppose à l'intérêt général, c'est l'intérêt particulier. Or le journaliste est le plus souvent lié à des intérêts particuliers : sa carrière, ses préférences idéologiques, les groupes de presse, monsieur Muzeau, qui l'emploient, le tirage, l'audimat. C'est tellement vrai qu'une directive européenne du 24 décembre 2003 vise à ce que les journalistes financiers respectent un souci de grande transparence lorsque leurs informations sont de nature à entraîner des mouvements boursiers. Cette perspective ne me paraît nullement en contradiction avec l'exigence de notre texte. Celle-ci réside avant tout dans la transparence des pouvoirs en démocratie, y compris la transparence du pouvoir de la presse elle-même.
Il est bon, par exemple, qu'un journaliste d'investigation puisse souligner l'aveuglement de certains de ses confrères. Je pense notamment au livre Génération Battisti, ils ne voulaient pas savoir.
C'est pourquoi la norme utilisée par la CEDH me paraît très judicieuse pour encadrer le texte. Il s'agit de « l'impératif prépondérant d'intérêt public ». La protection des sources est ainsi limitée dans la mesure où un intérêt public incontournable l'emporte sur elle : l'intégrité physique et, a fortiori, la vie d'une personne, sa dignité morale, la sécurité nationale me paraissent être des exemples pertinents.
L'article 10 de la Convention européenne des Droits de l'homme donne une liste plus large – vous l'avez rappelé tout à l'heure, madame la ministre. La protection doit donc être essentielle dans son principe, mais ne doit pas être absolue dans son application. Ce ne doit pas être un secret professionnel à la manière des pays scandinaves. Il ne doit pas s'agir d'une obligation de se taire, mais d'un droit limité par des exigences d'intérêt public. Mais ce principe, s'il n'est pas absolu, demeure essentiel.
Si d'autres moyens que la divulgation des sources permettent d'obtenir les mêmes résultats conformes à l'intérêt public, ils doivent être privilégiés. C'est ce que prévoit la loi belge, à laquelle il a été fait allusion à plusieurs reprises. Cependant, la loi belge restreint beaucoup trop le champ d'application, notamment pour le cas d'enlèvement, évoqué tout à l'heure.
La protection doit être générale dans ses moyens. Pour cela, elle doit englober tous ceux qui concourent à l'information du public, même s'ils ne sont pas professionnellement journalistes, et tous ceux qui collaborent à l'exercice de cette activité, ainsi que tous les locaux et moyens matériels utilisés.
Le texte qui nous est proposé vise à l'équilibre entre les principes et les valeurs d'abord, mais aussi entre ces deux pouvoirs, qui, rappelons-le, n'en sont pas : le « quatrième pouvoir », dont parlait Burke – la presse –, et l'autorité judiciaire. C'est au pouvoir législatif – héritier de la fonction tribunicienne, et donc de la plus ancienne et de la plus fondamentale des libertés d'expression, que certains, ici, osent contester, comme Mme Filippetti –, pouvoir législatif qui est l'émanation de la volonté générale exprimée par l'élection, qu'il appartient de fixer les limites entre l'investigation journalistique et l'enquête judiciaire.
Les objectifs complémentaires de la loi seront d'ailleurs d'autant mieux atteints qu'ils seront également intégrés à l'éthique des professions concernées. La recherche de la vérité et celle du bien commun doivent être les piliers d'une véritable info-éthique, aussi utile que la bio-éthique au monde d'aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi trouve sûrement sa source dans une succession d'affaires contre des journalistes, que, franchement, on aurait préféré ne pas connaître dans notre démocratie.
Rappelez-vous les perquisitions aux sièges du Parisien, de L'Équipe, du Point, du Canard enchaîné – j'en oublie, et même des plus récentes.
Derrière la protection du secret des sources des journalistes, c'est en réalité le respect de la liberté d'information qui est concerné et mis à mal.
La France a d'ailleurs été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l'homme pour des poursuites qu'elle avait engagées contre des journalistes – pas plus tard qu'en juillet 2007 !
Oui, il était grand temps de se mettre en règle avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme !
Oui, il était grand temps d'inscrire comme principe le droit pour le journaliste à la protection du secret de ses sources ! Car, contrairement à nos voisins Belges, nous sommes, sur ce sujet, de très mauvais élèves. Et vous le savez pertinemment.
Devant cette situation, un projet de loi nous est aujourd'hui soumis. Sur le principe, on peut évidemment s'en satisfaire. Il faut effectivement légiférer sur ce sujet.
Malheureusement, mes chers collègues, si ce texte peut apparaître comme une avancée, celle-ci est à l'évidence très insuffisante. Je ne peux m'empêcher de craindre un texte plutôt opportuniste. Comme tout texte plutôt opportuniste, qui cherche à redorer hâtivement un blason, colmater brièvement des brèches, il reste, « au bout du bout », malgré les apparences, un texte assez flou, trop approximatif et très facilement contournable.
Je pense, madame la ministre, que, quitte à vous saisir du sujet – et c'est tout à votre honneur –, vous auriez pu être plus volontariste et nous soumettre un texte plus ambitieux, conforme à la demande légitime des journalistes. Au lieu de cela, notre démocratie se limite, avec ce projet de loi, au strict nécessaire, alors que la loi belge, je le répète, est beaucoup plus ambitieuse.
Vous auriez pu et dû aller beaucoup plus loin dans le respect et la protection de la liberté d'information, et surtout y aller sans une accumulation excessive d'ambiguïtés qui nous laisse douter de votre réelle volonté.
Le texte que vous nous soumettez comporte trop d'imprécisions significatives, trop de restrictions fâcheuses. Je citerai quelques exemples.
D'abord, une définition équivoque du journaliste protégé. La protection ne concerne que les journalistes professionnels tels que les définit le code du travail. Quelle protection existe pour les collaborateurs réguliers ou occasionnels du journaliste, les pigistes, les opérateurs de télécommunications eux aussi détenteurs d'informations sur la source des informations ?
Ensuite et surtout, madame la ministre, vous ne nous donnez aucune garantie – et c'est peut-être le plus grave – en ce qui concerne les incriminations de faux et d'usage de faux, ou de recel de violation du secret de l'instruction. Il suffirait d'une commission rogatoire invoquant ces infractions pour procéder à une saisie de documents, d'ordinateurs, etc. Les poursuites pour recel de violation du secret de l'instruction seront toujours susceptibles d'être menées contre les journalistes dans le cas des enquêtes judiciaires.
Enfin, en ce qui concerne les lieux protégés, la restriction au bureau et au domicile est insuffisante. Elle ne s'étend pas à tous les lieux où peuvent être stockées des informations, et l'on sait qu'ils sont particulièrement nombreux.
Le magistrat chargé de la protection des sources est aussi celui qui réclame pour son enquête les documents du journaliste. Le magistrat est en quelque sorte – je l'ai dit tout à l'heure – « juge et partie ».
Comment est-il possible, madame la ministre, que vous n'envisagiez pas la question du recours ?
Vous n'abordez pas non plus de façon assez claire la protection des sources du journaliste sur le Net. La fiabilité de ces « zones » n'est pas égale. Elle mérite une attention différente et toute particulière.
Pour ces raisons – et pour d'autres, qui ont déjà été évoquées –, ce texte est encore très loin de garantir une véritable efficacité au principe de la protection du secret des sources des journalistes.
Je crains qu'il n'organise davantage les modalités de son contournement. Je pense même que vous vous gardez la possibilité, pour les cas où vous le souhaiterez, de faire machine arrière.
Ce texte ne répond pas pleinement à toute la confidentialité sur l'origine des informations, c'est-à-dire une confidentialité sans exception et sans possibilité de contrainte. Si, d'aventure, il fallait prévoir de très rares exceptions, définissez-les clairement, ouvertement et encadrez-les strictement ! C'est la seule condition pour éviter toute approche arbitraire.
Madame la garde des sceaux, vous donnez aux syndicats de journalistes toutes les raisons de penser que ce texte, en demi-teintes, ne constitue pas une avancée suffisante pour leur profession.
Je le répète, vous laissez, judicieusement et judiciairement, les portes entrebâillées pour contourner, quand bon vous semblera, la protection du secret des sources.
Vous vous êtes privée, volontairement ou non, de la possibilité de faire de ce projet de loi un texte ambitieux, volontariste pour servir les enjeux démocratiques auxquels participent les journalistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte que nous avons à examiner ce soir revêt un caractère d'une grande importance dans une société où les médias sont omniprésents. La question est de savoir dans quelles conditions nous souhaitons que les journalistes exercent leur tâche. Le texte proposé a le mérite d'exister et de tenter de combler un vide juridique. Néanmoins, comme nous l'avons déjà dit, il est très largement imparfait et comporte de trop nombreuses imprécisions.
Ce n'est pas au plan juridique que je souhaite ramener le débat – d'autres que moi l'ont fait et d'autres le feront – mais au plan linguistique, car les mots – matière même du journalisme – ont un sens. Permettez-moi donc dans un premier temps de tenter une analyse sémantique de ce projet de loi – de quelques expressions du moins – dont la lecture a suscité chez moi de nombreuses interrogations.
Comment définir précisément des expressions comme « questions d'intérêt général », « lorsqu'un intérêt impérieux l'impose » ou « particulière gravité » ? À quoi font-elles référence ?
« Questions d'intérêt général » tout d'abord : qu'est-ce que l'intérêt général ? C'est ce qui détermine la finalité et fonde la légitimité de l'action publique, ce qui supplante le bien commun. C'est une conception volontariste de la démocratie.
L'intérêt général se situe, depuis plus de deux cents ans, au coeur de la pensée politique et juridique française, en tant que finalité ultime de l'action publique. Il occupe une place centrale dans la construction du droit public. L'intérêt général permet de conférer à la puissance publique des prérogatives exorbitantes.
Ainsi, le journaliste se trouverait au service de l'intérêt général et de la collectivité. On peut supposer que, dès lors qu'il n'exerce plus au service de la collectivité, il n'a pas lieu d'être protégé dans l'exercice de ses fonctions.
Ma deuxième interrogation porte sur la formule « lorsqu'un intérêt impérieux l'impose ». Elle renvoie à l'idée de danger, de faits graves. Mais elle n'a pas de fondement juridique, ce qui pose un problème majeur pour un texte de loi. Dès lors, le magistrat chargé de mettre en oeuvre la loi utilisera, pour juger les faits, son libre arbitre et sa propre conception des choses, variable donc. La protection reposant sur des interprétations reste donc incertaine, voire hypothétique.
Ma troisième interrogation porte sur l'expression « particulière gravité ». Qu'est-ce que la gravité ? Mon collègue Noël Mamère a invoqué le latin. Tout le monde sait que gravis signifie lourd, pénible, grave, sérieux. Là encore, tout est question d'interprétation.
Des termes vagues et flous permettront une interprétation personnelle et subjective en fonction du moment. Ainsi, des sources seront divulguées alors qu'il n'y a pas lieu qu'elles le soient. La protection ne pourrait jouer, faute de défense de l'intérêt général, dans les affaires privées ou commerciales, par exemple.
M. le rapporteur a proposé plusieurs amendements qui permettent de corriger en partie ces imperfections ; il nous faut les examiner avec une attention toute particulière.
Toujours, dans un souci de précision, il m'apparaît important que nous réfléchissions à ce que nous devons protéger.
Mon propos n'a pas pour objet de discuter des conditions dans lesquelles le secret pourra être levé – mes collègues socialistes se sont déjà largement exprimés là-dessus. Il nous faut impérativement définir ce que nous devons protéger. Est-ce le journaliste, en tant que personne, ou ses propres sources ?
L'arrêt Goodwin du 27 mars 1996 rendu par la Cour européenne consacre le principe de la protection des sources journalistiques. Il rappelle que la liberté d'expression est – comme nous en sommes tous d'accord – l'un des fondements essentiels d'une société démocratique, et que les garanties à apporter à la presse revêtent une importance particulière. La protection des sources des journalistes demeure l'élément fondamental pour rendre effective cette liberté de la presse. En effet, l'absence de protection pourrait dissuader les personnes détentrices d'informations d'aider la presse. Or, on le sait, le journalisme d'investigation a permis de faire émerger de nombreux scandales contemporains de corruption au niveau local, l'affaire Clearstream étant le plus marquant peut-être.
Ainsi, il est nécessaire de garantir une certaine sécurité – une sécurité certaine, devrais-je dire – aux journalistes afin qu'ils continuent à nous fournir des informations précises et fiables. La société a le droit d'être convenablement informée. Attention toutefois à ne pas confondre : je ne parle pas de la divulgation d'informations privées en toute impunité ! La vie privée de chacun est une affaire personnelle et personne ne doit être autorisé à y fouiller, sans y avoir été autorisé.
Le projet de loi qui nous est ici proposé n'est pas à la hauteur de la réglementation européenne, il est même très en deçà. La définition du journaliste protégé est très large et pose donc problème.
Je cite l'article 1er, alinéa 6 : « Est considérée comme journaliste, au sens du premier alinéa, toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse ou de communication au public par voie électronique, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil et la diffusion d'informations au public. »
Cette définition renvoie en partie à l'article L. 761-2 du code du travail, qui dispose que le journaliste professionnel est celui qui a « pour occupation principale, régulière et rétribuée l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques, ou dans une ou plusieurs agences de presse, et qui en tire le principal de ses ressources ».
Ces définitions laissent de côté un bon nombre de personnes qui pratiquent une activité journalistique mais qui n'ont pas forcement la carte de presse. Je pense notamment aux correspondants de presse régionale, aux écrivains-journalistes occasionnels qui dévoilent des scandales, aux pigistes. Pourquoi ces personnes n'auraient-elles pas aussi le droit à la protection de leurs sources, puisqu'elles participent à l'information du public ?
Toutefois, la réflexion ne s'achève pas là. En effet, il ne faut pas envisager l'activité journalistique en se référant à la personne identifiée qu'est le journaliste, mais bien comme un réseau de professionnels. Ne faut-il pas protéger les collaborateurs des journalistes qui ont accès aux sources et qui participent au travail d'investigation ? Les opérateurs de télécommunications détiennent eux aussi des informations. Ont-ils le droit de ne pas les communiquer ? Sans protection juridique, ne deviennent-ils pas un moyen de lever le secret des sources ?
Ainsi, vous l'aurez compris, l'enjeu n'est pas la protection des personnes, mais la protection des sources. Pour les socialistes, toutes les personnes ayant accès aux sources doivent être protégées et ne pas être inquiétées si elles refusent de communiquer leurs sources. Il faut penser la « source » comme un objet indépendant, juridiquement protégé, et non comme la propriété d'une personne qui serait dotée d'une protection.
Maintenir le projet de loi en l'état actuel, c'est ouvrir la porte à des dérives importantes. Notre rôle de législateur est de poser des garde-fous. Ici, le garde-fou proposé par les socialistes, consiste à donner une définition large, mais précise, des personnes bénéficiant de la protection des sources. Ainsi, toute personne, y compris les directeurs de publication et les collaborateurs contribuant à la collecte, à la rédaction, à la production, au stockage et à la diffusion d'informations par le biais d'un média, serait protégée, garantissant le secret total des sources journalistiques.
La protection du secret des sources journalistiques mérite des précisions, qui, seules, seront garantes de sa mise en application. Sans ces précisions, sans ces garanties, nous ne pourrons pas voter le projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je souhaite tout d'abord remercier le président Warsmann et Étienne Blanc, votre rapporteur, qui ont permis à votre commission des lois de réaliser un travail d'une très grande qualité. La commission a parfaitement traduit l'exigence d'équilibre qui doit guider le législateur lorsqu'il traite de sujets touchant aux libertés publiques, comme la liberté de la presse.
Avant de répondre aux différents intervenants, je ferai d'abord un certain nombre d'observations.
Je suis un peu surprise par la vivacité des critiques de l'opposition. Je m'étonne que l'avancée sans équivalent que constitue ce texte ne soit pas reconnue sur tous les bancs. En vous présentant ce projet de loi, j'ai rappelé les avancées extrêmement timides de la loi Vauzelle, évoquée tout à l'heure par M. Mamère, laquelle n'a introduit, pour le journaliste, que le droit de se taire devant le juge d'instruction, uniquement en qualité de témoin. Entre 1997 et 2002, la majorité socialiste n'a jamais cru opportun de compléter la loi de 1993, alors que l'arrêt Goodwin de 1996 consacrait la nécessité de protéger les sources. Jamais, entre 1997 et 2002, cette loi n'a été complétée.
Mais c'est la réalité !
Entre 1997 et 2002, vous ne l'avez pas fait alors même que vous disposiez des moyens juridiques, puisque l'arrêt allait dans ce sens.
Laissez Mme la garde des sceaux s'exprimer ! Elle ne vous provoque pas : elle répond aux orateurs.
Loin de moi l'idée de vous provoquer, monsieur le député. Je me contente de rappeler une réalité. Je constate que vous n'avez jamais tenu l'engagement que vous aviez pris entre 1997 et 2002.
Pour notre part, à cette époque, nous n'avions pas pris d'engagement en ce sens.
Je répondrai plus précisément à chacun des orateurs.
À vous écouter ce texte ne constitue pas une avancée, et selon Mme Filippetti, il s'agirait même d'une régression !
Première avancée : la protection des sources devient un principe général du droit. Vous n'en voulez pas. Nous le consacrons juridiquement dans un texte fondateur sur la liberté de la presse comme un principe général du droit.
Deuxième avancée : à tous les stades de la procédure – et vous ne l'avez pas fait, je le répète –, le journaliste aura le droit de se taire. Il pourra invoquer la protection des sources à tous les stades de la procédure sans craindre une quelconque sanction, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent puisque, en se taisant, il pouvait encourir une amende de 3 750 euros.
Troisième avancée : ce texte crée des garanties nouvelles pour les journalistes en cas de perquisition. Vous avez fait valoir, madame Got, qu'il n'y avait en fait aucune garantie à ce sujet.
Le journaliste pourra, si le magistrat souhaite saisir une pièce, invoquer la protection des sources et celui-ci ne pourra pas saisir la pièce.
Cela se passera sous le contrôle du juge de la liberté et de la détention.
Non, dans le cadre de la perquisition : le magistrat ne pourra rien saisir si le journaliste invoque la protection des sources, et la pièce sera placée sous scellés.
Le magistrat ne pourra pas l'utiliser. Dans le cas contraire, cela entraînera la nullité de l'acte ou de la procédure.
Avancée supplémentaire, les garanties en termes de perquisition seront supérieures à celles des avocats : le journaliste pourra, en effet, s'opposer à une saisie, ce qui ne peut pas être le cas d'un avocat.
La quatrième avancée concerne les écoutes téléphoniques – en la matière, vous avez une petite expérience (Sourires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) –...
Nous souhaitons un réel contrôle dans ce domaine et une vraie garantie pour protéger le journaliste. Certains on dit qu'il ne fallait pas les limiter dans le cas des procédures judiciaires. Nous ne les limitons pas ! Il y a deux types d'écoutes : des écoutes judiciaires, sous le contrôle de la chambre d'instruction, et des écoutes administratives, sous le contrôle de la Commission nationale des interceptions de sécurité. Une atteinte disproportionnée à la protection des sources conduira immanquablement à la nullité de la procédure s'il s'agit d'écoutes judiciaires ou à des poursuites, s'il s'agit d'écoutes administratives.
Cinquième avancée, et non des moindres : toute atteinte à la protection des sources entraînera une nullité de la procédure ou de l'acte. Jamais notre législation n'était allée aussi loin s'agissant des journalistes. Contrairement à vous, et comme dans tous les États de droit, nous avons confiance en la justice, en les magistrats ainsi qu'en la liberté de la presse. M. Mamère parlait des nombreuses promesses faites par le Président de la République pendant la campagne présidentielle. Eh bien ! nous tenons tous les engagements pris.
Il est sûr que, lorsque l'on ne fait pas de promesses et que l'on ne prend pas d'engagements, on n'est pas comptable de grand-chose. Et les Français l'ont bien compris puisqu'ils ne vous ont pas élus !
Ça se saurait si les municipales et les présidentielles, c'était la même chose !
Je remercie M. Hunault – qui est parti – pour son soutien. Nous partageons sa préoccupation : il faudra encadrer clairement les limites posées au secret des sources. Les amendements de la commission répondent d'ailleurs à cette attente et je serai attentive à toutes les propositions d'amélioration formulées dans le cadre de ce débat.
Patrice Debray a, quant à lui, parfaitement rappelé les enjeux de ce texte et les avancées considérables qu'il fait accomplir à notre démocratie.
Enfin, Christian Vanneste a très opportunément rappelé ce que recouvrent les impératifs publics avec lesquels la liberté d'information ou, plus précisément, la liberté de communication doit se concilier dans tout État de droit. Ce rappel est fort utile avant de commencer l'examen des amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 7, du règlement.
La parole est à M. Patrick Bloche.
Trois motions de procédure, voilà ce qu'on appelle du travail constructif ! Allons-nous en : nous reviendrons pour voter !
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, qu'une initiative soit prise aujourd'hui pour assurer la protection des sources des journalistes est une bonne chose. Il faudrait donc a priori s'en réjouir. A priori seulement car, à y regarder de près, le texte proposé ici pour modifier la loi du 29 juillet 1881 ne permet pas d'atteindre les objectifs ô combien légitimes qu'il entend se donner.
Aussi son examen réclame-t-il, de notre point de vue, une réflexion plus approfondie permettant de prendre en compte, de la meilleure façon, les attentes exprimées de longue date par les journalistes, auxquels le Président de la République s'est, à plusieurs reprises, engagé à répondre de façon complète, et ce dès avant son élection.
C'est parce que cette promesse présidentielle n'est pas tenue, en l'état actuel du projet de loi, que notre groupe soumet à l'approbation de notre assemblée cette motion de renvoi en commission qui permettra, à n'en point douter, de passer enfin des discours aux actes.
Un travail législatif plus abouti consisterait pour le moins à définir la teneur que l'on entend donner au droit à la protection du secret des sources. Il s'agirait d'envisager de la façon la plus précise – et j'ajouterai : la plus prudente – les limites éventuelles qu'il convient d'y apporter. Le but, je veux le rappeler, n'est en aucun cas de créer une catégorie à part de citoyens en organisant, par le biais de la loi, la protection d'une profession parmi toutes les autres, mais bien de prévoir les modalités susceptibles de garantir l'une de nos libertés fondamentales.
La loi du 29 juillet 1881, qui institua la liberté de la presse, fait partie de ces grandes lois votées par une IIIe République naissante et qui, avec celles sur la liberté syndicale et la liberté d'association, forment les points d'ancrage de notre identité démocratique, lesquels inspirèrent souvent d'autres modèles démocratiques à travers le monde.
Cette considération donne une gravité immédiate à mon propos car force est de constater que si, autrefois, la France inspirait, elle est aujourd'hui en retard en matière de liberté de la presse du fait de la trop faible protection accordée aux sources journalistiques. Des sources qui sont pourtant au coeur même du métier de journaliste et qui forment la matière à partir de laquelle il bâtit son travail. L'on pourrait même oser une comparaison : pour un journaliste, les sources sont comme une ressource rare ; il est vital de les préserver. Notre rapporteur, dont nous voulons ici saluer le travail, a su résumer le coeur du problème en reprenant une formule on ne peut plus opportune : « Qui cite ses sources les tarit ». Se saisir des sources d'un journaliste, c'est mettre en péril la démarche d'investigation puis d'information qu'il se doit de mener librement sans contrainte et dans la durée. Disons-le, c'est remettre en cause l'un des ressorts essentiels de notre vie démocratique : la liberté d'informer.
Dans le domaine de la protection des sources journalistiques, des pays tels que la Belgique sont allés au-delà de ce que la France prévoit. La Cour européenne des droits de l'homme a, quant à elle, une jurisprudence constante : elle a consacré le principe de protection des sources d'information journalistiques, le concevant résolument comme l'« une des pierres angulaires de la liberté de la presse ». Il faut donc remarquer qu'elle est allée plus vite et surtout plus loin que la France. Notre pays a même été condamné, le 7 juin 2007, par cette juridiction, qui a estimé que la condamnation, en septembre 1998, de deux journalistes, auteurs d'un livre sur les écoutes de l'Élysée et qui avaient refusé de révéler leurs sources constituait – et les mots ici sont lourds – une violation de la liberté d'expression.
Ces mêmes mots pourraient s'avérer d'un poids insupportable si la Cour européenne faisait la démonstration de l'incapacité de notre droit à protéger les journalistes – ou, pis, de son aversion pour eux – et venait leur offrir une protection a posteriori alors que l'on assiste à une recrudescence de leurs mises en examen et à une multiplication des perquisitions visant aussi bien les rédactions que leurs membres.
Il est incontestable que, dans notre pays, une pression croissante pèse sur les journalistes. Elle génère un climat de défiance, particulièrement détestable, entre eux, la police et la justice.
Je voudrais, à titre d'illustration, rappeler deux affaires à bien des égards révélatrices.
Tout d'abord, la tentative de perquisition du 11 mai 2007 au siège du Canard enchaîné, en marge de l'enquête sur l'affaire Clearstream. L'exemple est significatif au plus haut point, car c'est en invoquant la Convention européenne des droits de l'homme, qui proscrit toute perquisition dans une entreprise de presse, que la rédaction du journal s'est opposée, pendant près de deux heures trente, à la perquisition avant que le juge ne renonce.
Deuxième affaire : celle, déjà citée, de Guillaume Dasquié. Ce journaliste indépendant a été placé en garde à vue puis mis en examen le 7 décembre 2007 pour « détention et diffusion de documents ayant le caractère d'un secret de la défense nationale », à la suite d'une plainte déposée par le ministère de la défense. Il passera dans les locaux de la direction de la surveillance du territoire trente-six heures éprouvantes, qu'il décrira ensuite en ces termes : « On m'enferme dans la cellule n° 2. Quatre mètres sur trois. Porte en verre blindé recouverte de plaques d'acier. Murs blancs, plancher gris en résine. Sur le côté, un banc en dur avec un matelas en plastique bleu. »
Des conditions qui ne sont pas seulement difficiles, mais aussi choquantes. Car le but des enquêteurs et du juge, au travers de cette opération d'intimidation – il faut bien l'appeler ainsi – était bien d'obtenir du journaliste le nom de la source qui, au sein des services de la direction générale de la sécurité extérieure, lui avait transmis la note de synthèse sur Al-Qaïda parue dans Le Monde. À l'issue de trente-six heures de menaces répétées, Guillaume Dasquié a fini par céder : « J'accepte, je m'exécute, je signe ; vingt minutes plus tard, allongé dans ma cellule, je pose la couverture sur mes yeux, pour me cacher de la caméra de surveillance : j'ai donné un nom. »
Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, est-ce là la manière dont il faut envisager les relations entre les journalistes et l'autorité judiciaire ?
Les deux cas que je viens d'évoquer démontrent combien la protection des sources est devenue une nécessité à traduire de façon urgente en termes législatifs. Il en va, en effet, de la liberté d'exercice de la profession de journaliste.
On n'a pas le droit de dire n'importe quoi non plus ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
La démarche entreprise aujourd'hui est donc souhaitable et ne doit pas s'arrêter. Pour autant, ce projet de loi, tel qu'il est formulé, ne permet pas de réformer de manière décisive les textes actuels. Faut-il voir là une volonté délibérée de mal réformer pour, finalement, ne pas réformer ? Nous ne voulons pas le croire. Y a-t-il simplement maladresse dans la construction du texte ? Nous voulons l'espérer.
L'objet de cette motion de renvoi en commission est donc d'inviter à un travail de réforme plus ambitieux qui puisse produire un texte sans ambiguïté ni approximation permettant de garantir de manière pérenne une véritable protection des sources. Le pire qui pourrait arriver en la matière serait qu'un texte mal ficelé donne l'impression trompeuse d'avoir avancé alors même que, dans son application, il ne résoudrait finalement rien par rapport aux textes actuels.
Parmi ces textes figure la loi du 4 janvier 1993, qui a introduit un deuxième alinéa dans l'article 109 du code de procédure pénale, selon lequel « tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l'exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l'origine ». Cet alinéa, présenté par M. Michel Vauzelle alors garde des sceaux, marquait déjà une avancée très significative.
Le fait est que, malgré les apparences, le droit français ne garantit pas le secret absolu des sources des journalistes, car l'on peut toujours trouver de nombreux moyens de la contourner. Les journalistes sont placés en garde à vue puis mis en examen et finalement contraints de révéler leurs sources. C'est exactement ce qui s'est passé pour Guillaume Dasquié.
De même, les dispositions plus récentes prises pour lutter contre le terrorisme peuvent venir entraver le travail des journalistes et permettre de contourner la protection des sources. Citons la loi du 18 mars 2003 qui, dans le chapitre III du titre II du livre Ier intitulé « Des contrôles, des vérifications et des relevés d'identité », autorise la fouille des véhicules des journalistes.
L'article 56-2 du code de procédure pénale permet, quant à lui, des perquisitions dans les locaux des rédactions, à condition qu'elles ne constituent pas un obstacle ou n'entraînent pas un retard injustifié à la diffusion de l'information. Dès lors, des perquisitions menées tôt le matin entrent parfaitement dans ce cadre. De plus, selon ce même article, la présence d'un magistrat n'est obligatoire que lors des perquisitions dans les locaux d'une entreprise de presse ou de communication audiovisuelle, ce qui exclut le cas des perquisitions réalisées au domicile même d'un journaliste où seule la présence d'un officier de police judiciaire est requise.
L'article 77-1-1 du code de procédure pénale autorise enfin la saisie de documents intéressant l'enquête, y compris ceux issus d'un système informatique ou d'un traitement de données nominatives. L'accord du journaliste doit certes être obtenu, mais gageons qu'il y a toujours moyen de faire pression pour y parvenir.
À l'énoncé de ces textes, l'on comprend qu'il y a urgence à mener un travail législatif qui permettrait d'aller au-delà d'une protection des journalistes qui n'est aujourd'hui qu'embryonnaire pour enfin garantir une totale protection des sources.
L'article 2 du projet de loi, proposé pour enrichir la loi du 29 juillet 1881, pourrait aller résolument dans ce sens. Il établit en effet que « le secret des sources des journalistes est protégé afin de permettre l'information du public sur des questions d'intérêt général ». Mais, comme si la protection accordée ici faisait peur, la ligne suivante s'emploie, dans un même mouvement, à aménager immédiatement des limites. En effet : il peut être porté atteinte à ce secret « lorsqu'un intérêt impérieux l'impose ».
Arrêtons-nous ici et posons un principe simple sur lequel tout le monde pourra, je le crois, s'accorder : dès lors qu'un secret ne peut pas être total, il n'est déjà plus. Ainsi, vouloir limiter de manière systématique le secret des sources, n'est-ce pas finalement ne pas vouloir le reconnaître du tout ?
Et ce d'autant plus que les limites posées sont des plus floues et sujettes à de multiples interprétations. Que recouvre précisément la notion d' « intérêt impérieux », valable d'ailleurs à la fois pour les crimes mais aussi pour les délits, ce qui ouvre par là même un éventail large de contournements ? Il faut ici comprendre que le seul juge sera finalement détenteur de la réponse.
Il paraît évident que l'on entend laisser ici à des critères subjectifs la charge de dicter où s'arrêtera le secret des sources, la conséquence immédiate et logique étant que ce qui sera jugé secret ici ne le sera peut-être pas là.
À ce titre, l'amendement adopté en commission qui prévoit de substituer à la notion « d'intérêt impérieux » celle « d'impératif prépondérant d'intérêt public », suivant en cela la notion retenue par la Cour européenne des droits de l'homme, va dans le bon sens. Il trace la voie vers l'exigence qui doit être la nôtre dans la précision des notions. Il conviendrait, pour ce qui a trait aux limites de la protection des sources, de mener un travail plus approfondi encore, permettant d'instaurer des critères objectifs.
Le texte présente une seconde faiblesse du fait de la question ambiguë de la finalité de la protection. L'article 2 dispose en effet que « le secret des sources des journalistes est protégé afin de permettre l'information du public sur des questions d'intérêt général ». Cette formulation semble laisser entendre que l'intérêt général serait, non une justification du secret des sources, mais bien une condition du secret. La charge d'apprécier l'intérêt général ou non de l'information est donc laissée à la puissance publique et de cette évaluation doit alors découler le bien-fondé d'une éventuelle protection. La formulation laisse donc planer le doute en ce qui concerne la protection des sources dans les affaires impliquant notamment des intérêts privés et laisse, là encore, place à l'interprétation.
C'est donc pour cette raison, essentielle, d'une place trop grande laissée au « vague » et à « l'interprétation », alors même que l'on voudrait instituer un principe fort, que le projet de loi ne peut nous convaincre. Il fait ici toute la démonstration de sa faiblesse et de son manque de portée. Des esprits pourraient même y voir une certaine hypocrisie dans le fait de vouloir reprendre d'une main – c'est-à-dire de limiter – ce que l'on donne de l'autre, en reconnaissant le principe du secret.
Il convient également de relever une imprécision aux implications lourdes : la définition du journaliste protégé. Le projet de loi en donne en effet une définition équivoque, en la limitant à la définition retenue par le code du travail, définition elle-même en retard par rapport à l'évolution des pratiques journalistiques. Il introduit donc une imprécision quant au bénéficiaire de la protection accordée.
S'il s'agit du seul journaliste professionnel possédant une carte de presse, se pose alors la question de la protection que l'on entend accorder aux journalistes sans carte, aux stagiaires et autres rédacteurs occasionnels. Le fait également de devoir pratiquer son métier « à titre régulier » semble, de manière identique, vouloir exclure de la protection les personnes qui publient dans les journaux à titre exceptionnel, exercent à côté d'autres professions et ne tirent pas la majorité de leurs revenus de leur activité journalistique.
Dans une même logique, les pigistes, qui sont de plus en plus nombreux et qui sont payés à la page pourraient également être exclus du champ de la protection.
Enfin, la nécessité « d'être rétribué » par une entreprise de presse ou de communication pose la question du journaliste indépendant.
En outre, il convient de remarquer qu'un journaliste travaille rarement seul. Il est entouré de collaborateurs qui peuvent également avoir accès aux sources journalistiques. Un amendement voté en commission aborde rapidement cette question en précisant qu'il ne peut être porté indirectement atteinte aux sources. Il conviendrait toutefois de définir, de manière plus précise, dans quelle mesure et vers qui la protection peut être étendue.
J'en viens maintenant à la question des perquisitions, qui est abordée à l'article 2 du projet de loi.
Tout d'abord, il convient de reconnaître une avancée : le fait que soit étendue l'obligation de la présence du magistrat aux perquisitions dans les locaux d'une entreprise de presse ou de communication audiovisuelle, mais également au domicile d'un journaliste lorsque les investigations sont liées à son activité professionnelle. Un amendement voté en commission propose également d'étendre aux véhicules professionnels le champ d'application de cette procédure spécifique de perquisition. Mais, là encore, cet apparent renforcement s'accompagne d'un recul immédiat puisque c'est au magistrat qu'est confiée la responsabilité de « veiller à ce qu'il ne soit pas porté atteinte de façon disproportionnée au secret des sources au regard de la gravité et de la nature de l'infraction recherchée ».
Une place prépondérante est de nouveau laissée au subjectif pour définir ce qui est proportionné et ce qui ne l'est pas. Certes, le journaliste aura toujours la possibilité de s'opposer à la saisie. Il incombera alors au juge des libertés et de la détention de statuer pour savoir si l'atteinte au secret des sources est proportionnée ou non avec toutes les possibilités d'appréciation qui, de nouveau, en découleront.
L'on établit parfois un parallèle, plus ou moins fondé, entre les professions d'avocat et de journaliste. Alphonse Karr, poète et journaliste lui-même, a pu, sûrement avec une pointe d'ironie, définir les journalistes comme « des avocats qui écrivent ». Ce parallèle entre les deux professions est intéressant à exploiter. Le projet de loi entend à ce titre offrir en matière de perquisition la même protection au journaliste que celle offerte à l'avocat, objectif ambitieux qui ne peut qu'emporter notre adhésion. Or, en l'espèce, l'assimilation que le projet de loi entend faire n'est pas recevable car, lors d'une perquisition, du fait même de l'organisation de sa profession, l'avocat est toujours et obligatoirement assisté par l'autorité morale que représente le bâtonnier, qui agira telle une autorité protectrice, alors que le journaliste, lui, est seul face au magistrat. Il y a peut-être là matière à réflexion.
Dans son ensemble, le présent projet de loi doit donner lieu à une réflexion plus poussée car, en l'état, il n'apporte que des avancées insuffisantes. Disons-le même clairement, cette loi ne permettra pas de remédier à la tendance néfaste que représente le contrôle croissant de l'activité journalistique par l'autorité judiciaire.
En conclusion, pour l'inciter à la réflexion, j'invite notre assemblée à faire un ultime détour par un pays voisin que nous avons été plusieurs à évoquer à cette tribune, la Belgique. Comme vous le savez, elle s'est dotée, depuis le 7 mai 2005, d'une loi qui consacre le secret des sources journalistiques comme un principe fondamental. Cette loi, constituée de sept articles, reconnaît explicitement aux journalistes le droit de se taire lorsqu'ils sont convoqués au titre de témoins. Les journalistes sont de plus explicitement protégés contre les perquisitions, les saisies et autres moyens d'investigation. Le secret des sources ne peut enfin être forcé que dans un cas précis prévu par la loi : quand ces sources sont de nature à prévenir la commission d'infractions constituant une menace grave pour l'intégrité physique d'une ou de plusieurs personnes et si les conditions cumulatives suivantes sont remplies : premièrement, si les informations demandées revêtent une importance cruciale pour la prévention de la commission de ces infractions ; deuxièmement, si les informations demandées ne peuvent être obtenues d'aucune autre manière.
Sans tout résoudre, cette loi a, depuis maintenant trois ans, amélioré notablement les relations entre la justice et la presse.
Que la France puisse à son tour et de nouveau servir d'exemple en matière de liberté de la presse, qui, pour reprendre cette jolie formule de Chateaubriand,...
..« les vaut toutes », serait un beau projet pour nous tous.
Ne nous y trompons pas ! La question qui nous mobilise aujourd'hui exige de nous bien plus que de légères retouches ou de frileux aménagements : un travail impérieux de réformes. Car en oeuvrant consciencieusement, obstinément et scrupuleusement à imaginer des solutions nouvelles pour garantir la protection des sources journalistiques, nous consoliderons dans le même temps ce fragile édifice qu'est la liberté de notre presse, fondement de notre démocratie.
Vous comprendrez, mes chers collègues, qu'en l'état le texte qui nous est proposé ne remplit pas sa haute mission. C'est pourquoi, je vous demande, au nom du groupe SRC, de voter son renvoi en commission. Ce renvoi montrerait que notre assemblée fait preuve d'une grande sagesse. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Monsieur Bloche, vous parlez d'un besoin impérieux de réformes. Mais qu'entendez-vous par le terme « impérieux » ? Si je reprends vos propos, il signifie fumeux, insuffisamment précis ; bref, il veut tout dire. Soyons sérieux : ce texte traduit une vraie volonté de réforme de fond.
Vous avez souligné, et je vous en remercie, que les amendements que nous allons discuter dans un instant tendaient à améliorer considérablement le texte initial. Au regard de cette observation, nous pouvons passer à leur discussion.
Dans les explications de vote sur la notion de renvoi en commission, la parole est à M. Jérôme Lambert, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Mardi dernier, l'adoption de la question préalable sur le projet de loi relatif aux OGM a semé le trouble dans notre hémicycle et bien au-delà en obligeant le Gouvernement à quelques pirouettes pour retomber sur ses pieds. Aujourd'hui, le groupe SRC propose de renvoyer en commission le texte sur la protection du secret des sources des journalistes afin d'alimenter notre réflexion.
Parmi les orateurs qui se sont exprimés, il y a ceux qui considèrent qu'il s'agit d'un bon texte, que le travail en commission a permis quelques avancées et qu'il faut maintenant poursuivre la discussion, et les autres, plus critiques, qui, tout en reconnaissant la nécessité de faire progresser la législation et la réflexion dans ce domaine, souhaitent le renvoi du texte en commission. Cela ne prendra sans doute que quelques heures, mais ces quelques heures seront éminemment profitables. Il ne s'agit que de cela.
En effet, le texte est imprécis.
Nous préférerions faire ce travail en commission plutôt qu'ici car nous savons très bien que ce n'est pas dans cette enceinte que les amendements peuvent être examinés de la manière la plus sereine possible.
La parole est à M. Patrice Debray, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Au nom du groupe UMP, je tiens à rendre hommage au travail remarquable et exceptionnel mené en commission des lois sous l'égide de son rapporteur Étienne Blanc.
Les quarante personnes auditionnées par cette commission se sont montrées à 80 % satisfaites du contenu du texte. Je me permets de le dire en votre nom, monsieur le rapporteur.
En donnant une définition générale et claire du métier de journaliste, le texte rectifie et complète un vide juridique, cette profession n'étant définie que dans le code du travail.
Par ailleurs, il établit un juste équilibre entre les nécessités d'une enquête judiciaire et la protection de la presse. Il fixe également les limites de la protection des sources avec l'impératif prépondérant d'intérêt public, notion directement issue de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
Enfin, il vise à mettre notre législation en conformité avec la Convention européenne des droits de l'homme et la recommandation du Conseil de l'Europe de mars 2000 invitant les États membres à prévoir une protection explicite et claire des sources journalistiques.
C'est parce que la commission a bien fait son travail et que soixante amendements vont être discutés que le groupe UMP votera contre la motion de renvoi en commission défendue par M. Bloche.
Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.
(La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)
J'appelle maintenant, dans le texte du Gouvernement, les articles du projet de loi.
Monsieur le président, je tiens d'abord à souligner combien il est amusant d'entendre nos collègues de l'Union pour un mouvement populaire défendre avec vigueur les magistrats et la justice, alors qu'une dépêche AFP et un article du Monde viennent de nous annoncer l'existence d'un projet interministériel visant à restreindre notablement le champ d'intervention des juges d'instruction. Si ce projet se réalisait, des perquisitions comme celles qui ont été menées au Quai-d'Orsay et au ministère de la défense dans le cadre de l'affaire Clearstream ne pourraient plus avoir lieu !
D'un côté, on cherche à réduire le pouvoir du juge d'instruction, de l'autre, on nous reproche de ne pas faire confiance à la justice !
Vous ne voulez pas qu'on fasse des perquisitions dans les journaux, mais les perquisitions dans les ministères ne vous dérangent pas !
J'y viens, monsieur le président.
L'article 1er prétend affirmer un grand principe, celui de la protection du secret des sources des journalistes, mais son efficacité est tuée dans l'oeuf en raison de la multiplication des imprécisions sur les restrictions apportées.
Nous avons, pour notre part, déposé un amendement de clarification sur les restrictions possibles à ce principe – alors que, dans sa rédaction actuelle, le projet de loi en fait son principe directeur. Certes, Mme la garde des sceaux a assuré qu'en cas d'abus la procédure pourrait être annulée, mais une telle garantie est bien évidemment insuffisante, et nous ne pouvons nous en contenter.
Je note d'ailleurs que M. le rapporteur partage la plupart de nos inquiétudes concernant l'imprécision de ce texte, puisqu'il a lui-même proposé un amendement – que beaucoup ici considèrent comme un progrès – visant à remplacer la notion d'« intérêt impérieux » par celle d'« impératif prépondérant d'intérêt public ».
Deux autres de ses amendements à l'article 1er montrent que ce texte est insatisfaisant en l'état et qu'il aurait dû être davantage travaillé. L'amendement n° 1 , qui concerne le champ de la protection et que nous avons voté en commission car il est a priori bienvenu, laisse entière la question de savoir qui sont les personnes protégées par la loi. L'amendement n° 6 – hélas seulement rédactionnel – prévoit qu'il faut étendre cette protection aux entreprises de communication au public en ligne, aux entreprises de communication audiovisuelle et aux agences de presse : effectivement, la notion de « professionnel » ne renvoie pas seulement aux supports de presse, mais aussi à tous les métiers qui participent, de façon quasiment incontournable, à l'information.
La définition du journaliste qui nous est présentée dans cet article 1er est donc profondément insatisfaisante, et c'est pourquoi nous proposons de la contourner en définissant, non le journaliste, mais les activités qui doivent bénéficier du principe de la protection des sources.
Nous en venons maintenant aux amendements à l'article 1er.
Je suis saisi de deux amendements, nos 18 et 40 rectifié , pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Roland Muzeau, pour soutenir l'amendement n° 18 .
Il s'agit, par cet amendement, d'affirmer fortement et solennellement le principe de la protection du secret des sources des journalistes. La rédaction actuelle du texte est en effet sans réelle portée, sans valeur ni force ; surtout, elle est très imprécise : il n'est fait aucune référence à la liberté de la presse et le métier de journaliste est défini de manière extrêmement restrictive.
L'amendement n° 18 vise à inscrire clairement et distinctement le principe de protection du secret des sources dans la loi, afin qu'il signifie véritablement quelque chose. Il précise que ce principe est garanti par la loi, et donne au texte la solennité qui devrait être la sienne.
Il propose donc de substituer à l'alinéa 4 de cet article les deux alinéas suivants :
« Art. 2. – Au nom de la liberté de la presse et du droit du public à l'information, le secret des sources des journalistes est garanti par la loi.
« Nul ne peut contraindre un journaliste à divulguer ses sources, ni chercher, par quelque moyen que ce soit, à en connaître la teneur. »
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour soutenir l'amendement n° 40 rectifié .
Cet amendement est de nature assez proche. Il propose de rédiger ainsi le principe en faveur duquel nous sommes réunis ce soir : « Le droit au secret des sources d'information est protégé par la loi. »
En effet, la notion « d'intérêt général », bien qu'elle provienne de la jurisprudence Goodwin de 1996, nous semble avoir été introduite ici dans un sens restrictif, alors qu'elle était à l'origine entendue dans le sens plus protecteur du droit d'un journaliste à protéger ses sources. Sa mention dans le présent texte nous semble donc être contraire à l'esprit de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Ce grand principe de la protection des sources des journalistes doit être affirmé avec la plus grande simplicité, pour avoir la plus grande efficacité.
L'amendement n° 18 sera satisfait par l'amendement n° 5 , qui sera examiné dans quelques instants et qui précise de manière extrêmement claire que, dans le cadre d'une instruction ou devant une juridiction, un journaliste n'est jamais tenu de révéler ses sources.
Quant au premier alinéa de l'amendement n° 18 , la formulation en est quelque peu malheureuse : « Au nom de la liberté de la presse et du droit du public à l'information, le secret des sources des journalistes est garanti par la loi. » Je rappelle que le principe de la protection du secret des sources est posé par l'alinéa 4 de l'article 1er du projet de loi, ce qui constitue de fait une garantie très précise.
S'agissant de l'amendement n° 40 rectifié , je rappelle que c'est le secret des sources qui est protégé par la loi, et non le droit au secret. Là encore, la formulation paraît malheureuse. Quant à la notion d'« intérêt général », elle doit bien évidemment être maintenue : la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme rappelle que la protection des sources ne s'applique que s'il s'agit d'informer le public sur des questions d'intérêt général. L'expression est systématiquement utilisée dans ses arrêts.
Pour ces raisons, la commission vous propose, chers collègues, de repousser ces deux amendements.
Concernant l'amendement n° 18 , je l'ai dit tout à l'heure, le texte permet une avancée, en affirmant le droit du journaliste au silence absolu à tous les stades de la procédure, ce qui n'existe pas aujourd'hui. En revanche, on ne peut consacrer le principe du secret absolu dans la loi, pour les deux raisons que j'ai déjà évoquées.
En cas d'actes graves tels que des actes de terrorisme ou des enlèvements et des séquestrations d'enfants, si quelqu'un dispose d'une information, l'intérêt de la justice et des victimes exige de pouvoir l'obtenir.
Le silence absolu, oui, mais le secret absolu, c'est impossible.
Par ailleurs – et je réponds également à Mme Filippetti –, nous avons confiance dans les magistrats. Je rappelle que ceux-ci n'appliquent pas des actes de procédure automatiques, mais qu'ils détiennent un pouvoir d'appréciation ; ils savent très bien ce qu'est un motif impérieux en matière de délits ou de crimes graves. Le Gouvernement est donc défavorable à l'amendement n° 18 .
L'amendement n° 40 rectifié veut protéger par la loi « le droit au secret des sources d'information ». Mais cette information doit être destinée au public ! Il est donc important de préciser que la protection des sources concerne les informations destinées au public sur des questions d'intérêt général, sous peine d'englober des personnes enquêtant à titre personnel. Il convient de protéger aussi bien le journaliste que les personnes visées par de telles investigations. En conséquence, le Gouvernement est également défavorable à l'amendement n° 40 rectifié .
Mon collègue Jérôme Lambert et moi-même souhaitons prendre la parole, monsieur le président.
Il faut la demander, messieurs. Je vous rappelle, monsieur Bloche, qu'il ne s'agit pas d'un droit, mais d'une autorisation que je vous accorde.
La parole est à M. Jérôme Lambert.
Je serai bref, monsieur le président.
Il y a beaucoup d'hypocrisie dans ce que je viens d'entendre. Il est évident que, lorsqu'une autorité pose des questions à un journaliste, de son point de vue, elle a toujours un intérêt à le faire ! (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Dire qu'on ne peut exiger la divulgation des sources que par des nécessités d'intérêt général signifie que, si une question « sans intérêt » lui était posée, un journaliste aurait le droit de se taire. Mais quelle autorité poserait une question « sans intérêt » ? Elle justifiera toujours son questionnement par l'intérêt, c'est-à-dire l'intérêt général, puisque toute autorité est censée l'incarner !
Votre texte est donc hypocrite, et je crois que les amendements proposés clarifieraient les choses une fois pour toutes. À nous maintenant de choisir entre les deux ou, éventuellement, de modifier à la marge une rédaction. Nous sommes au pied du mur : voulons-nous vraiment défendre le principe de la protection des sources des journalistes ou non ? Cessez d'utiliser des prétextes pour en fait tout remettre en cause !
Monsieur le président, je vous remercie : je sais bien que ce n'est pas un droit que je revendique en demandant à prendre la parole afin de répondre au Gouvernement, mais je connais la manière tout à fait remarquable avec laquelle vous présidez nos séances et c'est, sans doute, la raison pour laquelle je n'ai pas eu le réflexe de lever la main suffisamment rapidement.
Si j'ai désiré répondre au Gouvernement, c'est que nous avons été interloqués par ce qu'a dit la ministre, car elle n'a pas vraiment répondu à notre amendement. Oui, nous l'assumons, nous voulons créer un droit au secret des sources d'information et, en effet, nous souhaitons que ce droit soit protégé par la loi. C'est le sens même de notre amendement. Nous sommes en désaccord avec vous : nous pensons que le fait de créer un tel droit et qu'il soit protégé par la loi répond aux engagements de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Vous voulez en faire un droit absolu tandis que nous, nous sommes favorables à un droit limité !
De même, limiter le secret des sources des journalistes aux seules questions d'intérêt général est pour nous la manière la plus vague d'écrire la loi. C'est un réel sujet d'inquiétude. Nous écrivons la loi, chers collègues, une loi qui sera ensuite interprétée, de façon conflictuelle. Reprenons ce que dit le texte : « Le secret des sources des journalistes est protégé afin de permettre l'information du public sur des questions d'intérêt général. » Peut-on être plus imprécis ? Nous le savons tous ici, puisque nous faisons la loi : en droit, quand on veut qu'une chose soit claire, on l'énonce de la manière la plus simple possible. J'ai à l'esprit l'article 1er de la loi de septembre 1986 relative à la liberté de communication. Quelle en est la première phrase ? « La communication audiovisuelle est libre. » Nous aurions aimé que le présent projet de loi nous propose une formulation aussi simple, claire et précise concernant le secret des sources des journalistes.
Je mets aux voix l'amendement n° 40 rectifié .
(L'amendement n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 41 rectifié .
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour le soutenir.
Cet amendement renvoie à l'alinéa 6 de l'article 1er du projet de loi, qui donne la définition du journaliste bénéficiaire du secret des sources. Or cette définition, généreuse si l'on en croit l'exposé des motifs, soulève en fait de nombreuses questions.
La définition du journaliste prévue dans le code du travail ne semble-t-elle pas plus large puisqu'elle prévoit des cas d'assimilation ? Celle du projet de loi vise-t-elle les journalistes indépendants et les pigistes ? Il semble que non. De même, qu'en est-il des collaborateurs occasionnels des journalistes – interprètes, chauffeurs, techniciens audiovisuels – ? Le projet de loi ne semble pas les viser alors même qu'ils sont les maillons faibles de la protection du secret des sources.
L'amendement n° 41 rectifié vise donc à contourner la difficulté de définir aujourd'hui précisément le journaliste en raison de la précarisation croissante de la profession et de l'irruption du numérique et des nouveaux supports informatiques. On ne saurait donc s'en tenir ni à la définition du code du travail ni à la possession d'une carte de presse. Nous proposons donc, à la suite de la loi belge de 2005, de définir non pas le journaliste, mais les catégories de personnes qui doivent être protégées en raison de leur activité professionnelle, régulière ou occasionnelle. C'est la raison pour laquelle nous proposons d'étendre le champ des personnes bénéficiant du droit au secret des sources d'information de façon à viser celles d'entre elles qui disposent d'informations protégées, recueillies directement ou indirectement en raison de leur fonction à l'intérieur de l'entreprise de presse ou parce qu'elles leur ont été confiées à titre professionnel. Le secret des sources concernera ainsi non seulement les journalistes, mais également les rédacteurs, les traducteurs, les réviseurs, les dessinateurs de presse, les photographes, les correspondants locaux de presse régionale, qui ont été oubliés par le projet de loi, les directeurs de publication qui, de manière étonnante, ont été eux aussi oubliés à la fois par le projet de loi et par la commission des lois, les informaticiens qui assurent la maintenance du matériel informatique ou les opérateurs de communications électroniques et les fournisseurs d'accès à Internet.
Cet amendement semble du reste correspondre aux recommandations du comité des ministres du Conseil de l'Europe qui, en matière de liberté de la presse, a précisé que « les autres personnes qui, à travers leurs relations professionnelles avec les journalistes, prennent connaissance d'informations identifiant une source à travers la collecte, le traitement éditorial ou la publication de cette information, devraient bénéficier de la même protection en application des présents principes ».
En conséquence, l'amendement prévoit également de supprimer l'alinéa 6 de l'article 1er.
Défavorable.
Cet amendement propose en effet une liste extrêmement précise des professions qui bénéficieront de la protection des sources.
C'est pourtant ce que vous faites !
De plus, vous souhaitez une définition plus précise du métier de journaliste. Or je rappelle que, si nous n'avons pas souhaité que le projet de loi fasse référence à la définition du code du travail, c'est parce que celle-ci ne permet pas de couvrir toute la profession.
C'est ce que nous a confirmé M. Dasquié lors de son audition devant la commission des lois. Il nous a en effet expliqué que, puisqu'il ne tirait pas la majeure partie de ses revenus d'une activité dans un organe de presse, il ne pourrait pas bénéficier de la protection des sources si le projet de loi se fondait sur la définition du code du travail. Voilà toute la difficulté à laquelle nous avons été confrontés : or, à nos yeux, l'amendement n° 1 de la commission des lois y remédie parfaitement – c'est la raison pour laquelle nous vous demandons de bien vouloir retirer à son profit l'amendement n° 41 rectifié – puisqu'il inclut toutes les personnes ayant eu contact « directement ou indirectement » avec la source, et permet d'en assurer le secret tout au long du cheminement de l'information. Il vaut mieux, à nos yeux, poser un principe – ce que fait cet amendement – que de dresser une liste à la Prévert des personnes susceptibles d'entrer en contact avec une source : une liste n'étant jamais exhaustive, vous oublierez nécessairement telle ou telle activité.
Défavorable.
M'associant aux observations du rapporteur, je tiens également à souligner qu'une liste n'est jamais exhaustive. Le principe sur lequel se fonde le projet de loi est celui de la protection de la source, afin qu'on ne puisse pas y remonter, alors que le code du travail fait référence à des activités. Or sa définition du journaliste étant trop restrictive, si nous nous appuyions sur elle, comment le projet de loi pourrait-il, par exemple, protéger l'épouse ou la secrétaire d'un journaliste qui auraient été informées ? Le champ de la source pouvant être très large, il s'agit pour nous de protéger non des secteurs d'activités, mais le secret des sources lui-même afin, je le répète, qu'on ne puisse pas remonter à celles-ci.
Évitons de faire des listes car l'oubli d'un secteur fragiliserait le dispositif en permettant de remonter facilement aux sources.
L'amendement n° 1 , qui vise à protéger toute personne étant entrée « directement ou indirectement » en contact avec une source, améliore d'autant plus le texte – nous le reconnaissons volontiers – que le secret est le plus souvent détenu par plusieurs personnes. Or la personne détentrice du secret doit être protégée.
Toutefois, monsieur le rapporteur, si vous alliez jusqu'au bout de votre logique, vous devriez reprendre dans notre amendement au moins la suppression de l'alinéa 6 de l'article 1er. En effet, il y a une contradiction majeure à refuser toute atteinte directe ou indirecte au secret des sources, comme le propose l'amendement n° 1 , et à maintenir une définition trop restrictive du journaliste qui interdira à des personnes qui font pourtant profession de journaliste de bénéficier de la protection de leurs sources. Nous nous en apercevrons, hélas, trop tard, lorsque la loi aura été votée.
Certes, l'amendement n° 1 visera à protéger les personnes qui gravitent autour des journalistes, ce que nous ne pouvons qu'approuver. Mais qu'en sera-t-il de celles qui n'exercent pas de manière habituelle la profession de journaliste – pigistes ou rédacteurs occasionnels ? Selon nous, elles ne seront pas protégées par la loi.
Peut-être, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, allez-vous nous apporter d'utiles précisions en la matière. La rédaction actuelle du projet de loi ne permet de protéger que les seuls journalistes et, il est vrai, lorsque l'amendement n° 1 de la commission des lois aura été adopté, « directement ou indirectement » ceux qui gravitent autour d'eux.
Mais, je le répète, qu'en sera-t-il de ceux qui n'ont pas à l'origine le statut de journaliste – un pigiste, par exemple ? La question de la protection de ses sources pourrait se poser.
Or c'est à cette question que l'amendement n° 41 rectifié prétend répondre en étendant le champ des personnes protégées.
Il y a, je crois, un malentendu car, sur le fond, nous pourrions évidemment être d'accord.
Si nous supprimions l'alinéa 6 de l'article 1er, nous en reviendrions à la définition du code du travail. Or, et cela nous a été confirmé à de multiples reprises au cours des auditions auxquelles a procédé la commission des lois, si tel était le cas, des personnes exerçant une activité d'information sans pour autant tirer la majeure partie de leurs revenus d'un contrat de travail avec une entreprise de presse ne pourraient pas bénéficier des dispositions du texte. M. Dasquié, qui tire de la publication d'un livre des revenus plus importants que de son métier de journaliste, a été très clair là-dessus. Telle est la raison pour laquelle, je le répète, le projet de loi ne fait pas référence à la définition du code du travail.
Monsieur Lambert, les pigistes seront couverts par le texte puisque l'alinéa 6 de l'article 1er précise qu'« est considérée comme journaliste, au sens du premier alinéa, toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse […], y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil et la diffusion d'informations au public ». Le pigiste, que je sache, exerce son activité pour le compte d'une entreprise de presse ! Faut-il alors craindre que la question de la protection des sources ne se pose pour le pigiste qui ne tire pas la majeure partie de ses revenus d'un contrat de travail avec une ou plusieurs entreprises de presse ? Non, car l'alinéa 6 est suffisamment protecteur. Il faut donc le conserver.
L'argument de M. le rapporteur me semble contradictoire, comme l'a souligné M. Patrick Bloche.
L'amendement n° 1 concerne l'alinéa 5 de l'article 1er, à savoir les conditions dans lesquelles il pourra être porté atteinte au secret des sources : il n'entraîne donc aucune extension du champ des personnes protégées. C'est l'alinéa 6 qui traite de cette question ! Or c'est bien dans cet alinéa que le Gouvernement, en donnant une définition restrictive du journaliste, exclut les pigistes, les écrivains journalistes ou toute personne ne tirant pas la majeure partie de ses revenus de la profession de journaliste puisque cet alinéa précise qu'« est considérée comme journaliste […] toute personne qui, exerçant sa profession » – il est bien question de « profession » – « dans une ou plusieurs entreprises de presse […], y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil et la diffusion d'informations au public ».
L'amendement n° 41 rectifié vient donc compléter l'amendement n° 1 de la commission puisqu'il vise à étendre la protection des sources à un champ plus large, qui couvre non seulement les journalistes professionnels titulaires d'une carte de presse, mais également les pigistes et les collaborateurs de la rédaction. Nous ne dressons pas une liste de métiers : nous définissons des activités à protéger. Les deux amendements, nos 1 et 41 rectifié , vont donc dans le même sens : pour la cohérence, l'un ne peut aller sans l'autre.
Je mets aux voix l'amendement n° 41 rectifié .
(L'amendement n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 1 .
La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.
Cet amendement précise le champ d'application de l'article 1er.
Nous devons, à notre avis, énoncer le plus clairement possible que c'est le secret des sources des journalistes qui est protégé et non les journalistes eux-mêmes. Dès lors, les conditions de dérogation au principe devront être appliquées à toute mesure d'investigation qui viserait à obtenir la communication des sources d'un journaliste de manière indirecte, auprès d'un de ses collaborateurs – secrétaire de rédaction, cameraman, monteur ou preneur de son – ou même d'un membre de sa famille.
Cet amendement répond à l'une des préoccupations des organisations professionnelles de journalistes, qui est d'éviter que le principe de la protection du secret des sources journalistiques ne soit contourné par les enquêteurs : toute personne qui a connaissance d'une source ou des moyens pour remonter à celle-ci est ainsi visée par le texte.
Cet amendement, je tiens à le rappeler, a été adopté à l'unanimité par la commission des lois. Il répond à des inquiétudes que les organisations professionnelles de journalistes nous ont révélées dans le cadre des auditions.
Je constate que le vote est acquis à l'unanimité.
Je suis saisi de quatre amendements, nos 19 , 42 rectifié , 43 rectifié et 2 , pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Roland Muzeau, pour soutenir l'amendement n° 19 .
Cet amendement vise à préciser de façon limitative les conditions juridiques pouvant justifier la levée du principe de la protection des sources.
Les conditions juridiques proposées sont celles ayant cours aujourd'hui en Belgique.
Le projet de loi évoque à l'alinéa 5 de l'article 1er « un intérêt impérieux », ce qui ne signifie rien – nos travaux en commission l'ont du reste révélé. La perquisition du Canard enchaîné dans l'affaire Clearstream revêtait-elle « un intérêt impérieux » ? Pour qui ? L'État ou le Président de la République ? Cet amendement reprend donc les dispositions de la loi belge en restreignant de façon claire toute possibilité de violer ce principe
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour soutenir les amendements nos 42 rectifié et 43 rectifié .
L'amendement n° 42 rectifié vise à compléter l'alinéa 5 du projet de loi. En effet, la Cour européenne des droits de l'homme ne retient pas des critères imprécis comme la « particulière gravité des faits commis » ou relatifs comme les nécessités des investigations. Si elle ne considère pas les journalistes comme étant au-dessus des lois ni leur domicile comme un sanctuaire, elle exige de façon constante que l'objet de la recherche ne concerne pas la source d'une information, mais seulement la preuve d'une infraction commise par le journaliste ou l'une des personnes qui lui sont assimilées et ne ressortissant pas à son activité professionnelle.
Quant à l'amendement n° 43 rectifié , il concerne le principe de subsidiarité et vise à préciser les conditions dans lesquelles on peut faire exception au principe de protection des sources. Nous considérons que, telle qu'elle est présentée dans le projet de loi, la délimitation des exceptions est beaucoup trop vague. Nous souhaitons la définir d'une manière plus restrictive en mettant en oeuvre le principe de subsidiarité : il faut que la police ne puisse pas obtenir ces informations par un autre moyen et, surtout, qu'elles soient de nature à empêcher la commission d'un crime constituant une menace grave pour l'intégrité physique des personnes. C'est là, nous semble-t-il, la seule exception au principe de protection des sources que l'on puisse envisager et nous refusons que le journaliste soit transformé en auxiliaire de justice et de police pour aider à la résolution d'affaires passées. Nous souhaitons affirmer un principe fort, comme l'a fait la loi belge en 2005.
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l'amendement n° 2 et donner l'avis de la commission sur les amendements nos 19 , 42 rectifié et 43 rectifié .
Avec l'amendement n° 2 , nous répondons à des interrogations qu'ont formulées les journalistes à travers leurs associations et syndicats professionnels, estimant que la notion d'« intérêt impérieux » était insuffisante. Il a été adopté par la commission des lois et reprend la terminologie exacte de la Cour européenne des droits de l'homme, substituant à la notion d'« intérêt impérieux » celle d'« impératif prépondérant d'intérêt public ». Ce sont les termes qui ont été posés par l'arrêt Goodwin et qui, depuis, sont régulièrement repris par la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.
La commission est défavorable aux amendements nos 19 , 42 rectifié et 43 rectifié .
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements nos 19 , 42 rectifié , 43 rectifié et 2 ?
Je répéterai les arguments que j'ai exposés tout à l'heure et que j'avais déjà exposés dans mon propos liminaire.
Si les journalistes ne sont pas au-dessous des lois, ils ne sont pas non plus au-dessus des lois. Il ne semble donc pas souhaitable de limiter de manière aussi restrictive la possibilité de remonter à une source, pour prévenir ou élucider un crime. L'intégrité physique des personnes n'est pas seule en cause. Il faut aussi prendre en considération le trafic de produits stupéfiants ou le blanchiment d'argent. L'argent blanchi peut financer une opération terroriste : en l'occurrence, à ce stade, il n'y a pas d'atteinte à l'intégrité physique des personnes, mais il n'en est pas moins important que nous ayons des informations. On ne peut donc pas fixer des limites aussi restrictives en matière d'atteinte au secret.
D'autre part, contrairement à ce qui a été soutenu, ni la Convention européenne des droits de l'homme ni la Cour, qui veille à son application, ne limitent à ce point les atteintes au secret.
Le Gouvernement est donc défavorable aux amendements nos 19 , 42 rectifié et 43 rectifié et favorable à l'amendement n° 2 .
La réponse de Mme la garde des sceaux nous interpelle beaucoup. À chaque intervention, elle est en effet amenée à élargir, sans que ce soit clairement défini dans la loi, les exceptions en citant des cas qui choquent l'opinion et choquent aussi les citoyens que nous sommes. Ainsi, elle a d'abord parlé d'actions de terrorisme et d'enlèvements d'enfants…
C'est une réalité !
Elle vient d'évoquer le blanchiment d'argent, aggravé s'il permet ensuite des actions de terrorisme, voire des enlèvements d'enfants.
Nous vous écoutons, madame la garde des sceaux. Nous savons que la jurisprudence tiendra compte de ce que nous aurons dit, les uns et les autres, dans cet hémicycle. Mais, compte tenu de la rédaction de l'article 1er et de vos considérations, nous aimerions connaître la liste précise des cas dans lesquels la représentation nationale estime que l'on peut tolérer une exception. Cette liste pourrait être établie de façon sans doute très consensuelle, car ce qui choque à droite choque à gauche. En effet, contrairement à ce que vous disiez tout à l'heure – mais il est vrai que vous visiez un amendement déposé par un autre groupe que le nôtre –, nous n'avons jamais défendu l'idée d'un secret professionnel absolu. Nous sommes à un moment de la discussion où il faut savoir, de manière très claire, où s'arrête la protection du secret des sources.
Je mets aux voix l'amendement n° 42 rectifié .
(L'amendement n'est pas adopté.)
Je mets aux voix l'amendement n° 43 rectifié .
(L'amendement n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement rédactionnel n° 3, auquel le Gouvernement ne pourra qu'être favorable…
Je mets aux voix l'amendement n° 3 .
(L'amendement est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 4 .
La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.
Cet amendement vise à préciser les conditions dans lesquelles il pourra être dérogé au principe de la protection du secret des sources en matière pénale. Le projet de loi prévoit qu'une telle dérogation doit être justifiée par deux conditions cumulatives : la nature et la particulière gravité du crime ou du délit sur lesquels porte l'investigation ; les nécessités des investigations.
Nous pensons que ces deux conditions sont pertinentes, mais la commission a souhaité encadrer plus encore les cas dans lesquels elles peuvent s'appliquer, préférant au terme « justifient » ceux de « rendent cette atteinte strictement nécessaire ». Il s'agit de souligner le caractère subsidiaire que devra revêtir l'atteinte au principe – et, en cela, nous répondons à toute une série d'amendements sur la subsidiarité – : ce n'est que dans le cas où l'infraction sur laquelle porte l'enquête est particulièrement grave et où les actes de procédures, telles une perquisition dans les locaux d'un journal ou la réquisition d'un opérateur de téléphonie mobile pour obtenir la liste des appels d'un journaliste, constituent l'unique moyen d'obtenir des informations nécessaires à l'enquête qu'il pourra être porté atteinte au principe fixé à l'article 2.
Je voudrais remercier le rapporteur d'exclure les délits de cet article 1er et de le limiter aux crimes.
Nous n'avons pas fait de distinction entre les crimes et les délits. Nous indiquons simplement qu'il faut que l'atteinte soit rendue strictement nécessaire, ce qui sera laissé à l'appréciation des magistrats. Il y aura, sur cette question, une jurisprudence.
C'est d'ailleurs l'un des sujets qui nous opposent. Vous avez pensé – ce que je comprends un peu – que nous pourrions établir une liste très détaillée. Nous croyons, quant à nous, qu'il vaut mieux formuler des principes plutôt que de dresser une liste qui sera toujours lacunaire.
Nous préférons faire la loi nous-mêmes plutôt que de la faire faire par la jurisprudence !
Je crois qu'il y a de bonnes lois qui posent des principes extrêmement forts. Nous définissons ici des conditions liées à la nature et à la particulière gravité du crime ou du délit sur lesquels porte l'investigation. Il me semble que nous tenons là une définition précise.
Le texte mentionne tout de même la « particulière gravité » du crime ou du délit !
C'est la rédaction même de cet alinéa qui pose problème. C'est en matière pénale que la protection des sources des journalistes est la plus efficace, et c'est là que l'on ajoute des garde-fous, ce qui est très bien. Mais, pour toutes les autres matières, la notion d'« intérêt impérieux » est remplacée par celle d'« impératif prépondérant d'intérêt public », ce qui reste tout de même très général et très flou. Renforcer les procédures n'apporte pas grand-chose. La « particulière gravité » est laissée à l'appréciation du juge. La référence aux « nécessités des investigations » est trop floue, trop vague. Ce n'est pas en matière pénale que les problèmes étaient les plus criants.
Je voudrais présenter mes excuses à M. le rapporteur. Après le vote de l'amendement rédactionnel n° 3, j'ai tourné la page de la liasse et je suis tombé sur l'amendement n° 26 . J'ai cru que c'était celui dont nous parlions et que c'était M. le rapporteur qui l'avait déposé. Son auteur est en fait M. Straumann mais, celui-ci étant absent, l'amendement n'a pas été défendu et, donc, pas appelé. Rassurez-vous, je n'ai pas l'intention de le reprendre. (Sourires.)
Nous examinons donc l'amendement n° 4 …
Monsieur Balkany, si vous avez quelque chose à dire, demandez la parole à M. le président et je ne doute pas que notre assemblée sera éclairée par vos pertinentes remarques.
Mais allez-y ! Nous attendons ce moment avec une impatience que j'ai du mal à réprimer. (Sourires.)
Monsieur le rapporteur, dans le souci de précision ô combien louable qui est le vôtre, et auquel nous sommes nous aussi très attachés, ne pensez-vous pas que nous devrions définir de manière plus précise, surtout après que Mme la garde des sceaux nous a fourni une liste non cumulative, ce que sont « la nature et la particulière gravité » d'un crime ?
À ce sujet, je ne doute pas qu'il y aura une construction jurisprudentielle. Je rappelle que l'amendement n° 4 substitue aux mots « le justifient », les mots « rendent cette atteinte strictement nécessaire ». C'est la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, qui demande à chaque État de poser le principe de la protection des sources, quitte à y apporter ensuite un certain nombre d'exceptions.
Encore faut-il que ces exceptions entrent dans un certain cadre et que l'atteinte portée à la protection soit « strictement nécessaire ». Évidemment, il y aura, sur cette question, une construction jurisprudentielle. Pour une même qualification criminelle, on considérera, dans certains cas, que c'est strictement nécessaire et, dans d'autres, que ça ne l'est pas. Je l'ai expliqué en commission des lois.
Si vous voulez une sécurité juridique absolue, la solution serait de dire qu'il n'y aura jamais d'atteinte à la protection des sources. Mais aucun pays dans le monde n'a posé ce principe.
Vous avez fait référence au terrorisme : on pourrait évoquer certains délits. Je rappelle que la séquestration n'est pas qualifiée de criminelle. Pourtant, dans ces cas-là, lorsque la levée de la protection des sources permet d'apporter une réponse à une incrimination de cette nature, il faut y recourir.
Pour compléter les observations de M. le rapporteur, je rappelle que, dans aucune profession, le secret professionnel n'est absolu. Du reste, les journalistes n'y sont pas soumis.
Vous nous demandez d'établir une liste. Un éducateur, un médecin, une infirmière sont soumis au secret professionnel, mais c'est à eux d'apprécier la nécessité d'en être déliés, s'ils considèrent qu'il y a une atteinte grave. Ce texte propose exactement la même chose. En fonction de la gravité du délit ou du crime, le magistrat saura s'il peut porter atteinte au secret des sources. Il n'y a pas de secret absolu. Cela n'est possible dans aucune démocratie. Nous posons, dans cette loi, le principe de la protection des sources, ce qui est une avancée considérable. Mais vous ne pourrez jamais avoir de secret absolu. D'ailleurs, les journalistes ne demandent pas de liste.
Vous disiez tout à l'heure, monsieur Bloche, qu'il serait bon d'écarter les délits. Mais un enlèvement-séquestration de moins de sept jours est considéré comme un délit, et, au-delà de sept jours, comme un crime. Doit-on s'interdire de porter atteinte au secret des sources si un enfant a été enlevé depuis moins de sept jours ?
Je suis saisi d'un amendement n° 5 .
La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.
Cet amendement vise à répondre à une inquiétude qui s'est manifestée lors des auditions.
Le nouvel article 2 de la loi de 1881 prévoit un certain nombre d'exceptions au principe de protection des sources et plusieurs juristes nous ont signalé que cela risquait de concerner le droit au silence des journalistes qui sont entendus dans le cadre d'une instruction ou sur le fond, devant un tribunal correctionnel ou devant une cour d'assises.
Pour clarifier les choses et pour que ne subsiste aucune ambiguïté juridique, nous proposons, par cet amendement, une meilleure articulation entre les dispositions de l'article 1er et les dispositions de l'article 3. Ainsi, nous rappelons que, de manière systématique, un journaliste ne sera pas tenu de révéler ses sources, nonobstant les exceptions de l'article 2, lorsqu'il sera entendu par un juge d'instruction ou par une juridiction de jugement.
Cet amendement de précision du rapporteur ne peut recevoir que notre accord, bien entendu. Toutefois, je profite de l'occasion pour m'inquiéter, madame la garde des sceaux, du fait que vous évoquiez le secret absolu, que les députés de l'opposition n'ont jamais revendiqué pour les journalistes. Vous nous dites que les journalistes ne veulent surtout pas de liste. Ils ont bien raison et on les comprend, mais c'est vous-même qui, au fil du débat, d'intervention en intervention, établissez une liste.
Je donne des exemples !
Il serait bon que vous précisiez qu'il s'agit d'exemples et en aucune façon de références que la jurisprudence pourrait retenir plus tard.
Je suis saisi d'un amendement n° 6 rectifié .
La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.
Je mets aux voix l'amendement n° 6 rectifié .
(L'amendement est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 44 rectifié .
La parole est à Mme Pascale Got, pour le soutenir.
Les métiers de l'information se tendent de plus en plus et les personnes qui sont amenées à les exercer ne peuvent pas toujours le faire à titre régulier. En outre, certaines personnes mènent des investigations ou des opérations d'information avant d'être mandatées par un organe de presse. Il nous semble donc utile d'adopter une définition plus conforme à la réalité des choses pour pouvoir offrir une protection aux journalistes non salariés et aux journalistes précaires. C'est la raison pour laquelle nous invitons l'Assemblée à supprimer les termes « à titre régulier et rétribué ».
La commission a formulé un avis défavorable sur cet amendement et propose à l'Assemblée de le repousser. La définition du journaliste doit être précise, sinon n'importe qui pourrait se dire journaliste et demander à être protégé.
Le cas des pigistes a été évoqué à la faveur de cet amendement. Je confirme qu'ils sont couverts par la rédaction du projet de loi parce qu'ils collaborent régulièrement avec plusieurs entreprises de presse.
Avis défavorable.
Monsieur le rapporteur, nous connaissons votre sérieux, votre compétence et votre investissement sur ce projet de loi. Qu'un pigiste soit couvert, comme vous l'affirmez, par les dispositions de ce projet de loi puisqu'il exerce sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse ou de communication au public par voie électronique, nous sommes d'accord, mais vous ne pouvez-vous pas nier que, comme vient de le démontrer avec pertinence Mme Got, il est mis une condition restrictive, à savoir qu'il faut qu'il exerce à titre régulier et en étant rétribué.
(M. Marc-Philippe Daubresse remplace M. Rudy Salles au fauteuil de la présidence.)
Si un pigiste est heureusement rétribué la plupart du temps, il est, par définition – malheureusement, car son désir est sans doute de travailler de manière plus régulière –, amené à travailler irrégulièrement. L'amendement défendu par Mme Got vise à lever toute ambiguïté concernant les pigistes. En rejetant cet amendement, vous maintiendrez une ambiguïté, vous verrez.
Je mets aux voix l'amendement n° 44 rectifié .
(L'amendement n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 59 .
La parole est àM. Étienne Blanc, pour le soutenir.
Je suis saisi d'un amendement n° 20 .
La parole est à M. Roland Muzeau, pour le soutenir.
Cet amendement vise à étendre la protection reconnue dans l'article 1er aux journalistes à leurs collaborateurs. À cette fin, nous vous proposons de compléter l'alinéa 6 de l'article 1er par les mots : « ou est amenée à prendre connaissance d'informations permettant d'identifier une source et ce à travers la collecte, le traitement éditorial, la production ou la diffusion de ces mêmes informations. »
Cet amendement est satisfait par l'amendement n° 1 qui, je le rappelle, a précisé quelles étaient les atteintes directes ou indirectes au principe de protection. Je vous invite donc à retirer cet amendement. S'il était maintenu, je demanderais à l'Assemblée de le repousser.
Je suis saisi d'un amendement n° 45 rectifié .
La parole est à M. Patrick Bloche, pour le soutenir.
Nous avons toujours le souci de protéger convenablement les sources, pour aller dans le sens du rapporteur, mais également tous les professionnels qui sont amenés à détenir des informations protégées par la loi. C'est l'objet de cet amendement de repli.
Je propose à M. Bloche de retirer son amendement au profit de l'amendement n° 16 qui a été adopté par la commission. Dans un article additionnel après l'article 3, cet amendement s'intéresse aux réquisitions adressées aux opérateurs de communications électroniques ou mobiles, répondant parfaitement aux souhaits traduits dans l'amendement n° 45 rectifié .
Dans le cas où vous ne le retireriez pas, monsieur Bloche j'émettrais un avis défavorable.
L'amendement n° 45 rectifié est retiré.
Je suis saisi d'un amendement n° 21 .
La parole est à M. Roland Muzeau, pour le soutenir.
Cet amendement vise à préciser la notion de source en se référant à la recommandation R(2000)7 du comité des ministres du Conseil de l'Europe signée par la France. La précision de la notion de source est en effet indispensable pour garantir effectivement le principe de la protection du secret de ces sources.
Nous proposons donc de compléter l'article 1er par les six aliénas suivants :
« Est considérée comme source au sens des alinéas précédents :
« – l'identité des informateurs des journalistes ;
« – le nom et les données personnelles ainsi que la voix et l'image de cet informateur ;
« – les circonstances concrètes de l'obtention d'informations par un journaliste auprès d'une source ;
« – la partie non publiée de l'information fournie par l'informateur d'un journaliste ;
« – les données personnelles des journalistes et de leurs employeurs liées à leur activité professionnelle. »
Sur le fond, nous sommes bien d'accord, mais nous pensons qu'il ne serait pas bon d'énumérer dans la loi, en insérant une liste à la Prévert, les différentes sources parce que, inévitablement, cette liste ne serait pas exhaustive, et qu'on ne manquerait pas de s'engouffrer dans les brèches. C'est la raison pour laquelle je propose que cet amendement soit repoussé.
Je suis saisi d'un amendement n° 7 .
La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.
Il s'agit d'un amendement très important. Au cours des auditions que nous avons menées, nous avons constaté que les journalistes qui sont poursuivis pour diffamation devant une juridiction sur le fondement de la loi de 1881 se trouvent dans l'impossibilité de prouver l'exceptio veritatis parce qu'ils ne peuvent produire certaines pièces, à moins de s'exposer à une sanction, pour recel de divulgation de secret de l'instruction notamment.
Ce point a fait l'objet d'une grande discussion, qui a débordé plus largement sur le problème du secret de l'instruction, son utilité, sa protection, sa réalité dans le droit et la pratique actuels.
Au terme de nos réflexions et de nos échanges avec Mme la garde des sceaux, il vous est proposé de faire primer le droit de défense des journalistes sur le principe du secret de l'instruction en supprimant de notre droit cette qualification de recel de violation du secret de l'instruction pour les journalistes lorsqu'ils sont à même de plaider une exception de vérité devant une juridiction.
Cet amendement, s'il est évidemment satisfaisant en son principe, n'apporte rien en réalité à l'état du droit puisque, d'ores et déjà, le journaliste peut toujours exciper de pièces qu'il a en sa possession pour prouver la véracité de ses dires dans le cadre de ce que l'on appelle l'exceptio veritatis dans des procédures de diffamation.
J'en veux pour preuve le jugement de la 17e chambre correctionnelle de Paris, le 14 novembre 2006, dans l'affaire du magistrat Albert Levy : « non seulement la production de pièces couvertes par le secret est admise » à ce titre – l'exceptio veritatis – mais encore est-elle « le moyen le plus pertinent offert à la personne poursuivie en diffamation » en ce qu'il lui permet de respecter le secret des sources consacré en droit interne par l'article 109 du CPP, principe fondamental qui doit être protégé au-delà du cadre procédural étroit prévu par ce texte.
La 17e chambre correctionnelle tire argument du fait qu'il est toujours possible à un journaliste de prouver la véracité de ses dires en montrant les pièces, quand bien même s'agirait-il d'un recel de violation du secret de l'instruction pour dire que, justement, l'incrimination de recel de violation du secret d'instruction, de recel de violation du secret défense, de recel de violation du secret professionnel, n'est pas nécessaire dans une société démocratique. Dans ces conditions, ajoute le tribunal, « la condamnation d'un journaliste pour violation de recel de violation du secret professionnel et du secret de l'enquête et de l'instruction, du chef de la détention des pièces couvertes par le secret et utilisées par lui pour des publications contribuant à l'information du public, ne peut pas être considérée comme nécessaire dans une société démocratique ».
C'est pourquoi nous proposerons tout à l'heure un amendement qui va beaucoup plus loin en demandant la suppression de cette incrimination de recel de violation du secret.
Je suis un peu surpris de cette argumentation. À plusieurs reprises, Mme Filippetti nous a dit de faire attention, parce que tout cela était imprécis et que la jurisprudence était fluctuante. Là, nous proposons justement d'inscrire dans la loi un principe qui ne sera plus soumis à une jurisprudence fluctuante. Elle fait référence à une décision de la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris, que nous connaissons. Nous pensons pour notre part qu'il vaut mieux inscrire dans la loi le principe, ainsi les journalistes ne seront plus inquiétés. Je considère que cet amendement constitue une véritable avancée en offrant une protection supplémentaire extrêmement importante aux journalistes.
Je mets aux voix l'article 1er, modifié par les amendements adoptés.
(L'article 1er, ainsi modifié, est adopté.)
Sur l'article 2, je suis saisi d'un amendement n° 8 .
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir cet amendement.
Je suis saisi d'un amendement n° 47 rectifié .
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour le soutenir.
L'article 2, qui modifie et complète l'article 56-2 du code de procédure pénale, accroît les garanties procédurales qui entourent la perquisition concernant un journaliste, mais cela reste insuffisant. Nous pouvons en effet nous interroger sur la pertinence même de l'inscription dans notre droit, et notamment dans la grande loi de 1881 sur la liberté de la presse, d'une officialisation de l'autorisation de perquisitionner les locaux des entreprises de presse, les domiciles des journalistes dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions.
Loin de mettre définitivement fin à la curiosité inévitable des juges à l'égard de ce qui peut se trouver dans les salles de rédaction et les ordinateurs des journalistes, le projet de loi leur en ouvrirait l'accès en toute licéité, sauf à ce que le juge des libertés éventuellement saisi ne considère que la procédure de perquisition est irrégulière – sans que le texte précise en quoi consiste cette irrégularité.
Or, dans l'arrêt Roemen et Schmit contre Luxembourg, la Cour européenne a répété que, si l'on cherche non la preuve de la commission d'une infraction par le journaliste lui-même dans un cas ne ressortissant pas à son activité professionnelle, mais sa source d'information, la mesure de perquisition tombe « à ne pas douter dans le domaine de la protection des sources journalistes ». La consécration du principe de protection des sources impose qu'on évite le plus possible que les magistrats puissent la contourner par la perquisition.
L'amendement vise également à étendre la protection accordée aux entreprises éditrices en cas de perquisition, aux locaux des prestataires techniques, hébergeurs de contenus, fournisseurs d'accès à Internet ou opérateurs de télécommunication, qui détiennent eux aussi des informations protégées par le secret des sources. On sait combien il est aisé aujourd'hui de récupérer les listings d'appels téléphoniques ou les courriels via ces fournisseurs d'accès à Internet ou ces opérateurs.
Il s'agit d'un point extrêmement délicat. Puisque, par nature, une instruction semblera toujours exceptionnelle au magistrat qui la mène, sur quelle base légitime peut-on introduire dans la loi de 1881 le principe d'une perquisition dans des locaux d'une entreprise de presse ou au domicile d'un journaliste ? Pour sa part, la loi belge du 7 avril 2005 prohibe totalement perquisitions, saisies ou écoutes.
La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement qui vise à interdire purement et simplement les perquisitions dans un certain nombre d'entreprises, ce qui est impossible. Mais, si perquisition il y a, elle doit être encadrée, comme le prévoient différents amendements que vient d'adopter l'Assemblée. L'un d'eux dispose notamment que la perquisition interviendra dans le cadre de la loi de 1881 et répondra à certains critères : elle sera effectuée à titre exceptionnel et lorsqu'un impératif prépondérant d'intérêt public le justifiera.
Je le répète : un amendement visant à interdire la perquisition ne peut être admis, mais la protection prévue, dans le cadre précis que nous avons instauré, s'appliquera aux perquisitions intervenant dans les cas que vous avez évoqués.
Je suis, sinon choquée, du moins surprise qu'on puisse dire que les magistrats sont atteints d'une « curiosité inévitable » ! Ils représentent l'État de droit et la justice. Ils ne sont donc pas « atteints d'une curiosité inévitable », madame Filippetti !
Et, quand ils procèdent à des enquêtes, ils le font de manière responsable. Je souhaite que, dans cette enceinte, non seulement on rende hommage au travail qu'ils effectuent dans des conditions souvent difficiles,…
Rendues difficiles par vous-même, madame la garde des sceaux, notamment par votre réforme de la carte judiciaire !
…mais qu'on les respecte. Je regrette donc que vous les présentiez comme des « curieux inévitables », ce qu'ils ne sont pas. Le Gouvernement fait confiance à la justice, qui est un pilier de l'État de droit, et donc aux magistrats.
L'amendement est totalement irréaliste. Aucune profession ne bénéficie d'une immunité telle que celle que vous proposez.
Même en Belgique, aucune profession ne bénéficie d'une telle immunité. Il est impossible de soustraire certaines entreprises ou certains locaux aux perquisitions des magistrats. Je rappelle que celles-ci sont encadrées et que les garanties dont bénéficient les entreprises ou les locaux que vous mentionnez vont bien au-delà de celles qui s'appliquent aux avocats.
Du reste, la mesure que vous proposez serait totalement anticonstitutionnelle, puisqu'elle entraînerait une rupture d'égalité des citoyens devant la loi pénale. Le Gouvernement y est donc totalement défavorable.
Je mets aux voix l'amendement n° 47 rectifié .
(L'amendement n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 48 rectifié .
La parole est à Mme Françoise Vallet, pour le soutenir.
L'amendement ne vise pas à sanctuariser certains locaux professionnels, mais à ce que la protection accordée aux entreprises éditrices s'applique dans le cas des perquisitions effectuées dans les locaux des prestataires techniques – hébergeurs de contenus, fournisseurs d'accès à Internet et opérateurs de télécommunications –, qui détiennent des informations protégées par le secret des sources.
Je propose le retrait de l'amendement, faute de quoi j'émettrais un avis défavorable. Il sera en effet satisfait par l'amendement n° 16 , qui protège, en matière de réquisition, les opérateurs de communication électronique, tout comme les fournisseurs d'accès à Internet et les hébergeurs. En effet, en règle générale, on procède dans ces entreprises non à des perquisitions, mais à des réquisitions, puisqu'on leur demande de communiquer la liste de certains numéros de téléphone ou de contacts figurant dans leurs fichiers.
Nous effectuons décidément un travail constructif avec le rapporteur ! Celui-ci nous a déjà invités, au nom du même argument, à retirer un amendement précédent. Certes, nous pourrions lui donner satisfaction en retirant cet amendement de repli, mais l'affaire est trop sérieuse. Nous visons explicitement les locaux professionnels des prestataires techniques, en prenant en compte la loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004. Cet amendement va dans le même sens que l'amendement n° 16 , mais il trouve sa place à cet endroit précis du projet de loi.
Par ailleurs, je ferai remarquer à Mme la garde des sceaux que notre amendement vise à montrer notre amour pour les magistrats. Mais existe-t-il une meilleure manière de l'exprimer que de combattre, comme nous l'avons fait depuis un an et comme nous continuerons à le faire, sa réforme de la carte judiciaire ?
Je mets aux voix l'amendement n° 48 rectifié .
(L'amendement n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 9 , qui fait l'objet d'un sous-amendement n° 46 rectifié .
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l'amendement n° 9 .
L'amendement propose que la procédure spécifique de perquisition applicable aux journalistes soit étendue aux véhicules professionnels, qui constituent en quelque sorte le prolongement de l'entreprise de presse ou de communication audiovisuelle.
La parole est à Mme Pascale Got, pour soutenir le sous-amendement n° 46 rectifié .
Si, au cours d'un tel débat, nous ne parvenons pas à nous réunir sur ce sous-amendement, il y a vraiment un problème ! (Sourires.) Celui-ci tend à compléter l'amendement en étendant aux véhicules privés les dispositions prévues pour les véhicules professionnels, puisque beaucoup de journalistes utilisent leurs véhicules privés.
Avis défavorable. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Allez-vous systématiquement protéger les véhicules privés d'une catégorie de Français ? Parlons clairement : cela reviendrait à créer un régime de faveur injustifié. Si l'on s'en tient à l'idée que nous transposons aux journalistes le droit qui s'applique actuellement aux avocats, il n'y a pas lieu de prendre une telle mesure.
Revenons aux cas concrets : quand un véhicule sert à une activité professionnelle, on peut envisager une mesure de protection, mais le principe d'une protection absolue ne résiste pas à l'examen. C'est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement et le sous-amendement ?
Favorable à l'amendement, mais défavorable au sous-amendement.
Je vous prends au mot, monsieur le rapporteur, en vous renvoyant au cas des pigistes, que vous avez évoqués tout à l'heure et qui ne disposent pas d'un véhicule professionnel. Puisque vous avez le souci de les inclure dans le projet de loi, il faut étendre les mesures de protection à leur véhicule privé !
Je mets aux voix le sous-amendement n° 46 rectifié .
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 22 rectifié .
La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le soutenir.
Dans la continuité des amendements précédents, l'amendement n° 22 rectifié vise à étendre le champ de protection des sources des journalistes à l'ensemble des lieux de vie et de travail. Nous savons qu'un journaliste est en effet amené à travailler dans différents lieux et non de manière spécifique à son domicile ou dans les locaux d'un journal.
Bien entendu ! La jurisprudence a précisé la notion de domicile. Celui-ci ne doit pas être entendu seulement comme le lieu où une personne a son principal établissement, mais comme celui, qu'elle y habite ou qu'elle n'y habite pas, où elle a le droit de se dire chez elle, ce qui peut même être le cas d'une chambre d'hôtel. Plusieurs arrêts, dont un de la chambre criminelle de la Cour de cassation, datant de 1914, rappellent ce principe. C'est la raison pour laquelle, considérant que l'amendement est en partie satisfait, la commission a émis un avis défavorable.
Je mets aux voix l'amendement n° 22 rectifié .
(L'amendement n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 10 .
La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.
L'amendement n° 10 vise à renforcer les garanties apportées aux perquisitions concernant les journalistes, en s'inspirant des dispositions de l'article 56-1 du code de procédure pénale relatif aux perquisitions dans les cabinets d'avocat, puisque nous transposons presque complètement aux perquisitions concernant les journalistes les règles de procédure applicables aux perquisitions dans les cabinets d'avocats.
L'amendement précise que la perquisition doit être précédée d'une décision écrite et motivée du magistrat, qui doit être communiquée à la personne chez qui s'effectue la perquisition, et indiquer tant la nature des infractions sur lesquelles portent les investigations que l'objet de la perquisition, le champ de la perquisition devant se limiter à l'affaire en cause. Ainsi, la personne pourra s'opposer à la saisie des documents, puisqu'elle sera à même de vérifier si les saisies demandées par le magistrat entrent bien dans le champ fixé de la décision écrite et motivée justifiant la perquisition.
L'amendement précise également que la méconnaissance des prescriptions posées par le premier alinéa de l'article 56-2 du code, tel que réécrit par le projet de loi, est sanctionnée par la nullité de l'ensemble de la procédure. J'attire l'attention de nos collègues sur le fait que, si une perquisition est effectuée sans que soient respectées les dispositions de l'article 56-2, les sanctions sont extrêmement lourdes : nullité de la perquisition, mais aussi de tous les actes subséquents et de tous ceux qui y feraient référence directement ou indirectement.
Avis favorable. J'ajouterai, ce qui me permettra de répondre à Mme Buffet, que, dans le droit commun, qui concerne encore les journalistes, il est possible de procéder lors d'une perquisition d'un local de presse à « une incidente ». Mais, grâce à l'amendement n° 10 , qui prévoit une décision écrite et motivé du magistrat, il ne sera désormais plus possible de saisir chez un journaliste, ou dans un local de presse, des éléments sans rapport avec la procédure initiale. Le champ de la perquisition et de la saisie est donc restreint, et, garantie supplémentaire, le journaliste peut s'opposer à la saisie d'une pièce qui sera placée sous scellés en attendant la décision du juge des libertés et de la détention.
Cet amendement permet donc aux journalistes d'être protégés en cas de perquisition et constitue donc un progrès important et fondamental de leurs droits.
Je suis saisi d'un amendement n° 49 rectifié , qui fait l'objet d'un sous-amendement n° 62 .
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour soutenir l'amendement.
Cet amendement précise que seul le magistrat a le droit de prendre connaissance des documents découverts lors de la perquisition préalablement à leur saisie.
En effet, il ne faut pas que ces documents qui révèlent les sources des journalistes, et dont la saisie peut éventuellement être contestée, soient livrés au regard des officiers de police présents.
Par ailleurs, si le journaliste n'est pas présent lors de la perquisition, selon le droit commun, cette dernière doit se dérouler en présence de deux témoins spécialement requis pour y assister et qui pourraient alors prendre connaissance des documents permettant de remonter aux sources.
Une disposition équivalente figure déjà dans l'article 56-1 du code de procédure pénale qui organise les perquisitions dans les cabinets d'avocats. Celles-ci doivent ainsi être effectuées par un magistrat, en présence du bâtonnier – ce qui ne saurait, évidemment s'appliquer aux journalistes qui n'ont ni bâtonnier ni délégué. Elles doivent être précédées d'une décision écrite et motivée du magistrat, disposition que l'amendement n° 10 du rapporteur que nous venons d'adopter transpose aux perquisitions qui concernent les journalistes. Pour les avocats, une procédure permet au bâtonnier, ou à son délégué, de s'opposer à la saisie d'un document : le même dispositif s'appliquera aussi au secteur de la presse puisque l'alinéa 4 de l'article 2 du projet de loi permet au journaliste ou à la personne présente – mais ce point pose problème – de s'opposer à la saisie de certaines pièces.
Cet amendement permet donc d'étendre encore davantage la nécessaire protection des sources dans le cadre d'une perquisition.
Je suis saisi d'un sous-amendement n° 62 .
La parole est à M. Étienne Blanc, pour le soutenir.
La commission, favorable à l'amendement n° 49 rectifié de Mme Filippetti, souhaite le compléter en précisant que la personne présente lors de la perquisition, en vertu de l'article 57 du code de procédure pénale, pourra examiner avec le magistrat les pièces susceptibles de faire l'objet d'une saisie pour éventuellement s'y opposer.
Par ailleurs, pour des raisons de cohérence rédactionnelle, je propose de remplacer, dans l'amendement n° 49 rectifié , « ce magistrat » par « le magistrat ». (Mme Aurélie Filippetti fait un signe d'assentiment.)
Je vois que Mme Filippetti est d'accord avec cette modification rédactionnelle. L'amendement n° 49 rectifié devient donc l'amendement n° 49 deuxième rectification.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement et le sous-amendement ?
Je mets aux voix le sous-amendement n° 62 .
(Le sous-amendement est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 11 .
La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.
Je suis saisi d'un amendement n° 23 .
La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le soutenir.
Cet amendement vise à assurer que les dispositions du code de procédure pénale sont, en tous points, conformes aux principes affirmés dans la loi sur la liberté de la presse.
Je suis saisi d'un amendement n° 13 .
La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.
Je suis saisi d'un amendement n° 14 , qui fait l'objet d'un sous-amendement n° 50 rectifié .
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l'amendement n° 14 .
Outre les « documents » déjà visés par le projet de loi, cet amendement vise à inclure parmi les pièces dont la saisie, fréquente lors des perquisitions, peut faire l'objet d'une contestation, certains matériels utilisés par les journalistes, principalement les ordinateurs – disques durs d'ordinateurs fixes et ordinateurs portables – ou les téléphones mobiles.
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour soutenir le sous-amendement n° 50 rectifié .
Ce sous-amendement complète l'amendement n° 14 en précisant qu'est également concerné tout support lorsque le journaliste a confié son matériel à une autre personne, à titre professionnel.
En effet, l'amendement n° 14 de la commission précise opportunément que la protection des sources doit s'étendre au support utilisé par le journaliste. Il convient cependant de prendre en compte légalement les matériels utilisés par les autres professionnels de la presse ou de l'informatique qui peuvent prendre connaissance des sources protégées parce qu'elles leur ont été confiées. Sont concernés les opérateurs de téléphones, les fournisseurs d'accès Internet, mais aussi, parfois, les serveurs informatiques – je pense aux serveurs sur lesquels sont stockés les rushes de certains reportages télévisés qui peuvent permettre d'identifier les sources des journalistes.
La commission a repoussé ce sous-amendement, car il a pour objet d'élargir encore le champ de la protection. Or celle-ci ne peut être sans limites, et elle ne doit concerner que les seuls journalistes.
Je mets aux voix le sous-amendement n° 50 rectifié .
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 60 .
La parole est à M. Étienne Blanc, pour le soutenir.
Je suis saisi d'un amendement n° 51 rectifié .
La parole est à M. Patrick Bloche, pour le soutenir.
La décision du juge des libertés et de la détention en cas de contestation d'une saisie doit, certes, être en toute hypothèse au moins motivée, mais elle est suffisamment grave pour impliquer un droit au recours pour les parties.
La commission a émis un avis défavorable essentiellement pour des raisons pratiques. En effet, un tel recours impliquerait un délai supplémentaire, qui n'existe pas pour la perquisition concernant les avocats.
Je précise que l'intervention du juge des libertés et de la détention constitue déjà un recours. La perquisition se fait sous l'autorité d'un premier magistrat et, en cas de contestation sur les pièces saisies, un second magistrat intervient. Par ailleurs, la contestation est possible devant la chambre de l'instruction ou devant la juridiction si les personnes concernées estiment que les conditions normales de la saisie n'ont pas été respectées.
Les recours protecteurs existent donc à la fois devant le juge des libertés et de la détention, et ensuite, au fond, devant la juridiction, et en cas de contestation, devant la chambre de l'instruction en appel.
Le Gouvernement partage l'avis défavorable de la commission.
Je mets aux voix l'amendement n° 51 rectifié .
(L'amendement n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 61 .
La parole est à M. Étienne Blanc, pour le soutenir.
Cet amendement a pour objet de faire en sorte que, si le journaliste est absent lors de la perquisition, il puisse être présent devant le juge des libertés et de la détention pour s'exprimer et s'assurer que les pièces saisies entrent bien dans le cadre de la perquisition.
La commission a estimé que le projet de loi ne protégeait pas suffisamment les journalistes en ne prévoyant pas que des documents ou des pièces pouvaient être saisis en l'absence de l'intéressé et en ne précisant pas que, dans ce cas, ce dernier pourrait être présent devant le juge des libertés et de la détention.
Je mets aux voix l'article 2, modifié par les amendements adoptés.
(L'article 2, ainsi modifié, est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 52 rectifié , portant article additionnel après l'article 2.
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour soutenir cet amendement.
Selon la procédure de droit commun, deux témoins peuvent être requis pour assister à une perquisition. L'amendement n° 52 rectifié vise à encadrer cette procédure pour l'adapter à la spécificité du métier de journaliste. Les personnes choisies devraient ainsi nécessairement avoir la qualité de journaliste, au sens de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881.
Je mets aux voix l'amendement n° 52 rectifié .
(L'amendement n'est pas adopté.)
Sur l'article 3, je suis saisi d'un amendement n° 15 .
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir cet amendement.
Je suis saisi d'un amendement n° 53 rectifié .
La parole est à M. Patrick Bloche, pour le soutenir.
Cet amendement étend la garantie offerte aux journalistes entendus comme témoins aux directeurs de publication et aux collaborateurs de la rédaction visés par les dispositions de la loi du 29 juillet 1881, que nous avons modifiées à l'article 1er du présent projet de loi.
De même, la définition du champ d'application de l'article 109 du code de procédure pénale doit être précisée et harmonisé avec celui des précédents articles du même code que nous venons de modifier. Cet amendement est donc bien un amendement utile.
Avis défavorable. Il s'agit d'un amendement de coordination avec un amendement qui a été rejeté à l'article 1er.
Je mets aux voix l'amendement n° 53 rectifié .
(L'amendement n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 54 rectifié .
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour le soutenir.
Cet amendement permet de protéger le journaliste lorsqu'il est entendu par la justice « à quelque titre que ce soit ». Ce sera donc le cas dans toutes les phases de la procédure – enquête préliminaire, instruction, audience –, et pas seulement lors de son audition comme témoin.
Il convient de rééquilibrer un dispositif qui encourage à mettre en examen un témoin, en totale contradiction avec l'esprit de la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence, et d'élargir la protection légitime prévue par le projet de loi, au-delà du témoignage, à toutes les auditions des personnes titulaire d'un secret protégé défini par la loi du 29 juillet 1881.
La commission est défavorable à cet amendement, qui est satisfait par le droit existant et par le projet de loi.
Soit le journaliste est placé en garde à vue ou mis en examen, et comme toute personne mise en cause, il est libre de ne rien dire et n'a aucune obligation de s'auto-incriminer. Soit le journaliste est entendu, ou cité comme témoin, et alors, il dispose du droit inconditionnel, renforcé par le projet de loi qui nous est soumis, de garder le secret de ses sources.
Avis défavorable. La personne qui, aujourd'hui, ne s'exprime pas alors qu'elle est entendue comme témoin s'expose à une amende, mais ce ne sera plus le cas, grâce à ce projet de loi, pour les journalistes qui pourront invoquer le droit à la protection des sources.
Dans les autres situations, comme dans le cas d'une mise en examen, le droit de se taire fait partie des droits de la défense et appartient donc déjà au droit positif.
Je mets aux voix l'amendement n° 54 rectifié .
(L'amendement n'est pas adopté.)
Je mets aux voix l'article 3, modifié par l'amendement n° 15 .
(L'article 3, ainsi modifié, est adopté.)
Nous en venons aux amendements portant articles additionnels après l'article 3.
Je suis saisi d'un amendement n° 16 , qui fait l'objet d'un sous-amendement n° 55 rectifié .
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l'amendement n° 16 .
Nous avons fait référence à plusieurs reprises à cet amendement, qui a trait aux réquisitions judiciaires.
L'article 1er du projet de loi pose le principe général de protection du secret des sources, qui doit être appliqué dans la conduite de tout acte d'enquête, même en l'absence de mention expresse dans le code de procédure pénale. Mais, de même que l'article 2 apporte des précisions quant à la procédure de perquisition, la commission a jugé utile, à la demande de Mme Filippetti, de prévoir une disposition particulière en matière de réquisitions judiciaires.
Cet amendement complète ainsi les dispositions du code de procédure pénale relatives aux réquisitions judiciaires – c'est-à-dire les articles 60-1 pour l'enquête de flagrance, 77-1-1 pour l'enquête préliminaire et 99-3 en cas d'ouverture d'une information –, afin de préciser que ces réquisitions ne peuvent porter atteinte de façon disproportionnée, au regard de la gravité et de la nature de l'infraction, à la protection qui est due au secret des sources d'un journaliste, ce qui peut être le cas dans l'hypothèse de réquisitions adressées à un opérateur de télécommunications ou de communication en ligne, notamment pour obtenir la liste des numéros appelés ou reçus par un journaliste ou la liste de ses correspondants par e-mails.
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour soutenir le sous-amendement n° 55 rectifié .
Ce sous-amendement tend à supprimer les mots : « de façon disproportionnée au regard de la gravité et de la nature de l'infraction commise ». Cette formule trop imprécise nous paraît en effet de nature à donner à la protection des sources des journalistes un caractère trop aléatoire.
Avis défavorable. L'amendement n° 16 ne fait que reprendre la formule de la Cour européenne des droits de l'homme. Il appartiendra aux magistrats d'arbitrer et à la jurisprudence de trancher.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement et le sous-amendement ?
Défavorable au sous-amendement, mais favorable à l'amendement.
Je mets aux voix le sous-amendement n° 55 rectifié .
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 35 rectifié .
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour le soutenir.
Cet amendement a trait à une autre procédure susceptible d'être utilisée pour faire pression sur les journalistes : la garde à vue. Nous proposons d'insérer, après l'article 3, l'article suivant :
« Toutefois, les personnes visées à l'article 3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse sont autorisées à taire leurs sources dans les conditions prévues par ledit article ; leur placement en garde à vue est réputé irrégulier. »
Si les journalistes ont le droit de taire leur source d'information, nous avons pu constater, à l'occasion de l'affaire Guillaume Dasquié, qu'ils peuvent néanmoins faire l'objet de pressions, notamment en étant placés de nombreuses heures – en l'espèce une trentaine – en garde à vue, au terme desquelles ils craquent et livrent leur source. Pour éviter de voir les journalistes obligés de suivre des entraînements pour résister à une telle épreuve, nous proposons que, dans leur cas, les gardes à vue soient strictement encadrées, voire supprimées.
Avis défavorable. Si cet amendement était adopté, il créerait un privilège injustifié au profit des journalistes, ce qui provoquerait une rupture d'égalité des citoyens devant la loi pénale. En outre, je rappelle que le journaliste placé en garde à vue n'est pas tenu de déposer : il a le droit de taire ses sources. Enfin, l'utilisation de la garde à vue pour faire pression sur un journaliste et obtenir ses sources est dépassée.
Même avis que la commission.
Je mets aux voix l'amendement n° 35 rectifié .
(L'amendement n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 36 rectifié .
La parole est à M. Patrick Bloche, pour le soutenir.
Les réponses du rapporteur ne nous satisfont pas totalement. Nous avons dit combien les procédures de garde à vue étaient utilisées, en ce qui concerne les journalistes, comme une intimidation, pour qu'ils livrent leurs sources. Je rappelle que M. Dasquié, dont j'ai évoqué l'affaire en soutenant la motion de renvoi en commission, a ainsi été placé en garde à vue pendant trente-six heures, dans des conditions telles que les pressions psychologiques qu'il a subies l'ont amené à craquer et à donner aux enquêteurs le nom qu'ils voulaient obtenir.
Il s'agit, non pas de supprimer les gardes à vue pour les journalistes, mais d'éviter que des pressions ne soient exercées sur ces derniers dans le cadre d'une instruction portant sur les informations qu'ils ont recueillies dans l'exercice de leur profession. C'est pourquoi nous souhaitons encadrer les gardes à vue les concernant. Encore une fois, il ne s'agit pas de créer, pour les journalistes, un statut exorbitant du droit commun.
En tout état de cause, nous estimons que cet amendement complète utilement les articles 63 et 77 du code de procédure pénale et qu'il est en cohérence avec les dispositions du projet de loi en discussion.
Je souhaite préciser que la garde à vue, qui se déroule sous le contrôle et l'autorité du procureur de la République, n'est pas un moyen de pression. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Ne riez pas, c'est un sujet sérieux ! Le placement en garde à vue obéit, en outre, à des conditions extrêmement strictes. Il ne peut pas être utilisé uniquement pour connaître des sources.
Les personnes à l'encontre desquelles il n'existe aucun indice faisant présumer qu'elles ont commis ou tenté de commettre une infraction et qui sont susceptibles d'apporter des éléments de preuve intéressant l'enquête peuvent, sur autorisation du procureur de la République, déclarer comme domicile l'adresse du commissariat et être placées en garde à vue.
Je suis évidemment défavorable à l'amendement, car il serait absolument contraire à notre droit.
Madame la garde des sceaux, vous nous accusez souvent d'angélisme, mais c'est vous qui en faites preuve si vous croyez que la garde à vue n'est pas un moyen de pression. Dois-je rappeler une nouvelle fois l'affaire Guillaume Dasquié qui, après trente-six heures de garde à vue, a fini par craquer et par livrer un nom, avant de se cacher ensuite le visage de honte, parce qu'il avait trahi la déontologie de sa profession ?
Je mets aux voix l'amendement n° 36 rectifié .
(L'amendement n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 17 .
La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.
Cet amendement concerne les interceptions de communications, c'est-à-dire les écoutes judiciaires, qui pourraient, tout autant que les réquisitions judiciaires, porter atteinte au principe du secret des sources des journalistes.
Cet amendement institue donc une protection similaire à celle prévue par le deuxième alinéa de l'article 100-5 du code de procédure pénale, qui interdit à peine de nullité la retranscription de toute correspondance avec un avocat relevant de l'exercice des droits de la défense. Il prévoit qu'à peine de nullité ne pourront être transcrites les correspondances avec un journaliste portant atteinte de façon disproportionnée, au regard de la gravité et de la nature de l'infraction, à la protection du secret des sources. Dès lors, le juge d'instruction devra écarter les écoutes téléphoniques constitutives d'une telle atteinte, en dehors des cas où celles-ci seraient justifiées, conformément au principe général que nous avons posé à l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Je suis saisi d'un amendement n° 37 rectifié .
La parole est à M. Patrick Bloche, pour le soutenir.
Cet amendement a le même objet. Nous souhaitons que les journalistes puissent bénéficier, en matière d'interceptions téléphoniques, de la même protection que les parlementaires, les avocats et les magistrats. C'est une demande forte de la profession, qui se justifie par les nombreux exemples récents de journalistes victimes de telles pratiques.
Il est vrai, monsieur le rapporteur, que vous employez à nouveau la formule, couramment utilisée : « de façon disproportionnée au regard de la gravité et de la nature de l'infraction ». Mais notre rédaction laisse moins de place à l'interprétation. Or il convient de rendre la loi la plus précise possible afin de réduire les risques d'aléas s'agissant d'un sujet aussi sérieux.
Même avis que la commission.
Je mets aux voix l'amendement n° 37 rectifié .
(L'amendement n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 38 rectifié .
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour le soutenir.
Il s'agit du même sujet. Puisque vous avez refusé l'interdiction des interceptions sur un service téléphonique ou un service de communication électronique, interdiction qui est pourtant, comme celle de la garde à vue, prévue dans la loi belge,…
…nous proposons qu'au moins le juge des libertés et de la détention en soit informé.
Le juge des libertés n'est pas le juge des écoutes : c'est une compétence exclusive du juge d'instruction. C'est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable à l'amendement.
Même avis que la commission.
Je mets aux voix l'amendement n° 38 rectifié .
(L'amendement n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 39 .
La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour le soutenir.
Il s'agit d'un amendement extrêmement important, qui vise à insérer, après l'article 3, l'article suivant :
« Le seul fait de détenir des sources d'information protégées, dès lors qu'il ressort de l'activité professionnelle d'un journaliste ou de toute personne visée aux alinéas 3 et 4 de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, ne constitue pas une infraction. »
En effet, lorsqu'on veut poursuivre un journaliste, exercer des pressions sur lui ou obtenir de lui qu'il livre ses sources, on l'accuse souvent de recel de violation du secret professionnel, du secret de l'instruction ou du secret défense. Or le seul fait de détenir ces informations ne peut pas et ne doit pas constituer une infraction. En effet, ce n'est pas le journaliste qui est coupable, mais celui qui lui a livré ces informations et qui, ce faisant, a trahi le secret auquel il était tenu.
Je rappelle que la jurisprudence de la 17e chambre correctionnelle de Paris précise bien que, dans une société démocratique, il n'est pas nécessaire de poursuivre les journalistes pour recel de violation du secret professionnel ou du secret de l'instruction. Par ailleurs, en 1957, lors des débats législatifs sur la notion de violation du secret de l'instruction, le garde des sceaux de l'époque avait expressément précisé que cette incrimination ne saurait en aucun cas concerner les journalistes, tant il paraissait évident que cela aurait porté atteinte à la liberté de la presse.
Or, aujourd'hui, dans neuf cas sur dix, les incriminations pour recel de violation du secret de l'instruction visent les journalistes. Il s'agit d'une dérive très grave de la jurisprudence – on l'a vu dans l'affaire Albert Lévy, dans l'affaire Cofidis ou dans celle du Canard enchaîné qui, à la suite de la publication de la déclaration d'impôt de Jacques Calvet, alors président de PSA, avait été poursuivi pour recel de violation du secret fiscal.
L'évolution de notre jurisprudence constitue une véritable régression par rapport à l'esprit de la loi de 1957, à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et aux recommandations du comité des ministres du Conseil de l'Europe. Cette régression est très gravement attentatoire à la liberté de la presse.
Plus généralement, c'est la notion même de violation du secret de l'instruction qui mériterait d'être revue, car les recommandations du Conseil de l'Europe ont bien précisé en 2000 qu'il était d'intérêt public que les journalistes puissent rendre compte des activités des autorités judiciaires et policières. Dès lors, il ne paraît pas opportun de conserver la notion de violation du secret de l'instruction dans le cadre d'activités journalistiques, qui sont par essence d'intérêt public.
La commission est défavorable à cet amendement, car son adoption aurait pour conséquence de créer une nouvelle catégorie de Français qui ne pourraient plus être poursuivis pour violation du secret de l'instruction. Se poserait alors le problème du secret de l'instruction, qui est un autre débat que celui qui nous occupe aujourd'hui.
J'ajoute, madame Filippetti, que nous avons apporté une réponse, sentie, aux demandes des journalistes : grâce à l'amendement n° 7 que nous avons adopté, une personne poursuivie pour diffamation devant un tribunal correctionnel ne pourra être poursuivie pour recel si, plaidant l'exception de vérité, elle produit pour sa défense des pièces couvertes par le secret de l'enquête ou de l'instruction. Cette disposition constitue déjà un grand pas en avant. Faut-il aller plus loin en faisant en sorte que les journalistes soient les seuls Français ne pouvant être poursuivis pour violation du secret de l'instruction ?
Il me semble que cela poserait un vrai problème d'un point de vue constitutionnel. C'est la raison pour laquelle la commission demande à l'Assemblée de rejeter l'amendement n° 39 .
Alors que je vous tiens pour un parlementaire raisonnable, il me semble que vous exagérez, monsieur le rapporteur, en faisant une interprétation extensive de notre amendement, pourtant motivé de façon très précise par Mme Filippetti.
À plusieurs reprises, vous avez rejeté nos propositions en nous accusant de manière très injuste de vouloir faire des journalistes une catégorie de citoyens bénéficiant d'une protection exceptionnelle par rapport au droit commun. Si nous sommes amenés à débattre d'un projet de loi visant à renforcer la protection des sources des journalistes, c'est bien une profession particulière qu'il s'agit de protéger. Rien ne justifie de nous renvoyer sans cesse au droit commun et de nous accuser de vouloir faire des journalistes des citoyens surprotégés, alors que la protection dont nous souhaitons les voir bénéficier est limitée au strict exercice de leur activité professionnelle. Ils ne sont pas protégés en tant que citoyens porteurs d'une carte de journaliste, mais du fait qu'ils exercent une profession particulière, celle de journaliste, protégée par le principe de libre expression inscrit dans la Constitution.
La liberté d'informer est, convenez-en, la liberté qui a sans doute la plus grande valeur dans une démocratie. Je voulais apporter cette précision quant au sens que nous avons voulu donner à nos amendements : je le répète, il ne s'agit pas de surprotéger les journalistes, mais simplement de garantir la liberté d'expression et la liberté d'informer.
L'article 4 ne fait l'objet d'aucun amendement.
Je le mets aux voix.
(L'article 4 est adopté.)
Dans les explications de vote sur l'ensemble du projet de loi, la parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Ce projet de loi était très attendu par les journalistes, la protection de leurs sources représentant pour eux une question extrêmement importante. Ils se réjouissaient de voir cette revendication exprimée de longue date enfin prise en compte. Comme vient de le dire M. Bloche, il ne s'agit pas de protéger les individus, mais de donner aux journalistes, qui exercent une profession essentielle à notre démocratie, dans la mesure où elle permet d'assurer le droit à l'information des citoyens, les meilleures conditions pour exercer cette profession dans le respect de la déontologie.
Toutefois, les organisations syndicales en leur ensemble se sont inquiétées dès qu'elles ont pris connaissance de ce projet de loi qui donnait l'impression de n'accorder qu'une protection a minima. Tous les amendements présentés par nos collègues communistes et socialistes visaient à améliorer ce projet de loi afin qu'il assure une meilleure protection, non pas à des individus, mais à des journalistes dans l'exercice de leur profession. Malheureusement, la quasi-totalité de ces amendements pourtant constructifs a été rejetée.
J'aurais aimé pouvoir voter en faveur de ce projet de loi, mais je regrette qu'il n'ait pas pu bénéficier d'un travail collectif, fruit d'une opinion consensuelle de notre assemblée sur un tel sujet. L'absence d'écoute du Gouvernement à l'égard de nos propositions ne nous permet pas d'apporter nos voix à ce projet de loi, ce que je regrette. J'espère que nous pourrons travailler dans d'autres conditions lors des prochains examens de ce texte.
La parole est à Mme Françoise Vallet, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
On peut considérer que ce texte contient quelques avancées, même si celles-ci se sont faites à reculons. Cependant, la démarche n'a pas été menée à son terme, si bien que le secret des sources des journalistes n'est pas correctement protégé. En réalité, il ne s'agit que de demi-mesures, puisque tous les dépositaires d'informations n'entrent pas dans le champ du texte, ce que nous ne pouvons admettre. De même, la notion de recel du secret demeure, ce qui nous paraît incompatible avec le principe de protection des sources.
Le groupe socialiste, plus exigeant quant au respect des principes et souhaitant davantage de réalisme, attendra que le Sénat renforce une protection encore illusoire et, en l'état actuel, ne votera pas le projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
La parole est à M. Patrice Debray, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
La discussion des amendements, si elle a permis de préciser certains points très utiles du texte, n'a pas apporté de modifications fondamentales de l'esprit du projet de loi proposé par Mme lagarde des sceaux, ministre de la justice. En son état actuel, le projet de loi permet de faire entrer dans un cadre législatif précis et clair la protection du secret des sources journalistiques, ce qui n'avait jamais été fait auparavant. En conclusion, ce texte représente une avancée considérable, conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, à la Charte des droits fondamentaux signée à Nice le 18 décembre 2000, et au Traité constitutionnel de l'Union européenne.
En conséquence, le groupe UMP votera évidemment ce projet de loi.
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(L'ensemble du projet de loi est adopté.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme la garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je souhaite vous adresser mes plus vifs remerciements. Avec cette grande avancée pour la liberté de la presse, l'Assemblée nationale a contribué à faire encore progresser notre démocratie. Je tiens à saluer à nouveau l'excellent travail de votre rapporteur, Étienne Blanc, ainsi que sa qualité d'écoute, qui a permis que plusieurs amendements soient adoptés à l'unanimité en commission des lois.
La protection des sources est désormais assurée quelle que soit la personne qui détient l'information. La limite à ce secret se trouve mieux encadrée par les amendements que vous avez adoptés. La révélation du secret et des sources sera exceptionnelle, sans que la justice se trouve totalement empêchée ; pour autant, elle ne pourra remonter à la source d'un journaliste que dans des conditions strictement encadrées. La sanction du non-respect de ces règles sera particulièrement rigoureuse, puisqu'elle consistera à ce que les actes d'enquête soient purement et simplement annulés et retirés de la procédure. Les habitudes d'investigation des magistrats et des enquêteurs seront modifiées en profondeur par ce texte équilibré et en totale conformité avec les principes exigeants posés par la Convention européenne des droits de l'homme.
Avec ce texte, nous avons tenu tous nos engagements, et je vous en remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Prochaine séance, mardi 20 mai, à neuf heures trente :
Proposition de loi relative aux conditions de l'élection des sénateurs.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures quarante.)
Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma